La toxicologie est létude des substances toxiques et, plus précisément, lidentification et lévaluation quantitative des conséquences néfastes liées à lexposition à des agents physiques, chimiques ou de toute autre nature. Comme telle, elle fait appel, tant pour ses connaissances que pour sa démarche de recherche ou ses méthodes, à la plupart des sciences biologiques fondamentales, aux disciplines médicales, à lépidémiologie et à divers domaines de la chimie et de la physique. Elle sétend de la recherche fondamentale sur le mécanisme daction des agents toxiques à la mise au point et à linterprétation de tests normalisés permettant de caractériser les propriétés toxiques de ces agents. Elle fournit à la médecine et à lépidémiologie des informations indispensables pour comprendre létiologie et établir le lien entre les expositions, y compris professionnelles, et les pathologies observées. La toxicologie peut être scindée en spécialités: toxicologie clinique, toxicologie médico-légale, toxicologie fondamentale et toxicologie réglementaire, être présentée selon les organes cibles (par exemple, immunotoxicologie, toxicogénétique) ou encore selon ses objectifs (recherche, expérimentation et évaluation du risque).
Vouloir présenter de façon exhaustive la toxicologie dans cette Encyclopédie relève de la gageure. Ce chapitre ne saurait tenir lieu ni daide-mémoire sur cette discipline ni dabrégé des connaissances sur les effets nocifs des divers agents toxiques. Ces informations sont plutôt à rechercher dans les bases de données continuellement mises à jour, comme nous lexpliquons dans la dernière partie du présent chapitre. Il ne tente pas non plus daborder des branches particulières de la toxicologie telle que la toxicologie médico-légale, mais bien de fournir des informations utilisables dans les différentes activités de cette discipline, ainsi que dans divers domaines médicaux et spécialités. Les thèmes ont été choisis en raison de leur orientation délibérément pratique et pour faciliter le renvoi à dautres références au sein de la présente Encyclopédie.
Dans les sociétés modernes, la toxicologie est devenue un élément important pour assurer la santé tant dans le domaine environnemental que professionnel. Cest pourquoi de nombreuses organisations gouvernementales et non gouvernementales font appel à son fonds de connaissances pour évaluer les risques en milieu professionnel ou dans lenvironnement en général et proposer une réglementation. Partie intégrante des stratégies de prévention, la toxicologie est dune valeur inestimable, puisquelle est la source dinformations sur les risques potentiels en labsence dexpositions humaines pertinentes. Il faut aussi rappeler que lindustrie emploie beaucoup les méthodes toxicologiques puisquelle y puise des renseignements utiles à la formulation de nouveaux produits ou à la conception de nouvelles molécules.
Le présent chapitre commence par cinq articles sur les principes généraux de la toxicologie, importants pour aborder la plupart des thèmes. Le premier concerne les relations entre exposition externe et dose interne. Dans la terminologie moderne, l«exposition» fait référence aux concentrations ou quantités dune substance auxquelles sont soumis des individus ou une population quantités trouvées dans un volume donné dair, deau ou de sol. La «dose» représente la concentration ou la quantité dune substance présente chez un individu ou dans un organisme exposé. En santé au travail, les valeurs de référence et les lignes directrices sont souvent établies en terme dexposition ou de limites admissibles de concentrations dans des situations spécifiques, par exemple dans latmosphère du lieu de travail. Ces limites dexposition sont fondées sur la connaissance, ou parfois les hypothèses, de relations existant entre lexposition et la dose; cependant, la dose interne nétant pas toujours connue, de nombreuses études de santé au travail se limitent à déduire une association entre lexposition et la réponse ou leffet. Dans quelques cas, les normes ont été établies daprès la dose (par exemple, pour les taux admissibles de plomb dans le sang ou de mercure dans lurine). Bien que ces mesures soient directement corrélées à la toxicité, il est encore nécessaire de recalculer les taux dexposition correspondant à ces valeurs afin de mieux maîtriser les risques.
Larticle qui suit, «Définitions et concepts», a trait aux facteurs et aux événements déterminant les relations entre exposition, dose et réponse. Les premiers de ces facteurs concernent la captation tissulaire, labsorption et la distribution processus qui déterminent le transport réel des substances dans le corps depuis lenvironnement externe à travers les portes dentrée telles que la peau, les poumons ou lintestin. Ces processus sont à linterface entre lêtre humain et son environnement. Les seconds facteurs, métaboliques, objectivent la façon dont lorganisme traite les substances absorbées. Certaines dentre elles sont transformées par les processus cellulaires du métabolisme qui peut soit renforcer leur activité biologique, soit latténuer.
Les concepts dorgane cible et deffet critique ont été élaborés pour faciliter linterprétation des données toxicologiques. Selon la dose, la durée et la voie dexposition, et selon des facteurs intrinsèques tels que lâge, de nombreux agents toxiques peuvent induire des effets divers au niveau des organes et des organismes. Un des principaux rôles de la toxicologie est de déterminer leffet ou la série deffets importants afin de prévenir lapparition de maladies irréversibles ou invalidantes. Pour cela, il convient surtout didentifier lorgane touché en premier ou le plus affecté par lagent toxique: cet organe est appelé «organe cible». A lintérieur de cet organe, il est capital de déceler le ou les événements importants objectivant une intoxication ou une lésion et permettant de mettre en évidence une altération de lorgane. Ce premier événement dune série détapes physiopathologiques (lexcrétion de protéines de faible poids moléculaire représente un effet critique en néphrotoxicité), ou le premier effet potentiellement irréversible dans le processus dune maladie (la formation dadduits à lADN lors du processus de cancérogenèse), est appelé «leffet critique». Ces concepts sont importants en santé au travail, car ils permettent de préciser le type de toxicité et de pathologie associé à une exposition spécifique; dans la plupart des cas, la diminution de lexposition aura pour unique objectif de prévenir les effets critiques au niveau des organes cibles, et non ceux de lensemble des effets observés dans les différents organes.
Les deux articles suivants concernent les effets intrinsèques qui modifient les réponses à de nombreux agents toxiques. Il sagit des déterminants génétiques, des facteurs de sensibilité ou de résistance héréditaire, de lâge, du sexe ou encore de paramètres tels que le régime alimentaire ou la coexistence dune maladie infectieuse. Ces facteurs peuvent aussi affecter lexposition et la dose, en modifiant la captation tissulaire, labsorption, la distribution et le métabolisme. Etant donné la diversité de ces facteurs parmi les travailleurs dans le monde, il est essentiel que les spécialistes de la santé au travail et les décideurs comprennent la façon dont ils font varier les réponses en fonction de la population et des individus à lintérieur de la population. Dans les sociétés qui ont une population hétérogène, cette question est particulièrement importante. Cette disparité des populations humaines doit être prise en compte pour évaluer les risques dexposition professionnelle et tirer des conclusions rationnelles à partir détudes expérimentales effectuées dans le cadre des recherches toxicologiques.
Cette section aborde ensuite deux aspects généraux des mécanismes daction en toxicologie. De ce point de vue, les toxicologues modernes considèrent que tous les effets toxiques sexercent en premier lieu au niveau cellulaire; les réponses cellulaires représentent donc les signes les plus précoces de la lutte de lorganisme vis-à-vis dun agent toxique et font probablement partie dune suite dévénements qui va de la lésion initiale jusquà la mort cellulaire. La lésion cellulaire fait appel à des processus spécifiques auxquels la cellule, plus petite unité dorganisation biologique dans un organe, a recours pour répondre à latteinte. Ces réponses impliquent des modifications dans le fonctionnement des processus cellulaires, en particulier au niveau de la membrane dont on connaît les rôles dabsorption, de sécrétion et dexcrétion des substances, de la synthèse protéique à partir dacides aminés et du renouvellement des composants cellulaires. Ces réponses peuvent être communes à toutes les cellules endommagées, ou être spécifiques à des types cellulaires particuliers de certains organes. La mort cellulaire est la destruction des cellules dans un système organique, par suite dune lésion cellulaire irréversible ou non compensée. Elle peut survenir lors dune intoxication aiguë, comme dans le cas des agents toxiques agissant sur le transfert doxygène, ou être la conséquence dune intoxication chronique. Elle peut être suivie dune régénération dans certains organes, bien que cette prolifération puisse, dans certaines conditions, être considérée comme une réponse toxique. Même en labsence de mort cellulaire, une lésion répétée peut induire un stress au niveau dun organe susceptible daltérer ses fonctions et son devenir.
Le présent chapitre traite ensuite de domaines plus spécifiques, regroupés selon les catégories suivantes: mécanismes, méthodologies, réglementation et évaluation du risque. Les articles portant sur les mécanismes mettent laccent principalement sur les systèmes cibles plutôt que sur les organes. Cette présentation est à limage de la pratique de la médecine et de la toxicologie modernes, qui étudient les systèmes plutôt que les organes isolés. Ainsi, les commentaires sur la toxicogénétique ne concernent pas uniquement les effets toxiques des agents sur un organe spécifique, mais bien le matériel génétique en tant que cible de laction toxique. De même, larticle sur limmunotoxicologie examine les divers organes et cellules du système immunitaire en tant que cibles vis-à-vis des agents toxiques. Les articles méthodologiques se veulent avant tout opérationnels; ils décrivent les méthodes quon emploie actuellement dans de nombreux pays pour identifier les risques, ou la manière dont on élabore linformation sur les propriétés biologiques des agents toxiques.
Le chapitre se poursuit par cinq articles relatifs à lapplication de la toxicologie sur le plan réglementaire et décisionnel, depuis lidentification du risque jusquà son évaluation. Les procédures actuellement suivies dans différents pays y sont présentées, de même que celles du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Ces articles devraient permettre au lecteur de comprendre comment, à partir de linformation tirée des tests toxicologiques associés à des déductions mécanistiques et fondamentales, lon parvient à une information quantitative qui sert ensuite à établir les niveaux dexposition et à dautres approches permettant de maîtriser les risques sur le lieu de travail et dans lenvironnement en général.
Dautres chapitres de la présente Encyclopédie renseignent sur les bases de données concernant la toxicologie. Ces bases fournissent aux spécialistes de la santé au travail, aux travailleurs et aux employeurs une information actuelle sur la toxicologie et lévaluation des agents toxiques par des organismes nationaux et internationaux.
Le présent chapitre porte sur la toxicologie dans ses relations avec la sécurité et la santé au travail. Pour cette raison, la toxicologie clinique et la toxicologie médico-légale ny sont pas expressément abordées. De nombreux principes et de nombreuses démarches semblables à ceux qui y sont décrits sont utilisés dans ces sous-disciplines de la même façon quen santé environnementale. Ils sont également applicables pour évaluer limpact des agents toxiques sur les populations autres quhumaines, préoccupation majeure des politiques environnementales dans de nombreux pays. On a tenté, dans ce chapitre, de présenter les points de vue et les expériences des experts et des praticiens de tous les secteurs dans de nombreux pays; cependant, le lecteur pourra noter un certain parti pris envers les scientifiques universitaires du monde développé. Bien que léditeur et ses collaborateurs soient convaincus que les principes et la pratique de la toxicologie sont internationaux, les préjugés culturels et le caractère restreint de lexpérience pourront paraître évidents dans ce chapitre. Léditeur espère que les lecteurs de cette Encyclopédie profiteront de ses mises à jour pour conférer à cet ouvrage la perspective le plus large possible et contribuer à son enrichissement permanent.
La toxicité est la capacité intrinsèque dun agent chimique à avoir un effet nocif sur un organisme.
Le terme xénobiotique désigne une «substance étrangère», cest-à-dire extérieure à lorganisme, par opposition aux composants endogènes. Les xénobiotiques comprennent les médicaments, les produits chimiques industriels, les poisons naturels et les polluants environnementaux.
Un danger représente une toxicité potentielle pouvant survenir dans un cadre ou une situation déterminés.
Un risque est la probabilité dapparition dun effet nocif spécifique. Il est souvent exprimé en pourcentage de cas dans une population donnée pour une durée déterminée. Une évaluation du risque peut être faite à partir de cas réels ou par projection de cas futurs, basée sur des extrapolations.
Lévaluation de la toxicité, de même que la classification de la toxicité, peuvent être utilisées dans un but réglementaire. Il sagit dune classification arbitraire des doses ou des niveaux dexposition («très toxique», «extrêmement toxique», «modérément toxique», etc.) à lorigine deffets toxiques qui permet de répertorier les produits exerçant une toxicité aiguë. La classification de la toxicité permet de regrouper les produits chimiques dans des catégories générales selon leur effet toxique essentiel, par exemple les allergènes, les neurotoxiques, les cancérogènes, etc. Elle peut avoir une valeur administrative davertissement et dinformation.
La relation dose-effet est la relation entre la dose et leffet à léchelle de lindividu. Laugmentation de la dose peut accroître lintensité ou la sévérité dun effet. Une courbe dose-effet peut être tracée pour lensemble de lorganisme, la cellule ou la molécule cible. Certains effets toxiques, comme la mort ou le développement dun cancer, nont pas un caractère progressif: ils représentent des effets «tout ou rien».
La relation dose-réponse désigne la relation entre la dose et le pourcentage dindividus présentant un effet spécifique. Lorsque la dose augmente, un plus grand nombre dindividus sont affectés dans la population exposée.
Il est essentiel pour la toxicologie détablir les relations dose-effet et dose-réponse. En médecine (épidémiologie), le critère de relation causale souvent employé entre un agent et une pathologie repose sur la proportionnalité entre la dose et les effets ou réponses observés.
Plusieurs courbes dose-réponse peuvent être tracées pour un même produit chimique une par type deffet. La courbe dose-réponse pour la plupart des effets toxiques (quand ils sont étudiés dans une population importante) a une forme sigmoïde. On observe généralement une zone de doses faibles où aucune réponse ne peut être détectée; avec laugmentation de la dose, la réponse suit une courbe ascendante pour atteindre généralement un plateau à 100% de réponses. La courbe dose-réponse reflète les variations interindividuelles dans une population. La pente de la courbe varie dun produit chimique à lautre et selon le type deffet. Dans le cas de certains produits chimiques présentant des effets spécifiques (cancérogènes, initiateurs, mutagènes), la courbe dose-réponse peut être linéaire pour une gamme de doses donnée dès la dose zéro. Cela signifie quil nexiste aucun seuil pour ces substances et que des doses mêmes faibles font encourir un risque. Au-delà de cette gamme de dose, le risque peut passer à un taux plus important que le taux linéaire.
Les variations dexposition en cours de journée ou la durée totale dexposition au cours dune vie peuvent être aussi importantes pour le résultat observé que la dose moyenne ou même la dose intégrée. Des pics élevés dexposition peuvent être plus dangereux quune exposition plus régulière. Cest le cas avec certains solvants organiques. Par ailleurs, pour certains cancérogènes, il a été démontré expérimentalement quà dose totale identique, le fractionnement en plusieurs expositions a une incidence accrue sur lapparition de tumeurs.
La dose est souvent exprimée en tant que quantité (mg/kg de poids corporel) de xénobiotique ayant pénétré lorganisme. Elle peut être exprimée de différentes manières (plus ou moins informatives): dose dexposition, concentration dans lair dun polluant inhalé durant une certaine période (huit heures en général en hygiène du travail); dose retenue ou absorbée (également appelée en hygiène du travail charge corporelle) qui est la quantité présente dans lorganisme à un moment donné pendant ou après une exposition. La dose tissulaire est la quantité de substance dans un tissu spécifique et la dose cible est la quantité de substance (généralement un métabolite) liée à la molécule critique. La dose cible est la quantité de produit chimique (en mg) fixée par mg de macromolécule spécifique dans un tissu. Pour utiliser ce concept, il faut disposer dinformations sur le mécanisme daction au niveau moléculaire. La dose cible est associée plus précisément à leffet toxique. La dose dexposition ou la charge corporelle, plus facilement disponibles, sont liées de manière moins précise à leffet toxique.
La notion de dose comporte souvent un paramètre temporel, même sil nest pas toujours exprimé. La dose théorique selon la loi de Haber est D = ct, où D est la dose, c la concentration du xénobiotique dans lair et t la durée dexposition à un produit chimique. Au niveau de lorgane cible ou au niveau moléculaire, on peut dire quil sagit de la quantité fixée par mg de tissu ou de molécule pour un temps donné. La prise en compte du temps est généralement plus importante pour comprendre les expositions répétées et les effets chroniques que pour les expositions uniques et les effets aigus.
Les effets additifs sont le résultat dune exposition combinée à plusieurs produits chimiques, où les toxicités particulières sont simplement additionnées les unes aux autres (1+1 = 2). Lorsque les produits chimiques agissent selon le même mécanisme, on peut présumer quils auront un effet additif, mais il nen va pas toujours de même dans la réalité. Ainsi, il peut arriver que linteraction entre des produits chimiques aboutisse à une inhibition (antagonisme), leffet observé étant plus faible que celui attendu par addition des effets des produits chimiques individuels (1+1<2). Inversement, la combinaison de produits chimiques peut produire un effet plus prononcé que celui attendu par simple addition (réponse augmentée chez les individus ou augmentation de la fréquence des réponses parmi une population) (synergie) (1+1>2).
Le temps de latence est le temps qui sécoule entre une première exposition et lapparition dun effet ou dune réponse décelables. Ce terme est souvent employé pour les effets cancérogènes, où les tumeurs apparaissent longtemps après le début de lexposition et quelquefois bien après son arrêt.
Une dose seuil est le niveau de dose en dessous duquel aucun effet observable ne survient. Il existe des seuils pour certains effets, notamment les effets toxiques aigus, mais non pour dautres, par exemple pour les effets cancérogènes (initiateurs formant des adduits à lADN). Une simple absence de réponse dans une population donnée ne saurait cependant être interprétée comme la preuve de lexistence dun seuil. Elle peut être due à un simple phénomène statistique: un effet toxique ne se produisant quà faible fréquence pourra ne pas être décelé dans une petite population.
La DL50 (dose létale 50) est la dose qui entraîne le décès de la moitié du lot danimaux de laboratoire soumis au toxique étudié. Elle est souvent employée dans la littérature classique comme une mesure de la toxicité aiguë des produits chimiques. Plus la DL50 est élevée, plus la toxicité aiguë est faible. Un produit chimique très toxique (avec une faible DL50) est dit violent. Il nexiste pas nécessairement de corrélation entre la toxicité aiguë et la toxicité chronique. La DE50 (dose efficace) est la dose responsable dun effet spécifique autre que la létalité chez 50% des animaux.
La valeur NOEL (NOAEL) (No Observed (Adverse) Effect Level) correspond à la dose à laquelle aucun effet (nocif) nest observé, ou encore la plus forte dose nentraînant aucun effet toxique. Pour établir une valeur NOEL, il faut disposer de nombreuses doses dans une population importante mais aussi dautres informations pour sassurer que labsence de réponse nest pas simplement le résultat dun phénomène statistique. La valeur LOEL (Low Observed Effect Level) correspond à la dose efficace la plus faible sur une courbe dose-réponse, ou à la plus faible dose provoquant un effet.
Un facteur de sécurité est un chiffre formel et arbitraire par lequel on divise les valeurs NOEL ou LOEL obtenues expérimentalement pour définir une dose admissible chez lhumain. Ce facteur, souvent employé en toxicologie alimentaire mais aussi en toxicologie professionnelle, peut servir à extrapoler des données issues de petites populations à des populations plus importantes. Les facteurs de sécurité varient de 100 à 103. On considère quun facteur de sécurité de deux suffit à protéger dun effet peu sévère (par exemple, une irritation), alors que pour tous les effets très sévères (par exemple, un cancer), on applique un facteur pouvant aller jusquà 1 000. Lexpression facteur de sécurité pourrait fort bien être remplacée par celle de facteur de protection ou, encore, facteur dincertitude, notion qui reflète en effet mieux lincertitude scientifique quant à savoir si des données dose-réponse concernant un produit chimique particulier, un effet toxique ou une condition dexposition peuvent être extrapolées de lanimal à lespèce humaine.
Les extrapolations sont des estimations théoriques qualitatives ou quantitatives de toxicité (extrapolation dun risque) obtenues par déduction de données dune espèce à lautre, ou dun ensemble de données dose-réponse obtenues dans une zone de doses élevées à des zones de dose-réponse pour lesquelles il nexiste pas de données. Elles permettent de prévoir une réponse toxique en dehors du champ dobservation. On les établit à partir de modèles mathématiques basés sur la connaissance du devenir dun produit chimique dans lorganisme (modèle toxicocinétique) ou sur la probabilité statistique de la survenue dun mécanisme biologique (modèle biologique ou mécanistique). Certains organismes nationaux ont mis au point, dans un but réglementaire, des modèles dextrapolation complexes permettant de prévoir un risque (voir commentaires sur lévaluation du risque plus loin dans ce chapitre).
Les effets systémiques sont les effets toxiques observés dans des tissus éloignés de la voie dabsorption.
Lorgane cible est lorgane principal ou lorgane le plus sensible atteint lors dune exposition. Un même produit chimique pénétrant dans lorganisme peut atteindre des organes cibles différents selon la voie, la dose, le sexe et lespèce. Une interaction entre produits chimiques, ou entre produits chimiques et dautres facteurs, peut également affecter différents organes cibles.
Les effets aigus sont des effets survenant rapidement (en général en moins de vingt-quatre heures) après une exposition limitée; ils peuvent être réversibles ou irréversibles.
Les effets chroniques surviennent après une exposition prolongée (mois, années, décennies) ou persistent une fois que lexposition a cessé.
Une exposition aiguë est une exposition de courte durée, tandis quune exposition chronique est une exposition de longue durée (parfois toute la vie).
La tolérance (appelée aussi accoutumance ou mithridatisation) est le phénomène qui se produit lorsque des expositions répétées entraînent une réponse inférieure à celle que lon observe sans prétraitement.
Diffusion. Pour pénétrer dans lorganisme et atteindre le site où elle exercera sa toxicité, une substance étrangère doit franchir plusieurs obstacles, y compris les cellules et leurs membranes. La plupart des substances toxiques traversent les membranes passivement par diffusion. Ainsi, les petites molécules hydrosolubles passent à travers les canaux aqueux, les molécules liposolubles pénétrant par dissolution et diffusion à travers la partie lipidique de la membrane. Léthanol, petite molécule à la fois hydro- et liposoluble, diffuse rapidement à travers les membranes cellulaires.
Diffusion des acides et bases faibles. Les acides et bases faibles peuvent facilement traverser les membranes sous leur forme non ionisée liposoluble, alors que les formes ionisées trop polaires ne le peuvent pas. Le degré dionisation de ces substances dépend du pH. Sil existe un gradient de pH de part et dautre dune membrane, elles saccumuleront dun seul côté. Lexcrétion urinaire des acides et des bases faibles est fortement dépendante du pH urinaire. Le pH ftal ou embryonnaire est un peu plus élevé que le pH maternel, ce qui explique la tendance des acides faibles à saccumuler dans le ftus ou lembryon.
Diffusion facilitée. Le passage dune substance peut être facilité par lexistence de transporteurs membranaires. La diffusion facilitée est comparable à un processus enzymatique dans la mesure où elle est sous la dépendance dune protéine fortement sélective et saturable. Dautres substances peuvent inhiber le transport facilité des xénobiotiques.
Transport actif. Certaines substances sont activement transportées à travers les membranes cellulaires. Ce transport seffectue par lintermédaire de protéines porteuses selon un processus analogue à celui des enzymes. Le transport actif sapparente à la diffusion facilitée, mais il peut se produire contre un gradient de concentration. Il requiert un apport dénergie et peut être bloqué par un inhibiteur métabolique. La plupart des polluants environnementaux ne sont pas transportés de manière active. La sécrétion et la réabsorption actives au niveau tubulaire rénal des métabolites acides constituent une exception.
Phagocytose. Il sagit dun processus par lequel des cellules spécialisées comme les macrophages absorbent des particules en vue de les dégrader. Ce processus de transport est important, par exemple pour lélimination de particules au niveau des alvéoles pulmonaires.
Flux de masse. Les substances sont aussi transportées dans lorganisme avec le flux de lair, ou par le flux sanguin, lymphatique ou urinaire.
Filtration. Leau traverse les pores endothéliaux sous linfluence de la pression hydrostatique ou osmotique. Tout soluté de faible poids moléculaire sera filtré en même temps que leau. Une partie de la filtration se fait au niveau du lit capillaire dans tous les tissus; elle est particulièrement importante pour la formation de lurine primaire dans les glomérules rénaux.
Labsorption est lincorporation dune substance par lorganisme. Ce terme comprend habituellement non seulement le passage à travers la barrière tissulaire, mais aussi le transport ultérieur vers la circulation sanguine.
Absorption pulmonaire. Les poumons constituent la voie essentielle de dépôt et dabsorption des petites particules aériennes, des gaz, des vapeurs et des aérosols. Dans le cas des gaz et des vapeurs très hydrosolubles, lincorporation se fait pour lessentiel au niveau du nez et de larbre respiratoire, alors que pour les substances moins hydrosolubles elle seffectue surtout dans les alvéoles pulmonaires. Les alvéoles ont une surface très importante (environ 100 m2 chez lhumain). De plus, la barrière de diffusion est extrêmement mince puisquelle est constituée de deux couches cellulaires fines formant un espace de lordre de quelques microns entre lair alvéolaire et la circulation sanguine systémique. Les poumons sont donc très efficaces non seulement pour les échanges oxygène et gaz carbonique, mais aussi pour les autres gaz et vapeurs. En général, la diffusion à travers la paroi alvéolaire est si rapide quelle ne limite pas le transport. Le taux dabsorption dépend par contre du flux (ventilation pulmonaire, débit cardiaque) et de la solubilité (coefficient de partage sang:air). Un autre facteur important est lélimination métabolique. Limportance relative de ces facteurs sur labsorption pulmonaire varie beaucoup selon les substances. Lactivité physique entraîne une augmentation de la ventilation pulmonaire et du débit cardiaque, ainsi quune diminution du flux sanguin hépatique (et, partant, du taux de biotransformation). Pour beaucoup de substances inhalées, cela se traduit par une augmentation marquée de labsorption pulmonaire.
Absorption percutanée. La peau est une barrière très efficace. A côté de son rôle thermorégulateur, elle est conçue pour protéger lorganisme contre les micro-organismes, le rayonnement ultraviolet et autres agents nocifs et éviter une perte deau excessive. La distance de diffusion dans le derme est de lordre de quelques dixièmes de millimètres. De plus, la couche de kératine présente une très grande résistance à la diffusion pour la plupart des substances. Néanmoins, en présence de substances liposolubles très toxiques telles que les insecticides organophosphorés ou les solvants organiques, on peut observer une absorption dermique considérable pouvant être à lorigine dune intoxication. Dans le cas de substances liquides, labsorption est notable. Labsorption percutanée de vapeurs peut être importante pour les solvants présentant une pression de vapeur très basse et une forte affinité pour leau et la peau.
Absorption gastro-intestinale. Elle survient par ingestion accidentelle ou volontaire. Les plus grosses particules inhalées et déposées dans lappareil respiratoire peuvent être avalées après transport mucociliaire vers le pharynx. En pratique, toutes les substances solubles sont efficacement absorbées dans lappareil gastro-intestinal. Le pH acide de lintestin facilite labsorption de certains toxiques, les métaux par exemple.
Autres voies. En toxicologie expérimentale, on utilise pour des raisons de commodité dautres voies dadministration, alors quelles sont rares et non pertinentes en milieu professionnel: les injections intraveineuses (iv), sous-cutanées (sc), intrapéritonéales (ip) et intramusculaires (im). Dune façon générale, ces voies parentérales permettent une absorption plus rapide et plus complète des substances, surtout dans le cas de la voie intraveineuse. On obtient alors des pics de concentration de courte durée, mais élevés, à lorigine dune plus forte toxicité de la dose administrée.
La distribution dune substance dans lorganisme est un processus dynamique dépendant des vitesses de captation tissulaire et délimination, du flux sanguin vers les différents tissus et de laffinité de ces derniers pour la substance. Les petites molécules hydrosolubles, non ionisées, les cations monovalents et la plupart des anions diffusent facilement et finissent par se répartir de façon relativement régulière dans lorganisme.
Volume de distribution. Il sagit de la quantité dune substance dans lorganisme, divisée par la concentration sanguine, plasmatique ou sérique à un moment donné. Cette valeur na pas de sens en termes de volume physique, de nombreuses substances nétant pas distribuées uniformément dans lorganisme. Un volume de distribution inférieur à 1 litre par kg de poids corporel indique une distribution préférentielle dans le sang (le sérum ou le plasma), alors quune valeur supérieure témoigne dune prédilection pour les tissus périphériques, par exemple le tissu adipeux pour les substances liposolubles.
Accumulation. Ce terme désigne laccumulation dune substance dans un tissu ou un organe à une concentration supérieure à celle présente dans le sang ou le plasma. Il peut également faire référence à une accumulation progressive dans lorganisme au cours du temps. De nombreux xénobiotiques sont fortement liposolubles et ont tendance à saccumuler dans le tissu adipeux, alors que dautres présentent une affinité particulière pour le tissu osseux. Cest ainsi que le calcium osseux peut séchanger avec des cations tels que le plomb, le strontium, le baryum ou le radium, et les groupes hydroxyles osseux séchanger avec des ions fluorure.
Barrières. Les vaisseaux sanguins au niveau du cerveau, des testicules et du placenta présentent des structures anatomiques spéciales empêchant le passage des grosses molécules telles que les protéines. Ces structures, souvent appelées barrières hémato-méningée, testiculaire et placentaire, peuvent donner limpression erronée quelles empêchent le passage de toute substance quand elles ont en fait peu dimportance, voire aucune, pour les xénobiotiques qui peuvent diffuser à travers les membranes cellulaires.
Liaison sanguine. Les substances peuvent être liées aux hématies, aux composants plasmatiques, ou se trouver à létat libre non liées dans le sang. Le monoxyde de carbone, larsenic, le mercure organique et le chrome hexavalent ont une forte affinité pour les hématies, alors que le mercure inorganique et le chrome trivalent montrent une prédilection pour les protéines plasmatiques. De nombreuses autres substances sont également liées aux protéines plasmatiques. Seule la fraction libre est disponible pour la filtration et la diffusion vers les organes délimination. Ainsi, la liaison sanguine peut faire augmenter la durée du séjour dans lorganisme et diminuer la captation tissulaire au niveau des organes cibles.
Lélimination est la phase qui assure la disparition dune substance de lorganisme soit parce quelle est excrétée, soit parce quelle est transformée en dautres produits qui ne sont plus décelables. La vitesse de disparition peut être exprimée par la constante délimination, la demi-vie biologique ou la clairance.
La courbe temps-concentration. La courbe de concentration dans le sang (ou le plasma) en fonction du temps est une manière pratique de décrire la captation tissulaire et le devenir dun xénobiotique.
Laire sous la courbe taux plasmatique-temps est lintégrale de la concentration dans le sang (ou le plasma) au cours du temps. En labsence de saturation métabolique et dautres processus non linéaires, laire sous la courbe est proportionnelle à la quantité absorbée de substance.
La demi-vie biologique (ou demi-vie) est le temps nécessaire après la fin dune exposition pour réduire de moitié la quantité de substance présente dans lorganisme. Comme il est souvent difficile dévaluer la quantité totale dune substance, on mesure sa concentration sanguine (plasmatique). La demi-vie doit être utilisée avec précaution, car elle peut varier, par exemple, selon la dose et la durée dexposition. De plus, de nombreuses substances ont des courbes de décroissance complexes avec plusieurs demi-vies.
La biodisponibilité est la fraction dune dose administrée pénétrant dans la circulation systémique. En labsence de clairance présystémique, ou de métabolisme de premier passage, la fraction est égale à 1. Lors dune exposition per os, la clairance présystémique peut être due au métabolisme au niveau du contenu gastro-intestinal, de la paroi intestinale ou du foie. Le métabolisme de premier passage réduit labsorption systémique de la substance et accroît plutôt labsorption des métabolites, ce qui peut modifier le type de toxicité.
La clairance est le volume de sang (plasma) complètement épuré dune substance par unité de temps; cest aussi le rapport entre le débit urinaire, par minute, dun corps et sa concentration dans le plasma. Afin de la distinguer de la clairance rénale, on parle de clairance totale, métabolique ou sanguine (plasmatique).
La clairance intrinsèque est laptitude des enzymes endogènes à transformer une substance; elle est également exprimée en volume par unité de temps. Si la clairance intrinsèque dun organe est plus faible que le flux sanguin, le métabolisme est dit à capacité limitée. Inversement, si la clairance intrinsèque est beaucoup plus élevée que le flux sanguin, le métabolisme est limité par le flux.
Lexcrétion est lélimination de lorganisme dune substance et de ses produits de biotransformation.
Excrétion dans lurine et la bile. Les reins sont les organes excréteurs les plus importants. Certaines substances, en particulier les acides de poids moléculaire élevé, sont excrétées par la bile. Une fraction des substances ainsi excrétées peut être réabsorbée au niveau intestinal. Ce processus, appelé circulation entéro-hépatique, est habituel pour les substances conjuguées après hydrolyse intestinale.
Autres voies dexcrétion. Certaines substances, les solvants organiques, des produits de dégradation comme lacétone, sont suffisamment volatiles pour quune fraction importante puisse être éliminée par exhalaison après leur inhalation. Les molécules hydrosolubles ou liposolubles de faible poids moléculaire sont facilement sécrétées vers le ftus par voie placentaire, et dans le lait chez les mammifères. Chez la mère, la lactation peut être une voie dexcrétion importante du point de vue quantitatif pour les produits chimiques liposolubles. La descendance peut être secondairement exposée par lintermédiaire de la mère pendant la grossesse et lors de la lactation. La sueur et la salive peuvent aussi servir démonctoire, bien que beaucoup moins important, aux composés hydrosolubles. Cependant, étant donné le volume de salive produit et absorbé, lexcrétion salivaire peut contribuer à la réabsorption dun produit. Certains métaux, comme le mercure, sont excrétés dans les cheveux par suite de leur forte liaison aux groupes sulphydryles de la kératine.
Les modèles mathématiques sont des outils importants pour comprendre et décrire la captation tissulaire et la répartition des substances étrangères. La plupart des modèles sont compartimentaux, lorganisme étant représenté par un ou plusieurs compartiments. Un compartiment est un volume théorique du point de vue chimique et physique dans lequel la substance est censée se distribuer de manière homogène et instantanée. Les modèles simples sont exprimés comme une somme de termes exponentiels, alors que les plus complexes requièrent des calculs numériques sur ordinateur. Les modèles peuvent être subdivisés en deux catégories: descriptive et physiologique.
Dans les modèles descriptifs, on assure lajustement des données mesurées en modifiant les valeurs numériques des paramètres du modèle ou même la structure de celui-ci. La structure du modèle na normalement que peu de rapport avec celle de lorganisme. Ces modèles présentent lavantage de ne nécessiter que peu dhypothèses et aucune donnée supplémentaire; ils ont par contre linconvénient de navoir quune utilisation limitée pour les extrapolations.
Les modèles physiologiques sont construits à partir de données physiologiques indépendantes, anatomiques et autres. Le modèle est alors affiné et validé par comparaison avec les données expérimentales. Un des avantages des modèles physiologiques est quils peuvent servir à faire des extrapolations. Par exemple, ils permettent de prédire linfluence de lactivité physique sur la captation tissulaire et la répartition des substances inhalées du fait des ajustements physiologiques connus de la ventilation et du débit cardiaque. Ces modèles requièrent malheureusement une quantité importante de données indépendantes.
La biotransformation est un processus qui mène à la transformation métabolique de composés étrangers (xénobiotiques) dans lorganisme. Ce processus est souvent appelé métabolisme des xénobiotiques. En règle générale, le métabolisme convertit les xénobiotiques liposolubles en métabolites hydrosolubles, de poids moléculaire plus élevé et faciles à éliminer.
Le foie est le principal site de la biotransformation. Tous les xénobiotiques absorbés au niveau intestinal sont transportés vers le foie par un vaisseau sanguin unique, la veine porte. Si une substance étrangère est absorbée en petites quantités, elle peut être complètement métabolisée par le foie avant datteindre la circulation générale et les autres organes (effet de premier passage). Les xénobiotiques inhalés parviennent au foie par la circulation générale. Seule une fraction de la dose est alors métabolisée avant datteindre les autres organes.
Les cellules hépatiques contiennent diverses enzymes qui oxydent les xénobiotiques. Cette oxydation active généralement le composé, qui devient plus réactif que la molécule mère. Dans la plupart des cas, le métabolite oxydé est métabolisé plus complètement par dautres enzymes lors dune seconde phase. Ces enzymes conjuguent le métabolite avec une substance endogène, de sorte que la molécule augmente de volume et se polarise, ce qui facilite son élimination.
Les enzymes métabolisant les xénobiotiques sont également présentes dans dautres organes tels que les poumons et les reins où elles peuvent jouer des rôles spécifiques et qualitativement importants dans le métabolisme de certains xénobiotiques. Les métabolites formés dans un organe peuvent être ensuite métabolisés à nouveau dans un second organe. Les bactéries intestinales peuvent aussi participer à la biotransformation.
Les métabolites des xénobiotiques peuvent être excrétés par les reins ou par la bile. Ils peuvent aussi être exhalés par les poumons, ou se lier à des molécules endogènes dans lorganisme.
La relation entre la biotransformation et la toxicité est complexe. La biotransformation peut être considérée comme un processus nécessaire à la survie. Elle protège lorganisme vis-à-vis dune toxicité en empêchant les substances nocives de saccumuler dans lorganisme. Cependant, des métabolites réactifs intermédiaires peuvent se former lors de la biotransformation, métabolites qui sont potentiellement dangereux. Ce phénomène est appelé lactivation métabolique. La biotransformation peut donc induire également une toxicité. Sils ne sont pas conjugués, les métabolites oxydés intermédiaires peuvent se lier aux structures cellulaires et les endommager. Par exemple, la liaison dun métabolite de xénobiotique à lADN peut être à lorigine dune mutation (voir larticle «La toxicologie génétique»). Si le système de biotransformation est dépassé, il peut se produire une destruction massive de protéines essentielles ou des membranes lipidiques qui peut aboutir à la mort cellulaire (voir larticle «La lésion et la mort cellulaires»).
Le terme métabolisme est souvent employé de façon interchangeable avec celui de biotransformation. Il désigne la dégradation chimique ou les réactions de synthèse catalysées par des enzymes dans lorganisme. Les nutriments alimentaires, les composés endogènes et les xénobiotiques sont tous métabolisés dans lorganisme.
Lactivation métabolique signifie quun composé moins réactif est converti en une molécule plus réactive. Cette conversion se produit lors des réactions de phase I.
Linactivation métabolique renvoie au fait quune molécule active ou toxique est convertie en un métabolite moins actif. Ce phénomène se produit généralement lors des réactions de phase II. Dans certains cas, un métabolite inactivé peut être réactivé, par suite dun clivage enzymatique, par exemple.
La réaction de phase I, qui constitue la première étape du métabolisme dun xénobiotique, indique généralement que le composé est oxydé. Loxydation crée habituellement un composé plus hydrosoluble et facilite les réactions ultérieures.
Les enzymes du cytochrome P450 constituent un groupe denzymes oxydant préférentiellement les xénobiotiques lors des réactions de phase I. Les différentes enzymes sont spécialisées pour la prise en charge de groupes spécifiques de xénobiotiques présentant certaines caractéristiques. Les molécules endogènes sont également des substrats pour ces enzymes. Les enzymes du cytochrome P450 sont induites par des xénobiotiques dune manière spécifique. La connaissance dune induction du cytochrome P450 peut renseigner utilement sur la nature des expositions antérieures (voir larticle «Les déterminants génétiques de la réponse toxique»).
La réaction de phase II, qui représente la seconde étape dans le métabolisme des xénobiotiques, signifie que le composé oxydé est conjugué (couplé) à une molécule endogène. Cette réaction se caractérise par une augmentation de lhydrosolubilité. De nombreux métabolites conjugués sont fortement excrétés par la voie rénale.
Les transférases constituent un groupe denzymes catalysant les réactions de phase II. Elles conjuguent les xénobiotiques avec des composés endogènes tels que le glutathion, les acides aminés, lacide glucuronique ou le sulfate.
Le glutathion est une molécule endogène, un tripeptide, conjugué aux xénobiotiques lors des réactions de phase II. Il est présent dans toutes les cellules (en fortes concentrations dans les cellules hépatiques) et, généralement, protège de la toxicité des xénobiotiques activés. Lorsque le glutathion est épuisé, des réactions toxiques peuvent se produire entre les métabolites actifs des xénobiotiques et les protéines, les lipides ou lADN.
Linduction signifie que les enzymes participant à la biotransformation sont augmentées (en activité ou en quantité) en réponse à lexposition à un xénobiotique. Dans certains cas, lactivité peut subir plusieurs augmentations en quelques jours. Linduction est souvent équilibrée lorsque les réactions des phases I et II subissent simultanément une augmentation; il se produira alors une biotransformation plus rapide qui peut expliquer une tolérance. Au contraire, une induction déséquilibrée peut accroître la toxicité.
Linhibition de la biotransformation peut survenir lorsque deux xénobiotiques sont métabolisés par la même enzyme. Les deux substrats entrent en compétition et, généralement, lun des substrats lemporte. Dans ce cas, le second substrat nest pas métabolisé, ou lest plus lentement. Comme pour linduction, linhibition peut donc faire augmenter la toxicité ou la faire diminuer.
Lactivation de loxygène peut être déclenchée par les métabolites de certains xénobiotiques. Ils peuvent sauto-oxyder en produisant des espèces oxygénées activées. Ces espèces dérivées de loxygène, qui incluent le superoxyde, le peroxyde dhydrogène et le radical hydroxyle, peuvent léser lADN, les lipides et les protéines dans les cellules. Lactivation de loxygène intervient également dans les processus inflammatoires.
La variabilité génétique entre les individus a été constatée pour de nombreux gènes codant pour des enzymes de phase I et de phase II. Cette variabilité peut expliquer que certains individus soient plus sensibles que dautres aux effets toxiques des xénobiotiques.
Lorganisme humain constitue un système biologique complexe avec des niveaux dorganisation variés, depuis le niveau moléculaire-cellulaire jusquaux tissus et organes. Il sagit dun système ouvert, échangeant matière et énergie avec lenvironnement à travers des réactions biochimiques nombreuses en équilibre dynamique, environnement qui peut être pollué ou contaminé par divers toxiques.
La pénétration de molécules ou dions toxiques depuis lenvironnement, général ou professionnel, dans un tel système biologique si fortement coordonné, peut perturber de manière réversible ou irréversible les processus biochimiques cellulaires normaux, ou même léser et détruire la cellule (voir larticle «La lésion et la mort cellulaires»).
La pénétration dun toxique depuis lenvironnement jusquaux sites où il va exercer son effet toxique dans lorganisme peut être divisé en trois phases:
Nous nous intéresserons plus particulièrement aux processus toxicocinétiques qui ont lieu dans lorganisme humain après une exposition à des toxiques environnementaux.
Les molécules ou les ions toxiques présents dans lenvironnement pénètrent dans lorganisme à travers la peau et les muqueuses, ou les cellules épithéliales des appareils respiratoire et gastro-intestinal, selon la voie dentrée. Pour cela, les molécules et les ions toxiques doivent franchir les membranes cellulaires de ces systèmes biologiques ainsi que le réseau complexe des membranes se trouvant à lintérieur de la cellule.
Tous les processus toxicocinétiques et toxicodynamiques se produisent au niveau moléculaire ou cellulaire. Ils sont commandés par un certain nombre de facteurs que lon peut scinder en deux groupes fondamentaux:
Cest en 1854 que le toxicologue russe E.V. Pelikan a commencé létude de la relation entre la structure chimique dune substance et son activité biologique la relation structure-activité (RSA). La structure chimique détermine directement les propriétés physico-chimiques, dont certaines sont responsables de lactivité biologique.
Pour définir la structure chimique, on a le choix entre plusieurs paramètres ou descripteurs qui peuvent être répartis selon les groupes suivants:
Pour chaque toxique, il convient donc de sélectionner un ensemble de descripteurs correspondant à un mécanisme dactivité particulier. Néanmoins, du point de vue toxicocinétique, deux paramètres revêtent une importance générale pour tous les toxiques:
Dans le cas des aérosols et des poussières inhalées, leur toxicocinétique et leur toxicodynamique est aussi fonction de la taille des particules, de leur forme, de leur surface et de leur densité.
La cellule eucaryote est entourée dune membrane cytoplasmique qui commande le transport des substances et maintient lhoméostasie cellulaire. Les organites cellulaires (noyau, mitochondrie) possèdent eux aussi une membrane. Le cytoplasme cellulaire est compartimenté par des structures membranaires intriquées, le réticulum endoplasmique et lappareil de Golgi (endomembranes). Toutes ces membranes ont une structure semblable, mais diffèrent par leur teneur en lipides et en protéines.
Structurellement, les membranes sont constituées dune double couche de molécules lipidiques (phospholipides, sphingolipides, cholestérol). La principale composante de la molécule de phospholipide est le glycérol dont deux groupes OH sont estérifiés par des acides gras aliphatiques de 16 à 18 atomes de carbone, le troisième groupe étant estérifié par un groupe phosphate et un composé azoté (choline, éthanolamine, sérine). Les sphingolipides quant à eux sont surtout formés de sphingosine.
La molécule lipidique est amphipathique, car elle possède une «tête» polaire hydrophile (amino-alcool, phosphate, glycérol) et une double «queue» non polaire (acides gras). La double couche lipidique est disposée de telle sorte que les têtes hydrophiles constituent la surface intérieure et extérieure de la membrane et que les queues lipophiles sont étirées vers lintérieur de la membrane, qui contient de leau, divers ions et des molécules.
Des protéines et des glycoprotéines sont insérées dans la double couche lipidique (protéines intrinsèques) ou attachées à la surface de la membrane (protéines extrinsèques). Ces protéines contribuent à lintégrité structurale de la membrane, mais elles peuvent également remplir la fonction denzymes, de protéines porteuses, de parois de pores ou de récepteurs.
La membrane constitue une structure dynamique qui, selon les besoins fonctionnels, peut être désagrégée et reconstruite avec une proportion différente de lipides et de protéines.
Le contrôle du transport des substances à lintérieur et à lextérieur de la cellule constitue lune des fonctions fondamentales des membranes externes et internes.
Certaines molécules lipophiles passent directement à travers la double couche lipidique, les molécules hydrophiles et les ions étant transportés par les pores. Les membranes réagissent au changement de conditions en ouvrant ou en fermant des pores de diverses tailles.
Les processus et mécanismes suivants interviennent dans le transport de substances, y compris celui des toxiques, à travers les membranes:
Processus actifs:
Elle représente le mouvement des molécules et des ions à travers la double couche lipidique ou les pores depuis une région à forte concentration, ou à fort potentiel électrique, vers une région à faible concentration ou potentiel («gradient de concentration»). La différence de concentration ou de charge électrique est la force motrice déterminant lintensité du flux dans les deux directions. A létat déquilibre, lafflux est égal au flux sortant. La diffusion est régie par la loi de Fick, selon laquelle le taux est directement proportionnel à la surface membranaire disponible, au gradient de concentration (charge) et à un coefficient de diffusion, et inversement proportionnel à lépaisseur de la membrane.
Les petites molécules lipophiles passent facilement à travers la couche lipidique membranaire selon le coefficient de partage de Nernst.
Les grosses molécules lipophiles, les molécules hydrosolubles et les ions utilisent les pores aqueux pour leur passage. La taille et la configuration stérique conditionnent le passage des molécules. Pour les ions, outre la taille, le type de charge est déterminant. Les protéines constitutives de la paroi des pores peuvent acquérir une charge positive ou négative. Les pores étroits sont sélectifs les ligands chargés négativement permettant le seul passage des cations, les ligands chargés positivement uniquement celui des anions. Lorsque le diamètre du pore augmente, le flux hydrodynamique est dominant et permet le libre passage des ions et des molécules, selon la loi de Poiseuille. La filtration est une conséquence du gradient osmotique. Dans certains cas, les ions peuvent pénétrer par lintermédiaire de molécules spécifiques complexes les ionophores produits par des micro-organismes et présentant des effets antibiotiques (nonactine, valinomycine, gramicidine, etc.).
Ce type de diffusion requiert la présence dune molécule porteuse dans la membrane, généralement de nature protéique (perméase). La molécule porteuse fixe les substances dune manière sélective, ressemblant à un complexe substrat-enzyme. Des molécules similaires (y compris des toxiques) peuvent entrer en compétition vis-à-vis de la molécule porteuse spécifique jusquà ce que le point de saturation soit atteint. Des toxiques peuvent entrer en compétition vis-à-vis de la molécule porteuse; une fois liés à celle-ci de façon irréversible, le transport est bloqué. Chaque type de molécule porteuse présente un taux de transport caractéristique. Sil est réalisé dans les deux directions, le transport est appelé diffusion déchange.
Dans le cas de certaines substances vitales pour la cellule, un type spécial de transporteur existe, qui permet le transport contre le gradient de concentration ou le potentiel électrique («en amont»). La molécule porteuse présente une grande stéréospécificité et elle est saturable.
Ce type de transport nécessite de lénergie, qui lui est fournie par le clivage catalytique de molécules dATP en molécules dADP par lenzyme adénosine triphosphatase (ATP-ase).
Des toxiques peuvent interférer avec ce type de transport par inhibition compétitive ou non compétitive des molécules porteuses ou par inhibition de lactivité ATP-asique.
Lendocytose est un mécanisme de transport au cours duquel la membrane cellulaire enveloppe le matériau pour former une vésicule pénétrant dans la cellule. Lorsque le matériau concerné est liquide, le processus est appelé pinocytose. Dans certains cas, ce matériau est lié à un récepteur et le complexe ainsi formé est transporté par une vésicule membranaire. Cest ce type de transport quutilisent notamment les cellules épithéliales du tractus gastro-intestinal et les cellules hépatiques et rénales.
Lorganisme est exposé à de nombreux toxiques présents dans lenvironnement général ou professionnel. Ces toxiques peuvent pénétrer dans lorganisme par trois portes dentrée principales:
Dans lindustrie, linhalation représente la principale porte dentrée des toxiques, suivie de la pénétration cutanée. Dans lagriculture, labsorption en cas dexposition à certains pesticides se fait autant par la peau que par inhalation. Quant à la population dans son ensemble, elle est exposée par voie gastro-intestinale essentiellement (ingestion de nourriture, deau et de boissons contaminées), mais aussi par voie inhalatoire et, plus rarement, par pénétration cutanée.
Labsorption pulmonaire représente la principale voie de captation de nombreux toxiques présents dans lair (gaz, vapeurs, fumées, brouillards, poussières, aérosols, etc.).
Lappareil respiratoire constitue un système idéal pour les échanges gazeux. Il présente en effet une surface membranaire totale allant de 30 m2 (à lexpiration) à 100 m2 (lors dune inspiration profonde), faisant face à un réseau capillaire denviron 2 000 km. Le système, développé au cours de lévolution, est localisé dans un espace relativement petit (cavité thoracique) protégé par les côtes.
Anatomiquement et physiologiquement, lappareil respiratoire peut être divisé en trois compartiments:
Les toxiques hydrophiles sont facilement absorbés par lépithélium de la région nasopharyngienne, lépithélium des régions nasopharyngienne et trachéo-bronchique étant recouvert en totalité dun film aqueux. Les toxiques lipophiles sont un peu absorbés dans ces deux régions, mais ils le sont principalement au niveau des alvéoles par diffusion à travers les membranes alvéolo-capillaires. Le taux dabsorption dépend de la ventilation pulmonaire, du débit cardiaque (qui conditionne le flux sanguin au niveau pulmonaire), de la solubilité du toxique dans le sang et de son métabolisme.
Cest au niveau alvéolaire que seffectuent les échanges gazeux. La paroi alvéolaire est constituée dun épithélium, dune membrane basale interstitielle, de tissu conjonctif et dun endothélium capillaire. A travers ces couches dont lépaisseur est de 0,8 µm environ, la diffusion des toxiques est très rapide. Dans les alvéoles, le toxique est échangé entre la phase aérienne et la phase liquide (sang). Le taux dabsorption dun toxique (distribution de lair vers le sang) dépend de sa concentration dans lair alvéolaire et du coefficient de partage de Nernst pour le sang (coefficient de solubilité).
Dans le sang, le toxique est dissous dans la phase liquide par simple processus physique ou par suite de sa liaison aux cellules sanguines ou aux constituants plasmatiques selon laffinité chimique ou par adsorption. Le sang contenant 75% deau, les gaz et les vapeurs hydrophiles présentent donc une grande solubilité dans le plasma (par exemple, les alcools). Les toxiques lipophiles (comme le benzène) sont généralement liés aux cellules ou aux macromolécules telles que lalbumine.
Dès le début dune exposition par voie pulmonaire, deux processus opposés surviennent: labsorption et la désorption. Léquilibre entre ces processus dépend de la concentration du toxique dans lair alvéolaire et le sang. En début dexposition, la concentration sanguine en toxiques est nulle et la rétention dans ce milieu est pratiquement totale. Avec la poursuite de lexposition, un équilibre sétablit entre labsorption et la désorption. Les toxiques hydrophiles atteignent rapidement léquilibre et le taux dabsorption dépend de la ventilation pulmonaire plutôt que du flux sanguin. Les toxiques lipophiles ont besoin dun temps plus long pour atteindre léquilibre et, dans ce cas, le flux de sang insaturé commande le taux dabsorption.
Le dépôt des particules et des aérosols dans le tractus respiratoire dépend de facteurs physiques et physiologiques et de la taille des particules. Plus la particule est petite, plus elle pénètre profondément dans le tractus respiratoire.
La rétention relativement faible des particules de poussière observée de façon constante dans les poumons de personnes fortement exposées (les mineurs, par exemple) donne à penser quil existe un système très efficace de clairance des particules. Dans la partie supérieure du tractus respiratoire (zone trachéo-bronchique), cette fonction est assurée par une couche mucociliaire. Dans la partie pulmonaire, trois mécanismes ou niveaux interviennent: 1) la couche mucociliaire; 2) la phagocytose; 3) la pénétration directe des particules à travers la paroi alvéolaire.
Les 17 premières des 23 arborescences de larbre trachéo-bronchique possèdent des cellules épithéliales ciliées. Par leurs mouvements, ces cils poussent continuellement une couche de mucus vers la bouche. Les particules déposées sur cette couche mucociliaire sont avalées au niveau buccal (ingestion). Une couche de mucus couvre également la surface de lépithélium alvéolaire, se déplaçant en direction de la couche mucociliaire. De plus, des cellules spécialisées pouvant se déplacer les phagocytes absorbent les particules et les micro-organismes présents dans les alvéoles et migrent dans deux directions possibles:
Les toxiques peuvent être ingérés à la suite dune ingestion accidentelle, de labsorption de nourriture ou de boissons contaminées, ou par ingestion de particules éliminées par le tractus respiratoire.
Le tractus digestif dans son intégralité, depuis lsophage jusquà lanus, présente la même structure de base. Une couche muqueuse (épithélium) est sous-tendue de tissu conjonctif et, au-delà, par un réseau de capillaires et de muscle lisse. La surface de lépithélium stomacal est très plissée ce qui accroît la surface dabsorption et de sécrétion. La surface intestinale contient de nombreux replis (villosités), capables dabsorber le matériel par «pompage». La surface active pour labsorption dans les intestins est denviron 100 m2.
Au niveau du tractus gastro-intestinal, tous les processus dabsorption sont très actifs:
Certains ions de métaux toxiques utilisent les systèmes de transport spécialisés des éléments essentiels: le thallium, le cobalt et le manganèse font appel au système de transport du fer, le plomb employant celui du calcium.
De nombreux facteurs ont une influence sur le taux dabsorption des toxiques dans les diverses parties du tractus gastro-intestinal:
Il faut également mentionner la circulation entéro-hépatique. Les toxiques ou leurs métabolites polaires (glucuronides et autres conjugués) sont excrétés avec la bile dans le duodénum. A ce niveau, les enzymes de la microflore réalisent une hydrolyse et les produits libérés peuvent être réabsorbés et transportés par la veine porte vers le foie. Ce mécanisme est très dangereux dans le cas de substances hépatotoxiques, car il permet leur accumulation temporaire dans le foie.
Sagissant des toxiques biotransformés dans le foie en métabolites moins toxiques ou non toxiques, lingestion peut représenter une voie dentrée moins dangereuse. Après absorption dans le tractus gastro-intestinal, ces toxiques sont transportés par la veine porte au foie où ils peuvent être partiellement détoxifiés par biotransformation.
La peau (1,8 m2 de surface chez ladulte) et les muqueuses des orifices recouvrent la surface corporelle. La peau agit comme un rempart vis-à-vis des agents physiques, chimiques et biologiques et, entre autres tâches physiologiques, elle maintient lintégrité du corps et lhoméostasie.
La peau est constituée de trois couches: lépiderme, la vraie peau (le derme) et les tissus sous-cutanés (hypoderme). Du point de vue toxicologique, lépiderme est du plus grand intérêt. Il est constitué de nombreuses couches cellulaires. Une surface calleuse de cellules mortes aplaties (stratum corneum, couche cornée) constitue la couche supérieure, sous laquelle se trouvent une couche continue de cellules vivantes (stratum corneum compactum, couche cornée compacte), une membrane lipidique typique, puis le stratum lucidum, le stratum granulosum et le stratum mucosum. La membrane lipidique représente une barrière protectrice que traversent les follicules des poils et les canaux des glandes sudoripares dans les parties velues de la peau. Labsorption dermique peut donc se faire selon les mécanismes suivants:
Le taux dabsorption à travers la peau dépend de nombreux facteurs:
Quelle que soit la voie dabsorption, les toxiques atteignent le sang, la lymphe ou les autres fluides corporels. Le sang représente le véhicule principal assurant le transport des toxiques et de leurs métabolites.
Le sang, tissu liquide fluide circulant, transporte loxygène et les nutriments nécessaires aux cellules et élimine les produits de déchet du métabolisme. Il contient également des composants cellulaires, des hormones et dautres molécules participant à de nombreuses fonctions physiologiques. Le sang circule à lintérieur dun réseau de vaisseaux sanguins, relativement bien fermé et sous pression élevée en raison de lactivité cardiaque. Cette pression élevée entraîne une fuite liquidienne et le système lymphatique fait office de système de drainage grâce à un fin réseau de petits capillaires lymphatiques à paroi mince ayant des ramifications dans les tissus mous et les organes.
Le sang est le mélange dune phase liquide (plasma, 55%) et dune phase solide constitué de cellules sanguines (45%). Le plasma contient des protéines (albumines, globulines, fibrinogène), des acides organiques (lactique, glutamique, citrique) et de nombreuses autres substances (lipides, lipoprotéines, glycoprotéines, enzymes, sels, xénobiotiques, etc.). Les cellules sanguines comprennent les érythrocytes, les leucocytes, les réticulocytes, les monocytes et les plaquettes.
Les toxiques sont absorbés sous forme moléculaire ou ionique. Certains dentre eux forment, au pH du sang, des particules colloïdales constituant la troisième forme de transport dans ce liquide. Les molécules, les ions et les colloïdes toxiques sont transportés dans le sang de diverses manières:
La plupart des toxiques sanguins se trouvent soit à létat libre dans le plasma, soit liés aux érythrocytes et aux constituants plasmatiques. Leur distribution dépend de leur affinité envers ces constituants. Toutes les fractions sont en équilibre dynamique.
Certains toxiques sont transportés par les éléments du sang la plupart par les érythrocytes très rarement par les leucocytes. Les toxiques peuvent être adsorbés à la surface des érythrocytes ou se lier aux ligands du stroma. Sils pénètrent dans les érythrocytes, ils peuvent se lier à lhème (le monoxyde de carbone et le sélénium, par exemple) ou à la globine (Sb111, Po210). Parmi les toxiques transportés par les érythrocytes, on trouve larsenic, le césium, le plomb, le radium, le sodium et le thorium. Le chrome hexavalent est exclusivement lié aux érythrocytes et le chrome trivalent aux protéines plasmatiques. Dans le cas du zinc, on assiste à une concurrence entre les érythrocytes et le plasma. Le plomb est transporté à 96% environ par les érythrocytes. Le mercure organique est principalement lié aux érythrocytes, le mercure inorganique étant en majeure partie acheminé par lalbumine plasmatique. De petites fractions de béryllium, de cuivre, de tellure et duranium sont prises en charge par les érythrocytes.
La majorité des toxiques sont transportés par le plasma ou les protéines plasmatiques. De nombreux électrolytes sont présents sous forme ionique en équilibre avec les molécules non ionisées libres ou associées aux fractions plasmatiques. La fraction ionique des toxiques est très diffusible et pénètre à travers les parois des capillaires dans les tissus et organes. Les gaz et vapeurs peuvent être dissous dans le plasma.
Les protéines plasmatiques possèdent une surface totale denviron 600 à 800 km2 pouvant assurer labsorption des toxiques. Les molécules dalbumine possèdent environ 109 ligands cationiques et 120 ligands anioniques à la disposition des ions. De nombreux ions sont partiellement transportés par lalbumine (cadmium, cuivre et zinc, par exemple). Il en va de même pour les composés tels que les dinitro- et ortho-crésols, les dérivés nitrés et halogénés des hydrocarbures aromatiques et les phénols.
Les molécules de globuline (alpha et bêta) transportent des toxiques de faible poids moléculaire, des ions métalliques (cuivre, fer et zinc) et des particules colloïdales. Le fibrinogène a une affinité pour les molécules de faible poids moléculaire. Divers types de liaisons peuvent se former entre les toxiques et les protéines plasmatiques: forces de van der Waals, attraction de charges, association entre groupes polaires et apolaires, ponts hydrogène, liaisons covalentes.
Les lipoprotéines plasmatiques transportent des toxiques lipophiles comme les PCB. Les autres fractions plasmatiques interviennent aussi dans ce transport. Laffinité des toxiques pour les protéines plasmatiques témoigne de leur affinité protéique dans les tissus et les organes lors de la distribution.
Les acides organiques (lactique, glutamique, citrique) forment des complexes avec certains toxiques. Les éléments alcalins et les terres rares, de même que certains éléments lourds sous forme cationique, sont également complexés avec des oxyacides organiques et des acides aminés. Tous ces complexes sont généralement diffusibles et facilement distribués dans les tissus et les organes.
Physiologiquement, les agents chélateurs plasmatiques tels que la transferrine et la métallothionéine rivalisent avec les acides organiques et les acides aminés vis-à-vis des cations pour former des chélates stables.
Les ions libres diffusibles et certains complexes et molécules libres passent facilement du sang aux tissus et aux organes. La fraction libre des ions et des molécules est en équilibre dynamique avec la fraction liée. La distribution dun toxique du sang vers les tissus et les organes ou, inversement, sa mobilisation depuis les tissus et les organes vers le sang, dépendent de sa concentration sanguine.
Lorganisme humain peut être divisé en plusieurs compartiments: 1) les organes internes; 2) la peau et les muscles; 3) le tissu adipeux; 4) le tissu conjonctif et le tissu osseux. Cette classification est principalement basée sur le degré, en loccurrence décroissant, dirrigation vasculaire (sanguine). Ainsi, les organes internes (dont le cerveau), représentant 12% du poids corporel total, reçoivent environ 75% du volume sanguin total. A lopposé, les tissus conjonctif et osseux (15% du poids total du corps) ne reçoivent que 1% du volume sanguin total.
Les organes internes fortement irrigués atteignent généralement la plus forte concentration toxique dans le temps le plus court; de même, létat déquilibre entre ces organes et le sang est atteint plus rapidement. La captation des toxiques par les tissus moins perfusés est plus lente, mais la rétention y est plus forte et la durée de séjour plus longue (accumulation) en raison de la faible perfusion.
Trois éléments revêtent une importance capitale dans la distribution intracellulaire des toxiques: leau, les lipides et les protéines, et en particulier leur teneur dans les cellules des divers tissus et organes. Les compartiments susmentionnés se caractérisent par une teneur en eau cellulaire décroissante. Les toxiques hydrophiles sont distribués plus rapidement dans les fluides et les cellules riches en eau, alors que la distribution des toxiques lipophiles est plus rapide vers les cellules à contenu lipidique élevé (tissus gras).
Lorganisme possède des barrières empêchant la pénétration de certains groupes de toxiques, surtout hydrophiles, dans des organes et des tissus:
Comme nous lavons déjà mentionné, seules les formes libres des toxiques dans le plasma (molécules, ions, colloïdes) peuvent pénétrer à travers les parois capillaires. Cette fraction libre est en équilibre dynamique avec la fraction liée. La concentration des toxiques dans le sang, qui est elle aussi en équilibre dynamique avec leur concentration dans les organes et les tissus, commande leur rétention (accumulation) ou leur mobilisation dans ces milieux.
Létat général de lorganisme, létat fonctionnel des organes (en particulier la régulation neuro-humorale), léquilibre hormonal et dautres facteurs jouent un rôle dans la distribution.
La rétention dun toxique dans un compartiment donné est généralement temporaire et se termine par une redistribution vers dautres tissus. La rétention et laccumulation sont basées sur les différences entre vitesse dabsorption et vitesse délimination. La durée de rétention dans un compartiment est exprimée par la demi-vie biologique, intervalle de temps durant lequel 50% du toxique sont éliminés du tissu ou de lorgane pour être redistribués dans lorganisme ou en être éliminés.
Lors de la distribution et de la rétention dans les organes et tissus, on asssiste à divers processus de biotransformation. Cette biotransformation produit des métabolites plus polaires et plus hydrophiles, qui sont plus faciles à éliminer. Un taux faible de biotransformation dun toxique lipophile provoque généralement son accumulation dans un compartiment.
Les toxiques peuvent être divisés en quatre groupes principaux selon leur affinité et leur mode prédominant de rétention et daccumulation dans un compartiment particulier:
Un homme «normal» de 70 kg de poids corporel est constitué de 15% environ de tissu adipeux (jusquà 50% chez lobèse), mais cette fraction lipidique nest pas répartie uniformément. Le cerveau (SNC) est un organe riche en lipides et les nerfs périphériques sont entourés dune gaine de myéline riche en lipides et en cellules de Schwann, tissus qui tous permettent laccumulation de toxiques lipophiles.
De nombreux toxiques non ionisés et apolaires ayant un coefficient de partage de Nernst favorable seront distribués dans ce compartiment, de même que de nombreux solvants organiques (alcools, aldéhydes, cétones, etc.), des hydrocarbures chlorés (dont les insecticides organochlorés comme le DDT), certains gaz inertes (radon), etc.
Le tissu adipeux accumule les toxiques en raison de sa vascularisation et de son taux de biotransformation faibles. Laccumulation des toxiques peut y représenter une sorte de «neutralisation» temporaire du fait de labsence de cibles pour leffet toxique dans ce milieu. Cependant, le danger potentiel pour lorganisme est toujours présent en raison de la possibilité dune mobilisation des toxiques depuis ce compartiment vers la circulation.
Le dépôt de toxiques au niveau cérébral (SNC) ou dans le tissu riche en lipides de la gaine de myéline du système nerveux périphérique savère très nocif. En effet, les neurotoxiques sont déposés directement à proximité de leur cible. Les toxiques retenus dans les tissus riches en lipides des glandes endocrines peuvent entraîner des troubles hormonaux. Malgré la barrière hémato-encéphalique, de nombreux neurotoxiques lipophiles atteignent le cerveau (SNC): anesthésiques, organomercuriels, pesticides, plomb tétraéthyle, solvants organiques, etc.
Dans tous les tissus et organes, des cellules spéciales possèdent une activité phagocytaire leur permettant de piéger les micro-organismes, les particules, les particules colloïdales, etc. Ce système, appelé système réticulo-endothélial, comporte à la fois des cellules fixes et des cellules mobiles (phagocytes) présentes sous forme inactive. Lorsquelles se trouvent exposées à un nombre élevé de microbes ou de particules, ces cellules sont activées jusquà un point de saturation.
Les toxiques colloïdaux sont captés par le système réticulo-endothélial des organes et des tissus. La distribution dépend de la taille des particules colloïdales, la rétention des plus grosses particules ayant lieu préférentiellement dans le foie. Pour les particules colloïdales plus petites, une distribution plus ou moins uniforme se fait entre la rate, la moelle osseuse et le foie. Au niveau du SNC, la clairance des colloïdes est très lente, alors que les petites particules sont éliminées de façon relativement plus rapide.
Environ 60 éléments sont identifiés comme éléments ostéotrophiques, ou «chercheurs dos».
Les éléments ostéotrophiques peuvent être divisés en trois groupes:
Le squelette dun homme normal représente 10 à 15% du poids corporel total et constitue un potentiel de stockage important pour les toxiques ostéotrophiques. Los est un tissu hautement spécialisé formé, en volume, de 54% de minéraux et de 38% de matrice organique. La matrice minérale osseuse est constituée dhydroxyapatite, Ca10(PO4)6(OH)2, dans laquelle le rapport Ca/P est denviron 1,5 à 1. La surface de minéral disponible pour ladsorption est denviron 100 m2 par gramme de tissu osseux.
Les os du squelette peuvent être divisés en deux catégories en fonction de leur activité métabolique:
Chez le ftus, le nouveau-né et le jeune enfant, los métabolique («squelette disponible») représente près de 100% du squelette. Ce pourcentage dos métabolique décroît avec lâge. Lincorporation des toxiques lors dune exposition se fait dans los métabolique et dans les compartiments se renouvelant plus lentement.
Cette incorporation se produit de deux manières:
Los minéral, hydroxyapatite, représente un système complexe déchange ionique. Les ions calcium peuvent être échangés avec divers cations. Les anions présents dans los peuvent également être échangés par des anions: le phosphate par des citrates et des carbonates, lhydroxyle par des fluorures. Les ions non échangeables peuvent être adsorbés à la surface minérale. Lorsque des ions toxiques sont incorporés dans le minéral, une nouvelle couche de minéral peut recouvrir la précédente, emprisonnant le toxique dans la structure osseuse. Léchange ionique est un processus réversible, dépendant de la concentration en ions, du pH et du volume de fluide. Ainsi, une augmentation en calcium alimentaire peut faire diminuer le dépôt dions toxiques dans le réseau minéral. Avec lâge, le pourcentage dos métabolique baisse, alors que léchange ionique se poursuit; on assiste alors à une résorption osseuse, au cours de laquelle la densité osseuse décroît. Les toxiques présents dans los peuvent alors être relargués (plomb, par exemple).
Environ 30% des ions incorporés dans les os sont faiblement fixés et peuvent être échangés, capturés par des agents chélateurs naturels, puis excrétés, avec une demi-vie biologique de 15 jours. Les 70% restants sont fixés plus solidement, leur mobilisation et leur excrétion ayant une demi-vie biologique de 2,5 années ou plus selon le type dos (processus de remodelage).
Les agents chélateurs (Ca-EDTA, pénicillamine, BAL, etc.) peuvent mobiliser des quantités très importantes de métaux lourds et entraîner une forte augmentation de leur excrétion urinaire.
Les particules colloïdales sont adsorbées à la manière dun film sur la surface minérale (100 m2 par g) par des forces de van der Waals ou par adsorption chimique. Cette couche colloïdale est ensuite recouverte par la couche suivante de minéral et les toxiques sont alors intériorisés dans la structure osseuse. Le taux de mobilisation et délimination dépend des processus de remodelage.
Les cheveux et les ongles, riches en groupes thiols, contiennent de la kératine, capables de chélater les cations métalliques comme le mercure et le plomb.
La distribution de certains toxiques, en particulier les métaux lourds, à lintérieur des cellules dans les tissus et les organes a fait lobjet détudes récentes. Grâce aux techniques dultracentrifugation, il est possible de séparer les diverses fractions cellulaires pour étudier leur teneur en ions métalliques et autres toxiques.
Les études chez lanimal ont montré quaprès pénétration dans la cellule, certains ions métalliques sont liés à une molécule spécifique, la métallothionéine. Cette protéine de faible poids moléculaire est présente dans les cellules hépatiques, rénales, et dans dautres organes et tissus. Les groupes thiols de cette molécule peuvent fixer six ions par molécule. La biosynthèse de cette protéine résulte de la présence accrue dions métalliques. Les ions cadmium sont les plus puissants inducteurs. La métallothionéine a également pour fonction de maintenir lhoméostasie des ions vitaux comme le cuivre et le zinc. Elle peut fixer le bismuth, le cadmium, le cobalt, le cuivre, le mercure, lor, le zinc et dautres cations.
Durant leur rétention dans les cellules des divers tissus et organes, les toxiques sont exposés à des enzymes qui peuvent les biotransformer (métaboliser) et les transformer en métabolites. Lélimination des toxiques ou de leurs métabolites peut se faire de multiples façons: par lair exhalé, lurine, la bile, la sueur, la salive, le lait, les cheveux et les ongles.
Elle dépend de la voie dentrée. Au niveau pulmonaire, le processus dabsorption/désorption débute immédiatement, les toxiques étant partiellement éliminés par lair exhalé. Plus longue, lélimination des toxiques absorbés par les autres voies commence après le transport sanguin et nest complète quaprès distribution et biotransformation. Pendant labsorption, on assiste à un équilibre entre les concentrations du toxique dans le sang et dans les tissus et organes. Lexcrétion fait diminuer la concentration sanguine du toxique et peut induire sa mobilisation depuis les tissus vers le sang.
De nombreux facteurs exercent une influence sur le taux délimination des toxiques et de leurs métabolites:
Il est possible de distinguer deux groupes de compartiments: 1) le système déchange rapide dans lequel la concentration tissulaire du toxique est semblable à celle du sang; 2) le système déchange lent, où cette concentration est plus élevée que dans le sang en raison dune liaison et dune accumulation, au niveau du tissu adipeux, du squelette et des reins, ce qui se traduit par une rétention temporaire de certains toxiques, larsenic et le zinc, par exemple.
Un toxique peut être éliminé simultanément par deux ou plusieurs voies dexcrétion. Cependant, une voie est généralement prédominante.
Les scientifiques ont mis au point des modèles mathématiques décrivant lexcrétion dun toxique donné. Ces modèles sont basés sur la mobilisation à partir dun ou de deux compartiments (systèmes déchange), sur la biotransformation, etc.
Lélimination par les poumons (désorption) est caractéristique des toxiques ayant une forte volatilité (solvants organiques, par exemple). Les gaz et les vapeurs de faible solubilité dans le sang seront facilement éliminés par cette voie, les toxiques de forte solubilité dans le sang létant par dautres voies.
Les solvants organiques absorbés par le tractus gastro-intestinal ou la peau sont partiellement éliminés par lair inhalé à chaque passage du sang à travers les poumons, sils ont une pression de vapeur suffisante. LAlcootest utilisé pour déceler et évaluer lalcoolémie des conducteurs fait appel à cette propriété. La concentration en oxyde de carbone dans lair exhalé est en équilibre avec la teneur du sang en carboxyhémoglobine. Le radon, gaz radioactif, apparaît dans lair exhalé à la suite de la baisse du radium accumulé dans le squelette.
Lélimination dun toxique par lair exhalé en fonction de la période postérieure à lexposition est généralement exprimée par une courbe triphasique. La première phase correspond à lélimination du toxique du sang, à demi-vie courte. La seconde phase, plus lente, représente lélimination par échange sanguin avec les tissus et les organes (système déchange rapide). La troisième phase, très lente, est due à léchange du sang avec les tissus adipeux et le squelette. Si le toxique nest pas accumulé dans ces derniers compartiments, la courbe sera biphasique. Dans certains cas, on peut aussi obtenir une courbe à quatre phases.
Pour établir lexposition des travailleurs, on procède parfois au dosage des gaz et des vapeurs dans lair exhalé au cours de la période suivant lexposition.
Le rein est un organe spécialisé dans lexcrétion de nombreux toxiques et métabolites hydrosolubles, permettant de maintenir lhoméostasie de lorganisme. Chaque rein possède environ un million de néphrons capables dassurer cette excrétion. Lexcrétion rénale est un mécanisme très complexe comprenant trois processus:
Lexcrétion dun toxique par la voie urinaire dépend du coefficient de partage de Nernst, de la constante de dissociation et du pH urinaire, de la taille et de la forme de la molécule, de sa transformation en métabolites plus hydrophiles et de létat de la fonction rénale.
La cinétique de lexcrétion rénale dun toxique et de ses métabolites peut être schématisée par une courbe à deux, trois ou quatre phases, selon la distribution du toxique dans les divers compartiments corporels en fonction de la vitesse déchange avec le sang.
Certains médicaments et ions métalliques peuvent être excrétés par la salive, par exemple, le plomb («liséré de Burton»), le mercure, larsenic, le cuivre, de même que les bromures et les iodures, lalcool éthylique, les alcaloïdes, etc. Les toxiques sont ensuite ingérés pour atteindre le tractus gastro-intestinal, où ils peuvent être réabsorbés ou éliminés par les fèces.
De nombreux produits non ionisés peuvent être partiellement éliminés par la sueur: alcool éthylique, acétone, phénols, sulfure de carbone et hydrocarbures chlorés.
De nombreux métaux, solvants organiques et certains pesticides organochlorés (DDT) sont excrétés dans le lait maternel. Cette excrétion lactée peut représenter un danger pour les enfants lors de lallaitement.
Lanalyse des cheveux peut être utilisée comme indicateur de lhoméostasie pour diverses substances physiologiques. On peut évaluer par ce moyen lexposition à certains toxiques, les métaux lourds en particulier.
Lélimination des toxiques peut être accélérée par:
Le dosage des toxiques et des métabolites dans le sang, lair exhalé, lurine, la sueur, les fèces et les cheveux est de plus en plus utilisé pour évaluer lexposition humaine (tests dexposition) ou le degré dintoxication. Cest ainsi que des limites biologiques dexposition (concentrations maximales admissibles (MAC)) et des indices biologiques dexposition (Biological Exposure Indices (BEI)) ont été établis récemment. Ces dosages biologiques permettent dévaluer l«exposition interne» de lorganisme, cest-à-dire lexposition totale du corps à la fois dans lenvironnement général et dans le milieu de travail, quelles que soient les voies de pénétration (voir larticle «Les indicateurs biologiques»).
Les individus sont exposés dordinaire, sur leur lieu de travail comme dans lenvironnement général, à plusieurs agents physiques et chimiques de façon simultanée ou consécutive. En outre, certaines personnes prennent des médicaments, fument, consomment de lalcool et de la nourriture contenant des additifs, etc., autant de facteurs à lorigine eux aussi dexpositions multiples. Les agents physiques et chimiques peuvent interagir à chaque étape des processus toxicocinétiques ou toxicodynamiques, entraînant trois effets possibles:
Les études concernant les effets combinés sont rares. Elles sont en effet très complexes en raison des nombreux facteurs et agents à prendre en compte.
En cas dexposition à deux ou à plusieurs toxiques de manière simultanée ou consécutive, il convient donc denvisager la possibilité que certains effets puissent se conjuguer et entraîner soit une augmentation, soit une diminution des processus toxicocinétiques.
La toxicologie professionnelle et environnementale a pour principal objectif daméliorer la prévention des risques dus à lexposition à des agents nocifs, dans lenvironnement général ou professionnel, ou de limiter de façon notoire leurs effets sur la santé. Des systèmes ont été mis au point qui permettent dévaluer de manière quantitative le risque lié à une exposition donnée (voir larticle «La toxicologie et les réglementations en matière de sécurité et de santé»).
Les effets dun produit chimique sur un système ou organe donné sont liés à lintensité et au type dexposition: aiguë ou chronique. Etant donné la diversité des effets toxiques pouvant survenir dans un système ou organe, on a adopté vis-à-vis des organes et des effets critiques une démarche générale qui permet dévaluer le risque et détablir des limites de concentration à visée sanitaire pour les substances toxiques présentes dans lenvironnement.
Du point de vue de la médecine préventive, il est très important didentifier les effets nocifs précoces, pour pouvoir prévenir ou limiter lapparition de conséquences pour la santé plus graves encore.
Cest lapproche qui a été choisie pour les métaux lourds. Ces métaux, comme le cadmium, le mercure et le plomb, appartiennent à un groupe particulier de substances dont la toxicité chronique sexerce par accumulation dans les organes. Un groupe de travail spécialisé dans la toxicité des métaux (Nordberg, 1976) a adopté à cet égard les définitions ci-dessous.
La définition de lorgane critique proposée par ce groupe de travail a été adoptée avec une légère modification, le terme métal ayant été remplacé par lexpression substance potentiellement toxique (Duffus, 1993).
Lorsquon décide de considérer quun organe ou un système donné est critique, on tient compte non seulement du mécanisme toxique du produit dangereux, mais également de la voie dabsorption et de la population exposée.
Du point de vue biologique, on ne connaît pas toujours la signification de leffet sous-critique; il peut servir dindice biologique dexposition, dindice dadaptation ou deffet critique précurseur (voir larticle «Les indicateurs biologiques»). Cette dernière possibilité peut avoir un intérêt prophylactique particulier.
Le tableau 33.1 donne des exemples dorganes et deffets critiques pour différents produits chimiques. Lors de lexposition chronique au cadmium dorigine environnementale, où la voie dabsorption est dune importance secondaire (les concentrations de cadmium dans lair vont de 10 à 20 µg/m3 en zone urbaine et de 1 à 2 µg/m3 en zone rurale), lorgane critique est le rein. Dans une entreprise où la valeur limite dexposition est de 50 µg/m3, linhalation représente la principale voie dexposition, les deux organes considérés comme critiques étant le poumon et le rein.
Substance |
Organe critique lors d’une exposition chronique |
Effet critique |
Cadmium |
Poumons |
Sans seuil: |
Reins |
Seuil: |
|
|
Poumons |
Modifications fonctionnelles bénignes, emphysème |
Plomb |
Adultes |
Excrétion accrue d’acide δ-aminolévulinique urinaire (ALA-U); augmentation de la concentration en protoporphyrine libre érythrocytaire (PLE) |
|
Système nerveux périphérique |
Ralentissement des vitesses de conduction des fibres nerveuses les plus lentes |
Mercure (élémentaire) |
Jeunes enfants |
Diminution du QI et autres effets discrets; tremblement mercuriel (doigts, lèvres, |
Mercure (mercurique) |
Reins |
Protéinurie |
Manganèse |
Adultes |
Altération des fonctions psychomotrices |
Enfants |
|
|
|
Système nerveux central |
Altération des fonctions psychomotrices |
Toluène |
Muqueuses |
Irritation |
Chlorure de vinyle |
Foie |
Cancer (angiosarcome, risque unitaire 1 × 10–6) |
Acétate d’éthyle |
Muqueuses |
Irritation |
Avec le plomb, les organes critiques chez ladulte sont le système hématopoïétique et le système nerveux périphérique, où les effets critiques (augmentation de la concentration en protoporphyrine érythrocytaire libre (PEL), augmentation de lexcrétion urinaire en acide delta-aminolévulinique, ou troubles de la conduction nerveuse périphérique) apparaissent lorsque le taux de plombémie (indice dabsorption systémique du plomb) avoisine 200 à 300µg/l. Chez le jeune enfant, où lorgane critique est le système nerveux central (SNC), des symptômes de dysfonctionnement, mis en évidence à laide de tests psychologiques, apparaissent dans les populations étudiées à des concentrations de lordre de 100 µg/l de plombémie.
Dautres définitions permettent de mieux expliciter la notion deffet critique. Selon lOMS (1989), leffet critique correspond au premier effet nocif apparaissant lorsque le seuil (critique) de concentration ou de dose est atteint dans lorgane critique. Des effets nocifs comme le cancer, pour lequel aucune concentration seuil nest définie, sont souvent considérés comme critiques. La décision de juger si un effet est critique ou non est affaire de spécialiste. Dans les lignes directrices du Programme international sur la sécurité des substances chimiques (PISSC) concernant létablissement des documents appelés Environmental Health Criteria Documents, on définit leffet critique comme étant leffet nocif jugé le plus approprié pour déterminer la dose admissible. Cette définition a été formulée dans le but dévaluer les limites dexposition compatibles avec la santé dans lenvironnement général. Lessentiel paraît donc détablir quel effet doit être considéré comme nocif. Selon la terminologie actuelle, leffet nocif est la modification de morphologie, physiologie, croissance, développement ou durée de vie dun organisme résultant dune moindre capacité à compenser un stress additionnel ou dune augmentation de la sensibilité aux effets nocifs dorigine environnementale. Seul un expert est en mesure de juger si un effet est nocif ou non.
La figure 33.1 montre les courbes dose-réponse hypothétiques correspondant à divers effets. Lors dune exposition au plomb, A représente un effet sous-critique (inhibition de lALA-déshydratase érythrocytaire), B leffet critique (augmentation de la protoporphyrine zinc érythrocytaire ou de lexcrétion de lacide δ-aminolévulinique), C leffet clinique (anémie) et D lissue fatale (décès). La dépendance existant entre les effets liés à lexposition et la plombémie (témoin de la dose) sont évidents dans lintoxication saturnine, aussi bien sous langle de la relation dose-réponse que pour les différentes variables (sexe, âge, etc.). Létablissement des effets critiques et de la relation dose-réponse pour ces effets chez lhumain permet de prévoir la fréquence dun effet déterminé pour une dose donnée ou sa contrepartie (concentration dans le milieu biologique) dans une population donnée.
Les effets critiques peuvent être de deux types: ceux qui ont un seuil et ceux pour lesquels il existe un risque, quel que soit le niveau dexposition (absence de seuil pour les cancérogènes génotoxiques et les mutagènes au niveau des cellules germinales). Chaque fois que possible, on doit évaluer le risque à partir de données humaines appropriées. Pour établir les seuils à appliquer à lensemble dune population, des estimations du niveau dexposition (dose admissible, indices biologiques dexposition) doivent être faites, de sorte que la fréquence de leffet critique dans la population exposée à un toxique donné corresponde à la fréquence de cet effet dans la population générale. Lors de lexposition au plomb, la valeur maximale recommandée pour la plombémie dans la population générale (200 µg/l, médiane inférieure à 100 µg/l) (OMS, 1987) est pratiquement inférieure à la valeur seuil pour leffet critique supposé augmentation du taux de protoporphyrine érythrocytaire libre mais cette valeur est supérieure à celle responsable des effets sur le SNC chez lenfant ou sur la pression sanguine chez ladulte. De façon générale, si des données obtenues à partir détudes bien conduites sur une population humaine permettent de définir un niveau pour lequel aucun effet nocif nest observé et constituent une base dévaluation de la sécurité, on considère quil convient dappliquer un facteur dincertitude de dix. En cas dexposition professionnelle, les effets critiques peuvent se référer à ceux observés dans une certaine proportion de la population (par exemple, 10%). Ainsi, lors dune exposition saturnine en milieu de travail, le niveau de plombémie admissible à visée sanitaire recommandé chez les hommes a été fixé à 400 mg/l, en partant du principe que, pour une plombémie de lordre de 300 à 400 mg/l, on observe une excrétion de 5 mg/l dALA-U chez 10% dentre eux. Sagissant de lexposition professionnelle au cadmium (en admettant que laugmentation de lexcrétion urinaire de protéines de faible poids moléculaire constitue leffet critique), on a fixé à 200 ppm la valeur admissible pour ce métal dans le cortex rénal, car cet effet critique est observé chez 10% de la population exposée. Cependant, en 1996, de nombreux pays envisageaient dabaisser ces valeurs.
Les avis divergent quant à la méthode à suivre pour évaluer le risque de produits chimiques pour lesquels leffet critique na pas de seuil, comme les cancérogènes génotoxiques. Des approches basées essentiellement sur la mise en évidence dune relation dose-réponse ont été adoptées pour évaluer de tels effets. Du fait de labsence de consensus sociopolitique en ce qui concerne le risque cancérogène dans des documents tels que les Directives pour la qualité de lair en Europe (OMS, 1987), seules les valeurs du type risque unitaire rapporté à la durée de vie (cest-à-dire le risque associé à lexposition durant toute la vie à 1 µg/m3 de produit dangereux) sont proposées pour les effets sans seuil (voir larticle «La toxicologie et les réglementations en matière de sécurité et santé»).
Actuellement, létape essentielle de lévaluation dun risque est la détermination de lorgane et de leffet critiques. Les définitions de leffet critique comme de leffet nocif témoignent du choix de leffet à considérer comme critique dans un organe ou un système donné, choix qui est ensuite directement lié à la détermination résultante de valeurs recommandées pour un produit chimique dans lenvironnement général, par exemple, dans les Directives pour la qualité de lair en Europe (OMS, 1987) ou celle de limites à visée sanitaire applicables aux expositions professionnelles (OMS, 1980). Il peut arriver en pratique quil soit impossible de dire quel est leffet critique à partir dune gamme deffets sous-critiques et que les limites recommandées de concentrations pour des produits chimiques toxiques dans lenvironnement général ou professionnel soient impossibles à respecter. Le fait, par exemple de considérer comme critique un effet susceptible dinclure des effets cliniques précoces peut conduire à adopter des valeurs auxquelles des effets nocifs peuvent survenir dans une partie de la population. Décider si oui ou non un effet donné doit être considéré comme critique relève de la responsabilité de groupes dexperts spécialisés en toxicologie et en évaluation du risque.
On observe souvent des différences importantes dans la manière dont les individus réagissent aux produits chimiques toxiques et parfois dans la façon dont un même individu y réagit aux différentes périodes de sa vie. Ces variations peuvent être attribuées à un grand nombre de facteurs susceptibles davoir une influence sur le taux dabsorption, la distribution dans lorganisme et le taux de biotransformation ou dexcrétion dun produit chimique donné. Hormis les facteurs héréditaires qui sont connus pour avoir un lien évident avec la sensibilité aux toxiques chimiques chez lhumain (voir larticle «Les déterminants génétiques de la réponse toxique»), dautres facteurs interviennent aussi parmi lesquels il faut citer lâge et le sexe; un état pathologique préexistant ou la réduction fonctionnelle dun organe (acquise); les habitudes alimentaires, le tabagisme, la consommation dalcool et de médicaments; lexposition concomitante à des toxines biologiques (micro-organismes) et à des facteurs physiques (rayonnements, humidité, températures très basses ou très élevées ou pressions barométriques ayant une influence particulière sur la pression partielle dun gaz), de même que lexercice physique ou le stress psychologique et, enfin, lexposition préalable professionnelle ou environnementale à un produit chimique particulier, notamment lexposition simultanée à dautres produits chimiques non nécessairement toxiques (métaux essentiels, par exemple). La contribution possible de ces facteurs à la potentialisation ou à la diminution de la sensibilité aux effets nocifs, de même que les mécanismes daction, varient selon le produit concerné. Par conséquent, seuls les facteurs les plus courants, les mécanismes de base et quelques exemples caractéristiques seront présentés ici, les informations spécifiques à un produit chimique particulier figurant dans une autre partie de la présente Encyclopédie.
Selon létape à laquelle ces facteurs interviennent (absorption, distribution, biotransformation ou excrétion dun produit chimique particulier), on peut classer de façon schématique les mécanismes en fonction de deux types dinteraction essentiels: 1) une modification de la quantité de produit chimique au niveau de lorgane cible, cest-à-dire au niveau de son (ses) site(s) deffet dans lorganisme (interactions toxicocinétiques); 2) une modification de lintensité de la réponse spécifique au produit chimique au niveau de lorgane cible (interactions toxicodynamiques). Les mécanismes les plus courants, quel que soit le type dinteraction, sont dus à la concurrence que se livrent les produits chimiques pour se lier au même constituant participant à leur transport dans lorganisme (protéines sériques spécifiques, par exemple) ou pour suivre la même voie de biotransformation (enzymes spécifiques, par exemple) aboutissant à une modification de la vitesse ou de la séquence entre la réaction initiale et leffet nocif final. Cependant, des interactions à la fois toxicocinétiques et toxicodynamiques peuvent avoir une incidence sur la sensibilité individuelle à un produit chimique particulier. Linfluence de plusieurs facteurs concomitants peut aboutir à: a) des effets additifs lintensité de leffet combiné est égale à la somme des effets produits par chaque facteur séparément; b) des effets synergiques lintensité de leffet combiné est supérieure à la somme des effets produits par chaque facteur séparément; c) des effets antagonistes lintensité de leffet combiné est inférieure à la somme des effets produits par chaque facteur séparément.
La quantité dun toxique ou dun métabolite au niveau du site daction dans lorganisme peut être évaluée approximativement par la surveillance biologique, qui consiste, par le choix du spécimen biologique adéquat et le moment optimal du prélèvement des échantillons, à prendre en compte les demi-vies biologiques dun produit chimique donné à la fois dans lorgane critique et dans le compartiment biologique évalué. De façon générale, on manque toutefois dinformations fiables concernant les autres facteurs pouvant avoir une influence sur la sensibilité individuelle chez lhumain et, par conséquent, la majorité de nos connaissances repose sur des données expérimentales animales.
Il faut souligner quà niveau et durée dexposition équivalents, lêtre humain et les autres mammifères réagissent parfois de manière très différente à de nombreux toxiques; ainsi, lhumain paraît beaucoup plus sensible aux effets nocifs de plusieurs métaux toxiques que le rat (employé de façon courante dans les études expérimentales animales). Certaines de ces différences peuvent être attribuées au fait que les voies de transport, de distribution et de biotransformation de nombreux toxiques sont étroitement tributaires de variations minimes du pH tissulaire et de léquilibre redox dans lorganisme (de la même manière que certaines activités enzymatiques). Ces disparités sexpliquent aussi par le fait que le système redox de lêtre humain est très diffèrent de celui du rat.
Ces différences apparaissent clairement pour des antioxydants importants comme la vitamine C et le glutathion (GSH), essentiels au maintien de léquilibre redox et qui, par leur rôle protecteur vis-à-vis des effets nocifs des radicaux libres dérivés de loxygène ou générés par des xénobiotiques, interviennent dans de nombreux états pathologiques (Kehrer, 1993). Contrairement au rat, lêtre humain ne peut synthétiser la vitamine C et la teneur, de même que le taux de renouvellement du GSH érythrocytaire, sont beaucoup plus faibles chez celui-ci. Il présente aussi un déficit de certaines enzymes antioxydantes protectrices par rapport au rat et aux autres mammifères; (ainsi, la GSH-peroxydase est peu active dans le sperme humain). Ces exemples montrent bien que lhumain est beaucoup plus sensible au stress oxydatif (surtout dans les cellules sensibles, comme en témoigne la plus grande vulnérabilité du sperme humain aux toxiques, toujours par rapport au rat) et quil réagit de manière différente à divers facteurs auxquels il est dailleurs plus vulnérable que les autres mammifères (Teliman, 1995).
Comparés aux adultes, les très jeunes enfants sont souvent plus sensibles à la toxicité des substances chimiques en raison de leur volume dinhalation relativement plus important, de leur taux dabsorption gastro-intestinale plus élevé du fait dune plus grande perméabilité de leur épithélium intestinal, en raison aussi de limmaturité de leurs systèmes de détoxication et dun taux dexcrétion de produits chimiques relativement plus faible que chez ladulte. Au début de son développement, le système nerveux central semble particulièrement sensible à la neurotoxicité de produits chimiques comme le plomb et le méthylmercure. Les sujets âgés, pour leur part, peuvent avoir été sensibilisés par des expositions antérieures responsables du stockage corporel de certains xénobiotiques ou dune insuffisance fonctionnelle dorganes cibles ou dactivités enzymatiques, qui aboutissent à une altération des processus de détoxication et dexcrétion. Chacun de ces facteurs peut contribuer à laffaiblissement des défenses de lorganisme et à une diminution de ses réserves, expliquant une sensibilité accrue à lexposition ultérieure à dautres risques. Par exemple, les enzymes du cytochrome P450 (intervenant dans la biotransformation de la plupart des produits chimiques toxiques) peuvent être induites ou inhibées sous linfluence dun certain nombre de facteurs tout au long de la vie (dont les habitudes alimentaires, le tabagisme, lalcool, la consommation de médicaments et lexposition à des xénobiotiques environnementaux).
Des différences de sensibilité liées au sexe ont été décrites pour un grand nombre de produits chimiques toxiques (environ 200), différences qui se retrouvent dans de nombreuses espèces de mammifères. Les mâles sont généralement plus sensibles aux substances néphrotoxiques et les femelles aux substances hépatotoxiques. Cette différence entre mâles et femelles est non seulement liée à lexistence de disparités physiologiques (par exemple, les femelles éliminent davantage certains toxiques par voie menstruelle, par le lait maternel ou par transfert au ftus; toutefois, elles sont soumises à un stress supplémentaire lors de la gestation, de la parturition et de la lactation), mais elle est due aussi à des disparités dans les activités enzymatiques, les mécanismes de réparation génétique, les facteurs hormonaux, ou encore à la présence chez les femelles de réserves lipidiques plus importantes, réserves responsables dune plus grande accumulation de toxiques lipophiles, tels que les solvants organiques et certains médicaments.
Les habitudes alimentaires ont une influence importante sur la sensibilité aux toxiques, un état nutritionnel satisfaisant étant essentiel au bon fonctionnement des systèmes de défense de lorganisme vis-à-vis de ces substances. Un apport équilibré en oligoéléments (y compris les métalloïdes) et en protéines, en particulier les acides aminés soufrés, assure la biosynthèse des enzymes détoxifiantes et la fourniture de glycine et de glutathion indispensable aux réactions de conjugaison avec les composés endogènes et exogènes. Les lipides, en particulier les phospholipides, et les lipotropes (donneurs de groupements méthyles) sont nécessaires à la synthèse des membranes biologiques. Les glucides apportent lénergie quexigent les processus de détoxification et fournissent lacide glucuronique pour la conjugaison des toxiques et de leurs métabolites. Le sélénium (métalloïde essentiel), le glutathion et les vitamines telles que la vitamine C (hydrosoluble), la vitamine E et la vitamine A (liposolubles), assument le rôle important dantioxydants (contrôle de la lipidoperoxydation et maintien de lintégrité des membranes cellulaires) et de piégeurs de radicaux libres produits par certains toxiques. De plus, certains constituants alimentaires (protéines, fibres, minéraux, phosphates, acide citrique, etc.), de même que le volume alimentaire, peuvent avoir des répercussions non négligeables sur labsorption gastro-intestinale de nombreux toxiques (ainsi, labsorption moyenne des sels solubles de plomb consommés avec lalimentation est denviron 8%, alors quelle est de 60% chez le sujet à jeun). Par ailleurs, le régime alimentaire peut être également une source dexposition individuelle supplémentaire à divers toxiques (on constate, par exemple, chez les sujets consommant des fruits de mer contaminés, une augmentation considérable des apports journaliers en arsenic, mercure, cadmium ou plomb responsables dune accumulation).
Le tabagisme peut avoir une incidence sur la sensibilité à de nombreux toxiques en raison des interactions dues aux multiples composants présents dans la fumée de cigarette (en particulier hydrocarbures polycycliques aromatiques, monoxyde de carbone, benzène, nicotine, acroléine, certains pesticides, cadmium, et, dans une moindre mesure, plomb et autres métaux toxiques, etc.). Certains dentre eux peuvent saccumuler dans lorganisme tout au long de la vie, y compris durant la période prénatale (plomb et cadmium, par exemple). Les interactions ont lieu surtout au niveau du transport et de la distribution et à celui de la biotransformation à cause respectivement de la concurrence vis-à-vis des sites de liaison et vis-à-vis des enzymes qui interviennent. Ainsi, certains constituants de la fumée de cigarette peuvent induire les enzymes du cytochrome P450, alors que dautres peuvent les inhiber, doù une perturbation des mécanismes de biotransformation utilisés par de nombreux autres toxiques, comme les solvants organiques et certains médicaments. Une consommation importante de cigarettes sur une période prolongée peut donc affaiblir considérablement les mécanismes de défense de lorganisme en diminuant les réserves nécessaires pour faire face aux effets nocifs des autres facteurs du mode de vie.
La consommation dalcool (éthylique) influence de diverses manières la sensibilité à de nombreux toxiques. Elle a une incidence sur labsorption et la distribution de certains produits chimiques dans lorganisme (augmentation de labsorption gastro-intestinale du plomb, ou encore diminution de labsorption pulmonaire du mercure inhalé à létat de vapeur en inhibant son oxydation nécessaire à sa rétention). Léthanol peut également conditionner la sensibilité à divers produits chimiques en modifiant à court terme le pH tissulaire et en faisant augmenter le potentiel redox, par son métabolisme: loxydation de léthanol en acétaldéhyde, puis en acétate, produit en effet des formes réduites de nicotinamide adénine dinucléotide (NADH) et de lhydrogène (H+). Etant donné que laffinité de liaison tissulaire des métaux essentiels ou toxiques et des métalloïdes dépend du pH et des modifications de potentiel redox (Teliman, 1995), un apport même modéré déthanol peut avoir de multiples conséquences: 1) redistribution du plomb accumulé depuis longtemps dans lorganisme sous une forme inactive vers une forme active biologiquement; 2) remplacement du zinc essentiel par du plomb au niveau des enzymes contenant du zinc, modifiant ainsi lactivité enzymatique, ou influence du plomb mobilisé sur la distribution dautres métaux et métalloïdes essentiels pour lorganisme tels que le calcium, le cuivre, le fer ou le sélénium; 3) augmentation de lexcrétion urinaire du zinc, etc. Ces effets peuvent aussi être accentués en raison de la quantité appréciable de plomb que les boissons alcoolisées peuvent renfermer à cause des contenants dans lesquels ils sont conservés ou du procédé de fabrication employé (Prpić-Majić et coll., 1984; Teliman et coll., 1984, 1993).
Autre raison courante des modifications de sensibilité liées à léthanol: le fait que de nombreux toxiques, des solvants organiques, par exemple, utilisent une voie de biotransformation faisant intervenir les mêmes enzymes du cytochrome P450. Selon lintensité de lexposition aux solvants organiques, la quantité et la fréquence de lingestion alcoolique (consommation aiguë ou chronique), léthanol peut soit ralentir, soit accélérer les vitesses de biotransformation des divers solvants organiques et modifier ainsi leur toxicité (Sato, 1991).
La consommation de médicaments peut elle aussi avoir une influence sur la sensibilité aux toxiques. Un bon nombre dentre eux, en se liant en effet aux protéines sériques, déterminent les conditions du transport, de la distribution ou de lexcrétion de substances toxiques, et peuvent induire ou inhiber les enzymes détoxifiantes (enzymes du cytochrome P450, notamment), modifiant ainsi la toxicité des produits chimiques qui utilisent la même voie de biotransformation. Laugmentation de lexcrétion urinaire de lacide trichloroacétique (métabolite de plusieurs hydrocarbures chlorés) après consommation de salicylés, de sulfamides ou de phénylbutazone, ou laugmentation de lhépato-néphrotoxicité du tétrachlorure de carbone après consommation de phénobarbital, sont caractéristiques de chacun de ces mécanismes. De plus, certains médicaments contiennent des produits chimiques potentiellement toxiques en quantité appréciable. Ainsi, les antiacides ou les préparations utilisées pour le traitement thérapeutique de lhyperphosphatémie survenant lors dune insuffisance rénale chronique renferment de laluminium.
Les modifications de la sensibilité consécutives aux interactions entre plusieurs produits chimiques (effets additifs, synergiques ou antagonistes possibles) ont surtout été étudiées chez lanimal, en particulier chez le rat. On ne dispose pas détudes épidémiologiques ou cliniques sérieuses sur la question. Cette constatation nest pas sans conséquence quand on sait que les produits toxiques provoquent des réponses plus intenses et des effets nocifs plus divers chez lêtre humain que chez le rat et les autres mammifères. La plupart des données dont on dispose, en dehors de celles publiées dans le domaine pharmacologique, concernent uniquement lassociation de deux produits chimiques différents appartenant à des groupes de substances spécifiques, par exemple des pesticides, des solvants organiques, ou des métaux et métalloïdes essentiels ou toxiques.
Lexposition combinée à des solvants organiques peut provoquer des effets additifs, synergiques ou antagonistes (en fonction des associations de solvants organiques, de lintensité et de la durée de lexposition) dus essentiellement à leurs influences réciproques sur les processus de biotransformation (Sato, 1991).
Autre exemple caractéristique: les interactions des métaux et métalloïdes essentiels avec les agents toxiques, car elles peuvent varier en fonction de lâge (par exemple, accumulation corporelle tout au long de la vie du plomb et du cadmium dorigine environnementale), du sexe (manque de fer habituel chez la femme), des habitudes alimentaires (apport alimentaire excessif en métaux et métalloïdes toxiques, ou apport alimentaire insuffisant en métaux et métalloïdes essentiels), des habitudes tabagiques et de la consommation dalcool (exposition au cadmium, au plomb et à dautres métaux toxiques, etc.), et de la consommation de médicaments (une seule dose dantiacide pouvant, par exemple, accroître dun facteur de 50 lapport journalier moyen en aluminium dorigine nutritionnelle). Le tableau 33.2 illustre les diverses possibilités deffets additifs, synergiques ou antagonistes qui peuvent survenir lors dune exposition à des métaux et métalloïdes chez lhumain. On constate que des interactions supplémentaires peuvent se produire lorsque des éléments essentiels entrent en interaction les uns avec les autres: il faut signaler ici leffet antagoniste bien connu du cuivre sur labsorption gastro-intestinale et le métabolisme du zinc, et vice versa. Le mécanisme essentiel de ces interactions est la concurrence que se livrent les métaux et métalloïdes pour le même site de liaison (surtout le groupement thiol-SH) au niveau de diverses enzymes, des métalloprotéines (surtout la métallothionéine) et des tissus (membranes cellulaires et barrières entre organes). Ces interactions peuvent jouer un rôle significatif dans le développement de maladies chroniques par suite de laction des radicaux libres et du stress oxydatif (Teliman, 1995).
Métal ou métalloïde toxiques |
Effets importants de l’interaction avec un autre métal ou métalloïde |
Aluminium (Al) |
Fait diminuer l’absorption du Ca et en modifie le métabolisme; un régime alimentaire carencé en Ca accroît le taux d’absorption de l’Al. |
Arsenic (As) |
Affecte la distribution du Cu (augmentation du Cu dans les reins et diminution dans le foie, le sérum et l’urine). |
Cadmium (Cd) |
Limite l’absorption du Ca et en modifie le métabolisme; un régime alimentaire carencé en Ca fait augmenter l’absorption du Cd. |
Mercure (Hg) |
Affecte la distribution du Cu (augmentation du Cu dans le foie). |
Plomb (Pb) |
Modifie le métabolisme du Ca; un régime alimentaire carencé en Ca fait augmenter l’absorption du Pb inorganique et la toxicité du Pb. Modifie le métabolisme du Fe; un régime carencé en Fe accroît la toxicité du Pb, tandis que son influence sur l’absorption du Pb est équivoque. |
Note: les données sont obtenues principalement à partir d’études expérimentales chez le rat, les données cliniques et épidémiologiques pertinentes (en particulier sur les relations quantitatives dose-réponse) faisant généralement défaut (Elsenhans et coll., 1991; Fergusson,1990; Telišman et coll., 1993).
On sait depuis longtemps que chaque individu réagit différemment aux produits chimiques présents dans lenvironnement. Lexplosion récente de la biologie moléculaire et de la génétique a favorisé une meilleure compréhension des causes moléculaires dune telle variabilité. Les facteurs déterminants de cette réponse individuelle aux produits chimiques incluent les différences importantes existant au niveau dune dizaine de superfamilles denzymes, baptisées enzymes métabolisant les xénobiotiques (étrangers à lorganisme) ou enzymes métabolisant les médicaments. Bien quon leur ait longtemps prêté un pouvoir détoxifiant, on sait maintenant que ces enzymes sont également capables de transformer de nombreux composés inertes en intermédiaires fortement toxiques. On a pu identifier récemment, au niveau des gènes codant pour ces enzymes, des différences légères ou importantes, responsables de disparités marquées de leur activité enzymatique. Il est maintenant établi que chaque individu possède un effectif dactivités enzymatiques métabolisant les xénobiotiques qui lui est propre, cette diversité pouvant être assimilée à une «empreinte métabolique». Cest linteraction complexe de ces nombreuses superfamilles denzymes qui détermine non seulement le devenir dun produit chimique chez un individu donné et son potentiel de toxicité, mais également lévaluation de lexposition. Dans cet article, nous avons choisi la superfamille des enzymes du cytochrome P450 pour illustrer les remarquables progrès accomplis dans la compréhension de la réponse individuelle aux produits chimiques. Le développement de tests ADN relativement simples identifiant les altérations des gènes spécifiques de ces enzymes permet maintenant de prévoir de façon plus exacte la réponse individuelle à lexposition à un produit chimique. On peut espérer que ces tests conduiront au développement de la toxicologie préventive. Chaque individu pourrait ainsi connaître les produits chimiques auxquels il serait particulièrement sensible, ce qui lui éviterait de sexposer à des produits dont on ne soupçonnait pas auparavant quils aient chez lui des effets toxiques, voire cancérogènes.
Lêtre humain est exposé tous les jours, bien souvent à son insu, à une multitude de produits chimiques. Beaucoup de ces produits extrêmement toxiques proviennent de sources très diverses, environnementales ou alimentaires. La relation entre ces expositions et la santé humaine a été, et continue dêtre, un des principaux objectifs de la recherche biomédicale dans le monde.
Les exemples de ce véritable bombardement de produits chimiques ne manquent pas. Plus de 400 agents ont été mis en évidence dans le vin rouge et identifiés. La cigarette ne produit pas moins de 1 000 espèces chimiques différentes et les produits cosmétiques et savons parfumés renferment un nombre incalculable de produits chimiques. Dans lagriculture, la situation nest pas différente: pour traiter les terres cultivées aux Etats-Unis, on utilise tous les ans plus de 75 000 agents chimiques sous forme de pesticides, dherbicides et dengrais; ces produits sont captés par les plantes et les herbivores, ou les poissons dans les eaux environnantes, avant dêtre ingérés par lêtre humain qui se trouve à la fin de la chaîne alimentaire. Cette liste ne serait pas complète sans quon y ajoute deux autres sources importantes de produits chimiques: a) les médicaments consommés de façon prolongée; b) les substances dangereuses auxquelles les travailleurs sont exposés au cours de la vie active.
Il est maintenant établi que lexposition aux produits chimiques peut avoir de nombreux effets nocifs sur la santé humaine et entraîner lapparition de maladies chroniques et de bien des cancers. Des travaux effectués ces dix dernières années ont permis de mieux comprendre la base moléculaire de ces relations. Ils ont aussi permis de prendre conscience des différences individuelles de sensibilité aux effets nocifs des produits chimiques.
Les efforts actuels pour prévoir la réponse de lhumain à une exposition à un produit chimique associent deux démarches fondamentales (voir figure 33.2): surveillance de lexposition humaine à laide de marqueurs biologiques (biomarqueurs) et prévision de la réaction probable dun individu à un niveau dexposition donné. Ces deux approches, pour importantes quelles soient, nen sont pas moins très différentes lune de lautre. Le présent article porte sur les facteurs génétiques à lorigine de la sensibilité individuelle à lexposition aux produits chimiques. Ce champ de recherche porte le nom général décogénétique ou de pharmacogénétique (Kalow, 1962, 1992). Si des progrès ont été réalisés récemment dans la mise en évidence des sensibilités individuelles à une toxicité chimique, cest quon comprend maintenant mieux les mécanismes qui permettent à lhumain et aux autres mammifères de détoxifier tous ces produits et quon a une meilleure connaissance de la remarquable complexité des systèmes enzymatiques entrant en jeu.
Nous expliquerons dans un premier temps comment les réponses toxiques varient dun être humain à lautre, avant de présenter quelques-unes des enzymes responsables dune telle variabilité, liée à des différences de métabolisme des xénobiotiques. Ensuite, nous dresserons lhistorique et la nomenclature de la superfamille des cytochromes P450 et nous décrirons brièvement cinq polymorphismes du P450 humain et plusieurs polymorphismes non liés au P450, responsables de différences de réponse toxique chez lhumain. Puis, à la lumière dun exemple, nous montrerons comment les différences génétiques individuelles peuvent se répercuter sur lexposition établie par contrôle dambiance. En dernier lieu, nous traiterons du rôle des enzymes métabolisant les xénobiotiques au niveau de fonctions vitales critiques.
Les toxicologues et les pharmacologues ont coutume de parler de DL50, de DMA50 et de DE50 pour désigner respectivement, dans le cas dun médicament donné, la dose létale, la dose maximale admissible et la dose efficace dans 50% dune population. On peut se demander ce que ces doses signifient pour chacun de nous en tant quindividu. Ce quon entend par là, cest quun individu très sensible peut être 500 fois plus affecté ou avoir 500 fois plus de chances dêtre affecté que le sujet le plus résistant dune population donnée; dans labsolu, les valeurs de DL50 (et de DMT50 ou de DE50) ne veulent pas dire grand-chose, elles nont un sens quen référence à une population.
La figure 33.3 illustre la relation dose-réponse hypothétique observée chez des individus appartenant à une population donnée exposée à un toxique. Ce diagramme général pourrait représenter un carcinome bronchique en fonction du nombre de cigarettes fumées, une acné chlorique par rapport à la concentration de dioxine présente sur le lieu de travail, un asthme en fonction des concentrations de lair en ozone ou en aldéhyde, un érythème solaire par rapport aux rayons ultraviolets, la diminution du temps de coagulation en fonction de la consommation daspirine, ou encore la souffrance gastro-intestinale en réaction à la quantité de poivre jalapeño consommée. Généralement, pour chacun de ces cas, plus lexposition est importante, plus la réponse toxique est intense. La majorité de la population présentera une réponse toxique moyenne avec son écart-type en fonction de la dose. Le sujet «hyperrésistant» (en bas à droite dans la figure 33.3) est celui qui répond le moins aux expositions ou aux doses plus élevées, le sujet «hypersensible» (en haut à gauche) étant celui qui répond de façon excessive à une exposition ou à une dose relativement faibles. Ces sujets hors norme, réagissant de manière très différente par rapport à la majorité des individus de la population, représentent des variants génétiques importants qui peuvent aider les scientifiques à comprendre les mécanismes moléculaires sous-jacents responsables de la réponse toxique.
Grâce à ces sujets dexception et dans le cadre détudes familiales, les scientifiques dun certain nombre de laboratoires ont pris conscience de limportance de lhérédité mendélienne dans la réponse à un toxique donné. Ils ont ensuite pu faire appel à la biologie moléculaire et à la génétique pour mettre en évidence le mécanisme sous-jacent au niveau génétique (génotype) responsable de laffection provoquée par lenvironnement (phénotype).
Comment lorganisme répond-il à la multitude de produits chimiques exogènes auxquels il est exposé? Lêtre humain et les autres mammifères ont développé des systèmes enzymatiques très complexes comportant plus dune dizaine de superfamilles denzymes. Tous les produits chimiques auxquels lhumain est exposé ou presque subissent une modification enzymatique qui favorise ensuite leur élimination en dehors de lorganisme. Ces enzymes sont souvent appelées de façon globale enzymes métabolisant les médicaments ou enzymes métabolisant les xénobiotiques. En fait, lun comme lautre de ces termes sont impropres et ce pour deux raisons. Premièrement, un bon nombre de ces enzymes métabolisent non seulement les médicaments, mais aussi des centaines de milliers de produits chimiques présents dans lenvironnement et dans les aliments. Deuxièmement, toutes ces enzymes ont également comme substrat des composés endogènes normaux et aucune dentre elles ne métabolise uniquement des produits chimiques étrangers.
Depuis plus de quatre décennies, les processus métaboliques (à médiation enzymatique) dépendant de ces enzymes sont classés en réactions de phase I ou de phase II (voir figure 33.4). Les réactions de phase I («fonctionnalisation») correspondent généralement à des modifications structurales assez peu importantes du produit chimique parent par des réactions doxydation, de réduction ou dhydrolyse permettant lobtention dun métabolite plus hydrosoluble. Les réactions de phase I fournissent une «clé» sans laquelle les modifications ultérieures du composé par les réactions de phase II ne peuvent pas se faire. Les réactions de phase I sont principalement gérées par une superfamille denzymes hautement polyvalentes, appelées cytochromes P450, bien que dautres superfamilles denzymes puissent également intervenir (voir figure 33.5).
Les réactions de phase II supposent le couplage dune molécule endogène hydrosoluble à un produit chimique (produit chimique initial ou métabolite de phase I) afin den faciliter lexcrétion. On appelle souvent les réactions de phase II réactions de «conjugaison» ou de «dérivation». Les superfamilles enzymatiques catalysant les réactions de phase II sont habituellement désignées selon le type de molécule endogène impliquée dans la réaction de conjugaison: acétylation par les N-acétyltransférases, sulfoconjugaison par les sulfotransférases, conjugaison du glutathion par les glutathion-transférases et glucuronidation par les UDP glucuronosyltransférases (voir figure 33.5). Le foie est le principal organe du métabolisme des xénobiotiques, bien quon trouve aussi certaines enzymes participant à leur métabolisme à un taux assez élevé dans le tractus gastro-intestinal, les gonades, le poumon, le cerveau et les reins, ainsi quen plus ou moins grande quantité dans toute cellule vivante.
Avec le progrès des connaissances sur les processus chimiques et biologiques conduisant à des manifestations pathologiques, on sest peu à peu rendu compte que les enzymes métabolisant les xénobiotiques ont un mode de fonctionnement ambivalent (voir figure 33.4). Le plus souvent, les produits chimiques liposolubles sont transformés en métabolites hydrosolubles plus faciles à excréter. Cependant, il arrive aussi que ces mêmes enzymes transforment des produits chimiques inertes en molécules intermédiaires hautement réactives. Ces intermédiaires peuvent réagir avec des macromolécules cellulaires telles que les protéines et lADN. Ainsi, pour chaque produit chimique auquel lêtre humain est exposé, deux voies compétitives potentielles coexistent, celle de lactivation métabolique et celle de la détoxification.
En génétique humaine, chaque gène (locus) est localisé sur lune des 23 paires de chromosomes. Les deux allèles (un présent sur chaque chromosome de la paire) peuvent être identiques, mais ils peuvent aussi être différents lun de lautre. Par exemple, les allèles B et b, où B (yeux marron) est dominant par rapport à b (yeux bleus): les individus de phénotype yeux marron peuvent avoir comme génotype soit BB soit Bb, alors que les individus de phénotype yeux bleus peuvent seulement avoir le génotype bb.
Un polymorphisme correspond à la présence de deux ou de plusieurs phénotypes héréditaires stables (traits) ayant pour origine le(s) même(s) gène(s) qui se maintiennent dans la population, souvent pour des raisons peu évidentes. Pour quun gène soit polymorphe, il faut que son produit ne soit pas essentiel au développement, à la reproduction ou à dautres processus vitaux critiques. En fait, on a pris lhabitude dexpliquer par ce phénomène de «polymorphisme équilibré», où lhétérozygote a un avantage net de survie sur lhomozygote (par exemple, résistance à la malaria et allèle de lhémoglobine drépanocytaire), la présence dans la population dun allèle dont la fréquence élevée serait autrement inexplicable (Gonzalez et Nebert, 1990).
Les différences génétiques du métabolisme des médicaments et produits chimiques environnementaux sont connues depuis plus dune quarantaine dannées (Kalow, 1962, 1992). Ces différences sont souvent appelées polymorphismes pharmacogénétiques ou, de façon plus générale, écogénétiques. Ces polymorphismes représentent des allèles variants survenant à des fréquences relativement élevées dans la population et généralement associés à des aberrations dexpression ou de fonction enzymatique. Par le passé, les polymorphismes ont bien souvent été mis en évidence à la suite de réponses inattendues à des agents thérapeutiques. Plus récemment, la technologie de lADN recombinant a permis aux scientifiques didentifier les altérations génétiques précises responsables de certains polymorphismes. Ces polymorphismes sont maintenant caractérisés pour de nombreuses enzymes du métabolisme des xénobiotiques, y compris celles de phase I et de phase II. Au fur et à mesure quon découvre de nouveaux polymorphismes, on saperçoit que chaque individu possède un effectif distinct denzymes métabolisant les xénobiotiques. On peut dire de cette diversité quelle constitue son «empreinte métabolique» et que la réponse particulière de chaque individu à un produit chimique dépend de linteraction complexe des superfamilles denzymes responsables du métabolisme des xénobiotiques (Kalow, 1962, 1992; Nebert, 1988; Gonzalez et Nebert, 1990; Nebert et Weber, 1990).
Comment améliorer la qualité des facteurs de prédiction des réponses humaines aux produits chimiques toxiques? Les progrès de nos connaissances sur les systèmes enzymatiques intervenant dans le métabolisme des médicaments doivent nous permettre de comprendre de manière précise quelles sont les enzymes qui déterminent le devenir métabolique de tout produit chimique. Les données recueillies à partir détudes expérimentales chez les rongeurs ont certainement fourni à cet égard des informations utiles. Cependant, des différences interespèces importantes au niveau des enzymes métabolisant les xénobiotiques appellent à la prudence dans lextrapolation des données animales aux populations humaines. Pour pallier cette difficulté, de nombreux laboratoires ont mis au point des systèmes qui utilisent diverses lignées cellulaires en culture produisant des enzymes humaines fonctionnelles, stables et en forte concentration (Gonzalez, Crespi et Gelboin, 1991). De telles enzymes ont ainsi été produites à partir de bactéries, de levures, dinsectes ou de mammifères.
Afin de mieux préciser le métabolisme des produits chimiques, des systèmes multienzymatiques ont été également développés avec succès dans une lignée cellulaire unique (Gonzalez, Crespi et Gelboin, 1991). Ces lignées cellulaires fournissent des renseignements précieux sur les enzymes participant à la transformation métabolique dun composé donné et des métabolites éventuellement toxiques. Si cette information peut être ensuite recoupée avec la présence et la concentration dune enzyme au niveau des tissus humains, elle devrait permettre de prévoir une réponse de façon fiable.
La superfamille des cytochromes P450 est lune des superfamilles denzymes du métabolisme des médicaments qui a été le plus étudiée, en raison des disparités individuelles importantes qui caractérisent la réponse aux produits chimiques. Le terme cytochrome P450 est une désignation générique commode, employée pour définir cette grande superfamille denzymes essentielles au métabolisme dinnombrables substrats endogènes et exogènes. Il a été utilisé la première fois en 1962 pour décrire un pigment cellulaire inconnu qui, une fois réduit et lié au monoxyde de carbone, a produit un pic dabsorption caractéristique à 450 nm. Depuis le début des années quatre-vingt, la technologie du clonage dADNc a permis davoir un remarquable aperçu de la multiplicité des enzymes du cytochrome P450. Actuellement, plus de 400 gènes distincts du cytochrome P450 ont été identifiés chez les animaux, les plantes, les bactéries et les levures. On estime que toute espèce de mammifères, lhumain par exemple, possède pas moins de 60 gènes différents de P450 (Nebert et Nelson, 1991). Cette multiplicité a exigé la mise au point dune nomenclature normalisée (Nebert et coll., 1987; Nelson et coll., 1993). Proposé pour la première fois en 1987 et mis à jour deux fois par an, ce système de nomenclature est basé sur la comparaison des séquences damino-acides entre les protéines de cytochrome P450. Les gènes du P450 sont divisés en familles et en sous-familles: les enzymes à lintérieur dune famille et celles à lintérieur dune même sous-famille présentent respectivement une similitude en acides aminés de plus de 40% et de 55%. Les gènes du P450 sont caractérisés par un symbole commun, CYP, suivi dun chiffre arabe désignant la famille P450, puis dune lettre spécifiant la sous-famille et dun autre chiffre arabe propre au gène individuel (Nelson et coll. 1993; Nebert et coll. 1991). Ainsi, CYP1A1 représente le gène P450 1 dans la famille 1, sous-famille A.
En février 1995, la base de données du cytochrome P450 comportait 403 gènes CYP, répartis en 59 familles et 105 sous-familles. Les familles sont au nombre de 8 pour les eucaryotes inférieurs, 15 pour les plantes et 19 pour les bactéries. Les 15 familles de gènes P450 humains comprennent 26 sous-familles; 22 dentre elles ont été localisées au niveau chromosomique. Certaines séquences sont nettement orthologues pour de nombreuses espèces: un gène CYP17 (stéroïde 17α-hydroxylase) a été identifié chez tous les vertébrés examinés jusquà ce jour; dautres séquences à lintérieur dune sous-famille sont fortement dupliquées, ce qui rend lidentification des paires orthologues impossible (cas de la sous-famille CYP2C). Curieusement, lhumain et la levure partagent un gène orthologue dans la famille CYP51. Pour les lecteurs cherchant des informations complémentaires sur la superfamille des cytochromes P450, il existe de nombreux ouvrages très bien documentés (Nelson et coll., 1993; Nebert et coll., 1991; Nebert et McKinnon, 1994; Guengerich 1993; Gonzalez 1992).
Le succès du système de nomenclature des P450 a entraîné le développement de systèmes terminologiques semblables pour les UDP glucuronosyltransférases (Burchell et coll., 1991) et les mono-oxygénases à flavine (Lawton et coll., 1994). Des systèmes de nomenclature similaires sont également en cours de développement pour dautres superfamilles denzymes métabolisant les médicaments (sulfotransférases, époxyde hydrolases et aldéhyde déshydrogénases, par exemple).
Récemment, la superfamille des gènes P450 des mammifères a été divisée en trois groupes (Nebert et McKinnon, 1994): ceux qui interviennent surtout dans le métabolisme des xénobiotiques et ceux qui participent à la synthèse de diverses hormones stéroïdes dune part, et à dautres fonctions endogènes importantes, de lautre. Ce sont les enzymes du P450 métabolisant les xénobiotiques qui sont les plus intéressantes sur le plan de la toxicité.
Les enzymes P450 intervenant dans le métabolisme des produits exogènes et des médicaments sont presque toujours présentes dans les familles CYP1, CYP2, CYP3 et CYP4. Ces enzymes P450 catalysent de nombreuses réactions métaboliques, un seul cytochrome P450 étant souvent capable de métaboliser plusieurs composés différents. De plus, des enzymes P450 multiples peuvent métaboliser un composé sur différents sites. Un composé peut également être métabolisé au niveau dun site unique par plusieurs P450, mais à des vitesses variables.
Les enzymes P450 métabolisant les médicaments sont dotés dune propriété importante: beaucoup de ces gènes sont inductibles par les substances mêmes qui leur servent de substrat. Mais dautres enzymes P450 sont induites par des molécules non substrat. Ce phénomène dinduction enzymatique est à la base de nombreuses interactions médicamenteuses, importantes du point de vue thérapeutique.
Bien que présentes dans de nombreux tissus, cest dans le foie, principal site du métabolisme des médicaments, quon retrouve ces enzymes P450 à des taux relativement élevés. Certaines enzymes du P450 métabolisant les xénobiotiques possèdent une activité vis-à-vis de plusieurs substrats endogènes (acide arachidonique, par exemple). Cependant, on estime en général que la plupart des enzymes P450 métabolisant les xénobiotiques ne jouent pas un rôle physiologique important, bien quon ne lait pas encore établi expérimentalement. La rupture sélective de lhomozygotie, ou «knock-out», de certains gènes P450 métabolisant les xénobiotiques chez la souris permettra dobtenir dans un avenir proche des informations sans équivoque sur le rôle physiologique des P450 métabolisant les xénobiotiques (pour une synthèse sur le ciblage des gènes, on peut se reporter à louvrage de Capecchi, 1994).
Par opposition aux familles de P450 codant pour des enzymes impliquées principalement dans des processus physiologiques, les familles codant pour des enzymes P450 métabolisant les xénobiotiques manifestent une spécificité despèce marquée et comportent fréquemment de nombreux gènes actifs dans chaque sous-famille (Nelson et coll., 1993; Nebert et coll., 1991). Etant donné leur manque apparent de substrats physiologiques, il est possible que les enzymes P450 des familles CYP1, CYP2, CYP3 et CYP4, apparues il y a quelques centaines de millions dannées, aient évolué afin de détoxifier les produits chimiques étrangers rencontrés dans lenvironnement et dans lalimentation. En clair, lévolution des P450 métabolisant les xénobiotiques se serait déroulée à une période bien antérieure à celle de la synthèse de la plupart des produits chimiques synthétiques auxquels lhumain est maintenant exposé. Les gènes de ces quatre familles ont vraisemblablement évolué et divergé selon les espèces en raison de leur exposition aux métabolites des végétaux au cours des 1,2 milliard dannées passées. Cette «guerre animal-plante» (Gonzalez et Nebert, 1990), comme on lappelle de façon imagée, est un phénomène au cours duquel les plantes ont développé de nouveaux produits chimiques (phytoalexines) comme mécanisme de défense pour ne pas être ingérées par les animaux; les animaux ont réagi à ce changement en se dotant de nouveaux gènes P450 pour sadapter à la diversification des substrats. Les exemples décrits récemment de guerre chimique plante-insecte et plante-champignon impliquant une détoxification de substrats toxiques par les P450 donnent plus de poids à cette explication (Nebert, 1994). Nous consacrons les quelques pages qui suivent à plusieurs polymorphismes humains des enzymes P450 métabolisant les xénobiotiques dans lesquels les déterminants génétiques de la réponse toxique semblent avoir une importance capitale. Jusquà tout récemment, on soupçonnait lexistence dun polymorphisme P450 lorsquon observait une variance inattendue dans la réponse de patients à un agent thérapeutique. Cest ainsi que plusieurs polymorphismes portent le nom du médicament qui a permis à lorigine de les identifier. Plus récemment, les efforts de recherche ont surtout porté sur lidentification précise des enzymes P450 impliquées dans le métabolisme de produits chimiques pour lesquels une variance est observée et sur la caractérisation exacte des gènes P450 concernés. Comme nous lavons mentionné précédemment, lactivité mesurable dune enzyme P450 vis-à-vis dun produit chimique type porte le nom de phénotype. Les différences alléliques du gène P450 pour chaque individu sont appelées génotype P450. Avec létude de plus en plus minutieuse des gènes P450, la base moléculaire précise de la variance phénotypique précédemment décrite devient plus claire.
La sous-famille CYP1A comprend deux enzymes chez lhumain et tous les autres mammifères. Ces enzymes, appelées CYP1A1 et CYP1A2 dans la nomenclature officielle, revêtent un intérêt considérable, car elles participent à lactivation métabolique de nombreux procancérogènes et sont également induites par plusieurs composés posant des problèmes sur le plan toxicologique, dont la dioxine. Par exemple, la CYP1A1 active, en les métabolisant, de nombreux composés quon retrouve dans la fumée de cigarette. De même, la CYP1A2 active de nombreuses arylamines utilisées dans lindustrie des colorants et associées au cancer de la vessie. Elle active également le 4-(méthylnitrosamino)-1-(3-pyridyl)-1-butanone (NNK), une nitrosamine dérivée du tabac. Les CYP1A1 et CYP1A2, qui sont présentes à des taux très élevés dans les poumons des fumeurs de cigarettes, sont produites par les hydrocarbures polycycliques présents dans la fumée. Les niveaux dactivité de ces deux enzymes sont donc considérés comme des facteurs importants de la réaction individuelle à de nombreux produits chimiques potentiellement toxiques.
La sous-famille CYP1A a vu son intérêt toxicologique fortement augmenter à la suite dun rapport paru en 1973 établissant une corrélation entre linduction de la CYP1A1 chez les fumeurs et la prédisposition individuelle au cancer pulmonaire (Kellermann, Shaw et Luyten-Kellermann, 1973). De nombreux laboratoires se sont alors intéressés aux mécanismes moléculaires de linduction des CYP1A1 et CYP1A2. Le processus dinduction se fait par lintermédiaire dune protéine appelée récepteur Ah à laquelle se fixent les dioxines et les produits chimiques structurellement apparentés. Le nom Ah est dû au caractère aryl hydrocarboné de nombreux inducteurs du CYP1A. Précisons que, selon la souche de souris, les différences au niveau du gène codant pour le récepteur Ah entraînent des disparités notables dans la toxicité dun produit chimique et dans la réponse à cette toxicité. Il semble exister chez lhumain un polymorphisme du gène du récepteur Ah: ainsi, environ un dixième de la population présente une induction importante du CYP1A1 susceptible de lexposer à un plus grand risque de certains cancers induits chimiquement que les neuf autres dixièmes de la population. Le rôle que joue le récepteur Ah dans le contrôle des enzymes de la sous-famille du CYP1A et dans la réponse humaine à une exposition chimique a fait lobjet de plusieurs études bibliographiques récentes (Nebert, Petersen et Puga, 1991; Nebert, Puga et Vasiliou, 1993).
Existe-t-il dautres polymorphismes pouvant déterminer le taux protéique de CYP1A dans la cellule? Un polymorphisme du gène CYP1A1, identifié chez les Japonais fumeurs de cigarettes, semble avoir une incidence sur le risque de cancer pulmonaire, bien que ce même polymorphisme ne paraisse pas exercer dinfluence sur ce risque dans dautres groupes ethniques (Nebert et McKinnon, 1994).
On sait depuis longtemps que les individus ne métabolisent pas tous à la même vitesse le médicament anticonvulsivant (S)-méphénytoïne (Guengerich, 1989). A cause dune déficience, entre 2 et 5% des Caucasiens et jusquà 25% des Asiatiques présentent un plus grand risque de réaction toxique à ce médicament. On sait depuis longtemps aussi que cette anomalie enzymatique est due à un membre de la sous-famille CYP2C; cependant, la base moléculaire précise de cette déficience a donné lieu à de nombreuses controverses, la sous-famille CYP2C ne contenant pas moins de six gènes. Récemment, on a pu démontrer que la principale cause de cette déficience était la mutation dune seule base au niveau du gène CYP2C19 (Goldstein et de Morais, 1994). Un simple test ADN, par réaction en chaîne de la polymérase, a également été mis au point pour identifier rapidement cette mutation dans des populations humaines (Goldstein et de Morais, 1994).
La variation sans doute la mieux caractérisée dun gène P450 est celle du CYP2D6. Plus dune dizaine de cas de mutations, de réarrangements et de délétions touchant ce gène ont été décrits (Meyer, 1994). Lexistence de ce polymorphisme a été soupçonnée pour la première fois il y a une vingtaine dannées lorsquon sest aperçu que les patients traités par la débrisoquine, médicament antihypertenseur, ne présentaient pas tous la même réponse clinique. Cest de cette époque que date lexpression polymorphisme de la débrisoquine pour désigner les altérations du gène CYP2D6 à lorigine des variations de lactivité enzymatique.
Avant les études sur lADN, on classait les individus en métaboliseurs lents ou rapides de la débrisoquine en se fondant sur les concentrations de métabolites dans les échantillons urinaires. On sait maintenant que les altérations du gène CYP2D6 permettent non seulement de distinguer les individus qui métabolisent lentement ou rapidement la débrisoquine, mais aussi ceux qui ont un métabolisme ultrarapide. La plupart des altérations du gène CYP2D6 sont associées à une déficience partielle ou totale de lenzyme; cependant, on a constaté récemment quil existait des sujets de deux familles possédant de multiples copies fonctionnelles du gène CYP2D6, altération à lorigine dun métabolisme ultrarapide des substrats du CYP2D6 (Meyer, 1994). Cette observation remarquable donne un nouvel éclairage à la question du large spectre de lactivité du CYP2D6 précédemment constatée dans des études de population. Les altérations de fonction du CYP2D6 revêtent un intérêt tout particulier, étant donné que plus de 30 médicaments prescrits de façon courante sont métabolisés par cette enzyme. Le statut individuel du CYP2D6 est donc un facteur déterminant des réponses thérapeutiques et toxiques après administration dune médication. Un débat récent a dailleurs eu lieu sur la nécessité de prendre en considération ce statut pour ladministration en toute sécurité de médicaments psychiatriques ou cardio-vasculaires à des patients.
Le rôle du polymorphisme du CYP2D6 dans la prédisposition individuelle à des maladies humaines telles que le cancer pulmonaire ou la maladie de Parkinson a fait lobjet détudes approfondies (Nebert et McKinnon, 1994; Meyer, 1994). Bien quil soit difficile den tirer des conclusions étant donné la diversité des protocoles employés, la majorité des études semblent indiquer une association entre les métaboliseurs rapides de la débrisoquine et le cancer pulmonaire. Pour lheure, les raisons dune telle association ne sont pas claires. Néanmoins, on a démontré que lenzyme CYP2D6 métabolise la NNK, nitrosamine produite à partir du tabac.
Lamélioration des techniques détude de lADN permettra, tout en garantissant une évaluation plus précise du statut du CYP2D6, de préciser la relation entre le CYP2D6 et le risque pathogène. Alors que les métaboliseurs rapides paraissent plus sensibles à la survenue dun cancer pulmonaire, pour une raison encore inconnue, les métaboliseurs lents semblent présenter une plus grande sensibilité à la maladie de Parkinson. Bien quil soit difficile de comparer ces études, il apparaît que les sujets métaboliseurs lents présentent de 2 à 2,5 fois plus de risques de développer une maladie de Parkinson.
Le gène CYP2E1 code pour une enzyme qui métabolise de nombreux produits chimiques, en particulier des médicaments et de nombreux cancérogènes de faible poids moléculaire. Cette enzyme, fortement inductible par lalcool, peut jouer un rôle dans les lésions hépatiques produites par des produits chimiques tels que le chloroforme, le chlorure de vinyle ou le tétrachlorure de carbone. On la trouve surtout dans le foie, à un taux qui fluctue sensiblement dun individu à lautre. Létude approfondie du gène CYP2E1 a permis didentifier plusieurs polymorphismes (Nebert et McKinnon, 1994). La relation entre la présence de certaines variations structurelles du gène CYP2E1 et un risque apparemment plus faible de cancer pulmonaire a été établie dans certaines études; cependant, lexistence de différences interethniques marquées exige dêtre approfondie pour pouvoir confirmer cette relation éventuelle.
Chez lhumain, quatre enzymes ont été identifiées dans la sous-famille CYP3A en raison de la similitude de leur séquence en acides aminés. Les enzymes du CYP3A métabolisent de nombreux médicaments couramment prescrits comme lérythromycine et la cyclosporine. Laflatoxine B1, contaminant cancérogène des produits alimentaires, est également un substrat du CYP3A. Lun des membres de la sous-famille humaine du CYP3A, appelé CYP3A4, est le principal composant de la famille des cytochromes P450 du foie humain; il est également présent au niveau du tractus gastro-intestinal. Comme cest le cas pour de nombreuses enzymes du cytochrome P450, le taux de CYP3A4 est très variable selon les individus. Une seconde enzyme, CYP3A5, est présente dans le foie de 25% seulement des individus; la cause génétique de ces variations est inconnue. Limportance de la variabilité du CYP3A4 ou du CYP3A5 comme facteur génétique déterminant dune réponse toxique na pas encore été établie (Nebert et McKinnon, 1994).
De nombreux polymorphismes existent également dans dautres superfamilles denzymes métabolisant les xénobiotiques (glutathion transférases, UDP glucuronosyltransférases, p-oxonases, déshydrogénases, N-acétyltransférases ou mono-oxygénases à flavine, etc.). Etant donné que la toxicité finale dun intermédiaire généré par le cytochrome P450 dépend de lefficacité des réactions ultérieures de détoxification lors de la phase II, le rôle combiné des multiples polymorphismes enzymatiques revêt une importance capitale pour la prédisposition aux maladies provoquées par des produits chimiques. Léquilibre métabolique entre les réactions de phase I et de phase II (voir figure 33.4) joue donc selon toute vraisemblance un rôle clé dans la survenue de ce type de pathologies chez lhumain et constitue le facteur génétique déterminant dune réponse toxique.
Un exemple bien étudié de polymorphisme dune enzyme de phase II est celui dun membre de la superfamille des enzymes glutathion S-transférases, la GST mu ou GSTM1. Cette enzyme particulière a un intérêt toxicologique considérable, puisquelle paraît participer à la détoxification des métabolites toxiques produits par lenzyme CYP1A1 à partir de la fumée de cigarette. Le polymorphisme du gène de la glutathion transférase consiste en une absence totale denzyme fonctionnelle chez la moitié des Caucasiens. Cette absence denzyme de phase II semble associée à une prédisposition accrue au cancer pulmonaire. En groupant les individus en fonction des variants du gène CYP1A1 et de la délétion ou de la présence dun gène GSTM1 fonctionnel, on a pu démontrer que le risque de cancer pulmonaire dû au tabagisme varie considérablement (Kawajiri, Watanabe et Hayashi, 1994). En particulier, les sujets présentant une altération rare du gène CYP1A1, associée à labsence de gène GSTM1, ont un risque accru (neuf fois plus élevé) de développer un cancer pulmonaire lorsquils sont exposés à une concentration pourtant relativement faible de fumée de cigarette. Précisons que des différences interethniques semblent intervenir dans ces gènes variants et quil serait opportun deffectuer des études complémentaires pour préciser le rôle de telles altérations en pathologie (Kalow, 1962; Nebert et McKinnon, 1994; Kawajiri, Watanabe et Hayashi, 1994).
La réponse toxique à un agent environnemental peut être très fortement augmentée lorsquun même individu présente deux anomalies pharmacogénétiques comme la combinaison dun polymorphisme de la N-acétyltransférase (NAT2) et dun polymorphisme de la glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD).
Lexposition professionnelle aux arylamines constitue un risque important de cancer de la vessie. Depuis les études remarquables de Cartwright en 1954, on sait que le statut des N-acétyleurs est un facteur étiologique du cancer de la vessie induit par les colorants azoïques. Il existe une corrélation très significative entre le phénotype acétyleur lent, lexistence de cancer de la vessie et le degré dinvasion de ce cancer dans la paroi vésicale. A linverse, on a pu mettre en évidence une association significative entre le phénotype acétyleur rapide et lincidence de carcinome côlo-rectal. Les gènes des N-acétyltransférases (NAT1, NAT2) ont été clonés et séquencés et, grâce aux techniques ADN, on est maintenant en mesure de détecter plus dune dizaine de variants alléliques rendant compte du phénotype acétyleur lent. Le gène NAT2 est un gène polymorphe, surtout responsable de la variabilité de la réponse toxique aux produits chimiques présents dans lenvironnement (Weber, 1987; Grant, 1993).
La glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) est une enzyme critique pour la production et le maintien du NADPH, sa faible activité ou son absence dactivité pouvant conduire à une hémolyse sévère induite par des médicaments ou des xénobiotiques due à une mauvaise concentration du glutathion réduit (GSH) dans les hématies. Le déficit en G6PD affecte au moins 300 millions de personnes dans le monde. Plus de 10% des Afro-Américains de sexe masculin présentent le phénotype le moins sévère, le «type méditerranéen» le plus sévère se retrouvant à une fréquence élevée (un sujet sur trois) dans certaines communautés sardes. Le gène G6PD a été cloné et localisé sur le chromosome X et de nombreuses mutations ponctuelles expliquent quon constate un tel degré dhétérogénéité phénotypique chez les individus souffrant dun tel déficit (Beutler, 1992).
Le thiozalsulfone, médicament de type sulfarylamine, est à lorigine dune anémie hémolytique qui se manifeste par distribution bimodale dans la population à qui on ladministre. Lorsquils sont traités par certains médicaments, les individus présentant à la fois un déficit en G6PD et le phénotype acétyleur lent sont plus affectés que ceux ayant seulement une carence en G6PD ou un phénotype acétyleur lent. Les acétyleurs lents déficitaires en G6PD sont au moins 40 fois plus sensibles à lhémolyse induite par le thiozalsulfone que les acétyleurs rapides à statut normal en G6PD.
Pour assurer lévaluation de lexposition et la surveillance biologique (voir figure 33.2), il faut aussi disposer dinformations sur la constitution génétique de chaque individu. Pour une même exposition à un produit chimique dangereux, le taux des adduits à lhémoglobine (ou dautres marqueurs biologiques) peut varier de deux à trois ordres de grandeur dun individu à lautre, selon lempreinte métabolique individuelle.
Des études semblables de pharmacogénétique ont été effectuées chez des travailleurs de lindustrie chimique en Allemagne (voir tableau 33.3). Par rapport aux autres phénotypes pharmaco-génétiques combinés possibles, les adduits à lhémoglobine parmi les sujets exposés à laniline et à lacétanilide sont de loin les plus élevés chez les acétyleurs lents présentant un déficit en G6PD. Cette étude a dimportantes implications sur le plan de lévaluation de lexposition. Il peut en effet arriver, compte tenu de la prédisposition génétique de chacun, que lon sous-estime de deux ou de plusieurs ordres de grandeur lexposition que subissent réellement deux individus exposés à une même concentration de produit chimique dangereux sur leur lieu de travail (si lon en juge par des marqueurs biologiques tels que les adduits à lhémoglobine). De même, le risque résultant dun effet nocif pour la santé peut varier de deux ou plusieurs ordres de grandeur.
Type d’acétyleur |
Déficit en G6PD |
|||
Rapide |
Lent |
Non |
Oui |
Adduits à Hb |
+ |
+ |
2 |
||
+ |
+ |
30 |
||
+ |
+ |
20 |
||
+ |
+ |
100 |
Source: d’après Lewalter et Korallus, 1985.
Les observations que nous venons de faire pour le métabolisme valent aussi pour la liaison. Les différences héréditaires qui peuvent exister au niveau de la liaison dagents environnementaux affectent de façon sensible la réponse toxique. Ainsi, les différences au niveau du gène cdm de la souris modifient fortement la sensibilité individuelle à la nécrose testiculaire induite par le cadmium (Taylor, Heiniger et Meier, 1973). Les différences daffinité de liaison au récepteur Ah ont probablement une incidence sur la toxicité en cas dexpositions à la dioxine et sur la survenue du cancer (Nebert, Petersen et Puga, 1991; Nebert, Puga et Vasiliou, 1993).
La figure 33.6 résume le rôle du métabolisme et de la liaison dans la toxicité et le cancer. Les agents toxiques, tels quils sont présents dans lenvironnement, ou en raison de leur métabolisme ou de leur liaison, produisent des effets soit par voie génotoxique (apparition de lésions au niveau de lADN), soit par voie non génotoxique (absence de mutagenèse ou de lésions au niveau de lADN). Fait intéressant, on a établi récemment que les agents génotoxiques classiques peuvent agir par lintermédiaire dun signal de transduction non génotoxique dépendant du glutathion réduit (GSH), initié au niveau de la surface cellulaire ou dans son voisinage en absence dADN et hors du noyau cellulaire (Devary et coll., 1993). Cependant, les différences génétiques de métabolisme et de liaison restent les facteurs déterminants dans la façon dont les individus réagissent aux toxiques.
Les variations dorigine génétique du fonctionnement des enzymes métabolisant les médicaments revêtent une importance capitale dans la réponse individuelle aux produits chimiques. Ces enzymes sont essentielles pour comprendre le devenir et lévolution dun produit chimique étranger après une exposition.
Comme le montre la figure 33.6, limportance des enzymes métabolisant les médicaments dans la sensibilité individuelle à lexposition à un produit chimique est en fait beaucoup plus complexe que ne le laisse penser le présent exposé sur les xénobiotiques. Ainsi, au cours des deux dernières décennies, le rôle des mécanismes génotoxiques (mesure des adduits à lADN et aux protéines) est apparu clairement. On peut toutefois se demander si les mécanismes non génotoxiques ne sont pas aussi importants que les mécanismes génotoxiques dans la survenue des réponses toxiques.
Le rôle physiologique que de nombreuses enzymes métabolisant les médicaments jouent dans le métabolisme des xénobiotiques na pas, rappelons-le, été complètement élucidé. Selon Nebert (1994), les enzymes du métabolisme des médicaments qui sont présentes sur notre planète depuis plus de 3,5 milliards dannées étaient responsables à lorigine (et le sont encore, pour une part essentielle) de la régulation des niveaux cellulaires de nombreux ligands non peptidiques importants pour lactivation de la transcription de gènes en rapport avec la croissance, la différenciation, lapoptose, lhoméostasie et les fonctions neuroendocriniennes. De plus, la toxicité de la plupart, si ce nest de tous les agents environnementaux, sexerce par lintermédiaire dune action agoniste ou antagoniste sur ces signaux de transduction (Nebert, 1994). Si lon en croit cette hypothèse, la variabilité génétique des enzymes métabolisant les médicaments peut avoir des effets extrêmement graves sur de nombreux processus biochimiques essentiels pour la cellule et être de ce fait à lorigine dimportantes différences dans la réponse toxique. Le même scénario pourrait également expliquer de nombreuses réactions indésirables idiosyncrasiques rencontrées chez des patients prenant des médicaments prescrits de façon courante.
La dernière décennie a été marquée par des progrès remarquables dans la compréhension des bases génétiques de la réponse individuelle aux produits chimiques présents dans les médicaments, les aliments et les polluants environnementaux. Les enzymes métabolisant les médicaments ont une profonde influence sur la manière dont les individus réagissent aux produits chimiques. Lévolution de nos connaissances sur la multiplicité de ce type denzymes aidant, nous sommes chaque jour un peu mieux en mesure dévaluer le risque toxique de nombreux médicaments et produits chimiques environnementaux. Cest le cas en particulier pour lisoforme CYP2D6 du cytochrome P450. A laide de techniques ADN relativement simples, il est possible de prévoir la réponse probable à nimporte quel médicament métabolisé par cette enzyme; cette avancée est le gage dune utilisation plus sûre de thérapeutiques indispensables, bien que potentiellement toxiques.
Au cours des années à venir, nous allons sans doute parvenir à identifier une multitude dautres polymorphismes (phénotypes) impliquant des enzymes du métabolisme des médicaments. Ces informations seront le fruit de la mise en uvre de techniques ADN améliorées, peu invasives, permettant didentifier les génotypes dans la population humaine.
De telles études devraient être particulièrement précieuses pour évaluer le rôle des produits chimiques dans de nombreuses maladies environnementales dorigine encore inconnue. La prise en compte des multiples polymorphismes touchant les enzymes métabolisant les médicaments, agissant de manière combinée (voir tableau 33.3), représente à nen pas douter un domaine de recherche particulièrement fertile. De telles études clarifieront la responsabilité des produits chimiques dans le développement du cancer. Au niveau collectif, cette information devrait permettre de prodiguer des conseils personnalisés aux individus afin de leur éviter de sexposer aux produits chimiques susceptibles dagir sur eux. Ce type dinformation et de conseils, qui relève de la toxicologie préventive, nous aidera sans doute à faire face avec succès au nombre sans cesse croissant de produits chimiques auxquels nous sommes exposés.
La toxicologie mécanistique est létude du mécanisme par lequel les agents chimiques ou physiques réagissent avec les organismes vivants pour provoquer une réaction toxique. La connaissance du mécanisme toxique dune substance améliore les possibilités de prévention et permet de concevoir des produits chimiques mieux tolérés. Elle constitue la base du traitement lors dune surexposition, permet souvent déviter toute surexposition et garantit une meilleure compréhension des mécanismes biologiques fondamentaux. Dans la présente Encyclopédie, nous privilégions les expériences sur les animaux pour prédire les phénomènes toxiques chez lhumain. Les différents champs de la toxicologie toxicologie mécanistique, descriptive, réglementaire, légale et environnementale (Klaassen, Amdur et Doull, 1991) senrichissent grâce à la compréhension des mécanismes toxiques fondamentaux.
Comprendre le mécanisme du pouvoir toxique dune substance permet daméliorer les connaissances dans les différents domaines de la toxicologie. La connaissance des mécanismes daction aide le législateur institutionnel à établir des limites de sécurité légales pour lexposition humaine. Elle aide les toxicologues à recommander les moyens daction nécessaires en vue dassainir ou de réhabiliter les sites contaminés. Elle permet aussi, en se fondant sur les propriétés physico-chimiques dune substance ou dun mélange de substances, de choisir le type déquipement de protection adapté aux besoins. Elle est également utile pour décider de la thérapie qui convient et pour développer de nouveaux médicaments permettant de traiter les pathologies humaines. Le mécanisme de toxicité permet souvent au toxicologue médico-légal de comprendre la façon dont un agent physique ou chimique peut causer le décès du sujet ou le rendre invalide.
Une fois le mécanisme de toxicité connu, la toxicologie descriptive permet de prévoir les effets toxiques des produits chimiques en question. Précisons, cependant, que labsence dinformation sur le mécanisme daction ne devrait en aucun cas dissuader les professionnels de la santé de prendre les mesures de protection sanitaire qui simposent. Des décisions réfléchies sont arrêtées à partir de données chez lanimal et dobservations humaines pour établir des niveaux dexposition sans danger. Traditionnellement, on sassure une marge de sécurité en utilisant la «concentration sans effet nocif» ou la «concentration correspondant au plus faible effet nocif» observée dans des études sur des animaux de laboratoire (études par administrations répétées) et en divisant cette concentration par un facteur de 100 pour une exposition professionnelle ou de 1 000 pour les autres expositions humaines dorigine environnementale. Cette manière de procéder a de toute évidence porté ses fruits si lon en croit le peu deffets nocifs observés chez les travailleurs exposés à des concentrations de produits chimiques ne dépassant pas les valeurs limites établies. De plus, lespérance de vie humaine continue daugmenter, tout comme la qualité de vie. Dans lensemble, lutilisation des données de la toxicologie a conduit à un contrôle efficace, quil soit réglementaire ou spontané. Le développement de la connaissance des mécanismes toxiques permettra daccroître le caractère prévisionnel des modèles de risque actuels et daméliorer sans cesse la prévention.
Complexe, la compréhension des mécanismes environnementaux suppose la connaissance de lhoméostasie (équilibre) des écosystèmes et des conditions entraînant la rupture de cet équilibre. Bien que ce sujet ne soit pas traité dans le présent article, il va de soi que les scientifiques seraient mieux en mesure de prendre des décisions judicieuses dans le domaine du traitement des déchets municipaux ou industriels sils comprenaient mieux les mécanismes toxiques et leurs conséquences dans un écosystème. La gestion des déchets, domaine de recherche en pleine expansion à lheure actuelle, continuera dêtre très important à lavenir.
La majorité des études mécanistiques commence par une étude toxicologique descriptive chez lanimal ou par des observations cliniques chez lhumain. Idéalement, les études animales devraient comporter des observations cliniques et comportementales minutieuses, un examen biochimique attentif des paramètres sanguins ou urinaires pour rechercher des signes de dysfonctionnement des principaux systèmes biologiques de lorganisme ainsi quune étude histologique post mortem de tous les organes en vue de mettre en évidence des lésions (voir les tests recommandés par lOCDE; les directives de la CE sur lévaluation chimique; les directives de lAgence américaine de protection de lenvironnement (EPA); la réglementation japonaise sur les substances chimiques). On peut dire que cela correspondrait à un examen médical approfondi qui prendrait deux à trois jours en milieu hospitalier (à lexception des examens post mortem).
La compréhension des mécanismes de toxicité repose sur lart et la science de lobservation, la créativité dans la sélection de techniques pour valider les diverses hypothèses et lintégration innovatrice des signes et des symptômes dans une relation de causalité. Lorsquon fait une étude mécanistique, on commence par étudier lexposition à une substance, la distribution puis son devenir dans lorganisme (pharmacocinétique) en fonction du temps, avant de mettre en évidence leffet toxique qui en résulte au niveau dun système et en fonction de la dose. Les diverses substances peuvent entraîner des effets toxiques à différents niveaux du système biologique.
Dans les études mécanistiques, la voie dexposition est généralement la même que lors de lexposition humaine. Cette voie est importante car, en dehors des effets systémiques, on peut observer des effets locaux au niveau du site dexposition, une fois que le produit chimique est passé dans le sang et sest distribué dans lorganisme. Un exemple simple, mais convaincant, dun effet local est lirritation et, éventuellement, la corrosion cutanée après application de solutions de bases ou dacides forts utilisées pour le nettoyage des surfaces dures. De même, lirritation et la mort cellulaire peuvent sobserver au niveau des cellules nasales ou pulmonaires après exposition à des vapeurs ou à des gaz irritants tels que les oxydes dazote ou lozone (les deux sont des polluants de lair et se retrouvent parmi les composants du «smog» (brouillard chimique). Après son absorption par voie cutanée, pulmonaire ou gastro-intestinale et passage dans la circulation sanguine, le produit chimique peut être mis en évidence dans les organes ou les tissus à une concentration qui dépend de nombreux facteurs déterminant la pharmacocinétique du produit dans lorganisme. Le produit peut ensuite être aussi bien activé que détoxifié dans lorganisme comme indiqué ci-après.
La pharmacocinétique étudie labsorption, la distribution, le métabolisme (modifications biochimiques dans lorganisme) et lélimination ou lexcrétion du produit chimique en fonction du temps. Par rapport aux mécanismes de toxicité, ces variables pharmacocinétiques peuvent revêtir une très grande importance et, dans certains cas, être à lorigine de leffet toxique ou de son absence. Si, par exemple, un produit est absorbé en quantité insuffisante, sa toxicité systémique (à lintérieur de lorganisme) napparaîtra pas. Inversement, un produit chimique fortement réactif qui est détoxifié rapidement (en quelques secondes ou en quelques minutes) par les enzymes digestives ou hépatiques peut ne pas avoir le temps de manifester sa toxicité. Certains composés et mélanges halogénés polycycliques, de même que des métaux comme le plomb, nentraînent pas de toxicité notable si leur excrétion est rapide; par contre, leur accumulation à une concentration suffisamment élevée provoque un effet toxique du fait de la lenteur de leur excrétion (parfois mesurée en années). Heureusement, la durée de rétention de la plupart des produits chimiques dans lorganisme nest pas très longue. Même sil saccumule, un produit inoffensif naura pas deffet toxique. La vitesse délimination en dehors de lorganisme ou de détoxification dun produit chimique est souvent exprimée par sa demi-vie, qui correspond au temps nécessaire pour que 50% de ce produit soit excrété ou modifié en une forme non toxique.
Cependant, le fait quun produit chimique saccumule dans une cellule ou un organe doit inciter à examiner attentivement son potentiel de toxicité dans lorgane en question. Plus récemment, des modèles mathématiques ont été élaborés pour extrapoler les variables pharmacocinétiques de lanimal à lhumain. Ces modèles pharmacocinétiques sont extrêmement utiles pour faire des hypothèses et vérifier si lanimal dexpérience peut servir de modèle prédictif pour lhumain. De nombreux articles et ouvrages ont été publiés à ce sujet (Gehring, Watanabe et Blau, 1976; Reitz, Nolan et Schumann, 1987; Nolan, Stott et Watanabe, 1995). La figure 33.7 montre un modèle pharmacocinétique simplifié.
La toxicité peut sexprimer à différents niveaux biologiques. La lésion peut être évaluée à léchelle de la personne entière (ou de lanimal), de lorgane, de la cellule ou de la molécule. Par système, il faut entendre les systèmes ou appareils immunitaire, respiratoire, cardio-vasculaire, rénal, endocrinien, digestif, musculo-squelettique, sanguin, reproducteur et nerveux central. Les principaux organes sont le foie, les reins, les poumons, le cerveau, la peau, les yeux, le cur, les testicules et les ovaires. Au niveau cellulaire ou biochimique, les effets nocifs peuvent perturber le métabolisme protéique normal ou les récepteurs endocriniens, inhiber le métabolisme énergétique ou encore entraver ou favoriser linduction enzymatique des xénobiotiques (substances étrangères). Au niveau moléculaire, ils peuvent perturber la transcription ADN-ARN ou la liaison à des récepteurs spécifiques cytoplasmiques et nucléaires, ou encore causer des lésions au niveau des gènes ou de leurs produits. Finalement, le dysfonctionnement dun organe essentiel a de fortes chances dêtre la conséquence dune lésion moléculaire dans une cellule cible particulière de cet organe. Il nest toutefois pas toujours faisable, ni nécessaire, de remonter jusquau mécanisme moléculaire: il est possible dintervenir et de traiter sans connaître complètement la cible moléculaire. Néanmoins, la connaissance du mécanisme spécifique de la toxicité accroît la valeur prédictive et la pertinence dune extrapolation à dautres produits chimiques. La figure 33.8 représente de façon schématique les divers niveaux auxquels on peut détecter une interférence avec des processus physiologiques normaux. Les flèches montrant les conséquences chez un individu peuvent être interprétées dans un sens descendant (exposition, pharmacocinétique vers toxicité systémique ou organique) ou ascendant (lésion moléculaire, effet cellulaire ou biochimique vers toxicité systémique ou organique).
Les mécanismes de toxicité peuvent être simples ou complexes. On observe souvent une différence entre le type de toxicité, son mécanisme et le niveau de leffet, selon que les effets nocifs sont dus à une seule exposition à dose élevée (cas dune intoxication accidentelle), ou à une exposition répétée à plus faible dose (cas dune exposition professionnelle ou environnementale). Traditionnellement, à des fins expérimentales, on administre soit une seule dose élevée ou dose aiguë par intubation directe dans lestomac dun rongeur, soit un gaz ou un produit volatil pendant deux à quatre heures par voie respiratoire, en choisissant la méthode qui reproduit le mieux les conditions dune exposition humaine. Les animaux sont observés pendant une période de deux semaines après lexposition, puis on procède à lexamen des principaux organes externes et internes pour la mise en évidence des lésions. Les études à doses répétées durent de quelques mois à plusieurs années. Chez les rongeurs, on considère quun suivi de deux années est suffisant pour évaluer la toxicité et la cancérogénicité en cas dexposition chronique (sur toute une vie), alors que chez les primates non humains, on considère que pour une exposition subchronique (inférieure à la durée de vie), deux années sont la norme pour évaluer la toxicité de doses répétées. Après exposition, on effectue un examen complet de tous les tissus, organes et fluides pour déterminer les effets toxiques.
Les exemples suivants constituent une bonne illustration des effets aigus que lon peut observer après une dose élevée pouvant entraîner la mort ou une incapacité grave. Dans certains cas, les effets peuvent être transitoires et complètement réversibles après traitement. Ils sont fonction de la dose ou de la sévérité de lexposition.
Asphyxiants simples. Le mécanisme de toxicité des gaz inertes et de quelques autres substances non réactives est dû à un manque doxygène (anoxie). Ces produits chimiques, entraînant une privation en oxygène au niveau du système nerveux central (SNC), sont appelés asphyxiants simples. Lorsquun sujet pénètre dans un espace clos contenant de lazote et peu doxygène, il va immédiatement manquer doxygène cérébral, ce qui va conduire à son inconscience et à son décès sil nest pas soustrait sur-le-champ à lexposition. Dans des cas extrêmes (absence quasiment totale doxygène), cet état dinconscience peut survenir en quelques secondes; la survie dépend donc de lévacuation rapide vers un environnement oxygéné. Le sujet peut survivre mais présenter des dommages irréversibles au niveau cérébral si son sauvetage est retardé. Ces dommages irréversibles sont dus à la mort des neurones qui ne peuvent se régénérer.
Asphyxiants chimiques. Le monoxyde de carbone (CO) entre en concurrence avec loxygène pour se lier à lhémoglobine (dans les hématies circulantes). Il prive les tissus de loxygène nécessaire au métabolisme énergétique, ce qui entraîne une mort cellulaire. Lintervention thérapeutique consiste à supprimer la source de CO et à traiter par de loxygène. Lutilisation doxygène est basée sur le mécanisme daction toxique du CO. Un autre asphyxiant chimique puissant, le cyanure, perturbe le métabolisme cellulaire et lutilisation de loxygène en formant de lénergie. Le traitement par du nitrite de sodium transforme lhémoglobine des hématies en méthémoglobine. Lion cyanure présente une plus forte affinité pour la méthémoglobine que pour sa cible cellulaire. Par conséquent, la méthémoglobine capte le cyanure et léloigne des cellules cibles. Cest là la base de la thérapie antidotique.
Les dépresseurs du système nerveux central (SNC). Un grand nombre de produits, les solvants par exemple, provoquent, sous leur forme initiale ou après transformation en intermédiaires réactifs, une toxicité aiguë caractérisée par lapparition dune sédation ou dun état dinconscience. On pense que ces états sont dus à linteraction du solvant avec les membranes cellulaires du SNC qui nuit à leur pouvoir de transmission des signaux électriques et chimiques. Bien que la sédation puisse paraître comme une forme bénigne de toxicité (on se souviendra que les premiers anesthésiques ont été développés sur ce principe), «seule la dose fait le poison». Si on administre à un animal une dose suffisante par ingestion ou inhalation, il peut mourir dun arrêt respiratoire. Lorsque ladministration dun produit anesthésique nentraîne pas le décès du sujet, ce type dintoxication est généralement facilement réversible si le patient est soustrait à lexposition, si le produit chimique est redistribué dans lorganisme ou sil en est éliminé.
Effets cutanés. Les effets nocifs au niveau de la peau vont, selon la substance en cause, de lirritation à la corrosion. Les solutions acides et basiques fortes sont corrosives pour les tissus vivants et provoquent des brûlures chimiques avec cicatrices résiduelles. La cicatrisation est due à la mort des cellules dermiques responsables de la régénération. De plus faibles concentrations peuvent ne provoquer quune irritation de la première couche cutanée.
La sensibilisation chimique est un autre mécanisme toxique spécifique qui peut toucher la peau. Supposons, par exemple, que du 2,4-dinitrochlorobenzène se lie à certaines protéines cutanées. Le système immunitaire va alors considérer cette association comme un produit étranger et activer des cellules spéciales pour léliminer en sécrétant des médiateurs (cytokines), provoquant lapparition dun exanthème ou dune dermatite (voir larticle «Limmunotoxicologie»). On assiste au même type de réaction du système immunitaire en présence du sumac vénéneux. La sensibilisation immunitaire est très spécifique dun produit chimique donné et nintervient quaprès deux expositions au moins. La première exposition sensibilise (reconnaissance du produit chimique par les cellules), les expositions suivantes déclenchant la réponse du système immunitaire. La suppression du contact et un traitement symptomatique avec des crèmes anti-inflammatoires contenant des stéroïdes suffisent généralement pour traiter les individus sensibilisés. Dans les cas sérieux ou réfractaires, on prescrit un immunosuppresseur systémique comme la prednisone ainsi quun traitement topique.
Sensibilisation pulmonaire. Le diisocyanate de toluène (TDI) provoque une réaction de sensibilisation immunitaire dont la cible est le poumon. Une surexposition au TDI chez des individus sensibles produit un dème pulmonaire (accumulation liquidienne), une constriction bronchique et une gêne respiratoire. Ces cas, sérieux, nécessitent léviction du sujet de toute exposition potentielle ultérieure. Le traitement est essentiellement symptomatique. La sensibilisation cutanée et pulmonaire obéit à la relation dose-réponse. En cas de dépassement du niveau admis pour une exposition professionnelle, des effets nocifs peuvent apparaître.
Effets oculaires. Latteinte de lil va de la simple rougeur de la couche externe (rougeur due à leau de piscine par exemple) à la lésion de la cornée ou de liris. Des tests dirritation oculaire peuvent être conduits chez les animaux lorsquon pense quils ninduiront pas de lésion sérieuse. De nombreux mécanismes provoquant une corrosion cutanée peuvent également être à lorigine dune atteinte oculaire. Les substances corrosives pour la peau, comme les acides forts (pH inférieur à 2) et les bases fortes (pH supérieur à 11,5), ne sont pas testées sur les yeux des animaux, car elles entraîneraient une corrosion et la cécité par un mécanisme semblable à celui qui provoque la corrosion cutanée. Les agents tensioactifs comme les détergents et les surfactants peuvent quant à eux provoquer une atteinte de lil allant de lirritation à la corrosion. Un groupe de substances à utiliser avec précaution est constitué des surfactants chargés positivement (cationiques), qui peuvent provoquer des brûlures, une opacité permanente de la cornée et une vascularisation (formation de vaisseaux sanguins). Un autre produit chimique, le dinitrophénol, est connu pour causer la formation de cataracte; celle-ci paraît être reliée à une concentration du produit au niveau de lil, ce qui constitue un exemple de distribution pharmacocinétique spécifique.
Bien que la liste ci-dessus soit loin dêtre exhaustive, elle doit permettre au lecteur davoir un aperçu des divers mécanismes possibles de toxicité aiguë.
Certains produits chimiques ont un mécanisme de toxicité différent selon quils sont administrés à dose unitaire élevée ou de manière répétée à dose plus faible quoique toxique. Lorsquon donne une forte dose unitaire, le sujet peut ne plus être en mesure de détoxifier et dexcréter le produit chimique et réagir différemment que si on lui administrait des doses répétées plus faibles. Le cas de lalcool illustre le propos: de fortes doses dalcool donnent lieu à des effets, principalement au niveau du système nerveux central, alors que des doses répétées plus faibles provoquent des lésions hépatiques.
Inhibition des anticholinestérasiques. La plupart des pesticides organophosphorés, par exemple, ont une faible toxicité chez les mammifères tant quils ne sont pas activés par voie métabolique, essentiellement au niveau hépatique. Les organophosphorés agissent principalement en inhibant lacétylcholinestérase (AChE) dans le cerveau et le système nerveux périphérique. LAChE est lenzyme normale qui inactive le neurotransmetteur acétylcholine. Une faible inhibition de lAChE sur une période prolongée nentraîne pas deffets nocifs. Par contre, lorsque le niveau dexposition est important, lacétylcholine en excès cause une stimulation excessive du système nerveux cholinergique du fait de la forte inactivation de lAChE. Celle-ci sassortit de nombreux symptômes, dont larrêt respiratoire, qui peut évoluer vers le décès en cas dabsence de traitement. Pour y remédier, on administre principalement de latropine, qui bloque les effets de lacétylcholine, et du chlorure de pralidoxime, qui réactive lAChE inhibée. On voit à la lumière de cet exemple que la connaissance du mécanisme daction biochimique des organophosphorés permet à la fois de comprendre le mécanisme de leur toxicité et de proposer un traitement spécifique.
Activation métabolique. De nombreux produits chimiques, dont le tétrachlorure de carbone, le chloroforme, lacétylaminofluorène, les nitrosamines et le paraquat, sont activés par voie métabolique en radicaux libres ou intermédiaires réactifs inhibant ou perturbant le fonctionnement normal de la cellule. La mort cellulaire survient dans les expositions à fortes concentrations (voir larticle «La lésion et la mort cellulaires»). Bien que lon ne connaisse pas encore les interactions et les cibles cellulaires spécifiques, tous les organes où a lieu lactivation de ces toxiques (foie, reins et poumons) constituent des cibles potentielles. Plus précisément, des cellules spécifiques à lintérieur de ces organes sont douées de la propriété dactiver ou de détoxifier ces intermédiaires de façon plus ou moins efficace, propriété dont va dépendre la sensibilité intracellulaire de lorgane. Il est donc important de connaître la pharmacocinétique de ces produits, particulièrement les voies métaboliques, si lon veut comprendre leur mécanisme daction.
Mécanismes du cancer. Le cancer est une pathologie très hétérogène, et, bien que lon commence à comprendre certains de ses mécanismes grâce aux techniques de biologie moléculaire mises au point depuis 1980, il reste encore beaucoup à apprendre. On sait de façon certaine que le cancer se développe selon un processus multiétapes et que des gènes critiques sont à lorigine de différents types de cancer. Des lésions de lADN (mutations somatiques) au niveau de ces gènes critiques peuvent être responsables dune sensibilité accrue ou de lapparition de lésions cancéreuses (voir larticle «La toxicologie génétique»). Lexposition à divers produits chimiques dorigine naturelle (par exemple, viande ou poisson cuisinés) ou synthétique (telle que la benzidine utilisée comme colorant), ou à des agents physiques (rayonnements ultraviolets, radon du sol, rayonnements gamma dorigine médicale ou industrielle) contribue à la formation de mutations géniques somatiques. Cependant, il existe des substances naturelles ou synthétiques (les antioxydants) et des processus de réparation de lADN qui ont un rôle protecteur et assurent lhoméostasie. Il est clair que la génétique est un facteur important dans le cancer, ainsi que le démontrent certaines maladies génétiques comme le xeroderma pigmentosum, où labsence de mécanisme de réparation de lADN accroît sensiblement le risque de cancer cutané après une exposition aux rayonnements ultraviolets.
Mécanismes au niveau des organes reproducteurs. Comme pour le cancer, on sait quil existe de nombreux mécanismes de toxicité touchant la reproduction ou le développement, mais ces mécanismes sont encore mal élucidés. On sait que des virus (par exemple, la rubéole), certaines infections bactériennes ou des médicaments (comme le thalidomide, la vitamine A) ont un effet nocif sur le développement. Une étude de Khera (1991), rapportée par Carney (1994), a démontré chez lanimal que les anomalies du développement liées à léthylèneglycol sont dues à la formation de métabolites acides chez la mère. Léthylèneglycol est métabolisé en métabolites acides, en particulier les acides glycolique et oxalique. Les effets sur le placenta et le ftus paraissent en relation avec ce processus de toxification métabolique.
Notre propos, dans cet article, était dexaminer quelques mécanismes toxiques connus et de démontrer la nécessité de poursuivre ce type détudes. Il est à noter, cependant, que la connaissance de ces mécanismes nest pas absolument nécessaire pour assurer la protection de la santé humaine et lhygiène de lenvironnement. Elle permet toutefois aux professionnels de mieux prévoir et gérer la toxicité. Les moyens à utiliser pour élucider les mécanismes de toxicité dépendent à la fois des connaissances de la communauté scientifique et de la réflexion des décideurs en matière de santé publique.
La science médicale dans son ensemble a pour vocation de prévenir la mort cellulaire, par exemple dans linfarctus du myocarde, les traumatismes et les états de choc, ou de la provoquer, en particulier pour lutter contre les maladies infectieuses ou le cancer. Il est par conséquent essentiel de comprendre la nature des phénomènes qui entrent en jeu et leur mécanisme. On distingue deux types de mort cellulaire: la «mort accidentelle» due, par exemple, à des agents toxiques ou à une ischémie, et la «mort programmée» qui survient au cours du développement embryonnaire, comme lors de la formation des doigts ou de la résorption de la queue du têtard.
La lésion et la mort cellulaires sont donc des événements importants aussi bien en physiologie quen physiopathologie. La mort cellulaire physiologique est un phénomène capital pendant lembryogenèse et le développement embryonnaire. Létude de la mort cellulaire durant le développement a conduit à dimportants progrès dans la connaissance des mécanismes de génétique moléculaire, en particulier chez les invertébrés. Chez ces animaux, la localisation précise et le rôle des cellules entrant dans le processus de mort cellulaire ont fait lobjet de nombreuses études et, grâce à lutilisation des techniques de mutagenèse, plusieurs gènes responsables ont pu être identifiés. Dans un organe adulte, léquilibre entre mort cellulaire et prolifération cellulaire détermine la taille de lorgane. Dans certains organes, tels que la peau et lintestin, les cellules se renouvellent en permanence. Pour prendre lexemple de la peau, les cellules progressent vers la surface cutanée, où elles subissent une différenciation terminale et la mort cellulaire par kératinisation.
De nombreuses catégories de produits chimiques toxiques sont capables dinduire des lésions cellulaires aiguës entraînant la mort. On trouve, par exemple, des agents responsables danoxie et dischémie, tels que le cyanure de potassium; des cancérogènes chimiques, transformés en électrophiles se liant de manière covalente aux protéines des acides nucléiques; des produits chimiques oxydants, à lorigine de la formation de radicaux libres responsables de lésions oxydantes; des produits activant le complément; divers ionophores calciques. La mort cellulaire est également un volet important de la cancérogenèse chimique, de nombreux cancérogènes chimiques complets, à doses carcinogéniques, produisant une nécrose et une inflammation aiguës suivies dune régénération et dune prénéoplasie.
On entend par lésion cellulaire tout phénomène ou stimulus, par exemple un produit chimique, qui perturbe lhoméostasie de la cellule et permet ainsi la survenue dun certain nombre dévénements. Les principales manifestations des lésions létales sont linhibition de la synthèse dATP, la rupture de lintégrité de la membrane plasmique ou le déficit en facteurs de croissance essentiels (voir figure 33.9).
Les lésions létales entraînent la mort cellulaire après une période qui varie en fonction de la température, du type cellulaire et du stimulus; elles peuvent également être sublétales ou chroniques la lésion naboutissant pas dans ce cas à la mort cellulaire, bien que lhoméostasie soit perturbée (Trump et Arstila, 1971; Trump et Berezesky, 1992; Trump et Berezesky, 1995; Trump, Berezesky et Osornio-Vargas, 1981). En cas de lésion létale, il se produit avant la mort cellulaire une phase appelée «phase prélétale». Si le stimulus lésionnel, une anoxie par exemple, disparaît au cours de cette période, la cellule peut récupérer; cependant, après un certain temps («point de non-retour» ou point de mort cellulaire), elle nest plus en mesure de le faire, mais subit au contraire du fait de ce stimulus une dégradation et une hydrolyse. Ces processus se poursuivent jusquà ce quils atteignent un état déquilibre physico-chimique avec lenvironnement; cette phase porte le nom de nécrose. Durant la phase prélétale, des modifications importantes se produisent qui varient en fonction du type de cellule et de lésion; il sagit de lapoptose et de loncose.
Le terme apoptose est dérivé du grec apo, signifiant «point éloigné», et ptosis, «chute». Il désigne le phénomène de condensation des cellules et de formation de protubérances à la périphérie qui survient à la faveur de ce changement prélétal. Ces protubérances se détachent ensuite et dérivent à létat libre. Lapoptose se produit dans divers types de cellules à la suite de lésions toxiques diverses elles aussi (Wyllie, Kerr et Currie, 1980). Elle frappe particulièrement les lymphocytes, où elle constitue le mécanisme prédominant du renouvellement des clones lymphocytaires. Les fragments résultant du phénomène forment des corps basophiles à lintérieur des macrophages des ganglions lymphatiques. Dans les autres organes, lapoptose se produit dans des cellules isolées, les fragments formés sont rapidement éliminés par les cellules parenchymateuses adjacentes ou les macrophages, avant et après la mort par phagocytose. Lapoptose de cellules isolées suivie dune phagocytose nest pas associée à un état inflammatoire. Avant de mourir, les cellules apoptotiques ont un cytosol très dense avec des mitochondries normales ou condensées. Le réticulum endoplasmique est normal ou légèrement dilaté. La chromatine nucléaire est très nettement agglomérée le long de lenveloppe nucléaire et autour du nucléole. Le contour nucléaire est également irrégulier et une fragmentation nucléaire se produit. La condensation de la chromatine saccompagne dune fragmentation de lADN qui, dans la plupart des cas, a lieu entre les nucléosomes, donnant un aspect caractéristique à lélectrophorèse en échelle.
Dans lapoptose, une augmentation du [Ca2+]i stimule la sortie du K+ et produit une condensation cellulaire, mécanisme nécessitant probablement de lATP. Les lésions qui inhibent totalement la synthèse de lATP entraînent donc très vraisemblablement une apoptose. Une augmentation prolongée du [Ca2+]i est à lorigine de nombreux effets délétères, en particulier lactivation de protéases, dendonucléases et de phospholipases. Lactivation des endonucléases est responsable de coupures dADN simple ou double brin qui, à leur tour, provoquent une augmentation du taux de p53, de la poly-ADP ribosylation et des protéines nucléaires essentielles à la réparation de lADN. Lactivation des protéases modifie un certain nombre de substrats, dont lactine et les protéines associées, conduisant à la formation des protubérances. La poly(ADP-ribose) polymérase (PARP), autre substrat important, inhibe la réparation de lADN. Laugmentation du [Ca2+]i est également associée à lactivation dun certain nombre de protéines kinases, telles que la MAP kinase, la calmoduline kinase, entre autres. Ces kinases participent à lactivation de facteurs de transcription initiant la transcription de gènes tels que c-fos, c-jun et c-myc et à lactivation de la phospholipase A2, qui provoque une augmentation de la perméabilité de la membrane plasmique et des membranes intracellulaires telles que la membrane mitochondriale interne.
Mot dérivé du grec onkos, qui signifie «masse, volume», loncose doit son nom au fait que, dans ce type de perturbation prélétale, la cellule commence par devenir plus volumineuse presque immédiatement après une lésion (Majno et Joris, 1995) en raison dune augmentation de la concentration en cations dans le cytosol cellulaire. Le principal cation responsable de ce changement de volume est le sodium, normalement régulé pour maintenir le volume cellulaire. Cependant, en absence dATP ou si la Na-ATPase du plasmalemme est inhibée, les protéines intracellulaires cessent dassurer le contrôle du volume et le sodium cytosolique augmente. Parmi les phénomènes précoces de loncose on trouve, par conséquent, laugmentation du [Na+]i qui conduit au changement de volume cellulaire et celle du [Ca2+]i résultant soit dun influx à partir de lespace extracellulaire, soit de sa libération à partir des lieux de stockage intracellulaires. Il en résulte un gonflement du cytosol, du réticulum endoplasmique, de lappareil de Golgi et la formation de vésicules aqueuses autour de la surface cellulaire. Les mitochondries subissent dans un premier temps une condensation, suivie ultérieurement dun gonflement très important lié aux lésions de la membrane mitochondriale interne. Dans ce type de lésion prélétale, la chromatine finit par se dégrader après avoir subi une condensation; néanmoins, le profil en échelle caractéristique de lapoptose napparaît pas.
La nécrose correspond à une série de modifications se produisant après la mort cellulaire lorsque la cellule est transformée en débris éliminés par la réponse inflammatoire. On distingue deux types de nécrose: la nécrose oncotique et la nécrose apoptotique. La nécrose oncotique se produit dans des zones étendues, lors dun infarctus du myocarde, par exemple, ou localement dans un organe après une atteinte toxique de nature chimique, notamment au niveau du tubule rénal proximal après administration de HgCl2. Des zones étendues dun organe sont touchées et les cellules nécrotiques induisent rapidement une réaction inflammatoire, dabord aiguë puis chronique. Si lorganisme survit, on assiste dans de nombreux organes à lélimination des cellules mortes et à une régénération; cest notamment ce qui se passe dans le foie ou le rein à la suite dune intoxication chimique. Au contraire, la nécrose apoptotique se produit dordinaire dans une cellule unique et les débris nécrotiques sont formés à lintérieur des phagocytes des macrophages ou des cellules du parenchyme adjacent. A un stade très précoce, les cellules nécrotiques se caractérisent par une interruption de la continuité de la membrane plasmique et par des densités floconneuses provenant des protéines dénaturées de la matrice mitochondriale. Dans certaines formes de lésion ninterférant pas avec laccumulation de calcium mitochondrial, des dépôts de phosphates de calcium peuvent être observés à lintérieur des mitochondries. Dautres membranes sont elles aussi fragmentées: le RE, les lysosomes et lappareil de Golgi. Finalement, la chromatine nucléaire subit une lyse, résultant de laction des hydrolases lysosomiales. Après la mort cellulaire, les hydrolases lysosomiales jouent un rôle important dans lélimination des débris par lintermédiaire des cathepsines, nucléolases et lipases qui, en raison de leur pH acide optimal, peuvent survivre au faible pH des cellules nécrotiques, les autres enzymes cellulaires étant dénaturées et inactivées.
Lors des atteintes létales, les interactions initiales les plus habituelles conduisant à la mort cellulaire sont celles qui perturbent dune part le métabolisme énergétique telles que lanoxie, lischémie ou les inhibiteurs de la respiration cellulaire et, de lautre, la glycolyse, comme cest le cas en présence de cyanure de potassium, de monoxyde de carbone ou diodo-acétate, pour ne citer que ces produits. Nous lavons déjà mentionné, les produits inhibant le métabolisme énergétique aboutissent à loncose sils sont présents en forte concentration. Il est un autre type habituel de lésion initiale évoluant rapidement vers la mort cellulaire: la modification des fonctions membranaires plasmiques (Trump et Arstila, 1971; Trump, Berezesky et Osornio-Vargas, 1981). Ce type de modification peut prendre la forme dune lésion directe avec augmentation de la perméabilité membranaire, cas observé lors de traumatismes, dune activation du complexe C5b-C9 du complément, dune lésion mécanique de la membrane cellulaire ou de linhibition de la pompe sodium-potassium (Na+-K+) par des glucosides tels que louabaïne. Les ionophores calciques comme lionomycine ou lA23187, en provoquant une augmentation rapide de la concentration du [Ca2+] intracellulaire, sont également responsables dune lésion létale aiguë. Selon les cas, le type de lésion prélétale est soit lapoptose, soit loncose.
Dans de nombreux types de lésion, la respiration mitochondriale et la phosphorylation oxydative sont rapidement touchées. Dans certaines cellules, il en résulte une stimulation de la glycolyse anaérobie permettant de maintenir lATP, mais ce processus est inhibé lors de nombreuses atteintes. Un déficit en ATP prive de nombreux processus homéostatiques importants de lénergie nécessaire, en particulier, le contrôle de lhoméostasie ionique intracellulaire (Trump et Berezesky, 1992; Trump, Berezesky et Osornio-Vargas, 1981). Ce déficit provoque une augmentation rapide du [Ca2+]i, du [Na+] et du [Cl-] responsables du gonflement cellulaire. Lélévation du [Ca2+]i entraîne lactivation dun certain nombre dautres mécanismes de signalisation traités ci-après, dont diverses kinases, pouvant provoquer une augmentation rapide de la transcription génique de proto-oncogènes. Laugmentation du [Ca2+]i modifie également le fonctionnement du cytosquelette, partiellement responsable de la formation de protubérances et de lactivation dendonucléases, de protéases et de phospholipases. Celles-ci semblent déclencher un grand nombre des effets importants mentionnés précédemment: lésions membranaires par suite de lactivation des protéases et des lipases, dégradation directe de lADN par activation des endonucléases et activation des kinases telles que la MAP kinase et la calmoduline kinase, agissant comme facteurs de transcription.
Des études approfondies chez les invertébrés C. elegans et Drosophila et sur cellules humaines et animales ont permis didentifier une série de gènes facteurs de mort. Certains de ces gènes dinvertébrés ont leurs homologues chez les mammifères. Par exemple, le gène ced-3, essentiel à la mort cellulaire programmée chez C. elegans, possède une activité protéasique et présente une forte homologie avec lenzyme de conversion de linterleukine des mammifères. Un gène très proche appelé apopaïne ou prICE a récemment été identifié avec une homologie encore plus étroite (Nicholson et coll., 1995). Chez la Drosophila, le gène facteur de mort semble être impliqué dans un signal conduisant à la mort cellulaire programmée. Les autres gènes facteurs de mort comprennent celui de la protéine membranaire Fas et limportant gène suppresseur de tumeurs quest le p53. La protéine p53 est induite à la suite de lésions sur lADN et, une fois phosphorylée, elle agit comme facteur de transcription pour dautres gènes tels que gadd45 et waf-1, impliqués dans la signalisation de la mort cellulaire. Dautres proto-oncogènes comme c-fos, c-jun et c-myc semblent également intervenir dans certains systèmes.
De façon parallèle, il existe des gènes antimort qui semblent contrecarrer les gènes facteurs de mort. Le premier dentre eux à avoir été identifié est le ced-9 chez C. elegans, homologue du bcl-2 chez lhumain. Ces gènes agissent de manière encore inconnue pour empêcher la mort cellulaire due soit à des mécanismes génétiques, soit à des produits chimiques toxiques. De récentes découvertes montrent que le bcl-2 agirait comme antioxydant. Actuellement, des efforts importants sont déployés pour mieux comprendre les gènes qui interviennent dans ces phénomènes et pour trouver les moyens de les activer ou de les inhiber selon le cas.
La toxicologie génétique est létude du rôle des agents chimiques ou physiques dans le processus complexe de lhérédité. Les produits chimiques génotoxiques sont les composés capables de modifier le matériel héréditaire des cellules vivantes. La probabilité pour quun produit chimique provoque une lésion génétique dépend nécessairement de plusieurs variables, en particulier le taux dexposition de lorganisme au produit chimique, sa distribution et sa rétention une fois quil est entré dans lorganisme, lefficacité de lactivation métabolique ou des systèmes de détoxification au niveau des cibles tissulaires et la réactivité du produit chimique ou de ses métabolites avec les macromolécules critiques à lintérieur des cellules. La probabilité quune lésion génétique provoque une maladie dépend de plusieurs facteurs: nature de la lésion, capacité de la cellule de réparer ou damplifier la lésion génétique, possibilité pour une lésion de sexprimer et aptitude de lorganisme à reconnaître et à bloquer la multiplication des cellules aberrantes.
Dans les organismes supérieurs, linformation héréditaire est organisée au niveau des chromosomes. Ceux-ci sont constitués de brins fortement condensés dADN en association avec des protéines. Dans un chromosome, chaque molécule dADN est constituée dune paire de longues chaînes, non ramifiées, de sous-unités nucléotidiques associées par des liens phosphodiester joignant le carbone 5 dun désoxyribose au carbone 3 du désoxyribose suivant (voir figure 33.10). De plus, lune des quatre bases nucléotidiques (adénine, cytosine, guanine ou thymine) est attachée à chaque sous-unité désoxyribose à linstar des perles dun collier. Du point de vue tridimensionnel, chaque paire de brins dADN forme une double hélice avec lensemble des bases orientées vers lintérieur de la spirale. A lintérieur de lhélice, chaque base est associée à sa base complémentaire sur le brin dADN opposé; une liaison hydrogène impose un appariement solide, non covalent, de ladénine avec la thymine et de la guanine avec la cytosine (voir figure 33.10). Etant donné que la séquence des bases nucléotidiques est complémentaire sur toute la longueur de la double molécule dADN, les deux brins portent fondamentalement la même information génétique. En fait, lors de la réplication de lADN, chaque brin sert de matrice pour produire un nouveau brin fils.
A laide de lARN et dune série de protéines, la cellule transcrit finalement linformation codée par la séquence linéaire des bases au niveau de régions spécifiques de lADN (gènes) et produit les protéines essentielles à la survie cellulaire ainsi quà la croissance ou à la différenciation normales. On peut donc dire que les nucléotides font office dalphabet biologique servant au codage des acides aminés, unités chimiques de base des protéines.
Lorsquil se produit une perte de nucléotides ou une insertion de nucléotides incorrects, ou encore lorsque des nucléotides inutiles sont ajoutés lors de la synthèse de lADN, lerreur est appelée une mutation. On estime quil se produit moins dune mutation tous les 109 nucléotides incorporés lors de la réplication cellulaire normale. Bien que les mutations ne soient pas nécessairement dangereuses, les altérations provoquant linactivation ou la surexpression de gènes importants peuvent aboutir à des troubles divers, dont le cancer, à des maladies héréditaires, des anomalies du développement, une stérilité ou la mort embryonnaire ou périnatale. Il est rare quune mutation entraîne un prolongement de la vie; ces événements forment la base de la sélection naturelle.
Bien que certains produits chimiques réagissent directement avec lADN, la plupart ont besoin pour cela dune activation métabolique. Dans ce cas, des intermédiaires électrophiles tels que les époxydes ou les ions carbonium sont les responsables ultimes des lésions induites sur divers sites nucléophiles du matériel génétique (voir figure 33.11). En dautres circonstances, la génotoxicité est due à des sous-produits de linteraction dune substance avec les lipides, les protéines intracellulaires ou loxygène.
En raison de leur relative abondance dans les cellules, les protéines sont la cible la plus fréquente dune interaction toxique. Cependant, la modification de lADN est plus inquiétante étant donné le rôle central que joue cette molécule dans la régulation de la croissance et de la différenciation tout au long des générations cellulaires successives.
Au niveau moléculaire, les composés électrophiles attaquent les atomes doxygène et dazote sur lADN. La figure 33.12 montre les sites les plus susceptibles de subir de telles modifications. Bien que les atomes doxygène des groupements phosphates de la chaîne principale de lADN soient également la cible des modifications chimiques, on estime que les lésions des bases sont plus intéressantes du point de vue biologique, car elles sont des éléments dinformation essentiels de la molécule dADN.
Les composés comportant une partie électrophile ont un pouvoir génotoxique du fait de la formation de mono-adduits sur lADN. De la même façon, les composés ayant deux ou plusieurs parties réactives peuvent réagir avec deux centres nucléophiles différents et entraîner ainsi la formation de ponts intra- ou intermoléculaires dans le matériel génétique (voir figure 33.13). Les pontages interbrins ADN-ADN et les pontages ADN-protéine sont particulièrement cytotoxiques puisquils peuvent causer un blocage total de la réplication de lADN. Pour des raisons évidentes, une cellule morte ne peut pas subir de mutation ou devenir néoplasique. Les agents génotoxiques peuvent aussi provoquer des cassures de lépine dorsale phosphodiester, ou entre les bases et les sucres (produisant des sites apuriniques ou apyrimidiques) sur lADN. De telles cassures peuvent être le résultat direct de la réactivité chimique sur un site lésionnel, ou se produire lors de la réparation dun des types de lésions de lADN mentionnés ci-dessus.
Les trente à quarante dernières années ont été marquées par la mise au point de toute une série de techniques pour surveiller les dommages génétiques induits par divers produits chimiques. Ces essais sont détaillés dans une autre section du présent chapitre, ainsi que dans dautres chapitres de lEncyclopédie.
Les erreurs de réplication des «microlésions» telles que les mono-adduits, les sites apuriniques ou apyrimidiques ou les cassures simple brin peuvent conduire finalement à des substitutions de paires de bases nucléotidiques, ou à linsertion ou à la délétion de fragments polynucléotidiques courts dans lADN chromosomique. Au contraire, les «macrolésions», telles que les adduits volumineux, les pontages ou les cassures double brin, peuvent déclencher lacquisition, la perte ou le réarrangement de fragments relativement importants de chromosomes. Quoi quil en soit, les conséquences peuvent être dévastatrices pour lorganisme, chacun de ces événements pouvant conduire à la mort cellulaire, à la perte dune fonction ou à une transformation cellulaire maligne. On ne sait pratiquement rien de la façon dont les lésions de lADN induisent un cancer. On pense actuellement quil se produit une activation inappropriée de proto-oncogènes tels que myc et ras, ou linactivation de gènes suppresseurs de tumeur récemment identifiés tels que le p53. Lexpression anormale de lun de ces gènes détruit les mécanismes cellulaires normaux assurant le contrôle de la prolifération ou de la différenciation cellulaires.
Les études expérimentales montrent pour la plupart que le développement dun cancer après une exposition à des composés électrophiles est un événement relativement rare. Une des explications en est que la cellule est douée de la capacité intrinsèque de reconnaître et de réparer lADN endommagé ou que les cellules dont lADN est endommagé ne sont pas capables de survivre. Durant la réparation, la base endommagée, le nucléotide ou la courte séquence de nucléotides autour du site lésé sont supprimés et, grâce au brin opposé qui sert de matrice, une nouvelle séquence dADN est synthétisée et mise en place. Pour être efficace, la réparation de lADN doit seffectuer avant la division cellulaire et avoir une grande précision, pour éviter toute possibilité de propager une mutation.
Des études cliniques ont montré que les sujets présentant des déficits héréditaires des mécanismes de réparation de lADN manifestent fréquemment un cancer ou des anomalies du développement à un âge précoce (voir tableau 33.4). De tels exemples soulignent le lien évident entre les lésions de lADN et la pathologie humaine. De la même façon, des agents favorisant la prolifération cellulaire (tels que lacétate de tétradécanoylphorbol) intensifient souvent la cancérogenèse. Pour ces composés, la probabilité élevée de transformation néoplasique est sans doute la conséquence du temps plus court dont dispose la cellule pour effectuer une réparation correcte de son ADN.
Syndrome |
Symptômes |
Phénotype cellulaire |
Ataxie télangiectasique |
Atteinte neurologique |
Hypersensibilité aux rayonnements ionisants et à certains agents alkylants |
Syndrome de Bloom |
Anomalies du développement |
Fréquence élevée d’aberrations chromosomiques |
Anémie de Fanconi |
Retard de croissance |
Hypersensibilité aux agents intercalants |
Cancer du côlon héréditaire non polyposique |
Forte incidence de cancer du côlon |
Défaut de réparation des erreurs d’appariement au niveau de l’ADN (erreur d’insertion de nucléotide lors de la réplication) |
Xeroderma pigmentosum |
Forte incidence d’épithélioma sur les zones cutanées exposées |
Hypersensibilité à la lumière UV et à de nombreux cancérogènes chimiques |
Les théories les plus anciennes sur linteraction des produits chimiques avec lADN datent des études conduites lors de la mise au point du gaz moutarde comme gaz de combat. Par la suite, les efforts déployés pour identifier les agents anticancéreux susceptibles de bloquer sélectivement la réplication des cellules tumorales ont peu à peu permis de mieux comprendre cette interaction. Lintérêt accru du public pour les risques environnementaux a incité à poursuivre les recherches sur les mécanismes et les conséquences de linteraction dun produit chimique avec le matériel génétique. Le tableau 33.5 recense certains des produits chimiques ayant un pouvoir génotoxique.
Classe du produit chimique |
Exemple |
Origine de l’exposition |
Lésion génotoxique probable |
Aflatoxines |
Aflatoxine B1 |
Aliments contaminés |
Adduits de grande taille sur l’ADN |
Amines aromatiques |
2-Acétylaminofluorène |
Environnement |
Adduits de grande taille sur l’ADN |
Quinones aziridine |
Mitomycine C |
Chimiothérapie anticancéreuse |
Mono-adduits, pontages interbrins et cassures simple brin dans l’ADN |
Hydrocarbures chlorés |
Chlorure de vinyle |
Environnement |
Mono-adduits de l’ADN |
Métaux et composés métalliques |
Cisplatine |
Chimiothérapie anticancéreuse |
Pontages intrabrin et interbrins dans l’ADN |
|
Composés du nickel |
Environnement |
Mono-adduits et cassures simple brin dans l’ADN |
Moutardes azotées |
Cyclophosphamide |
Chimiothérapie anticancéreuse |
Mono-adduits et pontages interbrins dans l’ADN |
Nitrosamines |
N-Nitrosodiméthylamine |
Aliments contaminés |
Mono-adduits de l’ADN |
Hydrocarbures aromatiques polycycliques |
Benzo(a)pyrène |
Environnement |
Adduits de grande taille sur l’ADN |
Le système immunitaire a pour fonction de protéger lorganisme contre les agents infectieux qui peuvent lenvahir et dassurer une surveillance immunologique vis-à-vis des cellules tumorales naissantes. Il constitue une première ligne de défense non spécifique capable damorcer des réactions effectrices et une voie spécifique acquise dans laquelle les lymphocytes et les anticorps possèdent une spécificité leur permettant de reconnaître lantigène puis dy réagir.
Limmunotoxicologie est la discipline qui étudie les événements conduisant à des effets nocifs dus à linteraction des xénobiotiques avec le système immunitaire. Ces événements indésirables peuvent résulter: 1) dun effet direct ou indirect du xénobiotique (ou de son produit de biotransformation) sur le système immunitaire; 2) dune réponse immunologique de lhôte au composé ou à son (ses) métabolite(s), ou aux antigènes de lhôte modifiés par le composé ou ses métabolites (Berlin et coll., 1987).
Lorsque le système immunitaire agit comme cible passive des agressions chimiques, il peut offrir une résistance moindre aux infections et à certaines formes de néoplasie, ou être le siège dun dérèglement ou dune stimulation immunitaire pouvant aggraver une allergie ou une auto-immunité. Lorsquil répond à la spécificité antigénique du xénobiotique ou à lantigène de lhôte modifié par le toxique, la toxicité sexprime par des allergies ou des maladies auto-immunes.
Des modèles animaux, dont certains sont validés, ont été mis au point pour étudier limmunosuppression induite par un produit chimique (Burleson, Munson et Dean, 1995; PISSC, 1996). Lors dune évaluation, on procède par étapes pour faire une sélection parmi les très nombreux tests disponibles. Généralement, lors de la première étape, on identifie les immunotoxiques potentiels. En cas de réponse positive, on passe à létape suivante qui consiste à confirmer et à mieux caractériser les perturbations observées. La troisième étape porte spécifiquement sur le mécanisme daction du produit. Des études de ce type effectuées sur des animaux de laboratoire ont permis de constater que plusieurs xénobiotiques agissent comme immunosuppresseurs.
Les informations dont on dispose sur les perturbations de la fonction immunitaire chez lhumain par des produits chimiques environnementaux ne sont pas très abondantes (Descotes, 1986; NRC, 1992). Lutilisation dindicateurs dimmunotoxicité nest pas très répandue dans les études cliniques et épidémiologiques concernant leffet des produits chimiques sur la santé. De telles études ne sont pas fréquentes, et quand bien même on en effectue, leur interprétation ne permet pas toujours de tirer des conclusions sans équivoque, notamment parce quil savère impossible de contrôler les expositions. Par conséquent, jusquà présent, les décisions concernant le danger et lestimation du risque sont fondées sur des évaluations de limmunotoxicité chez les rongeurs, avec extrapolation à lhumain.
Les réactions dhypersensibilité, notamment lasthme allergique et leczéma de contact, sont des problèmes de santé professionnelle importants dans les pays industriels (Vos, Younes et Smith, 1995). Le phénomène de sensibilisation de contact a été étudié en premier chez le cobaye (Andersen et Maibach, 1985); jusquà récemment, cétait lespèce de choix pour les tests prédictifs. De nombreux tests sur cet animal sont disponibles, les plus fréquemment employés étant le test de maximisation et le patch test de Buehler. Les tests sur cobaye et des méthodes plus récentes mises au point chez la souris, comme le test de ldème de loreille ou celui des ganglions lymphatiques locaux, fournissent au toxicologue les outils pour évaluer le risque de sensibilisation cutanée. Sagissant de la sensibilisation au niveau de lappareil respiratoire, la situation est très différente. Actuellement, il nexiste pas encore de méthode bien validée ou largement acceptée pour identifier les produits chimiques allergènes à ce niveau, bien que des progrès aient été accomplis sur des modèles animaux faisant appel au cobaye et à la souris.
Des données recueillies chez lêtre humain montrent que des agents chimiques, des médicaments en particulier, peuvent provoquer des maladies auto-immunes (Kammüller, Bloksma et Seinen, 1989). Il existe un certain nombre de modèles animaux de maladies auto-immunes humaines, notamment pour des pathologies spontanées (comme le lupus érythémateux systémique chez la souris New Zealand Black), ou des phénomènes auto-immuns induits par immunisation expérimentale avec un auto-antigène réagissant de façon croisée (arthrite induite par ladjuvant H37Ra chez le rat Lewis). Ces modèles sont utilisés pour lévaluation préclinique de médicaments immunosuppresseurs. Très peu détudes ont fait appel à ces modèles pour établir si un xénobiotique potentialise lauto-immunité induite ou congénitale. En réalité, les modèles animaux dont on peut se servir pour étudier la capacité des produits chimiques dinduire des maladies auto-immunes sont très peu nombreux. Un modèle employé de façon limitée est le test du ganglion poplité chez la souris. Comme cest le cas chez lêtre humain, les facteurs génétiques jouent un rôle capital dans le développement des maladies auto-immunes chez les animaux de laboratoire, ce qui limite la valeur prédictive de ces tests.
Le système immunitaire a pour principale fonction dassurer la défense contre les bactéries, virus, parasites, champignons et cellules néoplasiques. Cette défense est confiée à divers types cellulaires et leurs médiateurs solubles dans une harmonie finement réglée. La défense de lhôte peut être grossièrement divisée en résistance non spécifique ou innée et en immunité spécifique ou acquise sous la dépendance des lymphocytes (Roitt, Brostoff et Male, 1989).
Les composants du système immunitaire sont présents dans lensemble de lorganisme (Jones et coll., 1990). Le compartiment lymphocytaire se retrouve au niveau des organes lymphoïdes (voir figure 33.14). La moelle osseuse et le thymus sont classés comme organes lymphoïdes primaires ou centraux; les organes lymphoïdes secondaires ou périphériques comprennent les ganglions lymphatiques, la rate et le tissu lymphoïde situé le long de surfaces sécrétoires telles que les tractus respiratoire et gastro-intestinal, encore appelé tissu lymphoïde associé aux muqueuses (TLAM). Environ la moitié des lymphocytes de lorganisme sont localisés dans le TLAM, quel que soit le moment considéré. De plus, la peau est un organe important pour linduction de réponses immunitaires contre les antigènes présents à son niveau. Les cellules épidermiques de Langerhans jouent un rôle important dans ce processus du fait de leur rôle dans la présentation de lantigène.
Les cellules phagocytaires de la lignée monocyte/macrophage, ou système phagocytaire mononucléé (SPM), se trouvent dans les organes lymphoïdes ainsi que dans des sites extraganglionnaires; les phagocytes extraganglionnaires comprennent les cellules de Kupffer du foie, les macrophages alvéolaires au niveau pulmonaire et les macrophages mésangiaux respectivement aux niveau pulmonaire et rénal et les cellules gliales dans le cerveau. Les leucocytes polynucléaires sont localisés principalement dans le sang et la moelle osseuse, mais saccumulent aux sites dinflammation.
Une première ligne de défense contre les micro-organismes est assurée par une barrière physique et chimique: la peau et le tractus respiratoire ou digestif. Cette barrière est secondée par des mécanismes de protection non spécifiques comprenant les cellules phagocytaires (macrophages et leucocytes polynucléaires), capables de tuer les agents pathogènes, et les cellules tueuses naturelles, qui peuvent lyser les cellules tumorales et les cellules infectées par des virus. Le système du complément et certains inhibiteurs microbiens (par exemple, le lysozyme) prennent également part à la réponse immunitaire.
Après un premier contact entre lhôte et un agent pathogène, on assiste à une série de réponses immunitaires spécifiques. Ce qui caractérise cette seconde ligne de défense cest quelle est capable de distinguer les déterminants antigéniques, ou épitopes, des agents pathogènes grâce à des récepteurs présents à la surface des lymphocytes B et T. Après interaction avec les antigènes spécifiques, la cellule portant ce récepteur est stimulée, ce qui provoque sa prolifération et sa différenciation et aboutit à un clone de cellules filles propres à lantigène responsable. Les réponses immunitaires spécifiques complètent la défense non spécifique opposée aux agents pathogènes en stimulant lefficacité des réponses non spécifiques. Limmunité spécifique a pour caractéristique fondamentale de créer une mémoire. Une seconde exposition au même antigène provoque une réponse mieux régulée, plus rapide et plus intense.
Le génome nest pas à même de contenir les codes de lensemble des récepteurs antigéniques dont il faut disposer pour reconnaître les nombreux antigènes pouvant être rencontrés. Le répertoire de spécificité se développe selon un processus de réarrangement génique qui est le pur fruit du hasard. Diverses spécificités apparaissent, dont certaines sont indésirables lorsquelles sont dirigées contre les composants du soi. Un processus de sélection au niveau du thymus (cellules T) ou de la moelle osseuse (cellules B) intervient pour éliminer ces spécificités indésirables.
La fonction effectrice immunitaire et la régulation homéostasique de la réponse immunitaire dépendent dune série de produits solubles, les cytokines. Synthétisées et sécrétées par les lymphocytes et dautres types cellulaires, les cytokines ont des effets pléiotropes sur les réponses immunitaires et inflammatoires. La réponse immunitaire ne peut se faire sans une coopération entre les différentes populations cellulaires. Cette coopération prend différentes formes: régulation des réponses des anticorps, afflux des cellules et des molécules immunitaires aux sites inflammatoires, initiation des réponses en phase aiguë, contrôle de la fonction cytotoxique des macrophages et nombreux autres processus essentiels à la résistance de lhôte. Ces processus sont influencés par les cytokines agissant individuellement ou en association et, bien souvent, en dépendent.
Limmunité spécifique comporte deux voies: limmunité à médiation humorale et limmunité à médiation cellulaire.
Immunité à médiation humorale. Dans cette voie humorale, les lymphocytes B sont stimulés après la reconnaissance de lantigène par les récepteurs de surface. Les récepteurs antigéniques sur les lymphocytes B sont des immunoglobulines (Ig). Les cellules B matures (cellules plasmatiques) commencent à produire des immunoglobulines spécifiques de lantigène, qui agissent comme anticorps au niveau sérique et au niveau des surfaces muqueuses. On distingue cinq catégories principales dimmunoglobulines: 1) lIgM, immunoglobuline pentamère, à capacité optimale dagglutination, la première à être produite après une stimulation antigénique; 2) lIgG, principale immunoglobuline dans la circulation, qui peut passer dans le placenta; 3) lIgA, immunoglobuline sécrétoire pour la protection des surfaces muqueuses; 4) lIgE, immunoglobuline fixée sur les mastocytes ou les granulocytes basophiles, impliquée dans les réactions dhypersensibilité immédiate; 5) lIgD, dont la fonction essentielle est identique à celle dun récepteur sur les lymphocytes B.
Immunité à médiation cellulaire. La voie cellulaire du système immunitaire spécifique est sous la dépendance des lymphocytes T. Ces cellules possèdent également des récepteurs antigéniques sur leurs membranes. Elles reconnaissent lantigène sil est présenté par les cellules possédant lantigène (CPA) dans le contexte de lhistocompatibilité antigénique. Ces cellules présentent donc cette limite qui vient sajouter à leur spécificité antigénique. Les cellules T, qui agissent comme cellules auxiliaires dans diverses réponses immunitaires (dont la réponse humorale), interviennent dans le recrutement des cellules inflammatoires et peuvent, en tant que cellules T cytotoxiques, tuer les cellules cibles après reconnaissance spécifique de lantigène.
La résistance de lhôte dépend de lintégrité fonctionnelle du système immunitaire, ce qui suppose que les composants cellulaires et moléculaires orchestrant la réponse immunitaire soient présents en quantité suffisante et sous une forme opérationnelle. Les immunodéficiences congénitales chez lhumain se traduisent souvent par des anomalies de certaines souches de lignées cellulaires qui ne produisent pas du tout de cellules immunitaires ou en produisent en nombre insuffisant. Par analogie avec les maladies immunodéficientes humaines congénitales et acquises, limmunosuppression induite par un produit chimique peut simplement être due au fait que le nombre de cellules fonctionnelles nest pas aussi élevé quil devrait lêtre (PISSC, 1996). Ces deux phénomènes, absence de lymphocytes ou présence en nombre réduit, peut avoir des effets plus ou moins graves sur le statut immunitaire. Certains états immunodéficients ou une immunosuppression sévère, tels quon peut les observer en transplantation ou après un traitement cytostatique, sont responsables en particulier dune incidence élevée dinfections opportunistes ou de pathologies néoplasiques. Les infections peuvent être bactériennes, virales, fongiques ou dues à des protozoaires, le type prédominant de linfection dépendant de limmunodéficience en cause. Lexposition à des produits chimiques immunosuppresseurs de lenvironnement peut être à lorigine de formes plus discrètes dimmunosuppression, plus difficiles à détecter, pouvant conduire, par exemple, à une incidence accrue dinfections telles que la grippe ou le simple rhume.
Etant donné la complexité du système immunitaire et sa très grande diversité de cellules, de médiateurs et de fonctions constituant un réseau élaboré et interactif, les produits immunotoxiques ont de multiples possibilités dexercer un effet. On ne connaît pas encore parfaitement la nature des lésions initiales induites par de nombreux produits chimiques immunotoxiques, mais on dispose chaque jour dun peu plus dinformations sur les modifications immunobiologiques à lorigine dune dépression de la fonction immunitaire, surtout grâce aux études sur les animaux de laboratoire (Dean et coll., 1994). Des effets toxiques peuvent se produire au niveau des fonctions critiques ci-après (nous illustrons le propos grâce à quelques produits immunotoxiques):
On peut dire de lallergie quil sagit dun effet indésirable pour la santé résultant de linduction excessive dune réponse immunitaire spécifique. Lorsque des réactions dhypersensibilité se produisent sans la participation du système immunitaire, on parle de pseudo-allergie. Dans le contexte de limmunotoxicologie, lallergie est due à une réponse immunitaire spécifique à des produits chimiques ou à des médicaments. Le pouvoir de sensibilisation dun produit chimique chez lindividu est généralement lié à sa capacité de liaison covalente aux protéines de lorganisme. Les réactions allergiques peuvent être de plusieurs types, qui diffèrent selon le mécanisme immunologique sous-jacent et la vitesse de la réaction. On distingue quatre types principaux de réactions allergiques: les réactions dhypersensibilité de type I, sous la dépendance danticorps IgE, avec une apparition des symptômes quelques minutes après exposition de lindividu sensibilisé; les réactions dhypersensibilité de type II, dues à laltération ou à la destruction des cellules hôtes par des anticorps, les symptômes apparaissant dans ce cas en quelques heures; les réactions dhypersensibilité de type III, ou phénomène dArthus, sont également sous la dépendance danticorps, mais vis-à-vis dun antigène soluble et résultent de laction locale ou systémique de complexes immuns; les réactions de type IV ou dhypersensibilité retardée sont commandés par les lymphocytes T et, chez un sujet sensibilisé, les symptômes se développent de vingt-quatre à quarante-huit heures après lexposition.
Les deux types dallergie chimique les plus importants pour la santé en milieu de travail sont la sensibilisation de contact ou allergie cutanée et lallergie respiratoire.
Hypersensibilité de contact. Un grand nombre de produits chimiques peuvent être à lorigine dune sensibilisation de contact. Après une exposition topique dun sujet sensible à un allergène chimique, il se produit une réponse lymphocytaire T dans les ganglions lymphatiques de drainage. Au niveau de la peau, lallergène réagit directement ou indirectement avec les cellules épidermiques de Langerhans qui transportent le produit chimique vers les ganglions lymphatiques et le présentent sous une forme immunogène aux lymphocytes T sensibles. Les lymphocytes T activés par lallergène prolifèrent, provoquant une expansion clonale. Lindividu est alors sensibilisé et répondra à une seconde exposition de la peau au même produit chimique par une réaction immunitaire plus agressive, responsable dun eczéma allergique de contact. La réaction inflammatoire cutanée caractéristique de ce type deczéma résulte de la reconnaissance de lallergène au niveau du tissu cutané par des lymphocytes T spécifiques. Ces lymphocytes deviennent actifs, sécrètent des cytokines et provoquent laccumulation locale dautres leucocytes mononucléaires. Les symptômes se développent dans les vingt-quatre à quarante-huit heures suivant lexposition dun individu sensible: leczéma allergique de contact représente donc une forme dhypersensibilité de type retardé. Les causes habituelles de leczéma allergique de contact sont des produits chimiques organiques (tels que le 2,4-dinitrochlorobenzène), des métaux (tels que le nickel et le chrome) ou des produits dorigine végétale (comme lurushiol du sumac vénéneux).
Hypersensibilité respiratoire. Lhypersensibilité respiratoire est généralement considérée comme une réaction dhypersensibilité de type I. Cependant, les réactions de phase tardive et les symptômes chroniques associés à lasthme paraissent impliquer des processus immunitaires de type cellulaire (type IV). Les symptômes aigus associés à lallergie respiratoire sont dus aux anticorps IgE, dont la production est provoquée par lexposition du sujet sensible à lallergène chimique inducteur. Les anticorps IgE sont distribués par voie systémique et se lient, par lintermédiaire des récepteurs membranaires, aux mastocytes présents dans les tissus vascularisés, en particulier dans le tractus respiratoire. Lorsque le même produit est inhalé de nouveau, une réaction dhypersensibilité respiratoire se déclenche. Lallergène se lie à une protéine et se fixe en même temps aux anticorps IgE portés par les mastocytes. Suivent alors une dégranulation des mastocytes et la sécrétion des médiateurs de linflammation tels que lhistamine et les leucotriènes. Ces médiateurs sont responsables de la bronchoconstriction et de la vasodilatation, donnant lieu aux symptômes de lallergie respiratoire: asthme ou rhinite. Parmi les produits chimiques connus pour induire chez lhumain une hypersensibilité respiratoire, il faut citer les anhydrides dacides (comme lanhydride trimellitique), certains diisocyanates (TDI, par exemple), les sels de platine et des colorants. Lexposition chronique au béryllium est également connue pour provoquer une pathologie pulmonaire dhypersensibilité.
On peut dire de lauto-immunité quil sagit de la stimulation de réponses immunitaires spécifiques dirigées contre les antigènes endogènes du «soi». Lauto-immunité induite peut résulter dune perturbation de léquilibre des lymphocytes T régulateurs, ou de la liaison dun xénobiotique avec des composants tissulaires normaux les rendant immunogènes (altération du «soi»). Les médicaments et produits chimiques connus pour induire fortuitement ou exacerber une maladie auto-immune chez les individus sensibles sont des composés de faible poids moléculaire (100 à 500 daltons) généralement considérés comme non immunogènes. Le mécanisme dune maladie auto-immune après exposition à un produit chimique est en grande partie inconnu. La maladie peut être provoquée directement par un anticorps circulant, résulter indirectement de la formation de complexes immuns, ou être la conséquence dune réaction immunologique de type cellulaire. Il sagit selon toute vraisemblance dun mécanisme multiple. On connaît mieux le mécanisme pathogène des troubles hémolytiques immunitaires induits par les médicaments:
Des réponses de type auto-immunitaire ont été observées en présence de produits chimiques divers et surtout de médicaments (Kammüller, Bloksma et Seinen, 1989). En milieu de travail, lexposition à des produits chimiques peut parfois conduire à des syndromes de caractère auto-immunitaire, celle à des produits comme le chlorure de vinyle monomère, le trichloroéthylène, le perchloroéthylène, les résines époxy ou la poussière de silice pouvant provoquer des syndromes du type sclérodermie. Lexposition à lhydrazine a été associée à un syndrome sapparentant au lupus érythémateux aigu disséminé. On a aussi constaté que lexposition au TDI pouvait induire un purpura thrombocytopénique et que les métaux lourds tels que le mercure avaient provoqué des cas de glomérulonéphrite à complexes immuns.
Lévaluation du statut immunitaire chez lhumain seffectue en étudiant des points de vue quantitatif et fonctionnel, principalement sur le sang périphérique, les immunoglobulines et le complément, ainsi que les sous-populations leucocytaires. Ces méthodes sont généralement identiques à celles que lon utilise pour étudier limmunité à médiation humorale et cellulaire, ou la résistance non spécifique, chez des malades présentant une immunodéficience congénitale. Pour les études épidémiologiques (sur des populations exposées professionnellement), les paramètres doivent être sélectionnés sur la base de leur valeur prédictive dans une population humaine, de leur validation par des modèles animaux et des indicateurs biologiques correspondants (voir tableau 33.6). La stratégie de dépistage des effets immunotoxiques après une exposition (accidentelle) à des polluants environnementaux ou à dautres toxiques dépend davantage des circonstances, comme le type dimmunodéficience attendu, le temps écoulé entre lexposition et lévaluation du statut immunitaire, le degré dexposition et le nombre dindividus exposés. Lévaluation du risque immunotoxique dun xénobiotique particulier chez lhumain est une démarche extrêmement difficile quand elle nest pas impossible, en raison surtout de la présence dun mélange de facteurs dorigine endogène ou exogène qui interviennent dans la réponse des individus à une lésion toxique. Cest vrai en particulier pour les études sur le rôle dune exposition chimique dans les maladies auto-immunes, où les facteurs génétiques jouent un rôle déterminant.
Catégorie de test |
Caractéristiques |
Tests spécifiques |
Tests généraux de base à inclure dans un groupe de tests |
Indicateurs de santé et de l’état fonctionnel des organes |
Urée sanguine, glycémie, etc. |
Tests immunologiques de base à inclure dans un groupe de tests |
Indicateurs généraux du statut immunitaire |
Numération sanguine complète |
Tests spécialisés à inclure en fonction des observations cliniques, des expositions suspectées ou des résultats des tests antérieurs |
Indicateurs de fonctions ou d’événements immunitaires spécifiques |
Génotype d’histocompatibilité |
Recherche |
Indicateurs de fonctions ou d’événements immunitaires généraux ou spécifiques |
Tests de stimulation in vitro |
Comme on dispose rarement des données humaines dont on aurait besoin, on évalue la plupart du temps les risques dimmunosuppression induite par un produit chimique chez lhumain en sappuyant sur des études animales. Dans le cas des xénobiotiques, on détermine leur potentiel immunotoxique surtout grâce à des études contrôlées chez les rongeurs. Les études dexposition in vivo sont, à cet égard, la meilleure solution en raison de la nature multifactorielle complexe du système immunitaire et des réponses immunes. Les études in vitro sont de plus en plus utilisées pour élucider un mécanisme dimmunotoxicité. De plus, létude des effets dun produit sur des cellules dorigine humaine et animale permet dacquérir des données utiles pour comparer les espèces. Ces données peuvent alors être utilisées dans une approche de type «parallélogramme» afin daméliorer lévaluation du risque. Si on dispose de données pour trois des côtés du parallélogramme (animal in vivo, animal et humain in vitro), il est alors plus facile de prévoir le résultat pour le dernier, cest-à-dire le risque chez lhumain.
Lorsque lévaluation dun risque dimmunosuppression induite par un produit chimique repose uniquement sur des données animales, on a la possibilité pour extrapoler à lhumain demployer une technique qui consiste à appliquer un facteur dincertitude à la NOAEL (No Observed Adverse Effect Level (niveau sans effet nocif observé)). On peut se fonder pour cela sur des paramètres établis dans des modèles pertinents, tels que les essais de résistance de lhôte et lévaluation in vivo des réactions dhypersensibilité et de production danticorps. Dans lidéal, il faut valider la pertinence de cette démarche dévaluation du risque par des études chez lhumain. De telles études devraient associer lidentification et le dosage du toxique, des données épidémiologiques et une évaluation du statut immunitaire.
Pour prévoir une hypersensibilité de contact, on dispose depuis les années soixante-dix de modèles sur cobaye. Bien que sensibles et reproductibles, ces tests ont des limites, car ils reposent sur une évaluation subjective; des méthodes plus récentes et mieux quantifiées développées chez la souris permettent de pallier cette carence. Sagissant de lhypersensibilité due aux produits chimiques induite par inhalation ou ingestion dallergènes, il conviendrait de mettre au point des tests et dévaluer leur valeur prédictive chez lhumain. Lorsquon se propose détablir des niveaux de sécurité pour des allergènes potentiels en milieu de travail, il ne faut pas perdre de vue que lallergie est un phénomène biphasique: il y a la phase de sensibilisation et la phase de déclenchement. Ainsi, la concentration requise pour provoquer une réaction allergique chez un individu préalablement sensibilisé est beaucoup plus faible que celle qui est nécessaire chez un individu «neuf» du point de vue immunologique, mais sensible.
Comme il nexiste pratiquement pas de modèles animaux pour prévoir lauto-immunité due aux produits chimiques, il serait bon de semployer à en mettre au point. Il faut pour cela apprendre à mieux connaître lauto-immunité induite par les produits chimiques chez lhumain, en particulier grâce à létude de marqueurs génétiques et immunologiques permettant didentifier les individus sensibles. Les sujets exposés aux médicaments induisant une auto-immunité offrent cette possibilité.
Létude et la caractérisation des propriétés toxiques des produits chimiques et autres agents reposent souvent sur les organes et systèmes atteints. Dans ce chapitre, nous étudierons de manière approfondie le système immunitaire et le gène. Si nous avons porté notre choix sur ces deux cibles, cest parce quelles constituent pour lune un modèle de cible systémique complexe, pour lautre un modèle de cible moléculaire. Le lecteur qui souhaite des informations détaillées sur la toxicologie au niveau des organes cibles pourra se reporter à des traités de toxicologie comme ceux de Casarett et Doull, ou encore de Hayes. Le Programme international sur la sécurité des substances chimiques (PISSC) a également publié plusieurs documents de référence classés par système.
Les études de toxicologie au niveau des organes cibles sont entreprises dordinaire au vu des informations sur les effets toxiques spécifiques dune substance, obtenues à partir de données épidémiologiques ou détudes générales de toxicité aiguë ou chronique, ou dans le but de protéger certaines fonctions, par exemple la reproduction ou le développement ftal. Dans certains cas, les autorités compétentes exigent que des tests spécifiques de toxicité sur des organes cibles soient effectués: cest le cas aux Etats-Unis où la loi sur les pesticides exige deffectuer une étude de neurotoxicité (voir larticle «Lapproche américaine de lévaluation du risque des toxiques pour la reproduction et des agents neurotoxiques»), ou au Japon où des dispositions concernant les tests de mutagénicité sont prévues dans la loi sur le contrôle des substances chimiques (voir larticle «Les principes didentification du risque: lapproche japonaise»).
Comme nous lexpliquons dans larticle «Lorgane cible et les effets critiques», lidentification dun organe critique consiste à déceler lorgane ou le système où un effet nocif sobserve en premier, ou celui qui répond le premier aux doses ou aux expositions les plus faibles. Cette information est ensuite exploitée pour concevoir des investigations toxicologiques spécifiques ou des tests de toxicité mieux orientés capables de mettre en évidence les signes de toxicité les plus sensibles au niveau de lorgane cible. Les études de toxicologie au niveau de ces organes peuvent également servir à préciser les mécanismes daction, nécessaires à lévaluation du risque (voir larticle «Lapproche américaine de lévaluation du risque des toxiques pour la reproduction et des agents neurotoxiques»).
Létude des organes cibles peut se faire en exposant des organismes intacts et en analysant très précisément la fonction et lhistopathologie de lorgane cible, ou en maintenant en culture in vitro pendant des périodes plus ou moins longues des cellules, des coupes tissulaires ou dorganes entiers (voir larticle «Les mécanismes de la toxicologie: introduction et concepts»). Il arrive dans certains cas que lon dispose de tissus dorigine humaine pour ce type détudes de toxicité. Il est alors possible de valider les hypothèses dextrapolation interespèces. Cependant, on ne doit pas oublier que de telles études ne fournissent pas dinformations sur les toxicocinétiques respectives.
En général, les études de toxicité au niveau des organes cibles comportent toutes les étapes suivantes: examen histopathologique détaillé de lorgane cible, y compris post mortem, poids tissulaire, examen des tissus après fixation; études biochimiques de voies critiques dans lorgane cible, telles que les systèmes enzymatiques importants; études fonctionnelles de laptitude de lorgane et des constituants cellulaires à assumer des fonctions spécifiques métaboliques ou autres; étude des indicateurs biologiques dexposition et des effets précoces dans les cellules de lorgane cible.
Létude des organes cibles peut aussi avoir pour finalité de chercher à mieux connaître leur physiologie, leur biochimie et leur biologie moléculaire. Or, comme la synthèse et la sécrétion de protéines de faible poids moléculaire sont des aspects importants de la fonction rénale, les études de néphrotoxicité sy intéressent souvent (PISSC, 1991). De même, étant donné que les communications intercellulaires constituent un processus fondamental du fonctionnement du système nerveux, les études des organes cibles en neurotoxicité comportent des mesures neurochimiques et biophysiques détaillées de la synthèse, de la captation, du stockage, de la libération et de la liaison au récepteur des neurotransmetteurs ainsi que des mesures électrophysiologiques des modifications des potentiels de membrane qui leur sont associées.
Comme on sefforce par tous les moyens de ne plus employer les animaux de laboratoire ou de moins les utiliser, on semploie à mettre au point des méthodes détudes in vitro de toxicité au niveau des organes cibles. Des progrès considérables ont été accomplis en ce sens avec les toxiques des fonctions de reproduction (Heindell et Chapin, 1993).
En résumé, les études de toxicité sur les organes cibles sont généralement envisagées comme des études spécialisées de toxicologie. Le choix des organes cibles pour ce type dévaluation est orienté par les résultats des tests de dépistage, tels que les tests de toxicité aiguë ou subaiguë utilisés dans les pays de lOCDE et de lUnion européenne; certains organes cibles et systèmes sont a priori candidats pour ce type dinvestigation en raison de leur intérêt dans la prévention deffets nocifs pour la santé.
Un indicateur biologique, ou marqueur biologique, est un paramètre mesurable présent dans un système biologique, par exemple lorganisme humain. Ce paramètre est considéré comme étant le reflet, ou le marqueur, de létat général de lorganisme ou de son espérance de vie. Dans le domaine de la santé au travail, les indicateurs biologiques sont dordinaire utilisés comme indicateurs de létat de santé ou du risque de survenue dune pathologie.
Les indicateurs biologiques servent aussi bien dans les études in vitro que dans les études in vivo, lhumain pouvant être inclus dans celles-ci. On distingue habituellement trois types dindicateurs biologiques: les indicateurs dexposition, deffet ou de sensibilité/réceptivité (voir tableau 33.7). Il est à noter que certains indicateurs sont difficilement classables.
Echantillon |
Mesure |
Objectif |
Indicateurs biologiques d’exposition |
||
Tissu adipeux |
Dioxine |
Exposition à la dioxine |
Sang |
Plomb |
Exposition au plomb |
Os |
Aluminium |
Exposition à l’aluminium |
Air expiré |
Toluène |
Exposition au toluène |
Cheveux |
Mercure |
Exposition au méthylmercure |
Sérum |
Benzène |
Exposition au benzène |
Urine |
Phénol |
Exposition au benzène |
Indicateurs biologiques d’effet |
||
Sang |
Carboxyhémoglobine |
Exposition au monoxyde de carbone |
Hématies |
Protoporphyrine-zinc |
Exposition au plomb |
Sérum |
Cholinestérase |
Exposition aux organo-phosphorés |
Urine |
Microglobulines |
Exposition à un néphrotoxique |
Leucocytes |
Adduits à l’ADN |
Exposition à un mutagène |
Sous réserve dun degré de validité acceptable, les indicateurs biologiques peuvent avoir plusieurs finalités. A léchelle individuelle, un indicateur biologique peut servir à valider ou à récuser un diagnostic dintoxication ou deffets indésirables liés à un produit chimique. Chez un sujet en bonne santé, il peut traduire une hypersensibilité individuelle à lexposition à un produit chimique donné et permettre ainsi de prévoir le risque et denvisager des mesures de prévention. Dans un groupe de travailleurs exposés, certains indicateurs biologiques dexposition peuvent être utilisés pour évaluer si la réglementation antipollution est effectivement respectée ou encore dans quelle mesure les efforts de prévention générale sont efficaces.
Un indicateur biologique dexposition peut impliquer un xénobiotique (ou son métabolite) présent dans lorganisme, un produit dinteraction entre le xénobiotique (ou son métabolite) et un constituant endogène, ou un autre paramètre lié à lexposition. Plus fréquemment, les indicateurs biologiques dexposition pour des produits stables tels que les métaux consistent à mesurer la concentration de ces produits dans des échantillons appropriés: sang, sérum ou urine. Dans le cas des produits chimiques volatils inhalés avec lair contaminé, on peut évaluer leur concentration dans lair exhalé. Si le produit est métabolisé dans lorganisme, on peut choisir un ou plusieurs métabolites comme indicateurs biologiques dexposition, les métabolites étant souvent dosés dans des échantillons urinaires.
Les techniques modernes danalyse permettent de séparer les isomères ou les homologues de produits organiques, de déterminer la spéciation des produits métalliques ou les isotopes de certains éléments. Des méthodes très perfectionnées permettent détablir les modifications que la fixation de produits chimiques réactifs fait subir à la structure de lADN ou dautres macromolécules. Ces nouvelles techniques détude des indicateurs biologiques sont sans nul doute appelées à se développer, car elles permettent daméliorer les limites de détection et la validité analytique.
Des progrès très prometteurs ont été réalisés dans le cas des produits chimiques mutagènes. Ces produits, qui sont des intermédiaires réactifs, peuvent former des adduits avec les macromolécules, telles que protéines ou ADN. Les adduits à lADN sont mis en évidence dans les leucocytes ou les biopsies tissulaires. Des fragments spécifiques dADN peuvent être excrétés dans lurine. Ainsi, une exposition à loxyde déthylène est responsable de lélimination urinaire de N-(2-hydroxyéthyl)guanine, du fait de la réaction de loxyde déthylène avec lADN, après excision des bases endommagées. Certains adduits peuvent ne pas être directement reliés à une exposition précise. Par exemple, la 8-hydrox-2´-désoxyguanosine, témoin dun processus oxydatif sur lADN, doit sa formation à plusieurs produits chimiques, la plupart dentre eux agissant également comme inducteurs de peroxydation lipidique.
Dautres macromolécules sont également susceptibles dêtre modifiées par formation dadduits ou par oxydation. En particulier, les produits intermédiaires réactifs peuvent entraîner la formation dadduits à lhémoglobine que lon peut utiliser comme indicateurs biologiques dexposition. Lavantage est quon peut obtenir une quantité importante dhémoglobine à partir dun échantillon sanguin et que, comme les hématies ont une durée de vie de quatre mois, les adduits formés avec les acides aminés de lhémoglobine permettent dévaluer lexposition totale durant cette période.
Les adduits peuvent être mesurés par des techniques sensibles telles que la chromatographie liquide à haute performance ou des méthodes immunologiques. En général, ces méthodes analytiques récentes sont coûteuses et nécessitent dêtre améliorées et validées. Une meilleure sensibilité est obtenue en utilisant la technique du postmarquage au 32P, qui est une mesure non spécifique des lésions de lADN. Toutes ces techniques trouvent leur application en surveillance biologique et ont du reste été employées dans de nombreuses études. Cependant, on a besoin de méthodes analytiques plus simples et plus sensibles. Etant donné la spécificité limitée de certaines de ces méthodes pour les expositions de faible niveau, certains facteurs tels que le tabagisme peuvent avoir une incidence significative sur les résultats des mesures et poser de ce fait des difficultés dinterprétation.
Lexposition à des produits mutagènes ou à des composés métabolisés en produits mutagènes peut être évaluée grâce à lanalyse des urines. Un échantillon prélevé chez un sujet exposé est mis à incuber avec une souche bactérienne chez laquelle une mutation ponctuelle spécifique sexprime dune manière facile à mesurer. Si des produits chimiques mutagènes sont présents dans léchantillon urinaire, un taux accru de mutations sobserve chez la bactérie.
Les indicateurs biologiques dexposition doivent être évalués en tenant compte de la variation de la durée de lexposition et des relations entre les divers compartiments. Ainsi, léchelle de temps représentée par lindicateur biologique, autrement dit la mesure dans laquelle lindicateur biologique peut refléter les expositions passées ou la charge corporelle accumulée, doit être déterminée à partir de données toxicocinétiques afin dinterpréter le résultat. En particulier, on doit prendre en compte la façon dont lindicateur biologique reflète lintensité de la rétention dun produit au niveau des organes cibles spécifiques. Les échantillons sanguins sont souvent utilisés dans les études dindicateur biologique; cependant, le sang périphérique nest généralement pas considéré comme un compartiment en soi, bien quil serve de transporteur entre les compartiments. La relation entre la concentration sanguine et le niveau atteint dans les différents organes varie de manière importante en fonction du produit chimique, de la durée de lexposition et du temps écoulé depuis la fin de lexposition.
Ce type de raisonnement est parfois utilisé pour classer un indicateur biologique comme indicateur de dose (totale) absorbée ou comme indicateur de dose efficace (cest-à-dire de la quantité qui a atteint le tissu cible). Par exemple, lexposition à un solvant donné peut être évaluée par le dosage de sa concentration sanguine à un moment donné après lexposition. Ce dosage reflète alors la quantité de solvant absorbée par lorganisme. En raison de sa pression de vapeur, une partie est exhalée. Pendant quil circule par voie sanguine, le solvant réagit avec divers composants de lorganisme et subit éventuellement une dégradation enzymatique. Ces processus métaboliques peuvent être estimés en dosant les acides mercapturiques produits par conjugaison avec le glutathion. Lexcrétion cumulée de ces acides reflétera mieux la dose efficace que la concentration sanguine.
Des événements de la vie, tels que la reproduction ou la sénescence, sont susceptibles de modifier la distribution dun produit chimique. Ainsi, au cours de la grossesse, de nombreux produits chimiques peuvent franchir la barrière placentaire, provoquant ainsi lexposition du ftus. La lactation entraîne lexcrétion de produits chimiques liposolubles, ce qui diminue la rétention chez la mère et augmente la captation chez lenfant. En cas de perte de poids ou dostéoporose, les produits chimiques stockés peuvent être libérés et causer une augmentation et une prolongation de lexposition «endogène» des organes cibles. Dautres facteurs, pour lesquels on dispose dindicateurs biologiques de sensibilité, peuvent modifier labsorption, le métabolisme, la rétention et la distribution dun produit chimique chez un individu (voir ci-après).
Un indicateur biologique deffet peut être un composant endogène, une mesure de capacité fonctionnelle ou tout autre indice de létat ou de léquilibre de lorganisme ou dun organe, modifié par une exposition. Les indicateurs biologiques deffet sont généralement des indices danomalies précliniques.
Ils peuvent être spécifiques ou non. Les indicateurs biologiques spécifiques peuvent être utilisés à des fins préventives, car ils permettent de relier un effet biologique donné à une exposition définie. Les indicateurs biologiques non spécifiques ne permettent pas de relier un effet à une cause particulière, car ils peuvent refléter leffet global intégré en relation avec des expositions composites. Ces deux types dindicateurs biologiques peuvent ainsi être très utiles en santé au travail.
Il nexiste pas de distinction claire entre les indicateurs biologiques dexposition et les indicateurs biologiques deffet. On peut dire par exemple que la formation dadduits est plus un indicateur deffet quun indicateur dexposition. Cependant, les indicateurs biologiques deffet correspondent en général à des altérations de fonctions au niveau de cellules, de tissus ou même de lorganisme dans son ensemble. Certains chercheurs considèrent comme indicateurs biologiques deffet des modifications importantes, comme une hépatomégalie chez les animaux de laboratoire exposés ou une diminution de croissance chez les enfants. En ce qui concerne la santé au travail, les indicateurs biologiques deffet devraient être limités à ceux qui permettent de révéler des modifications biochimiques subcliniques ou réversibles (une inhibition enzymatique, par exemple). Lindicateur biologique deffet le plus fréquemment utilisé est certainement linhibition des cholinestérases provoquée par certains insecticides, nommément les organophosphorés et les carbamates. Dans la plupart des cas, cet effet est totalement réversible et linhibition de lenzyme reflète lexposition globale à ce groupe particulier dinsecticides.
Certaines expositions nentraînent pas une inhibition enzymatique, mais plutôt une induction. Cest le cas de plusieurs enzymes appartenant à la famille du cytochrome P450 (voir larticle «Les déterminants génétiques de la réponse toxique») qui peuvent être induites à la suite de lexposition à certains solvants et hydrocarbures aromatiques polycycliques. Comme ces enzymes sexpriment surtout dans des tissus dont il est difficile dobtenir une biopsie, lactivité enzymatique est déterminée in vivo de façon indirecte en administrant au sujet un produit quelles métabolisent puis en dosant le produit dégradé dans lurine ou le plasma.
Dautres expositions peuvent induire la synthèse dune protéine protectrice. Le meilleur exemple de ce phénomène est sans doute celui de la métallothionéine, qui fixe le cadmium et assure lexcrétion de ce métal; lexposition au cadmium est lun des facteurs qui provoquent une augmentation de lexpression du gène de la métallothionéine. Il existe dautres protéines protectrices du même type, mais elles nont pas encore été suffisamment étudiées pour être considérées comme des indicateurs biologiques. Parmi les candidats possibles, on trouve les protéines dites de stress, appelées anciennement protéines du choc thermique. Ces protéines sont produites par toute une gamme dorganismes en réponse à diverses expositions nocives.
Les lésions oxydatives peuvent être évaluées par le dosage de la concentration sérique du malondialdéhyde ou celle de léthane dans lair expiré. De même, lexcrétion urinaire de protéines de faible poids moléculaire, lalbumine par exemple, peut être utilisée comme indicateur biologique précoce dune lésion rénale. Plusieurs paramètres utilisés en routine clinique (comme les taux dhormones ou les activités enzymatiques sériques) peuvent aussi constituer des indicateurs biologiques précieux. Cependant, beaucoup de ces paramètres ne sont pas suffisamment sensibles pour permettre la détection dune lésion précoce.
Un autre groupe dindicateurs deffet concerne les effets génotoxiques (modifications de structure des chromosomes). Ces effets peuvent être mis en évidence par examen au microscope des leucocytes en période de division. Des lésions importantes sur les chromosomes aberrations chromosomiques ou formation de micronoyaux sont en effet observables au microscope. Ces lésions peuvent également être observées à laide dun colorant ajouté aux cellules pendant leur division. On peut ainsi visualiser lexposition à un agent génotoxique par une augmentation de léchange de colorant entre les deux chromatides de chaque chromosome (test des échanges de chromatides surs (ECS)). Si les aberrations chromosomiques sont le signe dun risque accru de développer un cancer, le test des ECS est de signification moins nette.
La génotoxicité peut aussi être évaluée grâce à une technique plus complexe reposant sur lexistence de mutations ponctuelles dans des cellules somatiques, notamment les leucocytes ou les cellules épithéliales de la muqueuse buccale. Une mutation sur un locus spécifique peut rendre les cellules capables de croître dans un milieu de culture contenant un produit chimique normalement toxique (par exemple, la 6-thioguanine). On peut également évaluer le produit spécifique dun gène (comme les concentrations sériques ou tissulaires doncoprotéines codées par des oncogènes particuliers). Bien entendu, ces mutations reflètent une lésion génotoxique globale et ne permettent pas dattribuer la cause à une exposition particulière. Ces méthodes ne sont pas encore suffisamment au point pour avoir une utilisation pratique en santé au travail, mais de rapides progrès dans cette voie de recherche laissent penser quelles seront disponibles dans quelques années.
Un indicateur de sensibilité, héréditaire ou induite, est un indice permettant de déterminer si un sujet est particulièrement sensible à leffet dun xénobiotique ou dun groupe de xénobiotiques. La sensibilité dorigine génétique a suscité beaucoup dintérêt, alors que dautres facteurs sont au moins aussi importants. Lhypersensibilité peut être la conséquence dun facteur héréditaire, être liée à lenvironnement ou encore être constitutionnelle.
Laptitude à métaboliser certains produits chimiques varie dun individu à lautre en fonction de facteurs génétiques (voir larticle «Les déterminants génétiques de la réponse toxique»). Plusieurs enzymes importantes paraissent être contrôlées par un seul gène. Par exemple, loxydation des xénobiotiques est assurée principalement par une famille denzymes appartenant au cytochrome P450. Dautres enzymes se chargent de rendre les métabolites plus hydrosolubles par conjugaison (par exemple, la N-acétyltransférase et la µ-glutathion-S-transférase). Lactivité de ces enzymes, qui est contrôlée génétiquement, varie considérablement. Comme mentionné précédemment, lactivité peut être évaluée en administrant une petite dose dun médicament puis en mesurant la quantité de métabolite dans lurine. Certains des gènes correspondants sont maintenant bien identifiés, et on dispose de techniques pour déterminer le génotype. Dimportantes études suggèrent que le risque de développer certaines formes de cancer est en relation avec la capacité de métaboliser des xénobiotiques. De nombreuses questions restent encore sans réponse, ce qui limite à lheure actuelle lutilisation de ces indicateurs biologiques de sensibilité en santé au travail.
Dautres facteurs héréditaires, comme les déficiences en alpha1-antitrypsine ou en glucose-6-phosphate déshydrogénase, sont également responsables dune diminution des mécanismes de défense, expliquant une hypersensibilité à certaines expositions.
Pour lessentiel, la recherche relative à la sensibilité sest intéressée à la prédisposition génétique alors que dautres facteurs qui jouent pourtant un rôle ont été négligés. Ainsi, les individus ayant une maladie chronique peuvent être plus sensibles à une exposition professionnelle. De même, lorsquune maladie en cours ou une exposition antérieure à un produit toxique ont provoqué des lésions organiques subcliniques, la résistance à une nouvelle exposition toxique est assurément diminuée. Des paramètres biochimiques peuvent dans ce cas être utilisés comme indicateurs biologiques de sensibilité. Les réponses allergiques constituent sans doute le meilleur exemple dhypersensibilité. Lorsquun individu est sensibilisé à une exposition particulière, on peut déceler chez lui des anticorps spécifiques au niveau sérique. Même si le sujet nest pas devenu sensible, les expositions actuelles ou antérieures font augmenter le risque de développer un effet indésirable sil est soumis à une exposition professionnelle.
Lévaluation de leffet additif des expositions à des mélanges en milieu professionnel représente un défi de taille. De plus, les habitudes personnelles et la prise de médicaments peuvent accroître la sensibilité. Par exemple, la fumée de tabac contient généralement une quantité importante de cadmium. Ainsi, en cas dexposition professionnelle au cadmium, un gros fumeur qui a accumulé dans son organisme des quantités importantes de ce métal présente un risque accru de développer une maladie rénale liée au cadmium.
Les indicateurs biologiques sont extrêmement utiles en recherche toxicologique et beaucoup peuvent être utilisés en surveillance biologique. Il faut cependant en connaître les limites. De nombreux indicateurs biologiques ont été étudiés uniquement chez les animaux de laboratoire. Un modèle toxicocinétique valable pour une espèce ne lest pas nécessairement chez lhumain, et avant de procéder à des extrapolations à ce dernier, il est indispensable de confirmer les résultats par des études sur des volontaires. On doit prendre aussi en compte les variations individuelles dues à des facteurs génétiques ou constitutionnels.
Dans certains cas, les indicateurs biologiques dexposition sont impossibles à utiliser (comme dans le cas des produits chimiques ayant une durée de vie in vivo très courte). Certains de ces produits peuvent saccumuler et provoquer des lésions dans des organes inaccessibles aux techniques de routine, par exemple le système nerveux. La distribution dun produit dans lorganisme, et de ce fait la mesure et linterprétation dun indicateur biologique, peuvent aussi varier en fonction de la voie dexposition. Ainsi, une exposition cérébrale par voie olfactive directe échappe à toute possibilité de détection par indicateurs biologiques dexposition. Sagissant des indicateurs biologiques deffet, beaucoup dentre eux ne sont pas spécifiques, pour des raisons très diverses, dont le mode de vie. Linterprétation doit être extrêmement prudente à lheure actuelle en ce qui concerne les indicateurs biologiques de sensibilité, car on ne connaît pas encore lincidence des génotypes individuels sur la santé.
En santé au travail, lindicateur biologique idéal devrait satisfaire à plusieurs exigences. Le recueil des échantillons et lanalyse doivent tout dabord être simples et fiables. Les indicateurs doivent être normalisés pour assurer une qualité analytique optimale en tenant compte des conditions spécifiques qui sont très variables. Parmi les difficultés à surmonter, il faut citer la préparation du sujet, la procédure déchantillonnage, la manipulation des échantillons et la technique de dosage; celle-ci comporte des facteurs techniques, comme le calibrage ou les procédures dassurance qualité, et des variables individuelles telles que le niveau dinstruction et la formation des techniciens de laboratoire.
En ce qui concerne la validité analytique et la traçabilité des résultats, les matériaux de référence doivent être choisis de façon pertinente, avec des concentrations appropriées en substances toxiques ou en métabolites significatifs. Les laboratoires chargés de lévaluation des indicateurs utilisés en surveillance biologique ou à des fins diagnostiques doivent employer des procédures analytiques bien documentées, aux performances bien définies, et archiver les résultats pour quil soit facile de les vérifier. Laspect financier des matériaux de référence utilisés pour assurer la qualité ne doit pas non plus être oublié. La qualité des résultats obtenus et lusage qui en est fait doivent être mis en équilibre avec le surcoût de lassurance qualité, qui inclut les matériaux de référence, la main-duvre et le matériel.
Un indicateur biologique doit satisfaire à une autre exigence: il doit être spécifique, du moins dans les conditions de létude et pour un type particulier dexposition. Lindicateur biologique choisi doit permettre détablir une relation claire avec le degré dexposition pour éviter tout problème dinterprétation. De plus, si on veut pouvoir interpréter correctement un résultat, il est essentiel de bien connaître son intérêt diagnostique (autrement dit, la traduction de la valeur de lindicateur biologique en intensité de risque éventuel pour la santé). Dans ce domaine, les métaux servent de paradigme pour les indicateurs biologiques. Les recherches récentes ont montré combien la relation dose-réponse est complexe et subtile et combien il est difficile de déterminer des niveaux sans effet et, par conséquent, de fixer une exposition admissible. Ces recherches ont néanmoins eu le mérite dindiquer le type dinvestigation et les améliorations nécessaires pour parvenir à des informations utiles. Les relations quantitatives entre exposition et effets nocifs pour la santé ne sont pas encore connues pour la plupart des produits organiques; dans de nombreux cas, les organes cibles primaires ne sont pas établis de façon certaine. De plus, lévaluation des données sur la toxicité et les concentrations des indicateurs biologiques est souvent compliquée parce que le sujet nest pas exposé à un seul produit, mais à un mélange de substances.
Avant quon puisse utiliser un indicateur biologique en santé au travail, il faut répondre à un certain nombre dexigences. Tout dabord, il faut que lindicateur reflète uniquement une modification subclinique et encore réversible. Ensuite, étant donné que les résultats dun indicateur biologique peuvent être interprétés en terme de risque pour la santé, on doit disposer de moyens de prévention et être en mesure de les appliquer si les résultats indiquent quil est nécessaire de réduire lexposition. Enfin, lutilisation pratique dun indicateur biologique doit être considérée comme acceptable du point de vue de léthique.
Les résultats des mesures effectuées en hygiène du travail peuvent être comparées aux limites dexposition applicables. De même, les résultats des indicateurs biologiques dexposition ou deffet peuvent être comparés aux limites dactivité biologique, parfois assimilées à des indices biologiques dexposition. Ces limites doivent être fondées sur les avis éclairés de cliniciens et de scientifiques des disciplines concernées, et les administrateurs responsables, en leur qualité de «gestionnaires du risque», devraient prendre en compte les facteurs éthiques, sociaux, culturels et économiques pertinents. La base scientifique doit, si possible, inclure les relations dose-réponse complétées par des informations sur les variations de sensibilité dans la population soumise au risque. Dans certains pays, les travailleurs et des représentants de la société civile participent de façon active à létablissement des normes, surtout lorsque les données scientifiques sont insuffisantes. Lune des principales incertitudes réside dans la définition des effets nocifs à éviter. Peut-on dire, par exemple, que la formation dadduits en tant quindicateur biologique dexposition représente un tel effet nocif (cest-à-dire un indicateur biologique deffet) qui doit être prévenu? Il est difficile du point de vue de léthique de décider sil est défendable de fixer, pour un même produit, des limites différentes dans le cas dune exposition fortuite ou dune exposition professionnelle.
Linformation concernant lutilisation des indicateurs biologiques doit être transmise dans le cadre de la relation médecin-patient aux individus suivis. Il faut tenir compte en particulier des questions éthiques que posent les indicateurs biologiques expérimentaux qui ne sont pas interprétables actuellement du point de vue des risques réels pour la santé. Ainsi, en dehors des valeurs normales de la plombémie, les directives qui existent en ce qui concerne linterprétation des indicateurs biologiques dexposition à léchelle de la population générale sont limitées. La confiance dans les données obtenues est également importante. Il faut se demander si léchantillonnage a été bien fait et si le laboratoire a appliqué des procédures dûment validées dassurance qualité. Autre domaine de préoccupation: celui de lhypersensibilité individuelle. Toutes ces données doivent être prises en compte avant dexploiter les résultats dune étude.
Les secteurs de la société touchés ou intéressés par la réalisation dune étude dindicateur biologique doivent tous pouvoir participer aux décisions devant être prises sur la façon dutiliser linformation qui en ressort. Des procédures spécifiques pour prévenir ou surmonter les conflits éthiques inévitables doivent être prévues dans les structures légales et sociales de la région ou du pays. Cependant, chaque situation est particulière du fait des questions quelle soulève et des pièges quelle comporte, et le problème de la participation de la société civile ne saurait être résolu par une procédure unique qui engloberait toutes les applications des indicateurs biologiques dexposition.
Lévaluation de la toxicité génétique est létude de la faculté quont certains agents dinduire, au niveau du matériel génétique (ADN), des lésions ou des mutations de lun des trois types suivants: génique, chromosomique ou génomique. Chez lêtre humain, les gènes sont composés dADN, ensemble constitué dunités appelées bases nucléotidiques, et sont organisés en structures physiques appelées chromosomes. La génotoxicité peut entraîner des effets significatifs et irréversibles sur la santé humaine. Les lésions génotoxiques constituent une étape critique dans linduction dun cancer et sont également responsables de malformations congénitales et de mort ftale. Les trois types de mutations mentionnées ci-dessus peuvent se produire au niveau des cellules germinales ou somatiques.
Les tests utilisés dans le domaine des mutations géniques permettent de déceler trois types deffet: la substitution, laddition ou la délétion de nucléotides à lintérieur dun gène. Ceux utilisés pour détecter des mutations chromosomiques mettent en évidence les cassures ou les réarrangements chromosomiques impliquant un ou plusieurs chromosomes. Les tests portant sur les mutations génomiques décèlent les modifications du nombre de chromosomes ou aneuploïdie. Lévaluation de la toxicité génétique a considérablement évolué avec la mise au point en 1927, par Hermann Müller, du premier test de détection dagents génotoxiques (mutagènes). Depuis, plus de 200 tests ont été mis au point pour déceler les mutations sur lADN, mais on en utilise aujourdhui moins dune dizaine de façon courante. Le présent article dresse un inventaire de ces tests, du type de mesures quils permettent deffectuer et explique leur rôle dans lévaluation de la toxicité.
La toxicologie génétique fait maintenant partie intégrante du processus dévaluation du risque en général et son pouvoir prédictif en termes de risque cancérogène a récemment gagné en importance. Cependant, avant lavènement de la toxicologie génétique (avant 1970), on employait dautres méthodes, et on le fait encore, pour identifier le risque cancérogène potentiel chez lhumain. Il faut citer ici les études épidémiologiques, les études in vivo à long terme, les études in vivo à moyen terme, les études in vivo et in vitro à court terme, létude des relations structure-activité (intelligence artificielle) et les études basées sur le mécanisme daction.
Le tableau 33.8 présente les avantages et les inconvénients de ces diverses méthodes.
|
Avantages |
Inconvénients |
Etudes épidémiologiques |
1) l’humain est l’indicateur ultime de la maladie; |
1) caractère généralement rétrospectif (actes de décès, etc.); |
Etudes in vivo à long terme |
1) évaluation prospective et rétrospective (validation); |
1) rarement reproduites, moyens nécessaires importants; |
Etudes in vivo et in vitro à court et moyen terme |
1) plus rapides et moins coûteuses que les autres études; |
1) données in vitro n’assurant pas une bonne prédiction des données in vivo; |
Associations structure |
1) assez faciles, rapides, et peu coûteuses; |
1) non «biologiques»; |
Déductions basées sur le mécanisme d’action |
1) assez exactes pour certaines catégories de produits chimiques; |
1) mécanismes de cancérogenèse chimique non définis, multiples et probablement spécifiques d’un produit chimique ou d’une catégorie; |
Bien que le type et le nombre de techniques employées pour évaluer la toxicité génétique soient en évolution constante et varient dun pays à lautre, les plus utilisées font appel à des tests: 1) de mutation génique chez les bactéries ou sur des cultures de cellules de mammifères; 2) de mutation chromosomique sur des cultures de cellules de mammifères ou sur moelle osseuse de souris in vivo. Certains des tests de la seconde catégorie peuvent également détecter une aneuploïdie. Même sils ne décèlent pas les mutations germinales, ces tests nen sont pas moins utilisés surtout en raison du coût élevé et de la complexité des méthodes sur cellules germinales. Malgré ces deux inconvénients, on recourt cependant aux tests sur cellules germinales de souris lorsquon désire obtenir une information sur les effets au niveau de ces cellules.
Des études systématiques sur vingt-cinq ans (1970-1995), effectuées en particulier dans le cadre du Programme national américain de toxicologie en Caroline du Nord, ont permis de conclure à lutilité dun petit nombre de tests pour mettre en évidence une activité mutagène. Lintérêt dun test était établi sur la base de son aptitude à détecter des agents cancérogènes chez les rongeurs et donc susceptibles de provoquer un cancer chez lhumain. Ainsi, les études de ces dernières décennies ont montré que les cellules cancéreuses portent des mutations sur certains gènes et que de nombreux cancérogènes sont également mutagènes. On considère les cellules cancéreuses comme des cellules somatiques portant des mutations, et la cancérogenèse comme un type de mutagenèse de cellules somatiques.
Les tests de toxicité génétique utilisés le plus couramment aujourdhui ont été sélectionnés non seulement en raison de limportance de leur base de données, de leur coût relativement faible et de leur facilité dexécution, mais aussi parce quils ont permis de détecter de nombreux cancérogènes chez les rongeurs et, on le présume, chez lhumain. Les tests de toxicité génétique servent donc à prévoir le pouvoir cancérogène potentiel des agents chimiques.
La toxicologie génétique a fait un progrès important sur les plans conceptuel et pratique lorsquon sest aperçu que les enzymes de lorganisme modifient de nombreux cancérogènes en les transformant en formes dégradées (métabolites) qui, bien souvent, représentent la forme mutagène et cancérogène ultime du produit chimique initial. Heinrich Malling a montré que linclusion dune préparation de foie de rongeur, qui apporte la plupart des enzymes nécessaires à cette transformation ou activation métabolique, permet de reproduire ce métabolisme en boîte de Pétri. De nombreux tests de toxicologie génétique réalisés en boîtes ou en tubes (in vitro) utilisent donc un ajout de préparations enzymatiques similaires. Les préparations simples sont appelées mélanges S9, et les préparations purifiées, microsomes. Des bactéries ou des cellules de mammifères génétiquement modifiées contiennent certains gènes humains ou des gènes de rongeurs les rendant capables de produire ces enzymes, ce qui supprime la nécessité demployer le mélange S9 ou des microsomes.
Les systèmes bactériens primaires qui servent au dépistage de la toxicité génétique sont les tests de mutagenèse sur Salmonella (Ames) et, dans une moindre mesure, sur la souche WP2 dEscherichia coli. Les études réalisées aux alentours de 1985 montrent quil suffit dutiliser deux souches du type Salmonella (TA98 et TA100) pour déceler 90% environ des mutagènes connus chez Salmonella. Aussi ces deux souches sont-elles employées pour la plupart des dépistages, même si on peut faire appel à dautres souches pour une détection plus approfondie.
Ces tests sont réalisés de diverses façons, mais les deux procédés de base sont les tests dinclusion en boîte de Pétri et de suspension en phase liquide. Dans le test dinclusion en boîte de Pétri, les cellules, le produit chimique testé et (si nécessaire) le mélange S9 sont ajoutés ensemble à de lagarose liquéfié et coulés à la surface dune boîte de Pétri. La couche dagarose supérieure durcit en quelques minutes et les boîtes sont mises à incuber pendant deux à trois jours; après ce temps, les cellules mutantes ont poussé pour former des groupes de cellules visibles à lil nu ou colonies, qui sont alors comptées. Lagarose contient des agents sélectifs ou des composants tels que seules les cellules nouvellement mutées seront susceptibles dy croître. Le test par incubation en phase liquide est similaire, mais les cellules, le produit testé et le mélange S9 sont mis à incuber ensemble dans une phase liquide ne contenant pas dagarose liquéfié; les cellules sont ensuite lavées pour éliminer le produit testé et le mélange S9, puis ensemencées sur de lagarose.
Les mutations sur cultures de cellules de mammifères sont étudiées essentiellement sur lun des deux gènes: hprt et tk. De même que pour les tests bactériens, les lignées cellulaires de mammifères (développées à partir de cellules de rongeurs ou de cellules humaines) sont exposées au produit à étudier dans des boîtes de culture en plastique ou dans des tubes, puis sont ensemencées dans des boîtes de culture contenant un milieu avec un agent sélectif qui permet aux seules cellules mutantes de se développer. Les tests employés sont les tests CHO/HPRT, TK6 et L5178Y/TK+/ du lymphome de souris. On utilise aussi dautres lignées cellulaires présentant diverses mutations au niveau de la réparation de lADN ou contenant certains gènes humains participant au métabolisme. Ces systèmes permettent une réversion des mutations à lintérieur du gène (mutation génique) ainsi que des mutations impliquant les régions du chromosome encadrant le gène (mutation chromosomique). Néanmoins, ce dernier type de mutation concerne davantage le système tk que le système hprt du fait de la localisation du gène tk.
Comme pour les tests dincubation en phase liquide pour la mutagenèse bactérienne, les tests de mutagenèse sur cellules de mammifères exigent généralement quon expose des cellules (dans des boîtes de culture ou dans des tubes) au produit à étudier en présence du mélange S9 pendant plusieurs heures. Les cellules sont ensuite lavées et cultivées pendant quelques jours supplémentaires afin de permettre aux produits du gène normal (type sauvage) dêtre dégradés et aux produits du gène nouvellement muté dêtre exprimés et accumulés, puis elles sont ensemencées dans un milieu contenant un agent sélectif qui permet aux seules cellules mutantes de croître. Comme pour les tests bactériens, les cellules mutantes se développent en colonies visibles à lil nu qui sont ensuite comptées.
La mutation chromosomique est mise en évidence principalement par des tests cytogénétiques qui consistent à exposer des rongeurs, des cellules de rongeurs ou des cellules humaines en boîtes de culture à un produit chimique pour le tester. On laisse sécouler le temps nécessaire à une ou à plusieurs divisions cellulaires et on colore les chromosomes avant de les examiner au microscope pour détecter les modifications de structure ou du nombre des chromosomes. Bien que de nombreuses anomalies puissent être observées, les plus couramment retenues par les agences réglementaires comme étant les plus fiables sont les aberrations chromosomiques et le test du micronoyau.
Lexamen des cellules présentant des aberrations chromosomiques exige un bon entraînement et une grande compétence, ce qui rend cette procédure coûteuse et longue. Au contraire, le test du micronoyau requiert peu dexpérience, et la détection peut être automatisée. Les micronoyaux apparaissent comme de petites taches ponctuelles à lintérieur de la cellule, distinctes du noyau où se trouvent les chromosomes. Ils résultent soit dune cassure de chromosome, soit dune aneuploïdie. Comme ils sont plus faciles à observer que les aberrations chromosomiques, et comme des études récentes ont montré que les agents causant des aberrations chromosomiques dans la moelle osseuse de souris in vivo induisent en général des micronoyaux dans ce tissu, il est maintenant courant de les mesurer pour déterminer laptitude dun produit à provoquer une mutation chromosomique.
Bien que les tests sur cellules germinales soient utilisés beaucoup moins fréquemment que les tests décrits ci-dessus, ils sont indispensables pour établir si un produit représente un risque pour les cellules germinales, des mutations au niveau de ces cellules pouvant entraîner des effets sur la santé des générations suivantes. Les tests sur cellules germinales les plus communément utilisés le sont chez la souris et supposent lemploi de systèmes permettant la détection de: 1) translocations (échanges) héréditaires entre chromosomes (test de translocation héréditaire); 2) mutations géniques ou chromosomiques impliquant des gènes spécifiques (tests du locus spécifique, visuels ou biochimiques); 3) mutations affectant la viabilité (test du dominant létal). Comme pour les tests sur cellules somatiques, lutilisation des tests sur cellules germinales repose sur lhypothèse de travail que les produits donnant une réponse positive dans ces tests sont des mutagènes potentiels pour les cellules germinales humaines.
Des études récentes effectuées sur 41 produits cancérogènes pour les rongeurs (cancérogènes et mutagènes somatiques potentiels pour lhumain) ont montré quil suffit de disposer de trois types dinformation pour en caractériser environ 90%: 1) la connaissance de la structure chimique du produit, en particulier le fait quil soit électrophile (voir larticle «La relation structure-activité»); 2) les tests de mutagenèse sur Salmonella; 3) un test de toxicité chronique sur 90 jours chez le rongeur (souris et rat). De fait, le caractère mutagène de la totalité des cancérogènes humains recensés par le CIRC peut être mis en évidence en utilisant uniquement le test sur Salmonella et le test du micronoyau sur moelle osseuse de souris. Lutilisation de ces tests de mutagenèse pour la détection des cancérogènes humains potentiels se justifie dautant plus que la plupart des cancérogènes humains sont cancérogènes chez la souris et le rat (cancérogènes transespèces) et que la plupart des cancérogènes transespèces sont mutagènes sur Salmonella ou induisent des micronoyaux au niveau de la moelle osseuse de souris.
Avec les progrès réalisés en technologie de lADN, dans la connaissance du génome humain et dans la compréhension du rôle des mutations dans le cancer, il est probable que des tests de génotoxicité en cours de développement seront intégrés aux protocoles standards de détection. Il faut citer en particulier les tests sur cellules ou rongeurs transgéniques. Les systèmes transgéniques sont des systèmes où un gène dune espèce différente est introduit dans une cellule ou un organisme. Par exemple, des souris transgéniques, obtenues après introduction dun gène bactérien, sont maintenant utilisées de façon expérimentale pour déceler une mutation dans un organe ou un tissu de lanimal. On dispose actuellement de cellules bactériennes telles que Salmonella et de cellules de mammifères (y compris des lignées cellulaires humaines) contenant des gènes participant au métabolisme dagents cancérogènes/mutagènes, tels que les gènes du cytochrome P450. Il est ainsi possible deffectuer lanalyse moléculaire des mutations induites au niveau du transgène chez le rongeur transgénique, ou dans les gènes natifs tels que hprt, ou dans les gènes cibles chez Salmonella, ce qui permet de déterminer la nature exacte des mutations induites par les produits chimiques et de donner un aperçu du mécanisme daction du produit chimique tout en facilitant les comparaisons avec les mutations chez lhumain susceptible dêtre exposé à lagent.
Les avancées moléculaires en cytogénétique permettent désormais une évaluation plus fine des mutations chromosomiques. On peut citer lutilisation de sondes (petits morceaux dADN) qui sattachent (shybrident) à des gènes spécifiques. Les réarrangements des gènes sur le chromosome peuvent alors être révélés par la modification de localisation des sondes, facilement visualisées en raison de leur fluorescence. Lélectrophorèse sur gel pour mettre en évidence les cassures dADN (communément appelée test des «comètes») permet leur détection dans une cellule isolée et peut être un outil extrêmement précieux si on lassocie aux techniques cytogénétiques pour déceler des lésions chromosomiques.
Après de nombreuses années dutilisation et de développement systématique dune importante base de données, on peut maintenant procéder à lévaluation de la toxicité génétique avec quelques tests seulement, pour un coût relativement faible et en peu de temps (quelques semaines). Les données obtenues peuvent être utilisées pour prévoir le caractère cancérogène dun produit chez les rongeurs ou potentiellement cancérogène ou mutagène somatique chez lhumain. Grâce à cette possibilité, on est en mesure de limiter lintroduction dans lenvironnement dagents mutagènes et cancérogènes et de développer des produits de remplacement non mutagènes. Les études futures devraient conduire à des méthodes encore plus perfectionnées ayant un pouvoir prédictif supérieur aux méthodes actuellement utilisées.
Lémergence de techniques sophistiquées en biologie moléculaire et cellulaire a favorisé une rapide évolution des sciences de la vie et en particulier de la toxicologie. Dans la pratique, cette évolution sest traduite par un déplacement du centre dintérêt de la toxicologie qui se consacre non plus à lanimal entier ou à des groupes danimaux, mais aux cellules ou aux molécules issues dun seul sujet, quil soit animal ou humain. Depuis le milieu des années quatre-vingt, les toxicologues emploient ces nouvelles méthodes pour évaluer les effets de produits chimiques sur les systèmes vivants. Selon une progression logique, ces techniques se sont adaptées aux objectifs de la toxicologie expérimentale et ont évolué à la fois en fonction de ces progrès scientifiques et des préoccupations dordre économique et sociologique.
Compte tenu du nombre important de substances à tester, laspect économique est déterminant. Une pléthore de nouveaux produits cosmétiques, pharmaceutiques, pesticides, chimiques et ménagers, dont il faut évaluer la toxicité potentielle, sont mis chaque année sur le marché. Ajoutons à cela que de très nombreux produits dutilisation courante nont pas encore été correctement testés. Le recueil dinformations détaillées sur la sécurité de tous ces produits chimiques grâce aux méthodes traditionnelles détude sur animal entier serait extrêmement coûteux et long, en admettant même que cette tâche titanesque soit réalisable.
Notre société est de plus en plus exigeante face aux problèmes de santé publique et de sécurité et la population remet en question le bien-fondé de lemploi des animaux pour tester les produits chimiques. Sagissant de la sécurité des produits chimiques pour lhumain, le public et les écologistes exercent une pression soutenue sur les instances gouvernementales pour quelles appliquent une réglementation plus rigoureuse. On peut citer ici le mouvement quont lancé les écologistes aux Etats-Unis pour obtenir linterdiction du chlore et des composés chlorés en arguant que la plupart de ces composés navaient jamais été testés de manière suffisante. Du point de vue toxicologique, le fait dinterdire une classe entière de produits chimiques uniquement parce quils contiennent du chlore est à la fois irresponsable et non rationnel scientifiquement. Cependant, on peut comprendre que le public veuille sassurer que les produits chimiques libérés dans lenvironnement ne présentent pas de risque pour la santé. Cet exemple illustre bien la nécessité demployer des méthodes plus efficaces et plus rapides pour évaluer la toxicité.
Autre problème de société dont les conséquences sont importantes pour les études toxicologiques: le bien-être des animaux. De par le monde, les associations de protection des animaux sont de plus en plus nombreuses à sopposer farouchement à lutilisation danimaux vivants pour les études de sécurité chimique. Elles ont organisé des campagnes actives contre les fabricants de produits cosmétiques, ménagers ou pharmaceutiques pour faire interdire les expérimentations animales. En Europe, ces efforts ont abouti à ladoption du sixième amendement de la directive 76/768/CEE (directive sur les produits cosmétiques). Aux termes de cette directive, les produits et les ingrédients cosmétiques testés sur des animaux vivants ne pourront plus être vendus dans lUnion européenne après le 1er janvier 1998, sauf lorsquil nexiste pas de solution de remplacement suffisamment validée. Cette directive ne sapplique pas aux produits commercialisés sur le marché américain et dans dautres pays, mais elle aura néanmoins des répercussions considérables sur les sociétés internationales qui commercialisent ce type de produits, notamment en Europe.
Le concept de solutions de remplacement, base du développement des tests autres que ceux réalisés sur animal entier, est défini par la règle dite des trois R: réduction du nombre danimaux utilisés; raffinement des protocoles, afin que les animaux soient soumis à moins de stress et dinconfort; et remplacement des tests actuels sur animal entier par des tests in vitro (cest-à-dire des tests qui ne sont pas réalisés sur des animaux vivants), ou par des modèles informatiques, ou encore par des tests sur vertébrés inférieurs ou invertébrés. Cette théorie des trois R a été présentée pour la première fois en 1959 dans un ouvrage publié par deux scientifiques britanniques, W.M.S. Russell et Rex Burch, The Principles of Humane Experimental Technique. Pour ces deux chercheurs, seul un traitement humain des animaux permet dobtenir des résultats scientifiques valables. Ils proposaient pour cela de développer des méthodes propres à réduire le nombre danimaux nécessaires à ces expériences dans le but ultime de les remplacer. Il est intéressant de noter que les principes énoncés par Russell et Burch ont eu peu décho au début et quil a fallu attendre le milieu des années soixante-dix pour quon assiste à la renaissance du mouvement en faveur de la protection des animaux de laboratoire. Aujourdhui, le principe des trois R est bien ancré dans les domaines de la recherche, de lexpérimentation et de léducation.
On peut dire pour résumer que le développement des méthodologies in vitro résulte dune série de facteurs qui ont convergé vers le même but au cours des deux dernières décennies. Il est difficile de dire si un seul de ces facteurs aurait permis dexercer une telle pression sur la stratégie de lévaluation toxicologique.
Dans cette section, il est uniquement question des méthodes in vitro dévaluation de la toxicité qui sont destinées à remplacer lexpérimentation sur animal entier. Les autres méthodes de substitution telles que les modèles informatiques ou les relations quantitatives structure-activité sont abordées dans dautres parties du présent chapitre.
Les études in vitro sont généralement conduites sur des cellules ou des tissus dorigine animale ou humaine. Lexpression in vitro, qui signifie littéralement «dans du verre», renvoie aux expériences réalisées sur du matériel vivant ou des composants de matériel vivant cultivés en boîtes de Pétri ou dans des tubes à essai dans des conditions bien définies. Ces procédures sopposent aux études in vivo réalisées «sur des animaux vivants». Bien quil soit difficile, sinon impossible, de prévoir les effets dun produit chimique sur un organisme complexe lorsquon limite lobservation à un seul type de cellules dans une boîte, les études in vitro livrent une grande quantité dinformations sur la toxicité intrinsèque dun produit ou sur son mécanisme de toxicité cellulaire et moléculaire. De plus, elles offrent de nombreux avantages sur les études in vivo, car elles sont généralement moins coûteuses et peuvent être réalisées dans des conditions mieux contrôlées. En outre, bien quon ait encore besoin dun petit nombre danimaux vivants pour obtenir les cellules nécessaires et les cultiver in vitro, on peut néanmoins considérer que ces méthodes constituent des solutions de remplacement puisquelles répondent aux exigences de réduction (utilisation dun petit nombre danimaux par rapport aux études in vivo) et de raffinement (les animaux ne sont plus soumis aux effets toxiques observés lors des expériences in vivo).
Pour interpréter les résultats dun test de toxicité in vitro, décider sil présente de lintérêt aux fins de lévaluation de la toxicité et le rapporter au processus toxicologique général in vivo, il est nécessaire de savoir quelle partie du processus toxicologique ce test permet détudier. Ce processus comporte en effet une succession dévénements qui débutent par lexposition de lorganisme à un agent physique ou chimique et donnent lieu à des interactions cellulaires et moléculaires qui finalement se manifestent dans la réponse de lorganisme entier. Les tests in vitro sont généralement limités à la partie du processus toxicologique qui se produit aux niveaux cellulaire et moléculaire. Les informations recueillies à partir de telles études vont de la voie métabolique et de linteraction de métabolites actifs avec des cibles cellulaires et moléculaires aux paramètres toxiques potentiellement quantifiables qui peuvent servir dindicateurs biologiques moléculaires de lexposition. Dans lidéal, il faut connaître le mécanisme toxique dun produit chimique depuis lexposition jusquaux manifestations de lorganisme, si lon veut que les informations obtenues lors de tests in vitro puissent être interprétées et mises en relation avec la réponse de lorganisme entier. Cependant, cest pratiquement impossible, puisque les mécanismes toxicologiques qui ont été totalement élucidés sont assez rares. Les toxicologues se trouvent donc dans la situation où les résultats dun test in vitro ne permettent pas de prévoir exactement la toxicité in vivo puisque les mécanismes toxicologiques restent inconnus. Il existe cependant quelques cas où un test in vitro permet délucider le(s) mécanisme(s) cellulaires et moléculaires de toxicité.
Reste un problème majeur concernant le développement et la réalisation de tests in vitro: doivent-ils être fondés sur le mécanisme daction ou suffit-il quils soient descriptifs? Du point de vue scientifique, il est de loin préférable demployer des tests in vitro fondés sur le mécanisme daction. Lespoir de développer, dans un avenir proche, un test in vitro capable de remplacer totalement un test sur animal entier est pratiquement nul, si on ne connaît pas parfaitement le mécanisme daction. Mais cela ne doit pas exclure lutilisation de tests descriptifs comme outils de dépistage précoce, ce qui est le cas actuellement. Ces tests in vitro ont abouti à une réduction significative du nombre danimaux utilisés et, tant que le mécanisme daction nest pas bien connu, il peut savérer nécessaire demployer, de façon plus limitée, des tests in vitro dont les résultats sont en bonne corrélation avec ceux que lon peut obtenir in vivo.
Nous décrirons dans cette section plusieurs tests in vitro élaborés pour évaluer le potentiel cytotoxique dun produit chimique. Ils sont, pour la plupart, faciles à réaliser et automatisables. Lun deux, quon emploie couramment, est le test au rouge neutre. Ce test est réalisé sur des cultures de cellules: dans la plupart des applications, les cellules sont placées dans des boîtes de culture comportant 96 puits de 6,4 mm de diamètre. Chaque puits ne pouvant être utilisé que pour une seule détermination, cette disposition permet de tester en double échantillon de multiples concentrations du produit chimique avec des contrôles positifs et négatifs. Après traitement des cellules par des concentrations du produit chimique à tester croissantes dau moins deux ordres de grandeur (de 0,01 mM à 1 mM, par exemple) et par des produits chimiques contrôles positifs et négatifs, les cellules sont rincées et traitées au rouge neutre, colorant absorbé et retenu par les cellules vivantes uniquement. Le colorant peut être ajouté immédiatement après élimination du produit chimique testé pour déterminer les effets immédiats, ou à des intervalles variables après son élimination pour préciser les effets cumulatifs ou différés. Lintensité de la coloration correspond au nombre de cellules vivantes dans chaque puits. On utilise pour cela un spectrophotomètre équipé dun lecteur de plaque programmé qui mesure lintensité de chacun des 96 puits de la boîte de culture. Cette méthode automatisée permet de réaliser rapidement une étude concentration-réponse et dobtenir des données statistiques.
Une autre méthode détude de la cytotoxicité relativement simple est le test au MTT. Le MTT (3[4,5-diméthylthiazol-2-yl]-2,5-diphényltétrazolium bromure) est un colorant de type tétrazolium qui est réduit par les enzymes mitochondriales en un composé coloré en bleu. Seules les cellules dont les mitochondries sont viables vont donner cette réaction; en conséquence, lintensité de la couleur est directement proportionnelle au degré dintégrité des mitochondries. Il sagit dun test utile pour détecter des composés cytotoxiques en général ainsi que les agents ayant les mitochondries pour cible spécifique.
La mesure de lactivité de la lactico-déshydrogénase (LDH) est également très utilisée pour étudier la cytotoxicité. Cette enzyme, normalement présente dans le cytoplasme des cellules vivantes, est libérée dans le milieu de culture lorsque les membranes cellulaires sont lésées par un agent toxique. Des prélèvements de petites quantités de milieu de culture effectués à différents moments après le traitement chimique des cellules permettent de mesurer la quantité de LDH libérée dans le milieu et de suivre le déroulement de la toxicité en fonction du temps. Bien que la libération de LDH constitue une évaluation très générale de la cytotoxicité, elle nen est pas moins utile parce quelle est facile à réaliser, et ce en temps réel.
De nombreuses méthodes sont mises au point actuellement pour détecter une lésion cellulaire. Les plus complexes font appel à des sondes fluorescentes pour mesurer divers paramètres intracellulaires: libération de calcium, modifications du pH ou du potentiel de membrane. Ces sondes, en général très sensibles, permettent de déceler des modifications cellulaires minimes, bien antérieures à la mort cellulaire. De plus, ces méthodes fluorescentes sont pour la plupart automatisables grâce à lutilisation des plaques à 96 puits et de lecteurs de plaque.
Après avoir recueilli, par lune de ces méthodes, des données sur une série de produits chimiques, il est possible de déterminer leur toxicité relative. La toxicité relative dun agent chimique, dans un test in vitro, est exprimée par la concentration permettant dobtenir 50% de réponses par rapport à des cellules non traitées. Cette détermination, qui représente la CE50 (concentration efficace pour 50% des cellules), est utilisée pour comparer la toxicité in vitro de différents produits chimiques (on emploie également un terme semblable pour évaluer la toxicité relative, la CI50, qui correspond à la concentration de produit entraînant une inhibition de 50% dun processus cellulaire, par exemple la capacité dabsorption du rouge neutre). Il nest pas facile de comparer la toxicité relative in vitro dun produit chimique à sa toxicité relative in vivo, car de nombreux facteurs de confusion interviennent in vivo, tels que la toxicocinétique, le métabolisme, les mécanismes de réparation ou de défense. De plus, la plupart de ces méthodes mesurent une cytotoxicité générale et ne sont pas basées sur le mécanisme daction. Par conséquent, il est seulement possible détablir une corrélation entre les toxicités relatives in vitro et in vivo. En dépit de la complexité et des nombreuses difficultés que présente lextrapolation des données obtenues in vitro aux fins dune exploitation in vivo, ces tests in vitro se sont révélés très utiles en raison de leur simplicité et de leur faible coût. Ils peuvent être employés comme tests de dépistage pour détecter les médicaments ou les produits chimiques très toxiques dès le début des travaux de développement.
On peut également utiliser les tests in vitro pour évaluer la toxicité au niveau dun organe cible. La conception de ces tests pose de nombreuses difficultés, la plus notable étant limpossibilité de maintenir les particularités de lorgane in vivo au moyen dun système in vitro. Il arrive très souvent quune fois prélevées sur lanimal et mises en cultures, les cellules se dégradent rapidement ou quelles se différencient, cest-à-dire quelles perdent les fonctions spécifiques de lorgane pour reprendre un état indifférencié. En très peu de temps, généralement quelques jours, les cultures ne permettent plus dévaluer les effets toxiques spécifiques dune substance sur un organe donné.
La plupart de ces problèmes sont en voie dêtre réglés grâce aux récentes avancées de la biologie cellulaire et moléculaire. Les informations recueillies sur lenvironnement cellulaire in vivo peuvent servir à modifier les conditions de culture in vitro. Depuis le milieu des années quatre-vingt, de nouveaux facteurs de croissance et cytokines ont été découverts qui sont pour la plupart disponibles dans le commerce. Grâce à laddition de ces facteurs, on parvient maintenant à préserver lintégrité cellulaire des cultures et à conserver leurs fonctions différenciées pendant des périodes plus longues. Les progrès dans la connaissance des besoins nutritifs et hormonaux des cultures de cellules ont également contribué à mettre au point de nouveaux milieux de culture. Il est maintenant possible de cultiver les cellules sur des matrices extracellulaires naturelles ou artificielles. Ces matrices ont une influence considérable sur la structure et la fonction des cellules en culture. Lun de leurs grands avantages est quelles permettent de contrôler de façon précise lenvironnement de ces cellules et dexaminer les effets de chacun des facteurs sur les processus cellulaires de base et sur leurs réponses aux différents agents chimiques. En un mot, ces systèmes sont le gage dune meilleure compréhension des mécanismes de toxicité spécifiques de lorgane.
De nombreuses études de toxicité au niveau dun organe cible sont conduites sur des cellules primaires, qui sont par définition des cellules fraîchement prélevées sur un organe et ont généralement un temps de vie limité en culture. Lemploi de cultures primaires dun seul type cellulaire dun organe pour évaluer une toxicité présente bien des avantages. Du point de vue du mécanisme daction, ces cultures sont utiles pour étudier la cible cellulaire spécifique dun produit chimique. Dans certains cas, deux ou plusieurs types cellulaires dun organe peuvent être cultivés ensemble, ce qui permet en plus létude des interactions cellulaires dans la réponse à un toxique. Certains systèmes de coculture de cellules cutanées ont été mis au point pour reproduire une structure tridimensionnelle ressemblant à la peau in vivo. Il est également possible de réaliser une coculture de cellules venant de différents organes, par exemple, foie et rein. Ce type de coculture paraît utile pour évaluer les effets spécifiques sur les cellules rénales dun produit chimique métabolisé au niveau hépatique.
Les outils de biologie moléculaire ont également joué un rôle important dans le développement de lignées cellulaires continues utiles à létude de la toxicité au niveau dun organe cible. Ces lignées cellulaires sont fabriquées en transfectant lADN de cellules primaires. Lors dune procédure de transfection, les cellules et lADN sont traitées de façon que lADN soit capté par les cellules. LADN est généralement issu dun virus et contient un ou plusieurs gènes qui, une fois exprimés, rendent les cellules immortelles (cest-à-dire capables de vivre et de croître en culture pendant de longues périodes). LADN peut également être manipulé de sorte que le gène immortalisant soit contrôlé par un promoteur inductible. Grâce à ce type de construction, les cellules se divisent uniquement lorsquelles reçoivent le stimulus chimique adéquat pour permettre lexpression du gène immortalisant. Citons à titre dexemple le grand gène de lantigène T issu du virus simien no 40 (SV40) (gène immortalisant), précédé par la région promoteur du gène de la métallothionéine, induit par la présence dun métal dans le milieu de culture. Après transfection de ce gène dans les cellules, leur traitement par de faibles concentrations de zinc stimule le promoteur de la métallothionéine et permet au gène de lantigène T de sexprimer, ce qui entraîne une prolifération cellulaire. Lorsque le zinc est éliminé du milieu, les cellules cessent de se diviser et, dans les meilleures conditions, retournent à un état où elles expriment leurs fonctions tissulaires spécifiques.
La possibilité de fabriquer des cellules immortalisées, alliée aux progrès des techniques de culture cellulaire, a fortement contribué à créer des lignées cellulaires de nombreux organes différents, dont le cerveau, le rein et le foie. Cependant, avant de pouvoir utiliser en toute sécurité ces lignées cellulaires comme substituts des lignées cellulaires véritables, on doit étudier avec soin leurs caractéristiques pour sassurer quelles sont bien «normales».
Les autres systèmes in vitro utilisés pour étudier la toxicité au niveau dun organe cible sont beaucoup plus complexes. Au fur et à mesure que ces systèmes gagnent en complexité, allant de la culture cellulaire simple à celle dun organe entier, ils se rapprochent des systèmes in vivo, tout en restant beaucoup plus difficiles à contrôler en raison du nombre de variables à maîtriser. Par conséquent, lavantage que lon tire de laugmentation du niveau dorganisation peut être compromis du fait que le chercheur manque de contrôle sur lenvironnement expérimental. Le tableau 33.9 compare quelques-unes des caractéristiques des systèmes in vitro utilisés pour létude de lhépatotoxicité.
Système |
Complexité (niveau de l’interaction) |
Conservation des fonctions hépatiques spécifiques |
Durée potentielle de la culture |
Contrôle de l’environnement |
Lignées cellulaires immortalisées |
En partie intercellulaire |
Faible à bonne |
Illimitée |
Excellent |
Cultures primaires d’hépatocytes |
Intercellulaire |
Moyenne à excellente |
De quelques jours à quelques semaines |
Excellent |
Cocultures de cellules hépatiques |
Intercellulaire (entre types cellulaires identiques ou différents) |
Bonne à excellente |
Quelques semaines |
Excellent |
Coupes de foie |
Intercellulaire (entre les divers types cellulaires) |
Bonne à excellente |
De quelques heures à quelques jours |
Bon |
Foie isolé perfusé |
Intercellulaire (entre les divers types cellulaires) et à l’intérieur de l’organe |
Excellente |
Quelques heures |
Moyen |
En expérimentation toxicologique, lemploi des coupes tissulaires fines est de plus en plus répandu. Le chercheur dispose pour les réaliser de nouveaux instruments permettant dobtenir des coupes homogènes en milieu stérile. Ces coupes présentent des avantages sur les cultures cellulaires, car les différents types cellulaires de lorgane y sont présents et larchitecture in vivo ainsi que les communications intercellulaires y sont maintenues. Des études in vitro peuvent alors être conduites pour déterminer aussi bien le type cellulaire cible dans un organe que pour rechercher la toxicité spécifique au niveau de lorgane cible. Linconvénient de ces coupes est quelles se dégradent rapidement après vingt-quatre heures de culture, surtout à cause dune oxygénation insuffisante des cellules dans la partie intérieure des coupes. Cependant, de récentes études ont montré quon peut assurer une aération plus efficace par rotation douce. Cette solution, de même que lutilisation dun milieu de culture plus complexe, permet aux coupes de survivre jusquà quatre-vingt-seize heures.
Pour étudier la toxicité de produits chimiques au niveau des organes cibles spécifiques, on peut aussi se servir dexplants tissulaires, dont le principe sapparente à celui des coupes tissulaires. Ces explants sont réalisés en prélevant une petite quantité de tissu (un embryon entier dans le cas des études de tératogenèse) et en la mettant en culture pour létudier. Les cultures dexplants ont été notamment utilisées pour les études de toxicité à court terme, du type études dirritation et de corrosion cutanée, études de toxicité de lamiante sur la trachée ou encore études de neurotoxicité sur le tissu cérébral.
Autre solution: les organes isolés perfusés. Ces organes offrent un avantage comparable à celui des coupes tissulaires et des explants puisque tous les types cellulaires dun organe y sont présents, sans le stress tissulaire quimposent les manipulations pour préparer les coupes. De plus, ils permettent le maintien des interactions à lintérieur de lorgane. Mais ils présentent un grave inconvénient: ils nont quune faible viabilité, ce qui limite leur utilisation pour une étude toxicologique in vitro. Du point de vue solution de remplacement, ces cultures peuvent être considérées comme un raffinement puisque les animaux ne souffrent pas des conséquences néfastes du traitement par un toxique in vivo. Leur utilisation ne fait cependant pas diminuer de façon très sensible le nombre de sujets nécessaires.
En résumé, on dispose de plusieurs sortes de systèmes in vitro que lon peut conjuguer pour évaluer la toxicité au niveau des organes cibles. Une difficulté subsiste: lextrapolation des résultats obtenus dans un système in vitro, partie relativement mineure dun processus toxicologique, au processus entier qui a lieu in vivo.
Le test de toxicité sur animal entier sans doute le plus contesté du point de vue du bien-être de lanimal est le test de Draize quon utilise pour étudier lirritation oculaire sur le lapin. Pour cela, on place une dose donnée du produit chimique dans lun des yeux du lapin, lautre il servant de témoin. Le degré dirritation et dinflammation est évalué à des intervalles de temps donnés après le début de lexposition. Des efforts importants sont déployés pour trouver des solutions permettant de remplacer ce test, critiqué non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi à cause de la subjectivité des observations et de la variabilité des résultats. Précisons quen dépit des violentes critiques quil a suscitées, le test de Draize est dune remarquable efficacité pour identifier les irritants oculaires pour lhumain, notamment les substances de légèrement à modérément irritantes dont le pouvoir est difficile à établir par dautres méthodes. Il simpose donc de développer le plus vite possible des solutions de remplacement in vitro.
La recherche de méthodes susceptibles de remplacer le test de Draize est difficile, même si tout porte à croire quelle sera fructueuse. De nombreuses techniques in vitro et dautres solutions de remplacement ont été développées et, dans certains cas, mises en pratique. Parmi les solutions de raffinement du test de Draize, donc moins douloureuses ou pénibles pour les animaux, on peut citer le test oculaire à faible volume, qui consiste à placer de plus petites quantités du produit testé dans les yeux du lapin, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi pour reproduire de façon plus réaliste les quantités réelles auxquelles lindividu peut être exposé accidentellement. Autre amélioration: celle qui consiste à ne plus tester sur lanimal des substances dont le pH est inférieur à 2 ou supérieur à 11,5, car on sait quelles sont extrêmement irritantes pour lil.
Entre 1980 et 1989, on estime que le nombre de lapins utilisés pour tester lirritation oculaire de produits cosmétiques a diminué de 87%. Cette réduction draconienne des tests sur animal entier sexplique par lincorporation de tests in vitro dans une approche par étapes. Cette démarche fait appel à un processus à plusieurs étapes qui débute par lexamen minutieux des données historiques du pouvoir irritant oculaire et lanalyse physico-chimique du produit à évaluer. Si ces deux étapes ne fournissent pas assez dinformations, on procède alors à une série de tests in vitro. Les données supplémentaires obtenues à partir des tests in vitro peuvent alors être suffisantes pour évaluer la sécurité de la substance, sinon on réalise en dernier recours des tests in vivo en les limitant le plus possible. On voit quon peut ainsi se passer complètement des animaux ou du moins réduire considérablement leur nombre.
La batterie de tests in vitro utilisée dans cette stratégie par étapes dépend des exigences de la branche concernée. Le test dirritation oculaire est en effet pratiqué dans des branches très diverses, depuis celle des cosmétiques jusquaux produits industriels en passant par lindustrie pharmaceutique. Vu la diversité des informations recherchées, il nest pas possible de définir une batterie unique de tests in vitro. En principe, une batterie de tests sert à évaluer cinq paramètres: la cytotoxicité, les modifications physiologiques et biochimiques tissulaires, la relation quantitative structure-activité, les médiateurs de linflammation, la guérison et la réparation. Un exemple de test de cytotoxicité, cause possible dirritation, est le test au rouge neutre sur cultures de cellules (voir ci-dessus). Les modifications physiologiques et biochimiques cellulaires résultant dune exposition à un produit chimique peuvent être étudiées sur des cultures de cellules épithéliales de cornée humaine. Comme alternative, les chercheurs ont également utilisé des globes oculaires intacts ou disséqués de buf ou de poulet obtenus auprès des abattoirs. Les paramètres mesurés dans ces cultures dorgane entier sont souvent les mêmes que ceux mesurés in vivo, par exemple lopacité ou le gonflement de la cornée.
Linflammation oculaire est lun des troubles fréquents de lexposition aux produits chimiques. On dispose de nombreux moyens pour létudier. Diverses méthodes biochimiques permettent de déceler la présence de médiateurs libérés durant le processus inflammatoire, tels que lacide arachidonique et les cytokines. La membrane chorio-allantoïdienne duf de poulet peut également être utilisée comme indicateur de linflammation. Dans ce test, une petite partie de la coquille dun embryon de poulet de 10 à 14 jours est enlevée, afin dappliquer le produit chimique sur la membrane, après quoi on étudie à intervalles les signes dinflammation, comme lhémorragie vasculaire.
La guérison et la réparation dune lésion oculaire font partie des paramètres in vivo les plus difficiles à évaluer in vitro. On dispose dun nouvel instrument, le microphysiomètre au silicium, qui permet de mesurer de faibles variations du pH extracellulaire et peut être utilisé pour contrôler in situ les cultures cellulaires. Cette étude montre une assez bonne corrélation avec la guérison in vivo et est donc utilisée comme test in vitro. Tel se présente aujourdhui linventaire succinct des tests actuellement employés en lieu et place du test de Draize pour lirritation oculaire. Il est probable quau cours des prochaines années, on parviendra à mettre au point et à valider toute une série de tests in vitro pour chaque type dutilisation spécifique.
Pour quun test in vitro soit agréé par les instances réglementaires, il faut dabord et avant tout quil soit validé. Ce processus permet en effet détablir sa fiabilité dans un but spécifique. Des efforts ont été entrepris, aux Etats-Unis comme en Europe, pour définir et coordonner les processus de validation. En 1993, lUnion européenne a créé le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives afin de coordonner les efforts en Europe et dagir en association avec des organismes américains tels que le Centre universitaire Johns Hopkins de recherche sur les méthodes alternatives de test sur les animaux (CAAT) et le Comité de coordination interagences pour la validation des méthodes alternatives (ICCVAM), composé de représentants des Instituts nationaux de la santé (NHI), de lAgence américaine de protection de lenvironnement (EPA), de lAdministration américaine de réglementation des denrées alimentaires et des produits pharmaceutiques (Food and Drug Administration (FDA)) et de la Commission pour la sécurité des produits de consommation (Consumer Products Safety Commission).
La validation des tests in vitro requiert une organisation et une planification considérables pour que les instances réglementaires et les scientifiques sentendent sur des procédures acceptables. Il faut aussi quun organisme consultatif scientifique assure un contrôle suffisant et garantisse que les protocoles satisfont à certaines normes. Les études de validation devraient être réalisées dans des laboratoires de référence utilisant des agents chimiques homologués distribués par une banque unique de produits chimiques, de cellules et de tissus. Lorsquon cherche à faire agréer un test, il faut apporter la preuve, au moyen dune analyse statistique sérieuse, que ses résultats sont reproductibles au sein dun même laboratoire et dun laboratoire à lautre. Une fois que les résultats des différents volets des études de validation ont été rassemblés, lorganisme consultatif peut se prononcer sur la validité du(es) test(s). De plus, les résultats des études devraient être diffusés dans des publications révisées par des pairs et être consignés dans des bases de données.
La définition du processus de validation est engagée dans la bonne voie. Chaque nouvelle étude de validation fournit des informations utiles à létude suivante. La communication et la coopération internationales sont essentielles au développement rapide dune série de protocoles auxquels de nombreuses personnes pourront souscrire, étant donné en particulier lurgence imposée par ladoption de la directive sur les cosmétiques de la Communauté européenne. Cette mesure législative peut en effet donner lélan nécessaire à un effort de validation sérieux. Cest seulement à lissue de ce processus que les instances réglementaires pourront envisager daccepter les méthodes in vitro.
Cet article dresse un bilan succinct de létat actuel de lexpérimentation toxicologique in vitro. Cette discipline scientifique est encore relativement récente, mais elle connaît un développement exponentiel. Le défi pour les années à venir sera dintégrer au vaste fonds des données in vivo les connaissances sur le mécanisme daction que les études cellulaires et moléculaires auront permis daccumuler. On pourra ainsi mieux définir les mécanismes de la toxicité et établir un paradigme qui permettra de tirer parti des données in vitro pour prévoir la toxicité in vivo. Cest seulement grâce aux efforts conjugués des toxicologues et des instances gouvernementales que la valeur intrinsèque de ces méthodes in vitro pourra trouver une application concrète.
On entend par étude de la relation structure-activité lanalyse de la structure moléculaire dun produit chimique pour en tirer des informations prédictives sur ses propriétés essentielles telles que sa stabilité, sa distribution, sa captation, son absorption et sa toxicité. Létude de la relation structure-activité est lune des méthodes didentification des produits chimiques potentiellement dangereux. Elle permet disoler les substances exigeant une évaluation complémentaire ou de prendre une décision à un stade précoce pour un produit chimique nouveau et peut, de ce fait, répondre aux attentes de lindustrie et des pouvoirs publics. Les études toxicologiques sont de plus en plus onéreuses et nécessitent des moyens sans cesse plus importants. Préoccupés par le potentiel toxique des produits chimiques auxquels les populations humaines sont exposées, les organismes réglementaires et sanitaires ont cherché à étendre la gamme et la sensibilité des tests pour mettre en évidence le risque toxique. Parallèlement, le poids, réel ou vécu, de la réglementation imposée à lindustrie a amené à sinterroger sur la faisabilité des méthodes détude et de lanalyse des données en toxicologie. Actuellement, une étude de cancérogenèse chimique nécessite une expérimentation sur au moins deux espèces, durant leur vie entière, sur les deux sexes, à plusieurs niveaux de doses, à laquelle il faut ajouter lanalyse histopathologique soigneuse de multiples organes sans oublier la détection des lésions prénéoplasiques au niveau des cellules et des organes cibles. Aux Etats-Unis, on estime que les tests de cancérogenèse coûtent plus de 3 millions de dollars (valeur 1995).
Même avec des ressources financières illimitées, tous les toxicologues compétents dans le monde ne seraient pas assez nombreux pour tester les quelque 70 000 produits chimiques existant aujourdhui. Il faudrait des siècles pour achever ne serait-ce que la première étape de lévaluation de ces agents chimiques (NRC, 1984). Dans de nombreux pays, lemploi des animaux pour les expériences de laboratoire a donné lieu à une vague de préoccupations éthiques et à de nouvelles pressions en faveur de lutilisation des méthodes classiques en expérimentation toxicologique. Lindustrie pharmaceutique sest beaucoup servie des études de la relation structure-activité pour identifier les molécules ayant un potentiel thérapeutique (Hansch et Zhang, 1993). Dans le domaine de lenvironnement et de la santé au travail, cette méthode est utilisée pour prévoir la dispersion des produits chimiques dans lenvironnement physico-chimique et rechercher les produits chimiques nouveaux ou anciens nécessitant une étude plus approfondie. Aux termes de la loi américaine sur le contrôle des substances toxiques (TSCA), lEPA applique depuis 1979 la méthode structure-activité comme premier moyen de «dépistage» des nouveaux produits chimiques dans les avis de préfabrication (Premanufacture Notification (PMN)); lAustralie adopte une démarche semblable avec sa procédure NICNAS de déclaration des nouveaux produits chimiques. Aux Etats-Unis, létude de la relation structure-activité constitue une étape importante du processus permettant de décider si la fabrication, le traitement, la distribution, lusage ou la destruction dune substance présentent un risque excessif pour la santé humaine ou lenvironnement, comme le prévoit larticle 5 f) de la TSCA. Sur la base de ses conclusions, lEPA peut alors exiger, aux termes de larticle 6 du texte de loi précité, que des tests complets de la substance en cause soient effectués.
Sur le plan scientifique, la théorie de la relation structure-activité repose sur le principe selon lequel la structure moléculaire dun produit chimique permet de prévoir dimportants aspects de son comportement dans les systèmes physico-chimiques et biologiques (Hansch et Leo, 1979).
Létude de la relation structure-activité comporte les étapes suivantes: identification de la structure chimique, depuis la formule empirique jusquau produit pur; identification des analogues structuraux; recherche dinformations dans des bases de données et dans la littérature sur les analogues structuraux; étude de la toxicité et des autres données concernant les analogues structuraux. Il arrive bien que ce soit assez rare que linformation sur la structure du produit suffise à elle seule pour justifier la tenue dune telle étude compte tenu de la bonne compréhension quon a des mécanismes de toxicité. Il existe plusieurs bases de données sur les relations structure-activité, de même que des méthodes informatisées de prévision de la structure moléculaire.
A partir de ces informations, la relation structure-activité permet dévaluer:
Il est à remarquer que la relation structure-activité ne permet pas didentifier des éléments pourtant importants sur le plan de la santé comme la cancérogénicité, la toxicité du développement, la toxicité de la reproduction, la neurotoxicité, limmunotoxicité, etc., et ce pour trois raisons: labsence de bases de données importantes permettant de vérifier les hypothèses sur la relation structure-activité, le manque de connaissances sur les facteurs de nature structurelle induisant une action toxique et la multiplicité des cellules cibles et des mécanismes participant à ces phénomènes (voir larticle «Lapproche américaine de lévaluation du risque des toxiques pour la reproduction et des agents neurotoxiques»). Quelques tentatives limitées dutilisation de cette méthode ont été faites pour prévoir la pharmacocinétique en se basant sur les coefficients de partage et la solubilité (Johanson et Naslund, 1988). Une étude structure-activité quantitative plus détaillée a été effectuée pour prévoir le métabolisme P450-dépendant dune série de produits et la liaison, au récepteur cytosolique de la dioxine, de molécules de type dioxine ou PCB (Hansch et Zhang, 1993).
La relation structure-activité permet de prédire pas toujours de manière très sûre certains des paramètres énumérés ci-dessus, comme le montre le tableau 33.10. Ce tableau compare les résultats que lon escompte tirer dune étude structure-activité à ceux effectivement obtenus grâce à des méthodes expérimentales ou toxicologiques. Des experts de lEPA ont montré que les études de la relation structure-activité conduites sont plus utiles pour prévoir certaines activités biologiques, en particulier la biodégradation, que pour les propriétés physico-chimiques. Sagissant des différents types de toxicité, la relation structure-activité permet une meilleure prévision de la mutagénicité. Ashby et Tennant (1991), dans une étude plus exhaustive réalisée dans le cadre du programme NTP, montrent également quelle garantit une bonne prévisibilité de la génotoxicité à court terme. Ces constatations nont rien de surprenant, compte tenu de nos connaissances actuelles sur les mécanismes moléculaires de la génotoxicité (voir larticle «La toxicologie génétique») et le rôle de lélectrophilie sur la liaison à lADN. En revanche, ils font remarquer que la relation structure-activité tend à sous-estimer la toxicité systémique et subchronique chez les mammifères et à surestimer la toxicité aiguë pour les organismes aquatiques.
Paramètre |
Concordance (%) |
Discordance (%) |
Nombre |
Point d’ébullition |
50 |
50 |
30 |
Pression de vapeur |
63 |
37 |
113 |
Solubilité dans l’eau |
68 |
32 |
133 |
Coefficient de partage |
61 |
39 |
82 |
Biodégradation |
93 |
7 |
107 |
Toxicité sur les poissons |
77 |
22 |
130 |
Toxicité sur Daphnia |
67 |
33 |
127 |
Toxicité aiguë chez les mammifères (DL50 ) |
80 |
201 |
142 |
Irritation cutanée |
82 |
18 |
144 |
Irritation oculaire |
78 |
22 |
144 |
Sensibilisation cutanée |
84 |
16 |
144 |
Toxicité subchronique |
57 |
32 |
143 |
Mutagénicité 2 |
88 |
12 |
139 |
Mutagénicité 3 |
82–944 |
1–10 |
301 |
Cancérogénicité 3: étude sur 2 ans |
72–954 |
|
301 |
1 La relation structure-activité ne permet pas de prévoir la toxicité aiguë pour 12% des produits chimiques testés. 2 Données de l’OCDE fondées sur la concordance entre le test de Ames et la relation structure-activité. 3 Données NTP fondées sur des études de génotoxicité comparées aux prévisions des études de la relation structure-activité pour plusieurs catégories de «produits chimiques de structure d’alarme». 4 La concordance varie selon la catégorie: concordance la plus forte avec les produits aromatiques aminés et nitrés; concordance la plus faible avec les structures entrant dans la catégorie «divers».
Source: données de l’OCDE, communication personnelle C. Auer, EPA (Etats-Unis). Dans cette analyse, seuls ont été utilisés les paramètres pour lesquels on disposait de données comparables obtenues par étude de la relation structure-activité et par études expérimentales. Les données NTP sont extraites de Ashby et Tennant, 1991.
Pour les autres types de toxicité, nous lavons déjà dit, cette méthode a une utilité moins évidente. Les prévisions de toxicité chez les mammifères sont rendues difficiles en raison de labsence détudes sur la relation structure-activité pour la toxicocinétique des molécules complexes. Néanmoins, quelques tentatives ont été faites afin de proposer des principes de relation structure-activité pour certains types complexes de toxicité chez les mammifères (voir, par exemple, Bernstein, 1984, pour une étude de ce type concernant les toxiques potentiels sur la reproduction mâle). Dans la plupart des cas, les bases de données ne sont pas suffisamment abondantes pour permettre une analyse rigoureuse des prévisions fondées sur la structure.
A ce stade, on peut conclure que létude de la relation structure-activité peut surtout servir à laffectation de ressources à des investigations toxicologiques plus approfondies ou lever, à un stade précoce, des inquiétudes sur un risque potentiel. Ce type détude peut être utilisée de façon fiable comme base dinformation pour les décisions ultérieures uniquement dans le cas de la mutagénèse. Mais, comme nous lexpliquons par ailleurs dans ce chapitre et dans lEncyclopédie, la relation structure-activité ne semble pas pouvoir fournir les informations quantitatives nécessaires à lévaluation dun risque, quel quil soit.
La toxicologie joue un rôle de premier plan dans lélaboration des réglementations et des politiques en matière de sécurité et de santé au travail. En effet, pour prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles, on est de plus en plus appelé à prendre des décisions en sappuyant sur des informations obtenues avant toute exposition humaine ou en labsence dune telle exposition. Or, ce type dinformations, comme celles quon peut tirer détudes épidémiologiques, renseignerait pourtant de manière définitive sur le risque. De plus, les études toxicologiques, telles quelles sont décrites dans ce chapitre, fournissent des données précises sur la dose et le type de réponse dans des conditions contrôlées de laboratoire, informations quil est souvent difficile dobtenir dans le milieu de travail. Cependant, elles doivent être soigneusement évaluées pour estimer la probabilité deffets nocifs chez lhumain, leur nature et la relation quantitative entre les expositions et les effets.
De nombreux pays semploient activement, depuis les années quatre-vingt, à développer des méthodes objectives permettant dutiliser les informations toxicologiques dans les prises de décisions réglementaires. Des méthodes à lefficacité prouvée, souvent appelées évaluation du risque, ont été proposées et utilisées dans ces pays à la fois par des instances gouvernementales et non gouvernementales. Pour simplifier les choses, on peut dire de lévaluation du risque quil sagit dun processus consistant à apprécier les informations toxicologiques et épidémiologiques et les expositions pour identifier et évaluer la probabilité de survenue deffets nocifs en association avec lexposition à des substances ou à des conditions dangereuses. Lévaluation du risque peut avoir un caractère qualitatif, et donc préciser la nature dun effet nocif et donner une estimation de sa probabilité, ou elle peut avoir un caractère quantitatif et spécifier alors le nombre de personnes affectées à un niveau donné dexposition. Dans de nombreux systèmes réglementaires, lévaluation du risque est scindée en quatre étapes: identification du risque, description de la nature de leffet toxique; évaluation de la relation dose-effet, analyse semi-quantitative ou quantitative de la relation entre lexposition (ou la dose) et la sévérité ou la probabilité de leffet toxique; évaluation de lexposition, évaluation de linformation sur la gamme des expositions pouvant se produire sur une population générale ou sur des sous-groupes à lintérieur dune population; caractérisation du risque, compilation de toutes les informations ci-dessus et expression du risque attendu dans des conditions dexposition spécifiques (voir NRC, 1983, pour lénoncé de ces principes).
Nous allons présenter à titre dexemples trois démarches dévaluation du risque.
Il nest pas possible de recenser de manière exhaustive toutes les méthodes qui ont cours dans ce domaine à travers le monde, et la sélection proposée ici ne saurait être rigide. Notons que lon a cherché, notamment sous limpulsion du GATT, à harmoniser les méthodes dévaluation du risque. Deux initiatives dharmonisation internationale ont lieu actuellement, lune dans le cadre du Programme international sur la sécurité des substances chimiques (PISSC) et lautre dans celui de lOrganisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Ces organisations assurent aussi la mise à jour des informations sur les démarches nationales en matière dévaluation du risque.
Comme dans beaucoup dautres pays, le risque dû aux produits chimiques est réglementé au Japon en fonction de la catégorie des agents (voir tableau 33.11) par un ministère ou un organisme qui varie selon les cas. Pour les produits chimiques industriels en général, la loi de base qui sapplique est la loi relative à lexamen et à la réglementation de la fabrication, etc., des substances chimiques, ou pour citer son titre abrégé, la «loi sur le contrôle des substances chimiques». Les organismes de tutelle sont le ministère du Commerce international et de lIndustrie et le ministère de la Santé et du Bien-être social. La loi sur la sécurité et la santé au travail (qui relève du ministère du Travail) dispose que le pouvoir mutagène des produits chimiques industriels doit être étudié et que lexposition des travailleurs à ces produits doit être réduite le plus possible grâce à lencoffrement des installations de production, à laménagement de systèmes dévacuation ou au port dun équipement de protection, etc. sil est établi que le produit est effectivement mutagène.
Catégorie |
Loi |
Ministère |
Aliments et additifs alimentaires |
Loi sur l’hygiène des produits alimentaires |
MSB |
Produits pharmaceutiques |
Loi sur les produits pharmaceutiques |
MSB |
Stupéfiants |
Loi sur le contrôle des stupéfiants |
MSB |
Produits chimiques agricoles |
Loi sur le contrôle des produits chimiques agricoles |
MAFP |
Produits chimiques industriels |
Loi sur le contrôle des produits chimiques industriels |
MSB et MCII |
Tous produits chimiques à l’exception des substances radioactives |
Loi réglementant les produits ménagers contenant des substances dangereuses |
MSB |
Substances radioactives |
Loi sur les substances radioactives |
AST |
Abréviations: MSB: ministère de la Santé et du Bien-être; MAFP: ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche; MCII: ministère du Commerce international et de l’Industrie; MDT: ministère du Travail; AST: Agence de la science et de la technologie.
Comme lidentification des produits chimiques industriels dangereux relève, pour lessentiel, de la loi sur le contrôle des substances chimiques, nous décrirons dans le présent article la série de tests prévus à cette fin aux termes de cette loi.
Adoptée à lorigine en 1973 par le parlement japonais (la Diète), entrée en vigueur le 16 avril 1974, la loi sur le contrôle des substances chimiques avait pour principal objectif de prévenir la pollution environnementale et les effets des biphéniles polychlorés (PCB) et substances apparentées sur la santé humaine. Les PCB sont connus pour 1) leur rémanence dans lenvironnement (faible biodégradabilité); 2) laugmentation de leur concentration tout au long de la chaîne alimentaire (bioaccumulation); 3) leur toxicité chronique chez lhumain. En conséquence, la loi impose lobligation détudier ces trois paramètres pour tout produit chimique industriel avant sa commercialisation au Japon. Parallèlement à ladoption de la loi, la Diète a décidé que lAgence pour lenvironnement devait surveiller le milieu ambiant pour prévenir une éventuelle pollution chimique. La loi a été ensuite modifiée par la Diète en 1986 (modification entrée en vigueur en 1987) pour lharmoniser avec les décisions de lOCDE sur la santé et lenvironnement, avec labaissement des barrières tarifaires en matière de commerce et en particulier avec les directives concernant la mise en place dune série minimale de données avant commercialisation et les lignes directrices y relatives. Cet amendement prenait en fait acte des conclusions dune étude de lenvironnement réalisée à lépoque et selon laquelle des produits ne saccumulant pas beaucoup, peu biodégradables et toxiques à long terme, tels que le trichloroéthylène et le tétrachloroéthylène, étaient susceptibles de polluer lenvironnement puisquon en avait retrouvé la trace dans la nappe phréatique du pays.
La loi classe les produits chimiques industriels en deux catégories: les produits chimiques existants et les nouveaux produits chimiques. Les premiers, répertoriés dans l«inventaire des produits chimiques existants» (établi lors de ladoption de la loi dorigine), sont environ au nombre de 20 000, nombre qui dépend de la dénomination qui leur a été donnée dans linventaire. Les produits chimiques absents de linventaire sont appelés nouveaux produits chimiques. Le gouvernement est chargé de lidentification du risque des produits chimiques existants, tandis que toute compagnie ou tout organisme désirant commercialiser un nouveau produit chimique au Japon est responsable de lidentification du risque pour ce produit. Deux ministères, celui de la Santé et du Bien-être (MSB) et celui du Commerce international et de lIndustrie (MCII) sont chargés de lapplication de la loi, lAgence pour lenvironnement pouvant au besoin exprimer son opinion. Les substances radioactives, les toxiques spécifiés, les stimulants et les stupéfiants, réglementés par dautres lois, ne sont pas visés.
Le schéma dinvestigation est représenté à la figure 33.15. Il sagit, quant au principe, dun système par étapes qui consiste à étudier la biodégradabilité in vitro de tous les produits chimiques (pour les exceptions, voir ci-après). Si un produit chimique est rapidement biodégradable, il est considéré comme étant «sans danger». Dans le cas contraire, on doit étudier sa bioaccumulation; en cas de «forte accumulation», une étude complète de toxicité est exigée. Sur la base des résultats obtenus, le produit chimique sera classé comme «substance chimique spécifiée de classe 1» lorsque sa toxicité est confirmée, ou alors comme substance «sans danger». Les produits dont laccumulation est faible ou nulle font lobjet détudes de toxicité, consistant en des tests de mutagenèse et en une administration de doses répétées pendant vingt-huit jours à des animaux (voir tableau 33.12). Après une évaluation complète des données de toxicité, le produit chimique est classé comme «substance chimique désignée» si les résultats mettent en évidence un risque toxique. Sinon, il est considéré comme étant «sans danger». Lorsque dautres résultats donnent à penser que le produit présente un risque important de pollution environnementale, des données complètes de toxicité sont exigées, à partir desquelles le produit chimique désigné est reclassé comme «substance chimique spécifiée de classe 2» si elles sont positives. Dans le cas contraire, il est considéré comme «sans danger». Le tableau 33.13 indique, outre les grandes lignes de la réglementation, les caractéristiques toxicologiques et écotoxicologiques des différentes catégories de substances: «substance chimique spécifiée de classe 1», «substance chimique spécifiée de classe 2» et «substance chimique désignée».
Paramètre |
Plan du test |
Biodégradation |
Sur 2 semaines en principe, in vitro, sur des boues activées |
Bioaccumulation |
Sur 8 semaines en principe, sur la carpe |
Dépistage de la toxicité |
|
Administration à doses répétées à 28 jours |
Rats, 3 niveaux de dose, plus lot témoin, pour l’établissement du NOEL, |
Substance chimique |
Caractéristiques |
Réglementation |
Substances chimiques spécifiées de classe 1 |
Aucune biodégradabilité |
Nécessité d’une autorisation pour la fabrication ou l’importation 1 |
Substances chimiques spécifiées de classe 2 |
Aucune biodégradabilité |
Déclaration sur la quantité fabriquée ou importée prévue |
Substances chimiques désignées |
Aucune biodégradabilité |
Rapport sur la fabrication ou la quantité importée |
1 En pratique, aucune autorisation.
Au Japon, la loi nexige pas deffectuer une étude dans le cas dun nouveau produit chimique dont la quantité utilisée ne dépasse pas un certain niveau (moins de 1 000 kg/compagnie/an et moins de 1 000 kg/an pour lensemble du pays). Les polymères sont examinés selon le schéma des produits de haut poids moléculaire, schéma reposant sur le principe selon lequel les risques dabsorption dans lorganisme sont faibles lorsque le produit chimique a un poids moléculaire supérieur à 1 000 et demeure stable dans lenvironnement.
Au cours des vingt-six années qui ont suivi lentrée en vigueur de la loi sur le contrôle des substances chimiques, soit de 1973 à la fin de 1996, 1 087 produits chimiques existants ont été examinés aux termes de la loi originale puis modifiée. Parmi ces produits, 9 (certains sont identifiés par leur nom générique) ont été classés comme «substance chimique spécifiée de classe 1». Parmi les autres, 36 ont dabord été placés dans la catégorie des agents «désignés», 23 dentre eux ont été reclassés comme «substance chimique spécifiée de classe 2» et les 13 autres sont restés «désignés». La figure 33.16 recense les noms des produits chimiques spécifiés de classe 1 et 2. Il en ressort que la plupart des produits chimiques de classe 1 sont des pesticides organochlorés, en dehors des PCB et de leurs substituts et dun dérivé de létain toxique pour les algues. Une majorité de produits chimiques de classe 2 sont des algicides, à lexception de trois solvants utilisés largement autrefois.
Pendant cette même période de 1973 à la fin 1996, 2 335 nouveaux produits chimiques ont été mis à létude, 221 (environ 9,5%) ont été «désignés», mais aucun na été rangé dans la catégorie des produits chimiques de classe 1 ou 2. Les autres produits chimiques ont été considérés comme étant «sans danger» et leur fabrication et leur importation ont été autorisées.
Les systèmes nerveux et reproducteur étant très sensibles aux effets des xénobiotiques, la neurotoxicité et la toxicité sur les fonctions de reproduction sont des domaines importants de lévaluation du risque. De nombreux produits ont été identifiés comme étant toxiques pour ces systèmes chez lhumain (Barlow et Sullivan, 1982; OTA, 1990) ce qui nest pas surprenant puisque de nombreux pesticides sont délibérément conçus pour perturber la reproduction et la fonction nerveuse dans des organismes cibles, tels que les insectes, en intervenant dans la biochimie hormonale et la neurotransmission.
Il est difficile didentifier les substances potentiellement toxiques pour ces systèmes pour trois raisons intimement liées: premièrement, ceux-ci font partie des systèmes biologiques les plus complexes chez lhumain, et on estime généralement que les modèles animaux des fonctions reproductrice et neurologique ne représentent pas de manière adéquate les événements critiques tels que la cognition ou le développement précoce embryo-ftal; deuxièmement, il nexiste pas de tests simples pour identifier les produits potentiellement toxiques pour la reproduction ou le système nerveux; troisièmement, ces systèmes renferment de multiples types cellulaires et de multiples organes, de sorte quil nest pas possible denvisager un mécanisme de toxicité unique pour en inférer une relation dose-réponse ou prévoir une relation structure-activité. On sait, de plus, que la sensibilité du système nerveux et du système reproducteur varie en fonction de lâge, et que lexposition peut avoir des effets plus sévères à certaines périodes critiques quà dautres.
La neurotoxicité est un problème de santé publique important. Comme le montre le tableau 33.14, plusieurs accidents neurotoxiques graves se sont produits qui ont touché des milliers de travailleurs et diverses populations à loccasion de pollutions industrielles ou de la contamination daliments, deau ou dautres vecteurs. On sait aussi que les expositions professionnelles à des neurotoxiques tels que le plomb, le mercure, les insecticides organophosphorés et les solvants chlorés sont largement répandues à travers le monde (OTA, 1990; Johnson, 1978).
Année(s) |
Lieu |
Substance |
Observations |
400 avant J.-C. |
Rome |
Plomb |
Hippocrate découvre la toxicité du plomb dans l’industrie minière |
Années 1930 |
Etats-Unis (sud-est) |
TOCP |
Composé souvent ajouté aux huiles de lubrification: contamination du «Ginger Jake», boisson alcoolisée, 20 000 à 100 000 cas, dont plus de 5 000 personnes paralysées |
Années 1930 |
Europe |
Apiol (avec TOCP) |
Médicament abortif contenant du TOCP: 60 cas de neuropathie |
1932 |
Etats-Unis (Californie) |
Thallium |
Vol d’orge traité par du sulfate de thallium, utilisé comme rodenticide, puis utilisation pour la confection de tortillas; hospitalisation de 13 membres d’une famille présentant des symptômes neurologiques; 6 d’entre eux décèdent |
1937 |
Afrique du Sud |
TOCP |
Soixante Sud-Africains sont victimes d’une paralysie après avoir employé une huile alimentaire contaminée |
1946 |
|
Tétraéthylplomb |
Plus de 25 individus présentent des troubles neurologiques après nettoyage de réservoirs d’essence |
Années 1950 |
Japon (Minimata) |
Mercure |
Ingestion de poissons et de crustacés contaminés par du mercure provenant d’une usine chimique; 121 personnes intoxiquées, 46 morts, nombreux enfants présentant de graves lésions du système nerveux |
Années 1950 |
France |
Organostanneux |
Contamination du Stalinon par du triéthylétain responsable de plus de 100 morts |
Années 1950 |
Maroc |
Manganèse |
Cent cinquante mineurs présentent une intoxication chronique au manganèse avec troubles neurocomportementaux sévères |
Années 1950 à 1970 |
Etats-Unis |
AETT |
Composant de parfums, neurotoxique, retiré du marché en 1978; effets sur la santé humaine non connus |
1956 |
|
Endrine |
Quarante-neuf personnes tombent malades après avoir consommé des produits de boulangerie confectionnés avec de la farine contaminée par un insecticide, l’endrine; quelques cas de convulsions |
1956 |
Turquie |
HCB |
Hexachlorobenzène, fongicide de graines de semences, intoxication de 3 000 à 4 000 personnes; 10% d’entre elles décèdent |
1956-1977 |
Japon |
Clioquinol |
Médicament utilisé pour traiter la diarrhée des voyageurs: neuropathie ayant touché 10 000 personnes en 20 ans |
1959 |
Maroc |
TOCP |
Huile alimentaire contaminée par de l’huile de moteur: environ 10 000 individus atteints |
1960 |
Iraq |
Mercure |
Graines de semence traitées par du mercure fongicide et utilisées pour faire du pain; plus de 1 000 personnes atteintes |
1964 |
Japon |
Mercure |
Méthylmercure: intoxication de 646 personnes |
1968 |
Japon |
PCB |
Biphényles polychlorés dans un produit à base de riz: 1 665 personnes atteintes |
1969 |
Japon |
n-Hexane |
Quatre-vingt-treize cas de neuropathie après exposition au n-hexane entrant dans la fabrication de sandales en vinyle |
1971 |
Etats-Unis |
Hexachlorophène |
Produit utilisé pendant des années comme désinfectant en solution à 3% pour la toilette des nourrissons: toxique du système nerveux et d’autres systèmes |
1971 |
Iraq |
Mercure |
Graines de semence, traitées par un composé mercuriel fongicide et utilisées pour faire du pain: plus de 5 000 cas d’intoxications sévères, 450 morts, effets non documentés sur de nombreux nourrissons exposés en période prénatale |
1973 |
Etats-Unis (Ohio) |
MIBK |
Employés d’une usine textile exposés à ce solvant; plus de 80 travailleurs atteints de neuropathie, 180 présentant des atteintes moins graves |
1974-1975 |
Etats-Unis (Hopewell, Virginie) |
Chlordécone (Képone) |
Employés d’une usine chimique exposés à cet insecticide; plus de 20 travailleurs présentent des problèmes neurologiques sévères, plus de 40 des troubles moins graves |
1976 |
Etats-Unis (Texas) |
Leptophos (Phosvel) |
Neuf employés au moins souffrent de problèmes neurologiques sévères par suite de l’exposition lors de la fabrication |
1977 |
Etats-Unis (Californie) |
Dichloropropène |
Vingt-quatre sujets hospitalisés après exposition au pesticide Télone à la suite d’un accident de circulation |
1979-1980 |
Etats-Unis (Lancaster, Texas) |
BHMH (Lucel-7) |
Sept employés d’une fabrique de douches en plastique présentent des troubles neurologiques après une exposition au BHMH |
Années 1980 |
Etats-Unis |
MPTP |
Impureté de synthèse d’une drogue illicite provoquant des symptômes identiques à ceux de la maladie de Parkinson |
1981 |
Espagne |
Huile toxique contaminée |
Quelque 20 000 personnes intoxiquées par une substance toxique dans de l’huile: plus de 500 morts; de nombreuses personnes présentent une neuropathie grave |
1985 |
Etats-Unis et Canada |
Aldicarb |
Plus de 1 000 personnes en Californie et dans d’autres Etats de l’ouest et en Colombie-Britannique présentent des problèmes neuromusculaires et cardiaques par suite de l’ingestion de melons contaminés par ce pesticide |
1987 |
Canada |
Acide domoïque |
Ingestion de moules contaminées par de l’acide domoïque: 129 malades et 2 morts; symptômes: perte de mémoire, désorientation et convulsions |
Source: OTA, 1990.
Les produits chimiques peuvent atteindre lune des nombreuses cibles cellulaires ou biochimiques présentes dans le système nerveux central ou périphérique. Des effets toxiques sexerçant sur dautres organes peuvent également affecter le système nerveux, comme le montre lexemple de lencéphalopathie hépatique. La neurotoxicité se manifeste par des effets sur les processus dapprentissage (incluant mémoire, faculté cognitive et performance intellectuelle), les processus somato-sensoriels (dont la sensibilité et la proprioception), la fonction motrice (équilibre, démarche, contrôle fin des mouvements, etc.), laffect (notamment la personnalité et lémotivité) et la fonction autonome (contrôle nerveux de la fonction endocrine et des organes internes). Les effets toxiques des produits chimiques sur le système nerveux sont plus ou moins intenses et se manifestent de façon différente selon lâge du sujet: au cours du développement, le système nerveux central est particulièrement vulnérable en raison du processus de la différenciation cellulaire, de la migration et du contact intercellulaire qui prend place chez lhumain (OTA, 1990). De plus, les lésions cytotoxiques sur le système nerveux sont souvent irréversibles, les neurones nétant pas remplacés après lembryogenèse. Bien que le système nerveux central (SNC) soit relativement protégé du contact avec les produits absorbés grâce à un rempart très étanche (la barrière hémato-encéphalique, formée de cellules capillaires endothéliales qui tapissent le système vasculaire cérébral), les produits chimiques toxiques sont néanmoins susceptibles datteindre le SNC par trois mécanismes: les solvants et les composés lipophiles peuvent passer à travers les membranes cellulaires; certains produits peuvent se fixer aux protéines de transport endogènes qui fournissent des nutriments et des molécules biologiques au SNC; enfin, de petites molécules, si elles sont inhalées, vont être directement absorbées par le nerf olfactif et transportées au cerveau.
Aux Etats-Unis, quatre organismes ont le pouvoir de réglementer les substances neurotoxiques: la FDA, lEPA, lOSHA et la CPSC. LOSHA réglemente généralement les expositions professionnelles aux produits chimiques neurotoxiques (entre autres), lEPA ayant compétence pour les expositions professionnelles et non professionnelles aux pesticides, aux termes de la loi fédérale sur les insecticides, fongicides et rodenticides (Federal Insecticide, Fungicide and Rodenticide Act (FIFRA)), mais aussi pour les nouveaux produits chimiques. Cest elle qui intervient avant leur fabrication et leur commercialisation et, à ce titre, elle doit tenir compte à la fois des risques professionnels et non professionnels.
Les agents qui ont un effet nocif sur la physiologie, la biochimie ou lintégrité structurale du système nerveux ou son fonctionnement au niveau comportemental sont considérés comme des produits présentant un risque neurotoxique (EPA, 1993). Il nest pas facile détablir le pouvoir neurotoxique dun produit, en raison notamment de la complexité du système nerveux et des multiples expressions de la neurotoxicité. Certains effets peuvent paraître retardés, comme la neurotoxicité différée de certains insecticides organophosphorés. Il faut donc faire montre de prudence et de discernement lorsquon doit se prononcer sur un tel risque et tenir compte des conditions de lexposition, de la dose, de la durée et du rythme.
Lidentification du risque se fait généralement à partir détudes toxicologiques sur des organismes intacts, chez lesquels les fonctions comportementale, cognitive, somato-motrice et somato-sensorielle sont évaluées grâce à toute une panoplie doutils dinvestigation dont la biochimie, lélectrophysiologie et la morphologie (Tilson et Cabe, 1978; Spencer et Schaumberg, 1980). On ne saurait assez insister sur limportance de lobservation attentive du comportement de lorganisme entier. La toxicité doit aussi être jaugée à différentes étapes du développement, y compris aux premiers stades de la vie (intra-utérine et néonatale) et à celui de la sénescence. Chez lêtre humain, la mise en évidence de la neurotoxicité suppose quon effectue une appréciation clinique grâce à des méthodes dévaluation neurologique de la fonction motrice, du langage, des réflexes, de la fonction sensorielle, de lélectrophysiologie, de létude neuropsychologique et, dans certains cas, grâce à des techniques avancées dimagerie du cerveau et délectroencéphalographie quantitative. LOMS a mis au point une batterie de tests neurocomportementaux, incluant des témoins de la fonction motrice, de la coordination main-il, du temps de réaction, de la mémoire immédiate, de lattention et de lhumeur. Cette batterie a été validée au niveau international dans le cadre dune initiative coordonnée (Johnson, 1978).
Chez les animaux aussi, lidentification du risque doit se faire au moyen de méthodes dobservation minutieuses. LEPA a développé une batterie dobservations fonctionnelles qui constitue une première étape à la fois pour déceler et quantifier les effets neurotoxiques majeurs patents (Moser, 1990). Ces paramètres sont inclus dans les tests de toxicité subchronique et chronique de lOCDE. Une batterie typique porte sur les paramètres suivants: posture; démarche; mobilité; fonction déveil et réactivité; présence ou absence de tremblements, convulsions, larmes, horripilation, salivation, miction ou défécation excessives, stéréotypie, mouvements rotatoires ou autres comportements anormaux. Les comportements provoqués incluent la réponse à la manipulation, au pincement de la queue, ou aux claquements; équilibre, réflexe de redressement et force dagrippement du membre postérieur. Le tableau 33.15 dresse la liste dun certain nombre de tests représentatifs accompagnée dexemples de produits quils permettent didentifier.
Fonction |
Procédé |
Agents responsables |
Neuromusculaire |
||
Faiblesse |
Force de préhension; endurance à la nage; suspension à une barre; fonction motrice discriminante; écartement des membres postérieurs |
n-Hexane, méthylbutylcétone, carbaryle |
Incoordination |
Rotarod, aspect de la démarche |
3-Acétylpyridine, éthanol |
Tremblement |
Echelle d’évaluation, analyse spectrale |
Chlordécone, pyréthroïdes de type 1, DDT |
Myoclonie, spasmes |
Echelle d’évaluation, analyse spectrale |
DDT, pyréthroïdes de type 2 |
Sensorielle |
||
Audition |
Conditionnement discriminant, modification de réflexe |
Toluène, triméthylétain |
Toxicité visuelle |
Conditionnement discriminant |
Méthylmercure |
Toxicité somatosensorielle |
Conditionnement discriminant |
Acrylamide |
Sensibilité à la douleur |
Conditionnement discriminant; batterie d’observation fonctionnelle |
Parathion |
Toxicité olfactive |
Conditionnement discriminant |
3-Méthylindole méthylbromure |
Apprentissage, mémoire |
||
Accoutumance |
Réflexe de sursaut |
Diisopropylfluorophosphate (DFP) |
Conditionnement classique |
Membrane nictitante, aversion du goût conditionné, évitement passif, conditionnement olfactif |
Aluminium, carbaryle, triméthylétain, IDPN, triméthylétain (néonatal) |
Conditionnement opérant ou instrumental |
Evitement une voie, évitement deux voies, évitement de labyrinthe Y, labyrinthe d’eau Biol, labyrinthe d’eau Morris, labyrinthe de bras radial, appariement différé à l’échantillon, acquisition répétée, apprentissage de discrimination visuelle |
Chlordécone, plomb (néonatal), hypervitaminose A, styrène, DFP, triméthylétain, DFP, carbaryle, plomb |
Source: EPA, 1993.
Une fois ces tests effectués, on peut procéder à des évaluations plus complexes, réservées en général aux études de mécanisme plutôt que didentification du risque. Les méthodes in vitro pour lidentification du risque neurotoxique sont dune application limitée, car elles ne renseignent aucunement sur les effets au niveau des fonctions complexes, telles que lapprentissage. Par contre, elles peuvent être très utiles pour définir les cibles de la toxicité et améliorer la précision des études dose-réponse au niveau des cibles (voir OMS, 1986 et EPA, 1993 pour des observations détaillées des principes et des méthodes didentification des neurotoxiques potentiels).
Nous avons expliqué que la relation entre la toxicité et la dose peut être établie à partir de données humaines, quand elles existent, ou à partir détudes sur animaux. Aux Etats-Unis, on emploie en général pour les neurotoxiques une approche de type facteur dincertitude ou de sécurité. Pour cela, on fixe un «niveau sans effet nocif observé» (No Observed Adverse Effect Level (NOAEL)) ou le «niveau du plus faible effet nocif observé» (Lowest Observed Adverse Effect Level (LOAEL)), le résultat obtenu étant ensuite divisé par un facteur dincertitude ou de sécurité (généralement un multiple de 10), qui permet de tenir compte de limperfection des données, de la sensibilité potentielle plus élevée chez lhumain et de la variabilité de la réponse humaine en fonction de lâge ou dautres paramètres. Le nombre qui résulte de ce calcul est appelé dose de référence (DRf) ou concentration de référence (CRf). Pour établir le LOAEL ou le NOAEL, on se fonde en général sur leffet produit à la dose la plus faible chez lespèce animale et le sexe les plus sensibles. La conversion de la dose animale à lexposition humaine est effectuée grâce à des méthodes normalisées de dosimétrie interespèces qui tiennent compte des différences de durée de vie et de durée dexposition.
Lutilisation dun facteur de sécurité suppose quil existe un seuil ou une dose au-dessous desquels aucun effet nocif ne se produit. Il peut savérer difficile détablir des seuils pour des neurotoxiques spécifiques par la voie expérimentale; ces seuils sont basés sur des hypothèses relatives au mécanisme daction qui peuvent ne pas convenir pour tous les neurotoxiques (Silbergeld, 1990).
A ce stade, les sources, les voies, les doses et les temps dexposition à un neurotoxique sont évaluées dans une population humaine, une sous-population ou même chez des individus. Cette information peut être obtenue grâce à des contrôles dambiance ou à partir déchantillons humains, par des estimations basées sur des conditions normalisées dexposition (telles que les conditions du lieu de travail et les tâches effectuées) ou encore à partir de modèles sur le devenir et la dispersion dans lenvironnement (voir EPA, 1992, pour les directives générales relatives aux méthodes dévaluation de lexposition). Dans quelques cas limités, on peut recourir aux indicateurs biologiques pour valider les conclusions et les estimations sur lexposition, bien que les indicateurs utilisables pour les neurotoxiques soient assez peu nombreux.
Pour caractériser le risque, on doit lidentifier et évaluer la relation dose-réponse et lexposition. Pour cela, on est appelé à faire des hypothèses sur lextrapolation des fortes doses aux faibles doses ou de lanimal à lhumain, ainsi que sur ladéquation des hypothèses de seuil et des facteurs de sécurité.
Les risques pour la reproduction peuvent concerner de multiples paramètres fonctionnels et cibles cellulaires chez lhumain et se traduire par des effets au niveau du sujet atteint et de sa descendance. Ces risques peuvent affecter le développement du système reproducteur chez le mâle ou la femelle, les comportements sexuels, la fonction hormonale, lhypothalamus et lhypophyse, les gonades et les cellules germinales, la fertilité, la gestation et la durée de la fonction de reproduction (OTA, 1985). De plus, les produits chimiques mutagènes peuvent également affecter la fonction reproductrice en lésant lintégrité des cellules germinales (Dixon, 1985).
La nature et létendue des effets nocifs dune exposition chimique sur les fonctions de reproduction dans les populations humaines sont encore très peu connues. On dispose dassez peu dinformations sur la surveillance de paramètres tels que la fertilité de lhomme ou de la femme, lâge de la ménopause chez la femme, ou la numération spermatique chez lhomme. Pourtant, des hommes et des femmes sont employés dans des branches où ils sont exposés à des produits présentant un danger pour la fonction de reproduction (OTA, 1985).
La présente rubrique met laccent sur les problèmes spécifiques à lévaluation du risque des toxiques pour la reproduction, sans revenir sur les aspects communs à lévaluation des risques touchant à la fois le système reproducteur et le système nerveux. Comme pour les neurotoxiques, la responsabilité en matière de réglementation des produits affectant la fonction de reproduction incombe à lEPA, lOSHA, la FDA et le CPSC. Parmi ces organismes, seule lEPA sest dotée de lignes directrices permettant lévaluation du risque pour les fonctions de reproduction. Aux Etats-Unis, lEtat de Californie a lui aussi élaboré des méthodes pour évaluer le risque toxique sur les fonctions de reproduction, aux termes dune loi dEtat, la proposition 65 (Pease et coll., 1991).
Les agents toxiques pour les fonctions reproductrices, comme les neurotoxiques, peuvent affecter lun des nombreux organes cibles ou sites moléculaires de cette fonction. Leur évaluation est complexe puisquil est nécessaire dévaluer séparément et simultanément trois organismes distincts: le mâle, la femelle et la descendance (Mattison et Thomford, 1989). Alors que lun des critères essentiels de la fonction reproductrice est la conception dun enfant sain, la biologie de la reproduction intervient également dans la santé des organismes en développement ou matures indépendamment de leur implication dans la procréation. Par exemple, la perte de la fonction ovulatoire par déplétion naturelle ou ablation chirurgicale des ovaires influe sur la santé des femmes, puisquelle entraîne des modifications de la pression sanguine, du métabolisme lipidique et de la physiologie osseuse. Les modifications biochimiques hormonales peuvent être à lorigine dune plus grande prédisposition au cancer.
Lidentification dun risque sur les fonctions de reproduction peut se faire à partir de données humaines ou animales. En général, les données humaines sont assez peu nombreuses, car elles ne peuvent être obtenues quau prix dune surveillance astreignante pour détecter les troubles de la fonction reproductrice, tels que le spermogramme, la fréquence ovulatoire et la longueur du cycle, ou lâge de la puberté. La détection dun risque sur la reproduction à partir dinformations sur les taux de fertilité ou de données sur le nombre de grossesses peut être bouleversée par la suppression intentionnelle de fertilité exercée par beaucoup de couples dans le cadre des mesures de planification familiale. La surveillance minutieuse de certaines populations montre que le taux déchec de la reproduction (avortements) peut être très élevé, lorsquon évalue des indicateurs biologiques de début de grossesse (Sweeney et coll., 1988).
Les protocoles détude faisant appel aux animaux dexpérience sont largement employés pour identifier les toxiques agissant sur la reproduction. Dans la plupart de ces études, comme celles effectuées aux Etats-Unis par la FDA et lEPA et, au niveau international, selon les directives de lOCDE, les effets dagents suspects sont mis en évidence daprès: la fertilité après exposition du mâle ou de la femelle; lobservation des comportements sexuels au moment de laccouplement; et lexamen histopathologique des gonades et des glandes sexuelles accessoires, telles que les glandes mammaires (EPA, 1994). Les études de toxicité sur les fonctions de reproduction impliquent souvent ladministration du produit aux animaux sur une ou plusieurs générations afin de déceler les effets sur le processus de la reproduction dans son intégralité et détudier les effets sur les organes spécifiques de la reproduction. Il est recommandé de faire porter les études sur plusieurs générations, car elles permettent de détecter des effets induits par une exposition lors du développement du système reproducteur in utero. Un protocole spécial, le protocole dévaluation de la toxicité sur la reproduction par administration continue (RACB), a été mis au point aux Etats-Unis dans le cadre du Programme national de toxicologie. Ce test fournit des données sur les modifications de lespacement temporel des parturitions (reflétant la fonction ovulatoire) et sur le nombre et la taille des portées pendant toute la période du test. Quand le test est effectué tout au long de la vie de la femelle, il donne des informations sur les premiers troubles de reproduction. Les mesures sur le sperme peuvent être ajoutées au RACB pour déceler les modifications de la fonction reproductrice chez le mâle. Le test du dominant létal, qui est un test spécial pour détecter la perte de pré- ou postimplantation, contribue à mettre en évidence les effets mutagènes sur la spermatogenèse.
Des tests in vitro ont également été mis au point comme tests de dépistage de la toxicité sur les fonctions de reproduction (et sur le développement) (Heindell et Chapin, 1993). Ces tests, qui sont généralement utilisés en complément des tests in vivo, fournissent davantage dinformations sur la cible et sur le mécanisme des effets observés.
Le tableau 33.16 montre les trois types de paramètres dévaluation de la toxicité sur les fonctions de reproduction représentatifs du couple ou spécifiques de la femelle ou du mâle. Les paramètres représentatifs du couple incluent ceux qui sont étudiés sur plusieurs générations et sur lorganisme seul. Ils incluent également en général lévaluation de la portée. A noter que la mesure de la fertilité chez les rongeurs manque généralement de sensibilité, par rapport aux mesures effectuées chez lhumain et que les effets nocifs sur la fonction reproductrice peuvent se produire à de bien plus faibles doses que celles qui affectent la fertilité de manière significative (EPA, 1994). Les paramètres spécifiques du mâle peuvent inclure les tests du dominant létal de même que lévaluation histopathologique des organes et du sperme, le dosage des hormones et des marqueurs du développement sexuel. La fonctionnalité du sperme peut également être évaluée par des méthodes de fertilisation in vitro pour détecter les propriétés de pénétration et les aptitudes des cellules germinales; ces tests sont précieux parce quils sont directement comparables aux évaluations in vitro conduites dans les centres de fertilité humaine, même sils ne fournissent pas par eux-mêmes une information dose-réponse. Les paramètres propres à la femelle incluent, en plus de lhistopathologie des organes et des dosages hormonaux, lévaluation des suites de la reproduction, dont la lactation et la croissance de la portée.
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Paramètres liés au couple |
Etudes multigénérations |
Autres paramètres de la reproduction |
Taux et durée d’accouplement (temps de gestation1) |
Taux d’ovulation |
Taux de gestation1 |
Taux de fécondation |
Taux de délivrance1 |
Perte avant implantation |
Durée de gestation1 |
Nombre d’implantations |
Taille de la portée (totale et vivante) |
Perte après implantation1 |
Nombre de petits vivants et morts (taux de mortalité ftale)1 |
Malformations et modifications internes1 |
Sexe de la progéniture |
Développement structurel et fonctionnel postnatal1 |
Poids à la naissance1 |
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Poids postnatal1 |
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Survie de la progéniture1 |
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Malformations et modifications externes1 |
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Reproduction de la progéniture1 |
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Paramètres spécifiques du mâle |
Poids des organes |
Testicules, épididyme, vésicules séminales, prostate, hypophyse |
Examen visuel et histopathologie |
Testicules, épididyme, vésicules séminales, prostate, hypophyse |
Evaluation du sperme1 |
Numération spermatique et qualité (morphologie, motilité) |
Taux hormonaux1 |
Hormone lutéinisante, FSH, testostérone, strogène, prolactine |
Développement |
Descente des testicules1, séparation préputiale, production de sperme1, distance ano-génitale, aspect des organes génitaux externes1 |
|
Paramètres spécifiques de la femelle |
Poids corporel |
|
Poids des organes |
Ovaire, utérus, vagin, hypophyse |
Examen visuel et histopathologie |
Ovaire, utérus, vagin, hypophyse, oviducte, glande mammaire |
Normalité du cycle stral (menstruel1) |
Cytologie du frottis vaginal |
Taux hormonaux1 |
LH, FSH, strogène, progestérone, prolactine |
Lactation1 |
Croissance de la progéniture |
Développement |
Normalité des organes génitaux externes1, ouverture vaginale, cytologie du frottis vaginal, début du fonctionnement de l’strus (menstruation1) |
Sénescence (ménopause1) |
Cytologie du frottis vaginal, histologie ovarienne |
1 Paramètres pouvant être obtenus de manière relativement non invasive chez l’humain.
Source: EPA, 1994.
Aux Etats-Unis, lidentification du risque se termine par une évaluation qualitative des données sur la toxicité qui permet de classer les produits chimiques selon quils présentent ou non une preuve suffisante de risque (EPA, 1994). Par preuve «suffisante», on entend des données épidémiologiques fournissant des arguments convaincants de la relation causale (ou de son absence), basés sur des études cas-témoins ou de cohortes, ou des séries de cas bien étayés. Des données suffisantes sur les animaux peuvent être couplées à des données limitées chez lhumain pour confirmer lexistence dun risque sur la reproduction: pour être suffisantes, les études expérimentales doivent en général appliquer les directives de lEPA sur deux générations et comporter un minimum de données démontrant un effet nocif sur la fonction reproductrice dans une étude bien conduite sur une espèce appropriée. Des données humaines limitées peuvent être disponibles ou non; elles ne sont pas nécessaires aux fins de lidentification du risque. Pour exclure un risque potentiel sur la reproduction, les données animales doivent inclure un ensemble de paramètres établi à partir de plusieurs études montrant labsence deffet nocif sur la reproduction aux doses minimales toxiques pour lanimal (EPA, 1994).
Comme dans le cas de lévaluation des agents neurotoxiques, la démonstration deffets liés à la dose constitue une partie importante de lévaluation du risque pour les toxiques de la reproduction. Les analyses dose-réponse achoppent sur deux difficultés: la toxicocinétique complexe lors de la gestation, et limportance de distinguer la toxicité qui affecte véritablement la reproduction de la toxicité générale sur lorganisme. Les animaux affaiblis, ou ceux présentant une toxicité non spécifique notable (une perte de poids par exemple) peuvent ne pas ovuler ou saccoupler. Une toxicité maternelle peut affecter la viabilité de la gestation ou la possibilité de lactation. Ces effets, bien que révélateurs dune toxicité, ne sont pas spécifiques de la reproduction (Kimmel et coll., 1986). Lévaluation de la relation dose-réponse pour un paramètre spécifique, tel que la fertilité, doit seffectuer dans le cadre dune étude générale de la reproduction et du développement. Les relations dose-réponse pour différents effets peuvent être individuellement significatives, mais interférer entre elles. Ainsi, des agents qui réduisent la taille de la portée peuvent ne pas avoir deffet sur le poids de celle-ci en raison dune faible interférence sur la nutrition intra-utérine.
Le moment et la durée des expositions sont des facteurs qui revêtent une grande importance lorsquon se propose dévaluer la toxicité sur la reproduction. Selon le processus biologique en cause, les mesures cumulatives de lexposition peuvent ne pas être suffisamment précises. On sait que lexposition peut avoir des conséquences variables aussi bien chez lhumain que chez lanimal selon le stade de développement auquel elle se produit chez le mâle et chez la femelle (Gray et coll., 1988). Les conséquences dun effet toxique au niveau de la spermatogenèse ou de lovulation dépendent également du moment où elles se produisent. Les effets sur la spermatogenèse peuvent être réversibles si lexposition cesse, alors que la toxicité sur lovocyte nest pas réversible puisque le nombre de cellules germinales utilisables pour lovulation est fixe (Mattison et Thomford, 1989).
Comme pour les neurotoxiques, on suppose quil existe de façon générale un seuil pour les toxiques de la reproduction. Cependant, laction des agents mutagènes sur les cellules germinales peut être considérée comme une exception à cette hypothèse générale. Pour les autres paramètres, on calcule une DRf (dose de référence) ou une CRf (concentration de référence) comme pour les neurotoxiques en déterminant le NOAEL ou le LOAEL et en appliquant un facteur de sécurité. Leffet utilisé pour établir le NOAEL ou le LOAEL est le paramètre le plus sensible chez lespèce mammifère la plus appropriée et la plus sensible (EPA, 1994). Le facteur de sécurité prend en compte les variations interespèces et intraespèce, la possibilité de définir un véritable NOAEL ainsi que la sensibilité du paramètre détecté.
La caractérisation du risque devrait également sintéresser à des groupes spécifiques de population soumis au risque, en tenant notamment compte des différences mâle-femelle, de létat de la gestation et de lâge. On devra prendre en considération les sujets particulièrement sensibles, comme les femmes allaitant, celles dont le nombre dovocytes est réduit, les hommes à faible numération spermatique, ou encore les adolescents prépubères.
Depuis 1971, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) publie, dans le cadre de son programme didentification du risque cancérogène chez lêtre humain, une série de monographies sous le titre Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans (Monographies du CIRC sur lévaluation des risques de cancérogénicité pour lhomme). A ce jour, 73 volumes ont paru ou sont sous presse et 833 agents ou circonstances dexposition ont fait lobjet dune étude de cancérogénicité (voir annexe).
Ces évaluations qualitatives du risque cancérogène chez lhumain correspondent à la phase didentification dans le schéma généralement admis dévaluation du risque qui comprend, outre lidentification du risque à proprement parler, lévaluation de la relation dose-réponse (avec une extrapolation à des valeurs pour lesquelles on ne dispose pas de données), lévaluation de lexposition et la caractérisation du risque en question.
Le programme du CIRC a pour but de procéder avec laide de groupes de travail composés dexperts internationaux à lexamen critique et à lévaluation des données concernant le pouvoir cancérogène dagents (produits chimiques, groupes de produits chimiques, mélanges, facteurs physiques ou biologiques) ou de circonstances dexposition (expositions professionnelles, habitudes culturelles), puis de les publier. Les groupes de travail préparent des monographies sur les agents individuels ou les expositions et chaque volume est publié et diffusé le plus largement possible. Chaque monographie contient une rubrique sur les propriétés physico-chimiques de lagent, les méthodes danalyse, le mode de production, la quantité produite, lutilisation, les conditions dexposition et lexposition humaine, et des résumés de cas isolés et détudes épidémiologiques de cancer humain. On y trouve également des résumés des tests de cancérogenèse expérimentale, une brève description des autres données biologiques importantes, telles que la toxicité et les effets génétiques, qui peuvent orienter sur le mécanisme daction et, enfin, une évaluation globale du pouvoir cancérogène. La première partie de ce schéma général peut être adaptée lorsquil sagit dagents autres que des produits chimiques ou de mélanges de produits chimiques.
Les principes directeurs de lévaluation des agents cancérogènes, qui ont été arrêtés par divers groupes dexperts spéciaux, figurent dans le préambule des monographies (CIRC, 1994a).
Les données obtenues lors détudes réalisées chez des sujets exposés, lors dexpériences sur des animaux de laboratoire ou encore à loccasion détudes sur lexposition, le métabolisme, la toxicité et les effets génétiques chez lhumain et les animaux sont dépouillées, après quoi des corrélations sont établies.
Trois types détudes épidémiologiques contribuent à lévaluation de la cancérogénicité pour lhumain: les études de cohortes, les études cas-témoins et les études de corrélation (ou écologiques). A ces trois types détudes peut sajouter lexamen de cas isolés de cancer.
Les études de cohortes et les études cas-témoins associent les différentes expositions étudiées à lapparition de cancer chez les sujets et donnent une estimation du risque relatif (rapport entre lincidence ou la mortalité chez les personnes exposées et lincidence ou la mortalité chez les personnes non exposées) comme principale mesure dassociation.
Dans les études de corrélation, les unités dinvestigation sont le plus souvent des populations entières (comme par exemple dans des secteurs géographiques particuliers) et la fréquence des cancers est associée à une mesure globale de lexposition de la population à lagent, au mélange ou à la circonstance dexposition étudiés. Comme lexposition individuelle nest pas connue, un rapport de cause à effet est cependant moins facile à prouver à partir détudes de corrélation quà partir détudes de cohortes ou détudes cas-témoins. Les rapports de cas isolés se basent généralement sur un soupçon, fondé sur lexpérience clinique, de ce que la coïncidence de deux événements à savoir une exposition particulière et la survenue dun cancer a été plus fréquente que ce que lon aurait pu attendre du seul fait du hasard. Les incertitudes entourant linterprétation des rapports de cas et des études de corrélation les rendent, sauf exception, insuffisants pour constituer la seule base permettant de conclure à un rapport causal.
Il est nécessaire de prendre en compte le rôle possible de biais et de facteurs de confusion dans linterprétation des études épidémiologiques. Par «biais», on entend lintervention, dans le protocole dune étude ou son déroulement, de facteurs qui mèneraient de façon erronée à surestimer ou à sous-estimer lassociation entre la maladie et un agent, un mélange ou une circonstance dexposition. Par «confusion», on entend une situation dans laquelle la relation avec la maladie apparaît plus étroite ou moins étroite quelle nest réellement en raison dune association entre le facteur causal apparent et un autre facteur associé à une augmentation ou à une diminution de lincidence de la maladie.
Dans lévaluation des études épidémiologiques, une association franche (à savoir un risque relatif élevé) est un meilleur indicateur de causalité quune association lâche, bien que lon sache quun risque relatif faible nimplique pas nécessairement une absence de causalité et quil peut être important si la maladie est courante. Les associations répétées, dans plusieurs études de protocole identique ou utilisant différentes méthodes épidémiologiques, ou encore menées dans différents contextes dexposition, ont plus de chance de mettre en évidence une relation de cause à effet que des observations isolées tirées détudes uniques. Si le risque de la maladie en question croît avec le degré dexposition, on considère quil y a une forte indication de causalité, bien que labsence dune réponse proportionnelle ne prouve pas nécessairement labsence dune relation de causalité. La démonstration dune diminution du risque après larrêt ou la diminution de lexposition des individus ou des populations entières est également en faveur dune interprétation de causalité des résultats.
Lorsque plusieurs études épidémiologiques fournissent peu ou pas dindications dune association entre une exposition et un cancer, on peut en déduire que, dans lensemble, elles donnent une indication dabsence de cancérogénicité. Il faut que la possibilité que le biais, la confusion ou la mauvaise classification de lexposition ou de son effet puisse expliquer les résultats observés soit examinée et exclue avec une certitude raisonnable. Il est important de noter quune indication dabsence de pouvoir cancérogène obtenue de cette façon à partir de plusieurs études épidémiologiques ne peut sappliquer quau(x) type(s) de cancer étudié(s) et aux niveaux de doses et aux intervalles entre la première exposition et lobservation de la maladie semblables ou inférieurs à ceux observés dans toutes les études. Lexpérience avec le cancer humain montre que, dans certains cas, la période allant de la première exposition au développement dun cancer clinique est rarement inférieure à vingt ans; les périodes de latence de beaucoup inférieures à trente ans ne peuvent pas constituer une indication dune absence de cancérogénicité.
Les données relatives à la cancérogénicité dérivées détudes chez lhumain sont classées selon les catégories suivantes:
Indications de cancérogénicité suffisantes: une relation de cause à effet a été établie entre lexposition à lagent, au mélange ou aux circonstances dexposition examinés et le cancer chez lhumain. Une relation positive a été mise en évidence entre lexposition et la survenue de cancers dans le cadre détudes où les effets du hasard, de biais ou de facteurs de confusion ont pu être exclus avec suffisamment de certitude.
Indications de cancérogénicité limitées: une association positive a été établie entre lexposition à lagent, au mélange ou aux circonstances dexposition considérés et la survenue de cancers. Une interprétation causale de cette association est crédible, mais il na pas été possible dexclure avec suffisamment de certitude que le hasard, un biais ou un facteur de confusion aient pu jouer un rôle.
Indications de cancérogénicité insuffisantes: les études réalisées ne sont pas dune qualité, dune concordance ou dune puissance statistique suffisantes pour permettre de conclure à lexistence ou non dune relation de cause à effet, ou bien on ne dispose daucune donnée sur le cancer chez lhumain.
Indications dune absence de cancérogénicité: on dispose de plusieurs études suffisantes, couvrant la totalité des niveaux dexposition connus pour être rencontrés chez lhumain et dont les résultats, concordants, ne font pas ressortir dassociation positive entre lexposition à lagent, au mélange ou aux circonstances dexposition considérés et le cancer étudié et ce, quel que soit le niveau dexposition examiné. Une conclusion de ce type ne peut sappliquer quaux localisations tumorales, aux conditions et niveaux dexposition et à la durée dobservation pris en considération dans les études dont on dispose.
La faisabilité de lévaluation du risque cancérogène présenté par un mélange, un processus, une activité professionnelle ou industrielle à partir détudes épidémiologiques dépend du moment et du lieu. Lexposition, le processus ou lactivité spécifiques considérés comme probablement responsables dun risque excessif doivent être recherchés et lévaluation doit en être effectuée de la manière la plus précise possible. La longue période de latence des cancers humains complique linterprétation des études épidémiologiques. Autre difficulté: le fait que lhumain soit exposé simultanément à plusieurs produits chimiques qui, par leurs interactions, peuvent soit augmenter le risque de néoplasie, soit le diminuer.
Il y a une cinquantaine dannées environ que lon a commencé à faire des études consistant à exposer des animaux de laboratoire (généralement souris et rats) à des cancérogènes potentiels pour donner une orientation scientifique à létude de la cancérogenèse chimique et pallier les inconvénients de lutilisation exclusive des données épidémiologiques humaines. Dans les monographies du CIRC, les données relatives à la cancérogénicité pour lanimal de laboratoire sont classées selon les catégories suivantes:
Indications de cancérogénicité suffisantes: une relation de cause à effet a été établie entre lagent ou le mélange examiné et une incidence accrue de néoplasmes malins ou dune combinaison appropriée de néoplasmes bénins et malins: a) chez deux espèces animales ou plus; ou b) dans le cadre de deux études distinctes ou plus, portant sur une même espèce, effectuées à des moments différents, ou dans des laboratoires différents, ou selon des protocoles différents. Exceptionnellement, une seule étude portant sur une seule espèce peut être considérée comme apportant des indications suffisantes de cancérogénicité lorsquune proportion inhabituelle de néoplasmes malins a été observée tant du point de vue de leur incidence que de leur localisation, du type de tumeur ou de lâge auquel ils apparaissent.
Indications de cancérogénicité limitées: les données dont on dispose laissent penser quil existe un effet cancérogène, mais elles sont limitées et ne permettent pas une évaluation définitive parce que: a) les indications de cancérogénicité se limitent à une seule expérience; ou b) des questions restent en suspens en ce qui concerne la justesse du protocole, de la conduite ou de linterprétation de létude; ou c) lagent ou le mélange considéré fait augmenter seulement lincidence des néoplasmes bénins ou des lésions dont le potentiel néoplasique est incertain, ou encore des tumeurs dont la fréquence peut être naturellement élevée chez certaines souches.
Indications de cancérogénicité insuffisantes: les études ne peuvent être interprétées comme prouvant la présence ou labsence dun effet cancérogène, parce quelles présentent dimportantes faiblesses dordre qualitatif ou quantitatif, ou quon ne dispose pas de données sur le cancer chez lanimal de laboratoire.
Indications dune absence de cancérogénicité: on dispose dun nombre suffisant détudes, portant sur deux espèces au moins, qui montrent que, dans les limites des expériences réalisées, lagent ou le mélange nest pas cancérogène. Lorsque les renseignements obtenus suggèrent une absence de cancérogénicité, cette conclusion ne peut sappliquer quaux espèces, aux localisations tumorales et aux niveaux dexposition étudiés.
Les données sur les effets biologiques chez lhumain qui sont considérées comme utiles sont résumées. Il peut sagir de données dordre toxicologique, pharmacocinétique et métabolique et dindices de liaisons avec lADN, de la persistance de lésions de lADN ou daltérations génétiques chez les sujets exposés. Les données toxicologiques (comme celles sur la cytotoxicité et la régénération, les liaisons aux récepteurs et les effets hormonaux et immunologiques) et celles qui concernent la pharmacocinétique et le métabolisme chez lanimal de laboratoire sont résumées lorsquon considère quelles jouent un rôle dans léventuel mécanisme de laction cancérogène de lagent. Les résultats des tests concernant les effets génétiques et apparentés sont récapitulés pour les mammifères, dont lhumain, les cellules de mammifères en culture et les systèmes cellulaires non mammaliens. Les relations structure-activité sont mentionnées lorsquelles présentent un intérêt particulier.
Pour lévaluation de lagent, du mélange ou de la circonstance dexposition, toutes les données disponibles portant sur le mécanisme de la cancérogenèse, provenant détudes chez lhumain ou lanimal de laboratoire ou de tests tissulaires et cellulaires, sont récapitulées dans une ou plusieurs des catégories ci-après:
Ces indications ne sexcluent pas les unes les autres, et un agent peut appartenir à plusieurs dentre elles. Cest ainsi que lon pourrait répertorier laction dun agent sur lexpression de gènes spécifiques à la fois dans la première et dans la seconde catégorie, même si lon sait de façon assez certaine que ces effets résultent dune toxicité génétique.
Enfin, tous les éléments dappréciation sont examinés dans leur ensemble, afin darriver à une évaluation globale de la cancérogénicité pour lhumain de lagent, du mélange ou des circonstances dexposition considérés. En outre, lorsque des données complémentaires incitent à penser que dautres produits apparentés, pour lesquels on ne dispose pas dindications directes de leur capacité dinduire des cancers chez lhumain ou chez lanimal de laboratoire, sont peut-être aussi cancérogènes, on ajoute au compte rendu de lévaluation un exposé des raisons sur lesquelles se fonde cette conclusion.
Lagent, le mélange ou les circonstances dexposition sont décrits au moyen des termes désignant lune des trois catégories ci-après, et lappartenance à lun des groupes est établie. Le classement dun agent, dun mélange ou de circonstances dexposition est affaire de jugement scientifique et sappuie sur le caractère plus ou moins probant des éléments dappréciation tirés détudes sur lhumain ou lanimal de laboratoire et dautres informations pertinentes.
Lagent (ou le mélange) est cancérogène pour lhumain. Les circonstances dexposition donnent lieu à des expositions qui sont cancérogènes pour lhumain.
Cette catégorie nest utilisée que lorsquon dispose dindications suffisantes de cancérogénicité chez lêtre humain. Exceptionnellement, un agent (mélange) peut être placé dans cette catégorie lorsque les indications de cancérogénicité pour lhumain ne sont pas tout à fait suffisantes, mais quil existe des indications suffisantes de sa cancérogénicité chez lanimal de laboratoire et de fortes présomptions que lagent (mélange) agit suivant un mécanisme de cancérogénicité reconnu.
Cette catégorie comporte les agents, mélanges et circonstances dexposition pour lesquels, au maximum, on a obtenu des indications de cancérogénicité chez lhumain presque suffisantes et, au minimum, on ne dispose daucune donnée concernant lhumain, mais on détient des indications suffisantes de cancérogénicité pour lanimal de laboratoire. Lesdits agents, mélanges et circonstances dexposition sont classés soit dans le groupe 2A (probablement cancérogènes pour lhumain), soit dans le groupe 2B (peut-être cancérogènes pour lhumain) sur la base dindications épidémiologiques et expérimentales de cancérogénicité et autres renseignements pertinents.
Groupe 2A. Lagent (ou le mélange) est probablement cancérogène pour lhumain. Les circonstances dexposition donnent lieu à des expositions qui sont probablement cancérogènes pour lhumain. On fait appel à cette catégorie lorsquon dispose dindications limitées de cancérogénicité chez lêtre humain et dindications suffisantes de cancérogénicité chez lanimal de laboratoire. Dans certains cas, un agent (mélange) peut être classé dans cette catégorie lorsquon dispose dindications insuffisantes de cancérogénicité pour lhumain et dindications suffisantes de cancérogénicité pour lanimal de laboratoire, et de fortes présomptions que la cancérogenèse seffectue par un mécanisme qui fonctionne également chez lhumain. Exceptionnellement, un agent, un mélange ou une circonstance dexposition peuvent être classés dans cette catégorie si lon ne dispose que dindications limitées de cancérogénicité pour lhumain.
Groupe 2B. Lagent (ou le mélange) est peut-être cancérogène pour lhumain. Les circonstances dexposition à cet agent donnent lieu à des expositions qui sont peut-être cancérogènes pour lhumain. Cette catégorie est employée lorsquon dispose dindications limitées de cancérogénicité chez lhumain et dindications insuffisantes de cancérogénicité chez lanimal de laboratoire. On peut aussi y faire appel lorsquon dispose dindications insuffisantes de cancérogénicité pour lhumain, mais dindications suffisantes pour lanimal de laboratoire. Dans certains cas, on peut classer dans ce groupe un agent, un mélange ou des circonstances dexposition pour lesquels on a des indications insuffisantes dune action cancérogène chez lhumain, mais pour lesquels on dispose dindications limitées de cancérogénicité chez lanimal de laboratoire, corroborées par dautres données pertinentes.
Lagent (ou le mélange ou les circonstances dexposition) ne peut pas être classé quant à sa cancérogénicité pour lhumain. Cette catégorie comprend essentiellement les agents, les mélanges et les circonstances dexposition pour lesquels les indications de cancérogénicité sont insuffisantes chez lhumain et insuffisantes ou limitées chez lanimal de laboratoire.
Exceptionnellement, les agents (ou mélanges) pour lesquels les indications de cancérogénicité sont insuffisantes chez lhumain, mais suffisantes chez lanimal de laboratoire, peuvent être classés dans cette catégorie lorsquil existe de fortes présomptions que le mécanisme de cancérogénicité chez lanimal de laboratoire ne fonctionne pas chez lhumain.
Lagent (ou le mélange) nest probablement pas cancérogène pour lhumain. Relèvent de cette catégorie les agents et mélanges pour lesquels on dispose dindications suggérant une absence de cancérogénicité chez lhumain ainsi que chez lanimal de laboratoire. Dans certains cas, peuvent être classés dans ce groupe des agents ou des mélanges pour lesquels les indications de cancérogénicité pour lhumain sont insuffisants, mais pour lesquels on dispose dindications suggérant une absence de cancérogénicité chez lanimal de laboratoire, invariablement et fortement corroborées par une large gamme dautres données pertinentes.
Les systèmes de classement existants sont encore imparfaits et ne permettent pas de rendre compte de la complexité de la biologie. Ils nen demeurent pas moins des principes directeurs utiles qui peuvent être modifiés au fur et à mesure que nos connaissances en cancérogenèse progressent. Dans ce classement par catégorie, il est essentiel de faire confiance aux jugements scientifiques établis par les groupes dexperts.
A ce jour on la vu, 73 monographies du CIRC ont été publiées ou sont sous presse et 833 agents ou circonstances dexposition ont été étudiés quant à leur pouvoir cancérogène. Soixante-quinze agents ou expositions ont été classés comme cancérogènes pour lhumain (groupe 1), 59 comme probablement cancérogènes pour lhumain (groupe 2A), 227 comme étant peut-être cancérogènes pour lhumain (groupe 2B) et un comme nétant probablement pas cancérogène pour lhumain (groupe 4). Pour 471 produits ou expositions, les données épidémiologiques et expérimentales disponibles ne permettent pas dévaluer leur pouvoir cancérogène chez lhumain (groupe 3).
La modification du préambule, éditée pour la première fois dans le volume 54 des monographies susmentionnées, donne la possibilité de placer dans le groupe 1 un produit dont le pouvoir cancérogène nest pas suffisamment prouvé du point de vue épidémiologique, alors quon dispose dindications suffisantes de sa cancérogénicité pour lanimal de laboratoire et quon le soupçonne fortement dagir chez lhumain selon un mécanisme en rapport avec la cancérogenèse. Inversement, un agent pour lequel on dispose dindications insuffisantes de sa cancérogénicité chez lhumain et dindications suffisantes de sa cancérogénicité chez lanimal de laboratoire, associées à de fortes présomptions que le mécanisme de cancérogenèse ne joue pas chez lhumain, peut être placé dans le groupe 3 au lieu du groupe 2B peut-être cancérogène pour lhumain dans lequel il aurait dû normalement être rangé.
Lutilisation des informations concernant le mécanisme daction a fait lobjet de discussions à loccasion de trois cas récents: alors quon admet généralement que le rayonnement solaire est cancérogène pour lhumain (groupe 1), les études épidémiologiques sur le rôle des rayonnements UVA et UVB des lampes solaires napportent quune preuve limitée de ce pouvoir cancérogène chez lhumain. Des substitutions spéciales de paires de bases (GCÒTT) ont été observées au niveau des gènes suppresseurs de tumeur p53 dans les tumeurs épithéliales à des sites exposés au soleil chez lhumain. Bien que les rayonnements UV puissent induire des transitions similaires dans certains systèmes expérimentaux et que les UVB, UVA et UVC soient cancérogènes chez lanimal de laboratoire, les données disponibles sur leur mécanisme daction nont pas été considérées comme étant suffisamment probantes pour permettre au groupe de travail de classer les UVB, UVA et UVC dans un groupe supérieur au groupe 2A (CIRC, 1992). Dans une étude publiée après la réunion du groupe de travail (Kress et coll., 1992), des transitions CCÒTT au niveau du gène p53 ont été mises en évidence dans les tumeurs cutanées induites par les UVB chez la souris, ce qui donne à penser que les UVB devraient également être classés comme cancérogènes pour lhumain (groupe 1).
Le second cas où on a envisagé de placer un agent dans le groupe 1 en labsence de preuve épidémiologique suffisante est celui du 4,4-méthylène-bis(2-chloroaniline) (MOCA). Le MOCA est cancérogène chez le chien et les rongeurs et a un pouvoir génotoxique significatif. Il se lie à lADN par réaction avec le N-hydroxy MOCA et les adduits formés dans les tissus cibles chez lanimal ont été retrouvés également au niveau des cellules urothéliales dun petit nombre de personnes exposées. Après de longues discussions sur la possibilité dun reclassement, le groupe de travail a finalement décidé de ranger le produit dans le groupe 2A, probablement cancérogène pour lhumain (CIRC, 1993).
Troisième et dernier exemple, celui de loxyde déthylène (CIRC, 1994b). Les études épidémiologiques dont on disposait fournissaient des indications limitées de sa cancérogénicité pour lhumain, les études chez lanimal ayant apporté des indications suffisantes de son pouvoir cancérogène. Au vu des autres données pertinentes, loxyde déthylène a été classé comme cancérogène chez lhumain (groupe 1) pour les raisons suivantes: 1) il induit une augmentation sensible, persistante et dose-dépendante de la fréquence des aberrations chromosomiques et des échanges de chromatides surs dans les lymphocytes périphériques, et de micronoyaux dans les cellules de la moelle osseuse des travailleurs exposés; 2) il est associé à des tumeurs malignes du système lymphatique et hématopoïétique chez lhumain et chez lanimal de laboratoire; 3) il induit une augmentation dose-dépendante de la fréquence des adduits à lhémoglobine chez les personnes exposées et des augmentations, dose-dépendantes elles aussi, du nombre dadduits à lADN et à lhémoglobine chez les rongeurs exposés; 4) il induit des mutations géniques et des translocations héréditaires dans les cellules germinales de rongeurs exposés; et 5) cest un mutagène et un clastogène puissant à tous les niveaux phylogéniques. Pour toutes ces raisons, loxyde déthylène a donc été classé dans la catégorie des agents cancérogènes pour lhomme (groupe 1).
Le préambule précité donne la possibilité de classer un agent dans le groupe 3 (au lieu du groupe 2B où il devrait être normalement rangé). Aucun groupe de travail ne sest prévalu de cette possibilité lorsquil existait à la fois des indications suffisantes de cancérogénicité dun agent pour lanimal de laboratoire et une forte présomption que le mécanisme daction responsable chez lanimal ne pouvait se produire chez lhumain. Une telle possibilité aurait pu être envisagée pour le d-limonène si on avait eu des indications suffisantes de sa cancérogénicité chez lanimal, puisquon dispose de données donnant à penser que les tumeurs rénales observées chez le rat mâle apparaissent liées à la production dα2-microglobuline non synthétisée.
Parmi les nombreux produits chimiques classés comme prioritaires par un groupe de travail spécial en décembre 1993, on a mis en évidence des mécanismes daction communs supposés intrinsèques ou identifié certaines classes de produits sur la base de leurs propriétés biologiques. Le groupe de travail a recommandé, quavant de procéder à lévaluation de produits tels que les proliférateurs de peroxysomes, les fibres, les poussières et les agents thyrostatiques dans le programme des monographies, il convenait de créer des groupes spéciaux qui seraient chargés de dresser un bilan des connaissances sur les mécanismes daction particuliers de ces agents.
Aflatoxines, mélanges naturels [1402-68-2] (1993)
Amiante [1332-21-4] (1987)
4-Aminobiphényle [92-67-1] (1987)
Arsenic [7440-38-2] et ses composés (1987)2
Azathioprine [446-86-6] (1987)
Benzène [71-43-2] (1987)
Benzidine [92-87-5] (1987)
Béryllium [7440-41-7] et ses composés (1993)3
Bis(2-chloroéthyl)-2-naphthylamine (Chlornaphazine) [494-03-1] (1987)
Bis(chlorométhyl)éther [542-88-1] et chlorométhyl- méthyléther [107-30-2] (qualité technique) (1987)
Cadmium [7440-43-9] et ses composés (1993)3
Chlorambucile [305-03-3] (1987)
1-(2-Chloroéthyl)-3-(4-méthylcyclohexyl)-1-nitrosourée (Méthyl-CCNU; Sémustine) [13909-09-6] (1987)
Chlorure de vinyle [75-01-4] (1987)
Ciclosporine [79217-60-0] (1990)
Composés du chrome [VI] (1990)3
Composés du nickel (1990) 3
Contraceptifs oraux en association (1999)4
Contraceptifs oraux séquentiels (1987)
Cyclophosphamide [50-18-0] [6055-19-2] (1987)
Diéthylstilbstrol [56-53-1] (1987)
Diméthanesulfonate de 1,4-butanediol (Busulphan; Myleran) [55-98-1] (1987)
Erionite [66733-21-9] (1987)
Gaz moutarde (Moutarde sulfurée) [505-60-2] (1987)
Helicobacter pylori (infection) (1994)
Melphalane [148-82-3] (1987)
8-Méthoxypsoralène (Méthoxsalène) [298-81-7] associé au rayonnement ultraviolet A (1987)
MOPP (traitement associé utilisant moutarde azotée, vincristine, procarbazine et prednisone) et autres chimio- thérapies associées utilisant des agents alkylants (1987)
2-Naphtylamine [91-59-8] (1987)
strogénothérapie de substitution (1999)
strogènes non stéroïdiens (1987)2
strogènes stéroïdiens (1987)2
Opistorchis viverrini (infestation) (1994)
Oxyde déthylène [75-21-8] (1994)6
Radon [10043-92-2] et ses produits de filiation (1988)
Rayonnement solaire (1992)
Schistosoma hæmatobium (infestation) (1994)
Silice cristalline [14808-60-7] (inhalée sous forme de quartz ou de cristobalite de source professionnelle) (1997)
Talc contenant des fibres asbestiformes (1987)
Tamoxifène [10540-29-1] (1996)5
Tétrachloro-2,3,7,8 dibenzo-p-dioxine [1746-01-6] (1997)6
Thiotépa [52-24-4] (1990)
Tréosulfan [299-75-2] (1987)
Virus dEpstein-Barr (1997)
Virus de lhépatite B (VHB) (infection chronique) (1994)
Virus de lhépatite C (VHC) (infection chronique) (1994)
Virus de limmunodéficience humaine de type 1 (VIH 1) (infection) (1996)
Virus du papillome humain de type 16 (VPH 16) (1995)
Virus du papillome humain de type 18 (VPH 18) (1995)
Virus humain de la leucémie à cellules T, type I (HTLV-1) (1996)
Boissons alcooliques (1988)
Brais de houille [65996-93-2] (1987)
Fumée de tabac (1987)
Goudrons de houille [8007-45-2] (1987)
Huiles de schiste [68308-34-9] (1987)
Huiles minérales, peu ou non raffinées (1987)
Mastication de bétel avec tabac (1987)
Mélanges analgésiques contenant de la phénacétine (1987)
Poisson salé (façon chinoise) (1993)
Poussières de bois (1995)
Produits du tabac non fumé (1987)
Suies (1987)
Aluminium (production) (1987)
Auramine (fabrication) (1987)
Brouillards dacides inorganiques forts contenant de lacide sulfurique (exposition professionnelle) (1992)
Caoutchouc (industrie) (1987)
Charbon (gaséification) (1987)
Chaussures (fabrication et réparation) (1987)
Coke (production) (1987)
Ebénisterie et menuiserie (1987)
Hématite (extraction souterraine avec exposition concomitante au radon) (1987)
Isopropanol (fabrication) (procédé aux acides forts) (1987)
Magenta (fabrication) (1993)
Métallurgie du fer et de lacier (1987)
Peintres (exposition professionnelle) (1989)
Acrylamide [79-06-1] (1994)7
Adriamycine [23214-92-8] (1987)7
Azacitidine [320-67-2] (1990)7
Benzo[a]anthracène [56-55-3] (1987)7
Benzo[a]pyrène [50-32-8] (1987)7
Bischloroéthyl-nitrosourée (BCNU) [154-93-8] (1987)
Bromure de vinyle [593-60-2] (1999)7
1,3-Butadiène [106-99-0] (1999)
Captafol [2425-06-1] (1991)7
Chloramphénicol [56-75-7] (1990)7
1-(2-Chloroéthyl)-3-cyclohexyl-1-nitrosourée (CCNU) [13010-47-4] (1987)7
p-Chloro-o-toluidine [95-69-2] et ses sels dacides forts (1990)3
Chlorozotocine [54749-90-5] (1990)7
Chlorure de diméthylcarbamoyle [79-44-7] (1999)7
Cisplatine [15663-27-1] (1987)7
Clonorchis sinensis (infestation) (1994)7
Colorants à base de benzidine (1987)7
Dibenzo[a,h]anthracène [53-70-3] (1987)7
1,2-Dibromoéthane [106-93-4] (1999)7
1,2-Diméthylhydrazine [540-73-8] (1999)
Epichlorohydrine [106-89-8] (1999)7
N-Ethyl-N-nitrosourée [759-73-9] (1987)7
Fluorure de vinyle [75-02-5] (1995)
Formaldéhyde [50-00-0] (1995)
Herpès virus du sarcome de Kaposi/herpès virus humain no 8 (1997)
Hydrochlorure de procarbazine [366-70-1] (1987)7
IQ (2-Amino-3-méthylimidazo[4,5-f]quinoléine) [76180-96-6] (1993)7
Méthanesulfonate de méthyle [66-27-3] (1999)7
5-Méthoxypsoralène [484-20-8] (1987)7
4,4´-Méthylène bis(2-chloroaniline) (MOCA) [101-14-4] (1993)7
N-Méthyl-N´-nitro-N-nitrosoguanidine (MNNG) [70-25-7] (1987)7
N-Méthyl-N-nitrosourée [684-93-5] (1987)7
Moutarde azotée [51-75-2] (1987)
N-Nitrosodiéthylamine [55-18-5] (1987)7
N-Nitrosodiméthylamine [62-75-9] (1987)7
7,8-Oxyde de styrène [96-09-3] (1994)7
Phénacétine [62-44-2] (1987)
Phosphate de tris(2,3 dibromopropyle) [126-72-7] (1999)7
Rayonnements ultraviolets A (1992)7
Rayonnements ultraviolets B (1992)7
Rayonnements ultraviolets C (1992)7
Stéroïdes androgéniques (anabolisants) (1987)
Sulfate de diéthyle [64-67-5] (1999)
Sulfate de diméthyle [77-78-1] (1999)7
Tétrachloroéthylène [127-18-4] (1995)
Toluènes α-chlorés (benzotrichlorure [98-07-7], chlorure de benzal [98-87-3], chlorure de benzyle [100-44-7]) et chlorure de benzoyle [98-88-4] (expositions mixtes) (1999)
Trichloroéthylène [79-01-6] (1995)
1,2,3-Trichloropropane [96-18-4] (1995)
Virus du papillome humain de type 31 (1995)
Virus du papillome humain de type 33 (1995)
Biphényles polychlorés [1336-36-3] (1987)
Créosotes [8001-58-9] (1987)
Gaz déchappement de moteur diesel (1989)
Insecticides non arsenicaux (expositions professionnelles lors de la pulvérisation et de lapplication) (1991)
Maté chaud (1991)
Coiffeurs (exposition professionnelle) (1993)
Lampes et tables à bronzer (utilisation) (1992)
Raffinage du pétrole (exposition professionnelle) (1989)
Verrerie dart, verre creux et verre moulé (fabrication) (1993)
A-α-C (2-Amino-9H-pyrido[2,3-b]indole) [26148-68-5] (1987)
Acétaldéhyde [75-07-0] (1999)
Acétamide [60-35-5] (1999)
Acétate de médroxyprogestérone [71-58-9] (1987)
Acétate de méthylazoxyméthanol [592-62-1] (1987)
Acétate de vinyle [108-05-4] (1995)
Acide caféique [331-39-5] (1993)
Acide chlorendique [115-28-6] (1990)
Acide nitrilotriacétique [139-13-9] et ses sels (1999)3
Acrylate déthyle [140-88-5] (1999)
Acrylonitrile [107-13-1] (1999)
AF-2 [2-(2-Furyl)-3 (5-nitro-2-furyl)acrylamide] [3688-53-7] (1987)
Aflatoxine M1 [6795-23-9] (1993)
p-Aminoazobenzène [60-09-3] (1987)
o-Aminoazotoluène [97-56-3] (1987)
2-Amino-5-(5-nitro-2- furyl)-1,3,4-thiadiazole [712-68-5] (1987)
Amitrole [61-82-5] (1987)
o-Anisidine [90-04-0] (1999)
Aramite® [140-57-8] (1987)
Auramine [492-80-8] (qualité technique) (1987)
Azasérine [115-02-6] (1987)
Aziridine [151-56-4] (1999)
Benzo[b]fluoranthène [205-99-2] (1987)
Benzo[j]fluoranthène [205-82-3] (1987)
Benzo[k]fluoranthène [207-08-9] (1987)
Benzofuranne [271-89-6] (1995)
Bléomycines [11056-06-7] (1987)8
Bleu direct CI-15 [2429-74-5] (1993)
Bleu dispersé 1 [2475-45-8] (1990)
Bleu HC 1 [2784-94-3] (1993)
Bleu Trypan [72-57-1] (1987)
Bromate de potassium [7758-01-2] (1999)
Bromodichlorométhane [75-27-4] (1999)
Butyl hydroxyanisole (BHA) [25013-16-5] (1987)
β-Butyrolactone [3068-88-0] (1999)
Catéchol [120-80-9] (1999)
Chlordane [57-74-9] (1991)
Chlordécone (Képone) [143-50-0] (1987)
Chlorhydrate de phénazopyridine [136-40-3] (1987)
Chlorhydrate de phénoxybenzamine [63-92-3] (1987)
p-Chloroaniline [106-47-8] (1993)
Chloroforme [67-66-3] (1999)
1-Chloro-2-méthylpropène [513-37-1] (1995)
4-Chloro-o-phénylènediamine [95-83-0] (1987)
Chloroprène [126-99-8] (1999)
Cobalt [7440-48-4] et ses composés (1991)3
Complexe fer-dextran [9004-66-4] (1987)
Composés de méthylmercure (1993)3
Contraceptifs, uniquement progestatifs (1999)
p-Crésidine [120-71-8] (1987)
Cycasine [14901-08-7] (1987)
Dacarbazine [4342-03-4] (1987)
Dantrone (Chrysazine; 1,8-Dihydroxyanthraquinone) [117-10-2] (1990)
Daunomycine [20830-81-3] (1987)
DDT [p,p´-DDT, 50-29-3] (1991)
N,N´-Diacétylbenzidine [613-35-4] (1987)
2-4-Diaminoanisole [615-05-4] (1987)
4,4´-Diaminodiphényléther [101-80-4] (1987)
2,4-Diaminotoluène [95-80-7] (1987)
Dibenzo[a,h]acridine [226-36-8] (1987)
Dibenzo[a,j]acridine [224-42-0] (1987)
7H-Dibenzo[c,g]carbazole [194-59-2] (1987)
Dibenzo[a,e]pyrène [192-65-4] (1987)
Dibenzo[a,h]pyrène [189-64-0] (1987)
Dibenzo[a,i]pyrène [189-55-9] (1987)
Dibenzo[a,l]pyrène [191-30-0] (1987)
1,2-Dibromo-3-chloropropane [96-12-8] (1999)
p-Dichlorobenzène [106-46-7] (1999)10
3,3´-Dichlorobenzidine [91-94-1] (1987)
3,3´-Dichloro-4,4´-diaminodiphényléther [28434-86-8] (1987)
1,2-Dichloroéthane [107-06-2] (1999)
Dichlorométhane (Chlorure de méthylène) [75-09-2] (1999)
1,3-Dichloropropène [542-75-6] (qualité technique) (1999)
Dichlorvos [62-73-7] (1991)
1,2-Diéthylhydrazine [1615-80-1] (1999)
Diglycidylrésorcinoléther [101-90-6] (1999)
Dihydrosafrol [94-58-6] (1987)
Diisocyanates de toluène [26471-62-5] (1999)
3,3´-Diméthoxybenzidine (o-Dianisidine) [119-90-4] (1987)
p-Diméthylaminoazobenzène [60-11-7] (1987)
trans-2[(Diméthylamino)méthylimino]5-[2-(5-nitro-2-furyl)- vinyle]-1,3,4-oxadiazole [25962-77-0] (1987)
2,6-Diméthylaniline (2,6-Xylidine) [87-62-7] (1993)
3,3´-Diméthylbenzidine (o-Toluidine) [119-93-7] (1987)
1,1-Diméthylhydrazine [57-14-7] (1999)
3,7-Dinitrofluoranthène [105735-71-5] (1996)
3,9-Dinitrofluoranthène [22506-53-2] (1996)
1,6-Dinitropyrène [42397-64-8] (1989)
1,8-Dinitropyrène [42397-65-9] (1989)
2,4-Dinitrotoluène [121-14-2] (1996)
2,6-Dinitrotoluène [606-20-2] (1996)
1,4-Dioxane [123-91-1] (1999)
1,2-Epoxybutane [106-88-7] (1999)8
Ethylènethiourée [96-45-7] (1987)
Fibres céramiques (1988)
2-(2-Formylhydrazino)-4-(5-nitro-2-furyl)thiazole [3570-75-0] (1987)
Fougère arborescente (1987)
Furanne [110-00-9] (1995)
Glu-P-1 (2-Amino-6-méthyldipyrido[1,2-a:3´,2´-d]imidazole) [67730-11-4] (1987)
Glu-P-2 (2-Aminodipyrido[1,2-a:3´,2´-d]imidazole) [67730-10-3] (1987)
Glycidaldéhyde [765-34-4] (1999)
Griséofulvine [126-07-8] (1987)
Heptachlore [76-44-8] (1991)
Herbicides chlorophénoxy (1987)
Hexachlorobenzène [118-74-1] (1987)
Hexachlorocyclohexanes (1987)
Hexachloroéthane [67-72-1] (1999)
Hexaméthylphosphoramide [680-31-9] (1999)
Hydrazine [302-01-2] (1999)
Indeno[1,2,3-cd]pyrène [193-39-5] (1987)
Isoprène [78-79-5] (1999)
Laine de laitier (1988)
Laine de roche (1988)
Laine de verre (1988)
Lasiocarpine [303-34-4] (1987)
Magenta [632-99-5] (contenant du Rouge basique CI-9) (1993)
MeA-α-C (2-Amino-3-méthyl-9H-pyrido[2,3-b]indole) [68006-83-7] (1987)
MeIQ (2-Amino-3,4-diméthylimidazo[4,5-f]quinoléine) [77094-11-2] (1993)
MeIQx (2-Amino-3,8-diméthylimidazo[4,5-f]quinoxaline) [77500-04-0] (1993)
Merphalane [531-76-0] (1987)
Méthanesulfonate déthyle [62-50-0] (1987)
2-Méthylaziridine (Propylèneimine) [75-55-8] (1999)
5-Méthylchrysène [3697-24-3] (1987)
4,4´-Méthylène-bis(2-méthylaniline) [838-88-0] (1987)
4,4´-Méthylènedianiline [101-77-9] (1987)
2-Méthyl-1-nitroanthraquinone [129-15-7] (pureté non connue) (1987)
N-Méthyl-N-nitrosouréthane [615-53-2] (1987)
Méthylthiouracile [56-04-2] (1987)
Métronidazole [443-48-1] (1987)
Mirex [2385-85-5] (1987)
Mitomycine C [50-07-7] (1987)
Monocrotaline [315-22-0] (1987)
5-(Morpholinométhyl)-3-[(5-nitrofurfurylidène)amino]-2- oxazolidinone [3795-88-8] (1987)
Moutarde duracile [66-75-1] (1987)
Nafénopine [3771-19-5] (1987)
Nickel (métal) [7440-02-0] (1990)
Niridazole [61-57-4] (1987)
5-Nitroacénaphthène [602-87-9] (1987)
2-Nitroanisole [91-23-6] (1996)
Nitrobenzène [98-95-3] (1996)
6-Nitrochrysène [7496-02-8] (1989)
Nitrofène [1836-75-5] (qualité technique) (1987)
2-Nitrofluorène [607-57-8] (1989)
1-[(5-Nitrofurfurylidène)amino]-2-imidazolidinone [555-84-0] (1987)
N-[4-(5-Nitro-2-furyl)-2-thiazolyl]acétamide [531-82-8] (1987)
2-Nitropropane [79-46-9] (1999)
1-Nitropyrène [5522-43-0] (1989)
4-Nitropyrène [57835-92-4] (1989)
N-Nitrosodi-n-butylamine [924-16-3] (1987)
N-Nitrosodiéthanolamine [1116-54-7] (1987)
N-Nitrosodi-n-propylamine [621-64-7] (1987)
3-(N-Nitrosométhylamino)propionitrile [60153-49-3] (1987)
4-(N-Nitrosométhylamino)-1-(3-pyridyl)-1-butanone (NNK) [64091-91-4] (1987)
N-Nitrosométhyléthylamine [10595-95-6] (1987)
N-Nitrosométhylvinylamine [4549-40-0] (1987)
N-Nitrosomorpholine [59-89-2] (1987)
N´-Nitrosonornicotine [16543-55-8] (1987)
N-Nitrosopipéridine [100-75-4] (1987)
N-Nitrosopyrrolidine [930-55-2] (1987)
N-Nitrososarcosine [13256-22-9] (1987)
Noir de carbone [1333-86-4] (1996)
Ochratoxine A [303-47-9] (1993)
Orangé huileux SS [2646-17-5] (1987)
Oxazépam [604-75-1] (1996)
N-Oxyde de moutarde azotée [126-85-2] (1987)
Oxyde de propylène [75-56-9] (1994)
Palygorskite (attapulgite) [12174-11-7] (fibres longues (> 5 µm) (1997)
Panfuran-S [794-93-4] (contenant de la dihydroxyméthyl- furatrizine) (1987)
Phénobarbital [50-06-6] (1987)
Phénylglycidyléther [122-60-1] (1999)
o-Phénylphénate de sodium [132-27-4] (1999)
Phénytoïne [57-41-0] (1996)
PhIP (2-Amino-1-méthyl-6-phénylimidazo[4,5-b]pyridine) [105650-23-5] (1993)
Phtalate de di(2-éthylhexyle) [117-81-7] (1987)
Plomb [7439-92-1] et dérivés inorganiques du plomb (1987)3
Polychlorophénols et leurs sels de sodium (expositions mixtes) (1999)
Ponceau MX [3761-53-3] (1987)
Ponceau 3R [3564-09-8] (1987)
Progestatifs (1987)
1,3-Propanesultone [1120-71-4] (1999)
β-Propiolactone [57-57-8] (1999)
Propylthiouracile [51-52-5] (1987)
Rouge acide CI-114 [6459-94-5] (1993)
Rouge basique CI-9 [569-61-9] (1993)
Rouge citrus 2 [6358-53-8] (1987)
Safrole [94-59-7] (1987)
Schistosoma japonicum (infestation) (1994)
Stérigmatocystine [10048-13-2] (1987)
Streptozotocine [18883-66-4] (1987)
Styrène [100-42-5] (1994)8
Sulfallate [95-06-7] (1987)
Sulfate de diisopropyle [2973-10-6] (1999)
Tétrachloroisophtalonitrile (Chlorothalonil) [1897-45-6] (1999)
Tétrachlorure de carbone [56-23-5] (1999)
Tétrafluoroéthylène [116-14-3] (1999)
Tétranitrométhane [509-14-8] (1996)
Thérapie strogéno-progestative de substitution (1999)
Thioacétamide [62-55-5] (1987)
4,4´-Thiodianiline [139-65-1] (1987)
Thiourée [62-56-6] (1987)
o-Toluidine [95-53-4] (1987)
Toxines dérivées du Fusarium moniliforme (1993)
Trichlorométhine (Chlorhydrate de trimustine) [817-09-4] (1990)
Trioxyde dantimoine [1309-64-4] (1989)
Trp-P-1 (3-Amino-1,4-diméthyl-5H-pyrido[4,3-b]indole) [62450-06-0] (1987)
Trp-P-2 (3-Amino-1-méthyl-5H-pyrido[4,3-b]indole) [62450-07-1] (1987)
Uréthane [51-79-6] (1987)
4-Vinylcyclohexène [100-40-3] (1994)
4-Vinylcyclohexène diépoxyde [106-87-6] (1994)
Violet de benzyle 4B [1694-09-3] (1987)
Virus de limmunodéficience humaine (VIH) de type 2 (infection) (1996)
Virus du papillome humain (VPH) autres que les types 16, 18, 31 et 33 (1995)
Biphényles polybromés [Firemaster BP-6, 59536-65-1] (1987)
Bitumes [8052-42-4], extraits, raffinés à la vapeur et raffinés à lair (1987)
Café (vessie urinaire) (1991)9
Carburants diesel marins (1989)8
Carrageenan [9000-07-1] dégradé (1987)
Essence (1989)8
Fuel résiduel (lourd) (1989)
Fumées de soudage (1990)
Gaz déchappement de moteur, essence (1989)
Légumes au vinaigre (condiment asiatique traditionnel) (1993)
Paraffines chlorées dont la longueur moyenne de la chaîne carbonée est de C12 et le taux moyen de chloration de 60% environ (1990)
Toxaphène (camphènes polychlorés) [8001-35-2] (1987)
Charpenterie et menuiserie (1987)
Industrie textile (fabrication) (exposition professionnelle) (1990)
Nettoyage à sec (exposition professionnelle) (1995)
Procédés dimpression (exposition professionnelle) (1996)
Acétate de benzyle [140-11-4] (1999)
Acide acrylique [79-10-7] (1999)
p-Acide aminobenzoïque (4-Acide aminobenzoïque) [150-13-0] (1987)
Acide 11-aminoundécanoïque [2432-99-7] (1987)
Acide anthranilique [118-92-3] (1987)
Acide chlorhydrique [7647-01-0] (1992)
Acide dichloroacétique [79-43-6] (1995)
Acide cis-9,10-époxystéarique [2443-39-2] (1999)
N-Acide nitrosofolique [29291-35-8] (1987)
Acide parasorbique [10048-32-5] (1987)
Acide pénicillique [90-65-3] (1987)
Acide polyacrylique [9003-01-4] (1987)
Acide shikimique [138-59-0] (1987)
Acide tannique [1401-55-4] et tanins (1987)
Acide trichloroacétique [76-03-9] (1995)
Acroléine [107-02-8] (1995)
Acrylate de n-butyle [141-32-2] (1999)
Acrylate de 2-éthylhexyle [103-11-7] (1994)
Acrylate de méthyle [96-33-3] (1999)
Actinomycine D [50-76-0] (1987)
Agaritine [2757-90-6] (1987)
Aldicarb [116-06-3] (1991)
Aldrine [309-00-2] (1987)
Amarante [915-67-3] (1987)
5-Aminoacénaphtène [4657-93-6] (1987)
2-Aminoanthraquinone [117-79-3] (1987)
1-Amino-2-méthylanthraquinone [82-28-0] (1987)
2-Amino-4-nitrophénol [99-57-0] (1993)
2-Amino-5-nitrophénol [121-88-0] (1993)
4-Amino-2-nitrophénol [119-34-6] (1987)
2-Amino-5-nitrothiazole [121-66-4] (1987)
Ampicilline [69-53-4] (1990)
Anesthésiques volatils (1987)
Angélicine [523-50-2] et exposition aux rayonnements ultraviolets A (1987)
Anhydride succinique [108-30-5] (1987)
Aniline [62-53-3] (1987)
p-Anisidine [104-94-9] (1987)
Anthanthrène [191-26-4] (1987)
Anthracène [120-12-7] (1987)
Anthranilate de cinnamyle [87-29-6] (1987)
Apholate [52-46-0] (1987)
Atrazine [1912-24-9] (1999)11
Aurothioglucose [12192-57-3] (1987)
2-(1-Aziridinyl)éthanol [1072-52-2] (1987)
Aziridylbenzoquinone [800-24-8] (1987)
Azobenzène [103-33-3] (1987)
Benzo[a]acridine [225-11-6] (1987)
Benzo[c]acridine [225-51-4] (1987)
Benzo[ghi]fluoranthène [203-12-3] (1987)
Benzo[a]fluorène [238-84-6] (1987)
Benzo[b]fluorène [243-17-4] (1987)
Benzo[c]fluorène [205-12-9] (1987)
Benzo[ghi]pérylène [191-24-2] (1987)
Benzo[c]phénanthrène [195-19-7] (1987)
Benzo[e]pyrène [192-97-2] (1987)
1,4-Benzoquinone-dioxine [105-11-3] (1999)
Bis(2-chloro-1-méthyléthyl)éther [108-60-1] (1999)
Bis(2-chloroéthyl)éther [111-44-4] (1999)
1,2-Bis-(chlorométhoxy)éthane [13483-18-6] (1999)
1,4-Bis-(chlorométhoxyméthyl)benzène [56894-91-8] (1999)
Bis-(2,3-époxycyclopentyl)éther [2386-90-5] (1999)
Bisulfites (1992)
Bleu brillant FCF (sel disodique) [3844-45-9] (1987)
Bleu Evans [314-13-6] (1987)
Bleu HC 2 [33229-34-4] (1993)
Bleu VRS [129-17-9] (1987)
Bromochloroacétonitrile [83463-62-1] (1999)
Bromoéthane [74-96-4] (1999)
Bromoforme [75-25-2] (1999)
Bromure de méthyle [74-83-9] (1999)
Brun Soudan RR [6416-57-5] (1987)
Butoxyde de pipéronyle [51-03-6] (1987)
γ-Butyrolactone [96-48-0] (1999)
Caféine [58-08-2] (1991)
Cantharidine [56-25-7] (1987)
Captan [133-06-2] (1987)
Carbamate de méthyle [598-55-0] (1987)
Carbaryle [63-25-2] (1987)
Carbazole [86-74-8] (1999)
3-Carbéthoxypsoralène [20073-24-9] (1987)
Carmoisine [3567-69-9] (1987)
Carrageenan naturel [9000-07-1] (1987)
Chloral [75-87-6] (1995)
Chlordiméform [6164-98-3] (1987)
Chlorhydrate de pronétalol [51-02-5] (1987)
Chlorhydrate de semicarbazide [563-41-7] (1987)
Chlorite de sodium [7758-19-2] (1991)
Chloroacétonitrile [107-14-2] (1999)
Chlorodibromométhane [124-48-1] (1999)
Chlorodifluorométhane [75-45-6] (1999)
Chloroéthane [75-00-3] (1999)
Chlorofluorométhane [593-70-4] (1999)
3-Chloro-2-méthylpropylène [563-47-3] (1995)
Chloronitrobenzènes (mélange disomères) [88-73-3; 121-73-3; 100-00-5] (1996)
4-Chloro-m-phénylènediamine [5131-60-2] (1987)
Chloropropham [101-21-3] (1987)
Chloroquine [54-05-7] (1987)
2-Chloro-1,1,1-trifluoroéthane [75-88-7] (1999)
Chlorure dacriflavinium [8018-07-3] (1987)
Chlorure dallyle [107-05-1] (1999)
Chlorure de méthyle [74-87-3] (1999)
Chlorure de vinylidène [75-35-4] (1999)
Cholestérol [57-88-5] (1987)
Chrome métallique [7440-47-3] (1990)
Chrysène [218-01-9] (1987)
Chrysoïdine [532-82-1] (1987)
Cimétidine [51481-61-9] (1990)
Citrate de clomiphène [50-41-9] (1987)
Citrinine [518-75-2] (1987)
Clofibrate [637-07-0] (1996)
Complexe fer-dextrine [9004-51-7] (1987)
Complexe-fer-sorbitol-acide citrique [1338-16-5] (1987)
Composés du chrome III (1990)
Composés organiques du plomb [75-74-1], [78-00-2] (1987)
Copolymères acrylonitrile-butadiène-styrène (1987)
Copolymères chlorure de vinyle-acétate de vinyle [9003-22-9] (1987)
Copolymères chlorure de vinylidène-chlorure de vinyle [9011-06-7] (1987)
Copolymères styrène-acrylonitrile [9003-54-7] (1987)
Copolymères styrène-1,3-butadiène [9003-55-8] (1987)
Coronène [191-07-1] (1987)
Coumarine [91-64-5] (1987)
m-Crésidine [102-50-1] (1987)
Crotonaldéhyde [4170-30-3] (1995)
Cyclamates [cyclamate de sodium, 139-05-9] (1999)
Cyclochlorotine [12663-46-6] (1987)
Cyclohexanone [108-94-1] (1999)
Cyclopenta[cd]pyrène [27208-37-3] (1987)
Dapsone [80-08-0] (1987)
Deltaméthrine [52918-63-5] (1991)
Diacétylaminoazotoluène [83-63-6] (1987)
Diallate [2303-16-4] (1987)
1,5-Diaminonaphtalène [2243-62-1] (1987)
1,2-Diamino-4-nitrobenzène [99-56-9] (1987)
1,4-Diamino-2-nitrobenzène [5307-14-2] (1993)
2,5-Diaminotoluène [95-70-5] (1987)
Diazépam [439-14-5] (1996)
Diazométhane [334-88-3] (1987)
Dibenzo[a,c]anthracène [215-58-7] (1987)
Dibenzo[a,j]anthracène [224-41-9] (1987)
Dibenzo-p-dioxine (1997)
Dibenzo-p-dioxines polychlorées (autres que 2,3,7,8-tétra-chlorodibenzo-p-dioxine) (1997)
Dibenzo[a,e]fluoranthène [5385-75-1] (1987)
Dibenzofuranes polychlorés (1997)
Dibenzo[h,rst]pentaphène [192-47-2] (1987)
Dibromoacétonitrile [3252-43-5] (1999)
Dichlorhydrate de mannomustine [551-74-6] (1987)
Dichloroacétonitrile [3018-12-0] (1999)
Dichloroacétylène [7572-29-4] (1999)
1,2-Dichlorobenzène [95-50-1] (1999)
1,3-Dichlorobenzène [541-73-1] (1999)
4,4´-Dichlorobenzilate déthyle (Chlorobenzilate) [510-15-6] (1987)
trans-1,4-Dichloro-2-butène [110-57-6] (1999)
2,6-Dichloro-p-phénylènediamine [609-20-1] (1987)
1,2-Dichloropropane [78-87-5] (1999)
Dicofol [115-32-2] (1987)
Dieldrine [60-57-1] (1987)
Diéthyldithiocarbamate de sélénium [5456-28-0] (1987)
Diéthyldithiocarbamate de sodium [148-18-5] (1987)
Diéthyldithiocarbamate de tellure [20941-65-5] (1987)
Di(2-éthylhexyle)adipate [103-23-1] (1987)
Diglycidyléther du bisphénol A (Araldite®) [1675-54-3] (1999)
Dihydroxyméthylfuratrizine [794-93-4] (1987)
Diméthoxane [828-00-2] (1987)
3,3´-Diméthoxybenzidine-4-4´-diisocyanate [91-93-0] (1987)
p-Diméthylaminoazobenzènediazosulfonate de sodium [140-56-7] (1987)
4,4´-Diméthylangélicine [22975-76-4] et exposition aux rayonnements ultraviolets A (1987)
4,5´-Diméthylangélicine [4063-41-6] et exposition aux rayonnements ultraviolets A (1987)
N,N-Diméthylaniline [121-69-7] (1993)
Diméthyldithiocarbamate de sélénium [144-34-3] (1987)
Diméthylformamide [68-12-2] (1999)
1,4-Diméthylphénanthrène [22349-59-3] (1987)
1,3-Dinitropyrène [75321-20-9] (1989)
Dinitrosopentaméthylènetétramine [101-25-7] (1987)
3,5-Dinitrotoluène [618-85-9] (1996)
Dioxyde de soufre [7446-09-5] (1992)
Dioxyde de titane [13463-67-7] (1989)
2,4´-Diphényldiamine [492-17-1] (1987)
Disulfiram [97-77-8] (1987)
Dithranol [1143-38-0] (1987)
Doxéfazépam [40762-15-0] (1996)
Droloxifène [82413-20-5] (1996)
Dulcine [150-69-6] (1987)
Eau potable chlorée (1991)
Eclairage fluorescent (1992)
Endrine [72-20-8] (1987)
Eosine [15086-94-9] (1987)
Epithioéthane [420-12-2] (1987)
3,4-Epoxy-6-méthylcyclohexylméthyl-3,4-époxy-6-méthyl-cyclohexane carboxylate [141-37-7] (1999)
Estazolam [29975-16-4] (1996)
Ethionamide [536-33-4] (1987)
Ethylène [74-85-1] (1994)
Eugénol [97-53-0] (1987)
Fenvalérate [51630-58-1] (1991)
Ferbam [14484-64-1] (1987)
Fibres acryliques (1987)
Fibres modacryliques (1987)
Fibrilles de p-aramide [24938-64-5] (1997)
Filaments de verre (1988)
Fluométuron [2164-17-2] (1987)
Fluoranthène [206-44-0] (1987)
Fluorène [86-73-7] (1987)
5-Fluorouracile [51-21-8] (1987)
Fluorure de vinylidène [75-38-7] (1999)
Fluorures (inorganiques, utilisés dans leau potable) (1987)
Furazolidone [67-45-8] (1987)
Furfural [98-01-1] (1995)
Furosémide (Frusémide) [54-31-9] (1990)
Gemfibrozil [25812-30-0] (1996)
Gyromitrine [16568-02-8] (1987)
Hématite [1317-60-8] (1987)
Hexachlorobutadiène [87-68-3] (1999)
Hexachlorophène [70-30-4] (1987)
Huiles isopropyliques (1999)
Hydralazine [86-54-4] (1987)
Hydrate de chloral [302-17-0] (1995)
Hydrazide de lacide isonicotinique (Isoniazide) [54-85-3] (1987)
Hydrazide maléique [123-33-1] (1987)
Hydrochlorothiazide [58-93-5] (1990)
Hydroquinone [123-31-9] (1999)
4-Hydroxyazobenzène [1689-82-3] (1987)
8-Hydroxyquinoléine [148-24-3] (1987)
8-Hydroxyquinoléine de cuivre [10380-28-6] (1987)
Hydroxysenkirkine [26782-43-4] (1987)
Hydroxytoluène butylé (BHT) [128-37-0] (1987)
Hypochlorites (1991)
Iodure de méthyle [74-88-4] (1999)
Isatidine [15503-86-3] (1987)
Isocyanate dallyle [57-06-7] (1999)
Isophosphamide [3778-73-2] (1987)
Isopropanol [67-63-0] (1999)
Isosafrol [120-58-1] (1987)
Isothiocyanate dallyle [57-06-7] (1999)
Isovalérate dallyle [2835-39-4] (1999)
Jacobine [6870-67-3] (1987)
Jaune AB [85-84-7] (1987)
Jaune dispersé 3 [2832-40-8] (1990)
Jaune HC 4 [59820-43-8] (1993)
Jaune OB [131-79-3] (1987)
Jaune Sunset FCF [2783-94-0] (1987)
Jaune Vat 4 [128-66-5] (1990)
Kaempférol [520-18-3] (1987)
d-Limonène [5989-27-5] (1999)10
Lutéoskyrine [21884-44-6] (1987)
Malathion [121-75-5] (1987)
Malonaldéhyde [542-78-9] (1999)
Manèbe [12427-38-2] (1987)
Medphalane [13045-94-8] (1987)
Mélamine [108-78-1] (1999)10
6-Mercaptopurine [50-44-2] (1987)
Mercure [7439-97-6] et composés du mercure inorganique (1993)
Mésylate dhycanthone [23255-93-8] (1987)
Métabisulfites (1992)
Méthacrylate de méthyle [80-62-6] (1994)
Méthotrexate [59-05-2] (1987)
Méthoxychlore [72-43-5] (1987)
5-Méthylangélicine [73459-03-7] et exposition aux rayonnements ultraviolets A (1987)
Méthyl-tert-butyléther [1634-04-4] (1999)
1-Méthylchrysène [3351-28-8] (1987)
2-Méthylchrysène [3351-32-4] (1987)
3-Méthylchrysène [3351-31-3] (1987)
4-Méthylchrysène [3351-30-2] (1987)
6-Méthylchrysène [1705-85-7] (1987)
N-Méthyl-N,4-dinitrosoaniline [99-80-9] (1987)
4,4´-Méthylènebis (N,N-diméthylaniline) [101-61-1] (1987)
4-4´-Méthylènediphényl diisocyanate [101-68-8] (1999)
2-Méthylfluoranthène [33543-31-6] (1987)
3-Méthylfluoranthène [1706-01-0] (1987)
Méthylglyoxal [78-98-8] (1991)
N-Méthylolacrylamide [90456-67-0] (1994)
Méthylparathion [298-00-0] (1987)
1-Méthylphénanthrène [832-69-9] (1987)
7-Méthylpirido[3,4-c]psoralène [85878-63-3] (1987)
Monuron [150-68-5] (1991)
Morpholine [110-91-8] (1999)
Mousses de polyuréthane [9009-54-5] (1987)
Moutarde dstradiol [22966-79-6] (1987)
Musc ambrette [83-66-9] (1996)
Musc xylène [81-15-2] (1996)
1,5-Naphtalène diisocyanate [3173-72-6] (1999)
1-Naphtylamine [134-32-7] (1987)
1-Naphtylthiourée (ANTU) [86-88-4] (1987)
Nithiazide [139-94-6] (1987)
5-Nitro-o-anisidine [99-59-2] (1987)
9-Nitroanthracène [602-60-8] (1987)
7-Nitrobenzo[a]anthracène [20268-51-3] (1989)
6-Nitrobenzo[a]pyrène [63041-90-7] (1989)
4-Nitrobiphényle [92-93-3] (1987)
3-Nitrofluoranthène [892-21-7] (1987)
Nitrofural (Nitrofurazone) [59-87-0] (1990)
Nitrofurantoïne [67-20-9] (1990)
1-Nitronaphtalène [86-57-7] (1989)
2-Nitronaphtalène [581-89-5] (1989)
3-Nitropérylène [20589-63-3] (1989)
2-Nitropyrène [789-07-1] (1989)
N´-Nitrosoanabasine [37620-20-5] (1987)
N-Nitrosoanatabine [71267-22-6] (1987)
N-Nitrosodiphénylamine [86-30-6] (1987)
p-Nitrosodiphénylamine [156-10-5] (1987)
N-Nitrosoguvacine [55557-01-2] (1987)
N-Nitrosoguvacoline [55557-02-3] (1987)
N-Nitrosohydroxyproline [30310-80-6] (1987)
3-(N-Nitrosométhylamino)propionaldéhyde [85502-23-4] (1987)
4-(N-Nitrosométhylamino)-4-(3-pyridyl)-1-butanal (NNA) [64091-90-3] (1987)
N-Nitrosoproline [7519-36-0] (1987)
Nitrotoluènes (mélange disomères) [88-72-2; 99-08-1; 99-99-0] (1996)
5-Nitro-o-toluidine [99-55-8] (1990)
Nitrovine [804-36-4] (1987)
Nylon 6 [25038-54-4] (1987)
Oléate de glycidyle [5431-33-4] (1987)
Opisthorchis felineus (infection) (1994)
Orangé acide CI-3 [6373-74-6] (1993)
Orangé dacridine [494-38-2] (1987)
Orangé G [1936-15-8] (1987)
Orangé I [523-44-4] (1987)
Oxyde de décabromodiphényle [1163-19-5] (1999)
Oxyde de fer saccharique [8047-67-4] (1987)
Oxyde de tris(1-aziridinyl)phosphine [545-55-1] (1987)
Oxyde de tris(2-méthyl-1-aziridinyl)phosphine [57-39-6] (1987)
Oxyde ferrique (III) [1309-37-1] (1987)
Oxyphenbutazone [129-20-4] (1987)
Palygorskite (attapulgite) [12174-11-7] (fibres courtes, < 5 µm) (1997)
Paracétamol (Acétaminophène) [103-90-2] (1999)
Parathion [56-38-2] (1987)
Patuline [149-29-1] (1987)
Pentachloroéthane [76-01-7] (1999)
Perméthrine [52645-53-1] (1991)
Peroxyde de benzoyle [94-36-0] (1999)
Peroxyde de lauroyle [105-74-8] (1999)
Peroxyde dhydrogène [7722-84-1] (1999)
Pérylène [198-55-0] (1987)
Pétasiténine [60102-37-6] (1987)
Phénanthrène [85-01-8] (1987)
Phénicarbazide [103-03-7] (1987)
Phénol [108-95-2] (1999)
Phénylbutazone [50-33-9] (1987)
m-Phénylènediamine [108-45-2] (1987)
p-Phénylènediamine [106-50-3] (1987)
N-Phényl-2-naphtylamine [135-88-6] (1987)
o-Phénylphénol [90-43-7] (1999)
Phosphate de tris(2-chloréthyle) [115-96-8] (1999)
Phosphite acide de diméthyle [868-85-9] (1999)
Phtalate de butylbenzyle [85-68-7] (1999)
Picloram [1918-02-1] (1991)
Pirido [3,4-c]psoralène [85878-62-2] (1987)
Poly(acétate de vinyle) [9003-20-7] (1987)
Poly(alcool vinylique) [9002-89-5] (1987)
Polychloroprène [9010-98-4] (1987)
Poly(chlorure de vinyle) [9002-86-2] (1987)
Polyéthène [9002-88-4] (1987)
Poly(méthacrylate de méthyle) [9011-14-7] (1987)
Polyméthylène polyphényle isocyanate [9016-87-9] (1987)
Polypropylène [9003-07-0] (1987)
Polystyrène [9003-53-6] (1987)
Polytétrafluoroéthylène [9002-84-0] (1987)
Polyvinylpyrrolidone [9003-39-8] (1999)
Ponceau SX [4548-53-2] (1987)
Potassium bis(2-hydroxyéthyle)dithiocarbamate [23746-34-1] (1987)
Poussières de charbon (1997)
Prazépam [2955-38-6] (1996)
Prednimustine [29069-24-7] (1990)
Prednisone [53-03-2] (1987)
Propham [122-42-9] (1987)
n-Propyle carbamate [627-12-3] (1987)
Propylène [115-07-1] (1994)
Ptaquiloside [87625-62-5] (1987)
Pyrène [129-00-0] (1987)
Pyriméthamine [58-14-0] (1987)
Quercétine [117-39-5] (1999)
p-Quinone [106-51-4] (1999)
Quintozène (Pentachloronitrobenzène) [82-68-8] (1987)
Réserpine [50-55-5] (1987)
Résorcinol [108-46-3] (1999)
Rétrorsine [480-54-6] (1987)
Rhodamine B [81-88-9] (1987)
Rhodamine 6G [989-38-8] (1987)
Riddelliine [23246-96-0] (1987)
Rifampicine [13292-46-1] (1987)
Ripazépam [26308-28-1] (1996)
Rouge D et C 9 [5160-02-1] (1993)
Rouge de méthyle [493-52-7] (1987)
Rouge écarlate [85-83-6] (1987)
Rouge HC 3 [2871-01-4] (1993)
Rouge pigment CI-3 [2425-85-6] (1993)
Rouge Soudan 7B [6368-72-5] (1987)
Rugulosine [23537-16-8] (1987)
Saccharine [81-07-2] et ses sels (1999)11
Schistosoma mansoni (infection) (1994)
Sélénium [7782-49-2] et composés du sélénium (1987)
Sels de proflavine (1987)
Sels de tétrakis (hydroxyméthyl) phosphonium (1999)
Sénéciphylline [480-81-9] (1987)
Senkirkine [2318-18-5] (1987)
Sépiolite [15501-74-3] (1997)
Silice amorphe [7631-86-9] (1997)
Simazine [122-34-9] (1999)
Soudan I [842-07-9] (1987)
Soudan II [3118-97-6] (1987)
Soudan III [85-86-9] (1987)
Spironolactone [52-01-7] (1987)
Stéarate de glycidyle [7460-84-6] (1987)
Sulfafurazole (Sulfisoxazole) [127-69-5] (1987)
Sulfaméthoxazole [723-46-6] (1987)
Sulfate de phénelzine [156-51-4] (1987)
Sulfate de vinblastine [143-67-9] (1987)
Sulfate de vincristine [2068-78-2] (1987)
Sulfites (1992)
Sulfure de bis(1-aziridinyl)morpholinophosphine [2168-68-5] (1987)
Symphytine [22571-95-5] (1987)
Talc [14807-96-6] sans fibres asbestiformes (1987)
Témazépam [846-50-4] (1996)
2,2´ ,5,5´-Tétrachlorobenzidine [15721-02-5] (1987)
1,1,1,2-Tétrachloroéthane [630-20-6] (1999)
1,1,2,2-Tétrachloroéthane [79-34-5] (1999)
Tétrachlorvinphos [22248-79-9] (1987)
Théobromine [83-67-0] (1991)
Théophylline [58-55-9] (1991)
Thiouracile [141-90-2] (1987)
Thiram [137-26-8] (1991)
Toluène [108-88-3] (1999)
Torémifène [89778-26-7] (1996)
Toxines dérivées du Fusarium graminearum, du F. culmorum et du F. crookwellense (1993)
Toxines dérivées du Fusarium sporotrichioides (1993)
Trichlorfon [52-68-6] (1987)
Trichloroacétonitrile [545-06-2] (1999)
1,1,1-Trichloroéthane [71-55-6] (1999)
1,1,2-Trichloroéthane [79-00-5] (1999)
Triéthylèneglycol diglydicyléther [1954-28-5] (1999)
Trifluraline [1582-09-8] (1991)
4,4´,6-Triméthylangélicine [90370-29-9] et exposition aux rayonnements ultraviolets A (1987)
2,4,5-Triméthylaniline [137-17-7] (1987)
2,4,6-Triméthylaniline [88-05-1] (1987)
4,5´ ,8-Triméthylpsoralène [3902-71-4] (1987)
2,4,6-Trinitrotoluène [118-96-7] (1996)
Triphénylène [217-59-4] (1987)
Tris(aziridinyl)-p-benzoquinone (Triaziquone) [68-76-8] (1987)
2,4,6-Tris(1-aziridinyl)-s-triazine [51-18-3] (1987)
1,2,3-Tris-(chlorométhoxy)propane [38571-73-2] (1999)
Trisulfure dantimoine [1345-04-6] (1989)
Vert Guinée B [4680-78-8] (1987)
Vert intense FCF [2353-45-9] (1987)
Vert lumière SF [5141-20-8] (1987)
N-Vinyl-2-pyrrolidone [88-12-0] (1999)
Vinyltoluène [25013-15-4] (1994)
Virus de lhépatite D (1994)
Virus humain de la leucémie à cellules T, type II (1996)
Wollastonite [13983-17-0] (1997)
Xylène [1330-20-7] (1999)
2,4-Xylidine [95-68-1] (1987)
2,5-Xylidine [95-78-3] (1987)
Zectrane [315-18-4] (1987)
Zéolites [1318-02-1] autres que érionite (clinoptilolite, phillipsite, mordénite, zéolite non fibreux japonais, zéolites synthétiques) (1997)
Zinèbe [12122-67-7] (1987)
Ziram [137-30-4] (1991)
Bitumes [8052-42-4] raffinés à la vapeur ou à lair, résidus du crackage (1987)
Carburants diesel, distillat (léger) (1989)
Carburéacteur (1989)
Encres dimprimerie (1996)
Fuels, distillat (léger) (1989)
Huiles minérales, hautement raffinées (1987)
Mastication de bétel sans tabac (1987)
Maté (1991)
Pétrole brut [8002-05-9] (1989)
Solvants de pétrole (1989)
Terpènes polychlorés (Strobane®) [8001-50-1] (1987)
Thé (1991)
Articles en cuir (fabrication) (1987)
Bois duvre et bois de sciage (industries) (y compris exploitation du bois) (1987)
Colorants capillaires (usage personnel) (1993)
Papier et de pâte à papier (fabrication) (1987)
Peinture (fabrication) (exposition professionnelle) (1989)
Tannage et traitement du cuir (1987)
Verre ordinaire et verres spéciaux (fabrication) (1993)
Caprolactame [105-60-2] (1998)
1 Lorsqu'il y a lieu, le numéro CAS (Chemical Abstracts Registry) figure entre crochets; l'année indiquée entre parenthèses correspond à l'année de publication de l'évaluation la plus récente (pour plus de détails, consultez la monographie pertinente (publiée en anglais seulement)).
2 Cette évaluation s'applique à l'ensemble du groupe, mais pas nécessairement à chacun des agents du groupe.
3 Evalués en groupe.
4 On dispose également d'indications qui permettent de conclure que ces agents jouent un rôle protecteur contre les cancers de l'ovaire et de l'endomètre.
5 On dispose également d'indications qui permettent de conclure que cet agent réduit le risque de cancer du sein controlatéral.
6 Modification de l'évaluation globale, du groupe 2A au groupe 1, sur la base de données complémentaires relatives à l'évaluation de la cancérogénicité et à ses mécanismes.
7 Modification de l'évaluation globale, du groupe 2B au groupe 2A, sur la base de données complémentaires relatives à l'évaluation de la cancérogénicité et à ses mécanismes.
8 Modifications de l'évaluation globale, du groupe 3 au groupe 2B, sur la base de données complémentaires relatives à l'évaluation de la cancérogénicité et à ses mécanismes.
9 Il existe certaines indications selon lesquelles le risque de cancer du côlon serait inversement proportionnel à la consommation de café; il n'a pas été possible de classer la consommation de café quant à sa cancérogénicité pour d'autres organes.
10 Données complémentaires relatives à l'évaluation de la cancérogénicité et à ses mécanismes prises en complte dans l'évaluation globale.
11 Modification de l'évaluation globale, du groupe 2B au groupe 3 sut la case de données complémentaires relatives à l'évaluation de la cancérogénicité et à ses mécanismes.
Les principes et les méthodes employés pour évaluer le risque que présentent les produits chimiques non cancérogènes sont semblables dans les différentes parties du monde, mais il est frappant de constater combien ces approches sont disparates dans le cas des agents chimiques cancérogènes. Dun pays à lautre, on constate des différences marquées et, dans un même pays, les organismes de réglementation, les comités et les scientifiques spécialisés dans lévaluation du risque appliquent ou recommandent dappliquer des démarches différentes. Lévaluation du risque pour les substances non cancérogènes est une pratique relativement bien établie et assez cohérente, notamment parce que contrairement à ce qui se passe dans le cas des agents cancérogènes on lapplique depuis longtemps et parce quon connaît bien leur toxicité; de plus, les méthodes utilisées et les informations quon en tire font la quasi-unanimité chez les scientifiques et dans lopinion publique et leur inspirent confiance.
Pour pallier les incertitudes dont souffrent les données toxicologiques sur les agents non cancérogènes (obtenues essentiellement à partir dexpériences animales) et permettre leur application à grande échelle à des populations humaines hétérogènes, on a introduit des facteurs de sécurité (appelés aussi coefficients de sécurité). On a ensuite fixé grâce à cette méthode du facteur de sécurité ou dincertitude des valeurs limites recommandées ou obligatoires qui assurent à lêtre humain une exposition dépourvue de danger et qui correspondaient en général à une fraction de la dose dexposition chez lanimal ne comportant aucun effet nocif observable (NOAEL) ou de la plus faible dose (ou première dose) induisant un effet nocif observable (LOAEL). On estimait que tant que lexposition humaine nexcédait pas ces limites recommandées, les substances chimiques dangereuses ne pouvaient avoir deffets nocifs. On applique toujours la même technique, sous une forme plus affinée, pour évaluer le risque toxique de nombreux produits chimiques.
De la fin des années soixante au début des années soixante-dix, les organismes réglementaires, aux Etats-Unis tout dabord, ont été confrontés à un problème de plus en plus préoccupant que de nombreux scientifiques estimaient ne pouvoir résoudre grâce à lapproche basée sur un facteur de sécurité. Ils allaient même jusquà penser que cette technique était inadaptée, pour ne pas dire dangereuse. En effet, il existe des produits chimiques qui, dans des conditions bien précises, font augmenter le risque de cancer chez lhumain ou lanimal. Pour des raisons pratiques, ces substances ont été rattachées aux cancérogènes. De nos jours encore, la définition des produits cancérogènes fait lobjet de débats et de controverses et les avis divergent quant à la façon de les identifier et de les classer; il en est de même pour les mécanismes dinduction du cancer par les produits chimiques.
Ce débat avait débuté bien avant, lorsque les scientifiques ont découvert dans les années quarante que les cancérogènes chimiques déterminent des lésions par un mécanisme biologique dun genre totalement différent des autres formes de toxicité. Partant des principes de la biologie des cancers induits par les rayonnements, ces scientifiques ont avancé lhypothèse de lexistence dun «non-seuil» applicable à la fois aux rayonnements et aux agents chimiques cancérogènes. Pour eux, toute exposition à un agent cancérogène augmente la probabilité (le risque) de développer un cancer, dès lors que le produit atteint sa cible biologique critique, le matériel génétique en particulier, et interagit avec elle.
Parallèlement à ce débat scientifique sur les seuils, on a vu le public se préoccuper chaque jour un peu plus du risque chimique cancérogène et vouloir sans délai se protéger des diverses pathologies rassemblées sous le terme de cancer. Le cancer, avec son caractère insidieux, sa longue période de latence et sa tendance à augmenter dans la population, était considéré par le grand public et par les politiciens comme une affaire sérieuse qui méritait la plus grande attention. Les instances réglementaires se trouvaient donc confrontées à une situation où un grand nombre de personnes, parfois la presque totalité dune population, étaient ou pouvaient être exposées à des concentrations relativement faibles de substances chimiques (dans les produits de consommation, les médicaments, sur le lieu de travail ou encore dans lair, leau, la nourriture et le sol) dont on avait établi le pouvoir cancérogène chez lhumain ou chez lanimal de laboratoire après des expositions à des concentrations relativement élevées.
Ces responsables de la réglementation devaient donc faire face à deux questions fondamentales auxquelles on ne pouvait répondre de manière satisfaisante compte tenu des connaissances scientifiques de lépoque:
Les autorités réglementaires ont admis quil était nécessaire de pouvoir sappuyer sur des hypothèses établies parfois sur des bases scientifiques, mais souvent aussi en labsence de preuve expérimentale. Dans un but de cohérence, des définitions et une série dhypothèses ont donc été élaborées en vue dune application à lensemble des produits cancérogènes.
De nombreux arguments tendent à prouver que la cancérogenèse chimique est un processus à étapes multiples sous la dépendance de lésions génétiques et épigénétiques. Cette théorie est avalisée par bien des membres de la communauté scientifique à travers le monde (Barrett, 1993). On a pris lhabitude de distinguer trois étapes dans le processus de cancérogenèse chimique: linitiation, la promotion et la progression, mais on ne connaît pas le nombre exact des modifications génétiques impliquées dans ce processus.
Linitiation suppose linduction dune modification cellulaire irréversible; pour les cancérogènes génotoxiques, cette modification est toujours assimilée à un événement mutationnel. Theodor Boveri, dont bien des hypothèses et des prédictions se sont révélées exactes par la suite, soupçonnait déjà en 1914 que la mutagenèse était un mécanisme de la cancérogenèse. Du fait que la plus petite quantité dun cancérogène modifiant lADN peut provoquer des mutations irréversibles et autoréplicatives, on estime quil nexiste aucun seuil. La promotion est le processus par lequel une cellule initiée se développe (formation dun clone) grâce à une série de divisions et forme des lésions (pré)néoplasiques. De nombreux débats ont lieu pour savoir si les cellules initiées subissent dautres modifications génétiques au cours de cette phase de transition.
Enfin, lors de létape de progression, l«immortalité» est atteinte et des tumeurs malignes peuvent se développer en induisant une angiogenèse et en échappant aux systèmes de contrôle de lhôte. Cette étape est caractérisée par une croissance invasive et fréquemment par une propagation métastasique de la tumeur. La progression saccompagne dautres modifications génétiques du fait de linstabilité des cellules en prolifération et de la sélection.
On distingue donc trois mécanismes généraux par lesquels une substance peut influencer ce processus cancérogène multiétapes. Un produit chimique peut induire une lésion génétique déterminante, promouvoir ou faciliter lexpansion clonale dune cellule initiée ou encore stimuler la progression vers la malignité par des modifications somatiques ou génétiques.
On peut dire du risque quil sagit de la fréquence de survenue, prévue ou réelle, dun effet nocif pour lhumain ou lenvironnement, par suite de lexposition à un danger. Lévaluation du risque est une méthode dorganisation systématique de linformation scientifique avec ses incertitudes pour décrire et qualifier les risques que des substances, des processus, des actions ou des événements dangereux présentent pour la santé. Elle nécessite une évaluation des informations pertinentes et la sélection de modèles permettant den tirer des conclusions. De plus, elle requiert la prise en considération des incertitudes, tout en gardant à lesprit quune interprétation différente des données disponibles reste plausible du point de vue scientifique. La terminologie utilisée actuellement pour lévaluation du risque a été proposée en 1984 par lAcadémie nationale des sciences des Etats-Unis (NAS). Lévaluation qualitative du risque est devenue la caractérisation ou lidentification du danger, et lévaluation quantitative du risque a été scindée en trois: relation dose-réponse, évaluation de lexposition et caractérisation du risque.
Dans la rubrique suivante, nous abordons ces différents aspects en nous fondant sur nos connaissances actuelles du processus de cancérogenèse (chimique). Il apparaîtra clairement que la principale incertitude pour évaluer un risque cancérogène concerne la relation dose-réponse aux faibles concentrations telles quon les rencontre lors dune exposition environnementale.
Ce processus consiste à rechercher les produits susceptibles de provoquer un cancer chez lhumain ou, si lon veut, à déterminer leurs propriétés génotoxiques intrinsèques. Les agents cancérogènes sont classés sur la base de leurs propriétés et dinformations dorigine diverse et notamment:
Pour identifier un danger, il faut classer les produits chimiques en groupes en se basant sur leur caractère cancérogène chez lanimal, ou sur des données épidémiologiques dans lespèce humaine lorsquelles sont disponibles. Les méthodes de classification des agents chimiques cancérogènes les plus connues sont celles du CIRC (1987), de lUnion européenne (1991) et de lAgence américaine de protection de lenvironnement (EPA) (1986). Le tableau 33.17 résume les critères utilisés pour le classement (en particulier les méthodes dextrapolation aux faibles doses).
|
EPA (Etats-Unis) actuel |
Danemark |
CEE |
Royaume-Uni |
Pays-Bas |
Norvège |
Cancérogène génotoxique |
Processus multiétapes linéarisés utilisant le modèle le plus approprié |
MLE à partir des modèles 1- et 2-étapes avec estimation du meilleur résultat |
Aucune procédure spécifiée |
Aucun modèle, expertise scientifique et jugement à partir de toutes les données valables |
Modèle linéaire utilisant la DT50 (méthode Peto) ou «Méthode néerlandaise simple» en l’absence de DT50 |
Aucune procédure spécifiée |
Cancérogène non génotoxique |
Idem |
Modèle biologique de Thorslund ou modèle multiétapes ou modèle de Mantel-Bryan, basé sur l’origine tumorale et la relation dose-réponse |
Utilisation du NOAEL et de facteurs de sécurité |
Utilisation du NOEL et de facteurs de sécurité pour déterminer la dose journalière admissible |
Utilisation du NOEL et de facteurs de sécurité pour déterminer la dose journalière admissible |
|
La classification des agents cancérogènes soulève un problème important, dont les conséquences sont parfois déterminantes pour la réglementation: celui de la distinction entre les mécanismes daction génotoxiques et non génotoxiques. Lhypothèse par défaut de lEPA aux Etats-Unis est quil nexiste pas de seuil pour les substances ayant une activité cancérogène chez les animaux de laboratoire (ou du moins lexistence dun seuil ne peut être démontrée): quelle que soit lexposition, le risque est toujours présent. Cette position correspond à ce que lon a pris lhabitude dappeler lhypothèse de non-seuil ou dabsence de seuil pour les composés génotoxiques (produisant des lésions de lADN). LUnion européenne et bon nombre de ses Etats membres, comme le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, font une distinction entre les cancérogènes génotoxiques et ceux quon soupçonne de produire des tumeurs par des mécanismes non génotoxiques. Pour les agents cancérogènes génotoxiques, les procédures dévaluation quantitative dose-réponse supposent également labsence de seuil, bien que les procédures diffèrent de celles utilisées par lEPA. Pour les substances non génotoxiques, on suppose quil existe un seuil, et les procédures dose-réponse utilisées en supposent lexistence. Pour ces substances, comme pour les produits non cancérogènes, lévaluation du risque est généralement effectuée en appliquant un facteur de sécurité.
Il est utile de rappeler que les procédures dévaluation du risque ont été développées dans un contexte et un cadre différents. Celles du CIRC nont pas été proposées dans un but réglementaire, bien quon sen soit servi pour établir des lignes directrices à visée réglementaire. La procédure de lEPA a été conçue comme une base de décision pour élaborer une évaluation quantitative du risque, alors que celle de lUnion européenne est utilisée actuellement aux fins de létiquetage des produits chimiques (symbole classe de risque et phrase décrivant le risque). Moolenaar a publié (Moolenaar, 1994) une synthèse bibliographique de toutes les méthodes employées par huit agences gouvernementales et deux organismes indépendants souvent cités: le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et la Conférence américaine des hygiénistes gouvernementaux du travail (ACGIH).
Les procédures de classification ne prennent généralement pas en compte lensemble des éléments négatifs disponibles. Depuis quelques années, on commence à mieux comprendre le mécanisme daction des cancérogènes. On sait maintenant que certains de ces mécanismes sont spécifiques à des espèces particulières et ne se retrouvent pas chez lêtre humain. Il faut citer ici deux exemples pour illustrer le propos. Premièrement, des études récentes sur le pouvoir cancérogène des particules de carburant diesel ont montré que le rat développe des tumeurs pulmonaires en réponse à laccumulation de ces particules dans les poumons, alors quon na jamais observé de cancer pulmonaire chez les mineurs de charbon ayant une charge importante à ce niveau. Deuxièmement, les tumeurs rénales observées chez le rat mâle ne sont pas considérées comme pertinentes du fait quelles résultent de laccumulation rénale de lα-2 microglobuline, protéine qui nexiste pas dans lespèce humaine (Borghoff, Short et Swenberg, 1990). Dautres exemples de ce type peuvent être mentionnés: perturbations de la fonction thyroïdienne ou de la prolifération des peroxysomes chez les rongeurs, ou anomalies de la mitose au niveau hépatique chez la souris.
Ces notions permettent une interprétation plus perspicace des études de cancérogenèse. On doit encourager les recherches conduisant à une meilleure compréhension des mécanismes daction de la cancérogenèse, car elles permettront daméliorer la classification des produits et dajouter une catégorie où pourront être classés les produits chimiques non cancérogènes pour lhumain.
Dans lévaluation de lexposition, on considère souvent que lévaluation du risque est le facteur le moins incertain pour deux raisons: parce quil est possible dans certains cas de contrôler les expositions et parce quil existe des modèles dexposition assez bien validés. Ce nest vrai quen partie puisque la plupart des évaluations dexposition ne tirent pas suffisamment parti de lensemble des informations disponibles. Il reste donc encore beaucoup à faire pour améliorer lévaluation de lexposition, quelle soit externe ou interne. Dans le cas des agents cancérogènes, en particulier, létablissement des relations dose-réponse à partir des concentrations atteintes au niveau des cibles tissulaires plutôt quà partir des niveaux dexposition extérieure devrait conduire à une meilleure prévision du risque, bien quon soit alors appelé à faire de nombreuses hypothèses par défaut. Les modèles pharmacocinétiques basés sur la physiologie permettant de déterminer la concentration des métabolites réactifs au niveau des tissus cibles revêtent à cet égard un très grand intérêt.
La dose ou le niveau dexposition responsable dun effet dans une étude chez lanimal et la dose susceptible de produire un effet semblable dans lespèce humaine sont des paramètres essentiels à la caractérisation du risque. Ces paramètres incluent à la fois lévaluation de la relation dose-réponse depuis les doses élevées jusquaux faibles doses et lextrapolation interespèces. Lextrapolation pose un problème de logique: les données sont extrapolées de plusieurs ordres de grandeur au-dessous des taux dexposition expérimentaux au moyen de modèles empiriques qui ne reflètent pas les mécanismes sous-jacents de la cancérogenèse. Cette manière de procéder enfreint donc un principe de base lors de lapplication dun modèle empirique, selon lequel on ne doit pas extrapoler en dehors de la gamme des données observées. Par conséquent, cette extrapolation empirique entraîne un degré dincertitude important, tant du point de vue statistique que du point de vue biologique. Actuellement, aucun modèle mathématique nest reconnu comme étant le plus adapté à lextrapolation aux faibles doses en cancérogenèse. Les modèles mathématiques utilisés pour définir la relation existant entre la dose externe administrée, le temps et la survenue dune tumeur sont basés sur des hypothèses probabilistes ou mécanistiques, parfois sur les deux. On trouve au tableau 33.18 une liste des modèles les plus fréquemment cités (Kramer et coll., 1995).
Modèles probabilistes |
Modèles mécanistiques |
|
|
Modèles par atteintes |
Modèles biologiques |
Logit |
Modèle monoatteinte |
Modèles temps/tumeur (MVK)1 |
Probit |
Modèle atteintes multiples |
Cohen et Ellwein |
Mantel-Bryan |
Weibull (Pike)1 |
|
Weibull |
Modèle étapes multiples (Armitage-Doll)1 |
|
Modèle Gamma atteintes multiples |
Modèle multiétapes linéarisé |
|
1 MVK = Moolgavkar-Venzon-Knudson.
Ces modèles dose-réponse sont en général appliqués à des études de cancérogenèse effectuées selon un protocole standard comportant un nombre limité de doses expérimentales. Au lieu détablir la courbe dose-réponse complète, une étude du pouvoir cancérogène est en général limitée à trois (ou deux) doses relativement fortes, la dose la plus élevée correspondant à la dose maximale admissible. Lutilisation de fortes doses permet de surmonter la faible sensibilité statistique (10 à 15% au-dessus du bruit de fond) inhérente à de telles études, due (notamment pour des raisons pratiques) au nombre relativement restreint danimaux utilisés. Etant donné labsence de résultats dans la zone des faibles doses (ils ne sont pas déterminés expérimentalement), il est nécessaire dextrapoler au-delà de la gamme dobservation. Pour la plupart des résultats, les modèles mentionnés ci-dessus conviennent tous bien à la gamme des doses étudiées, en raison du nombre limité de doses et danimaux. Néanmoins, dans la zone des faibles doses, ces modèles divergent de plusieurs ordres de grandeur, ce qui introduit une marge importante dincertitude dans lestimation du risque pour de tels niveaux dexposition.
La forme réelle de la courbe dose-réponse dans la gamme des faibles doses ne pouvant être obtenue expérimentalement, il est indispensable de connaître le mécanisme de la cancérogenèse si lon veut pouvoir choisir à bon escient le modèle qui convient le mieux. Kramer et coll. (1995) et Park et Hawkins (1993) ont effectué des synthèses bibliographiques détaillées sur les divers aspects des modèles dextrapolation mathématiques.
A côté des modèles mathématiques utilisés de nos jours, plusieurs autres approches ont été proposées récemment.
Actuellement, les modèles biologiques tels que le modèle de Moolgavkar-Venzon-Knudson (MVK) sont très prometteurs, mais ils ne sont pas encore suffisamment évolués pour une utilisation en routine et nécessitent des informations spécifiques que ne peuvent fournir les études expérimentales. Des études très poussées (sur 4 000 rats) comme celles réalisées avec les N-nitrosoalkylamines donnent une idée de la dimension des travaux nécessaires au recueil de ces informations. Cependant, ces études ne permettent toujours pas une extrapolation aux faibles doses. Tant que ces modèles ne seront pas plus élaborés, ils ne pourront être utilisés que pour des applications ponctuelles.
Lutilisation de modèles mathématiques pour extrapoler en dessous de la gamme des doses expérimentales est en fait léquivalent dune approche par facteur de sécurité, avec un facteur dincertitude important et mal défini. Lalternative la plus simple serait dappliquer un facteur dévaluation au «niveau sans effet observé» ou au «plus faible niveau testé». Le niveau utilisé pour ce facteur dévaluation devrait être déterminé cas par cas en considérant la nature du produit chimique et la population exposée.
Cette approche, basée sur un modèle mathématique adapté aux données expérimentales à lintérieur de la gamme dobservation, est employé pour estimer ou interpoler une dose correspondant à un niveau donné deffet, tel que 1%, 5% ou 10% daugmentation dincidence tumorale (DE01, DE05, DE10). Une augmentation de 10% correspondant au plus petit changement pouvant être déterminé statistiquement dans une étude expérimentale standard, la DE10 convient donc bien aux données de cancérogenèse. Le fait dutiliser une dose de référence qui se trouve à lintérieur de la gamme dobservation expérimentale évite les problèmes que peut poser lextrapolation de la dose. La dose de référence ou sa limite de confiance inférieure reflètent les doses auxquelles surviennent des changements dincidence tumorale et sont totalement indépendantes du modèle mathématique utilisé. On peut employer la dose de référence comme mesure du potentiel tumoral dans lévaluation du risque et, en lassociant à des facteurs dévaluation appropriés, sen servir pour fixer des niveaux admissibles pour une exposition humaine.
Krewski et coll. (1990) ont effectué une synthèse bibliographique des études sur le seuil de réglementation pour les produits chimiques cancérogènes. Ils ont constaté, à partir des résultats de 585 expériences sur le potentiel cancérogène, que la dose correspondant au niveau de risque 106 a une distribution approximativement log-normale autour dune médiane de 70 à 90 ng/kg/jour. Toute exposition à des doses supérieures doit donc être considérée comme inacceptable. Cette dose est obtenue par extrapolation linéaire à partir de la DT50 (dose toxique pour 50% des animaux traités) et se trouve dans les limites dun facteur de cinq à dix par rapport au résultat que donne le modèle multiétapes linéarisé. Cependant, les valeurs de la TD50 sont reliées à la dose maximale admissible, ce qui jette un doute sur la validité de la mesure. En dépit de cela, la DT50 est souvent très proche ou même à lintérieur de la gamme des données expérimentales.
Avant de pouvoir envisager lutilisation dun tel seuil de réglementation, il serait nécessaire de tenir davantage compte des données biologiques, analytiques et mathématiques et de disposer dune base de données beaucoup plus fournie. Des recherches complémentaires sur le pouvoir de divers agents cancérogènes permettront dapporter un meilleur éclairage dans ce domaine.
Si lon considère les espoirs qui ont été à lorigine de la réglementation sur les produits cancérogènes (de lenvironnement), essentiellement une réduction sensible du nombre de cancers, les résultats sont plutôt décevants. Au fil des ans, on sest aperçu que le nombre des cas de cancers attribués à des cancérogènes réglementés était étonnamment faible. Malgré les efforts de réglementation entrepris dans les années soixante-dix, aucune réduction notoire du taux de mortalité par cancer dorigine environnementale na pu être obtenue, même si lon sen tient aux évaluations les plus modérées. Les procédures de lEPA sont conçues de telle façon que les extrapolations aux faibles doses sont réalisées de la même manière pour tous les produits chimiques quel que soit leur mécanisme cancérogène. Cette approche se démarque nettement de celle des autres agences gouvernementales. Comme nous lavons mentionné, lUnion européenne et plusieurs gouvernements européens lAllemagne, le Danemark, la France, lItalie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, et la Suisse font une distinction entre les cancérogènes qui sont génotoxiques et ceux qui ne le sont pas et envisagent lévaluation du risque différemment dans lun et lautre cas. En général, les cancérogènes non génotoxiques sont traités comme des toxiques à seuil. Des seuils sans effet sont définis et des facteurs de sécurité sont appliqués pour assurer une grande marge de sécurité. Déterminer si un produit chimique doit être considéré ou non comme génotoxique doit faire lobjet dun débat scientifique et requiert le jugement éclairé des experts.
La question fondamentale à laquelle il appartient de répondre est la suivante: quelle est la cause du cancer chez lhumain et quel est le rôle des cancérogènes environnementaux? Les facteurs héréditaires du cancer humain sont beaucoup plus importants quon ne le prévoyait initialement. Si lon veut faire de réels progrès dans lévaluation du risque cancérogène, il importe de mieux comprendre et les causes et les mécanismes du cancer. La recherche sur le cancer entre dans un champ dinvestigation passionnant. La biologie moléculaire peut modifier radicalement nos conceptions sur les cancérogènes environnementaux, ainsi que la manière den assurer le contrôle et la prévention dans le milieu de travail comme dans lenvironnement général. Il faut évaluer le risque cancérogène en étudiant les mécanismes daction, qui sont des concepts totalement nouveaux, en particulier le mécanisme des cancers héréditaires et linteraction des cancérogènes sur ce processus. Cette notion devra être prise en compte dans lévaluation du risque des cancérogènes.