Le développement, et lindustrialisation en particulier, ont contribué considérablement à la santé, y compris en facilitant lépanouissement personnel et social, ainsi quen améliorant sensiblement les services sanitaires et éducatifs, les transports et les communications. Il ne fait aucun doute quà léchelle mondiale les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé que dans les siècles ou même les décennies passés. Cependant, lindustrialisation a aussi des retombées négatives sur la santé, non seulement de la main-duvre, mais aussi de la population en général. Ces effets sont attribuables soit directement à lexistence de problèmes de sécurité et dagents nocifs, soit indirectement à une dégradation de lenvironnement au niveau local et planétaire (voir larticle «La pollution industrielle dans les pays en développement» dans le présent chapitre).
Cet article décrit la nature des risques pour la santé liés à lenvironnement et les raisons pour lesquelles on fait le lien entre la santé en relation avec lenvironnement (dite santé environnementale) et la santé au travail.
Quils soient attribuables à lenvironnement ou au travail, les risques sanitaires peuvent être dordre biologique, chimique, physique, biomécanique ou psychosocial. Dans les risques pour la santé liés à lenvironnement, on range les risques classiques créés par de mauvaises conditions dhygiène et de logement, ainsi que la pollution agricole et industrielle de lair, de leau, des aliments et des sols. Ces risques saccompagnent de multiples incidences sur la santé, allant de catastrophes qui en découlent directement (comme lépidémie de choléra en 1991 en Amérique latine et les nombreux cas dintoxication dorigine chimique à Bhopal, en Inde) à des effets chroniques (comme à Minamata, au Japon), ou bien à des effets subtils, indirects, voire contestés (par exemple, à Love Canal, aux Etats-Unis). Le tableau 53.1 est un résumé de quelques grandes catastrophes notoires survenues pendant la deuxième moitié du siècle dernier et qui ont provoqué une éclosion de «maladies environnementales». Il existe indéniablement une foule dautres exemples de flambées de maladies, dont certaines ne sont pas faciles à détecter au niveau macrostatistique. Pendant ce temps, plus dun milliard de personnes dans le monde nont pas accès à leau potable (OMS, 1992c) et plus de six cents millions dindividus vivent dans des milieux dont la teneur en dioxyde de soufre dépasse largement les niveaux recommandés. En outre, les pressions qui sexercent sur lagriculture et sur la production alimentaire en raison de laugmentation de la population et de la demande par habitant vont probablement mettre davantage lenvironnement à rude épreuve (voir larticle «Lalimentation et lagriculture» dans le présent chapitre). Les conséquences de la qualité de lenvironnement sur la santé englobent donc les effets indirects dune dégradation par lindustrie des conditions dalimentation et de logement, et une détérioration des systèmes mondiaux dont dépend la santé de la planète.
Lieu et année |
Risque environnemental |
Type de maladie |
Nombre de victimes |
Londres, Royaume-Uni, 1952 |
Pollution atmosphérique grave par du dioxyde de soufre et des particules en suspension |
Multiplication des affections cardiaques et pulmonaires |
3 000 morts, de nombreux malades |
Toyama, Japon, années cinquante |
Cadmium dans du riz |
Affections rénales et osseuses (maladie «Itai-itai») |
200 personnes gravement atteintes et beaucoup d’autres plus légèrement |
Sud-est de la Turquie, 1955-1961 |
Hexachlorobenzène dans des semences |
Porphyrie; affection neurologique |
3 000 |
Minamata, Japon, 1956 |
Méthylmercure dans du poisson |
Affection neurologique («maladie de Minamata») |
200 personnes gravement atteintes, 2 000 cas suspectés |
Villes américaines, années soixante-soixante-dix |
Plomb dans de la peinture |
Anémie, troubles comportementaux et mentaux |
Plusieurs milliers |
Fukuoka, Japon, 1968 |
Biphényles polychlorés (BPC) dans de l’huile alimentaire |
Dermatoses, faiblesse générale |
Plusieurs milliers |
Irak,1972 |
Méthylmercure dans des semences |
Affections neurologiques |
500 morts, 6 500 personnes hospitalisées |
Madrid, Espagne, 1981 |
Aniline ou autres toxines dans de l’huile alimentaire |
Divers symptômes |
340 morts, 20 000 cas |
Bhopal, Inde, 1985 |
Méthylisocyanate |
Pneumopathie aiguë |
2 000 morts, 200 000 personnes empoisonnées |
Californie, Etats-Unis, 1985 |
Pesticide au carbamate dans des pastèques |
Troubles gastro-intestinaux, troubles musculo-squelettiques, affections des systèmes nerveux autonome et central (maladie du carbamate) |
1 376 cas signalés attribuables à la consommation, 17 personnes gravement atteintes |
Tchernobyl, URSS, 1986 |
Iode 134, césium 134 et césium 137 provenant de l’explosion d’un réacteur |
Mal des rayons (augmentation du nombre de cancers et d’affections de la thyroïde chez les enfants) |
300 blessés, 28 décédés dans les 3 mois, plus de 600 cas de cancers thyroïdiens |
Goiânia, Brésil, 1987 |
Césium 137 provenant d’une machine de traitement du cancer abandonnée |
Maladies radio-induites (suivi continu des expositions in utero) |
Quelque 240 personnes ont été contaminées et 2 sont mortes |
Pérou, 1991 |
Epidémie de choléra |
Choléra |
139 morts, plusieurs milliers de malades |
Dans beaucoup de pays, lagriculture intensive et, parallèlement, lemploi massif de pesticides toxiques portent gravement atteinte à la santé des travailleurs et de leur famille. La pollution par les engrais ou par les déchets biologiques des industries alimentaire, papetière et autres peut également avoir des effets nocifs sur les cours deau, en réduisant les prises de poissons et autres organismes destinés à lalimentation. Les pêcheurs et les récolteurs dautres produits de la mer doivent parfois aller beaucoup plus loin pour effectuer leurs prises quotidiennes et courent de la sorte des risques accrus de noyade et autres types daccidents. La propagation de maladies tropicales du fait des mutations écologiques liées à des activités comme la construction de barrages ou de routes constitue un autre type de risques pour la santé environnementale. Un nouveau barrage peut créer des zones de reproduction pour la schistosomiase, maladie débilitante qui touche les riziculteurs travaillant les pieds dans leau. La construction dune nouvelle route peut accélérer la communication entre une région où le paludisme est endémique et une autre jusque-là épargnée par cette maladie.
Il faut souligner que la principale cause dun environnement nocif au travail ou en général est la pauvreté. Les menaces classiques qui pèsent sur la santé dans les pays en développement ou dans les secteurs démunis de nimporte quel pays comprennent une mauvaise qualité des installations sanitaires, de leau et des aliments, propice à la transmission de maladies, de piètres logements qui sont très exposés à la fumée de cuisson et à des risques dincendie, ainsi que des risques daccident importants dans les petites exploitations agricoles, et dans lindustrie à domicile.
La réduction de la pauvreté et lamélioration des conditions de vie et de travail sont essentielles à une amélioration de la santé au travail et de la santé environnementale pour des milliards de personnes. En dépit des efforts déployés en faveur des économies dénergie et du développement durable, lincapacité de sattaquer à la répartition inéquitable sous-jacente de la richesse menace lécosystème planétaire. Les forêts, par exemple, qui représentent laboutissement du cycle écologique, sont détruites à un rythme alarmant, à cause de labattage et du défrichement commerciaux que pratiquent des populations appauvries pour cultiver et se procurer du bois de feu. Le déboisement cause, entre autres, une érosion des sols qui, si elle est extrême, peut conduire à la désertification. La diminution de la biodiversité est une conséquence importante (voir larticle «Lextinction despèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine» dans le présent chapitre). On estime quun tiers des émanations de dioxyde de carbone proviennent du brûlage de forêts tropicales (le rôle des ces émanations dans le réchauffement de la planète est analysé dans larticle intitulé «Le changement climatique à léchelle planétaire et lappauvrissement en ozone» dans ce même chapitre). Lorsquon sintéresse à la santé environnementale à léchelle de notre planète, il est donc impératif de sattaquer à la pauvreté autant quau bien-être des individus, des populations locales, voire de régions tout entières.
Le principal lien entre le milieu de travail et lenvironnement général tient au fait que lorigine du danger est habituellement la même, quil sagisse dune activité agricole ou dune activité industrielle. Dans la lutte contre les risques sanitaires, la même démarche devrait permettre dobtenir de bons résultats dans lun et lautre secteurs. Cela est particulièrement vrai du choix de substances chimiques pour la production. Sil est possible dobtenir un résultat ou un produit acceptable à laide dune substance chimique relativement peu toxique, le choix de cette dernière peut conduire à une atténuation ou même à une élimination des risques sanitaires, en utilisant, par exemple, des peintures à base deau, plus sûres que les peintures à base de solvants organiques toxiques, ou encore en préférant, chaque fois que possible, les méthodes non chimiques de lutte contre les parasites. En fait, notamment dans les pays en développement, il nexiste fréquemment aucune séparation entre logement et lieu de travail; autrement dit, on a affaire exactement au même milieu.
Il est aujourdhui bien admis que les connaissances scientifiques et la formation nécessaires pour évaluer et limiter les risques qui pèsent sur la santé environnementale sont, pour la plupart, les mêmes que les compétences et connaissances requises pour faire face aux risques sanitaires qui existent sur le lieu de travail. La toxicologie, lépidémiologie, lhygiène du travail, lergonomie et les techniques de sécurité en fait, les disciplines dont il est précisément question dans cette Encyclopédie sont les outils de base de la science de lenvironnement. Le processus dévaluation et de gestion des risques est aussi le même: définition des dangers, classement des risques, évaluation du degré dexposition et estimation des risques. On procède ensuite à un jugement des méthodes de lutte, à un abaissement de lexposition, à une information du public sur les risques et à linstauration dun programme de surveillance continue de lexposition et des risques. Cest pourquoi la santé au travail et la santé environnementale sont étroitement liées par des méthodes communes, en particulier pour lappréciation de létat de santé et la diminution de lexposition.
Souvent, cest à la suite de lobservation de problèmes de santé parmi les travailleurs que lon prend conscience des risques liés à lenvironnement qui menacent la santé et cest indubitablement au travail que les retombées des expositions de nature industrielle sont les mieux comprises. Les données dont on dispose en matière deffets sur la santé proviennent en général de lune des trois sources suivantes: des expériences sur des animaux, ou autres, en laboratoire (avec des cobayes ou avec contrôle sur des humains), des expositions accidentelles dun niveau élevé ou encore détudes épidémiologiques qui font habituellement suite à de telles expositions. Pour réaliser une étude épidémiologique, il faut savoir définir à la fois la population touchée et la nature de lexposition et son degré, et vérifier lexistence des retombées sur la santé. En général, il est plus facile de définir un groupe de travailleurs quune population, surtout dans le cas dune population qui nest pas stable; la nature de lexposition et son intensité parmi les divers membres de la cohorte sont généralement plus clairement déterminés dans un milieu de travail que dans une communauté; il est presque toujours plus aisé de cerner les conséquences dune forte exposition que les changements plus subtils attribuables à une faible exposition. Il arrive bien que lon relève en dehors des usines des taux dexposition proches des pires résultats enregistrés dans le cadre professionnel (par exemple, exposition au cadmium provoquée par lexploitation minière en Chine et au Japon, émanations de plomb et de cadmium provenant de fonderies en haute Silésie (Pologne)), mais les niveaux dexposition sont habituellement beaucoup plus élevés chez les travailleurs que dans la population environnante (OMS, 1992c).
Etant donné que les retombées sur la santé sont plus visibles parmi les travailleurs, linformation concernant les effets de nombreux produits toxiques en milieu de travail (comme ceux de métaux lourds tels que le plomb, le mercure, larsenic et le nickel, et des cancérogènes avérés tels que lamiante) sert à calculer le risque que court la collectivité tout entière. Sagissant du cadmium, par exemple, on a signalé dès 1942 des cas dostéomalacie accompagnée de fractures multiples chez des travailleurs dune fabrique de piles alcalines en France. Dans les années cinquante et soixante, lintoxication au cadmium passait pour une maladie strictement professionnelle. Mais les données recueillies dans les entreprises ont aidé à faire reconnaître que lostéomalacie et les troubles rénaux observés au Japon à cette époque, la maladie «Itai-itai», étaient biens dus à une contamination du riz par une eau contenant du cadmium dorigine industrielle utilisée en irrigation (Kjellström, 1986). Cette épidémiologie professionnelle a ainsi permis denrichir sensiblement les connaissances sur les effets dune exposition au milieu ambiant et a été une raison supplémentaire de lier les deux domaines.
A léchelle individuelle, les maladies professionnelles nuisent au bien-être au domicile et dans la collectivité; à léchelle universelle, un individu qui souffre de mauvaises conditions à domicile et dans la collectivité ne peut être productif au travail.
Dun strict point de vue scientifique, il importe de considérer les expositions dans leur ensemble (environnementales et professionnelles) pour avoir une idée exacte de leurs conséquences pour la santé et pour établir le rapport existant entre le degré dexposition et la réaction. Lexposition aux pesticides est un exemple classique de cas dans lesquels, à lexposition professionnelle, peut venir se greffer une très forte exposition environnementale par une contamination des aliments et des sources hydriques et par le contact avec un air vicié à lextérieur du travail. Parmi les événements recensés par lOrganisation mondiale de la santé (OMS) (OMS, 1991) dans lesquels plus de 100 intoxications étaient dues uniquement à des aliments contaminés, plus de 15 000 cas et plus de 1 500 décès pouvaient être attribués à labsorption de pesticides. Une étude sur des cultivateurs de coton en Amérique centrale qui utilisaient des pesticides a démontré que non seulement très peu dentre eux disposaient de vêtements de protection, mais que presque tous vivaient à moins de 100 m des champs de coton et beaucoup dans des logements temporaires sans murs qui les protègent pendant lépandage aérien de pesticides. En outre, les travailleurs se lavaient souvent dans des canaux dirrigation contenant des résidus de pesticides et se trouvaient ainsi dautant plus exposés (Michaels, Barrera et Gacharna, 1985). Pour comprendre ce qui lie lexposition aux pesticides et les problèmes sanitaires recensés, il convient de prendre en considération toutes les sources dexposition. En évaluant le degré dexposition tant au travail que dans le milieu ambiant, on ne peut quaméliorer lexactitude des données recueillies de part et dautre.
Les problèmes de santé liés au travail et à lenvironnement sont particulièrement graves dans les pays en développement qui appliquent plus rarement des méthodes bien établies pour limiter les risques parce quils sont peu conscients des dangers, parce que la protection de la santé et de lenvironnement nest pas vraiment une priorité politique, parce que les ressources sont restreintes, et parce quils nont pas de systèmes efficaces de gestion de la santé au travail et de la santé environnementale. Un obstacle important à la limitation des risques environnementaux dans beaucoup de régions du monde tient au nombre insuffisant de gens formés de manière adéquate. On peut lire que les pays en développement pâtissent dune sérieuse pénurie dexperts en santé au travail (Noweir, 1986). En 1985, un comité dexperts de lOMS a aussi conclu quils manquaient cruellement de personnel formé dans le domaine de lhygiène du milieu; dailleurs, le plan Action 21 adopté par la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED, 1992a) désigne la formation (renforcement des capacités nationales) comme étant un élément clé du travail de promotion de la santé humaine par le développement durable. Quand on ne dispose que de maigres ressources, il nest pas possible de former un groupe dindividus à prendre en charge les problèmes de santé sur le lieu du travail et un autre à soccuper des risques survenant à lextérieur.
Les pays développés eux-mêmes font beaucoup defforts pour mieux utiliser les ressources en formant et en employant des professionnels de la santé au travail et en relation avec lenvironnement. Aujourdhui, les entreprises doivent trouver les moyens de gérer leurs affaires avec logique et efficacité, compte tenu des obligations qui leur incombent, de la loi et de la politique financière quimpose le cadre sociétal. Une façon dy parvenir est de regrouper sous un même toit la santé au travail et la santé environnementale.
Au moment de concevoir un lieu de travail et darrêter des stratégies dhygiène industrielle, il est capital de prendre en compte un large éventail de questions environnementales. Le remplacement dune substance par une autre moins toxique peut aller dans le sens dune meilleure hygiène du travail, mais, si cette nouvelle substance nest pas biodégradable, ou si elle endommage la couche dozone, ce nest pas une solution à retenir, car elle ne fait que déplacer le problème. Les chlorofluorocarbures, actuellement très utilisés comme réfrigérants de préférence à lammoniac plus dangereux, sont un exemple classique de solution de remplacement dont on sait aujourdhui quelle nest pas écologique. En liant la santé au travail à celle du milieu, on réduit ainsi le risque de prendre des décisions inadéquates pour limiter le degré dexposition.
Ce que lon sait des effets de diverses substances nocives provient habituellement de lentreprise, mais lincidence de ces mêmes agents sur la santé publique en général est souvent un élément moteur des actions curatives menées à la fois dans lentreprise et dans la collectivité. Ainsi, la découverte par un hygiéniste du travail de taux de plombémie élevés chez des travailleurs dune fonderie, à Bahia (Brésil), a conduit à effectuer des prélèvements sanguins de contrôle sur des enfants habitant à proximité. Il sest vérifié que le sang des enfants présentait une teneur élevée en plomb, ce qui a fortement incité lentreprise à prendre des mesures pour diminuer le degré dexposition de son personnel, ainsi que les émanations de plomb produites par lusine (Nogueira, 1987), encore que les niveaux dexposition dans ses locaux demeurent très supérieurs à ce que tolérerait la population.
En fait, les normes dhygiène du milieu sont habituellement plus strictes que les normes qui régissent la santé au travail. En témoignent les chiffres recommandés par lOMS pour certains produits chimiques. Cet écart sexplique en général par le fait que la population se compose de groupes sensibles, dont les personnes très âgées, les malades, les jeunes enfants et les femmes enceintes, alors que les salariés sont, au moins, suffisamment en bonne santé pour travailler. On entend souvent dire que le risque est plus «acceptable» pour les travailleurs qui ont la chance doccuper un emploi et qui sont donc plus disposés à accepter le risque. La question des normes suscite beaucoup de débats politiques, éthiques et scientifiques. Létablissement dun lien entre la santé au travail et la santé environnementale peut contribuer à éclaircir cette question. A cet égard, linstauration dun rapport plus étroit entre le travail et lenvironnement peut aider à fixer des normes dune manière plus cohérente.
Probablement inspirés, du moins en partie, par le débat animé que suscite le plan daction adopté par la CNUED sur lenvironnement et le développement durable, beaucoup dorganismes de professionnels qui se vouent à la santé au travail ont changé de nom pour devenir des organismes centrés sur «la santé au travail et en relation avec lenvironnement» en reconnaissance du fait que leurs membres accordent une attention accrue aux risques dorigine environnementale qui existent à lintérieur et à lextérieur de lentreprise. Par ailleurs, ainsi quon la signalé au chapitre no 19, «Les questions déthique», le Code international déthique pour les professionnels de la santé au travail stipule que le devoir de préserver lenvironnement fait partie intégrante de leurs obligations éthiques.
En résumé, la santé au travail et en relation avec lenvironnement sont fortement liées par:
Lintérêt dun rapprochement entre la santé au travail et la santé environnementale ne doit cependant pas faire oublier que lune et lautre ont un objectif qui leur est propre. La santé au travail doit rester centrée sur la santé des travailleurs, et la santé environnementale sur la santé de la population en général. Cependant, même sil est souhaitable pour les professionnels dexercer exclusivement dans lun de ces domaines, une bonne appréciation de lautre domaine ajoute à la crédibilité de la démarche globale, aux connaissances quelle demande et à son efficacité. Cest dans cet esprit que ce chapitre a été rédigé.
1 Cet article a été rédigé par le docteur F.K. Käferstein, chef de l'unité Salubrité des aliments de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'inspire largement du rapport d'un comité d'experts de l'OMS chargé de l'alimentation et de l'agriculture qui a aidé la Commission de la santé et de l'environnement de l'OMS à préparer un document pour la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro, 1992.
La population continue de croître rapidement dans certaines régions du monde. En 2010, il faudra nourrir 1,9 milliard de personnes de plus quen 1990, soit une augmentation de 36% (7,2 milliards contre 5,3).
La croissance que lon escompte au cours des vingt prochaines années devrait se produire, pour 90%, dans les pays qui font aujourdhui partie du monde en développement. La société surbanise peu à peu. La population urbaine à léchelle planétaire va atteindre 3,6 milliards dindividus, en hausse de 62% comparativement aux 2,2 milliards durbains recensés en 1990. Par ailleurs, la population urbaine des pays en développement va progresser de 92% (de 1,4 à 2,6 milliards) entre 1990 et 2010, et aura donc quadruplé depuis 1970. Même si la planification des naissances reçoit toute lattention qui simpose de façon urgente de la part des pays à forte croissance démographique, cette croissance et lurbanisation continueront doccuper une place prépondérante pendant les deux prochaines décennies.
Uniquement pour suivre lévolution démographique, il faudra augmenter de 36% la production daliments, dautres produits agricoles et deau potable au cours des vingt prochaines années; la nécessité pour un demi-milliard de personnes de se nourrir correctement au lieu de rester sous-alimentées, et la demande croissante de populations dont le revenu saccroît conduiront à une très forte augmentation de la production alimentaire globale. Une demande excessive en nourriture dorigine animale continuera de caractériser les individus appartenant aux tranches de revenus supérieures, ce qui entraînera une hausse de la production daliments pour animaux.
Les pressions qui sexercent sur la production agricole et alimentaire, du fait de la croissance de la population et de la demande par habitant, alourdiront la charge qui pèsera sur lenvironnement. De par son origine, cette charge ne sera pas égale partout et aura des effets inégaux. Dans lensemble, ceux-ci seront nocifs et exigeront une action concertée.
Cette augmentation de la demande se répercutera sur des ressources hydriques et pédologiques qui sont limitées: les zones les plus productives ont déjà été exploitées et il en coûtera très cher pour transformer des terres médiocres en terres productives et pour utiliser des ressources en eau moins faciles daccès. La plupart de ces sols médiocres risquent davoir une fertilité seulement temporaire, à moins que lon prenne des mesures pour les conserver; dautre part, la productivité des pêcheries naturelles est aussi extrêmement limitée. La superficie des terres arables va diminuer pour plusieurs raisons: érosion des sols provoquée par le surpâturage, latérisation des zones défrichées, salinisation des sols et autres formes de dégradation des terres, expansion des zones urbaines, industrielles et assimilées.
Lapprovisionnement en eau et sa qualité, déjà très insuffisants dans la majeure partie du monde, continueront de poser de graves problèmes aux régions rurales des pays en développement, ainsi quà beaucoup de populations urbaines, lesquelles devront peut-être faire face, de surcroît, à des taxes de consommation élevées. Les besoins en eau vont augmenter fortement et, dans plusieurs grandes villes, satisfaire cette demande sera de plus en plus coûteux, car il faudra faire venir leau de bassins dapprovisionnement très éloignés. La réutilisation de leau doit satisfaire des normes de traitement plus rigoureuses. Laugmentation du volume deaux usées exigera, outre de gros investissements, des installations de traitement plus grandes.
Le développement de lindustrie, qui va devoir se poursuivre pour produire des biens, des services et de lemploi, conduira à une intensification de la production alimentaire et, partant, à une industrialisation accrue de celle-ci. En conséquence, et surtout à cause de lurbanisation, la demande et les ressources employées ayant trait à lemballage, à la transformation, au stockage et à la distribution des aliments vont augmenter en volume et en importance.
La population devient beaucoup plus consciente de la nécessité de produire, de préserver et de commercialiser les aliments en limitant les atteintes à notre environnement et elle se montre plus exigeante à cet égard. Lapparition doutils scientifiques révolutionnaires (en biotechnologie, par exemple) ouvre la voie à une augmentation de la production alimentaire, à une diminution des déchets et à une amélioration de la sécurité considérables.
Le principal enjeu consiste à satisfaire une demande croissante en nourriture, en autres produits agricoles et en eau par des moyens qui favorisent une amélioration durable de la santé et qui soient également viables, économiques et compétitifs.
Certes, on possède aujourdhui de quoi nourrir toute la population mondiale, mais dénormes obstacles devront être levés pour garantir un approvisionnement continu et équitable en aliments sains, nutritifs et à prix abordables afin de répondre aux besoins sanitaires de nombreuses régions de la planète, notamment de celles qui connaissent une forte croissance démographique.
Lorsquon se propose détudier et de mettre en application les politiques et les programmes concernant lagriculture et la pêche, on néglige bien souvent denvisager les conséquences quelles sont susceptibles davoir sur la santé. Pensons, par exemple, à la production de tabac, qui a des incidences très graves et négatives sur la santé humaine, ainsi que sur la rareté des terres cultivables et des ressources en bois de feu. Par ailleurs, faute dune approche concertée par rapport au développement de lagriculture et de la sylviculture, on saisit mal le lien important qui existe entre ces deux secteurs et la préservation des habitats de la faune, de la diversité biologique et des ressources génétiques.
Si lon ne prend pas des mesures adéquates en temps opportun pour atténuer les impacts de lagriculture, de la pêche, de la production alimentaire et de la consommation deau sur lenvironnement, les situations suivantes vont se produire:
Malgré les progrès scientifiques et technologiques, la contamination des aliments et de leau représente encore aujourdhui un important problème dhygiène publique. Les maladies dorigine alimentaire sont probablement les problèmes de santé les plus répandus dans le monde et les causes importantes dune productivité économique réduite (OMS/FAO, 1984). Elles sont provoquées par un large éventail dagents et elles passent par tous les degrés de gravité, allant de lindisposition légère à la maladie mortelle. Pourtant, seule une faible proportion de cas attire lattention des services de santé et les troubles recensés sont encore moins nombreux à faire lobjet dune enquête. En conséquence, on pense que, dans les pays industriels, seulement 10% environ des cas sont déclarés, tandis que dans les pays en développement, on ne dépasse sans doute pas 1% du total.
En dépit de ces limites, les données recueillies révèlent que les maladies alimentaires gagnent du terrain sur toute la planète, dans les régions en développement comme dans les pays industriels. La situation du Venezuela illustre cette tendance (OPS/OMS, 1989) (voir figure 53.1).
Daprès les données disponibles, les contaminants biologiques (bactéries, virus et parasites) sont clairement la principale cause des maladies transmises par les aliments (voir tableau 53.2).
Agents |
Réservoir ou vecteur important |
Voie de transmissiona |
Multiplication dans la nourriture |
Exemples d’aliments en cause |
||
Eau |
Nourriture |
Personne à personne |
||||
Bactéries |
||||||
Baccillus cereus |
Sol |
|
+ |
|
+ |
Riz cuit, viandes cuites, légumes, desserts à base d’amidon |
Espèces des Brucella |
Bovins, chèvres, moutons |
|
+ |
|
+ |
Lait cru, produits laitiers |
Campylobacter jejuni |
Poulets, chiens, chats, bovins, porcs, oiseaux sauvages |
+ |
+ |
+ |
b |
Lait cru, volaille |
Clostridium botulinum |
Sol, mammifères, oiseaux, poissons |
|
+ |
|
+ |
Poisson, viande, légumes (conserves domestiques), miel |
Clostridium perfringens |
Sol, animaux, humains |
|
+ |
|
+ |
Viandes et volailles cuites, jus de viande, haricots |
Escherichia coli |
||||||
Entérotoxigènes |
Humains |
+ |
+ |
+ |
+ |
Salade, légumes crus |
Entéropathogènes |
Humains |
+ |
+ |
+ |
+ |
Lait |
Entéro-invasifs |
Humains |
+ |
+ |
0 |
+ |
Fromage |
Entérohémorragiques |
Bovins, volaille, moutons |
+ |
+ |
+ |
+ |
Viande mal cuite, lait cru, fromage |
Listeria monocytogenes |
Environnement |
+ |
+ |
c |
+ |
Fromage, lait cru, salade de chou cru |
Mycobacterium bovis |
Bovins |
|
+ |
|
|
Lait cru |
Salmonella typhi et paratyphi |
Humains |
+ |
+ |
± |
+ |
Produits laitiers, produits de la viande, fruits de mer, salades de légumes |
Salmonella (non-typhi ) |
Humains, animaux |
± |
+ |
± |
+ |
Viande, volaille, ufs, produits laitiers, chocolat |
Espèces des Shigella |
Humains |
+ |
+ |
+ |
+ |
Salade de pommes de terre et salade aux ufs |
Staphylococcus aureus (entérotoxines) |
|
+ |
|
+ |
Jambon, salade de volaille et salade aux ufs, pâtisseries à la crème, glace, fromage |
|
Vibrio cholerae , 01 |
Humains, milieu marin |
+ |
+ |
± |
+ |
Salades, fruits de mer |
Vibrio cholerae , non 01 |
Humains, milieu marin |
+ |
+ |
± |
+ |
Fruits de mer |
Vibrio parahaemolyticus |
Eau de mer, milieu marin |
|
+ |
|
+ |
Poisson cru, crabe et autres fruits de mer |
Vibrio vulnificus |
Eau de mer, milieu marin |
+ |
+ |
|
+ |
Fruits de mer |
Yersinia enterocolitica |
Eau, animaux sauvages, porcs, chiens, volaille |
+ |
+ |
|
+ |
Lait, porc, volaille |
Virus |
||||||
Virus de l’hépatite A |
Humains |
+ |
+ |
+ |
|
Fruits de mer, fruits et légumes crus |
Agents de Norwalk |
Humains |
+ |
+ |
|
|
Fruits de mer, salades |
Rotavirus |
Humains |
+ |
+ |
+ |
|
0 |
Protozoaires |
+ |
+ |
+ |
+ |
||
Cryptosporidium parvum |
Humains, animaux |
+ |
+ |
+ |
|
Lait cru, saucisses crues (non fermentées) |
Entamoeba histolytica |
Humains |
+ |
+ |
+ |
|
Légumes et fruits |
Giardia lamblia |
Humains, animaux |
+ |
± |
+ |
|
Légumes et fruits |
Toxoplasma gondii |
Chats, porcs |
0 |
+ |
|
|
Viande mal cuite, légumes crus |
Helminthes |
||||||
Ascaris lumbricoides |
Humains |
+ |
+ |
|
|
Nouriture contaminée par la terre |
Clonorchis sinensis |
Poisson d’eau douce |
|
+ |
|
|
Poisson mal cuit ou cru |
Fasciola hepatica |
Bovins, chèvres |
± |
+ |
|
|
Cresson |
Opisthorclis viverrini/felinus |
Poissons d’eau douce |
|
+ |
|
|
Poisson mal cuit ou cru |
Espèces des Paragonimus |
Crabes d’eau douce |
|
+ |
|
|
Crabes mal cuits ou crus |
Taenia saginata et T. solium |
Bovins, porcs |
|
+ |
|
|
Viande mal cuite |
Trichinella spiralis |
Porcs, carnivores |
|
+ |
|
|
Viande mal cuite |
Trichuris trichiura |
Humains |
0 |
+ |
|
|
Nourriture contaminée par la terre |
a Presque toutes les infections entériques aiguës se transmettent plus facilement l’été ou pendant les mois humides, sauf les infections à rotavirus et à Yersinia enterocolitica , dont la transmission augmente pendant les mois froids. b Dans certains cas, on observe une multiplication, dont l’explication épidémiologique n’est pas claire. c La transmission directe de la femme enceinte au ftus arrive fréquemment.
+ = oui; ± = rare; = non; 0 = absence de données.
D’après OMS/FAO, 1984.
Cest le cas, dans les pays en développement, pour les pathologies suivantes: choléra, salmonellose, shigellose, typhoïde et paratyphoïde, brucellose, poliomyélite et amibiase. Les maladies diarrhéiques, notamment la diarrhée du nouveau-né, sont le problème prédominant, atteignant des proportions énormes. Chaque année, quelque 1,5 milliard denfants de moins de 5 ans souffrent de diarrhée, et ils sont plus de 3 millions à en mourir. On pensait autrefois que lapprovisionnement en eau contaminée était la principale source directe des agents pathogènes qui provoquent la diarrhée, mais il est aujourdhui prouvé que 70% des cas de diarrhée peuvent être dus à des pathogènes alimentaires (OMS, 1990b). Toutefois, la contamination de la nourriture provient souvent de leau qui est utilisée pour lirrigation et à des fins semblables.
Si la situation concernant les maladies transmises par les aliments est très grave dans les pays en développement, le problème ne se limite pas à ces pays et, ces dernières années, les pays industriels ont connu une succession de grandes épidémies. Aux Etats-Unis, on estime à 6,5 millions le nombre de cas par an, et à 9 000 celui des décès, mais daprès lAdministration fédérale de contrôle des denrées alimentaires et des produits pharmaceutiques (Food and Drug Administration (FDA)), ces chiffres sont inférieurs à la réalité, laquelle pourrait atteindre 80 millions de cas (Cohen, 1987; Archer et Kvenberg, 1985; Young, 1987). Dans lex-Allemagne de lOuest, on est arrivé à 1 million de cas en 1989 (Grossklaus, 1990). Il est ressorti dune étude effectuée aux Pays-Bas que 10% de la population pourraient être atteints de maladies transmises par les aliments ou leau (Hoogenboom-Vergedaal et coll., 1990).
Aujourdhui, grâce à lamélioration des conditions dhygiène personnelle, au développement des installations sanitaires de base, au traitement de leau de consommation, à la création dinfrastructures convenables et à lessor dapplications techniques, comme la pasteurisation, beaucoup de maladies dorigine alimentaire ont disparu ou ont très fortement reculé dans certains pays industriels (par exemple, la salmonellose du lait). En revanche, la plupart des pays connaissent aujourdhui une forte poussée de plusieurs autres maladies du même ordre. Témoin de ce phénomène, lévolution observée dans lex-Allemagne de lOuest entre 1946 et 1991 (voir figure 53.2) (Statistisches Bundesamt, 1994).
La salmonellose, notamment, a pris énormément dampleur en quelques années sur les deux côtés de lAtlantique (Rodrigue, Tauxe et Rowe, 1990). Elle est fréquemment due à Salmonella enteritidis . La figure 53.3 montre la prolifération en Suisse de ce micro-organisme par rapport à dautres souches de Salmonella . Dans de nombreux pays, la volaille, les ufs et les aliments à base duf passent pour être les sources dominantes de ce pathogène. Dans certains pays, entre 60 et 100% de la viande de volaille sont contaminés par Salmonella ; en outre la viande de boucherie, les cuisses de grenouille, le chocolat et le lait sont aussi mis en cause (Notermans, 1984; Roberts, 1990). En 1985, à Chicago, quelque 170 000 à 200 000 personnes ont été victimes dune épidémie de salmonellose provoquée par du lait pasteurisé contaminé (Ryzan, 1987).
On fait énormément defforts aux niveaux national et international pour garantir la sécurité chimique des produits alimentaires. Deux comités mixtes de lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO) et de lOMS évaluent depuis trente ans un grand nombre de produits chimiques à usage alimentaire. Le premier, le Comité mixte dexperts sur les additifs alimentaires (JECFA), sintéresse aux additifs alimentaires, aux contaminants et aux résidus de médicaments vétérinaires, tandis que le second, la réunion conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides (JMPR), contrôle les résidus de pesticides. Ils formulent des recommandations quant à la dose journalière admissible (DJA), à la limite maximale de résidus (LMR) et aux niveaux maximaux (NM). Sur la foi de ces recommandations, la Commission du Codex Alimentarius et les gouvernements fixent des normes et la teneur en ces substances à respecter dans la nourriture. Par ailleurs, le Programme de surveillance et dévaluation de la contamination alimentaire (GEMS/Food), instauré conjointement par le Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE), la FAO et lOMS, apporte des informations sur les taux de contaminants dans les aliments et sur lévolution de la contamination, ce qui permet de prendre des mesures de prévention et de contrôle.
Si les données en provenance de la plupart des pays en développement sont rares, des enquêtes effectuées dans les pays industriels laissent penser que, chimiquement parlant, les produits alimentaires sont dans lensemble sûrs grâce à limportante infrastructure en place (lois et règlements, mécanismes dapplication, systèmes de surveillance et de contrôle) et à la responsabilité générale assumée par lindustrie alimentaire dans son ensemble. Il arrive cependant que des aliments soient contaminés ou altérés par accident, ce qui peut avoir des conséquences graves pour la santé. Cest ainsi quen Espagne, en 1981-82, la consommation dhuile de cuisson frelatée a tué quelque 600 personnes et en a handicapé 20 000 autres, de façon temporaire ou permanente (OMS, 1984). En dépit des recherches intensives qui ont été menées, lagent à lorigine de cette intoxication de masse na pas encore été mis en évidence.
Plusieurs substances chimiques peuvent se retrouver dans la nourriture à cause dune contamination de lenvironnement. Elles peuvent avoir des effets extrêmement nocifs sur la santé et elles suscitent beaucoup dinquiétude depuis quelques années.
Les conséquences savèrent sérieuses lorsque des aliments contaminés par des métaux lourds comme le plomb, le cadmium ou le mercure sont absorbés sur de longues périodes.
Après laccident de Tchernobyl, on sest beaucoup inquiété de la santé des personnes exposées aux émissions de radionucléides. Les habitants du voisinage ont été touchés, entre autres par les contaminants radioactifs contenus dans la nourriture et leau. Dans dautres régions dEurope et dailleurs, éloignées pourtant des lieux de laccident, on sest surtout préoccupé des risques présentés par les aliments contaminés. Dans la plupart des pays, on estime que la dose moyenne absorbée avec des aliments contaminés ne représente quune très faible fraction de la dose qui provient normalement du rayonnement de fond (AIEA, 1991).
Dautres produits chimiques présents dans lenvironnement méritent dêtre signalés: les biphényles polychlorés (BPC) qui servent à diverses applications industrielles. Les premières informations concernant leurs effets sur la santé humaine ont été recueillies à la suite de deux catastrophes survenues au Japon (1968) et à Taiwan, Chine (1979). On a appris à ces occasions que, en plus de leurs effets immédiats, les BPC peuvent aussi avoir des effets cancérogènes.
Le DDT a été abondamment utilisé entre 1940 et 1960 comme insecticide dans lagriculture et pour la lutte contre des maladies transmises par un vecteur. Il fait aujourdhui lobjet dune interdiction ou dune autorisation restreinte dans beaucoup de pays à cause des dangers quil présente pour lenvironnement. Dans de nombreux pays tropicaux, le DTT demeure très employé contre le paludisme. Il na encore été signalé aucun effet nocif attribuable à la présence de DDT dans la nourriture (PNUE, 1988).
Les mycotoxines, métabolites toxiques de certains champignons microscopiques (moisissures), peuvent avoir des effets extrêmement préjudiciables sur lêtre humain, ainsi que sur les animaux. Des études réalisées sur des animaux ont révélé que, en plus de provoquer une intoxication aiguë, les mycotoxines peuvent se transformer en agents cancérogènes, mutagènes et tératogènes.
Lintoxication par des biotoxines marines (aussi appelée ichtyotoxisme) est un autre sujet dinquiétude. Citons, par exemple, lintoxication ciguatérique et diverses formes dintoxication par consommation de coquillages.
Les toxiques contenus dans les végétaux comestibles et les végétaux vénéneux qui leur ressemblent (champignons et certaines plantes vertes sauvages) sont une importante cause de problèmes de santé dans de nombreuses régions du monde et compromettent gravement la sécurité alimentaire (OMS, 1990a).
Si lindustrialisation est un facteur essentiel de croissance économique dans les pays en développement, les pratiques industrielles peuvent aussi avoir des conséquences regrettables sur la santé environnementale à cause du rejet de polluants atmosphériques et aquatiques et du traitement des déchets dangereux. Cest souvent le cas dans les pays en développement, qui prêtent moins attention à la protection de lenvironnement, où les normes environnementales sont souvent inadéquates ou mal appliquées et où il nexiste pas encore de véritables techniques antipollution. Du fait de leur essor économique, beaucoup de pays en développement, comme la Chine et dautres pays asiatiques, se heurtent à des problèmes écologiques supplémentaires. Lun deux est la pollution engendrée par des industries ou des technologies dangereuses exportées par des pays industriels, qui ne les jugent plus acceptables à cause de leurs retombées sur la santé au travail et en relation avec lenvironnement, alors que les pays en développement les tolèrent encore en vertu de lois sur la protection de lenvironnement plus laxistes. Un autre problème tient à la prolifération rapide de petites entreprises informelles dans les agglomérations et les régions rurales, qui provoque souvent une forte pollution de lair et de leau à cause dun manque de connaissances et de moyens financiers.
Dans les pays en développement, lair est pollué non seulement par les produits que rejettent les cheminées des usines des grandes branches, comme celles des métaux non ferreux et des produits pétroliers, mais aussi par les émanations diffuses de petites entreprises cimenteries, raffineries de plomb, fabriques dengrais chimiques et de pesticides, etc. qui suivent des mesures antipollution inadéquates et qui laissent des polluants séchapper dans latmosphère.
Comme les activités industrielles saccompagnent toujours dune production dénergie, la combustion de matières fossiles est une importante source de pollution atmosphérique dans les pays en développement, où lon fait abondamment usage du charbon pour la consommation non seulement industrielle, mais aussi de celle des ménages. En Chine, par exemple, plus de 70% de la consommation totale dénergie repose sur la combustion directe de charbon, qui libère de grandes quantités de polluants (particules en suspension, dioxyde de soufre, etc.) à cause dune combus-tion incomplète et dun contrôle insuffisant des émissions.
Les types de polluants rejetés dans latmosphère varient dune industrie à lautre et leurs concentrations varient elles aussi selon le procédé appliqué et en fonction de la géographie et du climat. Dans les pays en développement, comme ailleurs, il est difficile dévaluer le degré dexposition de la population générale. Si, globalement, le niveau dexposition en milieu de travail est beaucoup plus élevé que dans lenvironnement général où les émissions sont rapidement diluées et dispersées par le vent, en revanche la durée dexposition est beaucoup plus longue pour la population générale que pour les travailleurs.
Dans lensemble, la population est plus exposée dans les pays en développement que dans les pays industriels qui prennent des mesures antipollution plus strictes et où les zones résidentielles sont pour la plupart éloignées des usines. Comme nous lexpliquons ailleurs dans ce chapitre, il ressort de nombreuses études épidémiologiques quune exposition prolongée aux polluants atmosphériques courants est étroitement liée à une baisse de la fonction pulmonaire et à une incidence accrue de maladies respiratoires chroniques.
Une étude de cas des effets de la pollution atmosphérique sur la santé de 480 élèves du primaire à Cubatão (Brésil), où des polluants mélangés en grandes quantités étaient émis par 23 usines (aciéries, établissements chimiques, cimenteries, fabriques dengrais, etc.), a révélé que 55,3% des enfants présentaient une diminution de la fonction pulmonaire. Un autre exemple des effets de la pollution atmosphérique sur la santé nous est venu de la zone industrielle spéciale de Ulsan/Onsan (République de Corée), dans laquelle sont concentrées beaucoup de grandes usines (essentiellement des installations pétrochimiques et des raffineries de métaux). Les habitants du secteur se plaignaient de divers problèmes de santé, notamment de troubles du système nerveux appelés «maladie de Onsan».
Les rejets accidentels de substances toxiques dans latmosphère qui présentent de sérieux risques pour la santé sont, dans lensemble, plus fréquents dans les pays en développement. Cela sexplique entre autres choses par des mesures de sécurité inadéquates, un manque de personnel technique qualifié pour entretenir les installations et des difficultés que pose lapprovisionnement en pièces de rechange. Lun des pires accidents de ce type sest produit à Bhopal (Inde) en 1984, où une fuite de méthylisocyanate a tué 2 000 personnes.
Les méthodes souvent inadéquates et inconsidérées par lesquelles on se débarrasse des déchets industriels déversement irresponsable dans les cours deau, ou décharges non contrôlées, qui polluent souvent leau et le sol sont une grave menace pour la santé environnementale et sajoutent à la pollution industrielle de lair dans les pays en développement, notamment ceux qui comptent beaucoup de petites entreprises locales, comme la Chine. Certaines de ces petites usines (teinture des textiles, pâtes et papiers, tannage du cuir, électroplastie, fabriques de lampes fluorescentes ou daccumulateurs au plomb, fonderies de métaux) produisent toujours dimportantes quantités de déchets renfermant des matières toxiques ou dangereuses, telles que le chrome, le mercure, le plomb ou le cyanure, qui peuvent polluer les rivières, les ruisseaux et les lacs, ainsi que les sols lorsquelles ne sont pas traitées. La pollution des sols, à son tour, peut contaminer les nappes phréatiques.
A Karachi, la rivière Lyan, qui traverse la ville, nest plus quun égout à ciel ouvert dans lequel quelque 300 petites et grandes entreprises déversent leurs effluents industriels sans les avoir traités. La situation est comparable à Shanghai. Environ 3,4 millions de m3 de déchets industriels et domestiques se retrouvent dans le ruisseau Suzhou et le fleuve Huangpu, qui passent au cur de la ville. Fortement pollués, ces deux cours deau sont à peu près dépourvus de toute vie et, en plus, dégagent souvent des odeurs et sont repoussants à voir, ou même insupportables, pour les riverains.
Dans les pays en développement, la pollution de leau et du sol est aggravée par lapport de déchets toxiques ou dangereux en provenance de pays industriels. Le transport de ces déchets vers des sites dentreposage primitifs dans ces pays ne coûte quune infime partie de ce quil en coûterait pour les stocker en toute sécurité ou pour les incinérer dans leur pays dorigine en application des directives gouvernementales de ces pays. Cest ce quon observe entre autres en Thaïlande, au Nigéria ou en Guinée-Bissau. Les déchets toxiques contenus dans les cuves peuvent fuir et polluer lair, leau et le sol, menaçant ainsi la santé des populations environnantes.
Les problèmes de santé environnementale étudiés dans ce chapitre ont donc tendance à toucher les pays en développement avec encore plus dacuité.
Le problème de la pollution industrielle est plus compliqué dans les pays en développement que dans les pays industriels. Les obstacles structurels à la prévention et à lélimination de la pollution y sont plus importants. Ces obstacles sont surtout dordre économique parce que les pays en développement ne possèdent pas les ressources nécessaires pour lutter contre la pollution autant que le font les pays développés. Par contre, la pollution peut coûter très cher à une société en développement en termes de santé, de déchets, de détérioration du milieu, de dégradation de la qualité de vie et des moyens quil faudra consacrer à lassainissement des sites. Pour prendre un exemple extrême, pensons à lavenir des enfants exposés aux émanations de plomb dans certaines mégalopoles de pays qui utilisent encore lessence au plomb, ou qui vivent au voisinage de fonderies. On a mis en évidence chez certains de ces enfants des taux de plombémie suffisamment élevés pour compromettre leurs facultés intellectuelles et cognitives.
Comparativement aux pays industriels, les entreprises des pays en développement manquent en général de capitaux et, lorsquelles peuvent investir, elles le font dabord dans léquipement et dans les moyens de production. Les capitaux consacrés à la lutte antipollution sont jugés «improductifs» par les économistes parce quils ne conduisent pas à une augmentation de la production ni du rendement. Mais la réalité nest pas aussi simple. Il se peut que largent investi dans la lutte contre la pollution ne rapporte apparemment rien de manière directe à lentreprise ou à la branche, mais cela ne veut pas dire pour autant quil na aucun rendement. Dans de nombreux cas, par exemple une raffinerie de pétrole, la lutte contre la pollution permet aussi de réduire les déperditions et de gagner en efficacité, ce qui profite directement à lentreprise. Quand la population sait se faire entendre, une entreprise a tout avantage à entretenir de bonnes relations avec elle et peut avoir intérêt à faire un effort pour diminuer la pollution. Malheureusement, la structure sociale existant dans beaucoup de pays en développement ne le permet pas parce que les gens les plus touchés par la pollution appartiennent souvent aux classes démunies et marginalisées de la société.
La pollution peut nuire à lenvironnement et à la société dans son ensemble, mais ce préjudice est «externalisé» et ne porte pas vraiment atteinte à lentreprise, du moins financièrement. En effet, le coût de la pollution tend à être supporté par lensemble de la société, et épargné à lentreprise. On sen aperçoit surtout lorsque lindustrie est vitale pour léconomie locale ou pour les priorités nationales et que lon fait preuve dune grande tolérance à légard des dommages quelle provoque. Une solution serait «dinternaliser» le préjudice en intégrant, sous forme de taxe ajoutée aux charges dexploitation de lentreprise, les frais dassainissement ou le coût estimatif des dommages subis par lenvironnement. On inciterait ainsi lentreprise à limiter ses dépenses en diminuant la pollution. Cependant, dans les pays en développement, presque aucun gouvernement nest en mesure dagir en ce sens ni de prélever de telles taxes.
Dans la pratique, sauf lorsque la réglementation de lEtat limpose, on trouve rarement des capitaux à investir dans des équipements antipollution. Or, les Etats prennent rarement des mesures pour réglementer lindustrie, à moins que des raisons majeures et la pression de leurs citoyens ne les y contraignent. Dans la plupart des pays industriels, les gens jouissent dune sécurité raisonnable quant à leur santé et à leur vie courante et ils attendent une meilleure qualité de vie, ce quils associent à un environnement plus sain. Parce quelles sont écononomiquement plus stables, ces populations sont plus disposées à accepter un sacrifice financier pour assainir leur environnement. Toutefois, pour être compétitifs sur les marchés mondiaux, beaucoup de pays en développement hésitent à réglementer leurs industries. Ils espèrent en fait que la croissance industrielle daujourdhui finira par enrichir suffisamment la société pour que lon puisse nettoyer la pollution demain. Malheureusement, le coût du nettoyage augmente aussi vite, sinon plus, que les coûts liés au développement industriel. Au premier stade de leur industrialisation, les pays en développement ne devraient avoir à consacrer que des sommes relativement faibles à la prévention de la pollution, mais ils nont presque jamais les capitaux nécessaires pour cela. Lorsqu ils les ont, plus tard, les coûts sont souvent exorbitants et le mal est déjà fait.
Lindustrie des pays en développement est généralement moins efficace que celle des pays industriels. Cest là un défaut chronique, qui tient au manque de formation des ressources humaines, au coût des équipements et des technologies importés et au gaspillage inévitable qui se produit quand certains secteurs de léconomie sont plus développés que dautres.
Cette inefficacité tient aussi, dans une certaine mesure, à la nécessité de sen remettre à des technologies dépassées qui sont faciles à obtenir, nexigent pas de licence coûteuse ou dont lutilisation revient moins cher. Ces technologies polluent souvent davantage que les technologies de pointe accessibles aux entreprises des pays développés. Prenons lexemple de lindustrie du froid, où lutilisation des chlorofluorocarbures (CFC) comme réfrigérants est beaucoup plus économique que les autres techniques, bien que ces produits chimiques contribuent fortement à lappauvrissement de la couche dozone dans la haute atmosphère et, partant, à lérosion du bouclier qui protège la terre contre les rayonnements ultraviolets; certains pays ont été très réticents à une interdiction des CFC parce quil leur aurait été alors financièrement impossible de fabriquer et dacheter des réfrigérateurs. Le transfert de technologie est manifestement la solution, mais les entreprises des pays développés qui ont mis au point ces technologies, ou qui en détiennent la licence, hésitent naturellement à les faire partager. Ils hésitent parce quils ont consacré leurs propres ressources à lélaboration de ces technologies, quils désirent en conserver la maîtrise pour maintenir lavantage quils possèdent sur leurs propres marchés et que lusage ou la vente de ces technologies risque de ne leur rapporter de largent que pendant la durée limitée du brevet.
Les pays en développement se heurtent à un autre problème: le manque de compétences et de connaissances quant aux effets de la pollution, aux méthodes de surveillance et aux techniques antipollution. Ils comptent relativement peu dexperts dans le domaine, en partie parce que le nombre demplois est limité et parce quil existe pour leurs services un marché restreint, même si, en réalité, les besoins sont importants. Comme le marché des équipements et des services de lutte contre la pollution sannonce réduit, il leur arrive de devoir importer ces compétences et ces techniques, ce qui ajoute aux coûts. De façon générale, il se peut que les cadres moyens et supérieurs de lindustrie naient pas conscience du problème ou quils nen soient quen partie conscients. Et quand bien même un ingénieur, un directeur ou un contremaître dune entreprise sauraient pertinemment quune activité est polluante, ils peuvent éprouver de la difficulté à persuader leurs collègues, leurs supérieurs ou les propriétaires de lentreprise quun problème se pose, qui doit être résolu.
Lindustrie de la plupart des pays en développement se situe au bas de léchelle des marchés internationaux, ce qui signifie que ses produits sont compétitifs sur le plan du prix mais pas sur celui de la qualité ou de loriginalité. Peu de pays en développement, par exemple, se spécialisent dans la production dacier de qualité supérieure pour la fabrication dinstruments chirurgicaux et de machines haut de gamme. Ils produisent de lacier de moindre qualité pour le bâtiment et le secteur manufacturier, car le marché est beaucoup plus vaste, les compétences techniques nécessaires sont moins poussées et leurs prix demeurent compétitifs tant que la qualité demeure acceptable. La lutte contre la pollution rend les prix moins compétitifs en accroissant les coûts de production apparents sans augmenter ni le volume de la production, ni le chiffre daffaires. Le principal enjeu des pays en développement est de trouver un équilibre entre cette réalité économique et le besoin de protéger leur population, leur environnement et leur avenir, en sachant que, à terme, les coûts seront encore supérieurs et que les dommages risquent dêtre irréversibles.
La pollution atmosphérique saggrave régulièrement depuis les origines de la révolution industrielle, il y a 300 ans. Quatre facteurs principaux expliquent cette aggravation: une industrialisation croissante; une augmentation des transports; un développement économique rapide et une plus forte consommation dénergie. Daprès les informations disponibles, les limites fixées par lOrganisation mondiale de la santé (OMS) pour les polluants atmosphériques dominants sont régulièrement dépassées dans beaucoup de grands centres urbains. Bien que ces vingt dernières années de nombreux pays industriels aient progressé dans la lutte contre la pollution atmosphérique, la qualité de lair notamment dans les grandes agglomérations du monde en développement se dégrade. On a tout lieu de se préoccuper, en particulier, des incidences des polluants atmosphériques ambiants sur la santé dans beaucoup de zones urbaines où les concentrations sont suffisantes pour augmenter les taux de mortalité et de morbidité, donner lieu à des déficits de la fonction pulmonaire et engendrer des troubles cardio-vasculaires et neurologiques (Romieu, Weitzenfeld et Finkelman, 1990; OMS/PNUE, 1992). La pollution de lair intérieur due à la combustion de divers produits dans les ménages constitue aussi un fléau dans les pays en développement (OMS, 1992c); elle nentre toutefois pas dans le cadre de cette analyse, qui traite uniquement des sources de la pollution de lair extérieur, de sa dispersion et de ses effets sur la santé, et qui comprend une étude de cas sur la situation au Mexique.
Les polluants atmosphériques les plus répandus dans les villes sont le dioxyde de soufre (SO2), les particules en suspension, les oxydes dazote (NO et NO2, regroupés sous le terme NOX), lozone (O3), le monoxyde de carbone (CO) et le plomb (Pb). La combustion de carburants fossiles dans des installations fixes entraîne la production de SO2, de NOX et de particules, y compris la formation daérosols de sulfates et de nitrates dans latmosphère du fait de la transformation du gaz en particules. Les véhicules à essence sont la principale source de NOX, de CO et de Pb, alors que les moteurs diesel dégagent dimportantes quantités de particules, de SO2 et de NOX. Lozone, oxydant photochimique et principal composant du smog photochimique, ne provient pas directement de matières en combustion, mais se forme dans la basse atmosphère par le contact de NOX et de composés organiques volatils (COV) avec la lumière du soleil (PNUE, 1991b). Le tableau 53.3 résume les principales sources de polluants de lair extérieur.
Polluants |
Sources |
Oxydes de soufre |
Combustion de charbon et de pétrole, fonderies |
Particules en suspension |
Produits de combustion (carburant, biomasse), fumée du tabac |
Oxydes d’azote |
Combustion de pétrole et de gaz |
Monoxyde de carbone |
Combustion incomplète de pétrole et de gaz |
Ozone |
Réaction photochimique |
Plomb |
Combustion de pétrole et de charbon, production de piles, câbles, produits de soudure, peintures |
Substances organiques |
Solvants pétrochimiques, vaporisation de combustibles non brûlés |
Source: d’après PNUE, 1991b.
Les deux principaux facteurs de la dispersion et du transport des polluants atmosphériques sont la météorologie (y compris les phénomènes de microclimats tels que les «îlots de chaleur») et la topographie, en rapport avec la répartition de la population. Beaucoup de villes sont entourées de collines qui peuvent empêcher le passage du vent et bloquer les polluants sur place. Sous des climats tempérés et froids, les inversions thermiques contribuent à la concentration de particules. Dans des conditions de dispersion normales, les gaz polluants chauds prennent de laltitude à mesure quils entrent en contact avec des masses dair plus froides. Dans certains cas, il arrive cependant que la température augmente avec laltitude et quune couche dinversion se forme, enfermant ainsi les polluants près de leur point démission et en en retardant la diffusion. Le transport sur de longues distances de polluants atmosphériques dégagés par les métropoles peut avoir des incidences nationales et régionales. Les oxydes dazote et de soufre peuvent faciliter la formation de dépôts acides loin du point dorigine. On relève fréquemment de plus fortes concentrations dozone en aval des régions urbaines à cause du décalage dû à la durée des réactions photochimiques (PNUE, 1991b).
Les polluants et leurs dérivés peuvent avoir des effets nocifs en altérant, par leur interaction, des molécules essentielles aux processus biochimiques ou physiologiques du corps humain. Trois facteurs agissent sur le degré de toxicité de ces substances: leurs propriétés chimiques et physiques, la dose de polluant qui atteint les zones tissulaires clés et la réaction de ces tissus au polluant. Les conséquences des polluants atmosphériques sur la santé peuvent aussi varier selon les groupes démographiques; les jeunes et les personnes âgées, en particulier, sont souvent sensibles à leurs effets délétères. Les personnes ayant déjà de lasthme ou une autre affection respiratoire ou cardiaque peuvent, si elles y sont exposées, connaître une aggravation de leurs symptômes (OMS, 1987).
Durant la première moitié du XXe siècle, des phases de stagnation marquée de lair ont provoqué une forte mortalité dans les régions où la combustion de combustibles fossiles produisait dimportantes quantités de SO2 et de particules en suspension. Des études sur leurs effets à long terme sur la santé ont aussi révélé lexistence dun lien entre les concentrations moyennes annuelles de SO2 et de particules et les taux de mortalité et de morbidité. Des études épidémiologiques ont montré que certains niveaux de particules inhalables (PM10) à des concentrations relativement faibles (ne dépassant pas la norme) sont nuisibles à la santé, ainsi que lexistence dune relation dose-effet entre la dose de PM10 absorbée et les taux de mortalité et de morbidité en rapport avec des problèmes respiratoires (Dockery et Pope, 1994; Pope, Bates et Raizenne, 1995; Bascom et coll., 1996) (voir tableau 53.4).
Effets sur la santé |
Pourcentage de variation pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM10 |
|
Moyenne |
Fourchette |
|
Mortalité |
||
Total |
1,0 |
0,5-1,5 |
Troubles cardio-vasculaires |
1,4 |
0,8-1,8 |
Troubles respiratoires |
3,4 |
1,5-3,7 |
Morbidité |
||
Admissions à l’hôpital pour un problème respiratoire |
1,1 |
0,8-3,4 |
Admissions aux urgences pour un problème respiratoire |
1,0 |
0,5-4 |
Exacerbation des symptômes chez les asthmatiques |
3,0 |
1,1-11,5 |
Variation du débit respiratoire maximum |
0,08 |
0,04-0,25 |
Il est ressorti détudes épidémiologiques que labsorption de NO2 est nocive, notamment parce quelle augmente lincidence et la gravité des infections respiratoires et aggrave les symptômes respiratoires, surtout après une longue exposition. On a aussi observé une dégradation de létat clinique de personnes sujettes à lasthme, à la bronchopneumopathie chronique obstructive et à dautres infections respiratoires chroniques. Toutefois, dautres chercheurs nont remarqué aucun effet contraire du NO2 sur les fonctions respiratoires (OMS/ECOTOX, 1992; Bascom et coll., 1996).
Les effets sur la santé dune exposition à des oxydants photochimiques ne peuvent être attribués aux seuls oxydants, car le smog photochimique se compose toujours de O3, de NO2, dacide, de sulfate et dautres réactifs. Ces polluants peuvent avoir des effets additifs ou synergiques sur la santé humaine, mais le O3 savère le plus actif biologiquement. Une exposition à lozone peut causer une diminution de la fonction pulmonaire (dont une augmentation de la résistance des voies aériennes, une baisse du débit respiratoire et une diminution du volume pulmonaire) à cause dune constriction des voies aériennes, des symptômes respiratoires (toux, respiration sifflante, essoufflement, douleurs thoraciques), une irritation des yeux, du nez et de la gorge et une perturbation de lactivité (baisse des performances sportives, par exemple) due à une réduction de lapport doxygène (OMS/ECOTOX, 1992). Le tableau 53.5 résume les effets les plus graves de lozone sur la santé (OMS, 1992a, 1995). Daprès plusieurs études épidémiologiques, il existe un rapport de cause à effet entre, dune part, la dose dozone absorbée et, dautre part, la gravité des symptômes respiratoires et la détérioration des fonctions respiratoires (Bascom et coll., 1996).
Problème de santé |
Variations du 1-h O3 (µg/m3) |
Variations du 8-h O3 (µg/m3) |
Exacerbation des symptômes chez des enfants et des adultes en bonne santé ou des asthmatiques ayant une activité normale |
||
Augmentation de 25% |
200 |
100 |
Augmentation de 50% |
400 |
200 |
Augmentation de 100% |
800 |
300 |
Admissions à l’hôpital pour des problèmes respiratoiresa |
||
5% |
30 |
25 |
10% |
60 |
50 |
20% |
120 |
100 |
a Etant donné la forte corrélation existant entre les concentrations de 1-h O3 et de 8-h O3 selon des études sur le terrain, on devrait obtenir une amélioration presque identique en diminuant les taux de 1-h O3 ou de 8-h O3.
Source: OMS, 1995.
Labsorption de CO a pour principal effet de freiner lalimentation des tissus en oxygène par la formation de carboxyhémoglobine (COHb). Quand la teneur du sang en COHb augmente, on peut observer les effets suivants: troubles cardio-vasculaires chez les sujets faisant déjà de langine de poitrine (de 3 à 5%); baisse de la vigilance (>5%); céphalées et étourdissements (≥10%); fibrinolyse et mort (OMS, 1987).
Une exposition au plomb perturbe principalement la biosynthèse du sang, mais peut aussi agir sur le système nerveux et dautres systèmes tel le système cardio-vasculaire (tension artérielle). Les nouveau-nés et les enfants de moins de cinq ans sont particulièrement exposés, car il suffit dun niveau de plombémie denviron 10 µg de plomb par décilitre de sang pour perturber leur développement neurologique (CDC, 1991).
Plusieurs études épidémiologiques traitent de leffet de la pollution atmosphérique, en particulier de labsorption dozone, sur la santé des habitants de Mexico. Des études écologiques font apparaître une hausse de la mortalité due à un contact avec des particules fines (Borja-Arburto et coll., 1995) et une augmentation du nombre denfants asthmatiques reçus aux urgences (Romieu et coll., 1994). Des études sur les retombées dune exposition à lozone parmi des enfants en bonne santé révèlent une augmentation de labsentéisme scolaire attribuable à des troubles respiratoires (Romieu et coll., 1992), et une diminution de la fonction pulmonaire après une exposition aiguë ou subaiguë (Castillejos et coll., 1992, 1995). Des enquêtes réalisées auprès denfants asthmatiques ont révélé une multiplication des symptômes respiratoires et une baisse du débit expiratoire de pointe après une exposition à lozone (Romieu et coll., 1994) et à des particules fines. Bien quune exposition aiguë à lozone et à des particules puisse à lévidence être associée à des problèmes de santé vécus par la population de Mexico, il importe dévaluer les effets chroniques dune telle exposition, notamment compte tenu des taux élevés doxydants photochimiques relevés à Mexico et de linefficacité des mesures de prévention.
La zone métropolitaine de Mexico (ZMM) est située à une altitude moyenne de 2 240 m dans un bassin de 2 500 km2 entouré de montagnes dont deux dépassent 5 000 m. Sa population était estimée à 17 millions dhabitants en 1990. A cause de sa géographie particulière et de la faiblesse des vents, la ventilation est insuffisante et on observe de fréquentes inversions thermiques, surtout en hiver. Les 30 000 entreprises et plus que compte la ZMM et les 3 millions de véhicules à moteur qui y circulent quotidiennement comptent pour 44% de la consommation dénergie totale. Depuis 1986, la pollution atmosphérique est contrôlée, y compris la présence de SO2, NOx, CO, O3, particules et hydrocarbures autres que le méthane. Les principaux problèmes de pollution atmosphérique sont liés à lozone, surtout dans le sud-ouest de la ville (Romieu, Weitzenfeld et Finkelman, 1990). En 1992, la norme nationale fixée pour lozone (110 parties par milliard (ppm) par heure au maximum) a été dépassée dans ce secteur durant plus de 1 000 heures et on a atteint un maximum de 400 ppm. Les taux de particules sont élevés dans la partie nord-est de la ville, près de la zone industrielle. En 1992, la moyenne annuelle de particules inhalables (PM10) sest établie à 140 µg/m3. Depuis 1990, le gouvernement a pris des mesures importantes pour réduire la pollution atmosphérique, dont un programme qui interdit lutilisation des voitures un jour par semaine en fonction du numéro de plaque minéralogique, ainsi que la fermeture de lune des raffineries les plus polluantes de Mexico et la mise sur le marché dessence sans plomb. Ces mesures ont entraîné une baisse de la quantité de divers polluants atmosphériques, notamment du SO2, des particules, du NO2, du CO et du plomb. En revanche, la teneur en ozone demeure inquiétante (voir figures 53.4, 53.5 et 53.6). |
La quantité de déchets produite par lêtre humain est en augmentation. Les déchets solides commerciaux et domestiques posent fréquemment un important problème pratique aux autorités locales. Les déchets industriels sont habituellement beaucoup moins volumineux, mais davantage susceptibles de renfermer des matières dangereuses, telles que produits chimiques toxiques, liquides inflammables et amiante. Bien quils soient moins importants en quantité, leur traitement suscite plus dinquiétudes que celui des déchets domestiques à cause des problèmes de santé à craindre et des risques de contamination de lenvironnement.
La production de déchets dangereux est devenue un problème majeur partout dans le monde. La cause première en est la fabrication et la distribution industrielles. Il y a pollution terrestre lorsque des déchets dangereux contaminent le sol et les eaux souterraines à cause de mesures de traitement inadéquates ou irresponsables. Lexistence de décharges à labandon ou mal tenues pose un problème de société particulièrement délicat et coûteux. Les déchets dangereux sont parfois éliminés dans lillégalité et dune façon dautant plus dangereuse que leur propriétaire ne peut trouver un moyen économique de sen débarrasser. Lun des principaux dilemmes à résoudre en matière de gestion des déchets dangereux est de trouver des méthodes de destruction qui soient à la fois sûres et peu coûteuses. Les préoccupations exprimées par le public concernent essentiellement les risques pour la santé dune exposition à des substances chimiques toxiques et, notamment, les risques de cancer.
La convention de Bâle signée en 1989 est un accord international qui a pour objectif de limiter les mouvements transfrontières de déchets dangereux et dempêcher que ces derniers ne soient expédiés vers des pays dépourvus dinstallations aptes à les traiter en toute sécurité. Elle prévoit que la production de tels déchets dans le monde et leur transport transfrontalier doivent être limités au minimum. La circulation de déchets dangereux est assujettie à lobtention de lautorisation du pays destinataire et à sa législation, auquel on aura fourni les renseignements requis. Les mouvements transfrontières de déchets dangereux doivent se faire dans le respect de lenvironnement et sous réserve que le pays daccueil ait garanti quil peut les traiter dune manière sûre. Tous les autres mouvements de déchets dangereux sont jugés illégaux et, donc, avec intention criminelle, ils sont passibles des lois et sanctions nationales. Cette convention apporte un cadre capital pour lutter contre ce problème à léchelle internationale.
On entend par substances dangereuses des composés et des mélanges qui présentent une menace pour la santé et les biens due à leur toxicité, leur inflammabilité, leur explosibilité, leur rayonnement ou à dautres propriétés. Lattention du public se porte plutôt sur les substances cancérogènes, les déchets industriels, les pesticides et les rayonnements. Dinnombrables composés qui nentrent pas dans ces catégories peuvent toutefois constituer une menace pour la sécurité et la santé de la population.
Les produits chimiques dangereux peuvent présenter des risques physiques, surtout lors du transport ou daccidents industriels. Les hydrocarbures peuvent senflammer, voire exploser. Les incendies et les explosions peuvent générer leurs propres effets toxiques en fonction des produits chimiques présents à lorigine. Les incendies qui surviennent dans des entrepôts de pesticides donnent lieu à des situations particulièrement dangereuses, car les pesticides peuvent se transformer par leur combustion en produits encore plus toxiques (comme les paraoxones dans le cas des organophosphates) et peuvent libérer dimportantes quantités de dioxines et de furannes nocifs pour lenvironnement lorsquils brûlent en présence de composés du chlore.
En ce qui concerne les déchets dangereux, cest leur toxicité qui inquiète le plus les populations. Des produits chimiques peuvent être toxiques pour lêtre humain, mais aussi porter atteinte à lenvironnement par leur toxicité pour certaines espèces animales et végétales. Ceux qui ne se dégradent pas rapidement dans le milieu ambiant (que lon qualifie de biopersistants ) ou qui sy accumulent (on parle de bioaccumulation ) méritent une attention particulière.
Le nombre de substances toxiques dusage courant et les risques quelles présentent ont énormément évolué. Au cours de la dernière génération, les activités de recherche et de développement en chimie organique et en génie chimique ont donné naissance à des milliers de nouveaux composés largement employés à des fins commerciales, dont des composés rémanents comme les biphényles polychlorés (BPC), des pesticides plus puissants, des accélérateurs et des plastifiants aux effets inhabituels et mal compris. La production de produits chimiques est en très forte hausse. Rien quaux Etats-Unis, par exemple, la production de composés organiques synthétiques était inférieure à 1 million de tonnes en 1941. Aujourdhui, elle dépasse largement les 80 millions. Beaucoup de composés aujourdhui répandus ont subi peu de tests et sont mal connus.
Les produits chimiques toxiques sont aussi beaucoup plus présents dans notre vie quotidienne que par le passé. Nombre dusines chimiques ou de décharges autrefois isolées ou en bordure dune ville ont été absorbées par la croissance des banlieues. Les populations se trouvent ainsi plus près des sources de problème que naguère. Certains quartiers sont construits directement sur danciennes décharges. Si les incidents liés à des substances dangereuses peuvent prendre de nombreuses formes et se révéler très spécifiques, il semble que la majorité dentre eux soit attribuable à un éventail relativement restreint de substances dangereuses: solvants, peintures et enduits, solutions métalliques, biphényles polychlorés (BPC), pesticides, acides et bases. Selon des études menées aux Etats-Unis, les dix substances dangereuses les plus courantes que lon a trouvées dans des décharges ayant nécessité une intervention des pouvoirs publics sont les suivantes: plomb, arsenic, mercure, chlorure de vinyle, benzène, cadmium, BPC, chloroforme, benzo[a]pyrène et trichloroéthylène. Cependant, le chrome, le tétrachloroéthylène, le toluène et le phtalate de di(2-éthylhexyle) étaient aussi très présents parmi les substances dont on a pu voir quelles migraient ou quelles pouvaient atteindre des êtres humains. Lorigine de ces déchets chimiques est extrêmement variable et dépend de la situation locale, mais les solutions électrolytiques, les produits chimiques mis au rebut, les sous-produits des industries manufacturières et les solvants constituent le plus gros des déchets.
La figure 53.7 illustre les problèmes qui peuvent se poser et représente la coupe dune décharge de déchets dangereux fictive (dans la pratique, un site de ce type ne doit jamais se trouver près dun plan deau ni au-dessus dun banc de graviers). Une installation délimination (de confinement) de déchets dangereux bien conçue est isolée par une enveloppe parfaitement étanche qui empêche les substances chimiques de séchapper dans le sol. Elle est aussi munie de dispositifs pour traiter les produits chimiques qui peuvent être neutralisés ou transformés et pour réduire le volume de déchets quelle accueille; les produits chimiques qui ne peuvent être traités sont conservés dans des conteneurs imperméables (la perméabilité, cependant, est relative, comme nous lexpliquons ci-dessous).
Des produits chimiques peuvent fuir si un conteneur est endommagé, filtrer si de leau y pénètre, ou déborder pendant des manutentions ou en cas de bouleversement du site. Une fois quils ont traversé lenveloppe de protection, ou bien si lenveloppe est déchirée ou inexistante, ils entrent dans le sol et sy infiltrent sous leffet de la pesanteur. Leur déplacement est beaucoup plus rapide en terrain poreux quen terrain argileux ou lorsquils atteignent un substrat rocheux. Même dans le sous-sol, leau suit une pente descendante et passe par les endroits qui offrent le moins de résistance; le niveau de leau souterraine sabaissera donc légèrement dans le sens du flux et celui-ci saccélèrera nettement dans le sable ou le gravier. Les produits chimiques finiront par atteindre la nappe phréatique. Les plus légers tendent à flotter et à former une pellicule en surface. Les plus lourds et les composés solubles dans leau tendent à se dissoudre ou sont entraînés lentement par leau à travers les roches poreuses ou le gravier. Il est possible de dresser un plan du passage de matières liquides contaminées au moyen de puits ou de sondes. Le passage grossit peu à peu et se déplace dans le sens de lécoulement souterrain.
Les eaux de surface peuvent être contaminées par des écoulements de la décharge, si la couche superficielle du sol est touchée, ou par les eaux souterraines. Lorsque ces dernières se déversent dans une masse deau, par exemple une rivière ou un lac, les polluants y pénètrent du même coup. Certains produits chimiques tendent à se déposer dans les sédiments de fond et dautres sont entraînés par le courant.
La contamination des eaux souterraines peut prendre des siècles à disparaître. Lorsque des habitants de la région sapprovisionnent en eau dans des puits peu profonds, ils risquent dêtre contaminés par ingestion et par contact cutané.
Les gens peuvent se trouver en présence de substances toxiques de toutes sortes de façons. Lexposition à une substance toxique peut se produire à plusieurs stades de son utilisation. Des travailleurs amenés à toucher des déchets industriels négligent de changer de vêtements ou de se laver avant de rentrer chez eux. Dautres, qui habitent près dune décharge de déchets dangereux illégale, mal conçue ou mal exploitée, peuvent être exposés à la suite dun accident ou dune manipulation imprudente, ou faute de moyens de rétention ou de barrières pour tenir les enfants à lécart. Un individu peut être exposé à son domicile parce quil ingère un produit mal étiqueté, stocké dans de mauvaises conditions ou malencontreusement laissé à la portée des enfants alors que son emballage ne répond pas aux normes de sécurité.
On distingue essentiellement trois voies par lesquelles la toxicité des produits dangereux sexerce: inhalation, ingestion et pénétration par la peau. Une fois absorbées, et selon la voie empruntée, les substances toxiques peuvent avoir sur les personnes de multiples effets, dont la liste est particulièrement longue. Cependant, les préoccupations du public et les études scientifiques se concentrent plutôt sur le risque de cancer et de troubles de la reproduction. De manière générale, cet intérêt correspond au danger que présentent les produits chimiques que lon trouve à ces endroits.
Beaucoup détudes sont effectuées sur des personnes habitant autour ou à proximité de décharges. A quelques exceptions près, ces études ne nous renseignent que très peu sur des problèmes de santé qui soient vérifiables et dun intérêt clinique réel. Les exceptions tiennent essentiellement à des situations dans lesquelles la contamination apparaît exceptionnellement forte et que le mode dexposition est clairement défini, que les individus habitent en bordure immédiate du site ou quils sapprovisionnent dans un puits alimenté par une source contaminée. Plusieurs raisons peuvent probablement expliquer cette absence étonnante dinformations sérieuses concernant les effets sur la santé. Premièrement, à la différence de la pollution de lair et des eaux superficielles, les substances chimiques à lorigine de la pollution terrestre ne sont pas à portée immédiate des personnes touchées. Ces dernières peuvent vivre dans un secteur fortement contaminé par des produits chimiques, sans pour autant en ressentir les effets toxiques si elles nentrent pas en contact avec ces produits par les voies susmentionnées. Une autre explication possible est le fait que les effets chroniques dune exposition à ces produits toxiques prennent beaucoup de temps à se manifester et sont très difficiles à étudier. Il se peut enfin que ces substances chimiques aient sur la santé humaine des effets chroniques moins violents quon ne le suppose habituellement.
Outre ses répercussions sur la santé humaine, la pollution terrestre peut nuire très gravement aux écosystèmes. Des espèces végétales et animales, des bactéries du sol (qui contribuent au rendement agricole) et dautres éléments des écosystèmes peuvent être irrémédiablement endommagés par une pollution plus ou moins importante qui na aucune incidence visible sur notre santé.
La répartition spatiale de la population, les restrictions relatives à lutilisation des terres, les coûts de transport et les préoccupations écologiques de la société constituent autant de pressions pour que lon trouve une solution à une élimination économiquement viable des déchets dangereux. Cest pourquoi on sintéresse de plus en plus à des méthodes comme la réduction à la source, le recyclage, la neutralisation chimique et laménagement de centres délimination (confinement) sûrs pour des déchets dangereux. Les deux premières solutions visent à diminuer la quantité de déchets produite. La neutralisation chimique réduit la toxicité des déchets et peut les transformer en solides plus facilement manipulables. Autant que possible, il vaut mieux procéder à cette opération sur le lieu de production des déchets pour limiter le volume de déchets qui doit être déplacé. Pour les déchets résiduels, on a besoin dinstallations bien conçues, qui fassent appel aux meilleures techniques de traitement et de conditionnement des substances chimiques.
La construction de sites délimination (confinement) pour produits dangereux coûte relativement cher. Il convient de choisir avec soin chaque site pour prévenir toute pollution des eaux superficielles et des principales nappes aquifères (eaux souterraines). Chaque site doit être conçu et construit avec des barrières imperméables pour éviter une contamination du sol et des eaux souterraines. Ces barrières consistent habituellement en une enveloppe de plastique épais quon pose sur une couche dargile comprimé. Dans la réalité, on se sert dune barrière pour retarder les ruptures et ralentir les infiltrations qui finissent toujours par se produire, mais qui sont acceptables dans la mesure où elles nentraînent aucune accumulation et où elles ne polluent pas gravement les eaux souterraines. La perméabilité désigne une propriété dun matériau et nest autre que la résistance de ce dernier à la pénétration dun liquide ou dun gaz dans des conditions de pression et de température données. Même la barrière la moins perméable qui soit, par exemple une enveloppe en plastique ou de largile comprimé, ne pourra totalement empêcher un liquide chimique de la traverser, bien que cela puisse ne se produire quaprès des années voire plusieurs siècles; une fois la brèche ouverte, lécoulement peut devenir permanent, mais son débit restera très faible. Leau qui passe directement au-dessous dune décharge de déchets dangereux est donc toujours exposée à certains risques de contamination, ne fût-ce que minimes. Une fois que de leau souterraine est contaminée, il est très difficile, et souvent impossible, de la purifier.
Beaucoup de décharges de déchets dangereux font lobjet de contrôles réguliers par des prélèvements et de vérifications des puits avoisinants pour sassurer que la pollution ne se répand pas. Les plus modernes sont équipées de dispositifs de recyclage ou de traitement installés sur place ou à proximité, ce qui permet de réduire le volume des déchets entreposés.
Le confinement des déchets dangereux napporte pas de solution parfaite au problème de la pollution des sols. La conception des installations requiert les services coûteux dexperts, leur construction coûte cher et elles peuvent nécessiter un travail de surveillance, ce qui ajoute encore aux frais dexploitation. Elles napportent aucune garantie contre une contamination future des eaux souterraines, bien quelles en limitent sensiblement les risques. Lun des principaux inconvénients est le fait que, inévitablement, quelquun doit vivre à proximité. Les collectivités dans lesquelles les décharges de déchets dangereux sont installées ou en projet sy opposent en général fortement et font obstacle à lagrément des pouvoirs publics. Cest ce quon appelle le syndrome du «daccord chez les autres, mais pas chez moi», réaction courante à limplantation dinstallations jugées indésirables. Lorsquil est question de décharges de déchets dangereux, ce syndrome tend à se manifester avec une vigueur particulière.
Malheureusement, en labsence de sites délimination (de confinement) des déchets dangereux, notre société risque de perdre complètement le contrôle de la situation. Quand il nexiste pas de tels sites, ou quil revient trop cher den utiliser un, les déchets dangereux sont souvent éliminés dune façon illégale. Daucuns, par exemple, répandent des déchets liquides à même le sol dans des lieux à lécart, sen débarrassent dans des caniveaux ou des égouts qui se déversent dans des cours deau voisins, ou expédient leurs déchets dangereux vers des pays où leur traitement est régi par des lois plus laxistes. Cela peut aboutir à des dérives encore plus dangereuses que lutilisation dun site aménagé et exploité de manière peu satisfaisante.
Il existe plusieurs techniques pour éliminer les déchets résiduels. Les incinérateurs à haute température sont à cet égard lun des moyens les plus propres et les plus efficaces, mais ils sont extrêmement coûteux. Une des solutions les plus prometteuses consiste à incinérer les déchets toxiques liquides dans des fours à ciment, qui fonctionnent à des températures suffisamment élevées et que lon trouve dans tous les pays en développement et industriels. Linjection dans des puits profonds situés sous la nappe phréatique est une option à retenir pour les produits chimiques dont on ne peut se défaire autrement. Cependant, les eaux souterraines peuvent suivre des chemins compliqués et il arrive quelles soient finalement contaminées par une pression inhabituelle dans le sous-sol ou par une fuite dans un puits. La déshalogénation est une technique chimique qui consiste à retirer les atomes de chlore et de brome à des hydrocarbures halogénés, comme les BPC, pour que lon puisse facilement les détruire par incinération.
Il reste un important problème à régler concernant les déchets municipaux solides: la contamination attribuable à lélimination accidentelle ou intentionnelle de déchets dangereux. On peut limiter ces risques par des collectes séparées. Dans la plupart des municipalités, les substances chimiques et autrement dangereuses sont traitées séparément pour quelles ne contaminent pas les déchets solides. Lidéal serait que, pour leur élimination, on les achemine vers une installation offrant la sécurité voulue.
On a cruellement besoin dendroits où lon puisse collecter et éliminer de petites quantités de déchets dangereux à un coût minime. Habituellement, les personnes en possession dune bouteille ou dune boîte contenant un solvant, un pesticide ou quelque poudre ou liquide inconnu ne peuvent soffrir le luxe de sen débarrasser convenablement et nont pas conscience des risques correspondants. Il faut donc quil y ait un système quelconque pour la collecte de ce genre de déchets afin de dissuader le consommateur de les déverser sur le sol, de les vider dans les toilettes ou dempoisonner lair en les brûlant. Un certain nombre de municipalités organisent des journées de collecte durant lesquelles les habitants peuvent apporter de petites quantités de substances toxiques en un lieu central pour quelles soient évacuées et éliminées de manière sûre. Des systèmes décentralisés ont été mis sur pied dans certaines zones urbaines, grâce auxquels les substances toxiques à jeter, en petites quantités, sont ramassées à domicile ou localement en vue de leur élimination. Aux Etats-Unis, lexpérience montre que les gens sont disposés à faire une dizaine de kilomètres pour se débarrasser de leurs déchets toxiques ménagers en un lieu sûr. La sensibilisation des consommateurs à la toxicité possible de produits courants simpose fortement. Les pesticides en bombes aérosols, leau de Javel, les produits ménagers nettoyants, liquides ou autres, peuvent présenter un danger, surtout pour les enfants.
Lexistence de décharges de déchets dangereux à labandon ou peu sûres est un problème mondial. Celles de ces décharges qui doivent être décontaminées créent dénormes risques pour la société. Laptitude des pays et des autorités locales à assainir les décharges les plus importantes varie grandement. La logique voudrait que le propriétaire de la décharge ou la personne qui la installée en paie lassainissement. Dans la pratique, ces décharges changent souvent de mains: lancien propriétaire a mis la clé sous la porte, le propriétaire actuel na pas largent nécessaire pour procéder aux travaux dassainissement qui sont souvent retardés pendant une très longue période à cause détudes techniques coûteuses suivies de batailles juridiques. Les pays plus petits ou moins riches ont peu de pouvoir pour demander aux propriétaires actuels, ou aux responsables, de se charger de la décontamination, et trop peu de ressources pour sen occuper eux-mêmes.
Les méthodes classiques dassainissement des décharges de déchets dangereux sont très lentes et coûteuses. Elles demandent des gens extrêmement spécialisés qui font souvent défaut. On commence par examiner la décharge pour établir dans quelle mesure le sol est atteint et si les eaux souterraines sont contaminées. On évalue la probabilité que les riverains puissent entrer en contact avec les substances dangereuses et, dans certains cas, on fait une estimation des risques pour la santé qui en découlent. Il faut ensuite sentendre sur un niveau de décontamination acceptable et décider dans quelle mesure lexposition doit être réduite pour protéger la santé humaine et lenvironnement. Pour déterminer lampleur du travail de décontamination, les pouvoirs publics appliquent les lois en vigueur sur lenvironnement, ainsi que les normes sur la pollution atmosphérique et leau potable et ils se fondent sur une évaluation des risques sanitaires engendrés par telle ou telle décharge. La décontamination à effectuer est alors fixée dans le souci de préserver la santé et lenvironnement. Il sagit détablir le mode de réhabilitation du site, ou la meilleure façon de diminuer lexposition. Techniquement parlant, la réhabilitation consiste à décontaminer une décharge au niveau souhaité avec des moyens industriels ou autres. Parmi les techniques employées, mentionnons lincinération, la solidification, le traitement chimique, lévaporation, le lavage répété du sol à grande eau, la biodégradation, le confinement, lenlèvement de la terre et le pompage des eaux souterraines. Ces techniques industrielles sont trop complexes et trop particulières à chaque situation pour que lon puisse les décrire en détail ici. Il faut que chaque solution soit adaptée aux circonstances et que lon dispose des fonds nécessaires à son application. Parfois, la réhabilitation nest pas faisable. On doit alors établir à quel usage le site pourra être affecté.
Depuis au moins deux millénaires, leau naturelle a vu sa qualité se dégrader peu à peu et elle est aujourdhui contaminée au point que ses usages sont extrêmement restreints ou quelle peut même être nocive à lêtre humain. Certes, cette dégradation est liée au développement socio-économique dun bassin fluvial, mais le transport de contaminants dans latmosphère sur de grandes distances a changé la donne: désormais, des régions éloignées peuvent aussi être indirectement polluées (Meybeck et Helmer, 1989).
Les récits et les griefs qui nous ont été transmis du Moyen Age concernant le dépôt sauvage dexcréments, ou les cours deau nauséabonds qui traversaient des villes surpeuplées, constituent, parmi dautres problèmes semblables, les premières manifestations de la pollution des eaux urbaines. Cest en 1854 que lon a établi pour la première fois un lien de cause à effet évident entre la mauvaise qualité de leau et des problèmes de santé humaine, lorsque John Snow attribua à une source deau de consommation bien localisée lépidémie de choléra qui sévissait à Londres.
Depuis le milieu du XXe siècle, et parallèlement à laccélération de la croissance industrielle, différents problèmes de pollution des eaux sont apparus à un rythme élevé. La figure 53.8 illustre le genre de problèmes que les eaux douces posent en Europe.
Pour résumer la situation européenne, on peut dire que: 1) les problèmes du passé (agents pathogènes, bilan de loxygène, eutrophisation, métaux lourds) ont été établis et étudiés et que les moyens de lutte nécessaires ont été définis et plus ou moins appliqués; 2) les problèmes actuels sont dune nature différente, car on a, dun côté, des sources de pollution ponctuelles et non ponctuelles «classiques» (nitrates) et des contaminants présents partout dans lenvironnement (produits organiques synthétiques) et, de lautre, des facteurs «de la troisième génération» qui perturbent les cycles planétaires (acidification, changement climatique).
Autrefois, la pollution des eaux dans les pays en développement sexpliquait principalement par le déversement deaux usées non traitées. Elle est aujourdhui plus complexe, résultant de la production de déchets dangereux par des industries et du développement rapide de lusage de pesticides en agriculture. De fait, actuellement, la pollution des eaux dans certains pays en développement, et en tout cas dans les pays en voie dindustrialisation, est pire que dans les pays industriels (Arceivala, 1989). Malheureusement, les pays en développement dans leur ensemble accusent un très grand retard en ce qui concerne lélimination des principales sources de pollution. En conséquence, la qualité de leur environnement se détériore progressivement (OMS/PNUE, 1991).
Un grand nombre dagents microbiens, déléments et de composés peuvent polluer leau; on peut les classer comme suit: organismes microbiologiques, composés organiques biodégradables, particules en suspension, nitrates, sels, métaux lourds, nutriments et micropolluants organiques.
Les organismes microbiologiques sont courants dans les cours deau pollués essentiellement par le déversement deaux ménagères non traitées. Ces agents microbiens comprennent les bactéries pathogènes, virus, helminthes, protozoaires et plusieurs organismes multicellulaires plus complexes qui peuvent provoquer des maladies gastro-intestinales. Dautres organismes, par nature plus opportunistes, infectent les individus fragiles par contact du corps avec de leau contaminée ou par inhalation de gouttes deau de mauvaise qualité avec divers aérosols.
Des substances organiques dorigine naturelle (détritus terrestres allochtones ou débris autochtones de plantes aquatiques) ou de source humaine (déchets ménagers, agricoles et certains déchets industriels) sont décomposées par des microbes aérobies, tandis que la rivière poursuit son cours. Il en résulte un abaissement de la teneur en oxygène en aval du point de déversement des eaux usées, ce qui nuit à la qualité de leau et à la survie du biote aquatique, notamment des poissons nobles.
Les particules sont un important vecteur de polluants organiques et inorganiques. La plupart des métaux lourds toxiques, des polluants organiques, des pathogènes et nutriments, comme le phosphore, sont présents dans les particules en suspension. On trouve aussi dans ces particules une quantité appréciable de matières organiques biodégradables qui consomment loxygène dissous dans les cours deau. Ces particules proviennent de lurbanisation et de la construction de routes, du déboisement, de lexploitation minière, du dragage de rivières, de sources naturelles liées à lérosion terrestre ou de catastrophes naturelles. Des particules plus grosses se déposent dans les lits des cours deau, les réservoirs, les plaines dinondation, ainsi que dans les marais et dans les lacs.
La concentration de nitrates dans les eaux superficielles non polluées varie entre moins de 0,1 et 1 mg par litre (exprimé en azote), de sorte quun taux de nitrate supérieur à 1 mg/l est le signe dune intervention humaine: déversement de déchets municipaux, écoulement dorigine urbaine ou agricole, etc. Les précipitations atmosphériques sont aussi une importante source de nitrates et dammoniac dans les bassins versants, notamment dans les zones où il nexiste pas de sources de pollution directes, par exemple dans certaines régions tropicales. La forte concentration de nitrates dans leau de consommation peut intoxiquer gravement les nouveau-nés alimentés au biberon pendant leurs premiers mois, ou encore les personnes âgées, par un phénomène appelé méthémoglobinémie.
La salinisation de leau peut avoir des causes naturelles, comme linteraction géochimique des eaux avec des sols salins, ou des causes humaines: irrigation des terres agricoles, apport deau de mer provoqué par un pompage excessif des eaux souterraines dans certaines îles et zones côtières, élimination de déchets industriels et de la saumure de champs de pétrole, salage des routes, lixiviat de décharges et fuites dégouts.
Bien quelle empêche dutiliser leau pour lirrigation des cultures fragiles ou pour la consommation en particulier, la teneur en sel, même très élevée, na en soi pas deffets directement nocifs sur la santé, mais elle peut saccompagner deffets indirects catastrophiques. La disparition de terres agricoles fertiles et la diminution des récoltes dues à la saturation hydrique et à la salinisation des sols irrigués privent des villages entiers de leur moyen de subsistance et peuvent aller jusquà entraîner des pénuries alimentaires.
Les métaux lourds tels que le plomb, le cadmium et le mercure sont des micropolluants qui présentent un intérêt particulier, car ils ont une incidence sur la santé et lenvironnement à cause de leur rémanence, de leur forte toxicité et de leur accumulation biologique.
Les métaux lourds qui polluent leau proviennent en général de cinq sources: laltération géologique, qui représente la pollution de fond; la transformation industrielle de minerais et de métaux; lutilisation de métaux et de composés métalliques, comme les sels de chrome dans les tanneries, des composés du cuivre en agriculture et le tétraéthylplomb employé comme agent antidétonant dans lessence; les métaux lourds qui fuient des ordures ménagères et des décharges de déchets solides; et les métaux lourds contenus dans les excréments humains et animaux, notamment le zinc. Les métaux rejetés dans lair par les automobiles, la combustion de carburants et les activités industrielles peuvent se déposer sur les sols et finir par ruisseler jusquà atteindre les eaux superficielles.
Leutrophisation est le phénomène de lenrichissement des eaux par des nutriments végétaux, surtout du phosphore et de lazote, qui accélère la croissance des plantes (des algues comme des macrophytes) et qui provoque en conséquence lapparition de fleurs deau visibles à lil nu, de tapis dalgues ou de macrophytes en surface, une accumulation dalgues benthiques et des concentrations macrophytiques submergées. Lorsquils pourrissent, ces végétaux entraînent un épuisement des réserves doxygène contenues dans leau qui donne lieu à toutes sortes dautres problèmes secondaires, tels que la mort de poissons et le relargage de gaz corrosifs et autres substances indésirables, comme du gaz carbonique, du méthane, du sulfure dhydrogène, des substances organoleptiques (qui donnent un goût et une odeur aux choses), des toxines, etc.
Les composés du phosphore et de lazote proviennent principalement des eaux ménagères non traitées, mais dautres sources, comme le drainage de terres agricoles fertilisées artificiellement, les ruissellements de surface engendrés par un élevage intensif et certaines eaux industrielles usées peuvent aussi accroître sensiblement la quantité de matières nutritives dans les lacs et réservoirs, notamment dans les pays tropicaux en développement.
Les principaux problèmes liés à leutrophisation des lacs, réservoirs et retenues sont les suivants: épuisement de loxygène dans la couche aquatique du fond; diminution de la qualité de leau, qui entraîne des difficultés de traitement, notamment lorsquon veut retirer les substances responsables du goût et de lodeur; limitation des usages récréatifs, augmentation des risques pour la santé des baigneurs et enlaidissement des sites; baisse des activités de pêche due à la mortalité du poisson et à la prolifération despèces indésirables et de mauvaise qualité; vieillissement des lacs et réservoirs et diminution de leur volume utile du fait de lensablement; aggravation de la corrosion des tuyaux et autres structures.
Les micropolluants organiques peuvent être rangés en groupes de produits chimiques en fonction de leur usage et, par conséquent, de leur mode de dispersion dans lenvironnement:
Vu lexpansion continue, lintensité et la très grande diversité de la pollution, le maintien de la qualité des ressources hydriques est devenu un grave problème, en particulier dans les zones les plus urbanisées du monde en développement. Il y a à cela deux raisons: limpossibilité dappliquer les mesures antipollution aux sources principales, notamment les industries, et les insuffisances des systèmes dassainissement, ainsi que des méthodes de collecte et délimination des déchets (OMS, 1992c). On trouvera en encadré quelques cas de pollution des eaux observés dans différentes villes de pays en développement.
Karachi (Pakistan)La rivière Lyari, qui traverse Karachi, principale ville industrielle du Pakistan, est un égout à ciel ouvert sur le plan chimique et microbiologique, qui transporte un mélange deaux-vannes et deffluents industriels non traités. La plupart de ces derniers proviennent dun complexe industriel comprenant quelque 300 grandes usines et presque trois fois plus de petits établissements. Les trois cinquièmes des établissements sont des fabriques de textile. Les autres industries établies à Karachi déversent aussi pour la plupart des effluents non traités dans le cours deau le plus proche. Alexandrie (Egypte)Les usines dAlexandrie comptent pour environ 40% de la production industrielle de lEgypte, et la plupart déversent des déchets liquides non traités dans la mer ou dans le lac Maryut. En dix ans, le volume de poissons pris dans ce lac a diminué de quelque 80% à cause du déversement direct deffluents industriels et domestiques. Conséquence de sa dégradation, le lac a également cessé dêtre un important site récréatif. On connaît une situation semblable le long de la mer, résultat des eaux usées non traitées qui proviennent dexutoires mal situés. Shanghai (Chine)Quelque 3,4 millions de m3 de déchets industriels et ménagers se déversent essentiellement dans le ruisseau Suzhou et le fleuve Huangpu, qui traversent le cur de la ville, dont ils sont devenus les principaux égouts (à ciel ouvert). La plupart des déchets sont dorigine industrielle, car peu de foyers sont équipés de toilettes à chasse deau. Le Huangpu est un fleuve quasiment mort depuis 1980. Au total, moins de 5% des eaux usées de la ville sont traitées. La nappe phréatique est habituellement à faible profondeur, ce qui signifie que divers produits toxiques issus dusines et de rivières avoisinantes sinfiltrent dans les eaux souterraines et contaminent les puits, qui approvisionnent aussi la ville en eau. São Paulo (Brésil)Pendant sa traversée de lagglomération de São Paulo, lune des plus grandes du monde, le fleuve Tiete reçoit chaque jour 300 tonnes deffluents provenant de 1 200 usines implantées dans la région. Le plomb, le cadmium et dautres métaux lourds figurent parmi les principaux polluants. Le fleuve reçoit aussi quotidiennement 900 tonnes deaux usées, dont seulement 12,5% sont traitées par les 5 stations dépuration de la région. Source: daprès Hardoy et Satterthwaite, 1989. |
Les maladies provoquées par lingestion dagents pathogènes dans de leau contaminée sont celles qui ont la plus forte incidence dans le monde. On estime que 80% des maladies, et plus du tiers des décès survenant dans les pays en développement sont causés par la consommation deau contaminée et que, en moyenne, chaque personne perd un dixième de son temps de production à cause de maladies liées à leau (CNUED, 1992b). Les maladies provoquées par leau représentent la plus importante catégorie de maladies transmissibles dont meurent les nouveau-nés dans les pays en développement et elles viennent au second rang après la tuberculose pour ce qui est de la mortalité des adultes, avec un million de décès par an.
Le nombre annuel de cas de choléra déclarés à lOrganisation mondiale de la santé (OMS) par ses Etats membres a atteint un record pendant la septième pandémie, avec une pointe de 595 000 cas en 1991 (OMS, 1993). Le tableau 53.6 donne les taux globaux de morbidité et de mortalité en rapport avec les principales maladies transmises par leau. Souvent, ces chiffres sont nettement sous-évalués du fait que les déclarations de cas sont loin dêtre effectuées de manière systématique dans beaucoup de pays.
Nombre/année ou période étudiée |
||
Maladie |
Cas |
Décès |
Choléra 1993 |
297 000 |
4 971 |
Typhoïde |
500 000 |
25 000 |
Giardiase |
500 000 |
Nombre faible |
Amibiase |
48 000 000 |
110 000 |
Diarrhée (moins de 5 ans) |
1 600 000 000 |
3 200 000 |
Dracunculose (vers de Guinée) |
2 600 000 |
– |
Schistosomiase |
200 000 000 |
200 000 |
Source: Galal-Gorchev, 1994.
Les problèmes de santé associés à la présence de substances chimiques dissoutes dans leau tiennent principalement au fait que les effets se manifestent après une longue période dexposition; sont particulièrement à craindre les contaminants ayant des effets toxiques cumulatifs, tels que les métaux lourds et certains micropolluants, les substances cancérogènes et celles qui peuvent perturber la reproduction et le développement. Dautres substances dissoutes dans leau sont un élément essentiel du régime alimentaire, tandis que dautres encore sont neutres eu égard aux besoins dun être humain. Compte tenu de leur incidence sur la santé, on peut classer les produits chimiques présents dans leau, notamment dans leau de consommation, en trois grandes catégories (Galal-Gorchev, 1986):
Les effets de la pollution de lenvironnement sur la qualité des eaux douces sont multiples et existent depuis longtemps. Lessor industriel, le développement de lagriculture intensive, laugmentation exponentielle de la population, ainsi que la production et lutilisation de dizaines de milliers de produits chimiques synthétiques, figurent parmi les principales causes de détérioration de la qualité de leau à léchelle locale, nationale et mondiale. Le principal problème que pose cette détérioration est le risque quelle ne compromette lusage que lon fait de leau aujourdhui et celui que lon voudrait en faire à lavenir.
Lune des causes les plus graves et les plus répandues de la dégradation de lenvironnement est le déversement de déchets organiques dans les cours deau (voir ci-dessus «Les composés organiques biodégradables»). Cette pollution est surtout inquiétante dans le milieu aquatique où de nombreux organismes, entre autres les poissons, ont besoin de concentrations élevées doxygène. Lanoxie de leau a pour effet secondaire sérieux celui de libérer des substances toxiques à partir de particules et de sédiments de fond que lon trouve dans les rivières et les lacs. Le rejet deaux ménagères dans les cours deau et les nappes aquifères entraîne aussi une accumulation de nitrates dans les rivières et les eaux souterraines, et leutrophisation de lacs et réservoirs (voir ci-dessus «Les nitrates» et «Les sels»). Dans les deux cas, la pollution est le résultat dune synergie entre les effluents deaux usées et le ruissellement ou linfiltration deaux issues de lagriculture.
Les conséquences économiques de la pollution des eaux peuvent être assez importantes étant donné ses effets nocifs sur la santé humaine ou sur lenvironnement. Une mauvaise santé entraîne souvent une baisse de la productivité humaine, et une dégradation de lenvironnement diminue la productivité des ressources en eau directement utilisées par la population.
Le poids économique des maladies peut sexprimer non seulement en frais de traitement, mais aussi en manque à gagner pour les entreprises. Il suffit de penser aux maladies extrêmement invalidantes comme la diarrhée ou le vers de Guinée. En Inde, par exemple, on estime à 73 millions le nombre de journées de travail perdues chaque année à cause de maladies transmises par leau (Arceivala, 1989).
Les carences de lhygiène publique et les épidémies qui en résultent peuvent aussi pénaliser lourdement léconomie. Cest ce qui est apparu très clairement lors dune épidémie de choléra survenue en Amérique latine. Ainsi, au Pérou, la diminution des exportations agricoles et du tourisme sest traduite par des pertes estimées à 1 milliard de dollars E.-U. Cest plus de trois fois les sommes investies par le pays dans les services dapprovisionnement en eau et dassainissement durant les années quatre-vingt (Banque mondiale, 1992).
Une fois polluée, leau devient impropre à lapprovisionnement des villes. En conséquence, celles-ci doivent se doter dinstallations de traitement coûteuses ou acheminer de leau propre par des canalisations sur de longues distances, ce qui revient beaucoup plus cher.
Dans les pays en développement de lAsie et du Pacifique, le coût des dommages écologiques a été estimé en 1985 par la Commission économique et sociale pour lAsie et le Pacifique (CESAP) à environ 3% du PNB, soit 250 milliards de dollars E.-U., tandis que pour réparer ces dommages il en coûterait approximativement 1%.
A la Commission de la santé et de lenvironnement de lOMS (1992a), le Groupe dexperts sur lénergie a recensé quatre grands problèmes liés à lénergie qui menacent ou vont menacer létat de lenvironnement:
Lévaluation quantitative des risques pathologiques engendrés par différents systèmes énergétiques nécessite une estimation globale à toutes les étapes dun cycle du combustible, depuis lextraction des ressources dénergie brutes jusquà leur consommation finale. Pour que lon puisse faire des comparaisons valables entre les technologies, il importe que les méthodes, les données et lusage ultime du combustible soient semblables et établis avec précision. Lorsquon cherche à quantifier les effets de la demande des usagers, il convient de calculer les écarts concernant le rendement énergétique de différents appareils fonctionnant au moyen dun type dénergie ou de combustible donné.
Pour cet examen comparatif, on sappuie sur le principe du système énergétique de référence (Reference Energy System (RES)), qui décrit le cycle suivi par un combustible étape après étape, de lextraction à lélimination des déchets en passant par la transformation et la combustion. Grâce à un cadre de travail commun et simple, le RES permet de définir les flux dénergie et les données connexes utilisées pour lévaluation des risques. Le RES (voir figure 53.9) représente sous forme dun graphe les principales composantes dun système énergétique pour une année donnée, en apportant des précisions sur la consommation de la source dénergie, le transport du combustible, les procédés de transformation et les utilisations finales. Il donne ainsi un condensé des grandes caractéristiques du système énergétique mais aussi les moyens dévaluer les principaux effets des nouvelles technologies et nouvelles politiques sur les ressources, lenvironnement, la santé et léconomie.
En fonction des risques quelles posent pour la santé, les technologies du secteur de lénergie peuvent être classées en trois groupes:
La production délectricité a, sur la santé, des effets importants, qui sont récapitulés aux tableaux 53.7, 53.8 et 53.9.
Technique |
Risques professionnels |
Effets sur la santé publique |
Charbon |
Pneumoconiose des houilleurs |
Effets de la pollution atmosphérique |
Pétrole |
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction |
Effets de la pollution atmosphérique |
Schistes bitumineux |
Schistose |
Cancers provoqués par une exposition aux émissions lors de la distillation |
Gaz naturel |
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction |
Effets de la pollution atmosphérique |
Sables bitumineux |
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction |
Effets de la pollution atmosphérique |
Biomasse* |
Traumatismes dus à des accidents pendant la récolte et le traitement |
Effets de la pollution atmosphérique |
* Utilisée comme source d’énergie, que l’on considère habituellement comme étant renouvelable.
Technique |
Risques professionnels |
Effets sur la santé publique |
Energie géothermique |
Exposition à des gaz toxiques courante et accidentelle |
Maladies provoquées par une exposition à des saumures toxiques et à du sulfure d’hydrogène |
Energie hydro-électrique, classique et de basse chute |
Traumatismes dus aux accidents pendant la construction |
Traumatismes dus à une rupture de barrage |
Energie photo-voltaïque |
Exposition à des matériaux toxiques pendant la fabrication courante et accidentelle |
Exposition à des matériaux toxiques pendant la fabrication courante et accidentelle |
Energie éolienne |
Traumatismes dus aux accidents pendant la construction et l’exploitation |
|
Energie solaire thermique |
Traumatismes dus aux accidents pendant la fabrication |
Technique |
Risques professionnels |
Effets sur la santé publique |
Fission |
Cancers provoqués par une exposition aux rayonnements pendant l’extraction de l’uranium, le traitement du minerai ou du combustible, l’exploitation de la centrale et la gestion des déchets |
Cancers provoqués par une exposition aux rayonnements à tous les stades du cycle du combustible courante et accidentelle |
Comme dans le cas dautres sources dénergie, pour étudier les effets de la combustion de bois sur la santé, on a considéré, aux Etats-Unis, les effets obtenus en fournissant une unité dénergie, cest-à-dire la quantité nécessaire pour chauffer un million dannées-habitations. Elle est égale à 6 × 107 GJ, soit une quantité dénergie primaire de 8,8 × 107 GJ avec un rendement de 69%. Les effets sur la santé ont été évalués au stade de lextraction (ou de lexploitation dans le cas du bois), du transport et de la combustion. Pour le pétrole et le charbon, on sest fondé sur des travaux antérieurs (voir figure 53.10). On a retenu un facteur de ~2, pour les risques courus à lextraction, un facteur de ~3, pour les risques dincendie au domicile et un facteur excédant ±10 pour les risques de pollution atmosphérique. Si lon avait estimé les risques électriques nucléaires selon la même échelle, ils auraient été égaux à environ la moitié de ceux engendrés par lextraction de charbon.
Pour avoir une meilleure idée des risques, une bonne façon est de les comparer à ceux que court une seule personne qui appro-visionnerait une famille en bois de feu pendant 40 ans (voir figure 53.11). On obtient ainsi un risque total de décès égal à ~1,6 × 103 (cest-à-dire, ~0,2%). On peut le comparer au risque de décès dans un accident dautomobile aux Etats-Unis pendant le même laps de temps, ~9,3 × 103 (cest-à-dire ~1%), qui est cinq fois plus élevé. Lutilisation du bois présente des risques qui sont du même ordre que ceux des techniques de chauffage plus classiques. Les uns et les autres sont beaucoup moins importants que le risque global attribuable à dautres activités courantes et ils se prêtent aisément, sous de nombreux aspects, à des mesures préventives.
Les divers risques pour la santé peuvent se comparer comme suit:
Il est clair que les effets sur la santé dépendent de la quantité et du genre dénergie que lon utilise et quils diffèrent grandement dune région à lautre. Le bois de feu se classe au quatrième rang dans le monde, après le pétrole, le charbon et le gaz naturel. Près de la moitié des habitants de la planète, notamment ceux qui vivent dans les zones rurales et urbaines des pays en développement, en dépendent pour cuire leurs aliments et se chauffer (ils utilisent le bois ou son dérivé, le charbon de bois, ou bien, en leur absence, des résidus agricoles ou de la bouse). Le bois de feu représente plus de la moitié du bois consommé dans le monde; on atteint une proportion de 86% dans les pays en développement et de 91% en Afrique.
Quand on réfléchit aux sources dénergie nouvelles et renouvelables, comme lénergie solaire ou éolienne et les combustibles à base dalcool, il faut prendre en compte lensemble du «cycle du combustible» dans des secteurs comme lénergie photovoltaïque, qui utilisent des installations dont le fonctionnement ne présente théoriquement aucun danger, mais dont la fabrication peut créer des risques importants, souvent sous-estimés.
Pour faire face à cette difficulté, certains étendent le cycle du combustible à toutes les étapes de lélaboration dun système énergétique, en y incluant, par exemple, le béton que lon trouve dans lusine qui fabrique le verre des capteurs solaires. Quand on sest demandé quoi inclure dans le cycle, on a remarqué que lanalyse des étapes de fabrication de laval vers lamont conduit à un ensemble déquations simultanées dont la solution si elle est linéaire sexprime par une matrice de valeurs. Une telle façon de procéder est bien connue des économistes, qui parlent danalyses entrées-sorties; on a déjà fait les calculs voulus pour savoir dans quelle mesure chaque activité économique profite des autres, encore que, pour les catégories globales qui ne correspondent pas forcément avec exactitude aux étapes de fabrication, on ait intérêt à approfondir lexamen pour mesurer les dommages sur la santé.
Il nexiste pas une méthode qui satisfasse à elle seule à une analyse comparative des risques dans le secteur de lénergie. Chaque méthode a ses avantages et ses limites; chacune apporte des renseignements différents. Etant donné lincertitude inhérente aux analyses des risques pour la santé, il faut examiner les résultats fournis par toutes les méthodes pour obtenir limage la plus précise possible et pour mieux saisir lampleur des incertitudes qui subsistent.
Lurbanisation est lune des grandes caractéristiques du monde contemporain. Au début du XIXe siècle, environ 50 millions de personnes vivaient dans des zones urbaines. En 1975, elles étaient 1,6 milliard et, en lan 2000, on en comptait 3,1 milliards (Harpham, Lusty et Vaugham, 1988). Ces chiffres dépassent de loin ceux de la croissance de la population rurale.
Toutefois, lurbanisation a souvent eu des effets dommageables sur la santé des individus qui travaillent et vivent dans les villes. Dans une plus ou moins grande mesure, la construction de logements convenables et dinfrastructures urbaines ainsi que la maîtrise de la circulation nont pas progressé au même rythme que la croissance urbaine. Il en est résulté une multitude de problèmes de santé.
Partout dans le monde, les conditions de logement sont loin dêtre satisfaisantes. Au milieu des années quatre-vingt, par exemple, entre 40 et 50% des habitants de nombreuses villes de pays en développement vivaient dans des logements non conformes aux normes établies (OMS, 1992c). La situation sest aggravée depuis. Bien quils soient moins inquiétants dans les pays industriels, les problèmes de logement y sont fréquents: dégradation, surpeuplement et même présence de personnes sans domicile fixe.
Les principaux éléments de lenvironnement domestique qui influencent la santé et les risques qui leur sont associés sont présentés au tableau 53.10. La santé dun travailleur peut se ressentir de labsence de lun ou de plusieurs de ces éléments à son lieu de domicile. Dans les pays en développement, par exemple, quelque 600 millions de citadins habitent dans des maisons et des quartiers qui présentent une menace pour leur santé ou pour leur vie (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; OMS, 1992c).
Problèmes de logement |
Risques pour la santé |
Mauvaise maîtrise de la température |
Contrainte thermique, hypothermie |
Ventilation inadéquate (fumée dégagée par le foyer) |
Affections respiratoires aiguës et chroniques |
Poussière excessive |
Asthme |
Surpeuplement |
Accidents à domicile, transmission facilitée des maladies contagieuses (tuberculose, grippe, méningite) |
Feux ouverts mal contrôlés, protection insuffisante contre le kérosène ou le gaz en bouteille |
Brûlures |
Mauvaise finition des murs, sols ou plafonds (qui laissent entrer des vecteurs) |
Maladie de Chagas, peste, typhus, shigellose, hépatite, poliomyélite, maladie des légionnaires, fièvre récurrente, allergie à la poussière de maison |
Emplacement de la maison (près d’un foyer de vecteurs) |
Paludisme, bilharziose, filariose, trypanosomiase |
Emplacement de la maison (dans un secteur sujet à des catastrophes telles que glissements de terrain ou inondations) |
Accidents |
Défauts de construction |
Accidents |
Source: Hardoy, Cairncross et Satterthwaite 1990; Harpham, Lusty et Vaugham, 1988; Commission de la santé et de l’environnement de l’OMS, 1992b.
Les problèmes de logement peuvent aussi avoir une incidence directe sur la santé au travail, lorsque la personne exerce son activité au domicile. Cest le cas du personnel domestique et dun nombre croissant de petits producteurs qui possèdent une exploitation familiale. Ces derniers peuvent être dautant plus touchés que leurs procédés de production créent telle ou telle forme de pollution. Quelques études réalisées dans des entreprises de ce type ont révélé la présence de déchets dangereux qui provoquent, entre autres, des maladies cardio-vasculaires, des cancers de la peau, des troubles neurologiques, des cancers des bronches, de la photophobie et de la méthémoglobinémie infantile (Hamza, 1991).
La prévention des problèmes domestiques comprend ladoption de mesures aux différents stades de la mise à disposition de logements:
Limplantation dactivités industrielles dans le milieu résidentiel peut exiger des mesures de protection spéciales, en fonction de procédés de production particuliers.
Les types de solutions adoptées pour le logement peuvent varier grandement dun endroit à lautre, selon la situation sociale, économique, technique et culturelle. De nombreuses villes, grandes et petites, se sont dotées de lois sur lurbanisme et la construction, qui prévoient des mesures pour prévenir les risques sanitaires. Mais, bien souvent, ces lois ne sont pas appliquées, par ignorance, ou encore parce quil nexiste pas dappareil judiciaire ni les ressources financières nécessaires pour bâtir des logements convenables. Il est donc important non seulement dédicter des règlements appropriés (et de les mettre à jour), mais aussi de créer des conditions propres à leur application.
Le logement peut aussi avoir des conséquences dommageables sur la santé lorsquil nexiste pas de services de salubrité de lenvironnement suffisants, comme les services de ramassage des ordures, dapprovisionnement en eau, dassainissement et dévacuation des eaux. Les effets dune insuffisance de ces services dépassent toutefois le cadre strict du logement et peuvent engendrer des risques pour une ville dans son ensemble. Dans beaucoup dendroits, la qualité de ces services en est encore médiocre. Par exemple, entre 30 et 50% des déchets solides produits par les centres urbains ne sont pas ramassés. En 1985, on comptait 100 millions de personnes de plus quen 1975 qui nétaient pas alimentées en eau. Plus de 2 milliards dindividus ne possèdent pas dinstallation sanitaire pour lélimination des excréments (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; OMS, 1992c). Les médias citent fréquemment le cas dinondations ou dautres accidents attribuables à une mauvaise évacuation des eaux de ruissellement.
Les risques qui découlent dune déficience des services de salubrité de lenvironnement sont présentés au tableau 53.11. Il est aussi fréquent que des risques se répercutent dun type de service à lautre: contamination de leau courante à cause dun manque dinstallations dassainissement, dissémination des déchets par les eaux non drainées, etc. Pour donner un exemple de lampleur des problèmes dinfrastructure, parmi beaucoup dautres, rappelons quil meurt dans le monde un enfant toutes les vingt secondes pour cause de diarrhée fléau dû à linsuffisance des services de salubrité de lenvironnement.
Problèmes liés à la fourniture de services sanitaires |
Risques pour la santé |
Ordures non collectées |
Présence de pathogènes dans les déchets, vecteurs de maladies (principalement mouches et rats) qui se reproduisent ou se nourrissent dans les ordures, risques d’incendie, pollution des cours d’eau |
Insuffisance de la quantité ou de la qualité de l’eau |
Diarrhée, trachome, dermatoses infectieuses, infections portées par les poux, autres infections engendrées par la consommation d’aliments non lavés |
Absence d’équipements sanitaires |
Infections des voies digestives et orales (diarrhée, choléra, fièvre typhoïde), parasites intestinaux, filariose |
Absence d’égouts |
Accidents (inondations, glissements de terrain, effondrements de maisons), infections des voies digestives et orales, schistosomiase, maladies transmises par les moustiques (paludisme, dengue, fièvre jaune), filariose à Wuchereria bancrofti |
Source: Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; Commission de la santé et de l’environnement de l’OMS, 1992b.
Les travailleurs dont le cadre de travail immédiat ou élargi nest pas correctement pourvu de ce genre de services sont exposés à de nombreux risques professionnels. Ceux qui travaillent à la fourniture de services ou à lentretien des infrastructures urbaines, comme les éboueurs et les balayeurs, sont dautant plus exposés.
Certes, il existe des solutions techniques pour améliorer les services de salubrité de lenvironnement. On pensera, parmi beaucoup dautres, au recyclage des ordures (y compris aux moyens employés pour faciliter le travail des éboueurs), à lutilisation de différents véhicules de ramassage des ordures pour diverses viabilités (y compris dans les secteurs dhabitat spontané), aux dispositifs qui permettent déconomiser leau, au renforcement du dépistage des fuites deau et à des installations sanitaires peu coûteuses comme les latrines ventilées, les fosses septiques ou les conduites dégout de petit calibre.
Mais le succès de chaque solution dépend de son adaptation à la situation locale, ainsi que des ressources et des compétences que lon possède sur place pour la mettre en uvre. La volonté politique est fondamentale, mais pas suffisante. Les pouvoirs publics ont souvent de la difficulté à fournir des services urbains convenables par eux-mêmes. Pour réussir, il faut souvent faire collaborer les secteurs public, privé et bénévole. Le soutien et la participation pleine et entière des collectivités locales sont importants. Cela exige souvent que lon reconnaisse officiellement les nombreux quartiers illicites et semi-licites (notamment dans les pays en développement, mais pas uniquement) qui contribuent pour une grande part aux problèmes de santé en rapport avec lenvironnement. Les travailleurs préposés au ramassage des ordures ou à lentretien des installations de recyclage et des égouts, par exemple, doivent porter un équipement de protection spécial, comme des gants, une combinaison et un masque.
Les villes dépendent énormément des transports de surface pour le déplacement des personnes et des marchandises. Cest pourquoi lessor de lurbanisation partout dans le monde sest accompagné dune forte augmentation de la circulation. Or, celle-ci entraîne une multiplication des accidents. Environ 500 000 individus sont tués chaque année dans des accidents de la circulation, dont les deux tiers surviennent en milieu urbain ou périurbain. Par ailleurs, daprès de nombreuses études réalisées dans différents pays, on compte entre 10 et 20 blessés pour chaque décès. Parmi eux, beaucoup ont ensuite une incapacité de travail permanente ou prolongée (Urban Edge , 1990a; OMS, 1992b). Dans bien des cas, il sagit de personnes qui se rendent à leur travail ou en reviennent; depuis peu, cette catégorie daccident de la circulation est assimilée à un risque professionnel.
Selon des études de la Banque mondiale, les principales causes daccident de la circulation urbaine sont le mauvais état des véhicules, la dégradation du réseau routier, la présence de différents types dusagers (des piétons aux camions en passant par les animaux) dans une même rue ou une même voie, labsence de chemins pour les piétons et limprudence (des conducteurs comme des piétons) (Urban Edge , 1990a, 1990b).
Lexpansion de la circulation urbaine a aussi pour conséquence daggraver la pollution atmosphérique et sonore. Entre autres problèmes de santé, mentionnons les maladies respiratoires aiguës et chroniques, les affections malignes et les déficits auditifs (la pollution fait aussi lobjet dautres chapitres de lEncyclopédie ).
On ne manque pas de solutions techniques pour améliorer la sécurité des routes et des voitures (de même que pour réduire la pollution). Le plus difficile semble être de changer la mentalité des conducteurs, des piétons et des autorités. On recommande souvent de faire un travail déducation en matière de sécurité routière de lécole primaire aux campagnes des médias pour toucher les conducteurs et les piétons (lorsquils sont appliqués, les programmes de ce type remportent souvent un certain succès). Les autorités ont pour responsabilité dédicter et de faire respecter des règlements de la circulation, dinspecter les véhicules, de concevoir et de mettre en application des mesures de prévention technique. Malheureusement, daprès les études susmentionnées, il est rare que ces autorités accordent une grande importance aux accidents de la circulation (ou à la pollution) ou quelles aient les moyens de faire de la prévention dans ce domaine (Urban Edge , 1990a, 1990b). Il importe donc que les services publics dépendant de ces autorités soient aussi la cible des campagnes déducation et quon les soutienne dans leur travail.
Outre les problèmes déjà cités (logement, services, circulation), le développement global du tissu urbain a aussi une incidence sur la santé. Premièrement, les zones urbaines sont généralement densément peuplées, ce qui facilite la transmission des maladies contagieuses. Deuxièmement, ces zones attirent un nombre important dindustries, avec la pollution quelles engendrent. Troisièmement, de par lurbanisation, les foyers naturels des vecteurs de maladies peuvent se trouver inclus dans les nouvelles zones urbaines et les vecteurs de maladies peuvent avoir ainsi de nouvelles niches. Des vecteurs peuvent sadapter aux nouveaux habitats (urbains), par exemple ceux du paludisme urbain, de la dengue et de la fièvre jaune. Quatrièmement, lurbanisation a souvent des conséquences psychosociales telles que le stress, laliénation, linstabilité et linsécurité, lesquelles engendrent à leur tour des problèmes comme la dépression, lalcoolisme et la toxicomanie (Harpham, Lusty et Vaugham, 1988; OMS, 1992b).
Certaines expériences passées ont montré quil est possible (et nécessaire) de remédier aux problèmes de santé en améliorant la situation en milieu urbain. Par exemple «... la remarquable diminution des taux de mortalité et lamélioration de la situation sanitaire en Europe et en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle sexpliquent plus par une amélioration de lalimentation, de lapprovisionnement en eau, des installations sanitaires et des conditions de logement et de vie sous dautres aspects que par lessor de la médecine» (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990).
Pour résoudre les problèmes croissants de lurbanisation, il faut une bonne intégration entre lurbanisme et la gestion urbaine (qui sont souvent séparés) et la participation des différents acteurs publics, privés et bénévoles qui opèrent dans le milieu urbain. Lurbanisation touche un large éventail de travailleurs. Contrairement à dautres sources ou dautres types de problèmes de santé (qui peuvent toucher des catégories précises de travailleurs), les risques professionnels issus de lurbanisation ne peuvent être traités par une simple action ou pression des syndicats. Ils requièrent une action intersectorielle ou, mieux, une action de la part de la collectivité urbaine en général.
Les principaux gaz à effet de serre (GES) comprennent le dioxyde de carbone, le méthane, loxyde nitreux, la vapeur deau et les chlorofluorocarbures (CFC). Ces gaz permettent à la lumière du soleil de pénétrer jusquà la surface de la terre, mais empêchent la chaleur radiante infrarouge de séchapper. Daprès les conclusions du Groupe intergouvernemental dexperts des Nations Unies sur lévolution du climat (IPCC), les émanations gazeuses, notamment celles provenant de lindustrie, et la destruction des «puits» des gaz à effet de serre (en raison dune mauvaise utilisation des terres et, principalement, du déboisement) font que les concentrations de GES ont augmenté fortement au-delà de celles résultant des processus naturels. Sans un changement radical de politique, on prévoit que les taux de dioxyde de carbone préindustriel vont grimper, ce qui fera augmenter la température moyenne de la planète de 1 à 3,5 °C dici à 2100.
Les deux principales composantes du changement climatique sont: 1) une élévation de la température qui saccompagne de conditions atmosphériques instables et extrêmes; 2) une élévation du niveau de la mer due à la thermoexpansion. Ce changement peut entraîner une augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et des épisodes de pollution atmosphérique dangereux, une diminution de lhumidité du sol, une incidence accrue des accidents climatiques et des inondations côtières (IPCC, 1992). Sur le plan sanitaire, le changement climatique peut aboutir à une aggravation des phénomènes suivants: 1) mortalité et morbidité en rapport avec la chaleur; 2) maladies infectieuses, notamment celles qui sont transmises par des insectes; 3) malnutrition due à la pénurie daliments; 4) sursollicitation des infrastructures sanitaires publiques découlant de catastrophes climatiques et de lélévation du niveau de la mer, aggravée par des migrations humaines attribuables au climat (voir figure 53.12).
Lêtre humain possède une très bonne capacité dadaptation aux conditions climatiques et environnementales. Mais lampleur des changements climatiques et écologiques prévus préoccupe le corps médical et les spécialistes des sciences de la terre. Beaucoup de problèmes de santé découleront de conséquences écologiques de la modification du climat. La propagation de maladies transmises par un vecteur, par exemple, dépendra de la façon dont évolueront la végétation, la présence de réservoirs dhôtes ou dhôtes intermédiaires, conjointement avec des effets directs des variations de température et dhumidité sur les parasites et leurs vecteurs (Patz et coll., 1996). Pour bien comprendre les conséquences du changement climatique, il faudra donc une évaluation complète des risques écologiques, ce qui exigera des moyens nouveaux et complexes comparativement à la méthode classique qui consiste à analyser pour un seul agent les rapports de cause à effet à partir de données empiriques (McMichael, 1993).
Lappauvrissement de lozone stratosphérique résulte principalement de réactions avec des radicaux libres halogénés de chlorofluorocarbures (CFC), ainsi quà dautres hydrocarbures halogénés et du bromure de méthyle (Molina et Rowland, 1974). Plus précisément, lozone empêche la pénétration des rayonnements ultraviolets B (UV-B), qui couvrent les longueurs donde biologiquement les plus destructrices (290-320 nanomètres). On sattend à ce que la quantité dUV-B augmente dune façon disproportionnée dans les zones tempérées et arctiques, car il est maintenant clair que plus la latitude est élevée, plus la couche dozone diminue (Stolarski et coll., 1992).
On a calculé que pendant la période 1979-1991, la couche dozone a diminué en moyenne de 2,7% tous les dix ans, compte tenu des cycles solaires et dautres facteurs (Gleason et coll., 1993). En 1993, des chercheurs de Toronto (Canada) ont découvert, grâce à un nouveau spectroradiomètre très sensible, que lappauvrissement de lozone stratosphérique avait provoqué localement une augmentation du rayonnement dUV-B ambiant de 35% en hiver et de 7% en été par rapport à 1989 (Kerr et McElroy, 1993). Daprès des calculs antérieurs du Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE), une diminution de 1% de lozone stratosphérique devrait entraîner une augmentation de 1,4% des UV-B (PNUE, 1991a).
La réduction de lozone stratosphérique, qui provoque une augmentation du rayonnement UV-B ambiant, a des retombées directes sur la santé: cancers de la peau, troubles oculaires et immunosuppression auxquels peuvent sajouter des effets indirects dus à une détérioration des cultures par les rayons ultraviolets.
Physiologiquement parlant, les êtres humains possèdent une grande capacité de thermorégulation, cela jusquà un certain seuil. Lorsque la chaleur ambiante dépasse ce seuil et persiste pendant plusieurs jours consécutifs, la mortalité augmente. Facteur aggravant, les mauvaises conditions de logement sajoutent, dans certaines villes, à la concentration de chaleur en milieu urbain. A Shanghai, par exemple, les écarts peuvent atteindre 6,5 °C les soirées dhiver sans vent (IPCC, 1990). La plupart des décès qui résultent de la chaleur se produisent dans le groupe des personnes âgées et sont attribués à des troubles cardio-vasculaires et respiratoires (Kilbourne, 1989). Certaines variables météorologiques clés contribuent à faire augmenter la mortalité explicable par la chaleur, la principale étant la température élevée observée pendant la nuit. On pense que leffet de serre va faire sensiblement grimper ces températures minimales (Kalkstein et Smoyer, 1993).
On sattend à ce que les régions tempérées et polaires se réchauffent comparativement davantage que les zones tropicales et subtropicales (IPCC, 1990). Si lon en croit les prévisions de lAdministration nationale de laérospatiale américaine (National Aeronautics and Space Administration (NASA)), un doublement du taux de CO2 ambiant entraînera, par exemple, une augmentation de 3,1 et 3,9 °C, respectivement, de la température moyenne en été à New York et à Saint Louis. Même si lon tient compte de lacclimatation physiologique, le taux de mortalité enregistré chaque année en été dans des villes tempérées de ce type pourrait plus que quadrupler (Kalkstein et Smoyer, 1993).
Les réactions chimiques qui se produisent dans latmosphère contribuent fortement à la formation du smog photochimique urbain, phénomène dans lequel la photodécomposition de NO2 en présence de composés organiques volatils produit de lozone troposphérique (au voisinage du sol). Laugmentation du rayonnement UV ambiant et laugmentation de la température accélèrent toutes deux ces réactions. Les effets nocifs de la pollution atmosphérique sur la santé sont bien connus, et lutilisation continue de combustibles fossiles ne fera quajouter aux maladies aiguës et chroniques (voir larticle intitulé «La pollution atmosphérique» dans le présent chapitre).
Des modèles qui reproduisent à la fois la circulation générale de latmosphère et des océans nous font prévoir que cest aux latitudes élevées de lhémisphère Nord que la température à la surface de la terre se réchauffera le plus, daprès les hypothèses de lIPCC (IPCC, 1992). Selon toute vraisemblance, les températures minimales en hiver changeront dune manière disproportionnée, en conséquence de quoi certains virus et parasites atteindront des régions dans lesquelles ils ne pouvaient vivre auparavant. Outre les effets directs du climat sur les vecteurs, la transformation des écosystèmes pourrait avoir une forte incidence sur des maladies pour lesquelles lextension géographique du vecteur, ou du réservoir de lhôte, est définie par ces écosystèmes.
Les maladies transmises par un vecteur pourront sétendre aux régions tempérées des deux hémisphères et sintensifier dans les zones où elles ont un caractère endémique. La température détermine linfectiosité des vecteurs en influant sur la réplication des pathogènes, leur maturation et leur période dinfectiosité (Longstreth et Wiseman, 1989). Une élévation de la température et de lhumidité peut aussi accroître lagressivité de certaines espèces de moustiques. Une chaleur extrême, en revanche, peut raccourcir la durée de vie dun insecte.
Les maladies infectieuses qui font intervenir dans leur cycle de vie une espèce à sang froid (invertébrée) sont les plus sensibles aux variations climatiques légères (Sharp, 1994). Parmi les maladies dont lagent infectieux, le vecteur ou lhôte sont influencés par le changement climatique, on compte le paludisme, la schistosomiase, la filariose, la leishmaniose, lonchocercose (cécité des rivières), la trypanosomiase (maladie de Chagas et maladie du sommeil), la dengue, la fièvre jaune et lencéphalite à arbovirus. Le nombre de personnes exposées à ces maladies est donné au tableau 53.12 (OMS, 1990c).
N° a |
Maladie |
Population menacée (millions)b |
Prévalence de l’infection (millions) |
Répartition actuelle |
Evolution possible de la répartition à cause des changements climatiques |
1. |
Paludisme |
2 100 |
270 |
Zones tropicales/ subtropicales |
++ |
2. |
Filariose lymphatique |
900 |
90,2 |
Zones tropicales/ subtropicales |
+ |
3. |
Onchocercose |
90 |
17,8 |
Afrique/ Amérique du Sud |
+ |
4. |
Schistosomiase |
600 |
200 |
Zones tropicales/ subtropicales |
++ |
5. |
Maladie du sommeil |
50 |
(25 000 nouveaux cas/an) |
Afrique tropicale |
+ |
6. |
Leishmaniose |
350 |
12 millions infectés |
Asie/ Europe du Sud/ Afrique/ Amérique du Sud |
? |
7. |
Dracunculiose |
63 |
1 |
Zones tropicales (Afrique/Asie) |
0 |
Maladies à arbovirus |
|||||
8. |
Dengue |
1 500 |
Zones tropicales/ subtropicales |
++ |
|
9. |
Fièvre jaune |
+++ |
Afrique/ Amérique latine |
+ |
|
10. |
Encéphalite japonaise |
+++ |
Asie de l’Est et du Sud-Est. |
+ |
|
11. |
Autres maladies à arbovirus |
+++ |
+ |
a Les chiffres renvoient aux explications données dans le texte.b Sur la base d’une population mondiale estimée à 4,8 milliards (1989).
0 = peu probable; + = probable; ++ = très probable; +++ = absence d’estimation; ? = inconnu.
Parmi les maladies transmises par un vecteur, le paludisme est la plus répandue dans le monde, provoquant entre 1 et 2 millions de morts par an. Selon Martens et coll. (1995), il pourrait sy ajouter 1 million de pertes humaines attribuables au changement climatique dici au milieu du siècle prochain. Le territoire de lanophèle, moustique vecteur du paludisme, sétend jusquà lisotherme hivernal de 16 °C, ce parasite ne pouvant se développer au-dessous de cette température (Gilles et Warrell, 1993). La survenue dune épidémie à des altitudes plus élevées coïncide en général avec des températures supérieures à la moyenne (Loevinsohn, 1994). Le déboisement favorise aussi le paludisme, étant donné que de nombreuses masses deau douce où la larve danophèle peut prospérer se forment dans les zones défrichées (voir larticle intitulé «Lextinction despèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine» dans ce chapitre).
Les efforts déployés depuis deux décennies pour lutter contre le paludisme nont donné que des résultats médiocres. Le traitement ne sest pas amélioré, la résistance aux médicaments étant devenue le principal problème posé par la souche la plus virulente, Plasmodium falciparum , et les vaccins antipaludiques ne savèrent que dune efficacité limitée (Institute of Medicine, 1991). La grande capacité de variation antigénique des protozoaires a, jusquà présent, empêché la mise au point de vaccins efficaces contre le paludisme et la maladie du sommeil, ce qui laisse craindre que lon ne puisse disposer avant longtemps de nouveaux produits pharmaceutiques contre ces maladies. Les maladies transmises par un hôte intermédiaire (comme le cerf et les rongeurs dans le cas de la maladie de Lyme) rendent quasiment impossible une immunisation des populations humaines avec des vaccins, obstacle supplémentaire à une prévention médicale.
A mesure que le changement climatique modifiera lhabitat, risquant ainsi de porter atteinte à la biodiversité, les insectes vecteurs devront trouver de nouveaux hôtes (voir larticle intitulé «Lextinction despèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine», dans le présent chapitre). Au Honduras, par exemple, des insectes hématophages comme le scarabée tueur, porteur de lincurable maladie de Chagas (ou la trypanosomiase américaine), se replient sur lêtre humain à cause dune diminution de la biodiversité provoquée par le déboisement. Sur les 10 601 Honduriens que lon a étudiés dans des régions touchées par lendémie, 23,5% sont aujourdhui séropositifs à la maladie de Chagas (Sharp, 1994). Des zoonoses sont souvent à lorigine dinfections chez lhumain, quelles atteignent en général après une modification de lenvironnement ou de lactivité humaine (Institute of Medicine, 1992). Beaucoup de maladies émergentes chez lhumain ont en fait depuis longtemps des animaux pour hôtes. Lhantavirau , par exemple, dont on a appris dernièrement quil est la cause de décès humains dans le sud-ouest des Etats-Unis, est connu depuis longtemps pour sattaquer aux rongeurs, et on pense que léclosion récente de cette infection a un lien avec les conditions climatiques et écologiques (Wenzel, 1994).
Le changement climatique peut aussi influencer la santé de la population de par ses effets sur la prolifération des variétés nocives de phytoplancton marin (ou dalgues). Globalement, le développement du phytoplancton résulte dune mauvaise maîtrise de lérosion, de lusage immodéré dengrais en agriculture et du déversement deaux usées le long des côtes, autant de phénomènes qui produisent des effluents riches en nutriments propices à une prolifération des algues. Celle-ci pourrait être favorisée encore davantage par une élévation de la température en surface des océans, conséquence prévisible du réchauffement planétaire. La pêche et la récolte de coquillages (consommateurs dalgues) pratiquées de manière excessive, ajoutées à une utilisation généralisée de pesticides toxiques pour les poissons, contribuent également à la prolifération du plancton (Epstein, 1995).
Les diarrhées et maladies paralysantes provoquées par les marées rouges, ainsi que les amnésies dues à une intoxication par les coquillages, sont de bons exemples de maladies résultant de la prolifération des algues. On sait que le phytoplancton marin peut être lhôte du Vibrio cholerae ; les algues pourraient donc constituer un véritable réservoir pour les épidémies de choléra (Huq et coll., 1990).
La malnutrition est une cause importante de mortalité infantile et de maladie chez lenfant à cause de limmunosuppression (voir «Lalimentation et lagriculture»). Le changement climatique risque davoir sur lagriculture des effets négatifs à la fois durables, comme la réduction de lhumidité du sol du fait de lévapotranspiration, et des effets plus immédiats, sous la forme de phénomènes atmosphériques extrêmes tels que sécheresse, inondations (et érosion) et tempêtes tropicales. Au début, certains végétaux pourront profiter de la «fertilisation au CO2», qui facilite la photosynthèse (IPCC, 1990). Cependant, même dans ce cas, lagriculture des pays en développement sera la plus touchée et on calcule, que, dans ces régions, entre 40 et 300 millions dindividus supplémentaires seront menacés par la famine à cause de lévolution du climat (Sharp, 1994).
Il faudra aussi prendre en compte les changements écologiques indirects qui influent sur les cultures, car la distribution des populations de parasites dans lagriculture pourrait se modifier (IPCC, 1992) (voir «Lalimentation et lagriculture»). Vu la dynamique complexe des écosystèmes, il ne faudra pas se contenter, pour faire une évaluation complète, dexaminer les conséquences directes des changements de latmosphère et de létat du sol.
Sous linfluence de leur expansion thermique, les océans pourront voir leur niveau sélever à un rythme relativement rapide de 2 à 4 cm tous les dix ans, et on prévoit que le cycle hydrologique atteindra des extrêmes qui engendreront un grand nombre de désastres climatiques et de tempêtes. Des phénomènes de ce type endommageront directement les logements et les infrastructures de santé publique, entre autres les réseaux dassainissement et les égouts deaux pluviales (IPCC, 1992). Les populations habitant dans les terres basses le long des côtes et sur de petites îles, les plus exposées, devront migrer vers des régions plus sûres. Un surpeuplement et de mauvaises conditions sanitaires parmi ces «réfugiés climatiques» pourront amplifier la propagation de maladies infectieuses comme le choléra, et les maladies transmises par un vecteur se répandront à un rythme accéléré vu la promiscuité et, éventuellement, larrivée massive dindividus infectés (OMS, 1990c). La situation pourra être aggravée par le débordement dégouts, et il faudra aussi tenir compte des conséquences psychologiques du syndrome de stress post-traumatique qui suivra les grandes tempêtes.
Les réserves deau douce vont diminuer à cause de la pénétration du sel dans les nappes aquifères côtières et de la salinisation ou de linondation pure et simple de terres agricoles côtières, qui seront ainsi perdues. Une élévation de 1 m du niveau de la mer, par exemple, fera reculer lagriculture de 15 et 20% en Egypte et au Bangladesh, respectivement (IPCC, 1990). Comme dans le cas des sécheresses, les méthodes dirrigation adaptées pourraient avoir des répercussions sur les sites de reproduction des arthropodes et des invertébrés vecteurs (à linstar de la schistosomiase en Egypte), mais il sera difficile dévaluer les avantages de ces méthodes par rapport à leur coût.
Lozone empêche la pénétration des rayonnements ultraviolets B (UV-B), dont la longueur donde de 290 à 320 nanomètres est la plus nocive pour la santé. Les UV-B entraînent la formation de dimères de pyrimidine dans les molécules dADN, qui peuvent évoluer en cancer si cette formation nest pas réversible (CIRC, 1992). Les cancers de la peau non mélaniques (épithéliome malpighien ou basocellulaire) et les mélanomes malins à extension superficielle sont corrélés à lexposition au soleil. Dans les pays occidentaux, lincidence du mélanome a progressé de 20 à 50% tous les cinq ans au cours des deux dernières décennies (Coleman et coll., 1993). Sil nexiste pas de lien direct entre des expositions cumulatives aux ultraviolets (UV) et lapparition dun mélanome, une exposition excessive aux UV pendant lenfance, en revanche, explique une telle incidence. Si la couche dozone stratosphérique diminuait durablement de 10%, le nombre de cancers de la peau non mélaniques pourrait augmenter de 26% par an, soit de 300 000 cas dans le monde, et le nombre de mélanomes malins de 20%, soit de 4 500 cas par an toujours (PNUE, 1991a).
La cataracte explique la moitié des cas de cécité dans le monde (17 millions de victimes par an) et est liée aux rayonnements UV-B selon une relation dose-réponse (Taylor, 1990). Les acides aminés et les systèmes de transport membranaire dans le cristallin sont particulièrement sujets à une photo-oxydation par des radicaux oxygène provenant de rayonnements UV-B (CIRC, 1992). Un doublement de lexposition aux UV-B pourrait entraîner une augmentation de 60% du nombre de cataractes corticales par rapport aux chiffres actuels (Taylor et coll., 1988). Le Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE) calcule quune perte durable de 10% de la couche dozone stratosphérique pourrait faire apparaître presque 1,75 million de cataractes supplémentaires par an (PNUE, 1991a). Une exposition aux UV-B peut avoir aussi dautres effets oculaires: photokératites, photokérato-conjonctivites, pinguécula et ptérygion (ou croissance exagérée de lépithélium conjonctival), kératite bulleuse (CIRC, 1992).
Laptitude du système immunitaire à bien fonctionner dépend du traitement de lantigène «local» et de sa présentation aux lymphocytes, ainsi que de laugmentation du pouvoir de réaction «systémique» par la production de lymphokine (messager biochimique) et des ratios résultants entre lymphocytes amplificateurs et lymphocytes suppresseurs. Les UV-B provoquent une immunosuppression à deux niveaux. Chez lanimal, les UV-B peuvent influencer le cours de maladies cutanées infectieuses, comme lonchocercose, la leishmaniose et la dermatophytose, et entraver limmunosurveillance des cellules épidermiques transformées, précancéreuses. Les études préliminaires mettent aussi en évidence une influence sur lefficacité des vaccins (Kripke et Morison, 1986; CIRC, 1992).
Les végétaux ne sont apparus sur terre quaprès la formation du bouclier dozone, étant donné que les UV-B empêchent la photosynthèse (PNUE, 1991a). La fragilisation des cultures alimentaires sensibles aux UV-B pourrait aggraver les effets que le changement climatique et lélévation du niveau de la mer auront sur lagriculture.
Le phytoplancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine, sert aussi dimportant «puits» pour le dioxyde de carbone. Cest pourquoi les dommages créés par les UV à ces algues dans les régions polaires altèrent la chaîne trophique marine et exacerbent leffet de serre. Selon le PNUE, une diminution de 10% du phytoplancton marin ferait baisser de 5 gigatonnes la quantité de CO2 absorbée chaque année par les océans, ce qui équivaut aux émanations annuelles produites par la consommation de combustibles fossiles (PNUE, 1991a).
Pour réduire les GES produits par les combustibles fossiles, il faudra développer les sources dénergie renouvelables. Les dangers créés par lénergie nucléaire dans la population et sur le lieu de travail sont bien connus et il sera nécessaire de sauvegarder les installations, le personnel et le combustible irradié. Le méthanol peut remplacer une bonne partie de lessence; mais le formaldéhyde quil émet présentera un nouveau risque environnemental. Les matériaux supraconducteurs qui permettent de transporter efficacement lélectricité sont surtout des céramiques composées de calcium, de strontium, de baryum, de bismuth, de thallium et dyttrium.
On sait moins comment est assurée la sécurité des gens travaillant dans les usines qui fabriquent des unités de captage de lénergie solaire. Pour produire des cellules photovoltaïques, on se sert essentiellement de silicone, de gallium, dindium, de thallium, darsenic et dantimoine. Le silicium et larsenic sont nocifs pour les poumons; le gallium se concentre dans les reins, le foie et les os; et sous ses formes ionisées, lindium est néphrotoxique.
Les effets destructeurs des CFC sur la couche dozone stratosphérique ont été reconnus dans les années soixante-dix, et cest en 1978 que lAgence de protection de lenvironnement (Environmental Protection Agency (EPA)), aux Etats-Unis, a interdit lutilisation de ces gaz inertes dans les aérosols. En 1985, la prise de conscience du problème sest amplifiée lorsquune équipe britannique basée dans lAntarctique découvrit le «trou» dans la couche dozone (Farman, Gardiner et Shanklin, 1985). La signature du Protocole de Montréal en 1987, modifié en 1990 et 1992, a déjà rendu obligatoire une forte réduction de la production de CFC.
Les produits chimiques de remplacement des CFC sont les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) et les hydrofluorocarbures (HFC). La présence de latome dhydrogène peut faciliter la dégradation de ces composés par des radicaux hydroxyles (OH)dans la troposphère, réduisant dautant les risques dappauvrissement de lozone stratosphérique. Sur le plan biologique, cependant, ces produits de remplacement des CFC réagissent davantage que les CFC. Lexistence dun lien C-H rend ces produits chimiques sujets à une oxydation par le cytochrome P-450.
Pour relever les défis de santé publique posés par les mutations du climat planétaire, il faudra: 1) adopter une démarche écologique intégrée; 2) réduire les gaz à effet de serre en limitant les émissions industrielles, réglementer lutilisation des sols pour maximiser létendue des «puits» de CO2 et établir des politiques démographiques qui permettent datteindre ces deux objectifs; 3) surveiller lévolution dindicateurs biologiques à léchelle régionale et mondiale; 4) adapter les politiques de santé publique pour limiter les incidences du changement climatique inévitables; 5) assurer une coopération entre pays développés et en développement. En bref, il faudra veiller à une intégration accrue des politiques denvironnement et de santé publique.
Le changement climatique et lappauvrissement de lozone saccompagnent dun nombre considérable de risques pour la santé à différents niveaux et mettent en lumière le rapport important qui existe entre la dynamique des écosystèmes et le maintien en bonne santé des êtres humains. Les mesures préventives doivent donc être fondées sur une vision systémique et anticiper les importantes réactions écologiques au changement climatique, ainsi que les risques physiques directs prévus. Au moment dévaluer les risques écologiques, il faudra examiner certains éléments clés, dont les variations spatiales et temporelles, les mécanismes de rétroaction et lutilisation dorganismes inférieurs comme bio-indicateurs primaires.
Le fait de réduire les gaz à effet de serre en passant des combustibles fossiles à des sources dénergie renouvelables représente le principal moyen de prévenir le changement climatique (prévention primaire). De la même façon, une planification stratégique de lutilisation des sols et une stabilisation de la charge sur lenvironnement due à la population humaine permettront de préserver dimportants «puits» naturels de gaz à effet de serre.
Comme on ne pourra peut-être pas éviter certains changements climatiques, il faudra un travail de coordination sans précédent pour faire de la prévention secondaire sous la forme dune détection précoce grâce au contrôle de paramètres sanitaires. Pour la première fois de lhistoire, des tentatives sont effectuées pour surveiller le système terrestre dans son intégralité. Le Système mondial dobservation du climat comprend la Veille météorologique mondiale et la Veille de latmosphère du globe de lOrganisation météorologique mondiale (OMM), ainsi que des éléments du Système mondial de surveillance continue de lenvironnement du PNUE. Le Système mondial dobservation des océans est le fruit dune entreprise commune entre la Commis-sion océanographique intergouvernementale de lOrganisation des Nations Unies pour léducation, la science et la culture (UNESCO), lOMM et le Conseil international des unions scientifiques (International Council of Scientific Unions (ICSU)). On utilisera à la fois le satellite et des dispositifs sous-marins pour mesurer les changements survenant dans le milieu marin. Le Système mondial dobservation de la terre est un nouveau système parrainé par le PNUE, lUNESCO, lOMM, lICSU et lOrganisation pour lalimentation et lagriculture (FAO), qui apportera lélément terrestre au Système mondial dobservation du climat (OMM, 1992).
Les moyens dadaptation qui permettent de limiter les problèmes de santé inévitables comprennent les programmes de préparation aux catastrophes, des mesures durbanisme pour limiter leffet des «îlots» de chaleur et améliorer le logement, des plans doccupation des sols pour réduire lérosion, les crues subites et le déboisement inutile (on arrêtera, par exemple, la création de grands pâturages pour la production de viande dexportation), les changements de comportement personnel (comme la renonciation aux bains de soleil), la lutte contre les vecteurs et une multiplication des campagnes de vaccination. Il faudra réfléchir aux coûts imprévus des mesures dadaptation prises pour mettre fin, par exemple, à un usage accru des pesticides. Une trop grande dépendance à légard des pesticides non seulement aboutit à une résistance des insectes, mais élimine aussi des prédateurs naturels utiles. Les effets dommageables des pesticides sur la santé publique et lenvironnement ont un coût que lon situe aujourdhui entre 100 et 200 milliards de dollars E.-U. par an (Institute of Medicine, 1991).
Les pays en développement souffriront nettement plus des conséquences du changement climatique que les pays industriels, qui sont pourtant les principaux responsables des rejets de GES dans latmosphère. A lavenir, les pays pauvres influeront beaucoup plus sur le cours du réchauffement planétaire, à la fois de par les technologies quils emploieront à mesure quils se développeront, et de par leur politique doccupation des sols. Les pays développés vont devoir adopter des politiques énergétiques plus respectueuses de lenvironnement et transférer rapidement aux pays en développement des technologies nouvelles (à un prix abordable).
Lencéphalite transmise par le moustique et la dengue sont de bons exemples de maladies dues à un vecteur dont lextension est limitée par le climat. Les épidémies dencéphalite de Saint Louis (ESL), lencéphalite arbovirale la plus commune aux Etats-Unis, surviennent généralement au sud de lisotherme de 22 °C de juin, mais des flambées peuvent se produire plus au nord pendant des années anormalement chaudes. Chez lêtre humain, elles se manifestent très souvent après plusieurs jours où la température dépasse 27 °C (Shope, 1990). Des études sur le terrain révèlent quune élévation de 1 °C de la température raccourcit nettement le temps écoulé entre le moment où un moustique pompe sa dose de sang et celui où le virus sest suffisamment reproduit pour devenir infectieux à lintérieur du vecteur (période dincubation extrinsèque). Une fois les corrections faites pour tenir compte dune résistance réduite des moustiques aux températures élevées, on prévoit une extension nette des épidémies dESL vers le nord (Reeves et coll., 1994), consécutive à une augmentation de la température de 3 à 5 °C. Le territoire dAedes aegypti , vecteur primaire de la dengue (et de la fièvre jaune), sétend jusquà une latitude de 35° parce que le gel tue les larves comme les adultes. La dengue est très répandue aux Antilles, en Amérique tropicale, en Océanie, en Asie, en Afrique et en Australie. Depuis 15 ans, les épidémies de dengue deviennent plus nombreuses et plus graves, notamment dans les centres urbains des régions tropicales. La fièvre hémorragique de la dengue se classe aujourdhui parmi les principales causes dhospitalisation et de mortalité chez les enfants en Asie du Sud-Est (Institute of Medicine, 1992). La progression observée en Asie il y a 20 ans est en train de se répéter dans les Amériques. Il se pourrait que le changement climatique agisse sur la transmission de la dengue. En 1986, on a constaté au Mexique que le plus important indicateur de la dengue était la température médiane pendant la saison des pluies, avec un risque corrigé quadruple entre 17 °C et 30 °C (Koopman et coll., 1991). Les vérifications effectuées en laboratoire vont dans le même sens. In vitro, la période dincubation extrinsèque pour le virus de type 2 de la dengue était de 12 jours à 30 °C et de seulement 7 jours entre 32 et 35 °C (Watts et coll., 1987). Ce raccourcissement de 5 jours attribuable à la température pourrait équivaloir à un triplement des risques de transmission de la maladie (Koopman et coll., 1991). Enfin, lélévation des températures donne des insectes à lâge adulte plus petits, qui doivent piquer plus souvent pour pouvoir produire un couvain. En résumé, une élévation des températures peut créer une population de moustiques plus infectieux et plus voraces (Focks et coll., 1995). |
1 Cet article a été adapté avec l'aimable autorisation de Chivian, E., 1993: «Species extinction and biodiversity loss: The implications for human health», dans E. Chivian, M. McCally, H. Hu et A. Haines (directeurs de publication): Critical Condition: Human Health and the Environment (Cambridge, Massachusetts et Londres, MIT Press). Remerciements à E.O. Wilson, Richard Schultes, Stephen Morse, Andrew Spielma, Paul Epstein, David Potter, Nan Vance, Rodney Fujita, Michael Balick, Suzn Strobel et Edson Albuquerque
Lactivité humaine entraîne lextinction despèces animales, végétales et microbiennes mille fois plus vite quau rythme naturel (Wilson, 1992), extinction qui est probablement lune des plus importantes de lhistoire de la géologie. Lorsque lHomo sapiens est apparu, il y a quelque 100 000 ans, le nombre despèces quabritait la Terre était le plus important de tous les temps (Wilson, 1989). Au rythme où les espèces disparaissent aujourdhui, on est en train de retomber au niveau le plus bas depuis lépoque des dinosaures, il y a 65 millions dannées, puisquon estime quun quart des espèces seront éteintes dans 50 ans (Ehrlich et Wilson, 1991).
En plus de poser des dilemmes éthiques nous navons pas le droit de tuer dinnombrables autres organismes, dont beaucoup étaient sur la planète des dizaines de millions dannées avant nous , ce comportement ne peut quaboutir à une autodestruction, en rompant le fragile équilibre écologique sur lequel repose toute forme de vie, y compris la nôtre, en détruisant la diversité biologique qui rend les sols fertiles, qui produit lair que nous respirons et qui nous fournit les aliments et dautres produits naturels vitaux, dont le plus grand nombre reste à découvrir.
Laccroissement exponentiel de la population humaine et, parallèlement, laugmentation encore plus forte de la consommation de ressources naturelles et de la production de déchets sont les principaux facteurs qui menacent la survie des autres espèces. Le réchauffement de la planète, les pluies acides, lappauvrissement de lozone stratosphérique et le rejet de produits chimiques toxiques dans lair, le sol et les écosystèmes deau douce et salée conduisent tous à une diminution de la biodiversité. Mais cest la destruction dhabitats par les activités humaines, notamment le déboisement, qui constitue le principal fléau.
Cest surtout vrai des forêts tropicales humides. La superficie quelles occupaient du temps de la préhistoire a été réduite de plus de la moitié, mais on continue de les couper et de les brûler au rythme denviron 142 000 km2 par an, ce qui équivaut à la superficie de la Suisse et des Pays-Bas réunis; il disparaît ainsi chaque seconde une forêt de la grandeur dun terrain de football (Wilson, l992). Cette uvre de destruction est la cause première de lextinction massive despèces dans le monde.
On estime que la Terre abrite entre 10 et 100 millions despèces. Si lon se base sur un chiffre prudent de 20 millions despèces, ce sont donc 10 millions despèces qui vivent dans les forêts humides tropicales; or, à la vitesse à laquelle on déboise les régions tropicales, cela veut dire que 27 000 espèces seraient éliminées des forêts tropicales chaque année, soit plus de 74 par jour ou 3 par heure (Wilson, 1992).
Cet article examine les incidences de cette réduction généralisée de la diversité biologique sur la santé humaine. Daprès lauteur, si lon saisissait bien les effets quentraîneront ces extinctions massives qui compromettront la compréhension et le traitement de nombreuses maladies incurables et, au bout du compte, menaceront peut-être la survie des êtres humains , on verrait alors que les atteintes actuellement portées à la biodiversité ne constituent ni plus ni moins quune urgence médicale à évolution lente et exigerait que les mesures prises pour préserver les espèces et les écosystèmes soient reconnues hautement prioritaires.
Trois groupes danimaux menacés, très éloignés les uns des autres les grenouilles vénéneuses, les ours et les requins montrent de manière éclatante comment des modèles importants pour la science biomédicale risquent dêtre détruits par les êtres humains.
Toute la famille des grenouilles vénéneuses, les dendrobatidés, que lon trouve dans les régions tropicales des Amériques, est menacée par la destruction de ses habitats, cest-à-dire des forêts humides situées dans les basses terres de lAmérique centrale et du Sud (Brody, 1990). Ces animaux aux couleurs vives, qui se répartissent en plus de 100 espèces, sont particulièrement sensibles au déboisement, car ils ne vivent souvent que dans certains secteurs précis de la forêt et ne peuvent évidemment pas vivre ailleurs. Les scientifiques ont fini par comprendre que les toxines quils libèrent, que les Indiens dAmérique centrale et du Sud utilisent depuis des siècles pour fabriquer des flèches empoisonnées, sont parmi les substances naturelles les plus mortelles que lon connaisse. Ils sont également très utiles en médecine. Les éléments actifs de ces toxines sont des alcaloïdes, composés cycliques azotés tels que morphine, caféine, nicotine et cocaïne, par exemple, que lon trouve presque exclusivement dans des végétaux. Les alcaloïdes se lient de préférence à des canaux et pompes ioniques particulières dans les membranes nerveuses et musculaires. Sans eux, on connaîtrait de façon très incomplète les éléments de base de la fonction des membranes que lon retrouve dans tout le règne animal.
En plus de lintérêt quelles présentent pour la recherche fondamentale en neurophysiologie, les grenouilles vénéneuses offrent aussi des éléments dinformation biochimique précieux pour la production de nouveaux analgésiques puissants qui agissent autrement que la morphine, de nouveaux médicaments pour les arythmies cardiaques et de nouveaux traitements pour soulager certaines affections neurologiques comme la maladie dAlzheimer, la myasthénie grave et la sclérose latérale amyotrophique (Brody, 1990). Si la destruction des forêts humides se poursuit au même rythme en Amérique centrale et du Sud, ces grenouilles dune grande valeur vont disparaître.
Dans de nombreuses régions du monde, des populations dours sont menacées dextinction parce que certaines parties de cet animal sont de plus en plus recherchées sur le marché noir en Asie la vésicule biliaire pour ses qualités médicinales réputées (elle vaut dix-huit fois son pesant dor), et les pattes pour des repas fins (Montgomery, l992), et parce que la chasse à lours et la destruction de son habitat se poursuivent. Or, tous nous aurons à perdre de lextinction despèces dours, non seulement parce que ce sont des créatures superbes et fascinantes qui occupent une place importante dans la nature, mais aussi parce que certaines espèces présentent plusieurs caractéristiques physiologiques particulières qui peuvent nous apporter des indications utiles pour le traitement de diverses maladies humaines. Pendant quils «hibernent» (ou, plus exactement, lorsquils sont dans leur tanière), les ours noirs, par exemple, demeurent immobiles jusquà 5 mois en hiver, sans pour autant perdre de leur masse osseuse (Rosenthal, 1993) (les vrais animaux hibernants, comme la marmotte, la marmotte dAmérique et le spermophile, voient leur température corporelle baisser fortement pendant lhibernation et sont pro-fondément assoupis. Lours noir, en revanche, conserve une température corporelle presque normale et réagit instantanément lorsquil doit se défendre). Contrairement à lêtre humain, qui perdrait presque un quart de sa masse osseuse pendant une immobilisation de cette durée (faute de porter son propre poids), lours continue de produire de los, en puisant dans le calcium qui circule dans son sang (Floyd, Nelson et Wynne, 1990). Une fois que lon aura compris comment il réussit ce tour de force, on trouvera peut-être des moyens efficaces de prévenir et de traiter lostéoporose chez les personnes âgées (problème très important qui entraîne fractures, souffrances et invalidités), chez les individus longtemps confinés au lit et chez les astronautes placés dune façon prolongée dans un état dapesanteur.
Dautre part, les ours qui «hibernent» se passent duriner pendant des mois. Les êtres humains qui ne peuvent éliminer pendant plusieurs jours les déchets contenus dans leurs urines accumulent de lurée dans leur sang et meurent dintoxication. Dune certaine manière, lours recycle lurée pour en faire de nouvelles protéines, y compris celles des muscles (Nelson, 1973). Si lon pouvait trouver le mécanisme qui régit cette transformation, on parviendrait peut-être à mettre au point des traitements efficaces et durables pour les personnes atteintes dune insuffisance rénale, qui doivent être régulièrement sous dialyse pour éliminer leurs toxines ou qui doivent subir une transplantation.
Comme les ours, de nombreuses espèces de requins sont en voie de disparition à cause de la demande dont leur chair fait lobjet, notamment en Asie, où les ailerons que lon sert dans les potages se vendent jusquà 100 dollars E.-U. la livre (Stevens, 1992). Etant donné que les requins ont peu de petits, quils grossissent lentement et quils atteignent leur maturité après plusieurs années, ils risquent tout particulièrement dêtre décimés par une pêche excessive.
Les requins, qui existent depuis presque 400 millions dannées, ont acquis des organes extrêmement spécialisés et des fonctions physiologiques qui les protègent contre presque toutes les menaces, à lexception des massacres perpétrés par les humains. Lélimination de populations et lextinction de certaines des 350 espèces connues pourraient se solder par une immense catastrophe pour le genre humain.
Il semble que le système immunitaire des requins (et des poissons qui leur sont apparentés, les raies) ait évolué à tel point que ces animaux sont aujourdhui presque à labri des cancers et des infections. Des tumeurs peuvent apparaître chez dautres poissons et mollusques (Tucker, 1985), mais rarement chez les requins. Cela est confirmé par les premières recherches effectuées. Il savère impossible, par exemple, de produire une tumeur chez un requin dormeur en faisant des injections répétées de substances cancérogènes réputées puissantes (Stevens, 1992). Des chercheurs de lInstitut de technologie du Massachusetts (Massachusetts Institute of Technology (MIT)) ont isolé dans le cartilage du requin-pèlerin (Lee et Langer, 1983) une substance, présente en grande quantité, qui inhibe le développement de nouveaux vaisseaux sanguins alimentant les tumeurs et, donc, la croissance de ces tumeurs.
Les requins peuvent aussi servir de modèles extrêmement précieux pour la mise au point de nouveaux médicaments qui permettent de traiter des infections, ce qui est aujourdhui dautant plus important que les agents infectieux acquièrent une résistance accrue aux antibiotiques actuellement sur le marché.
Les exemples ne manquent pas de végétaux, danimaux et de micro-organismes détenant les secrets de milliards dexpériences vécues au cours de lévolution, qui sont de plus en plus menacés par lactivité humaine et que le corps médical risque de voir disparaître à jamais.
Diverses espèces végétales, animales et microbiennes sont en soi à lorigine de certains des médicaments actuellement les plus importants et comptent pour une part non négligeable de toute la pharmacopée. Farnsworth (1990), par exemple, a découvert que 25% des médicaments vendus sur ordonnance par les pharmacies de quartier aux Etats-Unis entre 1959 et 1980 renfermaient des ingrédients actifs extraits de plantes évoluées. La proportion est beaucoup plus forte dans les pays en développement. En effet, 80% de leurs habitants, soit approximativement les deux tiers de la population mondiale, recourent presque exclusivement à des médicaments traditionnels composés de substances naturelles, dont la plupart proviennent de plantes.
Les connaissances détenues par les guérisseurs, souvent transmises oralement au travers des siècles, ont permis de découvrir beaucoup de médicaments aujourdhui largement employés la quinine, la physostigmine, la d-tubocurarine, la pilocarpine et léphédrine, pour nen citer que quelques-uns (Farnsworth et coll., 1986). Mais ces connaissances se perdent rapidement, surtout en Amazonie, car, à leur mort, les guérisseurs autochtones sont remplacés par des gens qui pratiquent une médecine plus moderne. Botanistes et pharmacologues se livrent à une course de vitesse pour apprendre ces méthodes anciennes, qui, comme les plantes forestières quils utilisent, sont aussi menacées de disparition (Farnsworth, 1990; Schultes, 1991; Balick, 1990).
Les scientifiques ont analysé la composition chimique de moins de 1% des plantes connues des forêts humides répertoriées qui pourraient renfermer des substances biologiquement actives (Gottlieb et Mors, 1980) , ainsi quune proportion comparable de plantes des régions tempérées (Schultes, 1992) et une quantité encore inférieure danimaux, de champignons et de microbes connus. Or, il existe peut-être des dizaines de millions despèces à découvrir dans les forêts, les sols, les lacs et les océans. En procédant à lélimination massive despèces comme on le fait aujourdhui, on est peut-être en train de détruire des remèdes inconnus de cancers actuellement incurables, du sida, de la cardiopathie artérioscléreuse et dautres maladies à lorigine dimmenses souffrances humaines.
Enfin, la disparition despèces et la destruction dhabitats peuvent perturber le fragile équilibre décosystèmes dont dépendent toutes les formes de vie, y compris la nôtre.
Les réserves alimentaires, pour leur part, sont peut-être gravement menacées. Le déboisement, par exemple, peut entraîner une forte réduction des précipitations dans les régions agricoles avoisinantes et même dans des contrées plus éloignées (Wilson, 1988; Shulka, Nobre et Sellers, 1990), diminuant ainsi le rendement des cultures. La perte de sol arable végétal sous linfluence de lérosion, autre conséquence du déboisement, peut avoir des effets irréversibles sur les cultures dans les régions boisées, en particulier sur les terrains accidentés, comme dans certains secteurs du Népal, de Madagascar et des Philippines.
Chauves-souris et oiseaux, principaux prédateurs des insectes qui infestent ou détruisent les cultures, disparaissent par populations entières (Brody, 1991; Terborgh, 1980), ce qui a des conséquences incalculables pour lagriculture.
Depuis peu au Brésil, le paludisme atteint les proportions dune épidémie à cause de peuplements massifs et dune dégradation de lenvironnement dans le bassin de lAmazone. Cette maladie, presque entièrement éliminée du Brésil dans les années soixante, a connu une flambée 20 ans plus tard, 560 000 cas ayant été répertoriés en 1988, dont 500 000 dans la seule Amazonie (Kingman, 1989). Cette épidémie sest expliquée en grande partie par larrivée dun très grand nombre de personnes qui nétaient pas immunisées ou très peu contre le paludisme, qui vivaient dans des abris de fortune et qui portaient peu de vêtements pour se protéger. Mais elle a également été due au fait que ces populations sont venues bouleverser le milieu naturel des forêts tropicales humides, créant partout sur leur passage des mares deau stagnante (construction de routes, terre entraînée par le défrichement, ouverture de mines à ciel ouvert), mares où Anopheles darlingi , principal vecteur du paludisme dans la région, a pu se multiplier à son aise (Kingman, 1989).
Lhistorique des maladies virales «émergentes» peut nous apporter des renseignements précieux concernant les effets de la destruction de lhabitat sur les êtres humains. La fièvre hémorragique de lArgentine, par exemple, affection virale douloureuse dont de 3 à 15% des victimes ne réchappent pas (Sanford, 1991), a lampleur dune épidémie depuis 1958 parce quon a défriché la pampa à grande échelle au centre de lArgentine pour y planter du maïs (Kingman, 1989).
Parmi les maladies virales nouvelles, celle qui cause le plus de tort à lêtre humain, et qui annonce peut-être léclosion dautres infections virales, est le sida, provoqué par le virus de limmunodéficience humaine des types 1 (VIH-l) et 2 (VIH-2). On sentend en général pour dire que lépidémie actuelle de sida a son origine chez des primates non humains dAfrique, qui ont joué le rôle de réservoirs naturels et dhôtes asymptomatiques, pour une famille de virus qui provoque une immunodéficience (Allan, 1992). La preuve génétique existe manifestement dun lien entre le VIH-l et un virus simien de limmunodéficience présent chez des chimpanzés africains (Huet et Cheynier, 1990), ainsi quentre le VIH-2 et un autre virus simien découvert chez des mangabeys cendrés (Hirsch et Olmsted, 1989; Gao et Yue, 1992). Ces transmissions de virus de primates à notre espèce doivent-elles être attribuées à linstallation dêtres humains dans des zones forestières dégradées? Si tel est le cas, nous assistons peut-être avec le sida au début dune série dépidémies virales nées dans des forêts humides tropicales qui peuvent abriter des milliers de virus susceptibles dinfecter lhumain, dont certains sont peut-être mortels comme le sida (à presque 100%), mais se propagent plus facilement, par exemple dans des gouttelettes transportées par lair. Ces maladies virales éventuelles pourraient devenir la menace la plus grave qui pèse sur la santé publique à cause dune détérioration du milieu naturel des forêts tropicales humides.
Il se pourrait bien que la rupture dautres interactions au sein des organismes, des écosystèmes et de lenvironnement planétaire, dont on ne connaît presque rien, savère la plus grande catastrophe pour le genre humain. Quen sera-t-il du climat planétaire et de la concentration des gaz dans latmosphère, par exemple, quand un certain seuil critique de déboisement aura été atteint? Les forêts jouent un rôle primordial dans le maintien des régimes planétaires de précipitations et dans la stabilité des gaz atmosphériques.
Quadviendra-t-il de la vie marine si une augmentation du rayonnement ultraviolet entraîne la destruction massive du phytoplancton, notamment dans les eaux riches situées sous le «trou» de la couche dozone dans lAntarctique? Ces organismes, qui sont à la base de toute la chaîne trophique marine, qui produisent une partie importante de loxygène mondial et qui absorbent une grande quantité du dioxyde de carbone de la planète, sont très vulnérables aux ultraviolets (Schneider, 1991; Roberts, 1989; Bridigare, 1989).
Quen sera-t-il de la croissance des végétaux si les pluies acides et les substances chimiques toxiques empoisonnent des champignons et des bactéries essentiels à la fertilité des sols? LEurope occidentale a déjà perdu de 40 à 50% de ses espèces de champignons au cours des 60 dernières années, dont beaucoup de champignons mycorhriens symbiotiques (Wilson, 1992), indispensables à labsorption de nutriments par les plantes. Personne ne sait quel effet aura leur disparition.
Les scientifiques ignorent les réponses à ces interrogations et à dautres questions dextrême importance. Mais certains signaux biologiques inquiétants indiquent que les écosystèmes planétaires ont déjà subi de graves dommages. La diminution rapide et simultanée de la population de nombreuses espèces de grenouilles, partout dans le monde, y compris dans des endroits isolés, vierges dhabitants, laisse penser que ces animaux meurent à cause de changements survenus dans lenvironnement planétaire (Blakeslee, 1990). Des études récentes (Blaustein, 1994) révèlent que, dans certains cas, la faute en est peut-être à laugmentation des rayonnements ultraviolets B consécutive à lappauvrissement de la couche dozone.
Plus près de nous, des mammifères marins tels que les dauphins rayés en Méditerranée, les phoques vivant près des côtes de la Scandinavie et de lIrlande du Nord, et les bélugas du Saint-Laurent meurent aussi dans des proportions jamais vues. Pour ce qui est des dauphins et des phoques, la mort semble parfois attribuable à des virus morbilleux (famille comprenant les virus de la rougeole et de la maladie de Carré) qui provoquent des pneumonies et des encéphalites (Domingo et Ferrer, 1990; Kennedy et Smyth, 1988), conséquence possible dun système immunitaire affaibli. Dans le cas des bélugas, des polluants chimiques comme le DDT, linsecticide Mirex, les BPC, le plomb et le mercure semblent être en cause, rendant ces animaux infertiles et entraînant au bout du compte leur mort à la suite de tumeurs et de pneumonies (Dold, 1992). On trouve de telles quantités de ces polluants dans les carcasses de bélugas que lon pourrait ranger ces dernières parmi les déchets dangereux.
Est-ce que les «espèces indicatrices», comme les canaris qui meurent asphyxiés par les gaz nocifs dans les mines de charbon, nous avertissent que nous sommes en train de bouleverser léquilibre fragile décosystèmes qui préside à toutes les formes de vie, y compris la nôtre? La réduction de moitié, entre 1938 et 1990, du nombre de spermatozoïdes chez les hommes en bonne santé partout dans le monde (Carlsen et coll., 1992), laugmentation prononcée de la proportion de malformations congénitales au niveau des organes génitaux externes chez les hommes en Angleterre et au pays de Galles entre 1964 et 1983 (Matlai et Beral, 1985), la forte poussée de lincidence de certains cancers chez les enfants de race blanche de 1973 à 1988 (Angier, 1991) et chez les adultes de race blanche de 1973 à 1987 (Davis, Dinse et Hoel, 1994) aux Etats-Unis, ainsi que la progression régulière, depuis trois ou quatre décennies, des taux de mortalité attribuables à plusieurs cancers dans le monde entier (Kurihara, Aoki et Tominaga, 1984; Davis et Hoel, 1990a, 1990b; Hoel, 1992) laissent à penser que la dégradation de lenvironnement commence peut-être à menacer non seulement la survie des grenouilles, des mammifères marins et autres espèces animales, végétales et microbiennes, mais aussi celle de lespèce humaine.
Lactivité humaine provoque lextinction danimaux, de végétaux et dorganismes microbiens à un rythme qui risque fort déliminer dans les 50 prochaines années un quart des espèces vivant sur terre. Cette destruction a des conséquences incalculables sur la santé humaine: