La pêche est une des activités de production les plus vieilles de lhumanité. Daprès les recherches archéologiques et historiques, la pêche en eau douce et en mer était très répandue dans les civilisations anciennes. Il semble même que les colonies humaines étaient souvent établies dans des régions où les prises de poisson étaient bonnes. Limportance de cette activité comme moyen de subsistance est confirmée par les études anthropologiques contemporaines sur les sociétés primitives.
Les pêches dans le monde se sont radicalement transformées au cours des derniers siècles. Les méthodes de pêche traditionnelles ont été largement supplantées par des techniques plus modernes issues de la révolution industrielle. Ce changement a été suivi dun accroissement considérable de leffort de pêche réalisé, dune augmentation beaucoup plus faible des niveaux de capture et dune forte diminution des stocks dun grand nombre despèces. Lindustrialisation de la pêche a également entraîné la déstabilisation et le déclin de bien des pêches traditionnelles. Enfin, les pressions croissantes qui sexercent à léchelle mondiale dans ce domaine ont engendré des différends internationaux sur les droits de pêche.
En 1993, les prises annuelles mondiales de poisson atteignaient environ 100 millions de tonnes (FAO, 1995). La production piscicole des pêches maritimes (mers et océans) et des pêches continentales (eau douce) représentait approximativement 16 millions de tonnes. Sur les quelque 84 millions de tonnes de poisson capturé par an, 77 millions venaient de la pêche en mer et le reste de la pêche en eau douce. Pour capturer de telles quantités, on disposait dune flotte de pêche forte de 3,5 millions de bâtiments et représentant une trentaine de millions de tonneaux de jauge bruts (FAO, 1993, 1995). Il existe peu de données précises sur le nombre de pêcheurs, mais lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO, 1993) la situé aux alentours de 13 millions. On possède encore moins de renseignements sur les effectifs des travailleurs engagés dans la transformation et la distribution du poisson. On peut considérer sans exagération que ceux-ci sont au moins égaux au nombre de pêcheurs et quils peuvent même en atteindre le double. Cela voudrait dire que, à léchelle mondiale, entre 25 et 40 millions de personnes travaillent dans le secteur de la pêche.
LAsie arrive de loin au premier rang, avec une production représentant près de la moitié des captures annuelles totales de poisson (FAO, 1995). LAmérique du Nord et lAmérique du Sud viennent en deuxième position (30%), suivies par lEurope (15%). LAfrique et lOcéanie occupent une place relativement modeste, avec environ 5% des prises mondiales annuelles.
En 1993, la Chine était le premier pays au monde pour la quantité de poisson pêchée en mer, totalisant 10 millions de tonnes, soit à peu près 12% de la capture mondiale. Le Pérou et le Japon occupaient la deuxième et la troisième place, avec environ 10% chacun de la pêche mondiale. Cette même année, 19 pays capturaient plus de 1 million de tonnes de poisson de mer.
La production mondiale de poisson porte sur un grand nombre despèces et de pêches. Très peu de pêches ont un rendement annuel supérieur à 1 million de tonnes. Les principales, en 1993, étaient la pêche à lanchois au Pérou (8,3 millions de tonnes), la pêche à la goberge en Alaska (4,6 millions de tonnes) et la pêche au chinchard au Chili (3,3 millions de tonnes). Ensemble, ces trois pêches représentent environ un cinquième des prises mondiales totales de poisson marin.
La croissance démographique et le progrès des techniques halieutiques ont entraîné une forte augmentation de lactivité dans ce secteur. Cet accroissement, qui sest amorcé en Europe il y a plusieurs siècles, a été particulièrement marqué, à léchelle mondiale, au cours du XXe siècle. Daprès les statistiques de la FAO (FAO, 1992, 1995), les prises mondiales totales ont quadruplé depuis 1948; inférieures alors à 20 millions de tonnes, elles atteignent en 1995 quelque 80 millions de tonnes, ce qui correspond à une croissance annuelle de près de 3%. Cependant, depuis quelques années, la récolte marine est stable; elle oscille autour de 80 millions de tonnes par an. Etant donné que leffort de pêche mondial na cessé daugmenter, le niveau de rendement durable maximal de capture a déjà été atteint, voire dépassé du fait de lexploitation des réserves mondiales de poisson les plus importantes. Par conséquent, la capture de poissons de mer ne peut plus augmenter à lavenir, sauf à exploiter de nouvelles réserves.
Une forte expansion sest également produite dans les secteurs de la transformation et de la commercialisation du poisson. Grâce aux progrès réalisés dans les techniques de transport et de conservation et en raison de laugmentation du revenu individuel réel, des quantités sans cesse croissantes de poisson sont transformées, conditionnées et commercialisées comme produits alimentaires à fort rapport économique. Cette tendance saccélérera probable-ment encore à lavenir, se traduisant par un accroissement important de la valeur ajoutée à lunité. Par contre, cette évolution entraîne du même coup le remplacement des activités traditionnelles de transformation et de distribution du poisson par des méthodes de production industrielles faisant appel à la haute technologie. Phénomène plus grave, ce processus (que lon appelle parfois mondialisation des marchés du poisson) risque de priver des collectivités sous-développées de leurs sources dapprovisionnement de base en poisson à cause de la surenchère des pays industriels.
A lheure actuelle, les pêches mondiales se répartissent en deux secteurs tout à fait distincts: les pêches artisanales et les pêches industrielles. La plupart des pêches artisanales sont le prolongement des pêches locales traditionnelles, qui nont guère changé au cours des siècles. Par conséquent, elles font très peu intervenir la technologie, emploient une main-duvre nombreuse et sont confinées à des zones côtières (voir lencadré intitulé «Les plongeurs indigènes»). Les pêches industrielles, par contre, utilisent des techniques de pointe et des moyens financiers considérables. Les navires de pêche industrielle sont généralement de grande taille et bien équipés et peuvent étendre leur activité à travers les océans.
Du point de vue du nombre des bateaux et des emplois, le secteur artisanal domine la pêche mondiale. Ainsi, près de 85% des navires de pêche et 75% des pêcheurs pratiquent la pêche artisanale. Malgré cela, parce quelle emploie une technologie rudimentaire et quelle a un rayon daction limité, la flotte de pêche artisanale nassure quune fraction peu élevée des prises mondiales. En outre, étant donné sa faible productivité, le revenu des pêcheurs artisanaux est généralement maigre et leurs conditions de travail sont difficiles. Le secteur de la pêche industrielle est beaucoup plus rentable. Bien quelle ne représente que 15% des navires de pêche et 50% de leur tonnage total, la flotte industrielle assure, à léchelle mondiale, la capture de plus de 80% des poissons de mer.
Aujourdhui, lintensification de la pêche est principalement due au développement des pêches industrielles. La flotte industrielle a réalisé des gains de productivité importants dans les zones de pêche traditionnelles et a étendu lactivité halieutique, qui était confinée aux régions côtières où leau est relativement peu profonde, à pratiquement toutes les zones marines poissonneuses. Par contre, en dépit des progrès techniques enregistrés, la pêche artisanale est restée pratiquement stable.
La valeur des prises de poisson débarquées dans le monde est estimée entre 60 et 70 milliards de dollars E.-U. (FAO, 1993, 1995). Même en admettant que les opérations de transformation et de distribution de poisson permettent de doubler ou de tripler cette valeur, la pêche représente une branche dactivité relativement secondaire, surtout si on la compare à lagriculture, la principale industrie de production alimentaire au niveau mondial. La pêche demeure capitale pour certains pays et certaines régions, notamment pour de nombreuses collectivités établies le long des côtes de lAtlantique Nord et du Pacifique Nord. En outre, pour bien des communautés dAfrique occidentale, dAmérique du Sud et dAsie du Sud-Est, elle est la principale source de protéines animales et revêt, de ce fait, une très grande importance économique.
Leffort de pêche mondial sest considérablement accru au cours du XXe siècle, surtout depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cest pourquoi de nombreuses réserves de poissons comptant parmi les plus précieuses sont réduites à un point tel quun effort de pêche accru engendre une réduction des quantités pêchées. La FAO estime que la plupart des grands stocks de poissons sont exploités à pleine capacité, voire surexploités (FAO, 1995). Par conséquent, la capture de la plupart des espèces les plus importantes a en fait diminué et, malgré des progrès constants de la technologie halieutique et les hausses du prix réel du poisson, le rendement économique de la pêche a baissé.
Face à une diminution des stocks et de la rentabilité de lindustrie de la pêche, la plupart des pays où se pratique cette activité se sont efforcés dapporter des solutions de deux ordres, à savoir lextension des zones de pêche de compétence nationale à 200 milles nautiques des côtes au minimum et limposition de nouveaux systèmes de gestion des pêches à lintérieur de ces zones.
Diverses méthodes daménagement des pêches ont été expérimentées pour accroître la rentabilité de cette industrie. Sachant que la source du problème est la copropriété des stocks de poissons, les systèmes les plus modernes de gestion des pêches tentent dy remédier en instaurant des droits de quasi-propriété. Il est par exemple courant de fixer le total admissible de capture pour chaque espèce et de le répartir entre les diverses sociétés de pêche sous la forme de quotas individuels. Ces quotas représentent un droit de propriété. Pour autant que ceux-ci soient échangeables, lindustrie de la pêche a tout à gagner à limiter le plus possible leffort de pêche nécessaire pour atteindre ce total et, sils sont permanents de surcroît, il est dans son intérêt dajuster la taille de sa flotte en fonction du rendement durable à long terme de la pêche. Cette méthode daménagement des pêches (appelée généralement système des quotas individuels transférables (QIT)) est actuellement de plus en plus répandue à léchelle mondiale et semble être appelée à devenir le modèle de lavenir en la matière.
Lextension des zones de pêche de compétence nationale et les systèmes de gestion axés sur les droits de propriété appliqués dans ces zones supposent une restructuration en profondeur de lindustrie de la pêche. Le fait de clôturer pour ainsi dire les océans par lextension des zones de pêche de compétence nationale, phénomène qui est en voie de se généraliser, éliminera en pratique presque complètement la pêche lointaine (grande pêche) en haute mer. Les systèmes daménagement des pêches fondés sur les droits de propriété représentent également une incursion accrue des forces du marché dans la pêche. Le rendement de la pêche industrielle est supérieur à celui de la pêche artisanale. En outre, les armements de pêche industrielle sont davantage en mesure que les pêcheurs artisanaux de sadapter à de nouveaux systèmes de gestion des pêches. Par conséquent, il semble que lévolution des méthodes daménagement des pêches constitue une nouvelle menace pour la pêche artisanale. Compte tenu de cette situation et de la nécessité de réduire leffort de pêche global, il semble inévitable que le niveau demploi dans cette branche soit appelé à chuter radicalement.
Le travail en mer sur les bâtiments de pêche diffère à maints égards du travail sur les navires transporteurs de marchandises classiques, bien que les activités liées à la navigation proprement dite soient analogues sinon identiques. La principale différence entre les navires de charge classiques et les bâtiments de pêche vient de ce que les premiers sont chargés dans les ports. Après le chargement, leurs écoutilles doivent être fermées hermétiquement pour nêtre généralement ouvertes à nouveau quà larrivée au port de destination, où seffectue le déchargement de la cargaison.
Les navires de pêche, par contre, capturent le poisson sur les lieux de pêche et chargent leur cargaison en mer. Un navire de pêche doit donc plus ou moins fréquemment laisser une partie de ses écoutilles ouvertes en mer, ce qui peut comporter des risques de submersion.
Dautres risques sont liés à la capture proprement dite. Les engins de pêche ralentissent souvent beaucoup la progression du navire, même lorsquil est de petite taille. En outre, la pêche proprement dite se déroule généralement dans des zones exposées aux vents. De plus, sur la plupart des petits bateaux de pêche, léquipage doit toujours travailler sur le pont, à découvert.
Les navires de pêche sont par conséquent plus vulnérables que les navires de charge, surtout sur une mer houleuse, et ils nécessitent une architecture particulière et le recours à des méthodes très différentes pour la formation des capitaines et des équipages.
Les navires de pêche sont adaptés aux méthodes de pêche quils pratiquent. Certains dentre eux sont conçus pour une méthode de pêche en particulier; dautres sont polyvalents et peuvent être équipés de deux ou trois types dengins de pêche. Les principales méthodes de pêche sont:
Le chalutage latéral était la méthode initiale de chalutage par le fond. Un chalutier à pêche latérale est doté de deux potences, une à lavant et lautre à larrière, placées généralement à tribord (côté situé à la droite dune personne regardant vers lavant (la proue) dun navire). Le chalut est filé sur le côté par léquipage et les funes (câbles dacier) glissent sur des poulies suspendues aux potences. Les panneaux de chalut (servant à maintenir la gueule du chalut ouverte), situés de part et dautre de celles-ci, sont placés en biais pour le maintenir ouvert lorsquil est tiré sur le fond par le navire (voir figure 66.3). Le poisson samasse dans ce que lon appelle le cul-de-chalut. La superstructure dun chalutier à pêche latérale est la timonerie arrière ou centrale avec un treuil à deux tambours placé généralement en avant de la cabine, sur le pont avant. Les prises sont hissées à bord sur lextrémité du pont avant au moyen dun mât de charge. Les chalutiers à pêche latérale encore utilisés de nos jours sont très peu nombreux, ayant pratiquement tous été remplacés par des chalutiers de pêche arrière. Ceux-ci sont dotés dune passerelle avant et dun grand portique arrière au lieu de potences (voir figure 66.4). Les gros chalutiers de pêche arrière sont équipés dun pont-couvert; le treuil du chalut principal est souvent situé au milieu du navire, qui dispose également de plusieurs treuils plus petits, placés sur larrière-pont, servant à lever certaines parties du filet. Le chalut est remonté sur une rampe arrière au-dessus du pont-couvert, où le cul-de-chalut est levé et le contenu vidé par une écoutille dans des compartiments se trouvant sur le pont principal, qui est un pont-usine sur les gros chalutiers de pêche arrière.
Les chalutiers pélagiques servent à capturer aussi bien des poissons pélagiques que dautres espèces vivant en bancs à différents niveaux entre le fond marin et la surface. Le chalutage pélagique se pratique avec le même type de navire que le chalutage par le fond, mais les chalutiers sont généralement équipés dun tambour à filet conçu pour des filets beaucoup plus grands. Ils sont pourvus de panneaux spéciaux, de poids et de flotteurs sur les funes pour régler la profondeur à laquelle le chalut est traîné.
Les senneurs sont conçus pour capturer les espèces de poissons qui se rassemblent en bancs autonomes comme le hareng, le capelan et le maquereau. Les prises peuvent être très importantes et la capacité utile du navire doit donc être en rapport. La ralingue supérieure de la senne est munie de flotteurs et le fond est plombé. Comme le bateau doit disposer le filet en cercle autour du banc de poissons, il importe quil ait une bonne maniabilité et, surtout, une bonne aptitude à virer. Il existe deux types de senneurs: le modèle hispano-californien et le modèle scandinave (ou nordique). Les deux utilisent des poulies motrices à transmission hydraulique. Sur les navires américains, la passerelle et les locaux dhabitation sont situés à lavant et les poulies motrices se trouvent sur un mât de charge en arrière du rouf. Les senneurs nordiques étaient à lorigine des chalutiers à pêche latérale, avec le rouf, la timonerie et les logements à larrière. La poulie motrice se trouve généralement à tribord de la timonerie; un tambour à transmission hydraulique achemine le filet de la poulie motrice au parc à filet localisé à larrière. Lorsque le banc de poissons est encerclé, le bas de la senne est fermé par la traction exercée sur la fune inférieure par le treuil de halage; le poisson est alors pompé du filet puis envoyé dans la cale par un séparateur de poisson et deau.
Les modèles récents de senneurs scandinaves (voir figure 66.5) sont généralement de la même taille que les gros chalutiers de pêche arrière; ils sont munis dun entrepont allant de la proue à la poupe et dun parc à filet séparé à larrière. La disposition du vireur de filet est toujours la même que sur les premiers modèles de navires de ce genre.
La pêche à la palangre est une technique de pêche qui consiste à étendre une ligne maîtresse à laquelle plusieurs lignes plus courtes (avançons), munies à leur extrémité dun hameçon appâté, sont attachées à intervalles de 1 à 2 m. Après un certain temps, le bateau de pêche remonte la ligne et le poisson capturé est décroché. Cette méthode de pêche a longtemps été et est toujours utilisée sur des embarcations relativement petites, à pont découvert (voir figures 66.6 et 66.7). Habituellement, les hameçons sont aichés à terre et les lignes sont lovées dans des bacs. Le bateau de pêche laisse la ligne se dévider à larrière et celle-ci est remontée à tribord au moyen dun haleur de ligne hydraulique.
Un navire moderne de pêche à la palangre, avec système automatique de dévidage et de remontée des lignes, est équipé dun pont-couvert muni dune ouverture latérale pour le halage, et dune ouverture arrière pour le dévidage de la ligne de fond. Les deux ouvertures peuvent être fermées hermétiquement et sont isolées par des cloisons de façon à limiter la superficie du pont de pêche susceptible dêtre inondée en cas de vague déferlante. Lorsque la ligne a été remontée sur le navire au moyen du haleur de ligne, elle passe dans un boëtteur automatique et, en une seule opération, la vieille aiche est retirée de lhameçon et le nouvel appât accroché, juste avant que la ligne ne soit à nouveau dévidée. Les palangriers peuvent avoir environ 60 m de longueur et accueillir de 20 à 40 membres déquipage. Le système automatique de dévidage et de remontée de lignes comprend de 40 000 à 50 000 hameçons accrochés à une ligne, qui peut atteindre 60 km de long. La ligne se dévide à une vitesse de 7 à 8 nuds et le haleur de ligne a une puissance de traction de 5 tonnes environ. Laire de traitement du poisson se trouve sur lentrepont, où sont installés des bandes transporteuses, des bacs et des tables pour léviscération et le filetage manuels. Dans certains cas, ces navires sont aussi équipés pour la congélation du poisson.
Avec ce genre de filet, les poissons sont pris par les ouïes. Sur les navires de pêche dotés dune superstructure arrière et dun pont de pêche découvert dans la partie centrale, plusieurs filets maillants dérivants sont jetés bout à bout sur le côté. Une boque est attachée à lextrémité libre des filets et de nombreux flotteurs sont fixés à la ralingue supérieure. La traction exercée par le navire maintient les filets tendus. Dans de nombreux pays, ce type de pêche a été remplacé par le chalutage pélagique et la pêche à la senne coulissante.
La pêche côtière à bord de petites embarcations est une activité importante qui a connu un développement considérable dans de nombreux pays. Les petites embarcations en bois non pontées munies dun moteur hors-bord ou in-bord ont été remplacées, pour la plupart, par des bateaux généralement en fibre de verre à pont ou demi-pont, conçus comme des bateaux de vitesse permettant de gagner des lieux de pêche semi-hauturiers. Ces embarcations mesurent de 8 à 15 m et sont équipées dun moteur de 250 à 400 chevaux qui leur permet datteindre une vitesse de croisière de 24 nuds. La cabine est généralement équipée de deux couchettes, dune cuisine et dune toilette. Certains de ces bateaux disposent dau moins quatre moulinets de pêche à la turlutte qui sont des machines électroniques de pêche à la ligne. Le moulinet de pêche à la turlutte dévide la ligne et, au moment où le plomb touche le fond, il remonte les hameçons à la distance souhaitée du fond et fait dandiner la ligne. Il détecte les touches et hisse les prises à la surface.
La taille des navires de pêche ayant augmenté et la grande pêche loin des ports dattache étant devenue plus courante, la transformation du poisson à bord est également désormais beaucoup plus fréquente. Comme lespace est plus limité sur un navire que dans les usines à terre, il a fallu concevoir des installations et des lignes de transformation plus compactes, dotées dun équipement automatique pouvant servir à la fois pour le poisson et pour la crevette.
A lavant du bord supérieur de la rampe de halage arrière dun chalutier moderne de pêche arrière, le contenu du cul-de-chalut est vidé et convoyé par des goulottes à commande hydraulique du pont de pêche dans des bacs en acier inoxydable situés sur le pont inférieur, à larrière de la salle de transformation du poisson. A travers quatre goulottes à commande hydraulique aménagées dans le compartiment avant des bacs de réception, le poisson est déversé sur un tapis qui lachemine aux postes de la salle de travail mesurant 520 m2. Celle-ci est aménagée pour la production de filets, de blocs, de hachis de poisson et de poisson étêté et éviscéré. Pour une représentation graphique des différentes étapes de la transformation, se reporter à la figure 66.8.
La ligne de transformation, autant que possible automatisée, est équipée de transporteurs, de bacs dentreposage temporaire et de dérivations, etc. Elle comprend léquipement ci-après:
La ligne de transformation dispose également dun poste de filetage manuel à quatre places. Le système de congélation est relié à trois congélateurs automatiques à plaques et à un congélateur à commande manuelle. La capacité de congélation est denviron 70 tonnes de filets de poisson par vingt-quatre heures.
La taille des caisses de poisson utilisées est standard; les filets et les morceaux sont conditionnés en blocs de poids standard lui aussi. Un élévateur est installé pour le convoyage depuis la ligne de transformation jusquà la cale. La cale à poisson, dun volume total de 925 m3, peut être maintenue, par exemple, à une température de 30 °C, avec une température extérieure de 30 °C et une température de leau de mer de 20 °C.
A tribord de laire de transformation du poisson se trouve en outre une ligne de traitement de la crevette équipée dun convoyeur de triage, dune calibreuse, dun cuiseur, dune balance, dun tunnel de congélation et dune emballeuse. Une partie du matériel de transformation du poisson blanc est également utilisée pour le traitement de la crevette (par exemple, les bacs de réception, les congélateurs à plaques, la ligne demballage, les transporteurs et le stockage dans la cale à poisson).
Certains gros chalutiers congélateurs disposent dune unité de production de farine de poisson pouvant traiter de 50 à 60 tonnes de matière première et produire de 7 à 9 tonnes de farine de poisson par vingt-quatre heures. Pour obtenir un produit de bonne qualité, cette installation est équipée dun séchoir à vapeur, produite par une chaudière à gaz déchappement et à mazout. Linstallation comprend les machines ci-après:
La farine est alors acheminée jusquà un poste densachage situé dans la cale à farine de poisson où elle est entreposée dans des sacs de papier ou de jute de 35 kg.
Pour les membres déquipage qui travaillent dans laire de transformation, les postes de travail où lon peut rester debout pendant de longues heures sont munis de plates-formes réglables.
Léquipement de transformation du poisson blanc et des autres fruits de mer sur les navires-usines qui ne participent pas à la pêche est pratiquement identique à celui que lon trouve à bord de bâtiments comme les chalutiers de pêche arrière sur lesquels seffectue la transformation des prises. La principale différence tient à ce que ces navires-usines suivent la flotte de pêche jusque sur les bancs, récupèrent les prises, les traitent et les transportent jusquau port.
La création de chaînes de congélation et déquipements de transformation du poisson pour les navires a également exercé une influence considérable sur les installations des usines de transformation du poisson à terre. Le système automatique, mais souple, comporte un certain nombre de postes de travail où la qualité du produit, la performance, la capacité et le rendement sont contrôlés séparément pour une gestion optimale du système. Les filets sont acheminés vers une portionneuse et les portions sont dirigées vers des appareils de surgélation rapide ou des postes demballage. Grâce au système de transporteurs à bande dont sont munies les lignes de transformation du poisson et des crevettes, ces lignes ont un rendement remarquable pour un minimum deffort, car les travailleurs nont pas besoin de soulever ou de lancer le poisson.
Trois organisations des Nations Unies lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO), lOrganisation internationale du Travail (OIT) et lOrganisation maritime internationale (OMI) ont décidé de collaborer à la rédaction dun recueil de règles de sécurité pour les pêcheurs et les navires de pêche, dans leurs domaines de compétence respectifs:
Un groupe mixte de conseillers des trois organisations a rédigé le Recueil de règles de sécurité pour les pêcheurs et les navires de pêche qui comprend deux parties: la partie A, intitulée «Directives pratiques de sécurité et dhygiène à lusage des patrons et des équipages», contenant des directives opérationnelles et professionnelles; et la partie B, intitulée «Dispositions à prévoir en matière de sécurité et dhygiène pour la construction et léquipement des navires de pêche». Lobjet de ce guide est de réduire les risques de lésions corporelles pour les pêcheurs et déviter autant que possible les accidents, tout en diminuant les risques davarie au navire. LOMI a assuré la coordination des projets damendement, lesquels ont tous été soumis à lapprobation finale des trois organisations. Des éditions revues et corrigées du Recueil ont été publiées par lOMI pour son propre compte et pour celui de la FAO et lOIT.
La partie A contient les renseignements de base nécessaires pour assurer la sécurité des opérations de pêche, notamment celle de la navigation, la navigabilité du navire et son équipement adéquat. Les autres mesures de protection concernent, par exemple, le maintien dune bonne stabilité du navire; les précautions à prendre contre les risques de tomber à la mer; la sécurité en général sur le pont; la sécurité dans la salle des machines et celle de léquipement mécanique; et la connaissance des engins de sauvetage, des mesures de prévention des incendies et du contenu de la trousse de premiers secours. Lentretien permanent de tous les dispositifs de sécurité du navire et de son équipement est également essentiel.
La connaissance du fonctionnement et de la manuvre du navire est indispensable pour en assurer la sécurité. Le patron dun navire de pêche de plus de 24 m de long naviguant au large doit être au courant de tous les aspects de la navigation, et de la manuvre de tels bâtiments. Il doit savoir comment ils sont construits et quels sont les critères de stabilité. Il doit être en mesure dutiliser les courbes de stabilité et dévaluer linfluence de la charge de poisson, de la quantité deau et de carburant dans les réservoirs, de la masse deau accumulée sur le pont et de la fermeture des ouvertures du navire, ainsi que de la traction des engins de pêche.
Pour la sécurité des navires de pêche et de leur équipage, il est essentiel que léducation, la formation et laccréditation de toutes les personnes se trouvant à bord répondent à des normes reconnues très strictes. Cest dailleurs dans ce but qua été signée la Convention internationale de 1995 sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille, au siège de lOMI, à Londres. Les Etats concernés ont entrepris de promulguer toutes les lois et ordonnances et tous les décrets et règlements nécessaires pour que, du point de vue de la sécurité de la vie et des biens en mer et de la protection de lenvironnement marin, le personnel des navires de pêche en mer soit qualifié et apte à remplir ses fonctions. Cette convention devait entrer en vigueur 12 mois après sa ratification par 15 Etats au moins.
Les règlements publiés en annexe de la Convention spécifient les prescriptions minimales obligatoires qui sappliquent à la délivrance de certificats aux patrons, aux officiers, aux ingénieurs-mécaniciens et aux opérateurs radio, ainsi quà la formation aux techniques et aux normes de sécurité de base que doit connaître tout le personnel des navires de pêche; à cela sajoutent les règlements concernant les principes de base à observer pour maintenir une veille à bord de ces bâtiments.
Parmi les matières dexamen des candidats au certificat de patron et dofficier de navigation sur les navires de pêche naviguant au large, on peut citer: la navigation, la veille, le calcul électronique de la position, la météorologie, les communications, la prévention des incendies, le sauvetage, la manuvre, la construction et la stabilité des navires de pêche (y compris la connaissance des effets de carène liquide et daccumulation de glace), la manutention et larrimage des prises, la langue anglaise, les soins médicaux, le droit maritime, la recherche et le sauvetage, la connaissance du Recueil de règles de sécurité pour les pêcheurs et les navires de pêche , partie A, de la FAO/OIT/OMI et la prévention de la pollution marine.
Sur les gros chalutiers-congélateurs à pêche arrière conçus pour la pêche en haute mer, qui restent souvent éloignés pendant des mois de leur port dattache, les locaux dhabitation et léquipement pour léquipage occupent généralement un espace important. A titre dexemple, un chalutier à pêche arrière islandais de 68 m de long livré en 1994 dispose de locaux suffisants pour loger 37 personnes. Il est doté de 13 cabines dune personne, et de 12 cabines double, ainsi que dune infirmerie avec deux couchettes, toilette séparée et lavabo. La superficie totale des locaux dhabitation est de 625 m2. Toutes les cabines sont équipées dune toilette, dun lavabo et dune douche séparés. En plus de la salle à manger et de la cuisine, ce navire comprend deux salons de télévision, un sauna et une salle de culture physique. Léquipement de divertissement se compose de deux téléviseurs couleur grand écran, de deux magnétoscopes, dune chaîne stéréo et de postes récepteurs radiophoniques. Chaque cabine possède une radio, le pont de transformation du poisson en comptant dix. Sur le pont se trouvent une toilette commune, des vestiaires avec armoires pour léquipage du pont, des lavabos et des lave-linge et sèche-linge, ainsi quune penderie pour les cirés, avec notamment un séchoir à bottes.
Les lieux de pêche, ainsi que les modèles et la taille des navires de pêche, varient considérablement dune région à lautre. La pirogue de pêche en lac intérieur faite dune seule pièce la plus rudimentaire et le chalutier-usine ultramoderne de haute mer ont tous deux la même fonction: pêcher du poisson. Ils sont pourtant radicalement différents. Du point de vue de la sécurité, les zones maritimes de pêche ont été subdivisées en trois catégories dans la partie B du Recueil:
Les lieux de pêche ou bancs de pêche sont généralement subdivisés en zone de pêche côtière et en zone de pêche en haute mer.
La pêche côtière se pratique dans les eaux du littoral, à une distance de la côte qui peut varier. Dans les fjords et dans les autres lieux abrités, on utilise de petits bateaux à moteur (non pontés ou semi-pontés) pour des sorties en mer dune journée; pour les campagnes plus longues, on se sert de petits bateaux à moteur pontés dont le modèle diffère considérablement dune région à lautre.
La grande pêche est celle qui se pratique le plus loin du rivage. Les navires destinés à la grande pêche sont généralement conçus pour les zones maritimes illimitées, étant donné que, dans bien des pays du littoral, la haute mer (ou locéan) débute juste au-delà des fjords abrités ou des îles côtières.
Les navires de pêche utilisés pour la pêche en haute mer sont de types et de tailles extrêmement variables chalutiers de pêche arrière (navires pour le poisson frais avec lignes de transformation), senneurs, palangriers, navires-usines, etc. Daprès sa définition internationale, lexpression navire de pêche désigne un navire utilisé à des fins commerciales pour la capture du poisson, des baleines, des phoques, des morses ou autres ressources vivantes de la mer. Lexpression navire-usine désigne un navire utilisé exclusivement pour le traitement des prises.
Les navires de pêche sont tellement différents des autres navires de mer que lon nest pas parvenu à sentendre pour que les conventions internationales relatives à la sauvegarde de la vie humaine en mer sappliquent également à eux. La Convention internationale sur la sécurité des navires de pêche a été préparée à la Conférence internationale de 1977 sur la sécurité des navires de pêche, à Torremolinos (Espagne). Cette convention est basée sur les travaux techniques effectués par lOMI sur une période de plusieurs années, principalement au sein du Sous-Comité de la sécurité des navires de pêche du Comité de la sécurité maritime. Ce comité avait déjà préparé des recommandations sur la stabilité des navires de pêche, publiées par lOMI et intégrées à la Convention de 1977 sur la sécurité des navires de pêche. Cette convention précise quelle ne sapplique quaux navires de pêche neufs dune longueur égale ou supérieure à 24 m. Les petits navires de pêche sont exclus de cette convention importante parce quils sont de modèles très variables selon les pays et que lon ne possède que très peu de renseignements techniques à leur sujet. Par conséquent, faute dinformations de base les concernant, il na pas été possible détablir des règlements de sécurité pour cette catégorie. Même sur les navires mesurant légèrement plus de 24 m, la forme de la coque et les méthodes de pêche varient considérablement. Toutes ces caractéristiques sont déterminantes pour la stabilité et la navigabilité en général.
Les renseignements techniques sur lesquels sont fondés les règlements faisant partie de la Convention ont été fournis principalement par les pays industriels dEurope et dAmérique du Nord. Peu après la Conférence de 1977, il est apparu que plusieurs autres pays prévoyaient ne pas pouvoir ratifier certaines parties de la Convention à cause des plus petits de leurs bateaux de pêche de plus de 24 m. La Conférence, qui a eu lieu en 1993 à Torremolinos, a débouché sur ladoption du Protocole de Torremolinos de 1993 relatif à la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche, 1977, assouplissant les dispositions de chapitres particuliers de la Convention pour certains types de navires de pêche. Le chapitre concernant les machines, les installations électriques et les compartiments machines qui ne sont pas sous surveillance permanente, nest applicable, depuis le Protocole de 1993, quaux nouveaux navires mesurant 45 m ou plus. Le chapitre sur la prévention, la détection et lextinction de lincendie et léquipement de lutte contre lincendie a été subdivisé en deux parties: la partie A, qui est applicable aux navires de pêche neufs dune longueur égale ou supérieure à 60 m, et la partie B, qui contient des dispositions moins strictes pour les navires de 45 à 60 m. Les dispositions du chapitre sur les communications radio sappliquent à la fois aux navires neufs et aux navires existants dune longueur égale ou supérieure à 45 m. Le Protocole de 1993 relatif à la Convention internationale de Torremolinos de 1977 prévoit également la mise à jour de la Convention et tient compte de lévolution technologique qui sest produite entre 1977 et 1993. Le champ dapplication du Protocole a été étendu aux navires qui assurent la transformation de leurs prises.
Les participants à la Conférence internationale de Torremolinos de 1977 ont adopté une recommandation portant sur les normes de sécurité pour les navires de pêche pontés de moins de 24 m, étant donné que la grande majorité des navires de pêche dans le monde mesurent moins de 24 m. Ils ont recommandé que lOMI semploie à élaborer des normes de sécurité relatives à la conception, à la construction et à larmement de ces navires de pêche, dans le but daccroître leur sécurité et celle de leur équipage. LOMI a élaboré de telles lignes directrices, en collaboration avec la FAO et lOIT.
La sécurité dun navire, y compris dun navire de pêche, dépend de sa construction et de sa robustesse par rapport à lusage auquel il est destiné. Ses coques et ses superstructures doivent donc lui permettre de résister à toutes les conditions prévisibles de son utilisation. Son étanchéité doit être assurée et toutes les ouvertures par lesquelles leau peut pénétrer doivent être munies de dispositifs de fermeture, y compris les orifices situés sur le pont ou sur les flancs qui peuvent être ouverts pendant les opérations de pêche.
Les sabords de décharge sont très importants pour la sécurité des navires de pêche. Ils permettent lécoulement de leau lorsque les pavois se trouvant sur les parties du pont de franc-bord exposées aux intempéries forment des puits susceptibles de retenir leau. Sur les petits bateaux de pêche, la hauteur de ces pavois a été augmentée de façon à mieux protéger léquipage travaillant sur le pont découvert. Le poids de leau recouvrant le pont peut être considérable et risque de compromettre la stabilité du navire si elle nest pas évacuée rapidement. Par conséquent, il est indispensable que les sabords de décharge aient un diamètre suffisant pour assurer un écoulement rapide et efficace de leau se trouvant sur le pont.
Dans les modèles récents de navires de pêche, même ceux de petite taille et de taille moyenne, le pont de pêche est protégé par un pont-abri. Sil est possible de maintenir lentrepont de ces navires complètement fermé pendant la plupart des opérations de pêche, ou si toute ouverture de lentrepont est située dans un petit compartiment étanche, il est raisonnable daccepter que les sabords de décharge soient remplacés par des pompes de cale de grande capacité pour vider leau du pont de travail. On a considérablement accru la stabilité de forme des navires de pêche en augmentant le franc-bord.
Après la robustesse et létanchéité, la stabilité et la navigabilité constituent les facteurs de sécurité les plus importants dun navire de pêche.
Les pays membres ont fourni au Sous-Comité de la sécurité des navires de pêche du Comité de la sécurité maritime de lOMI des renseignements précieux sur la façon de calculer la stabilité des navires existants, grâce à des données probantes sur le fonctionnement efficace des navires et sur létat de charge de ceux qui ont chaviré ou gîté dangereusement. Des critères de stabilité minimale ont été établis à partir de ces données.
La stabilité statique peut être calculée, mais les mouvements dun navire en mer sont gouvernés par des forces dynamiques très difficiles, voire impossibles à calculer, étant donné que létat des vents et de la mer est à ce point irrégulier. Toutefois, on peut considérer quun navire qui a pêché sans accident pendant une quinzaine ou une vingtaine dannées dans toutes les conditions atmosphériques et maritimes normales est relativement sûr. Le recours à des critères atmosphériques, tels que laction des vents et des vagues, de même que linfluence de leau retenue sur le pont pour les calculs de stabilité, est également recommandé. Tous ces calculs et autres renseignements doivent être communiqués au patron qui doit évaluer la stabilité du navire dans diverses conditions dutilisation.
La stabilité du navire est tributaire du franc-bord. La nécessité de stipuler les marques de franc-bord des navires de pêche a été examinée par la Conférence internationale de 1977 sur la sécurité des navires de pêche, car la Convention internationale de 1966 sur les lignes de charge ne sapplique quaux navires de charge. On en a conclu que la solution qui consiste à observer le disque de franc-bord pendant le chargement sur les lieux de pêche nétait pas très pratique. La Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche précise toutefois quil appartient à ladministration de chaque pays dapprouver et détablir le tirant deau propre à répondre aux critères de stabilité.
Du point de vue psychosocial, le travail des pêcheurs en mer est caractérisé par deux facteurs principaux. Le premier concerne la technologie et léchelle à laquelle se pratique la pêche. Les pêches peuvent être subdivisées en petite pêche (pêche artisanale ou pêche côtière) et en grande pêche (pêche industrielle ou pêche en haute mer, pêche à grande distance ou pêche hauturière). Les conditions de travail et de vie des membres déquipage dun navire qui pratique la petite pêche sont radicalement différentes de celles que connaissent les membres déquipage des grands navires.
Le deuxième facteur est la composition des équipages. Les navires de pêche sont généralement des milieux de travail exclusivement masculins; ce modèle souffre certaines exceptions selon le type de pêche, mais la plupart des équipages partout dans le monde sont le plus souvent composés uniquement dindividus du même sexe. Ainsi, la composition unisexe des équipages reproduit la ségrégation homme-femme dans la société et la séparation mer-terre.
Sur les petits bateaux de pêche, les membres déquipage appartiennent souvent à la même famille: le père, les fils, des frères ou encore des parents proches ou éloignés auxquels viennent parfois sajouter certains habitants de la localité dont ils sont issus. Il arrive quil inclue aussi des femmes soit parce quil ny a pas assez dhommes, soit parce que les coutumes locales le veulent ainsi. Dans certains cas, lépouse exploite un bateau avec son mari ou la fille fait partie de léquipage de son père.
Les membres dun équipage sont plus que de simples collègues de travail puisquils sont souvent unis par des liens de parenté et de voisinage. Le navire et léquipage en mer font partie intégrante de la vie familiale et communautaire et ces liens se nourrissent mutuellement. Le travail déquipe ainsi que lappartenance et lidentification à tel ou tel navire renforcent également les autres liens sociaux. Lorsque des membres dune même famille pêchent ensemble, il nest pas envisageable de remplacer un membre de léquipage par un étranger, même sil sagit dun pêcheur plus expérimenté. Dans un réseau aussi fermé, les pêcheurs bénéficient dune grande sécurité demploi; par contre, par esprit de loyauté familiale, ils sont peu enclins à aller travailler sur un autre navire.
Lexistence de relations sociales à caractère multidimensionnel tend à atténuer les conflits à bord. Sur les petits bateaux de pêche, les pêcheurs partagent un espace restreint et sont tributaires de circonstances naturelles imprévisibles, voire dangereuses. Dans ces conditions difficiles, il convient déviter les conflits ouverts. Le patron quant à lui abuse rarement de son autorité en raison des relations étroites existant entre les membres déquipage.
Dune manière générale, les petits bateaux de pêche rentrent au port tous les jours, ce qui donne aux membres déquipage loccasion davoir des contacts réguliers avec dautres personnes, même si leurs journées de travail sont longues. Lisolement est rare, mais peut être ressenti par les pêcheurs qui travaillent seuls. Cependant, les communications par radio en mer et la tradition, entre navires amis, de pêcher dans les mêmes zones diminuent le sentiment disolement dû au fait de travailler seul, comme cest généralement le cas dans la petite pêche.
Les liens de parenté et de solidarité exercent beaucoup dinfluence sur lapprentissage du métier et sur la sécurité à bord. Les membres déquipage sont responsables et dépendent les uns des autres. Dans des situations imprévisibles (intempéries ou accidents), il faut faire preuve de compétence et de sens des responsabilités. Léventail des compétences attendues des pêcheurs qui pratiquent la petite pêche est très large. Plus léquipage est réduit et le degré de spécialisation faible, plus les pêcheurs doivent avoir des connaissances générales et pouvoir effectuer toutes sortes de tâches.
Linconscience ou la mauvaise volonté suscitent une vive réprobation. Chaque membre déquipage doit accomplir les tâches indispensables de bon gré, de préférence sans quil soit nécessaire de le lui demander. Les ordres sont jugés inutiles sauf lorsquil sagit de synchroniser une série dopérations. Laptitude à travailler ensemble dans le respect mutuel est donc importante. La manifestation dun intérêt sérieux et dun sens profond des responsabilités est facilitée par linteraction sociale qui existe dans une famille ou dans un village de pêcheurs. A quelque poste que ce soit à bord du navire, chacun est appelé à effectuer des tâches diverses; lexpérience commande le respect et lesprit égalitaire est la norme.
Le fait pour un pêcheur qui pratique la petite pêche dêtre à la hauteur de la situation dans des conditions climatiques et saisonnières difficiles soit parce quil sait collaborer et synchroniser les tâches ou simplement à cause de sa seule compétence lui procure un très haut degré de satisfaction et didentité professionnelles et lui vaut le respect des membres de la collectivité dans laquelle il vit. Les femmes qui vont à la pêche apprécient la considération dont elles sont lobjet lorsquelles accomplissent avec succès des tâches typiquement masculines; elles risquent aussi du même coup de perdre leur féminité. Les hommes qui pêchent avec des femmes courent le risque de perdre de leur supériorité masculine quand des femmes font preuve de leur compétence à la pêche.
Dans la grande pêche, les membres déquipage sont isolés de leur famille et de leur collectivité pendant quils sont en mer et la plupart dentre eux ne font que de brefs séjours à terre, entre deux campagnes de pêche. La durée dune campagne varie généralement de dix jours à trois mois. Leur vie sociale se limite donc aux contacts avec les autres membres déquipage. Léloignement est pénible à supporter. Il arrive que les pêcheurs, à leur retour, aient de la peine à retrouver leur place au sein de la famille ou de la collectivité; ils peuvent éprouver alors le sentiment dêtre sans foyer et peuvent être largement tributaires de leur épouse pour entretenir leurs relations sociales.
Dans un équipage entièrement masculin, labsence de femmes et le manque dintimité peut inciter ses membres à avoir des conversations grossières, à se vanter de leurs prouesses sexuelles et à sintéresser beaucoup aux films pornographiques. Ce genre de culture nautique peut devenir une manière malsaine dexprimer et de prouver sa masculinité. Depuis les années quatre-vingt, les sociétés norvégiennes recrutent jusquà 20% de femmes pour former léquipage de leurs navires-usines afin de détendre latmosphère et de contrer le sexisme et la solitude. On estime quun milieu de travail mixte tempère le stress psychologique; les femmes ont la réputation dadoucir les relations sociales à bord et de les rendre conviviales (Munk-Madsen, 1990).
La mécanisation et la spécialisation du travail sur les navires usines engendrent des tâches très répétitives. Le travail par roulement de deux équipes est courant lorsque la pêche se poursuit jour et nuit. La vie à bord est partagée entre le travail, les repas et le sommeil. Lorsque les prises sont excellentes, les pêcheurs écourtent leur sommeil. Lespace physique est exigu, le travail est monotone et fatigant et les rapports sociaux avec des personnes autres que les compagnons de travail sont impossibles. Pendant tout le temps où le bateau est en mer, on ne peut échapper aux tensions entre les membres de léquipage, provoquant ainsi un stress psychologique.
Les membres déquipage des navires de haute mer, dont le nombre oscille entre 20 et 80, ne peuvent être recrutés dans un réseau fermé de personnes unies par des liens de parenté et de voisinage. Pourtant, certaines compagnies japonaises ont modifié leurs pratiques et préfèrent choisir des membres déquipage qui se connaissent, parce quils ont des liens de parenté ou sont issus de la même communauté ou de localités où la pêche est une activité traditionnelle. Elles procèdent de la sorte pour éviter les comportements violents entre pêcheurs et la consommation excessive dalcool (Dyer, 1988). En outre, dans lAtlantique Nord, les compagnies préfèrent engager des pêcheurs de la même localité pour mieux maîtriser les rapports sociaux à bord des bateaux et y créer une atmosphère conviviale.
Les pêcheurs qui partent en haute mer sont surtout intéressés par les salaires offerts. Les femmes y voient aussi la possibilité dobtenir une promotion sociale en accomplissant des tâches généralement réservées aux hommes et jugées supérieures aux tâches féminines (Husmo et Munk-Madsen, 1994).
La flotte internationale de pêche en haute mer exploitant les eaux internationales a parfois des équipages comprenant des ressortissants de divers pays. Cest le cas de celle de Taiwan (Chine) qui est la plus importante au monde ou encore de celle dentreprises de pêche commune lorsque des navires de pays industriels pêchent dans les eaux de pays en développement. La communication entre les membres déquipages composés de représentants de plusieurs nationalités est parfois difficile pour des raisons de langue. Il arrive aussi que la hiérarchie à bord de ces navires soit plus stratifiée en fonction de critères ethniques. Les travailleurs dorigine ethnique et de nationalité différentes de celles du pays dattache du bateau, surtout si celui-ci pêche dans les eaux nationales, peuvent être traités avec condescendance par les officiers. Cette inégalité de traitement sapplique également aux conditions salariales et au ravitaillement de base à bord. De telles pratiques peuvent créer un climat de travail raciste, exacerber les tensions entre les membres déquipage et fausser les relations dautorité avec les officiers.
La pauvreté, lespoir de gagner un bon salaire et la mondialisation de la pêche hauturière ont engendré des pratiques de recrutement illégales. Il semblerait que des membres déquipage philippins aient des dettes envers certaines agences de recrutement et travaillent en eaux étrangères sans contrat, dans des conditions précaires sur le plan de la rémunération ou de la sécurité. Le travail dans une flotte de grande pêche très mobile est à loccasion, pour le pêcheur loin de son foyer et sans le moindre appui de la part des autorités, une source dinsécurité parfois plus grave que les risques auxquels il est exposé en pleine tempête en haute mer (Cura, 1995; Vacher, 1994).
The Entangling Net: Alaskas Commercial Fishing Women Tell Their Lives, de Leslie Leyland Fields (Urbana, University of Illinois Press, 1996) relate lhistoire, basée sur les expériences personnelles de lauteur et sur une série dinterviews de certaines femmes ayant pratiqué la pêche commerciale dans les eaux de locéan Pacifique et du golfe de lAlaska, autour de lîle Kodiak et des îles Aléoutiennes. Les extraits suivants donnent un aperçu de lexpérience de ces femmes et indiquent les raisons pour lesquelles elles ont choisi ce métier, en précisant ce quun tel choix implique. Theresa Peterson[...] La dernière saison de la pêche à la morue charbonnière a commencé le 15 mai. Il y avait deux femmes et deux gars. Le patron voulait un équipage capable dappâter rapidement; cest ce quil voulait [...]. Au début, nous nous contentions dappâter les hameçons. Cest une question de rendement. Idéalement, il fallait appâter de 18 000 à 20 000 hameçons par jour. Par conséquent, quatre personnes passaient la journée à appâter et une autre relevait les engins. Les membres déquipage chargés dappâter les hameçons enroulaient léquipement à tour de rôle. Nous pêchions selon la méthode traditionnelle. Sur la plupart des embarcations qui servent à la pêche dans la zone de Kodiak, les agrès tombent plus au moins automatiquement dans un bac que lon récupère pour appâter à nouveau les lignes. Sur les vieilles goélettes de pêche au flétan, on enroule tout à la main et par conséquent les pêcheurs peuvent vérifier chaque hameçon. Ils essaient de les enrouler convenablement pour que lon puisse les appâter deux fois plus vite. Les deux premiers jours, nous calculions combien de temps il nous fallait pour appâter les jeux de lignes mal enroulées (les palangres auxquelles les hameçons sont attachés). Jai refusé de continuer à appâter un autre jeu de lignes comme ceux-là et nous nous sommes donc mis à enrouler les lignes à la main nous-mêmes. Cela permet de changer de place. Nous travaillions souvent 24 heures daffilée et le jour suivant nous enchαînions toute la nuit jusquà environ 2 h du matin et le lendemain pendant encore 20 heures. Ensuite, nous nous couchions environ 3 heures. Puis nous nous levions et travaillions encore 24 heures pour nous reposer ensuite 2 heures. La première semaine, la moyenne de sommeil était de 10 heures pour tout léquipage nous avons fait le calcul. On disait en plaisantant que lon travaillait 24 heures et que lon se reposait 1 heure. Je navais jamais travaillé aussi dur à la pêche. A louverture de la saison, nous pêchions le samedi toute la journée, puis toute la journée du dimanche et la moitié de la journée du lundi. Par conséquent, nous pêchions pendant plus de 56 heures sans dormir. Nous travaillions aussi fort et aussi vite que possible. Ensuite, nous nous couchions environ 3 heures puis nous nous levions; nous étions tout raides. Nous avions ramené un peu moins de 20 tonnes en 4 jours. Nous avions donc été debout pendant pratiquement 4 jours complets. Cétait un bon chargement. Cétait très encourageant. Je gagnais 1 000 dollars par jour [...]. Cest parce que les saisons de pêche à la palangre ont été écourtées que lon doit simposer à nouveau un tel rythme de travail [...]. Quand la saison dure trois semaines, on est pratiquement obligé de travailler comme cela, à moins de pouvoir établir un roulement pour permettre à chacun de dormir un peu (pp.31-33). Leslie SmithJestime avoir de la chance parce que je suis patronne dun bateau avec un équipage entièrement féminin et que nos affaires marchent bien. Nous nous en tirons aussi bien que nimporte quel autre équipage de la flotte et je ne me suis donc jamais laissé intimider par des réflexions du genre: «Oh, une femme ne peut pas faire cela, ne peut pas envisager de le faire ou nen est pas capable». Il faut dire que le premier emploi que jai eu, cétait dans un équipage entièrement composé de femmes et que nous nous en tirions très bien. Par conséquent, jai pris de lassurance dès le début de ma carrière, lorsque jétais simple matelot [...] (p. 35). Quand on est sur un bateau, on na pas de vie personnelle, on na pas despace physique, on na pas de temps à soi. On soccupe uniquement du bateau, de la pêche, pendant 4 mois daffilée [...] (p. 36). [...] Je suis légèrement protégée contre les vents, mais généralement, je les reçois en pleine face [...] Les marées sont très fortes ici. On jette les ancres; il y en a 15 ou 20, dont certaines pèsent plus de 100 Kg, pour essayer de maintenir un filet en place. Chaque fois que lon sort, le filet se tord dune façon différente et il faut déplacer ces ancres. En général, le temps nest pas très clément. On est toujours en train de lutter contre le vent. Cest un défi, un défi physique plutôt que mental [...] (p. 37). Ce qui était le plus dur, cétait de devoir aller de navire en navire pour essayer de trouver un emploi. Au bout dun certain temps, je me suis rendu compte que la possibilité de se faire engager se limitait à environ 15% des navires, du fait que la plupart des patrons nengagent pas de femmes, principalement parce que leur femme ne le leur permet pas ou quil y a déjà une autre femme à bord ou encore parce quils sont purement et simplement sexistes ils ne veulent pas de femmes. Compte tenu de ces trois facteurs, le nombre de navires sur lesquels on avait des chances de travailler était tellement réduit que cen était décourageant. Encore fallait-il les trouver. Pour cela, il fallait parcourir les docks de long en large [...] (p. 81). Martha SutroJe pensais à la question que vous mavez posée tout à lheure. Pourquoi les femmes sont-elles de plus en plus attirées par ce métier? Je lignore. On se demande si le nombre de femmes qui vont travailler dans les mines de charbon ou qui font du camionnage augmente. Je ne sais pas si cest lAlaska qui nous attire ou si cest le fait de pouvoir participer à une activité dont les femmes étaient jadis exclues ou si nous appartenons à une race de femmes qui, grâce à leur éducation, ont pris conscience du fait que certaines prétendues barrières nétaient pas légitimes. Malgré tous les risques, cest une expérience importante et elle est très viable; elle est profondément satisfaisante, même si je déteste employer cette expression. Jadorais préparer une série de casiers à la perfection sans être obligée de demander de laide pour tenir une des portes ou pour manipuler ces gros paquets dappâts que lon jette sous le casier, au milieu [...]. Certains aspects de ce métier constituent une expérience absolument unique. Cest pratiquement comme lagriculture. Cest très élémentaire. Ce genre de métier remonte aux temps bibliques. Le climat qui lentoure rappelle une époque très ancienne. Le fait de pouvoir vivre une telle expérience a quelque chose de mystique (p. 44). Lisa JakubowskiOn se sent très seule lorsquon est lunique femme sur un navire. Je me fais un point dhonneur de ne jamais avoir de relations sentimentales avec mes compagnons. Ce sont des amis. Je suis toujours ouverte à légard de mes amis, mais il faut constamment être sur ses gardes pour quils ne se figurent pas quune relation plus intime est possible. Il existe tellement de types dhommes différents. Je ne veux me lier damitié ni avec des ivrognes ni avec des cocαïnomanes. Par contre, je nhésite pas à sympathiser avec les gens respectables. Jai entretenu des liens damitié aussi bien avec des hommes quavec des femmes. On se sent toutefois souvent seule. Jai constaté que le rire est un bon remède contre la solitude. Je vais tout simplement sur le pont arrière pour rire toute seule et, après, je me sens mieux (p. 61). Leslie Leyland Fields[...] Toutes [les femmes] ne demandaient quune seule chose: être traitées de la même façon que les hommes et avoir des chances égales. Ce nest pas automatique dans un métier où il faut avoir la force de faire descendre un casier à crabes de 60 kg qui se balance, lendurance nécessaire pour travailler 36 heures daffilée, ladresse nécessaire pour guider un skiff de senne de 150 chevaux à pleine vitesse à proximité des récifs; il faut en outre être capable de faire la réparation et lentretien dun moteur diesel, de réparer les filets ou dactionner des engins hydrauliques. Ce sont ces compétences qui permettent de faire une bonne journée et dattraper du poisson; cest le genre daptitudes dont les pêcheuses doivent faire preuve en présence dhommes incrédules. Et pour couronner le tout, les femmes se heurtent à un obstacle inattendu: la résistance active des autres femmes, des épouses des pêcheurs (p. 53). Voilà ce que je sais notamment du métier de capitaine [...]. On tient la vie de deux, trois ou quatre personnes entre ses mains. Le remboursement des emprunts pour le navire et les assurances représentent des dépenses annuelles de plusieurs dizaines de milliers de dollars; il faut donc absolument attraper du poisson. On dirige un groupe de gens aux personnalités et aux habitudes de travail passa-blement différentes. Il faut posséder une connaissance approfondie de la navigation, des conditions météorologiques, des règlements de pêche; il faut être capable de faire fonctionner et de réparer provisoirement les innombrables instruments électroniques ultraperfectionnés qui constituent le cerveau du navire [...]. Il faut encore posséder bien dautres compétences. Quest-ce qui peut bien pousser quelquun à accepter volontairement des charges aussi lourdes? Cest quil y a évidemment un autre aspect. Du côté positif, il y a lindépendance liée au métier de patron de navire, un degré dautonomie que lon retrouve rarement dans dautres métiers. On est le seul maître à bord. On peut décider où lon va pêcher, quand le bateau démarre, à quelle vitesse il navigue, combien de temps et à quel rythme léquipage travaillera, combien de temps on peut dormir, dans quelles conditions météorologiques on travaillera, les risques que lon est disposé à prendre, le genre de nourriture que lon mange [...] (p. 75). En 1992, 44 navires ont coulé en Alaska et 87 personnes ont été sauvées du naufrage; 35 sont décédées. Au printemps de 1988, 44 personnes sont mortes des suites de lapparition dun brouillard glacé qui a enveloppé les navires et leur équipage. Pour donner un point de comparaison, je signale que, daprès les chiffres publiés par lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), aux Etats-Unis, le taux de décès pour lensemble des professions est de 7 pour 100 000 travailleurs. Dans le secteur de la pêche commerciale en Alaska, le taux grimpe à 200 pour 100 000 travailleurs, et cest par conséquent le métier où les risques de décès sont les plus élevés. Chez les pêcheurs de crabe, qui continuent à pêcher tout lhiver, le taux passe à 660 pour 100 000, ce qui représente près de 100 fois plus que la moyenne nationale (p. 98). Debra NielsenJe ne mesure que 1 m 50 et ne pèse que 45 kg et, par conséquent, les hommes ont un instinct protecteur à mon égard. Jai dû lutter toute ma vie contre cette tendance masculine pour arriver à faire quelque chose par moi-même. Le seul moyen que jai trouvé pour men tirer a été de travailler plus rapidement et intelligemment. Cest une question déquilibre [...]. Il faut ralentir. Il faut se servir de sa tête dune façon différente et de son corps aussi. Je crois quil est important dinsister sur le fait que je suis très petite, parce que si jarrive à travailler dans ce milieu malgré tout, cela signifie que nimporte quelle femme peut en faire autant [...] (p. 86). Christine Holmes[...] Jai vraiment confiance dans la North Pacific Vessel Owners Association qui offre dexcellents cours, dont un sur les urgences médicales en mer. Jestime que lon se rend service à soi-même en suivant un cours portant sur les techniques de la mer (p. 106). Rebecque RaigozaJai acquis un sentiment dindépendance et de force très intense. Jai appris à faire des choses que je naurais jamais pensé arriver à faire. De tout nouveaux horizons se sont ouverts à moi quand jétais jeune. Je crois que cela ma fait mûrir en quelque sorte. Les possibilités sont désormais quasi illimitées parce que je sais maintenant que je peux faire un «métier dhomme». Il y a beaucoup de pouvoir qui sassocie à cela (p. 129). Droits réservés. Board of Trustees of the University of Illinois, 1997. Reproduit avec lautorisation de lUniversity of Illinois Press. |
La transformation du poisson à terre comprend diverses activités qui vont de la petite transformation, faisant peu appel à la technologie, comme le séchage ou le fumage des prises pour le marché local, à la transformation, dans de vastes usines ultramodernes, en produits hautement spécialisés conditionnés pour le marché international. Dans le présent article, il sera uniquement question de la transformation industrielle. Le degré de technologie est un facteur déterminant du milieu psychosocial de ces usines de transformation du poisson. Il a des répercussions sur lorganisation des tâches, les régimes de rémunération, les mécanismes de contrôle et de surveillance, ainsi que sur linfluence que les salariés sont susceptibles dexercer au sujet de leur travail et de la politique de la société. Un autre aspect important des caractéristiques psychosociales de la main-duvre dans lindustrie de la transformation du poisson à terre est la division du travail en fonction du sexe, très répandue dans ce secteur. Ainsi, les hommes et les femmes sont affectés à des tâches différentes en raison de leur appartenance à lun ou à lautre sexe et non pas en fonction de leurs compétences intrinsèques.
Dans les usines de transformation du poisson, certains services recourent beaucoup aux techniques de pointe et sont très spécialisés, tandis que dautres utilisent peu les innovations technologiques et ont une organisation plus souple. Les services caractérisés par une forte spécialisation sont généralement ceux où les effectifs sont majoritairement féminins. Cette division du travail est fondée sur le principe que certaines tâches conviennent uniquement aux hommes, dautres exclusivement aux femmes. Les tâches considérées comme typiquement masculines jouissent dun statut supérieur à celles jugées traditionnellement féminines. Par conséquent, les hommes ne sont pas disposés à faire du «travail de femme», contrairement à la plupart des femmes qui souhaitent beaucoup quon leur confie du «travail dhomme», car non seulement ces travaux jouissent dun statut plus élevé, mais ils sont en général mieux rémunérés et offrent de meilleures chances davancement (Husmo et Munk-Madsen, 1994; Skaptadóttir, 1995).
La production est lun des secteurs où la technologie de pointe est très développée. Les travailleurs se tiennent côte à côte le long dune bande transporteuse et découpent ou emballent les filets de poisson. Les tâches sont monotones et répétitives et les échanges entre collègues très limités. Les travailleurs sont rémunérés au rendement individuel (système de salaire à primes) et ils sont surveillés à la fois par des systèmes informatiques et par leurs contremaîtres. De telles conditions de travail entraînent un degré de stress élevé et accroissent les risques de syndromes dus à des efforts répétés. Le fait que les travailleurs restent placés le long de la bande transporteuse leur donne peu loccasion de discuter avec leurs supérieurs hiérarchiques, que ce soit pour parler de la politique de lentreprise ou pour obtenir une augmentation de salaire ou une promotion (Husmo et Munk-Madsen, 1994). Etant donné que les travailleurs des services ultraspécialisés ne savent effectuer quun nombre très limité de tâches, ils sont généralement les premiers à être renvoyés lorsque la production diminue, en raison dune pénurie temporaire de matières premières ou pour cause de mévente. Ce sont aussi eux qui sont les plus susceptibles dêtre remplacés par des machines ou des robots industriels (Husmo et Søvik, 1995).
Le département des matières premières est un exemple de secteur où lon fait moins appel à la technologie. Les travailleurs conduisent des camions et des chariots élévateurs à fourche au quai, déchargent le poisson, le trient et le lavent. Lorganisation du travail y est généralement très souple et les tâches alternent tout au long de la journée. Les travailleurs sont rémunérés sur la base dun tarif horaire et leur rendement individuel nest pas contrôlé par des ordinateurs. Ils sont donc moins en butte au stress et latmosphère est plus détendue. En outre, la diversité des tâches stimule le travail déquipe et améliore à maints égards le climat psychosocial. Les échanges entre collègues sont plus fréquents et les risques de syndromes liés à des efforts répétés sont réduits. Les possibilités de promotion sont accrues car, grâce à cette polyvalence, les travailleurs sont plus qualifiés pour accéder à des postes plus élevés. La souplesse dont ils jouissent dans leur travail leur permet davoir des conversations informelles avec leur direction et avec leur supérieur, dexercer une influence sur la gestion de lentreprise ou de négocier une promotion (Husmo, 1993; Husmo et Munk-Madsen, 1994).
Dans la transformation du poisson, par contre, on assiste à un accroissement du recours à la technologie, entraînant une spécialisation et une automatisation plus poussées. Pour les travailleurs, ce changement a les répercussions signalées plus haut. La division du travail selon le sexe rend le climat psychosocial plus mauvais pour les femmes que pour les hommes. Le fait que les femmes restent cantonnées aux tâches les plus susceptibles dêtre exécutées par des robots limite les débouchés qui leur sont ouverts. Dans certains cas, ces conséquences visent non seulement les travailleurs de sexe féminin, mais aussi celles et ceux qui appartiennent aux classes inférieures de la société, voire qui sont dorigine différente (Husmo, 1995).
A lépoque où la transformation du poisson sest industrialisée, au cours des XIXe et XXe siècles, les femmes de pêcheurs et les familles qui assuraient la transformation et la vente à domicile ont dû rechercher du travail ailleurs (au risque de se retrouver finalement au chômage) ou travailler pour le compte dentreprises de transformation du poisson. Lapparition de chalutiers appartenant à lentreprise et linstauration, plus récente, des quotas de pêche dentreprise (cest-à-dire des contingents dentreprise et des quotas individuels transférables) ont entraîné une délocalisation des pêcheurs. Ces changements ont transformé de nombreuses collectivités de pêcheurs en villages mono-industriels.
Il existe différentes sortes de villages de pêche mono-industriels; tous sont tributaires dun seul et même employeur et de lemprise quil exerce sur la collectivité, voire sur la vie privée des travailleurs. Dans les cas les plus extrêmes, les villages de pêche mono-industriels sont en réalité des villages dentreprise où la société possède non seulement lusine et les navires, mais également les logements, les magasins, les services médicaux et autres infrastructures, et exerce une forte influence sur les élus ou les fonctionnaires locaux, les médias et les institutions sociales.
Les villages où lemploi local est dominé par un seul employeur généralement une entreprise intégrée verticalement , qui profite de cette situation et de sa mainmise sur lemploi et sur les marchés pour influencer indirectement la politique locale et les institutions sociales associées à la vie familiale et communautaire des travailleurs, sont un peu plus courants. La définition «villages de pêche mono-industriels» peut inclure des entreprises de transformation du poisson qui jouissent dune grande autonomie, malgré leur implantation dans une collectivité plus large non dépendante de la pêche. Cette structure est courante dans le secteur de la transformation de la crevette en Inde, où lon fait systématiquement appel à des jeunes travailleuses migrantes, généralement recrutées par des entrepreneurs dans les Etats voisins. Ces travailleuses vivent le plus souvent dans des camps situés dans lenceinte du terrain occupé par la société qui les emploie. Elles nont aucun contact avec la communauté locale à cause de la durée de leur journée de travail, de labsence de liens de parenté et des obstacles linguistiques. Ces lieux de travail sont pour ainsi dire des villes dentreprise en ce sens quelles exercent une forte influence sur la vie privée des individus et que ceux-ci ne peuvent guère compter sur le soutien des autorités locales et de la collectivité.
Lincertitude économique, le chômage, la marginalisation dans les processus décisionnels, la modicité des salaires et laccès limité et contrôlé aux services sont des facteurs dont limportance est déterminante pour la santé. On les retrouve systématiquement, à des degrés divers, dans les villages de pêche mono-industriels. La fluctuation des marchés du poisson et celle des ressources halieutiques disponibles, que ce soit en raison de causes naturelles ou de leur exploitation, sont le lot habituel des habitants des villages de pêcheurs. Ces fluctuations engendrent une insécurité économique et sociale. Les collectivités et les ménages de pêcheurs se regroupent souvent en associations qui les aident à passer le cap de ces périodes dincertitude. Ces fluctuations semblent toutefois être devenues plus fréquentes depuis quelques années. Etant donné la surpêche mondiale des espèces commerciales, lexploitation de nouvelles espèces et de nouvelles régions, la mondialisation des marchés et la création de produits issus de laquaculture qui font concurrence aux poissons sauvages, la déstabilisation de lemploi, les fermetures dusines et la faiblesse des salaires sont courants. En outre, les fermetures dusines ont davantage tendance à devenir permanentes parce quil ny a plus de ressources à exploiter ou à traiter et que le travail a été délocalisé.
Linsécurité de lemploi et le chômage sont des sources importantes de stress psychosocial qui peuvent affecter différemment les hommes et les femmes. Le travailleur ou le pêcheur délocalisé a moins confiance en lui, gagne moins dargent et est en butte au stress; il arrive même quil ait perdu une partie du patrimoine familial. Les autres membres de la famille doivent sadapter aux conséquences de cette délocalisation sur leur foyer et sur leur vie professionnelle. Par exemple, il faut repenser complètement lorganisation de la famille lorsque le mari se retrouve au chômage et vient revivre à plein temps au foyer alors que sa femme sest adaptée à ses absences prolongées et doit soudain renoncer à lautonomie et aux habitudes qui lui ont permis de faire face à la situation lorsquelle était seule. Dans les petites exploitations familiales, les épouses sont obligées de shabituer à des absences plus longues et à un certain isolement social, lorsque les membres de leur famille doivent aller plus loin pour trouver du poisson et du travail. Quand elles travaillent aussi dans le secteur de la pêche, il leur arrive également de perdre leur emploi et dêtre confrontées aux répercussions de cette situation sur leur santé.
Dans les localités mono-industrielles où les fermetures dusines menacent lavenir de toute la collectivité et font chuter la valeur des biens personnels comme les maisons, le stress dû au chômage est très important. Il est encore plus vivement ressenti lorsque, comme cest souvent le cas, le travailleur doit déplacer toute sa famille pour aller travailler ailleurs. Lorsque les fermetures dusines sont accompagnées du transfert des quotas de pêche à dautres collectivités, on assiste à une dégradation des services éducatifs, médicaux et autres, consécutive à la migration vers dautres lieux et à leffondrement des économies locales; les risques pour la santé sen trouvent accrus.
La dépendance envers un seul employeur peut compliquer la participation des travailleurs aux processus décisionnels. Dans la pêche, comme dans dautres branches, certaines entreprises ont utilisé le modèle mono-industriel pour imposer leur domination aux travailleurs, sopposer à leur syndicalisation et exercer une certaine manipulation sur la compréhension du public concernant les problèmes et les changements qui surviennent sur le lieu de travail et en dehors. Dans le cas de lindustrie indienne de la transformation de la crevette, les travailleuses migrantes vivent dans des conditions extrêmement éprouvantes, ont des journées de travail très longues et font des heures supplémentaires au mépris des clauses de leur contrat de travail. Dans les pays occidentaux, des entreprises peuvent profiter du rôle déterminant quelles jouent dans ladmissibilité des travailleurs saisonniers à des programmes tels que lassurance chômage pour exercer des pressions sur eux dans le cadre de négociations relatives à leur syndicalisation et à leurs conditions de travail. Dans certaines villes mono-industrielles, les travailleurs sont syndiqués, mais leur influence sur les décisions nest parfois que théorique en raison du manque dalternative demploi, parce quils souhaitent trouver un travail dans la région pour leur épouse et leurs enfants ou encore à cause daléas écologiques et économiques. Les travailleurs peuvent avoir un sentiment dimpuissance et se sentir obligés de continuer à travailler malgré la maladie, quand laccès aux programmes de travail et de logement et aux programmes sociaux est contrôlé par un seul employeur.
Les difficultés daccès à des services médicaux adéquats sont également un facteur de stress psychologique. Dans les villes dentreprise, les professionnels de la santé sont parfois employés par lentreprise, comme cest parfois le cas dans lindustrie minière ou dans dautres branches; cela entrave laccès des travailleurs à des conseils médicaux indépendants. Dans tous les types de villages mono-industriels, les différences de culture, de classe et autres entre le personnel médical et les travailleurs, ainsi que le taux de rotation élevé chez les professionnels de la santé, peuvent se répercuter sur la qualité des services médicaux locaux. Le personnel médical est rarement originaire de localités de pêcheurs et ne connaît donc pas très bien les risques professionnels quencourent les travailleurs, ni les tensions associées à la vie dans des cités de ce type. La forte rotation de ces professionnels sexplique sans doute par la faiblesse de leur rémunération, leur inadaptation au style de vie rural et leur méconnaissance de la culture des gens de mer. En outre, le personnel médical peut avoir tendance à sassocier davantage avec lélite locale, notamment avec les directeurs de lusine, plutôt quavec les travailleurs et leur famille. Ce genre de comportement peut avoir une incidence sur les relations médecin-patient, sur la pérennité des soins et sur les compétences médicales utiles pour soigner les travailleurs de lindustrie de la pêche. Laccès à des services de diagnostic efficaces en cas de troubles liés à des mouvements répétés ou dasthme professionnel, qui sont fréquents chez les pêcheurs, est parfois très limité dans ces collectivités. Le fait de perdre son emploi peut également compliquer laccès aux services médicaux, puisque le travailleur na plus droit aux programmes de distribution de médicaments et à dautres services médicaux assurés.
Un soutien solide de lentourage peut contribuer à atténuer les effets pathologiques du chômage, des délocalisations et de lincertitude économique. Les villages mono-industriels peuvent aussi contribuer à resserrer les liens sociaux et familiaux et les relations entre les travailleurs et leurs employeurs, surtout si les usines appartiennent à des entrepreneurs locaux. Ces soutiens sociaux peuvent atténuer les effets de la précarité économique, des conditions de travail difficiles et de lincertitude écologique. Les membres de la famille peuvent veiller mutuellement à leur sécurité et parfois sentraider en cas de difficultés financières. Lorsque les travailleurs de la pêche sont en mesure de garder certaines activités de subsistance, ils jouissent dune plus grande indépendance sur les plans personnel et professionnel. Le manque croissant de sécurité demploi, les fermetures dusines et la concurrence locale pour les emplois et pour linscription aux programmes dadaptation gouvernementaux peuvent miner ces réseaux locaux, attisant ainsi les conflits et lisolement dans ces collectivités.
Lorsque les fermetures dusines les obligent à déménager, les travailleurs risquent de ne plus pouvoir compter sur ces réseaux sociaux de soutien et ces activités de subsistance qui étaient pour eux le gage dune certaine indépendance.
La nature du travail dans lindustrie de la pêche et dans celle de la transformation du poisson varie nettement selon le sexe: les hommes pratiquent généralement la pêche proprement dite, tandis que les femmes travaillent dans les usines de transformation côtières. La plupart des personnes qui travaillent à bord de navires de pêche peuvent être considérées comme des manuvres; les hommes de pont, par exemple, sont formés sur le tas. Les navigateurs (capitaine, patron de pêche et second), le personnel de la salle des machines (ingénieur, machiniste et soutier), les opérateurs radio et les cuisiniers ont une formation différente. La tâche principale est la pêche; les autres tâches sont le chargement du bateau, qui se fait en pleine mer, et la transformation du poisson, à des degrés très variables. Les seuls contacts entre ces diverses catégories de travailleurs ont lieu pendant leur séjour à bord du navire qui est en mouvement jour et nuit. La transformation du poisson à terre fait lobjet dun article dans le présent chapitre.
Les tâches les plus dangereuses pour les pêcheurs sont celles associées à la mise à leau et au halage de léquipement de pêche. Dans la pêche au chalut, par exemple, le chalut est mis à leau grâce à une série dopérations complexes, qui nécessitent une grande coordination dans le maniement des treuils (voir larticle «Les principaux secteurs et procédés» dans le présent chapitre). Toutes les opérations se déroulent à grande vitesse et le travail déquipe est absolument essentiel. Pendant la mise à leau du chalut, la connexion des panneaux de chalut aux funes (câbles dacier) est une des manuvres les plus dangereuses, car ces panneaux pèsent plusieurs centaines de kilos. Dautres parties de léquipement de pêche sont également trop lourdes pour être manipulées sans mâts de charge et sans treuils pendant la mise à leau du chalut (des engins lourds et des diabolos bougent dans tous les sens avant de glisser par-dessus bord).
La mise à leau et le halage du chalut, de la senne et des autres filets se fait au moyen de câbles dacier qui traversent souvent laire de travail. Les câbles sont soumis la plupart du temps à une tension extrême due à la traction exercée par léquipement de pêche dans le sens opposé de celui de la progression du navire. Les travailleurs courent le risque grave de sempêtrer dans léquipement de pêche ou de tomber puis dêtre entraînés ou de passer par-dessus bord pendant la mise à leau. Ils risquent de se faire écraser ou coincer les doigts, les mains et les bras ou encore dêtre heurtés aux jambes et aux pieds et dêtre écrasés par léquipement lourd.
Le saignage et léviscération du poisson se font en général à la main, sur le pont ou sur un pont-couvert. A cause du tangage et du roulis du navire, les lésions aux mains et aux doigts provoquées par des coupures ou par des arêtes et des épines de poisson sont courantes. Les blessures sinfectent fréquemment. Ceux qui pêchent à la ligne de fond et à la palangre à main risquent de se blesser aux doigts et aux mains avec les hameçons. Etant donné que cette méthode de pêche sautomatise de plus en plus, ce sont maintenant les vire-lignes et les treuils qui posent problème.
La méthode de gestion de la pêche par la limitation de la quantité de prises dans une zone dexploitation restreinte a également une incidence sur le nombre daccidents. Dans certaines zones, le système de contingents limite la pêche à un certain nombre de jours et les pêcheurs se sentent obligés de sortir en mer pendant ces journées-là, quel que soit le temps.
Il est facile de dresser le bilan des accidents mortels qui se produisent en mer. Il suffit de consulter les registres de décès et de se reporter à la rubrique «accidents de transport maritime», conformément à la Classification internationale des maladies (CIM). On y trouve également précisé sils sont survenus à bord. Le taux de mortalité par accident du travail est élevé dans lindustrie de la pêche, plus que dans la plupart des autres catégories professionnelles à terre. Le tableau 66.1 indique le nombre daccidents mortels pour 100 000 pêcheurs, dans divers pays. Les accidents mortels sont traditionnellement répertoriés sous les rubriques suivantes: 1) accidents individuels (personnes qui tombent par-dessus bord, qui sont entraînées par-dessus bord lorsque la mer est houleuse ou qui sont mortellement blessées par la machinerie); et 2) personnes perdues à la suite davaries (naufrages, chavirements, navires perdus en mer, explosions et incendies). Ces deux catégories sont liées aux conditions atmosphériques. Les accidents individuels sont plus nombreux que les autres. La sécurité dun navire dépend de son architecture, de sa taille et de son type; elle dépend également de facteurs tels que la stabilité, le franc-bord, létanchéité aux intempéries et la protection structurelle contre les incendies. Des erreurs de navigation ou de jugement peuvent causer des fortunes de mer et la fatigue due à de longues heures de service peut également être une cause majeure daccidents corporels.
Pays |
Période d’étude |
Fréquence pour 100 000 pêcheurs |
Royaume-Uni |
1958-1967 |
140-230 |
Royaume-Uni |
1969 |
180 |
Royaume-Uni |
1971-1980 |
93 |
Canada |
1975-1983 |
45,8 |
Nouvelle-Zélande |
1975-1984 |
260 |
Australie |
1982-1984 |
143 |
Alaska |
1980-1988 |
414,6 |
Alaska |
1991-1992 |
200 |
Etats-Unis (Californie) |
1983 |
84,4 |
Danemark |
1982-1985 |
156 |
Islande |
1966-1986 |
89,4 |
Les meilleurs résultats obtenus en matière de sécurité par les navires modernes peuvent être le fruit des effets conjugués dune plus grande efficacité humaine et technique. La formation du personnel, lutilisation adéquate de dispositifs de flottaison, le port de vêtements adaptés aux conditions et de combinaisons flottantes contribuent à accroître les chances de sauvetage en cas daccident. Le recours plus systématique à dautres mesures de sécurité et, notamment, à des lignes de sécurité, et à des chaussures et casques de protection savère nécessaire dans lindustrie de la pêche en général, comme on le signale ailleurs dans la présente Encyclopédie.
Les lésions non mortelles sont également assez courantes dans lindustrie de la pêche (voir tableau 66.2). Les sièges les plus fréquents sont, par ordre décroissant, les mains, les membres inférieurs, la tête et la nuque et les membres supérieurs, puis la poitrine, la colonne vertébrale et labdomen. Les types de traumatismes les plus courants sont les plaies ouvertes, les fractures, les foulures, les entorses et les contusions. Les lésions non mortelles sont souvent graves et peuvent nécessiter lamputation des doigts, des mains, des bras ou des jambes; il peut sagir également de blessures à la tête et à la nuque. Les infections, les déchirures et les traumatismes mineurs des mains et des doigts sont fréquents et leur traitement aux antibiotiques est souvent recommandé par le médecin de bord.
Tâches |
Accidents à bord des navires |
Accidents à terre |
Mise à l’eau et halage des chaluts, des sennes et de l’équipement de pêche en général |
Lésions dues au fait de s’empêtrer dans l’équipement de pêche ou dans les câbles d’acier, lésions par écrasement, chutes par-dessus bord |
|
Amarrages des panneaux |
Lésions par écrasement, chutes par-dessus bord |
|
Saignage et éviscération |
Coupures dues aux couteaux ou aux machines, troubles musculo-squelettiques |
Coupures dues aux couteaux ou aux machines, troubles musculo-squelettiques |
Lignes de fond et lignes à main |
Blessures causées par les hameçons ou en s’empêtrant dans la ligne |
|
Manipulation de lourdes charges |
Troubles musculo-squelettiques |
Troubles musculo-squelettiques |
Filetage |
Coupures, amputations causées par les couteaux ou les machines, troubles musculo-squelettiques |
Coupures, amputations causées par les couteaux ou les machines, troubles musculo-squelettiques |
Parage des filets |
Coupures causées par les couteaux, troubles musculo-squelettiques |
Coupures causées par les couteaux, troubles musculo-squelettiques |
Travail dans des espaces exigus, chargement et déchargement |
Intoxication, asphyxie |
Intoxication, asphyxie |
On peut trouver des renseignements sur létat de santé général des pêcheurs et une brève description des maladies inhérentes à leur métier principalement dans deux types de documents: le journal du médecin de bord et les rapports de consultations médicales concernant les évacuations, les hospitalisations et les rapatriements. Malheureusement, la plupart, sinon la totalité, de ces rapports sont avant tout quantitatifs (nombre de malades et pourcentages).
Les états non traumatiques signalés le plus fréquemment, qui entraînent des consultations et lhospitalisation, sont principalement dus à des maux de dents, des maladies gastro-intestinales, des troubles musculo-squelettiques, psychiatriques ou neurologiques, respiratoires, cardio-vasculaires et cutanés. Dans une série de cas signalés par un médecin de bord, les troubles psychiatriques étaient le principal motif dévacuation de travailleurs des chalutiers en voyage de pêche de longue durée, les lésions corporelles ne venant quen deuxième position. Dans une autre série de cas signalés, les maladies les plus courantes nécessitant le rapatriement étaient les troubles cardio-vasculaires et les troubles psychiatriques.
Lasthme professionnel est fréquent chez les travailleurs de lindustrie halieutique. Il est associé à plusieurs types de poissons, mais il est le plus souvent dû au contact avec les crustacés et les mollusques comme la crevette, le crabe, les coquillages. La transformation du poisson en farine est souvent considérée comme une cause dasthme, de même que dautres processus analogues comme le broyage des carapaces (celles des crevettes en particulier).
Le bruit excessif est généralement considéré par les travailleurs comme une cause de la perte de lacuité auditive dans lindustrie de la transformation du poisson. Les travailleurs de la salle des machines des navires courent des risques extrêmes, de même que ceux de la transformation qui utilisent du matériel ancien. Des programmes pour la protection de louïe sont nécessaires dans de nombreux cas.
Dans certaines études sur les pêcheurs et les marins de la flotte marchande, on a signalé un taux élevé de suicides. Un très grand nombre de décès pour lesquels les médecins nont pas été en mesure de déterminer si laccident était accidentel ou délibéré ont également été recensés. On estime généralement que le nombre de suicides signalés est probablement inférieur à la réalité et, selon certains, il serait plus élevé dans lindustrie de la pêche que dans les autres branches. La littérature psychiatrique fournit la description de la paraphrosyne (calenture), phénomène comportemental dont le symptôme prédominant observé chez les marins est une impulsion irrésistible de se jeter à la mer. Les causes sous-jacentes des risques de suicide nont pas été étudiées pour les pêcheurs en particulier; compte tenu de la situation psychosociale des gens de mer, dont il est question dans un autre article du présent chapitre, il semblerait judicieux quelles le soient. Il semblerait que les risques de suicide augmentent lorsque les travailleurs arrêtent de pêcher et retournent à terre, que ce soit provisoirement ou définitivement.
Des cas dintoxication mortelle se produisent lors dincendies accidentels à bord des navires de pêche par linhalation de fumées toxiques. Des intoxications mortelles et non mortelles résultent aussi de fuites de frigorigènes ou de lutilisation de produits chimiques pour la conservation des crevettes ou du poisson, ainsi que de linhalation de gaz toxiques provenant de la décomposition anaérobie de matières organiques dans les cales non ventilées. Les frigorigènes en cause vont du chlorure de méthyle, qui est extrêmement toxique, à lammoniac. Certains décès, qui rappellent les cas de pneumopathie des ensileurs exposés à des oxydes dazote, ont été attribués à linhalation de dioxyde de soufre dans des espaces confinés. Des études ont également montré que des mélanges de gaz toxiques (dioxyde de carbone, ammoniac, sulfure dhydrogène et monoxyde de carbone), ainsi que la basse pression partielle doxygène dans les cales des navires et à terre, ont causé des accidents mortels ou non, souvent liés à des poissons à usage industriel comme le hareng et le capelan. Dans le secteur de la pêche commerciale, des cas dintoxication lors du déchargement du poisson ont été signalés. Ces intoxications provoquées par la triméthylamine ou par des endotoxines causent des symptômes sapparentant à ceux de la grippe et peuvent être mortelles. On sest efforcé de réduire ces risques grâce à une meilleure formation et en apportant certaines modifications à léquipement.
Les affections cutanées aux mains sont courantes. Elles peuvent être liées au contact avec les protéines de poisson ou avec le caoutchouc des gants. Lorsquon ne porte pas de gants, les mains sont constamment humides, ce qui peut rendre la peau plus sensible. La plupart des affections cutanées sont donc des dermites de contact, allergiques ou non, et elles sont généralement persistantes. Les furoncles et les abcès sont également des problèmes récurrents qui touchent les mains et les doigts.
Certaines études, mais pas toutes, indiquent un faible taux de mortalité, toutes causes confondues, chez les pêcheurs, par rapport au reste de la population masculine. Cette faible mortalité au sein dun groupe de travailleurs en particulier est appelée «leffet du travailleur en bonne santé», qui est dû au fait que la mortalité a toujours tendance à être moins élevée au sein dune population professionnellement active que dans la population en général. En raison de la forte mortalité résultant des accidents en mer, bien des études sur la mortalité chez les pêcheurs font toutefois état de taux de décès élevés, toutes causes confondues.
La mortalité par cardiopathie ischémique est en augmentation ou en diminution, selon les études. Celle due à des maladies cérébro-vasculaires et respiratoires est moyenne chez les pêcheurs.
Daprès plusieurs études, la mortalité due à des causes inconnues est plus forte chez les pêcheurs que chez les autres travailleurs. Par «causes inconnues», on entend les événements correspondant aux numéros spéciaux de la CIM quinscrit le médecin sur le certificat de décès lorsquil nest pas en mesure de déterminer la cause exacte de la maladie ou de laccident ayant provoqué la mort. Parfois, les décès signalés dans la catégorie «cause inconnue» sont dus à des accidents à la suite desquels le corps na jamais été retrouvé; il sagit la plupart du temps daccidents de transport maritime ou de suicides survenus en mer. Quoi quil en soit, un nombre excessif de décès de cause inconnue peut indiquer que la pêche est non seulement un métier dangereux, mais aussi un mode de vie dangereux.
On a constaté un nombre excessif daccidents mortels de la circulation, dintoxications diverses et dautres types daccidents, de suicides et dhomicides chez les pêcheurs (Rafnsson et Gunnars-dóttir, 1993). Certains auteurs présument que, étant donné les risques inhérents à leur métier, les marins auraient tendance à avoir un comportement ou un mode de vie dangereux. Les pêcheurs expliquent eux-mêmes quils perdent lhabitude de conduire, ce qui pourrait expliquer le nombre élevé daccidents de la circulation dans lesquels ils sont impliqués. Daprès dautres témoignages, cette situation serait due aux efforts de rattrapage, sur le plan social, que font les pêcheurs au retour des longs voyages pendant lesquels ils ont été éloignés de leur famille et de leurs amis. Parfois, ils ne passent quun ou deux jours à terre, avant de reprendre la mer pour longtemps. Le nombre excessif de décès à la suite daccidents survenus ailleurs quen mer indique quil sagit dun mode de vie hors du commun.
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui a notamment pour mission dévaluer les risques de cancer chez les travailleurs, selon la branche dactivité, na pas inclus la pêche et la transformation du poisson dans celles où les risques de cancer sont manifestes. Cependant, plusieurs études sur la mortalité et la morbidité par cancer examinent les risques propres au métier de pêcheur (Hagmar et coll., 1992; Rafnsson et Gunnarsdóttir, 1994, 1995). Certaines dentre elles ont mis en évidence un risque accru de diverses formes de cancer, suggérant que des facteurs dordre professionnel et le mode de vie pourraient en être la cause. Les types de cancers examinés ci-dessous sont le cancer des lèvres, du poumon et de lestomac.
La pêche a toujours été associée au cancer des lèvres. On pensait autrefois quil était dû à lexposition aux goudrons utilisés pour préserver les filets, étant donné que les pêcheurs se servaient de leur bouche comme dune «troisième main» pour les manipuler. On estime de nos jours que le cancer des lèvres chez les pêcheurs est dû à leffet conjugué du tabagisme et de lexposition aux rayons ultraviolets pendant le travail à lextérieur.
Les conclusions des études sur le cancer du poumon ne sont pas unanimes. Certaines nont pas mis en évidence de risque accru de cancer du poumon dans la branche. Dautres, effectuées sur des pêcheurs suédois, indiquent une proportion de cancers du poumon inférieure à la moyenne (Hagmar et coll., 1992). Une étude italienne attribue le risque de cancer du poumon au tabagisme et non à la profession. Dautres études sur les pêcheurs indiquent un risque accru de cancer du poumon, qui nest toutefois pas confirmé. Sans information sur les habitudes tabagiques, il est difficile dévaluer limportance du rôle du tabac par rapport aux facteurs professionnels dans les cas relevés. Il serait nécessaire deffectuer une étude distincte sur les divers groupes professionnels représentés sur les navires de pêche, étant donné que les risques de cancer du poumon sont particulièrement élevés chez les travailleurs de la salle des machines, probablement à cause de lexposition à lamiante ou à des hydrocarbures aromatiques polycycliques. Des études plus poussées sont donc nécessaires pour établir plus clairement le lien de cause à effet entre le cancer du poumon et la pêche.
De nombreuses études font état dun risque élevé de cancer de lestomac chez les pêcheurs. Les études suédoises semblent indiquer que ce risque est dû à la forte consommation de poisson gras contaminé par des composés organochlorés (Svensson et coll., 1995). Dans létat actuel des connaissances, on ne sait pas encore exactement quel rôle les habitudes alimentaires, le mode de vie et les facteurs professionnels jouent dans lassociation qui existe entre le cancer de lestomac et la pêche.
Lexpression troubles musculo-squelettiques (TMS) désigne lensemble des symptômes et des maladies des muscles, des tendons ou des articulations. Ces troubles sont souvent diffus et de durée variable. Les principaux facteurs de risque de troubles musculo-squelettiques liés aux activités professionnelles sont le soulèvement de lourdes charges, les mauvaises postures, les tâches répétitives, le stress psychologique et la mauvaise organisation du travail (voir figure 66.9).
En 1985, lOrganisation mondiale de la santé (OMS) a publié le communiqué suivant: «Les maladies liées aux activités professionnelles sont dues à de nombreux facteurs parmi lesquels le milieu de travail et lexécution proprement dite des tâches occupent une place importante; ce nest cependant quun facteur parmi dautres» (OMS, 1985). Il nexiste toutefois pas de critère internationalement reconnu déterminant les causes des troubles musculo-squelettiques liés au travail. Il faut ajouter que ces troubles se manifestent à la fois dans les pays en développement et dans les pays développés et quils nont pas disparu en dépit de lavènement des innovations technologiques qui permettent de faire exécuter par des machines et des ordinateurs des tâches autrefois manuelles (Kolare, 1993).
A bord des navires, le travail est astreignant, physiquement et mentalement. On y retrouve souvent la plupart des facteurs de risque mentionnés ci-dessus et connus pour provoquer des troubles musculo-squelettiques, et ce aussi bien au niveau du poste quà celui de lorganisation du travail.
Depuis toujours, la majorité des travailleurs de lindustrie de la pêche sont des hommes. Des études suédoises sur le sujet montrent que les symptômes de troubles musculo-squelettiques sont courants dans cette catégorie professionnelle et quils suivent un modèle logique selon le genre de pêche et le type de tâches. Au total, 74% des pêcheurs ont présenté des symptômes de troubles musculo-squelettiques au cours des douze mois précédant la réalisation de ces études. La plupart des sujets estiment que le mouvement permanent du navire impose un effort important non seulement au système musculo-squelettique, mais aussi au corps tout entier (Törner et coll., 1988).
Sagissant des troubles musculo-squelettiques chez les travail-leurs de la transformation du poisson, les études publiées sont peu nombreuses. Depuis bien longtemps, la majorité des travailleurs qui préparent les filets de poisson sont des femmes. Les résultats détudes islandaises, suédoises et taiwanaises montrent que les troubles musculo-squelettiques au niveau de la nuque ou des épaules sont plus courants chez les femmes qui travaillent dans cette filière que chez celles qui accomplissent des tâches plus variées (Ólafsdóttir et Rafnsson, 1998; Ohlsson et coll., 1994; Chiang et coll., 1993). On pense quil existe un lien causal entre ces symptômes et les tâches très répétitives effectuées en moins de 30 secondes. Le fait dexécuter des tâches de ce type sans pouvoir en accomplir dautres en alternance est un facteur de risque élevé. Chiang et coll. (1993) ont étudié les travailleurs de la transformation du poisson (hommes et femmes) et ont constaté une plus forte prévalence de troubles des membres supérieurs chez les sujets préposés à des tâches nécessitant des mouvements très répétitifs ou très vigoureux que chez ceux accomplissant des tâches moins répétitives et faisant des mouvements moins énergiques.
Comme mentionné, les troubles musculo-squelettiques nont pas disparu avec lavènement des nouvelles technologies. La ligne de production continue est lune des nouvelles techniques implantées dans lindustrie de la transformation du poisson, à terre comme à bord des grands navires-usines. Elle comprend un système de transporteurs à bande qui acheminent le poisson vers des machines détêtage et de filetage, puis le font défiler devant les travailleurs qui saisissent chaque filet, le coupent et le parent avec un couteau. Dautres transporteurs à bande dirigent le poisson vers le poste demballage, après quoi il est surgelé. Ce mode de production a eu des répercussions sur le type de troubles musculo-squelettiques que présentent les femmes travaillant dans les usines de filetage. La prévalence des troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs a augmenté, tandis que celles des membres inférieurs a diminué (Ólafsdóttir et Rafnsson, 1998).
Si lon veut élaborer une stratégie de prévention des troubles musculo-squelettiques, il importe de bien en comprendre les causes et les mécanismes de survenue, le pronostic et les moyens de prévention (Hagberg, M., Kilbon, Å. et Kolare, S., 1993). Il ne suffit pas dimplanter des nouvelles techniques pour les prévenir; encore faut-il tenir compte de lenvironnement professionnel dans son ensemble, y compris lorganisation du travail.
La capture despèces non recherchées appelées prises accessoires est lune des principales conséquences de lindustrie de la pêche maritime mondiale sur lenvironnement. Parmi les prises accessoires, qui sont pour la plupart rejetées par-dessus bord, il faut citer:
Dans le cadre dune grande étude faite pour le compte de lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO) (Alverson et coll., 1994), on a estimé provisoirement et prudemment que 27 millions de tonnes de poisson et dinvertébrés (ne comprenant donc ni les mammifères, ni les oiseaux marins, ni les tortues de mer) sont capturés chaque année dans les filets puis rejetés à la mer morts ou mourants pour la plupart par les pêcheurs commerciaux. Cest léquivalent de plus dun tiers du poids de la totalité des poissons et fruits de mer débarqués, estimée à environ 77 millions de tonnes à léchelle mondiale.
Sans même parler des problèmes déthique que pose un tel gaspillage, lopinion publique salarme beaucoup des conséquences que de telles pratiques ont sur lenvironnement et, notamment, sur la diminution éventuelle de la biodiversité et sur la réduction des réserves de poisson. Pas moins de 200 000 mammifères marins périraient chaque année dans les engins de pêche (Alverson et coll., 1994). La pêche au filet maillant est peut-être la plus lourde menace qui pèse sur les colonies de dauphins; au moins une espèce (le marsouin du Pacifique) et plusieurs colonies de marsouins sont en voie dextinction à cause de ce type de pêche. La capture fortuite et la mortalité des tortues de mer, généralement associées à la pêche au chalut à crevettes et à certains types de pêche à la ligne de fond, mettent en danger, de manière constante, diverses populations dans tous les océans (Dayton et coll., 1995). Un grand nombre doiseaux marins périssent également dans certains types de pêche: la pêche à la ligne de fond tue des dizaines de milliers dalbatros chaque année et est considérée comme le principal danger qui menace la survie des colonies dalbatros et de bien dautres espèces (Gales, 1993).
Les prises accessoires sont les principales responsables de la perception négative que le public a de la pêche maritime commerciale. Par conséquent, de nombreuses recherches ont été effectuées dans le but daméliorer la sélectivité des engins et des méthodes de pêche. En fait, la FAO (1995) estimait que les quantités rejetées pourraient diminuer de 60% en lan 2000 si les pouvoirs publics et lindustrie faisaient des efforts concertés.
Les déchets de poisson et de fruits de mer peuvent comprendre les organes internes (viscères), les têtes, les queues, le sang, les écailles et les eaux usées ou les boues (liquides des cuiseurs, coagulants chimiques utilisés dans les systèmes de traitement primaire, huiles, graisses, solides en suspension, par exemple). Dans bien des régions, la plupart des résidus de la transformation des fruits de mer provenant des usines côtières sont convertis en farine de poisson ou en engrais, et tous les résidus excédentaires sont rejetés à la mer, dans les eaux côtières, épandus directement sur le sol ou jetés dans des décharges. Les déchets de la transformation à bord des navires (du nettoyage du poisson, par exemple) sont composés de morceaux de poisson (issues) et sont invariablement rejetés à la mer.
Lincidence des déchets de la transformation du poisson sur les systèmes aquatiques peut varier considérablement selon leur type et leur quantité ou la fréquence des rejets, la sensibilité écologique du milieu récepteur et certains facteurs physiques qui exercent une influence sur le mélange et la dispersion des déchets. Le problème le plus crucial est le déversement des déchets des usines de transformation dans les environnements côtiers; le rejet de quantités excessives de nutriments peut causer leutrophisation et, par conséquent, la diminution de certaines populations locales de plantes aquatiques et danimaux.
Le déversement en mer des issues et des prises accessoires peut entraîner une raréfaction de loxygène des habitats benthiques (de fond) lorsquune certaine quantité saccumule sur le fond marin. Les prises rejetées et les issues sont toutefois considérées comme des éléments contribuant à la croissance rapide de certaines populations doiseaux marins, bien que cela se fasse peut-être au détriment despèces moins concurrentielles (Alverson et coll., 1994).
La pêche commerciale à la baleine continue de retenir lattention du public et des milieux politiques pour trois raisons: 1) le caractère exceptionnel attribué aux baleines, 2) laspect cruel des techniques de chasse; et 3) le fait que la plupart des populations de baleines notamment les rorquals bleus, les rorquals communs et les baleines franches aient considérablement diminué. La cible actuelle de la chasse à la baleine est le rorqual rostré (petit rorqual) qui avait été épargné par les flottes baleinières traditionnelles en raison de sa petite taille (de 7 à 10 m) par rapport à la plupart des grandes baleines.
En 1982, la Commission baleinière internationale (International Whaling Commission (IWC)) a voté en faveur dun moratoire mondial sur la pêche commerciale à la baleine. Ce moratoire est entré en vigueur au début de la campagne de chasse à la baleine de 1985-86 et doit le rester pour une période indéterminée. Cependant, deux pays la Norvège et la Russie continuent de protester officiellement contre ce moratoire, et la Norvège en profite pour poursuivre ce type de pêche dans lAtlantique du Nord-Est. Bien quil ne soppose pas officiellement au moratoire, le Japon continue de pratiquer la chasse à la baleine dans le Pacifique Nord et dans locéan Austral, invoquant un article de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine qui permet aux Etats membres de tuer des baleines à des fins de recherche scientifique. Les flottes japonaises et norvégiennes tuent moins de 1 000 baleines par an; la quasi-totalité de la viande qui en est issue est vendue sur le marché japonais pour lalimentation humaine (Stroud, 1996).
Chez lêtre humain, des affections peuvent être causées par lingestion de fruits de mer contaminés essentiellement pour les trois raisons ci-après: