Le monoxyde de carbone, communément désigné sous le nom doxyde de carbone (CO), est un gaz inodore et incolore, qui réduit laptitude de lhémoglobine à transporter et à fournir de loxygène.
Présence. La formation doxyde de carbone résulte de la combustion incomplète, en présence dair ou doxygène en quantité limitée, de matières organiques telles que le charbon, le bois, le papier, les huiles, lessence, le gaz, les explosifs ou toute autre matière carbonée. Lorsque la combustion a lieu en présence dune quantité abondante dair sans que la flamme entre en contact avec une surface, un dégagement doxyde de carbone a peu de chance de se produire. Le CO se forme lorsque la flamme entre en contact avec une surface dont la température est inférieure à la température dignition de la partie gazeuse de la flamme. Le CO atmosphérique est à 90% dorigine naturelle, lactivité humaine produisant les 10% restants. Les véhicules à moteur sont responsables de 55 à 60% de la quantité totale de CO résultant de lactivité humaine. Les gaz déchappement des moteurs à essence (allumage à étincelle) sont une source courante de CO atmosphérique. Les gaz déchappement des moteurs diesel (allumage par compression) contiennent environ 0,1% de CO lorsque le moteur fonctionne correctement, mais les moteurs diesel mal réglés, en surcharge ou mal entretenus peuvent émettre des quantités considérables de CO. Les brûleurs thermiques ou catalytiques placés dans les pots déchappement réduisent considérablement la quantité de CO émise. Les autres sources importantes de CO sont constituées par des installations telles que les cubilots des fonderies, les unités de craquage catalytique des raffineries de pétrole, les unités de distillation de la houille et du bois, les fours à chaux et les fours de récupération du papier kraft des fabriques de papier kraft, les cokeries, les usines à gaz et les usines dincinération dordures, ou par des opérations telles que la synthèse du méthanol et dautres composés organiques à partir doxyde de carbone, le frittage de la charge des hauts-fourneaux, la fabrication des carbures, la synthèse du formaldéhyde et la fabrication du noir de carbone.
Toute opération dans laquelle se produit une combustion incomplète de matières organiques peut constituer une source potentielle démission doxyde de carbone.
On produit le monoxyde de carbone à léchelle industrielle par oxydation partielle dhydrocarbures gazeux provenant du gaz naturel ou par la gazéification de la houille ou du coke. Il sert dagent réducteur en métallurgie et on lemploie également en synthèse organique et pour la préparation des métaux-carbonyles. Plusieurs gaz industriels que lon utilise pour chauffer des chaudières et des fours et faire fonctionner des moteurs à gaz contiennent de loxyde de carbone.
Le monoxyde de carbone est considéré comme la cause la plus fréquente dintoxications en milieu industriel ou domestique. Chaque année, des milliers de personnes succombent à une intoxication par le CO. On estime que le nombre des victimes dintoxications dont lissue na pas été fatale, mais qui souffrent de lésions permanentes du système nerveux central (SNC) est encore plus important. Lexposition au monoxyde de carbone, que lissue en soit fatale ou non, représente un risque sanitaire considérable, et les intoxications sont probablement plus fréquentes quon veut bien généralement le reconnaître.
Une proportion notable de la population active dun pays court un important risque professionnel dexposition au CO. Ce risque est toujours présent dans lindustrie automobile, les garages et les stations-service. Les routiers peuvent également être en danger si, à loccasion dune fuite, des gaz déchappement sinfiltrent dans la cabine du conducteur. Les activités qui peuvent exposer au CO sont nombreuses par exemple, la mécanique automobile, la préparation du charbon de bois, le travail auprès des fours à coke, des cubilots, des hauts-fourneaux, dans les forges, les mines, les tunnels ou les installations utilisant le procédé Mond daffinage, dans les usines à gaz, les chaufferies, auprès des fours à poterie, dans les unités de distillation du bois, les cuisines de restaurants, les boulangeries, le service du feu, les unités de production de formaldéhyde, etc. Les opérations de soudage dans des cuves, réservoirs ou autres récipients peuvent produire des quantités dangereuses de CO si la ventilation nest pas efficace. Les explosions de méthane et les coups de poussière dans les mines de charbon produisent de la «mofette» qui emmagasine des quantités considérables de monoxyde et de dioxyde de carbone. Si la ventilation diminue ou que lémission de CO augmente par suite de fuites ou de problèmes dans une opération industrielle, des intoxications peuvent se produire inopinément alors quil ny a normalement pas de risque lié au CO dans ces circonstances.
Dans lorganisme humain, le catabolisme des hèmes contenus dans lhémoglobine et autres pigments produit de faibles quantités de CO, ce qui entraîne une saturation endogène de lhémoglobine en carboxyhémoglobine (COHb) denviron 0,3 à 0,8%. La concentration de COHb endogène augmente dans les anémies hémolytiques ou à la suite de contusions et dhématomes importants, entraînant une augmentation du catabolisme de lhémoglobine.
Le CO pénètre facilement dans le sang au niveau des poumons. Leffet biologique le mieux connu du CO est sa combinaison avec lhémoglobine pour former la COHb. Le monoxyde de carbone entre en compétition avec loxygène pour les sites de liaison des molécules dhémoglobine. Laffinité de lhémoglobine humaine pour le CO est environ 240 fois supérieure à son affinité pour loxygène. La formation de COHb produit deux effets indésirables: elle bloque le transport doxygène en inactivant lhémoglobine et sa présence dans le sang déplace la courbe de dissociation de loxyhémoglobine (O2Hb) vers la gauche, doù un mauvais relargage tissulaire de loxygène par lO2Hb restante. En raison de ce dernier effet, la présence de COHb dans le sang réduit bien davantage loxygénation tissulaire quune diminution équivalente de la concentration dhémoglobine, par exemple à la suite dune hémorragie. Le monoxyde de carbone se fixe également sur la myoglobine pour former la carboxymyoglobine, qui peut perturber le métabolisme musculaire, en particulier au niveau du myocarde.
Le rapport approximatif de la COHb à lO2Hb dans le sang peut être calculé à laide de léquation de Haldane. Ce rapport est proportionnel au rapport des pressions partielles du CO et de loxygène dans lair alvéolaire:
Léquation est applicable dans la plupart des cas se présentant dans la pratique pour calculer la valeur approximative du rapport à léquilibre. Pour une concentration donnée de CO dans lair ambiant, la concentration de COHb augmente ou diminue pour tendre vers léquilibre, conformément à léquation. Le sens de la variation de la COHb dépend de sa valeur initiale. A titre dexemple, lexposition continue à une atmosphère contenant 35 ppm de CO entraînerait un état déquilibre correspondant à environ 5% de COHb dans le sang, après quoi, si la concentration atmosphérique reste inchangée, le taux de COHb ne varie plus. Si la concentration atmosphérique augmente ou diminue, le taux de COHb varie également pour tendre vers un nouvel équilibre. Un gros fumeur peut présenter une concentration sanguine de COHb de 8% au début dun poste de travail. Sil est exposé en continu à une concentration de 35 ppm de CO pendant le poste, mais quil lui est interdit de fumer, son taux de COHb va diminuer progressivement pour atteindre un nouvel état déquilibre à 5% de COHb. Par contre, le taux de COHb des travailleurs non fumeurs va augmenter progressivement à partir dune valeur initiale denviron 0,8% de COHb endogène pour tendre vers le taux de 5%. Ainsi donc, labsorption de CO et la formation de COHb sont déterminées par la loi des gaz parfaits, et la résolution de léquation de Haldane permet dobtenir la valeur maximale approximative de COHb pour une concentration atmosphérique donnée de CO. Toutefois, il faut noter que, chez lêtre humain, le temps nécessaire pour atteindre léquilibre est de plusieurs heures pour des concentrations atmosphériques de CO généralement présentes sur les lieux de travail. Par conséquent, lorsquon évalue le risque sanitaire potentiel que comporte lexposition au CO, il faut prendre en compte la durée de lexposition en plus de la concentration atmosphérique de CO. La ventilation alvéolaire influe également fortement sur la vitesse dabsorption du CO. Lorsque la ventilation alvéolaire augmente lors dun effort physique important, par exemple , léquilibre est atteint plus rapidement que dans une situation où la ventilation est normale.
La demi-vie biologique de la COHb dans le sang dun adulte sédentaire est denviron 3 à 4 heures. Lélimination du CO ralentit avec le temps et plus la concentration initiale de COHb est faible, plus la vitesse délimination est lente.
Lapparition des symptômes est fonction de la concentration de CO dans lair, de la durée de lexposition, de limportance de leffort physique et de la sensibilité individuelle. Si lexposition est massive, le sujet peut perdre conscience presque instantanément, les prodromes étant peu nombreux sinon absents. Lexposition à des concentrations de 10 000 à 40 000 ppm entraîne la mort en quelques minutes. Entre 1 000 et 10 000 ppm, des céphalées, des étourdissements et des nausées apparaissent en 13 à 15 minutes, suivis dune perte de conscience et de la mort si lexposition se poursuit pendant 10 à 45 minutes, la rapidité de leffet variant avec la concentration. Au-dessous de ces valeurs, le temps de latence des symptômes est allongé: une concentration de 500 ppm cause des céphalées au bout de 20 minutes et une concentration de 200 ppm, au bout de 50 minutes. La relation entre la concentration de COHb et la symptomatologie est explicitée au tableau 104.125.
Concentration de carboxyhémoglobine (COHb) (%) |
Principaux signes et symptômes |
0,3-0,7 |
Asymptomatique. Taux endogène normal |
2,5-5 |
Asymptomatique. Augmentation compensatoire du flux sanguin vers certains organes vitaux. Il peut y avoir décompensation en cas de maladie cardio-vasculaire grave. Chez l’angineux, la douleur thoracique apparaît plus rapidement à l’effort |
5-10 |
Légère élévation du seuil de perception lumineuse |
10-20 |
Constriction frontale. Légères céphalées. Anomalies de la réponse visuelle évoquée. Possibilité de léger essoufflement à l’effort. Peut être mortelle pour le fœtus ou pour des malades souffrant d’affections cardio-vasculaires graves |
20-30 |
Céphalées de légères à modérées et battements dans les tempes. Rougeur de la face. Nausées. Perte de la dextérité manuelle fine |
30-40 |
Violentes céphalées, vertiges, nausées et vomissements. Faiblesse. Irritabilité et altération du jugement. Syncope à l’effort |
40-50 |
Comme ci-dessus, mais plus intenses, avec risque accru de collapsus et de syncope |
50-60 |
Risque de coma avec convulsions intermittentes et respiration de Cheyne-Stokes |
60-70 |
Coma avec convulsions intermittentes. Respiration et activité cardiaque réduites. Risque d’issue fatale |
70-80 |
Pouls faible et respiration lente. Dépression du centre respiratoire aboutissant à la mort |
1 Les symptômes varient considérablement d’un sujet à l’autre.
La description classique de lintoxication oxycarbonée évoque généralement la teinte cochenille des téguments. Aux stades précoces de lintoxication, on constate plutôt une pâleur. Ultérieurement, la peau, le lit unguéal et les muqueuses peuvent prendre la teinte cochenille en raison de la concentration élevée de COHb et de la faible concentration dhémoglobine dans le sang. Ce signe peut être reconnaissable à partir dune concentration de COHb de 30%, mais il nest ni fiable ni invariable dans lintoxication oxycarbonée. Le pouls du patient est rapide et bondissant. Lhyperpnée est faible ou absente, sauf si le taux de COHb est très élevé.
Lorsque les symptômes ci-dessus se produisent chez une personne potentiellement exposée au CO de par son travail, il y a lieu de suspecter immédiatement une intoxication oxycarbonée. Par rapport à une intoxication médicamenteuse, un éthylisme aigu, un accident vasculaire cérébral ou cardiaque, un coma diabétique ou urémique, le diagnostic différentiel peut être difficile et il arrive souvent que la possibilité dune exposition au monoxyde de carbone ne soit pas reconnue ou soit simplement négligée. Le diagnostic dune intoxication oxycarbonée ne doit pas être considéré comme posé aussi longtemps que lon na pas établi avec certitude la présence dans lorganisme de quantités anormales de CO. Le monoxyde de carbone est facilement décelable dans un échantillon de sang et, si les poumons du sujet sont en bon état, il est possible de déterminer rapidement le taux sanguin de COHb sur un échantillon dair alvéolaire exhalé en équilibre avec la concentration de COHb dans le sang.
Les organes cibles du CO sont le cerveau et le cur qui exigent tous les deux un apport ininterrompu doxygène. Le monoxyde de carbone affecte le cur de deux manières le travail du cur augmente pour assurer la demande périphérique doxygène, tandis que sa propre alimentation en oxygène est réduite par le CO. Une exposition au monoxyde de carbone peut précipiter un infarctus du myocarde.
Lintoxication aiguë peut entraîner une atteinte neurologique ou cardio-vasculaire, qui est manifeste à la sortie du premier coma. Dans le cas dune intoxication grave, un dème pulmonaire (quantité excessive de liquide dans les tissus pulmonaires) peut apparaître. Une pneumonie, due parfois à laspiration, peut se manifester après quelques heures ou quelques jours. Une glycosurie ou une albuminurie temporaires peuvent aussi se produire. Dans de rares cas, linsuffisance rénale aiguë complique le rétablissement. Diverses manifestations cutanées peuvent également sobserver.
Après une grave intoxication oxycarbonée, le patient peut souffrir dun dème cérébral accompagné de lésions irréversibles plus ou moins étendues. Un premier rétablissement peut être suivi dune rechute neuropsychiatrique, des jours ou même des semaines après lintoxication. Létude anatomopathologique des cas mortels indique que les lésions cérébrales concernent principalement la substance blanche plutôt que les neurones chez les victimes qui survivent quelques jours à lintoxication. La gravité de latteinte cérébrale dépend de lintensité et de la durée de lexposition. Lorsque les victimes dune intoxication oxycarbonée aiguë reprennent conscience, 50% dentre elles présentent un état mental anormal qui se manifeste par de lirritabilité, de lagitation, un délire prolongé, une dépression ou de lanxiété. Le suivi de ces patients pendant 3 ans a révélé que 33% présentaient une altération de la personnalité et 43% des troubles mnésiques permanents.
Expositions répétées. Le monoxyde de carbone ne saccumule pas dans lorganisme. Il est complètement éliminé après chaque exposition, à condition que le patient reste suffisamment longtemps à lair frais. Néanmoins, il peut arriver que des intoxications répétées, même faibles à modérées, et qui nont pas entraîné de perte de conscience, provoquent la mort des cellules cerébrales et finissent par déterminer des lésions centrales dont les symptômes peuvent être nombreux: céphalées, étourdissements, irritabilité, perte de mémoire, altération de la personnalité et faiblesse des membres.
Une exposition répétée à des concentrations modérées de CO pourrait entraîner une certaine adaptation à laction du CO. On suppose que ce mécanisme dadaptation est semblable à celui de la tolérance vis-à-vis de lhypoxie en altitude. On a constaté une augmentation de la concentration dhémoglobine et de lhématocrite chez des animaux exposés, mais ni le déroulement, ni le seuil dapparition de ces effets nont été déterminés avec précision chez des sujets humains exposés.
Effets de laltitude. A une altitude élevée, la combustion a plus de chances dêtre incomplète et de dégager davantage de CO, car la teneur de lair en oxygène est moindre quau niveau de la mer. Lorganisme réagit également moins favorablement, en raison de la baisse de la pression partielle doxygène dans lair inspiré. Il semble que, à une altitude élevée, les effets du CO et ceux du manque doxygène sadditionnent.
Parmi les hydrocarbures halogénés dérivés du méthane, le dichlorométhane (chlorure de méthylène), qui est lun des principaux constituants de nombreux décapants pour peintures et dautres solvants de ce type, est métabolisé dans le foie avec production de CO. Il en résulte une augmentation de la concentration de COHb jusquà produire une intoxication modérée.
Effets dune exposition oxycarbonée à faible dose. Ces dernières années, on a déployé des efforts de recherche considérables pour déterminer les effets biologiques de concentrations de COHb inférieures à 10% chez des sujets sains et des patients souffrant daffections cardio-vasculaires. Un patient souffrant dune affection cardio-vasculaire grave peut se révéler incapable de compenser le déficit doxygénation lorsque le taux sanguin de COHb atteint environ 3%, de sorte quune douleur angineuse peut être réveillée plus rapidement par leffort. Le CO traverse facilement la barrière placentaire, exposant ainsi le ftus, dont la sensibilité à toute charge hypoxique supplémentaire risque de compromettre le développement normal.
Groupes sensibles. Les personnes dont la capacité de transport de loxygène est réduite en raison dune anémie ou dune hémoglobinopathie sont particulièrement sensibles à laction du CO; il en va de même pour celles dont les besoins en oxygène sont accrus par suite de fièvre, dhyperthyroïdie ou de grossesse, pour les malades souffrant dhypoxie systémique par insuffisance respiratoire ou encore de cardiopathie ischémique ou dartériosclérose cérébrale ou généralisée. Chez les enfants et les jeunes dont la ventilation est plus rapide que chez ladulte, la concentration toxique de COHb est plus rapidement atteinte que chez ce dernier. De même, un fumeur exposé à une forte dose et dont le taux initial de COHb est supérieur à celui dun non-fumeur atteindra plus rapidement une concentration dangereuse de COHb.