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Chapitre 72 - L'industrie du papier et de la pâte à papier

GÉNÉRALITÉS

Kay Teschke

L’évolution et la structure de l’industrie

On pense que la fabrication du papier a débuté en Chine environ 100 ans avant J.-C. Chiffons, chanvre et herbes servaient de matières premières que l’on battait contre des mortiers en pierre en guise de première technique de séparation des fibres. Malgré la mécanisation qui a suivi, les méthodes de production discontinue et les sources de fibres naturelles sont restées inchangées jusque dans les années mille huit cent. Les premières machines à papier en continu ont été brevetées au début du XIXe siècle. Des méthodes de production de bois à pâte, source de fibres plus abondante que les chiffons et les herbes, ont été mises au point entre 1844 et 1884, et elles comprenaient l’abrasion mécanique ainsi que l’emploi de produits chimiques comme la soude, les sulfites et les sulfates (papier kraft). Ces changements ont été à l’origine des techniques modernes de fabrication de la pâte et du papier.

La figure 72.1 illustre les principales étapes du processus actuellement utilisé pour fabriquer de la pâte et du papier: production de pâte mécanique; production de pâte chimique; recyclage des déchets de papier; fabrication du papier; transformation. Aujourd’hui, l’industrie peut se diviser en deux grands secteurs selon le type de produits fabriqués. De façon générale, la pâte est produite dans de grandes usines situées dans la région d’origine des fibres (le plus souvent une région forestière). La plupart de ces usines produisent aussi du papier — papier journal, papier à lettres, papier pour impression et écriture, papier de soie — ou, parfois, du carton (la figure 72.2 montre une usine qui fabrique de la pâte kraft blanchie, de la pâte thermomécanique et du papier journal). On notera le dépôt de marchandises et le quai pour les expéditions par train, la zone de stockage des copeaux, les transporteurs qui acheminent les copeaux jusqu’au lessiveur, la chaudière de récupération (haut bâtiment blanc) et les bassins de clarification. Les opérations de transformation se déroulent habituellement près des marchés consommateurs et consistent à fabriquer avec de la pâte ou du papier commercial des sacs, du carton, des boîtes, du papier de soie, du papier d’emballage ou de décoration ou des produits industriels.

Figure 72.1 Etapes de la fabrication de pâte et de papier

Figure 72.1

Figure 72.2 Fabrique moderne de pâte et de papier – complexe installé le long d'une
voie d'eau côtière

Figure 72.2

Depuis un certain nombre d’années, ces opérations sont effectuées de plus en plus par de grandes entreprises forestières intégrées. Ces entreprises dominent les marchés de l’abattage du bois (voir chapitre no 68, «La foresterie»), du sciage (voir chapitre no 71, «L’industrie du bois»), de la fabrication de pâte et de papier, ainsi que de la transformation. Ce mode d’organisation permet à l’entreprise d’être alimentée régulièrement en fibres, d’employer utilement les déchets de bois et de trouver des acheteurs, ce qui lui donne le pouvoir, souvent, d’augmenter ses parts de marché. L’intégration va de pair avec une plus forte concentration de l’industrie et une mondialisation du secteur, tandis que les entreprises cherchent à investir dans d’autres pays. La charge financière que représente la construction d’une usine dans cette industrie favorise cette tendance, qui facilite les économies d’échelle. Certaines sociétés réussissent aujourd’hui à produire 10 millions de tonnes par an, ce qui correspond pratiquement à la production des pays les plus productifs. Certaines sont des multinationales qui possèdent des établissements dans une vingtaine de pays, parfois plus. Toutefois, malgré la disparition de nombreuses petites usines et entreprises, l’industrie en compte encore plusieurs centaines. A titre indicatif, les 150 premières entreprises produisent les deux tiers de la pâte et du papier et n’emploient qu’un tiers de la main-d’œuvre du secteur.

L’importance économique

La fabrication de pâte, de papier et de produits dérivés est l’une des principales branches d’activité de l’économie mondiale. Il existe des usines dans plus de 100 pays et dans toutes les régions du monde, qui emploient directement plus de 3,5 millions de personnes. Les principaux pays producteurs de pâte et de papier sont les Etats-Unis, le Canada, le Japon, la Chine, la Finlande, la Suède, l’Allemagne, le Brésil et la France (chacun en a produit plus de 10 millions de tonnes en 1994, comme on le voit au tableau 72.1).

Tableau 72.1 Effectif et production des fabriques de pâte, de papier et de carton
en 1994, dans quelques pays sélectionnés*

Pays*

Effectif

Pâte

Papier et carton

   

Nombre d’usines

Production (en milliers de tonnes)

Nombre d’usines

Production (en milliers de tonnes)

Afrique du Sud

19 000

9

2 165

20

1 684

Allemagne

48 000

19

1 934

222

14 458

Autriche

10 000

11

1 595

28

3 603

Bangladesh

15 000

7

84

17

160

Brésil

70 000

35

6 106

182

5 698

Canada

64 000

39

24 547

117

18 316

Chine

1 500 000

8 000

17 054

10 000

21 354

Espagne

20 180

21

626

141

5 528

Etats-Unis

230 000

190

58 724

534

80 656

Finlande

37 000

43

9 962

44

10 910

France

48 000

20

2 787

146

8 678

Inde

300 000

245

1 400

380

2 300

Italie

26 000

19

535

295

6 689

Japon

55 000

49

10 579

442

28 527

Mexique

26 000

10

276

59

2 860

Pakistan

65 000

2

138

68

235

Pologne**

46 000

5

893

27

1 343

République de Corée

60 000

5

531

136

6 345

République tchèque

18 000

9

516

32

662

Roumanie

25 000

17

202

15

288

Royaume-Uni

25 000

5

626

99

5 528

Slovaquie

14 000

3

304

6

422

Suède

32 000

49

10 867

50

9 354

Taïwan

18 000

2

326

156

4 199

Thaïlande

12 000

3

240

45

1 664

Turquie

12 000

11

416

34

1 102

ex-URSS**

178 000

50

3 313

161

4 826

Total monde

~3 500 000

9 100

171 479

14 260

268 551

* Ont été inclus les pays dans lesquels le secteur emploie plus de 10 000 personnes.

** Données de 1989-90 (BIT, 1992).

Source: d’après Pulp & Paper International, 1995.

Tous les pays sont consommateurs. La production mondiale de pâte, de papier et de carton a avoisiné 400 millions de tonnes en 1993. Malgré une consommation de papier prévue à la baisse en raison des nouveaux moyens électroniques, on observe depuis 1980 une progression assez régulière de 2,5% par an de la production (voir figure 72.3). Outre ses avantages économiques, la consommation de papier a une valeur culturelle de par la place qu’elle occupe dans l’enregistrement et la diffusion d’informations. Aussi, le coefficient de consommation de pâte et de papier constitue-t-il un indice du niveau de développement socio-économique d’un pays (voir figure 72.4).

Figure 72.3 Production mondiale de pâte et de papier de 1980 à 1993

Figure 72.3

Figure 72.4 Consommation de papier et de carton en tant qu'indicateur du
développement économique

Figure 72.4

Au XIXe siècle, les fibres utilisées pour la production de pâte provenaient surtout des forêts tempérées de conifères, mais, depuis peu, elles sont principalement issues des forêts tropicales et boréales (pour des compléments d’information sur l’abattage industriel de bois rond dans le monde, voir chapitre no 71, «L’industrie du bois»). Etant donné que, partout dans le monde, les régions boisées abritent en général une population clairsemée, il y a globalement un décalage entre les zones productrices et les zones utilisatrices. Les pressions qu’exercent les écologistes pour que l’on préserve les forêts en se servant de papier recyclé, de cultures et de plantations à courte rotation pour la production de fibres risquent de modifier la répartition des fabriques de pâtes et de papiers dans le monde au cours des prochaines décennies. D’autres facteurs, notamment l’accroissement de la consommation de papier dans les pays en développement et la mondialisation devraient également contribuer à la relocalisation de l’industrie.

Les caractéristiques de la main-d’œuvre

Le tableau 72.1 indique le nombre de personnes directement employées à la production et à la transformation de pâte et de papier dans 27 pays, lesquels représentent environ 85% des emplois du secteur et plus de 90% des usines et de la production. Dans les pays qui consomment l’essentiel de ce qu’ils produisent (Etats-Unis, Allemagne, France, etc.), les opérations de transformation occupent deux personnes pour une dans la production de pâte et de papier.

Les emplois du secteur des pâtes et papiers sont presque tous à temps plein et organisés selon des structures de gestion classiques, bien que certaines entreprises en Finlande, aux Etats-Unis et dans d’autres pays aient réussi à mettre en place des horaires souples et des équipes autonomes pratiquant la rotation des postes. Leurs dépenses en capital étant élevées, la plupart des fabriques de pâte travaillent en continu et par poste. Il n’en va pas de même des usines de transformation. Le nombre d’heures de travail varie selon les structures d’emploi en place dans les différents pays, entre environ 1 500 à plus de 2 000 heures par an. En 1991, la fourchette des revenus dans l’industrie se situait entre 1 300 dollars E.-U. (travailleurs non qualifiés au Kenya) et 70 000 dollars E.-U. par an (personnel de production qualifié aux Etats-Unis) (BIT, 1992). Les hommes sont les plus nombreux, la proportion de femmes ne dépassant pas actuellement 10 à 20% des effectifs. La Chine et l’Inde se situent aux deux extrémités de l’échelle, avec 35 et 5% de femmes, respectivement.

Les cadres et les ingénieurs des usines de pâtes et de papiers ont en général une formation universitaire. En Europe, la plupart des cols bleus qualifiés (par exemple, les travailleurs des papeteries) et une grande partie de la main-d’œuvre non qualifiée ont suivi une formation professionnelle pendant plusieurs années. Au Japon, la formation et le perfectionnement réguliers en entreprise sont habituels; cette politique fait peu à peu son chemin dans certaines entreprises d’Amérique latine et du Nord. Toutefois, aux Etats-Unis, au Canada et dans les pays en développement, il est courant que les cols bleus reçoivent une formation sur le tas au hasard des circonstances. Des enquêtes montrent que souvent beaucoup de travailleurs sont illettrés et mal préparés au long apprentissage qu’exige l’environnement dynamique et à hauts risques de cette industrie.

Les dépenses en capital pour construire une usine moderne de pâte et de papier sont très élevées (par exemple, 1,5 milliard de dollars E.-U. pour une fabrique de pâte kraft blanchie employant 750 personnes, et 400 millions de dollars E.-U. pour une fabrique de pâte chimico-thermomécanique (PCTM) employant 100 personnes), d’où des économies d’échelle considérables lorsque les installations sont importantes. Les usines nouvelles ou modernisées emploient habituellement des procédés mécanisés fonctionnant en continu, ainsi que des systèmes de contrôle électroniques et des commandes informatisées. Elles nécessitent relativement peu d’employés par unité de production (de 1 à 1,2 heure de travail par tonne de pâte dans les nouvelles fabriques d’Indonésie, de Finlande et du Chili, par exemple). Au cours des dix à vingt dernières années, le rendement par travailleur a augmenté grâce au progrès technique. Des équipements plus modernes permettent de modifier relativement facilement la production, de réduire les stocks et de respecter les délais imposés par les clients. Les gains de productivité ont entraîné des suppressions d’emplois dans de nombreux pays industriels. En revanche, on a constaté une augmentation des emplois dans certains pays en développement où les nouvelles usines en construction, même si elles comptent peu d’employés, témoignent des nouvelles avancées dans le secteur.

Entre 1970 et 1990, le nombre de cols bleus a baissé d’environ 10% dans les usines européennes et nord-américaines, de sorte qu’ils représentent aujourd’hui entre 70 et 80% de la main-d’œuvre (BIT, 1992). On recourt de plus en plus à des sous-traitants pour la construction des usines, leur entretien et les opérations d’exploitation du bois; dans bon nombre d’établissements, ils représenteraient entre 10 et 15% du personnel en place.

LES PRINCIPAUX SECTEURS ET PROCÉDÉS

LES SOURCES DE FIBRES SERVANT À LA FABRICATION DE PÂTE ET DE PAPIER

Anya Keefe et Kay Teschke

La structure de base des feuilles de pâte et de papier consiste en une couche feutrée de fibres cellulosiques tenues ensemble par des atomes d’hydrogène. La cellulose est un polysaccharide composé de 600 à 1 500 sucres simples. Les fibres présentent une limite élastique élevée à la tension, et elles absorbent les additifs employés pour transformer la pâte en papier et en carton; elles sont souples, chimiquement stables et de couleur blanche. La fabrication de pâte consiste à séparer les fibres cellulosiques des autres fibres. Dans le cas du bois, ces dernières contiennent des hémicelluloses (qui comportent de 15 à 90 sucres simples), de la lignine (molécules extrêmement polymérisées et complexes, principalement de phénylpropane, qui «cimentent» les fibres entre elles), des matières extractibles (graisses, cires, alcools, phénols, acides aromatiques, huiles essentielles, oléorésines, stéarols, alcaloïdes et pigments), des minéraux et autres matières inorganiques. Comme on le voit au tableau 72.2, l’importance relative de ces éléments varie selon la source des fibres.

Tableau 72.2 Composants chimiques des sources de fibres pour la fabrication de
pâte et de papier (%)

 

Bois tendres

Bois durs

Paille

Bambou

Coton

Hydrate de carbone

         

α-cellulose

38-46

38-49

28-42

26-43

80-85

Hémicelluloses

23-31

20-40

23-38

15-26

nd

Lignine

22-34

16-30

12-21

20-32

nd

Matières extractibles

1-5

2-8

1-2

0,2-5

nd

Minéraux et autres matières inorganiques

0,1-7

0,1-11

3-20

1-10

0,8-2

nd = donnée non disponible.

Les conifères et les feuillus constituent les principales sources de fibres. Il s’y ajoute la paille du blé, du seigle et du riz; des cannes comme la bagasse; les tiges ligneuses du bambou, du lin et du chanvre; et les fibres de graines, de feuilles ou de liber, comme le coton, l’abaca et le sisal. L’essentiel de la pâte est fait de fibre pure, mais la proportion de papier recyclé a augmenté, passant de 20% en 1970 à 33% en 1991. La pâte de bois représentait 88% du volume produit dans le monde en 1994 (176 millions de tonnes, voir figure 72.5); c’est pourquoi les procédés de fabrication de pâte et de papier décrits ci-après concernent essentiellement les produits à base de bois. Les principes fondamentaux valent aussi pour les autres fibres.

Figure 72.5 Volume de pâte produit dans le monde, par type de pâte

Figure 72.5

LE TRAITEMENT DU BOIS

Anya Keefe et Kay Teschke

Le bois peut arriver au dépôt d’une fabrique de pâte sous la forme de billes ou de copeaux produits par une scierie. Certaines usines à pâte possèdent sur place une scierie, qui produit du bois commercialisable et du bois pour la fabrication de pâte. Le travail de sciage est traité en détail au chapitre no 71, «L’industrie du bois». On ne parlera ici que des opérations de préparation du bois qui sont propres à la fabrication de la pâte à papier.

Dans une usine de pâte, la préparation du bois comporte plusieurs fonctions essentielles: réceptionner et mesurer le bois au rythme exigé par l’usine; le préparer pour qu’il réponde aux normes exigées (variété, propreté et dimensions); recueillir les déchets des opérations précédentes et les envoyer à l’endroit où ils seront éliminés. Le bois est transformé en copeaux ou en billes utilisables pour la fabrication de pâte après une série d’étapes dont l’écorçage, le sciage, le déchiquetage et le tamisage.

Si l’on retire l’écorce, c’est parce qu’elle contient peu de fibres et beaucoup de matières extractibles, qu’elle est de couleur sombre et qu’elle renferme souvent une grande quantité d’impuretés. L’écorçage peut se faire de façon hydraulique, avec des jets d’eau très puissants, ou mécanique, en frottant les billes les unes contre les autres ou en les râpant avec des outils métalliques. On peut employer des écorceuses hydrauliques dans les régions côtières, mais les effluents produits sont difficiles à traiter et ont tendance à polluer l’eau.

Les rondins écorcés sont débités en billots de 1 à 6 m lorsqu’il y a eu meulage du bois, ou bien transformés en copeaux pour la fabrication de pâte mécanique ou chimique par des procédés plus élaborés. La taille des copeaux varie considérablement; ils doivent cependant avoir des dimensions très précises pour que l’écoulement dans les raffineurs soit régulier et que la cuisson dans les lessiveurs soit uniforme. Les copeaux passent donc à travers plusieurs cribles qui les trient en fonction de leur longueur ou de leur épaisseur. Les copeaux trop gros sont recoupés, tandis que les plus petits sont récupérés comme combustible ou recyclés dans le flux normal.

Les exigences des différents procédés de fabrication de la pâte et l’état des copeaux déterminent la durée de leur entreposage (voir figure 72.6 qui montre les divers types de copeaux). Selon la teneur en fibres et la demande de l’usine, le stock de copeaux non tamisés varie de deux à six semaines, et se présente habituellement sous forme de tas laissés à l’extérieur. Les copeaux risquent de se détériorer par auto-oxydation et par hydrolyse, ou de subir les attaques des champignons. Pour éviter la contamination, on conserve les copeaux tamisés dans des silos ou des cuves pendant de courtes durées (de quelques heures à quelques jours). Les copeaux servant à la pâte au bisulfite sont entreposés plusieurs mois à l’extérieur pour permettre la volatilisation de matières extractibles risquant de causer des problèmes pendant les opérations ultérieures. En général, les copeaux utilisés pour la pâte kraft, dont on extrait de la térébenthine et de la résine liquide à des fins commerciales, sont directement transformés en pâte.

Figure 72.6 Aires d'entreposage de copeaux et chargeuses frontales

Figure 72.6

LA FABRICATION DE LA PÂTE

Anya Keefe, George Astrakianakis et Judith Anderson

La fabrication de la pâte consiste à rompre la structure interne du bois par des moyens mécaniques ou chimiques. Pour les pâtes chimiques, on peut appliquer un procédé alcalin (pâtes au sulfate ou kraft) ou acide (pâtes au bisulfite). La méthode au sulfate est la plus répandue, vient ensuite la technique mécanique (pâtes mi-chimiques, thermomécaniques et mécaniques) et au bisulfite (voir figure 72.5). Le rendement et la qualité des produits diffèrent d’une méthode à l’autre de même que, dans le cas des traitements chimiques, les produits employés et la proportion que l’on peut réutiliser.

La pâte mécanique

On obtient de la pâte mécanique en râpant le bois contre une pierre ou entre des plaques métalliques afin de séparer les fibres. Ce travail de cisaillement brise les fibres de cellulose, de sorte que la pâte qui en résulte est plus fragile que celle fabriquée par séparation chimique. La lignine qui fait le lien entre la cellulose et l’hémicellulose n’est pas dissoute; elle se ramollit simplement, ce qui permet d’extraire les fibres de la matrice de bois. Le rendement (proportion de bois contenue dans la pâte) dépasse généralement 85%. Pour certains procédés mécaniques, on utilise aussi des produits chimiques (on parle alors de pâtes chimico-mécaniques); leur rendement est inférieur étant donné que l’on retire une plus grande quantité de matières non cellulosiques.

Avec le procédé de meulage mécanique ordinaire (SGW (Stone Groundwood Pulp) — pâte mécanique sur meule de défibreur), méthode mécanique la plus ancienne et la plus employée à toutes les époques, les fibres sont retirées de billes courtes par pression contre un cylindre abrasif en rotation. Avec le procédé par raffinage (pâte mécanique de raffineur (PMR)) (voir figure 72.7), qui a gagné en popularité une fois devenu commercialement intéressant dans les années soixante, les copeaux ou la sciure pénètrent au milieu d’un raffineur à disques, où ils sont découpés en petits fragments au fur et à mesure qu’ils progressent au travers de languettes et de rainures de plus en plus serrées (sur la figure 72.7, on voit les raffineurs au centre et leurs gros moteurs à gauche. Les copeaux sont introduits dans des tuyaux de grand diamètre, et la pâte sort des plus petits). Variante de la fabrication par raffinage, le procédé thermomécanique (PTM) consiste à passer les copeaux à la vapeur avant et pendant le raffinage, en général sous pression.

Figure 72.7 Raffineur de pâte mécanique

Figure 72.7

Selon l’une des premières méthodes de production de pâtes chimico-mécaniques, les billes sont passées à la vapeur, puis mises à bouillir dans une liqueur chimique avant d’être moulues dans un broyeur en pierre. De nos jours, on utilise des raffineurs à disques parallèlement à une substance chimique (bisulfite de sodium ou hydroxyde de sodium, etc.) avant, pendant ou après le raffinage. Les pâtes produites de cette façon sont appelées pâtes chimico-mécaniques (PCM) ou pâtes chimico-thermomécaniques (PCTM), selon que la désintégration s’est faite à la pression atmosphérique ou à une pression élevée. Des variantes particulières des PCTM ont été mises au point et brevetées par plusieurs organismes.

La pâte chimique et la récupération des produits utilisés

La production de pâte chimique s’effectue en dissolvant par un procédé chimique la lignine se trouvant entre les fibres du bois, de manière qu’elles se détachent en étant très peu détériorées. Comme ce procédé élimine la plupart des matières non fibreuses du bois, le rendement se situe habituellement entre 40 et 55%.

Avec cette méthode, une solution aqueuse contenant des copeaux et des produits chimiques est cuite dans une cuve à pression (ou lessiveur, voir figure 72.8) qui fonctionne en continu ou en discontinu. Dans le premier cas, le lessiveur est alimenté en copeaux par le haut; on y ajoute les produits chimiques et le tout est cuit à une température et à une pression élevées. Une fois la cuisson terminée, on fait tomber la pression; la pâte délignifiée, poussée hors du lessiveur, est évacuée dans une cuve de décharge. Puis on répète l’opération. Dans le cas du traitement en continu, les copeaux passés à la vapeur sont introduits dans le lessiveur sans interruption. Ils sont mélangés aux produits chimiques dans le compartiment situé au sommet du lessiveur, puis ils pénètrent dans le compartiment de cuisson supérieur, le compartiment de cuisson inférieur et le compartiment de lavage avant d’être expulsés dans la cuve de décharge.

Figure 72.8 Lessiveur de pâte kraft en continu et transporteur de copeaux
en construction

Figure 72.8

Aujourd’hui, on récupère le plus souvent les produits chimiques mis en œuvre. On s’efforce principalement de le faire dans la liqueur de cuisson pour les reconstituer, et de produire de la chaleur en brûlant les matières inorganiques du bois qui sont dissoutes. La vapeur et l’électricité qui en résultent remplissent partiellement, sinon entièrement, les besoins énergétiques de l’usine.

La pâte au sulfate et la récupération des produits utilisés

Le procédé au sulfate, qui donne une pâte plus solide et plus sombre, exige une récupération des produits chimiques utilisés pour être financièrement intéressant. Le procédé à la soude employé à l’origine (qui ne fait intervenir que de l’hydroxyde de sodium pour le lessivage) a fini par s’imposer dans l’industrie entre les années trente et cinquante, avec le blanchiment au dioxyde de chlore et la récupération des produits chimiques par des méthodes qui permettaient aussi de fournir de la vapeur et de l’électricité à l’usine. L’invention de métaux anticorrosion, comme l’acier inoxydable, pour le traitement de la pâte à l’acide et à l’alcali a aussi été un progrès.

La liqueur de cuisson (liqueur blanche) se compose d’hydroxyde de sodium (NaOH, «soude caustique») et de sulfure de sodium (Na2S). De nos jours, pour fabriquer la pâte kraft, on se sert habituellement de lessiveurs en continu souvent chemisés d’acier inoxydable (voir figure 72.8). La température du lessiveur est portée progressivement à environ 170 °C et maintenue à ce niveau pendant trois ou quatre heures. Pour éliminer le bois qui n’a pas cuit, on passe au crible la pâte (appelée matière brune à cause de sa couleur), puis on retire par lavage la liqueur de cuisson résiduaire (devenue liqueur noire), avant d’acheminer le tout à l’atelier de blanchiment ou à la salle de confection de la pâte. Le bois non cuit est renvoyé au lessiveur ou brûlé dans la chaudière électrique.

La liqueur noire recueillie dans le lessiveur et la matière brune contiennent des matières organiques dissoutes dont la composition chimique dépend de l’essence de bois utilisée et des conditions de cuisson. La liqueur est réduite par évaporation jusqu’à ce qu’elle contienne moins de 40% d’eau, avant d’être vaporisée dans la chaudière de récupération. Les matières organiques qui servent de combustible produisent, en brûlant, de la chaleur qui est récupérée au sommet de la chaudière sous forme de vapeur à haute température. Les matières inorganiques non brûlées fondent et tombent dans le bas de la chaudière. A sa sortie, ce salin passe dans une solution caustique faible, appelée liqueur verte, qui contient principalement du Na2S et du Na2CO3 (carbonate de sodium). Cette liqueur est pompée dans une cuve où, une fois clarifiée, elle est mise en contact avec un réactif (chaux éteinte, ou Ca(OH)2), pour donner du NaOH et du carbonate de calcium (CaCO3). La liqueur blanche est filtrée puis mise en réserve. Enfin, on verse le CaCO3 dans un four que l’on chauffe pour récupérer la chaux (CaO).

La pâte au bisulfite et la récupération des produits utilisés

Le procédé au bisulfite — à l’appellation impropre puisque l’élément actif n’est pas le bisulfite mais le dioxyde de soufre (SO2) — était très répandu entre la fin des années mille huit cent et le milieu des années mille neuf cent, mais limité par les types de bois que l’on pouvait transformer et par la pollution qui résultait du déversement de liqueur non traitée dans les cours d’eau. De nouvelles méthodes ont permis de remédier à une bonne partie de ces inconvénients, et la fabrication de pâte au bisulfite représente désormais une petite part du marché. Dans ce procédé, le lessivage s’effectue habituellement avec un acide, mais il existe des variantes qui font intervenir une solution neutre ou une base.

La liqueur de cuisson, composée d’acide sulfureux (H2SO3) et d’ions bisulfite (HSO3) est préparée sur place. On brûle le soufre élémentaire pour obtenir du dioxyde de soufre (SO2), qui est ensuite absorbé dans une tour renfermant de l’eau et l’une des quatre bases alcalines (CaCO3, base sulfite initiale, Na2CO3, hydroxyde de magnésium (Mg(OH)2) ou hydroxyde d’ammonium (NH4OH)), lesquels produisent l’acide et les ions bisulfites nécessaires dans des proportions adéquates. La fabrication de pâte au bisulfite s’effectue habituellement dans un lessiveur en discontinu dont les parois sont doublées de briques. Pour éviter les réactions indésirables, on porte lentement le lessiveur à une température maximale de 130 à 140 °C et on laisse cuire les copeaux (pendant six à huit heures). A mesure que la pression augmente, du dioxyde de soufre gazeux (SO2) s’échappe et est de nouveau mélangé à l’acide de cuisson pur. A environ une à une heure et demie de la fin du temps de cuisson, on arrête de chauffer et on abaisse la pression en laissant partir du gaz et de la vapeur. La pâte est évacuée dans une cuve de décharge, avant d’être lavée et tamisée.

On peut se servir de l’acide résiduaire, appelé liqueur rouge, pour récupérer de la chaleur et les produits chimiques, sauf si l’on a utilisé une base de bisulfite de calcium. Si l’on a appliqué un procédé à base d’ammoniac, on commence par débarrasser la liqueur rouge des résidus de SO2, avant de la concentrer et de la brûler. Les gaz de carneau qui contiennent du SO2 sont refroidis, puis absorbés dans une tour à l’intérieur de laquelle, au contact d’ammoniac pur, ils régénèrent la liqueur de cuisson. Enfin, cette dernière est filtrée, fortifiée avec du SO2 pur et stockée. L’ammoniac n’est pas récupérable parce qu’il se transforme en azote et en eau dans la chaudière de récupération.

Dans le cas d’un procédé à base de magnésium, le brûlage de la liqueur concentrée donne de l’oxyde de magnésium (MgO) et du SO2, faciles à récupérer. Il ne se produit aucun salin; le MgO est recueilli dans les gaz de carneau, puis refroidi avec de l’eau pour donner de l’hydroxyde de magnésium (Mg(OH)2). Après l’avoir refroidi, on mélange le SO2 au Mg(OH)2 dans une tour pour reconstituer la liqueur de cuisson. Le bisulfite de magnésium (Mg(HSO3)2) est ensuite fortifié à l’aide de SO2 pur et stocké. Il est possible de récupérer entre 80 et 90% des produits chimiques ayant servi à la cuisson.

S’agissant du procédé à base de sulfite de sodium, la récupération de la liqueur de cuisson est plus compliquée. Le concentré de cet acide résiduaire est incinéré, et environ la moitié du sulfure se transforme en SO2. Le reste du sodium et du sulfure est recueilli au fond de la chaudière de récupération sous la forme d’un salin de Na2S et de Na2CO3 fondus. Ce mélange est dissous pour donner une liqueur verte que l’on transforme en bisulfite de sodium (NaHSO3) en plusieurs étapes. Le NaHSO3 est fortifié et stocké. Le processus de régénération produit quelques gaz composés de sulfure réduit, notamment du sulfure d’hydrogène (H2S).

LE BLANCHIMENT

George Astrakianakis et Judith Anderson

Le blanchiment est un processus en plusieurs étapes qui a pour objet de raffiner et d’éclaircir la pâte brute. Il consiste à dissoudre (pâte chimique) ou à modifier (pâte mécanique) la lignine de couleur brune qui n’a pas encore été éliminée, sans endommager les fibres de la pâte. Il est possible de produire de la pâte sur mesure en faisant varier l’ordre d’utilisation des agents de blanchiment, leur concentration ou encore le temps de réaction.

Chaque étape est définie par l’agent employé, le pH (acidité), la température et la durée (voir tableau 72.3). Après chacune des étapes du blanchiment, on peut laver la pâte avec de la soude caustique pour retirer les produits chimiques résiduaires et la lignine dissoute. A l’issue de la dernière étape, on fait passer la pâte à travers une série de cribles et de filtres pour la débarrasser de contaminants tels que poussières ou plastiques. Elle est ensuite concentrée puis stockée.

Tableau 72.3 Agents de blanchiment et conditions d’utilisation

 

Symbole

Concentration de l’agent (%)

pH

Consistance (%)*

Température (°C)

Durée (h)

Chlore (Cl2)

C

2,5-8

2

3

20-60

0,5-1,5

Hydroxyde de sodium (NaOH)

E

1,5-4,2

11

10-12

<- 80

1-2

Dioxyde de chlore (ClO2)

D

»1

0-6

10-12

60-75

2-5

Hypochlorite de sodium (NaOCl)

H

1-2

9-11

10-12

30-50

0,5-3

Oxygène (O2)

O

1,2-1,9

7-8

25-33

90-130

0,3-1

Peroxyde d’hydrogène (H2O2)

P

0,25

10

12

35-80

4

Ozone (O3)

Z

0,5-3,5

2-3

35-55

20-0

<- 0,1

Acide (SO2)

A

4-6

1,8-5

1,5

30-50

0,25

Hydrosulfite de sodium (Na2S2O4)

Y

1-2

5,5-8

4-8

60-65

1-2

* Concentration de fibres dans la solution aqueuse.

Traditionnellement, la séquence de blanchiment la plus couramment employée pour produire une pâte kraft blanchie commercialisable suit un processus CEDED en cinq étapes (voir tableau 72.4 pour la définition des symboles). Les deux premières correspondent à la délignification et sont considérées comme des étapes annexes de la fabrication proprement dite. A cause des inquiétudes suscitées chez les écologistes par la présence de matières organiques chlorées dans les effluents des fabriques, beaucoup d’usines remplacent par du dioxyde de chlore (ClO2) une partie du chlore (Cl2) employé pendant la première phase du blanchiment (CDEDED) et font un traitement préliminaire à l’oxygène (O2) au moment de la première extraction de soude caustique (CDEODED). La tendance en Europe et en Amérique du Nord est de remplacer la totalité du Cl2 par du ClO2 (DEDED, par exemple) ou d’éliminer le Cl2 et le ClO2. Quand on se sert de ClO2, on ajoute, au cours de la dernière étape du lessivage, du dioxyde de soufre (SO2) que l’on utilise comme «antichlore» pour interrompre la réaction du ClO2 et pour stabiliser le pH. Il existe de nouvelles méthodes de blanchiment sans chlore (OAZQP, OQPZP, etc., où Q = chélation) qui utilisent des enzymes, de l’O2, de l’ozone (O3), du peroxyde d’hydrogène (H2O2), des peracides et des agents chélateurs, comme l’acide d’éthylènediaminetétraacétique (EDTA). En 1993, huit entreprises dans le monde avaient opté pour un blanchiment sans chlore aucun. Comme ces nouvelles méthodes éliminent l’application d’acide, il faut ajouter un lavage à l’acide après les premières étapes du blanchiment d’une pâte kraft pour supprimer les métaux fixés à la cellulose.

Tableau 72.4 Séquences de blanchiment usuelles

Chloration (C)

Chlorination

Réaction avec du chlore en milieu acide

Extraction alcaline (E)

Extraction alcaline

Dissolution des produits de réaction par NaOH

Hypochlorite (H)

Hypochlorite

Réaction avec de l’hypochlorite en solution alcaline

Dioxyde de chlore (D)

Dioxyde de chlore

Réaction avec du ClO2 en milieu acide

Peroxyde (P)

Peroxyde

Réaction avec des peroxydes en milieu alcalin

Oxygène (O)

Oxygène

Réaction avec de l’oxygène en milieu alcalin sous pression élevée

(DC) ou (CD selon le sigle anglais)

 

Mélange de chlore et de dioxyde de chlore

Smook, G.A., 1989.

Les pâtes au bisulfite sont généralement plus faciles à blanchir que les pâtes kraft parce qu’elles contiennent moins de lignine. On peut suivre un cycle de blanchiment court (CEH, DCEHD, P, HP, EPOP, etc.) pour la majorité des qualités de papier. Dans les pâtes au bisulfite à dissoudre servant à la production de rayonne, de cellophane et autres matières, on élimine à la fois l’hémicellulose et la lignine, ce qui demande un cycle de blanchiment plus complexe (C1C2ECHDA, par exemple). Le dernier lavage à l’acide sert en même temps à éliminer les métaux et à stabiliser le chlore. Les effluents produits par la fabrication de pâte au bisulfite à dissoudre sont beaucoup plus importants parce qu’on consomme une grande quantité de bois brut (pour un rendement type de 50%) et davantage d’eau.

Le terme azurage désigne le blanchiment des pâtes mécaniques et autres pâtes à haut rendement, parce que le processus suivi consiste à détruire les groupements chromophores sans dissoudre la lignine. Parmi les agents d’azurage figure le H2O2 ou l’hydrosulfite de sodium (Na2S2O4). L’hydrosulfite de zinc (ZnS2O4), couramment employé autrefois, a presque disparu à cause de sa toxicité dans les effluents. Avant le blanchiment, on ajoutera des agents chélateurs pour neutraliser les ions métalliques et pour empêcher la formation de sels colorés ou la décomposition de H2O2. L’efficacité du blanchiment d’une pâte mécanique dépend de l’essence de bois. Avec les bois durs (comme le peuplier et ses variétés) et les bois tendres (comme l’épinette et le sapin baumier), pauvres en lignine et en matières extractibles, on peut atteindre un degré de blancheur plus élevé qu’avec le pin et le cèdre, qui contiennent davantage de résine.

LES PÂTES DE RÉCUPÉRATION

Dick Heederik

L’utilisation de papier usé ou recyclé comme matière première pour la fabrication de pâte se développe depuis plusieurs décennies et certaines usines à papier se servent presque exclusivement de papier récupéré. Dans certains pays, le papier usé est séparé des autres déchets ménagers avant d’être collecté. Ailleurs, on procède à un tri selon la qualité (carton ondulé, papier journal, papier fin, qualités variées, etc.) dans des usines spécialisées dans ce type de recyclage.

Le papier recyclé peut être retransformé en pâte au terme d’un processus relativement léger utilisant de l’eau et parfois de l’hydroxyde de sodium (NaOH). On peut extraire de petits morceaux de métal ou de plastique pendant ou après la retransformation en pâte à l’aide d’un câble de débris, d’un cyclone ou d’une centrifugeuse. Pour éliminer la charge, les colles et les résines, on insuffle de l’air dans la pâte liquide, en y ajoutant quelquefois des agents de floculation. La mousse qui renferme les produits chimiques non désirés est retirée. Le désencrage de la pâte s’effectue en plusieurs étapes, avec ou sans agents chimiques (dérivés d’acides gras surfactants) pour dissoudre les impuretés qui subsistent, et avec ou sans agent de blanchiment pour éclaircir la pâte. Le blanchiment présente l’inconvénient de réduire la longueur des fibres et donc de diminuer la qualité du papier obtenu. Les agents de blanchiment utilisés pour la fabrication de pâte recyclée sont en général comparables à ceux employés pour les pâtes mécaniques. Après les opérations de retrituration et de désencrage, la production des feuilles suit un processus qui s’apparente beaucoup à celui qui est employé pour la pâte faite à partir de fibres vierges.

LA PRODUCTION ET LA TRANSFORMATION DES FEUILLES: PÂTE COMMERCIALE, PAPIER, CARTON

George Astrakianakis et Judith Anderson

Les produits finis qui sortent des usines de pâtes et de papiers dépendent du processus de fabrication de la pâte et peuvent comprendre de la pâte commerciale ainsi que différents types de papier ou de carton. Ainsi, la pâte mécanique, relativement fragile, est transformée en produits à usage unique comme le papier journal et le papier de soie. La pâte kraft est transformée en produits à usages multiples: papier fin pour l’écriture, livres, sacs d’épicerie, etc. La pâte au bisulfite, essentiellement à base de cellulose, peut servir à fabriquer différentes choses: papiers spéciaux, rayonne, pellicule photographique, TNT, plastiques, adhésifs et même mélanges pour gâteaux et crèmes glacées. Les pâtes chimico-mécaniques possèdent une rigidité idéale pour la fabrication de carton ondulé. Les fibres des pâtes fabriquées à partir de papier recyclé sont habituellement plus courtes, moins souples et moins perméables à l’eau, ce qui les rend impropres à la production de papiers de grande qualité. Elles servent donc principalement à produire des articles en papier mince comme le papier de soie, le papier hygiénique, l’essuie-tout et les serviettes en papier.

Pour obtenir de la pâte commerciale, on tamise en principe la pâte aqueuse encore une fois et on en augmente la consistance (de 4 à 10%) avant de la faire passer à la machine à papier. La pâte est ensuite étendue sur une toile mobile de mailles métalliques ou en plastique à l’extrémité «humide» de la machine, où l’opérateur surveille la vitesse de la toile et la teneur en eau de la pâte (à la figure 72.9, on peut voir les presses et le couvercle du séchoir dans le coin supérieur gauche; dans les usines modernes, les conducteurs passent beaucoup de temps dans la salle de commande.) L’eau et le filtrat s’écoulent au travers de la toile, ne laissant plus qu’un réseau de fibres. La pâte passe entre différents rouleaux presseurs qui expriment l’eau et l’air jusqu’à ce que la densité de fibres atteigne entre 40 et 45%. Puis la feuille subit plusieurs étapes de séchage à chaud, pour obtenir une consistance de 90 à 95%. Enfin, elle est découpée et mise en balles. Une fois comprimées, ces balles sont enveloppées en vue de leur entreposage et de leur transport.

Figure 72.9 Extrémité humide de la machine à pâte, où l'on voit le matelas étalé
sur la toile

Figure 72.9

Bien que comparable en principe à la fabrication de feuilles de pâte, la fabrication de papier est beaucoup plus complexe. Pour maximiser la qualité du papier, certaines usines mélangent plusieurs pâtes (pâtes de bois dur, de bois tendre, kraft, pâtes au bisulfite, mécaniques ou recyclées). Selon le type de pâte employé, un nombre variable d’étapes est nécessaire pour produire une feuille de papier. En général, on réhydrate les pâtes commerciales séchées, alors que l’on dilue les pâtes entreposées qui présentent une densité élevée. Il arrive que l’on batte les fibres pour en augmenter le liant et améliorer ainsi la solidité des feuilles de papier. A l’extrémité «humide», la pâte est mélangée à des additifs (voir tableau 72.5) et passe, pour finir, à travers une série de cribles et de dispositifs de nettoyage. Elle est alors prête pour le traitement à la machine à papier.

Tableau 72.5 Additifs utilisés dans la fabrication du papier

Additif

Lieu d’application

Utilité ou exemples d’agents spécifiques

Additifs les plus courants

Talc

Extrémité humide

Elimination du goudron (pour prévenir le dépôt et l’accumulation de goudron)
Enduit (pour rendre le papier plus brillant, plus doux, plus opaque)

Dioxyde de titane

Extrémité humide

Pigment (pour éclaircir la feuille, améliorer l’impression)
Enduit (pour rendre le papier plus brillant, plus doux, plus opaque)

Alun(Al2(SO4)3)

Extrémité humide

Pour précipiter l’adhérence de la colophane sur les fibres
Aide à la fixation (pour que les additifs adhèrent aux fibres, pour améliorer la fixation des fibres de pâte)

Colophane

Extrémité humide

Collage interne (pour empêcher la pénétration de liquide)

Argile (kaolin)

Extrémité humide/sèche

Enduit (pour rendre le papier plus brillant, plus doux, plus opaque)
Pigment ou couche de surface (pour donner de la couleur)

Amidon

Extrémité humide/sèche

Collage en surface (pour empêcher la pénétration de liquide)
Additif à sec (pour accroître la résistance, limiter le peluchage)
Aide à la fixation (pour que les additifs adhèrent au papier, pour améliorer la fixation des fibres de pâte)

Peintures et pigments

Extrémité humide/sèche

Acides, colorants basiques ou directs, laques colorées, carbonate de calcium (CaCo3), éventuellement produits pour solvants

Latex

Extrémité sèche

Adhésif (pour renforcer la feuille, fixer les additifs au papier, remplir les pores)
Imperméabilisation (pour empêcher la pénétration de liquide)

Autres additifs

Myxobactéricides

Extrémité humide

Thiones, thiazoles, thiocyanates, thiocarbamates, thiols, isothiazolinones, formaldéhyde, glutaraldéhyde, glycols, naphthol, substances organochlorées et bromées, composés organo-mercuriels

Agents démoussants

Extrémité humide

Huile de pin, mazout, huiles recyclées, silicones, alcools

Agents de traitement
de la toile

Extrémité humide

Imidazoles, diéthylèneglycol-carbonate de butyle, acétone, térébenthine, acide phosphorique

Additifs de consolidation humides ou à sec

Extrémité humide

Résines de formaldéhyde, épichlorohydrine, glyoxal, gommes, polyamines, agents phénolés, polyacrylamides, polyamides, dérivés de la cellulose

Enduits, adhésifs et plastifiants

Extrémité sèche

Hydroxyde d’aluminium, acétate polyvinylique, acryliques, huile de lin, gommes, colles protéiques, émulsions de cire, azite, glyoxal, stéarates, solvants, polyéthylène, dérivés de la cellulose, tain, dérivés du caoutchouc, polyamines, polyesters, polymères du butadiène-styrène

Autres

Extrémité humide/sèche

Inhibiteurs de corrosion, dispersants, pare-flammes, agents antiternissure, produits liquéfiants, défloculants, agents régulateurs du pH, conservateurs

Le régulateur de débit et la caisse d’arrivée distribuent une fine suspension (teneur de 1 à 3%) de pâte raffinée sur une toile animée d’un mouvement (semblable à celle d’une machine à pâte, mais se déplaçant beaucoup plus rapidement, parfois à plus de 55 km/h), qui transforme les fibres en une mince feuille feutrée. Celle-ci avance au travers de rouleaux presseurs jusqu’à la zone de séchage, où des rouleaux chauffés à la vapeur placés les uns à la suite des autres éliminent le plus gros de l’eau restante. A ce stade, les liaisons hydrogène entre les fibres sont établies. Pour finir, on procède au calandrage et au bobinage du papier. Le calandrage consiste à lustrer le papier et à l’amincir. Une fois séchée et calandrée, la feuille de papier est enroulée sur une bobine, étiquetée et acheminée jusqu’à l’entrepôt (on peut voir à la figure 72.10 les chutes de papier sous la bobine et le tableau de commande non encoffré). Des additifs «à sec» peuvent être ajoutés avant le calandrage sur la machine à papier ou hors machine par les entreprises de transformation au moment de l’enduisage.

Figure 72.10 Extrémité sèche d'une machine à papier, où l'on voit le papier entièrement
enroulé et un travailleur occupé à le couper à l'aide d'un couteau circulaire

Figure 72.10

On se sert de divers produits chimiques pour travailler la surface du papier et pour conférer aux feuilles certaines propriétés. Les additifs les plus courants (voir tableau 72.5) sont en général utilisés à une faible dose, mais quelques-uns dont l’argile et le talc peuvent représenter jusqu’à 40% du poids sec de certains papiers. Le tableau 72.5 renseigne aussi sur les additifs chimiques que l’on peut employer à des fins spécifiques ou pour des produits précis; certains sont mis en œuvre à de très faibles concentrations (des myxobactéricides, par exemple, sont ajoutés à l’eau à raison de quelques parties par million).

La fabrication de carton est semblable à celle du papier ou de la pâte. Un mélange de pâte et d’eau est étendu sur une toile mobile, l’eau en est éliminée, puis la feuille est séchée et stockée en rouleaux. Le processus diffère par la façon dont on donne de l’épaisseur à la feuille, par la superposition de couches et par la méthode de séchage. Le carton peut être fait d’une ou de plusieurs feuilles, ajoutées ou non à une âme centrale. Les feuilles sont habituellement fabriquées avec de la pâte kraft de bonne qualité (ou un mélange de pâte kraft et de pâte chimico-thermomécanique (PCTM)), tandis que l’âme est faite soit d’un mélange de pâte mi-chimique et de pâte recyclée bon marché, soit de pâte entièrement recyclée mélangée à d’autres déchets. Des revêtements, des pare-vapeurs et de multiples couches sont ajoutés selon la destination du produit afin que le contenu de l’emballage ne soit ni mouillé ni endommagé.

LA PRODUCTION D’ÉNERGIE ET LE TRAITEMENT DE L’EAU

George Astrakianakis et Judith Anderson

Outre la liqueur, les usines de pâte récupèrent une partie importante de l’énergie produite par la combustion de déchets et de sous-produits dans les chaudières. Des matières provenant du traitement des effluents, comme l’écorce, les déchets de bois et les boues séchées, sont brûlées pour alimenter les génératrices en vapeur.

Les usines de pâtes et de papiers consomment de grandes quantités d’eau douce. Pour produire 1 000 tonnes de pâte kraft blanchie, une usine peut utiliser plus de 150 millions de litres d’eau par jour, et une fabrique de papier encore davantage. Pour qu’elle n’endommage pas le matériel de l’usine et ne nuise pas à la qualité du produit, l’eau d’arrivée doit être débarrassée de tous contaminants, bactéries et minéraux. Le traitement administré dépend de la qualité de l’eau reçue: lits de sédimentation, filtres, floculants, chlore ou résines échangeuses d’ions. Quant à l’eau utilisée dans les chaudières d’alimentation et de récupération, elle est traitée en plus avec des produits de désoxygénation et des substances antirouille comme l’hydrazine et la morpholine pour éviter que des dépôts ne se forment dans la tuyauterie des chaudières, pour limiter la corrosion du métal et empêcher que de l’eau n’atteigne la turbine à vapeur.

LA PRODUCTION DE SUBSTANCES CHIMIQUES ET DE SOUS-PRODUITS

George Astrakianakis et Judith Anderson

De nombreux agents de blanchiment sont réactifs et présentent des risques pendant le transport; ils sont donc produits sur place ou à proximité. C’est toujours le cas pour le dioxyde de chlore (ClO2), l’hypochlorite de sodium (NaOCl) et les peracides, alors que le chlore (Cl2), l’hydroxyde de sodium ou la soude caustique (NaOH) sont habituellement fabriqués hors site. La résine liquide, dérivée de la résine et des acides gras que l’on extrait pendant la cuisson de la pâte kraft, peut être raffinée sur les lieux ou à l’extérieur. La térébenthine, sous-produit léger de la pâte kraft, est souvent recueillie et concentrée sur place, puis raffinée hors de l’usine.

Le dioxyde de chlore

Le dioxyde de chlore (ClO2) est un réactif gazeux très puissant de couleur verdâtre. Toxique et corrosif, il explose à de fortes concentrations (10%) et se transforme rapidement en Cl2 et O2 en présence d’ultraviolets. Comme il faut le diluer avant de le stocker sous forme liquide, son transport en vrac est impossible.

Le ClO2 est produit par réduction de chlorate de sodium (Na2ClO3) avec du dioxyde de soufre (SO2), du méthanol, du sel ou de l’acide hydrochlorique. Le gaz qui sort du réacteur est condensé et stocké en solution à 10%. Aujourd’hui, les fabriques de ClO2 atteignent une efficacité d’au moins 95%, et les petites quantités de Cl2 qu’elles produisent sont récupérées ou éliminées des gaz de carneau. Des réactions secondaires peuvent se produire, selon la pureté des produits chimiques d’apport, de la température et d’autres facteurs. Les sous-produits sont remis dans le circuit, tandis que les produits chimiques résiduaires sont neutralisés et jetés.

L’hypochlorite de sodium

L’hypochlorite de sodium (NaOCl) est produit par association de Cl2 à une solution diluée de NaOH. Il s’agit d’un mécanisme simple et automatique qui n’exige presque aucune intervention si ce n’est de surveiller la concentration de soude caustique de façon à éviter les résidus de Cl2 dans la cuve.

Le chlore et la soude caustique

Le chlore (Cl2), utilisé comme agent de blanchiment depuis le début des années mille huit cent, est un réactif gazeux très puissant, toxique, de couleur verte, qui devient corrosif en présence d’humidité. Le chlore est habituellement fabriqué sur place par transformation électrolytique de saumure (NaCl) en Cl2 et NaOH, avant d’être livré au client sous forme liquide. Il existe trois méthodes de production industrielle de Cl2: la cellule au mercure, la cellule à diaphragme et, depuis peu, la cellule à membrane. Le Cl2 est toujours produit à l’anode. Il est ensuite refroidi, purifié, séché, liquéfié et acheminé jusqu’à l’usine. Dans les établissements importants ou éloignés, on pourra construire un centre de production à proximité, auquel cas le Cl2 sera transporté sous forme de gaz.

La qualité du NaOH dépend du procédé employé parmi les trois existants. Avec l’ancienne méthode de la cellule au mercure, le sodium et le mercure se combinent pour former un amalgame qui se décompose dans l’eau. Le NaOH qui en résulte est presque pur. L’un des inconvénients de ce procédé est que le mercure contamine le lieu de travail et cause de graves problèmes environnementaux. Le NaOH produit avec une cellule à diaphragme est entraîné par la saumure utilisée et se concentre pour permettre une cristallisation et une séparation du sel. Pour le diaphragme, on se sert d’amiante. C’est avec les cellules à membrane que l’on obtient le NaOH le plus pur. Les ions de sodium traversent une membrane semi-perméable à base de résine, sans les ions de saumure ou de chlore, puis se combinent à l’eau ajoutée dans la chambre cathodique pour donner un NaOH pur. Chaque procédé produit de l’hydrogène, qui est habituellement traité et utilisé dans d’autres opérations ou comme combustible.

La production de résine liquide (tallöl)

La fabrication de pâte kraft à partir d’espèces très résineuses comme le pin produit du savon sodé composé de résine et d’acides gras. Ce savon est recueilli à la sortie des cuves de liqueur noire et des cuves d’écrémage qui interviennent dans la phase d’évaporation pendant la récupération des produits chimiques. Le savon raffiné, ou huile de résine, peut servir d’additif dans les carburants, d’agent de dépoussiérage, de stabilisateur pour les routes, de liant d’asphaltage et de goudron pour les toitures.

A l’usine de transformation, on entrepose le savon dans des cuves primaires pour permettre à la liqueur noire de se déposer au fond. Le savon qui déborde s’écoule dans des cuves secondaires. L’acide sulfurique et le savon décanté passent ensuite dans un réacteur, où ils sont chauffés à 100 °C, agités puis laissés au repos durant une nuit. La résine liquide brute est ensuite décantée dans un bassin pendant une autre journée. La couche supérieure, résine liquide brute sèche, est pompée dans une cuve de stockage afin d’être expédiée. La lignine cuite, déposée au fond, fera partie du lot suivant. L’acide sulfurique résiduaire est pompé dans une cuve de stockage, et la lignine qui a pu être entraînée se dépose au fond. La lignine restée dans le réacteur est concentrée en plusieurs cuissons, dissoute dans de la soude caustique à 20% puis réexpédiée dans la cuve primaire. Dans certains cas, la liqueur noire recueillie et la lignine résiduelle de toutes provenances sont concentrées et employées comme combustible.

La récupération de la térébenthine

Il est possible de récupérer de la térébenthine dans les gaz issus des lessiveurs et dans le concentré des évaporateurs de liqueur noire. Une fois condensés et mélangés, les gaz sont débarrassés de la térébenthine, qui est concentrée de nouveau, extraite et versée dans un décanteur. Dans le décanteur, on retire la partie située sur le dessus pour la stocker, tandis que la partie du fond est renvoyée au séparateur. A cause de sa nocivité et de son inflammabilité, la térébenthine brute est stockée à part, et on la traite habituellement hors site. Tous les gaz non condensables sont recueillis et incinérés dans les chaudières électriques, le four à chaux ou un four spécial. Il est possible de traiter la térébenthine pour la fabrication de camphre, de résines synthétiques, de solvants, de réactifs de flottation et d’insecticides.

LES RISQUES PROFESSIONNELS ET LES MOYENS DE PRÉVENTION

Kay Teschke, George Astrakianakis, Judith Anderson, Anya Keefe et Dick Heederik

Le tableau 72.6 donne un aperçu des risques auxquels on peut être exposé à chaque étape de la fabrication de pâte et de papier. Bien que ces risques soient propres à tel ou tel processus, ils peuvent toucher également des employés d’autres secteurs, en fonction des conditions atmosphériques et de la proximité des sources d’exposition, et selon que les travailleurs exécutent une ou plusieurs tâches (entre autres, contrôle de la qualité, tâches générales, entretien, etc.).

Tableau 72.6 Risques pour la sécurité et la santé dus à la production de pâte
et de papier, selon la phase de fabrication

Phase de fabrication

Risques pour la sécurité

Risques physiques

Risques chimiques

Risques biologiques

Préparation du bois

Bassin de flottaison

Noyades; véhicules; glissades, chutes

Bruit; vibrations; froid; chaleur

Gaz d’échappement des moteurs

 

Entreposage du bois

Happement; glissades, chutes

Bruit; vibrations

Terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

Bactéries; champignons

Criblage des copeaux

Happement; glissades, chutes

Bruit; vibrations

Terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

Bactéries; champignons

Stockage des copeaux

Happement; véhicules

Bruit; vibrations; froid; chaleur

Gaz d’échappement des moteurs; terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

Bactéries; champignons

Fabrication de la pâte

Pâte mécanique

Glissades, chutes

Bruit; champs électriques et magnétiques; forte humidité

   

PMR, PCM, PCTM

Glissades, chutes

Bruit; champs électriques et magnétiques; forte humidité

Produits chimiques et sous-produits de cuisson; terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

 

Pâte au sulfate

Glissades, chutes

Bruit; forte humidité; chaleur

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de cuisson; gaz de soufre réduit; terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

 

Récupération du sulfate

Explosions; happement; glissades, chutes

Bruit; chaleur; vapeur

Acides et alcalis; amiante; cendres; produits chimiques et sous-produits de cuisson; combustibles; gaz de soufre réduit; dioxyde de soufre

 

Pâte au bisulfite

Glissades, chutes

Bruit; forte humidité; chaleur

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de cuisson; dioxyde de soufre; terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

 

Récupération du bisulfite

Explosions; happement; glissades, chutes

Bruit; chaleur; vapeur

Acides et alcalis; amiante; cendres; produits chimiques et sous-produits de cuisson; combustibles; dioxyde de soufre

 

Retrituration/désencrage

Glissades, chutes

 

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de blanchiment; teintures et encres; poussières de pâte ou de papier; myxobactéricides; solvants

Bactéries

Blanchiment

Glissades, chutes

Bruit; forte humidité; chaleur

Produits chimiques et sous-produits de blanchiment; myxobactéricides; terpènes et autres extraits du bois

 

Préparation et transformation des feuilles

Machine à pâte

Happement; glissades, chutes

Bruit; vibrations; forte humidité; chaleur; vapeur

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de blanchiment; floculants; poussières de pâte ou de papier; myxobactéricides; solvants

Bactéries

Machine à papier

Happement; glissades, chutes

Bruit; vibrations; forte humidité; chaleur; vapeur

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de blanchiment; teintures et encres; floculants; poussières de pâte ou de papier; additifs pour le papier; myxobactéricides; solvants

Bactéries

Finition

Happement; véhicules

Bruit

Acides et alcalis; teintures et encres; floculants; poussières de pâte ou de papier; additifs pour le papier; myxobactéricides; solvants

 

Entrepôt

Véhicules

 

Combustibles; gaz d’échappements des véhicules; poussières de pâte de papier

 

Autres opérations

Production d’électricité

Happement; glissades, chutes

Bruit; vibrations; champs électriques et magnétiques; chaleur; vapeur

Amiante; cendres; combustibles; terpènes et autres extraits du bois; poussières de bois

Bactéries; champignons

Traitement de l’eau

Noyades

 

Produits chimiques et sous-produits de blanchiment

Bactéries

Traitement des effluents

Noyades

 

Produits chimiques et sous-produits de blanchiment; floculants; gaz de soufre réduit

Bactéries

Production de dioxyde de chlore

Explosions; glissades, chutes

 

Produits chimiques et sous-produits de blanchiment

Bactéries

Récupération de la térébenthine

Glissades, chutes

 

Produits chimiques et sous-produits de cuisson; gaz de soufre réduit; terpènes et autres extraits du bois

 

Production de résine liquide

   

Acides et alcalis; produits chimiques et sous-produits de cuisson; gaz de soufre réduit; terpènes et autres extraits du bois

 

PMR = pâte mécanique de raffineur; PCM = pâte chimico-mécanique; PCTM = pâte chimico-thermomécanique.

Le degré d’exposition aux risques énumérés au tableau 72.6 peut dépendre du niveau d’automatisation de l’usine. Autrefois, la fabrication de pâte et de papier était un processus semi-automatisé qui demandait beaucoup d’opérations manuelles. Les opérateurs étaient souvent assis devant un tableau de commande ouvert situé près de la machine pour pouvoir surveiller les effets de leurs interventions. On ouvrait à la main les soupapes placées au sommet et au bas du lessiveur et, pendant le remplissage, les gaz qu’il contenait étaient déplacés par les copeaux reçus (voir figure 72.11). Pour déterminer la quantité des produits chimiques, l’opérateur faisait appel à son expérience au lieu d’effectuer des prélèvements, et ses interventions dépendaient donc de ses compétences et de ses connaissances. Cette manière de procéder était parfois source d’erreurs. Ainsi, une chloration excessive de la pâte exposait les travailleurs situés en aval à une augmentation de la proportion d’agents de blanchiment. La plupart des usines modernes sont dotées de pompes et de soupapes électroniques qui peuvent être commandées à distance. Le contrôle des procédés dans des limites de tolérance étroites a exigé de recourir à des ordinateurs et à des moyens techniques sophistiqués. Les salles de commande sont installées à l’écart pour isoler l’électronique de la fabrication de pâte et de papier. En conséquence, les opérateurs travaillent habituellement dans des pièces climatisées qui les protègent du bruit, des vibrations, des températures excessives, de l’humidité et des produits chimiques que l’on retrouve en principe dans les ateliers de production. D’autres améliorations apportées au cadre de travail sont décrites ci-après.

Figure 72.11 Ouverture du couvercle d'un lessiveur en discontinu à commande
manuelle

Figure 72.11

Certains risques, tels que les points de pincement, les sols glissants, les équipements mobiles et le travail en hauteur sont courants dans tous les secteurs de la fabrication de pâte et de papier. Il est essentiel d’installer des dispositifs de protection autour des transporteurs et des pièces mobiles, des systèmes de nettoyage rapide pour les fuites, des sols qui permettent l’écoulement des liquides et des rambardes sur les passerelles le long de la chaîne de production ou en hauteur. Il faut respecter les consignes de verrouillage, lors de l’entretien des transporteurs de copeaux, des machines à papier et de celles comportant des parties mobiles. Les véhicules utilisés pour le stockage des copeaux, sur les quais et dans les zones d’expédition, dans les entrepôts ou à d’autres fins, doivent être équipés d’un dispositif antiretournement, d’une cabine offrant une bonne visibilité et d’un avertisseur sonore; les voies réservées aux véhicules et aux piétons doivent être marquées et signalées d’une façon claire.

Le bruit et la chaleur constituent aussi des risques omniprésents. Parmi les moyens de prévention technique auxquels on peut recourir, le principal consiste — comme on l’a expliqué ci-dessus — à isoler l’opérateur, en général pendant les opérations de préparation du bois, de fabrication de la pâte, de blanchiment et de mise en feuilles. Les véhicules servant à entasser les copeaux et à d’autres tâches extérieures peuvent aussi être équipés de cabines fermées et climatisées. Lorsqu’ils ne bénéficient pas de ce genre d’abri, les travailleurs doivent habituellement porter une protection auditive. Les personnes travaillant à la chaleur ou en plein air et les préposés à l’entretien des cuves doivent savoir reconnaître les symptômes d’hyperthermie; leurs horaires de travail seront aménagés pour permettre des périodes d’acclimatation et de repos. Le froid peut provoquer des engelures chez les personnes travaillant à l’extérieur. Il peut aussi entraîner la formation de brouillard à proximité des tas de copeaux, qui demeurent tièdes, et donc nuire à la visibilité.

La phase de préparation du bois et les premières étapes de la fabrication de pâte présentent des risques qui sont propres au bois, aux extraits de bois et aux micro-organismes associés. Les moyens de prévention dépendent de l’opération en cause; on pourra construire des cabines pour les opérateurs, encoffrer les scies et les convoyeurs et prévoir un système de ventilation, enfermer les tas de copeaux ou réduire les stocks. Très polluante, l’utilisation d’air comprimé pour nettoyer les poussières de bois doit être évitée.

La fabrication de pâte chimique peut exposer les travailleurs à des produits chimiques pendant le lessivage et à des sous-produits gazeux au cours de la cuisson, y compris à des composés de soufre réduit (pâte kraft) et oxydés (pâte au bisulfite), ainsi qu’à des composés organiques volatils. La formation de gaz est fonction de plusieurs facteurs: l’essence de bois utilisée; la quantité de bois transformée; la quantité et la concentration de liqueur blanche employée; le temps nécessaire pour la fabrication de la pâte; et la température maximale atteinte. En plus des soupapes automatiques placées au-dessous des lessiveurs et des salles de commande, il faut mentionner les dispositifs de ventilation avec aspiration à la source installés à la sortie des lessiveurs en continu et des réservoirs de décharge, qui permettent une ventilation variable selon les gaz rejetés; le maintien d’une pression négative dans les chaudières de récupération et les cuves contenant du sulfite et du dioxyde de soufre pour éviter les fuites de gaz; la présence d’une enceinte ventilée complètement ou partiellement fermée au-dessus des piles laveuses et des lessiveurs; des systèmes de contrôle continu des gaz qui déclenchent une alarme en cas de fuite; des plans et une formation pour les interventions en cas d’urgence. Les employés appelés à prélever des échantillons et à faire des tests doivent savoir qu’ils peuvent être exposés à des acides et à des matières caustiques au cours de l’opération et pendant l’élimination des déchets, et que des réactions secondaires peuvent se produire, comme la production de sulfure d’hydrogène (H2S) si de la liqueur noire provenant de la pâte kraft entre en contact avec des acides (par exemple, dans les égouts).

Dans les zones de récupération des produits chimiques, on peut trouver des substances acides et alcalines, et leurs sous-produits, à des températures dépassant 800 °C. Le personnel peut être amené, de par ses responsabilités, à entrer directement en contact avec ces produits, d’où la nécessité d’une tenue ultrarésistante. Ainsi, certains travailleurs chargés de ratisser les éclaboussures de salin qui s’accumulent au pied des chaudières risquent des brûlures d’origine chimique ou thermique. D’autres peuvent être exposés à des poussières lorsqu’on ajoute du sulfate de sodium à de la liqueur noire concentrée, et que la moindre ouverture ou fuite peut laisser passer des gaz de soufre réduit qui sont nocifs (voire mortels). Une explosion d’eau de salin est toujours à craindre autour de la chaudière de récupération. Des fuites d’eau le long des canalisations de la chaudière ont provoqué des explosions mortelles. Les chaudières de récupération doivent être arrêtées au moindre signe de fuite et il convient de prendre des précautions particulières pour en retirer le salin. Le chargement de la chaux et d’autres substances caustiques doit se faire au moyen de convoyeurs, de monte-charges et de cuves fermés et ventilés.

Dans les usines de blanchiment, les agents de blanchiment ainsi que des organochlorés et d’autres sous-produits peuvent atteindre le personnel exécutant. Les différents facteurs intervenant dans le procédé de production, comme la concentration du produit, la teneur en lignine, la température et la consistance de la pâte font l’objet d’un contrôle constant sous la forme de prélèvement d’échantillons et de tests en laboratoire. Vu le danger que présentent nombre d’agents de blanchiment utilisés, il convient d’installer des dispositifs de surveillance continue, de remettre à tous les employés un appareil de protection respiratoire de secours et de former les opérateurs de machines aux interventions d’urgence. La méthode habituelle de prévention consiste à placer une hotte de ventilation avec aspiration localisée au-dessus de chaque colonne de blanchiment et des cuves de lavage.

Dans la salle des machines d’une fabrique de pâte ou de papier, le personnel peut être exposé aux substances chimiques qui s’écoulent de la cuve de blanchiment, aux additifs utilisés pour la fabrication du papier et aux produits chimiques présents dans les eaux usées. A l’extrémité sèche des machines et dans la zone de finition, il peut se trouver exposé à des poussières (de cellulose, de matières de charge ou de produits d’enduisage) ainsi qu’aux gaz d’échappement des véhicules. Pour le nettoyage effectué entre les diverses étapes de la production, il arrive qu’on utilise des solvants, des acides et des alcalis. Plusieurs moyens de prévention technique sont alors envisageables: encoffrement total du séchoir des feuilles; encoffrement avec ventilation des zones où les additifs sont déchargés, pesés et mélangés; emploi d’additifs liquides de préférence aux additifs pulvérulents; utilisation d’encres et de colorants à base d’eau plutôt qu’à base de solvant; et abandon de l’air comprimé pour nettoyer les rognures et déchets de papier.

La production de papier dans les usines de recyclage dégage en général plus de poussières que la fabrication de papier classique avec de la pâte neuve. Du début des opérations (collecte et tri du papier) à la fin (production du papier), on peut entrer en contact avec des micro-organismes, mais le risque d’exposition à des produits chimiques est moins important que dans une usine classique.

Les fabriques de pâte et de papier emploient beaucoup de personnel pour entretenir leur équipement: menuisiers, électriciens, mécaniciens d’instruments, calorifugeurs, machinistes, maçons, mécaniciens, installateurs, peintres, plombiers, frigoristes, ferblantiers et soudeurs. En plus des risques propres à leur métier (voir chapitres no 82, «La transformation et le travail des métaux», et no 103, «Guide des professions»), ces personnes peuvent être exposées à tous ceux qui sont inhérents au processus de fabrication. Etant donné que les opérations en usine sont de plus en plus automatisées et encoffrées, les travailleurs chargés de l’entretien, du nettoyage et du contrôle de la qualité sont de plus en plus menacés. La fermeture d’une installation pour le nettoyage des cuves et des machines est particulièrement délicate. Selon le mode d’organisation de l’usine, ces tâches peuvent être exécutées par le personnel d’entretien ou de production interne, mais il arrive fréquemment qu’elles soient confiées à des sous-traitants, dont les services de sécurité et de santé au travail risquent d’être moins développés.

En dehors des étapes de fabrication proprement dites, le fonctionnement d’une usine de pâte et de papier entraîne quelques risques importants pour le personnel chargé de l’entretien. La fabrication de la pâte, la récupération des matériaux et l’exploitation des chaudières produisant énormément de chaleur, on s’est beaucoup servi d’amiante pour isoler les tuyaux et les cuves. On utilise souvent de l’acier inoxydable pendant toutes les étapes de confection de la pâte, de récupération des matériaux et de blanchiment ainsi que, dans une certaine mesure, pour la fabrication du papier. On sait que le soudage de ce métal libère des vapeurs de chrome et de nickel. Pendant les fermetures pour entretien, il arrive que l’on pulvérise une substance à base de chrome sur le sol et les parois des chaudières de récupération pour les protéger de la corrosion au moment de leur remise en route. Pour les contrôles de la qualité effectués le long de la chaîne de production, on se sert fréquemment d’indicateurs à infrarouges et à radio-isotopes. Bien que ces indicateurs soient habituellement blindés, les mécaniciens qui en assurent l’entretien peuvent être exposés à des rayonnements.

Le personnel affecté à d’autres opérations de l’usine peut aussi être exposé à des risques particuliers. Là, les travailleurs chargés des chaudières électriques, manipulent de l’écorce, des déchets de bois et de boue en provenance du système de traitement des effluents. Dans les usines plus anciennes, des travailleurs retirent les cendres du fond des chaudières qu’ils obturent ensuite grâce à un mélange d’amiante et de ciment autour de la grille. Avec les chaudières modernes, cette opération est automatique. Lorsque les matériaux dont on alimente les chaudières sont trop humides, les employés risquent d’être exposés à des projections résultant d’une combustion incomplète. Les travailleurs affectés au traitement de l’eau peuvent se trouver en contact avec des produits chimiques comme le chlore, l’hydrazine et diverses résines. Le générateur de ClO2, produit extrêmement réactif, est habituellement installé dans un secteur à accès réglementé, et l’opérateur, qui demeure dans une salle de commande à l’écart, ne se déplace que pour prélever des échantillons et nettoyer le filtre à sulfate. Le chlorate de sodium (oxydant puissant) utilisé pour produire du ClO2 peut devenir extrêmement inflammable si on le laisse se répandre et sécher sur une matière organique ou combustible. Il importe de noyer d’eau le moindre déversement avant de commencer tout travail d’entretien, puis de nettoyer consciencieusement tous les équipements. Il convient aussi de laisser les vêtements humides tels quels et de les tenir à l’écart des vêtements de ville tant qu’on ne les a pas nettoyés.

LES TYPES DE MALADIES ET D’ACCIDENTS

LES ACCIDENTS ET LES MALADIES NON MALIGNES

Susan M. Kennedy et Kjell Torén

Les accidents

Les statistiques sur le nombre global d’accidents dans cette industrie sont peu nombreuses. Comparé à d’autres secteurs manufacturiers, le taux d’accident enregistré en Finlande en 1990 était inférieur à la moyenne; au Canada, celui constaté entre 1990 et 1994 était du même ordre que dans les autres branches; en 1988, aux Etats-Unis, il dépassait légèrement la moyenne; en Suède et en Allemagne, il était supérieur de 25 et 70% (BIT, 1992; Workers’ Compensation Board of British Colombia, 1995).

Les risques les plus fréquents d’accidents graves et mortels dans le secteur des pâtes et papiers sont liés au matériel de fabrication proprement dit ainsi qu’au poids et aux dimensions extrêmes des balles et des rouleaux. Une étude réalisée en 1993 par le gouvernement américain sur les accidents du travail mortels survenus entre 1979 et 1984 dans des fabriques de pâte, de papier et de carton (US Department of Commerce, 1993) montre que 28% des victimes étaient restées prises entre des rouleaux ou des machines (en des points de pincement ou de cisaillement) et que 18% avaient été écrasées par des objets qui étaient tombés ou avaient basculé, notamment des rouleaux et des balles. Plusieurs décès avaient été provoqués par une électrocution, par l’inhalation de sulfure d’hydrogène ou d’autres gaz toxiques, ou par des brûlures graves d’origine thermique ou chimique, et un seul cas par un épuisement dû à la chaleur. Le nombre d’accidents graves attribuables aux machines à papier serait en recul grâce à l’installation de nouveaux équipements dans certains pays. Dans le secteur de la transformation, le travail est devenu répétitif et monotone et les machines sont plus rapides et plus puissantes qu’autrefois. Bien que l’on ne possède pas de données précises sur ce secteur, on s’attend à une augmentation du nombre de lésions par hypersollicitation liées à ce type de travail.

Les maladies non malignes

Les problèmes de santé les mieux documentés qui touchent les travailleurs des fabriques de pâte sont les troubles respiratoires aigus et chroniques (Torén, Hagberg et Westberg, 1996). Une fuite ou un autre dysfonctionnement peut exposer les travailleurs à des concentrations extrêmement élevées de chlore, de dioxyde de chlore ou de dioxyde de soufre. Ils peuvent présenter alors de graves lésions pulmonaires, avec une forte inflammation des voies respiratoires et des écoulements dans les poumons, qui rendent une hospitalisation nécessaire. L’étendue des atteintes dépend de la durée de l’exposition, de son intensité et du gaz en cause. Chez les personnes ayant survécu à une exposition aiguë, un rétablissement complet est possible. Cependant, lorsque l’exposition est moins forte (dans le cas d’incidents qui résultent aussi habituellement d’un dysfonctionnement ou d’un déversement), le contact avec du chlore ou du dioxyde de chlore peut déclencher de l’asthme. De nombreux rapports et des études épidémiologiques signalent des cas d’asthme provoqués par un irritant et l’on a des preuves, aujourd’hui, que les troubles peuvent persister pendant de longues années après l’épisode accidentel. Des travailleurs exposés de façon similaire, mais qui ne développent pas d’asthme, peuvent constater une aggravation persistante de certains symptômes: irritation des muqueuses nasales, toux, respiration sifflante et baisse du débit expiratoire. Les sujets les plus exposés à ce genre de risque sont les préposés à l’entretien, ceux qui travaillent dans les installations de blanchiment et les travailleurs du bâtiment en poste dans les fabriques de pâte. L’absorption d’une importante quantité de dioxyde de chlore provoque aussi une irritation des yeux et donne l’impression de voir un halo autour des sources lumineuses.

Des études de mortalité montrent une augmentation des risques de décès par maladies respiratoires chez les travailleurs des fabriques de pâte ayant été exposés au dioxyde de soufre et aux poussières de papier (Jäppinen et Tola, 1990; Thoren, Järvholm et Morgan, 1989). De même, les symptômes respiratoires sont plus fréquents dans les fabriques de pâte au bisulfite chez les travailleurs exposés de façon chronique à de faibles quantités de dioxyde de soufre (Skalpe, 1964), alors que dans les usines de pâte classiques, on ne constate habituellement pas d’aggravation de l’obstruction des voies respiratoires. Une irritation du système respiratoire est également signalée par les personnes affectées à la récupération de la térébenthine — opération fréquente dans les fabriques de pâte — et qui, de ce fait, sont exposées à d’importantes concentrations de terpènes. On associe aussi les poussières de papier ouaté à l’aggravation de l’asthme et de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (Torén, Hagberg et Westberg, 1996).

Le contact avec des micro-organismes, surtout autour des tas de copeaux et de déchets, des écorceuses et des essoreuses de boues, augmente les risques de pneumopathie par hypersensibilité. Les exemples sont limités à des cas isolés d’alvéolite allergique extrinsèque, laquelle peut entraîner des lésions cicatricielles chroniques dans les poumons. La bagassose, pneumopathie par hypersensibilité associée au contact de micro-organismes thermophyles et de la bagasse (sous-produit de la canne à sucre), demeure un danger dans les usines où l’on utilise les fibres de bagasse.

Les autres éléments nocifs pour le système respiratoire que l’on rencontre couramment dans l’industrie des pâtes et papiers sont notamment les fumées produites lors des opérations de soudage d’acier inoxydable et l’amiante (voir, notamment, «L’amiante» dans le chapitre no 62 («Les composés minéraux et les produits chimiques à usage agricole»), «Le nickel» et «Le chrome» dans le chapitre no 63 («Les métaux: propriétés chimiques et toxicité»), dans la présente Encyclopédie. Le personnel d’entretien est le plus exposé à ces risques.

Les composés de soufre réduit (dont le sulfure d’hydrogène, les disulfures de diméthyle et les mercaptans), irritants oculaires puissants, peuvent engendrer des céphalées et des nausées chez certains travailleurs. Le seuil olfactif de ces composés est très bas (de l’ordre de la ppb) chez les individus qui n’ont encore jamais été exposés; en revanche, il est beaucoup plus élevé chez ceux qui travaillent depuis longtemps dans l’industrie. Des concentrations de l’ordre de 50 à 200 ppm produisent une fatigue olfactive qui rend incapable de détecter l’odeur pourtant caractéristique «d’œuf pourri». Une concentration plus forte entraîne une perte de conscience et une paralysie respiratoire pouvant évoluer vers la mort. Des décès provoqués par un contact avec des composés de soufre réduit dans des espaces confinés sont survenus dans plusieurs fabriques de pâte.

La mortalité par maladies cardio-vasculaires serait plus élevée chez les travailleurs des fabriques de pâtes et de papiers et, si l’on en croit certaines preuves dose-réponse, elle pourrait être liée à l’exposition à des composés de soufre réduit (Jäppinen, 1987; Jäppinen et Tola, 1990). Toutefois, cette augmentation pourrait aussi résulter de l’exposition au bruit et du travail posté, facteurs qui ont été associés à une augmentation des risques de cardiopathie ischémique dans d’autres branches.

Parmi les problèmes cutanés que l’on retrouve chez les travailleurs du secteur, il faut mentionner les brûlures aiguës d’origine chimique ou thermique et la dermite de contact (irritante et allergique). Dans les fabriques de pâte kraft, il arrive fréquemment qu’ils soient victimes de brûlures cutanées dues à des alcalis après un contact avec de la liqueur chaude ou des boues d’hydroxyde de calcium produites pendant la phase de récupération. La dermite de contact est plus répandue dans les fabriques de papier et les installations de transformation, car beaucoup d’additifs, d’agents de démoussage, de biocides, d’encres et de colles utilisés dans la fabrication du papier et des sous-produits ont sur la peau un effet irritant et sensibilisant marqué. La dermite peut résulter d’une exposition à ces produits chimiques mêmes ou de la manipulation de papier ou de sous-produits venant d’être traités.

Le bruit constitue une nuisance importante dans tous les secteurs de l’industrie des pâtes et papiers. D’après le ministère du Travail des Etats-Unis, le niveau de bruit dépasse 85 dBA dans plus de 75% des usines du secteur du papier et des produits dérivés, contre 49% dans les entreprises manufacturières en général, et plus de 40% des travailleurs sont exposés régulièrement à des niveaux sonores supérieurs à 85 dBA (US Department of Commerce, 1983). Souvent, les niveaux sonores autour des machines à papier, des déchiqueteuses et des chaudières de récupération dépassent largement 90 dBA. Les opérations de façonnage sont aussi extrêmement bruyantes. Pour protéger les personnes qui travaillent près des machines à papier, on installe des salles de commande fermées. Pour ce qui est des opérations de façonnage, pendant lesquelles l’opérateur se tient en général à proximité de la machine, on recourt rarement à ce type de mesure. Toutefois, lorsqu’on le fait, on constate une diminution de l’exposition non seulement aux poussières de papier mais aussi au bruit.

Il peut arriver que les températures dans les ateliers des machines à papier dépassent 60 °C. Cependant, on ne trouve aucune étude concernant les effets de la chaleur sur cette catégorie de travailleurs dans les publications scientifiques existantes.

LE CANCER

Kjell Torén et Kay Teschke

Le personnel du secteur des pâtes et papiers peut être exposé à de nombreuses substances désignées par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme étant des cancérogènes connus, probables ou possibles. L’amiante, réputé provoquer des cancers des poumons et des mésothéliomes, sert à isoler les tuyaux et les chaudières. Le talc, abondamment utilisé comme additif du papier, peut lui aussi être contaminé par de l’amiante. D’autres additifs du papier, dont les teintures à base de benzidine, le formaldéhyde et l’épichlorohydrine, sont des cancérogènes pro-bables pour l’être humain. On sait que le chrome hexavalent et les composés du nickel, produits par le soudage d’acier inoxydable, sont à l’origine de cancers du poumon et du nez. Le CIRC a rangé les poussières de bois parmi les cancérogènes connus, surtout à cause du nombre de cancers des voies nasales survenus chez les travailleurs exposés aux poussières de bois dur (CIRC, 1995). Les gaz d’échappement des moteurs diesel, l’hydrazine, le styrène, les huiles minérales, les chlorophénols et les dioxines, ainsi que les rayonnements ionisants figurent parmi les autres cancérogènes probables ou possibles qu’on retrouve dans les fabriques de pâtes et de papiers.

Il existe peu d’études épidémiologiques spécifiques à ce secteur et les résultats sont de toute façon rarement cohérents. Le plus souvent, les risques y sont réunis dans une large catégorie professionnelle appelée «pâtes et papiers» et, même dans les classifications plus détaillées, les travailleurs sont regroupés selon le mode de fabrication de la pâte et par type d’atelier. Les trois études de cohortes réalisées jusqu’à présent portent chacune sur moins de 4 000 individus. Plusieurs grandes études de ce type étaient en cours au moment de la rédaction de cette Encyclopédie ; le CIRC coordonnait une étude internationale multicentrique sur plus de 150 000 travailleurs du secteur pour mieux analyser les risques qui lui sont propres. Le présent article passe en revue les connaissances fournies par les études réalisées à ce jour. Pour plus de renseignements, on consultera les publications du CIRC (1981, 1987 et 1995) et les travaux de Torén, Persson et Wingren (1996). Les données concernant les cancers du poumon, de l’estomac et du sang sont résumées dans le tableau 72.7.

Tableau 72.7 Résumé des études portant sur le cancer du poumon, le cancer
de l’estomac, le lymphome et la leucémie chez les travailleurs du
secteur des pâtes et papiers

Processus

Lieu de l’étude

Type d’étude

Cancer du poumon

Cancer de l’estomac

Lymphome LNH/MH§

Leucémie

Sulfite

Finlande

C

0,9

1,3

X/X

X

Sulfite

Etats-Unis

C

1,1

0,7

0,9

Sulfite

Etats-Unis

C

0,8

1,5

1,3/X

0,7

Sulfite

Etats-Unis

MP

0,9

2,2*

2,7*/X

1,3

Sulfate

Finlande

C

0,9

0,9

0/0

X

Sulfate

Etats-Unis

C

0,8

1,0

2,1/0

0,2

Sulfate

Etats-Unis

MP

1,1

1,9

1,1/4,1*

1,7

Chlore

Finlande

C

3,0*

Sulfite/papier

Suède

EC

2,8*

Poussières de papier

Canada

EC

2,0*

Usine de papier

Finlande

C

2,0*

1,7

X/X

Usine de papier

Suède

C

0,7*

Usine de papier

Etats-Unis

C

0,8

2,0

2,4

Usine de papier

Suède

EC

1,6

Usine de papier

Etats-Unis

MP

1,3

0,9

X/1,4

1,4

Cartonnerie

Finlande

C

2,2*

0,6

X/X

X

Groupe électrogène

Finlande

C

0,5

2,1

Entretien

Finlande

C

1,3

0,3*

1,0/X

1,5

Entretien

Suède

EC

2,1*

0,8

Pâte et papier

Etats-Unis

C

0,9

1,2

0,7/X

1,8

Pâte et papier

Etats-Unis

C

0,8

1,2

1,7/X

0,5

Pâte et papier

Suède

EC

0,8

1,3

1,8

1,1

Pâte et papier

Suède

EC

2,2/0

Pâte et papier

Suède

EC

1,1

0,6

Pâte et papier

Etats-Unis

EC

1,2*

Pâte et papier

Etats-Unis

EC

1,1

Pâte et papier

Etats-Unis

EC

—/4,0

Pâte et papier

Canada

MP

1,2

3,8*/—

Pâte et papier

Etats-Unis

MP

1,5*

0,5

4,4/4,5

2,3

Pâte et papier

Etats-Unis

MP

0,9

1,7*

1,6/1,0

1,1

Pâte et papier

Etats-Unis

MP

0,9

1,2

1,5/1,9*

1,4

Pâte et papier

Etats-Unis

MP

1,7*

1,4

1,6*

C = étude de cohorte; EC = étude de cas; MP = étude de mortalité proportionnelle; LNH = lymphome non hodgkinien; MH = maladie de Hodgkin; X = 0 ou 1 cas signalé, sans calcul du risque; — = absence de données.

*= statistiquement significatif; § = si données distinctes. Une valeur supérieure à 1,0 indique une augmentation du risque, et une valeur inférieure à 1,0 une diminution du risque.

Source: d’après Torén, Persson et Wingren, 1996.

Les cancers de l’appareil respiratoire

Le personnel d’entretien des fabriques de pâte et de papier est plus exposé aux cancers du poumon et aux mésothéliomes malins, sans doute à cause de son contact avec l’amiante. Une étude réalisée en Suède a montré que le risque de mésothéliome pleural serait multiplié par trois dans cette industrie (Malker et coll., 1985). Après une analyse plus fine des résultats, les auteurs de l’étude ont découvert que 71% des sujets avaient été exposés à l’amiante et que la majorité d’entre eux avaient effectué des travaux d’entretien. On observe aussi une augmentation des risques de cancer du poumon chez le personnel d’entretien de la branche dans des travaux réalisés en Suède et en Finlande (Torén, Sällsten et Järvholm, 1991; Jäppinen et coll., 1987).

D’après ces mêmes auteurs, les risques de cancer du poumon sont deux fois plus élevés dans les fabriques de papier et de carton. Après avoir limité leur enquête aux seuls travailleurs des usines de pâte exposés à des composés du chlore, les chercheurs ont conclu à un triplement du risque de cancer.

Les autres études menées dans le secteur des pâtes et papiers qui mettent en évidence un accroissement des risques de cancer du poumon sont peu nombreuses. Une étude canadienne a montré une augmentation des risques chez les travailleurs en contact avec des poussières de papier (Siemiatycki et coll., 1986), et des études américaines et suédoises ont fait ressortir la même tendance parmi les travailleurs de fabriques de papier (Milham et Demers, 1984; Thoren, Järvholm et Morgan, 1989).

Les cancers de l’appareil gastro-intestinal

De nombreuses études concluent à une augmentation des risques de cancer de l’estomac, mais comme ces risques ne sont pas clairement associés à un secteur précis, il n’a pas été possible de préciser le facteur causal. La situation socio-économique et les habitudes alimentaires constituent aussi des facteurs de risque et peuvent être source de confusion; ces facteurs n’ont été pris en compte dans aucune des études passées en revue.

Le lien entre le cancer de l’estomac et le travail dans une usine de pâtes et papiers a été établi pour la première fois dans une étude faite aux Etats-Unis, dans les années soixante-dix (Milham et Demers, 1984). On a constaté que les risques étaient encore plus élevés, au point de presque doubler, lorsqu’on examinait séparément les travailleurs d’usines de pâte au bisulfite. La même tendance a été observée lors d’une étude ultérieure réalisée dans les fabriques de pâte au bisulfite et de pâte mécanique de défibreur aux Etats-Unis (Robinson, Waxweiler et Fowler, 1986). Des risques d’ampleur analogue ont été mis en évidence au terme d’une étude effectuée en Suède dans une région ne produisant que de la pâte au bisulfite (Wingren et coll., 1991). On a constaté un accroissement de la mortalité par cancer de l’estomac dans des fabriques de papier, de carton et de pâte dans les Etats du New Hampshire et de Washington, aux Etats-Unis (Schwartz, 1988; Milham, 1976). L’échantillon étudié était selon toute vraisemblance composé de travailleurs d’usines de papier et de pâte au bisulfite comme au sulfate. En Suède, des chercheurs ont noté un triplement de la mortalité due au cancer de l’estomac dans un groupe de sujets travaillant à la fabrication de papier et de pâte au bisulfite (Wingren, Kling et Axelson, 1985). La plupart des études effectuées dans l’industrie — mais pas toutes — font apparaître un nombre excessif de cancers de l’estomac.

A cause du petit nombre de cas étudiés, les études sur les autres cancers gastro-intestinaux ne sont, dans l’ensemble, pas concluantes. Une étude menée en Finlande (Jäppinen et coll., 1987) chez des travailleurs des fabriques de pâte au sulfate et de carton et une autre réalisée aux Etats-Unis (Solet et coll., 1989) dans des usines de pâtes et de papiers ont fait apparaître un risque accru de cancer du côlon. Un lien a été établi entre l’incidence de cancers du système biliaire constatée en Suède entre 1961 et 1979, et les données relatives à la profession recueillies dans le cadre du recensement national de 1960 (Malker et coll., 1986). On a observé une hausse de l’incidence des cancers de la vésicule biliaire chez les employés masculins des papeteries. D’après certaines études, les risques de cancer du pancréas seraient plus élevés chez le personnel des papeteries et des fabriques de pâte au bisulfite (Milham et Demers, 1984; Henneberger, Ferris et Monson, 1989), ainsi que dans la catégorie des travailleurs des usines de pâtes et de papiers (Pickle et Gottlieb, 1980; Wingren et coll., 1991). Ces observations n’ont toutefois pas été confirmées dans d’autres études.

Les cancers du sang

La question des lymphomes dont sont victimes les travailleurs de l’industrie des pâtes et papiers a été soulevée une première fois dans une étude américaine datant des années soixante qui a fait apparaître un quadruplement des risques de maladie de Hodgkin (Milham et Hesser, 1967). Une étude ultérieure, portant sur les taux de mortalité recensés parmi le personnel travaillant dans le même secteur dans l’Etat de Washington, aux Etats-Unis, entre 1950 et 1971, a conclu à un doublement des risques de maladie de Hodgkin et de myélome multiple (Milham, 1976). Une autre étude, menée auprès de travailleurs syndiqués des Etats-Unis et du Canada (Milham et Demers, 1984), a mis en évidence un quasi-triplement des risques de lymphosarcome et de réticulosarcome dans les usines de pâte au bisulfite, et un quadruplement des risques de maladie de Hodgkin dans celles au sulfate. D’après une étude de cohorte américaine, les travailleurs des fabriques de pâte au sulfate sont deux fois plus sujets au lymphosarcome et au réticulosarcome (Robinson, Waxweiler et Fowler, 1986).

De nombreuses études sur l’incidence des lymphomes malins ont conclu à une augmentation des risques (Wingren et coll., 1991; Persson et coll., 1993). Etant donné que cette tendance est observée dans les fabriques de pâtes employant du sulfate comme du bisulfite, on peut en déduire l’existence d’une source d’exposition commune. Dans les services de tri du bois et dans ceux qui le transforment en copeaux, le degré d’exposition est à peu près le même. Le personnel est en contact avec des poussières de bois, des terpènes et d’autres composés extractibles du bois. En outre, dans les deux cas, le blanchiment de la pâte se fait au chlore, procédé qui peut dégager des substances organochlorées, y compris de petites quantités de dioxines.

Par rapport aux lymphomes, le profil des leucémies recensées présente moins de régularité, et les risques évalués sont inférieurs.

Les autres cancers

Aux Etats-Unis, parmi des travailleurs de papeteries présumés exposés à du formaldéhyde, quatre cas de cancer de l’appareil urinaire ont été recensés après une période de latence de trente ans, alors qu’un seul cas était attendu (Robinson, Waxweiler et Fowler, 1986). Toutes ces personnes avaient travaillé dans des ateliers de séchage du papier.

Lors d’une étude de cas réalisée dans l’Etat du Massachusetts, aux Etats-Unis, la présence de tumeurs du système nerveux central chez l’enfant a été associée à l’emploi (sans autre précision) de l’un des parents dans une usine de pâtes et de papiers (Kwa et Fine, 1980). Les auteurs ont attribué ce phénomène au hasard. Pourtant, trois études ultérieures ont aussi fait apparaître une augmentation des risques (Johnson et coll., 1987; Nasca et coll., 1988; Kuijten et coll., 1992). Des chercheurs en Suède et en Finlande ont observé un doublement, sinon un triplement des risques de tumeur du cerveau, dans le secteur des pâtes et papiers.

LES PROBLÈMES D’ENVIRONNEMENT ET DE SANTÉ PUBLIQUE

Anya Keefe et Kay Teschke

Grande consommatrice de ressources naturelles (bois, eau et énergie), l’industrie des pâtes et papiers contribue fortement à la pollution de l’eau, de l’air et du sol et est étroitement surveillée depuis quelques années. Ces inquiétudes apparaissent justifiées, vu la quantité de polluants rejetée dans l’eau par tonne de pâte (par exemple, 55 kg de demande biologique en oxygène, 70 kg de solides en suspension et jusqu’à 8 kg de composés organochlorés) et la quantité de pâte produite dans le monde chaque année (environ 180 millions de tonnes en 1994). En outre, les vieux papiers, qui ne sont recyclés qu’à concurrence de 35% environ, représentent une part importante des déchets solides rejetés dans le monde (quelque 150 millions sur les 500 millions de tonnes annuelles).

Autrefois, les concepteurs des usines de pâtes et de papiers ne se préoccupaient pas de limiter la pollution. De nombreux procédés employés dans l’industrie avaient été mis au point sans que l’on se soucie véritablement de réduire le volume d’effluents et la concentration de polluants. Depuis les années soixante-dix, la lutte contre la pollution fait partie intégrante des éléments qui interviennent dans la conception des usines en Europe, en Amérique du Nord et dans d’autres régions du monde. La figure 72.12 illustre les solutions adoptées entre 1980 et 1994 dans les usines canadiennes pour faire face à certains de ces problèmes écologiques: utilisation accrue des déchets de bois et du papier recyclable comme sources de fibres, et diminution de la demande en oxygène et du volume d’organochlorés dans les eaux usées.

Figure 72.12 Indicateurs environnementaux dans les usines canadiennes de pâte et
de papier, entre 1980 et 1994

Figure 72.12

Le présent article traite des principales questions d’environnement liées à la fabrication de pâte et de papier, recense les sources de pollution et décrit brièvement les moyens de lutte, y compris les traitements extérieurs et les modifications apportées aux installations. Les questions relatives aux déchets de bois et aux fongicides antitache colorée de l’aubier sont étudiées plus en détail au chapitre no 71, «L’industrie du bois».

La pollution atmosphérique

Les composés de soufre oxydé rejetés dans l’atmosphère par les usines de pâtes et de papiers endommagent la végétation, et les émanations de composés de soufre réduit suscitent des plaintes à cause de leur odeur «d’œuf pourri». Les études effectuées parmi les riverains d’usines, notamment auprès d’enfants, ont fait apparaître des problèmes respiratoires en rapport avec les émissions de particules, outre une irritation des muqueuses et des maux de tête qui seraient attribuables aux composés de soufre réduit. Des différents procédés de fabrication de la pâte, les plus polluants pour l’atmosphère sont les procédés chimiques, en particulier lorsqu’il s’agit de pâte kraft.

Ce sont les opérations au bisulfite qui rejettent le plus d’oxydes de soufre, surtout celles qui font intervenir des bases au calcium ou au magnésium. Les principales sources comprennent les souffleuses des lessiveurs, les évaporateurs et les installations de préparation de la liqueur, tandis que les opérations de lavage, de criblage et de récupération sont les moins polluantes. Les chaudières de récupération de pâte kraft dégagent aussi du dioxyde de soufre, de même que celles qui fonctionnent au mazout et avec du charbon très sulfuré.

Les composés de soufre réduit, dont le sulfure d’hydrogène, le méthylmercaptan, le sulfure de diméthyle et le disulfure de diméthyle, se retrouvent presque exclusivement dans la fabrication de pâte kraft, et donnent aux usines une odeur caractéristique. Parmi les principales sources de ce type de composés, il faut citer les chaudières de récupération, les souffleuses et les soupapes des lessiveurs ainsi que les cheminées des piles laveuses, auxquelles peuvent s’ajouter les évaporateurs, les cuves de salin, les extincteurs de chaux, les fours à chaux et les eaux usées. Certaines fabriques utilisant le procédé au bisulfite procèdent à une réduction dans leurs chaudières de récupération, ce qui peut diminuer les problèmes d’odeur de soufre.

La meilleure façon de limiter les gaz de soufre émis par les chaudières de récupération est d’intervenir à la source. Les moyens auxquels on peut recourir sont notamment l’oxydation de la liqueur noire, la réduction de la teneur de la liqueur en soufre, l’utilisation de chaudières qui dégagent peu d’odeurs et leur bon réglage. Les gaz de soufre provenant des souffleuses des lessiveurs, de leurs soupapes et de l’évaporation de liqueur peuvent être collectés et incinérés, par exemple, dans le four à chaux. Il est possible de recueillir les gaz de carneau à l’aide d’épurateurs.

Dans certaines conditions d’exploitation, des oxydes d’azote sont produits. Ils résultent d’une combustion à température élevée et ce, que l’on ait affaire à une chaudière de récupération, à une chaudière électrique ou à un four à chaux. On peut limiter la quantité de ces oxydes en réglant la température, le ratio air-combustible et la durée du séjour dans la chambre de combustion. D’autres composés gazeux polluent l’atmosphère dans une moindre mesure (par exemple, le monoxyde de carbone produit par une combustion incomplète, le chloroforme par le blanchiment, et les composés organiques volatils par les soupapes des lessiveurs et l’évaporation de liqueur).

Les particules proviennent essentiellement des opérations de combustion et, dans une moindre mesure, des cuves de salin. Les fabriques de pâte produisent pour plus de la moitié des particules très fines (d’un diamètre inférieur à 1 µm). Elles contiennent du sulfate de sodium (Na2SO4) et du carbonate de sodium (Na2CO3) provenant des chaudières de récupération, des fours à chaux et des cuves de salin, ainsi que du chlorure de sodium (NaCl) issu des sous-produits du bois entreposé dans de l’eau salée. Les émissions des fours à chaux renferment une quantité importante de grosses particules à cause de sels de calcium qui ont été entraînés et de la sublimation de composés de sodium. Ces grosses particules peuvent aussi contenir des cendres volantes et des produits de combustion organiques, venant notamment des chaudières électriques. Il est possible de réduire les concentrations de particules en faisant passer les gaz de carneau dans des épurateurs ou des précipitateurs électrostatiques. Les chaudières, quant à elles, ont fait l’objet d’un certain nombre d’innovations techniques parmi lesquelles il faut mentionner les incinérateurs à lit fluidisé, qui fonctionnent à de très hautes températures, améliorent la conversion d’énergie et permettent de brûler des déchets moins réguliers.

La pollution de l’eau

Les eaux usées contaminées qui sortent des usines de pâtes et de papiers peuvent détruire les organismes aquatiques, favoriser une bioaccumulation de composés toxiques chez le poisson et altérer le goût de l’eau potable en aval. Ces effluents possèdent des caractéristiques physiques, chimiques ou biologiques particulières dont les plus importantes sont la teneur en solides, la demande en oxygène et la toxicité.

La teneur des eaux usées en solides se calcule habituellement sur la base de la fraction en suspension (et non dissoute), de la fraction de solides en suspension qui est décantable, et de la fraction globale qui est volatile. La fraction décantable est la plus problématique, car elle peut former une épaisse couche de boue près du point d’évacuation, ce qui provoque un épuisement rapide de l’oxygène dissous dans l’eau réceptrice et favorise la prolifération de bactéries anaérobies qui produisent du méthane et des gaz de soufre réduit. Bien qu’ils se diluent en général dans l’eau réceptrice et qu’ils soient donc moins inquiétants, les solides non décantables peuvent amener des composés organiques toxiques au contact d’organismes aquatiques. Les usines de pâtes et de papiers rejettent, entre autres solides en suspension, des particules d’écorce, de la fibre de bois, du sable, des impuretés produites par les broyeurs de pâte mécanique, des additifs servant à la fabrication du papier, de la lie de liqueur, des sous-produits du traitement de l’eau et des cellules microbiennes issues de traitements secondaires.

Les dérivés du bois dissous dans les liqueurs — oligosaccharides, sucres simples, dérivés de la lignine ayant un faible poids moléculaire, acide acétique et fibres de cellulose solubilisées — contribuent le plus à augmenter la demande biologique en oxygène (DBO) et la demande chimique en oxygène (DCO). Les composés toxiques pour les organismes aquatiques sont notamment les suivants: substances organochlorées (AOX (composés halogénés adsorbables) produites par le blanchiment, surtout de pâte kraft); acides résiniques; acides gras non saturés; alcools diterpéniques (issus surtout de l’écorçage et de la fabrication de pâte mécanique); juvabiones (résultant essentiellement de la fabrication de pâte au bisulfite et mécanique); produits de la dégradation de la lignine (provenant principalement de la fabrication de pâte au bisulfite); matières organiques synthétiques telles que myxobactéricides, huiles et graisses; produits chimiques de traitement, additifs servant à la fabrication du papier et métaux oxydés. Les composés organochlorés posent un problème particulier, car ils sont extrêmement toxiques pour les organismes marins et ont une tendance à la bioaccumulation. Les dangers que présente ce groupe de composés, où l’on trouve les dibenzo-π-dioxines polychlorées, expliquent principalement les mesures prises pour limiter l’emploi de chlore dans le blanchiment de la pâte.

La quantité et la source des solides en suspension ainsi que la demande en oxygène et les rejets toxiques dépendent des opérations effectuées (voir tableau 72.8). Du fait de la solubilisation des matières extractibles du bois sans récupération, ou presque, des produits chimiques et des acides résiniques, la fabrication de pâte au bisulfite et de PCTM produit des effluents extrêmement toxiques présentant une forte DBO. Les fabriques de pâte kraft ont toujours utilisé davantage de chlore pour le blanchiment, produisant en conséquence des effluents plus toxiques; toutefois, lorsqu’elles éliminent le Cl2 du blanchiment et qu’elles procèdent à un traitement secondaire, leurs effluents présentent généralement une toxicité aiguë réduite, voire nulle, et leur toxicité subaiguë apparaît fortement diminuée.

Tableau 72.8 Total des solides en suspension et DBO enregistrés dans les effluents
non traités (bruts) de diverses opérations

Opération

Total des solides en suspension (kg/tonne)

DBO (kg/tonne)

Pâte mécanique

50-70

10-20

PTM

45-50

25-50

PCTM

50-55

40-95

Kraft, non blanchie

20-25

15-30

Kraft, blanchie

70-85

20-50

Bisulfite, faible rendement

30-90

40-125

Bisulfite, rendement élevé

90-95

140-250

Désencrage, hors papier de soie

175-180

10-80

Déchets de papier

110-115

5-15

PTM (pâte thermomécanique)

PCTM (pâte chimico-thermomécanique)

Les solides en suspension posent aujourd’hui moins de problèmes parce que la plupart des usines effectuent une clarification primaire (décantation par gravité ou flottation à l’air dissous) qui élimine entre 80 et 95% des solides décantables. Pour réduire la DBO, la DCO et la quantité de composés organochlorés dans les effluents, on fait subir aux eaux usées des traitements secondaires: bassins d’oxygénation, activation des boues, filtration biologique, etc.

Des modifications sont apportées aux processus internes pour limiter les solides décantables, la DBO et la toxicité: écorçage et transport des billes à sec, amélioration du criblage des copeaux pour obtenir une cuisson uniforme, allongement de la délignification pendant la fabrication de la pâte, modification des procédés de récupération des produits chimiques utilisés pour le lessivage, emploi de nouvelles techniques de blanchiment, lavage à haute efficacité de la pâte, récupération des fibres de liqueur blanche et meilleure prévention des fuites. Cependant, il arrive toujours que des problèmes de fonctionnement (notamment s’ils résultent du déversement intentionnel de liqueurs dans les égouts) et des changements opérationnels (comme l’utilisation de bois non séché contenant une forte proportion de substances extractibles) fassent périodiquement augmenter la toxicité des effluents.

Pour mettre entièrement fin à la pollution des eaux, il existe une technique relativement récente qui consiste à mettre l’usine «en circuit fermé» lorsque les ressources hydriques ne sont pas suffisantes pour l’alimenter en eau ou pour en évacuer les effluents. Ce système donne de bons résultats dans les fabriques de PCTM et de pâte au bisulfite à base de sodium. Ce qui distingue les usines en circuit fermé c’est que, après évaporation des effluents liquides, le condensat est traité, filtré, puis réutilisé. Elles se caractérisent aussi par la présence de chambres de criblage, un mécanisme de lavage à contre-courant dans la salle de blanchiment et un système de dessalement. Si ces moyens permettent effectivement de limiter la pollution de l’eau, on ne sait pas encore vraiment dans quelle mesure une concentration de tous les contaminants dans l’usine affectera les travailleurs. Dans les établissements qui fonctionnent en circuit fermé, la corrosion constitue un sérieux problème, outre une augmentation des concentrations de bactéries et d’endotoxines dans l’eau recyclée.

Le traitement des solides

La composition des solides (boues) récupérés après traitement des effluents liquides varie selon leur source. Les solides issus du traitement primaire renferment principalement des fibres de cellulose. Quant aux solides provenant d’un traitement secondaire, ils renferment surtout des cellules microbiennes. Dans les usines qui utilisent des agents de blanchiment chlorés, les solides peuvent aussi contenir, après un traitement primaire ou secondaire, des composés organochlorés, facteur important que l’on doit prendre en considération pour déterminer l’ampleur du traitement nécessaire.

Avant de jeter les boues, on les met à décanter dans des cuves, puis on les assèche mécaniquement dans des centrifugeuses, des filtres sous vide ou à bande ou des presses à vis. Les boues récupérées après un traitement primaire sont relativement faciles à assécher. Les boues secondaires, qui contiennent beaucoup d’eau intracellulaire, sont prises dans de la vase; il faut donc leur ajouter des floculants chimiques. Une fois que les boues ont été suffisamment asséchées, on les élimine de différentes façons dans le sol (en les épandant sur une terre arable ou boisée, en les utilisant comme compost ou comme terreau) ou bien on les incinère. Bien qu’elle coûte plus cher et ajoute à la pollution atmosphérique, l’incinération peut être avantageuse parce qu’elle permet de détruire ou de réduire des matériaux toxiques (composés organochlorés, etc.) qui risqueraient de créer de graves problèmes environnementaux s’ils s’infiltraient dans les eaux souterraines à la suite d’un épandage.

Les usines peuvent produire des déchets solides à l’occasion d’autres opérations. Les cendres des chaudières électriques seront utilisées pour les plates-formes des routes, comme matériau de construction et comme produit dépoussiérant. Quant aux déchets des fours à chaux, on peut s’en servir pour modifier l’acidité des sols et en améliorer la composition chimique.

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