Durant les années quatre-vingt-dix, les facteurs organisationnels ont pris une importance croissante dans le management de la sécurité. Parallèlement, les vues des entreprises concernant la sécurité ont considérablement évolué. Les spécialistes, dont la plupart ont une formation technique, sont ainsi confrontés à une double tâche. Dune part, ils doivent comprendre les aspects organisationnels des problèmes quils rencontrent et les intégrer dans les programmes de prévention. Dautre part, il leur faut tenir compte du fait que la conception de la sécurité dans les entreprises est de moins en moins confinée aux facteurs matériels et met clairement laccent sur des facteurs moins tangibles et moins quantifiables comme la culture dentreprise, la modification des comportements, la responsabilisation et la participation active. La première partie du présent article résume lévolution des opinions concernant les modes dorganisation, la gestion, la qualité et la sécurité. La deuxième partie étudie les incidences de cette évolution sur les systèmes daudit. Larticle conclut par un exemple de système daudit de la sécurité fondé sur la norme ISO 9001 (ISO, 1994).
La crise économique qui a frappé le monde occidental en 1973 a exercé une profonde influence sur les concepts et les méthodes en matière de gestion, de qualité et de sécurité du travail. Le développement économique des entreprises sarticulait jusque-là autour de lexpansion des marchés, de la promotion des exportations et de laccroissement de la productivité. Toutefois, ces trois éléments ont peu à peu perdu de leur importance au profit de la réduction des pertes et de lamélioration de la qualité. Pour gagner des clients et les conserver, une réponse plus directe a été apportée à leurs exigences et à leurs attentes. Il a fallu offrir des gammes de produits plus larges et, par conséquent, introduire davantage de souplesse dans les modes dorganisation afin de pouvoir sadapter très rapidement aux fluctuations du marché. Laccent a été mis sur lengagement et la créativité du personnel, deux avantages concurrentiels majeurs dans la bataille économique. Lélévation du niveau de la qualité et lélimination des activités non rentables sont devenues deux moyens importants daméliorer les résultats dexploitation.
Les spécialistes de la sécurité ont joué un rôle dans cette stratégie en définissant et en mettant en uvre des programmes de maîtrise des pertes totales. Ces programmes font une large place aux coûts directs des accidents et à laugmentation des primes dassurance, mais aussi à lensemble des pertes et des coûts indirects qui peuvent être évités. Létude de laugmentation en termes réels de la production nécessaire pour compenser ces pertes fait immédiatement apparaître que la réduction des coûts est plus efficace et plus rentable que laccroissement de la production.
Dans ce contexte de recherche dune meilleure productivité, les entreprises sefforcent depuis peu de tirer parti des avantages quoffrent la réduction de labsentéisme pour cause de maladie et la motivation du personnel. Dans le prolongement de ces évolutions, la politique de sécurité des entreprises revêt de plus en plus fréquemment dautres formes et suit dautres orientations. Dans le passé, les chefs de grandes entreprises considéraient pour la plupart la sécurité comme une simple obligation légale, une contrainte quils sempressaient de déléguer à des techniciens. Aujourdhui, il est clair que la politique de sécurité est considérée comme un moyen datteindre les deux objectifs de réduction des pertes et doptimisation de la stratégie dans les entreprises. La sécurité est donc en passe de devenir un indicateur fiable de la performance dune entreprise dans ces deux domaines. Pour mesurer les progrès accomplis, une attention croissante est accordée aux audits de gestion et de sécurité.
Les conditions économiques nont pas été les seules à ouvrir de nouveaux horizons aux chefs dentreprise. De nouvelles approches de lorganisation, de la qualité et de la sécurité sont à lorigine de profonds changements. En matière dorganisation, la théorie proposée dans louvrage de Peters et Waterman (1982) a marqué un tournant. Cet ouvrage sappuyait déjà sur les idées que Pascale et Athos (1980) avaient découvertes au Japon. Cette nouvelle conception de lorganisation peut être symbolisée, dans une certaine mesure, par le modèle des «7-S» de McKinsey (dans Peters et Waterman, 1982). Aux trois axes de management classiques que sont la stratégie, la structure et les systèmes, les entreprises ajoutent aujourdhui trois aspects supplémentaires: les ressources humaines, les compétences et le style. Ces six éléments sont interactifs et articulés autour de lélément central du modèle (le septième «S»), à savoir les objectifs supérieurs de lentreprise (voir figure 57.1). Cette démarche met clairement laccent sur les aspects humains de lentreprise.
Les développements fondamentaux peuvent être illustrés à laide du modèle de Scott (1978), également utilisé par Peters et Waterman (1982). Ce modèle sappuie sur deux catégories de démarches:
Quatre champs sont ainsi créés dans la figure 57.2. Deux dentre eux (taylorisme et démarche conjoncturelle) sont mécaniquement fermés et les deux autres (relations humaines et développement organisationnel) organiquement ouverts. La théorie du management a considérablement évolué, passant du modèle basé sur la division rationnelle et autoritaire du travail (taylorisme) à un modèle organique axé sur la gestion des ressources humaines.
Lefficacité et la rentabilité de lentreprise sont plus clairement liées dès lors à une gestion stratégique optimale, à une structure organisationnelle horizontale et à des systèmes qualité performants. Par ailleurs, on accorde aujourdhui plus de place aux objectifs supérieurs et aux valeurs fondamentales qui renforcent la cohésion au sein de lentreprise, comme les compétences (facteur de différenciation par rapport aux concurrents), la motivation du personnel, la créativité et la flexibilité encouragées par lengagement et la responsabilisation des travailleurs. Dans les approches ouvertes de ce genre, un audit de management ne saurait se borner à examiner les caractéristiques formelles ou structurelles de lorganisation: il doit aussi analyser les méthodes afin didentifier les éléments moins tangibles et mesurables liés à la culture de lentreprise.
Dans les années cinquante, le contrôle de la qualité se limitait à une vérification a posteriori des produits finis dans le cadre de la maîtrise totale de la qualité (TQC). Dans les années soixante-dix, en partie sous linfluence de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord (OTAN) et du constructeur automobile Ford, laccent a plutôt été mis sur ce que lon a appelé lassurance totale de la qualité (TQA) dans le processus de production. Il a fallu attendre la décennie quatre-vingt pour que lon sintéresse, devant le succès des techniques japonaises, à la qualité de lensemble du système de management, qui a donné naissance au management total de la qualité (TQM). Ce changement radical dans lapproche de la gestion de la qualité est intervenu dun seul coup, dans le sens où chaque étape était immédiatement intégrée à la suivante. Il est également évident que si le contrôle qualité a posteriori est plus étroitement lié au concept tayloriste de lorganisation du travail, lassurance qualité est davantage associée à une approche sociotechnique dont le but est de ne pas trahir la confiance du client (extérieur). Le TQM sinscrit dans le droit-fil dun mode dorganisation basé sur les ressources humaines, car le but visé nest plus seulement lamélioration du produit, mais lamélioration continue de toutes les facettes de lorganisation dans laquelle les travailleurs tiennent une place spécifique.
Le leadership total de la qualité (TQL) démarche proposée par la Fondation européenne pour le management par la qualité (European Foundation for Quality Management (EFQM)) met fortement laccent sur limpact égal qua lorganisation sur le client, les travailleurs et la société en général, avec lenvironnement en point de mire. Les objectifs correspondants peuvent être atteints en intégrant des concepts comme ceux de «leadership» et de «gestion des ressources humaines».
Il est clair quil existe aussi une très sensible différence déchelle entre lassurance qualité telle quelle est décrite dans les normes de lOrganisation internationale de normalisation (ISO) et la démarche TQL de la EFQM. Lassurance qualité ISO est une version élargie et améliorée du contrôle qualité classique, qui porte non seulement sur les produits et les clients internes, mais aussi sur lefficacité des procédés techniques mis en uvre. Le contrôle a pour objectif de vérifier le respect des procédures définies dans les normes ISO. Le TQM, de son côté, vise à répondre aux attentes de tous les clients, internes et externes, mais aussi de tous les processus de lentreprise, y compris les processus administratifs et ceux qui touchent les hommes de plus près. La participation, lengagement, la motivation et la créativité du personnel sont des aspects fondamentaux de cette démarche.
Lévolution des démarches en matière de sécurité et de qualité est très similaire. De lanalyse a posteriori des accidents, on est passé à la prévention des accidents dans une perspective plus globale. La sécurité est envisagée désormais dans le contexte de la maîtrise des pertes totale, afin déviter les pertes de toute nature par une gestion de la sécurité associant les hommes, les procédés, les matières, les équipements, les installations et les conditions de travail. La sécurité se concentre dès lors sur la gestion de tous les processus susceptibles doccasionner des pertes. Au premier stade de la définition de la démarche de sécurité, laccent a été mis sur le concept derreur humaine . Les travailleurs se voyaient attribuer une large part de responsabilité dans la prévention des accidents du travail. Inspirées par une philosophie tayloriste, des conditions et des procédures ont été définies et un système de contrôle a été établi pour assurer le respect des règles de comportement prescrites. Cette philosophie peut se traduire dans les pratiques de sécurité modernes au travers des concepts des normes ISO de la série 9000 (ISO, 1993-1997); elle crée une sorte de sentiment indirect de culpabilité implicite chez les travailleurs, avec tous les effets négatifs que cela suppose pour la culture dentreprise; on risque ainsi de voir se dessiner une tendance qui fera obstacle à la performance au lieu de la promouvoir.
Les accidents du travail étaient considérés comme le résultat dune conjonction de facteurs dans un système associant les hommes, les machines et les conditions de travail, système dans lequel laccent était mis sur une approche technico-systémique . On retrouve ici, une fois de plus, lanalogie avec lassurance qualité qui accorde la primauté au contrôle des processus techniques par des méthodes comme la maîtrise statistique des procédés. Par la suite, on a reconnu que les travailleurs sacquittaient de leurs tâches dans des conditions et avec des moyens spécifiques.
Cest depuis peu seulement, et en partie sous linfluence de la philosophie TQM, que les pratiques de sécurité se sont orientées vers une approche socio-systémique , étape logique dans lamélioration de la prévention. Il ne suffit pas, pour optimiser un système hommes/machines/environnement, de rendre sûrs les machines, les installations et les outils par une politique de prévention bien structurée: il faut aussi garantir la sûreté des processus techniques et mettre en place un système de maintenance préventive. Par ailleurs, il est essentiel que les employés soient suffisamment formés, compétents et motivés pour être capables datteindre les objectifs fixés en matière de sécurité et de santé. Dans la société moderne, le taylorisme nest plus adapté à cette fin, car un retour dinformation positif est beaucoup plus motivant quun système de contrôle répressif qui na souvent que des effets négatifs. Le management moderne appelle une culture dentreprise ouverte et motivante, dans laquelle lensemble des acteurs participent activement à la réalisation des objectifs communs par une démarche de travail en équipe. Dans une culture de sécurité , la sécurité fait véritablement partie des objectifs de lentreprise; elle est donc totalement intégrée aux tâches et sétend à toute la pyramide hiérarchique, du sommet à la base.
Le concept de sécurité intégrée comprend un certain nombre de facteurs fondamentaux, dont les plus importants sont les suivants:
Engagement clair et visible de léquipe dirigeante . Il ne suffit pas que cet engagement soit exprimé par écrit, il doit aussi se traduire concrètement et toucher la base de la pyramide hiérarchique.
Participation active de la hiérarchie et des services centraux . Veiller à la sécurité, à la santé et au confort fait partie intégrante des tâches de chacun des acteurs du processus de production. Cette préoccupation doit également se retrouver en filigrane dans la politique du personnel, la maintenance préventive, le développement des produits et les relations avec les tiers.
Participation sans réserve du personnel. Les travailleurs sont des partenaires à part entière, avec lesquels une communication franche et constructive est possible dès lors que leur contribution est pleinement prise en compte. En effet, la participation du personnel est cruciale pour mettre en uvre la stratégie de lentreprise et sa politique de sécurité de manière efficace et gratifiante.
Profil adéquat pour le spécialiste de la sécurité . Le responsable de la sécurité nest plus le technicien-homme à tout faire quil était autrefois, mais un conseiller qualifié de la direction qui se consacre plus particulièrement à optimiser les règles et le système de sécurité. La formation technique ne suffit plus; il faut désormais une personne qui, en tant quorganisateur, soit capable de communiquer efficacement avec les différents acteurs de lentreprise et de collaborer en créant des synergies avec dautres spécialistes de la prévention.
Une culture de sécurité proactive . Lélément essentiel dune politique de sécurité intégrée est une culture proactive fondée notamment sur les principes suivants:
Les audits de sécurité sont une forme danalyse et dévaluation des risques consistant en une étude systématique des conditions susceptibles de permettre le développement et la mise en uvre de pratiques de sécurité efficaces. Un audit passe simultanément en revue les objectifs à atteindre et les critères les plus susceptibles den assurer la réalisation.
Chaque audit devrait, en principe, apporter une réponse aux questions suivantes:
Les informations rassemblées seront analysées de près afin de déterminer dans quelle mesure la situation présente et ce qui a déjà été fait correspondent aux critères définis. Un rapport soulignera les points forts et mettra en évidence les aspects qui doivent encore être améliorés.
Tout audit exprime, explicitement ou implicitement, une image de lorganisation idéale et propose la meilleure façon de mettre en uvre les améliorations souhaitées.
Bennis, Benne et Chin (1985) distinguent trois stratégies de changement, basée chacune sur une vision différente des individus et des moyens dinfluer sur leur comportement:
Savoir quelle stratégie est la mieux adaptée à une situation particulière dépend non seulement de la vision de départ, mais aussi de la situation existante et de la culture prévalente de lentreprise concernée. Il est capital de savoir sur quel type de comportement il faut influer. Le célèbre modèle conçu par un spécialiste du risque, le Danois Rasmussen (1988), distingue trois catégories de comportement:
On est amené à considérer que les systèmes daudit (y compris ceux fondés sur les normes ISO) étaient inspirés souvent de stratégies répressives ou rationnelles empiriques mettant laccent sur les automatismes et les procédures. Ces systèmes naccordent pas suffisamment dattention au comportement cognitif, qui peut être modifié essentiellement par des stratégies normatives-rééducatives. Dans la typologie de Schein (1989), lattention se concentre exclusivement sur les manifestations visibles, tangibles et conscientes de la culture dentreprise, au détriment de sentiments plus profonds, cachés et inconscients, davantage liés à des valeurs et à des postulats fondamentaux.
De nombreux systèmes daudit se bornent à déterminer sil existe telle ou telle disposition ou procédure dans lentreprise, ce qui revient à supposer que lexistence de cette disposition ou de cette procédure suffirait à garantir le bon fonctionnement du système. Or, un système daudit digne de ce nom doit prendre en considération dautres «strates» (niveaux de réponse probable) sil veut réunir des données suffisantes et fournir des garanties defficacité.
A titre dexemple, examinons ce qui peut se passer en cas dincendie:
Stratégies |
Comportement |
||
|
Machinal |
Procédural |
Cognitif |
Répressive |
Erreur humaine |
|
|
Rationnelle-empirique |
|
Méthodes et techniques |
|
Normative-rééducative |
|
Sociale |
Culture de sécurité |
Le système daudit de Pellenberg (Pellenberg-Audit-System (PAS )) tire son nom de lendroit où il a été mis au point, à savoir le château Maurissens à Pellenberg, propriété de lUniversité catholique de Louvain. Il est le fruit dune intense collaboration au sein dune équipe pluridisciplinaire dexperts ayant une longue expérience pratique de la gestion de la qualité, de la sécurité et des conditions de travail et qui ont comparé un éventail de démarches et de méthodes. Léquipe a également reçu le soutien des services scientifiques et de recherche de lUniversité, bénéficiant ainsi des dernières connaissances dans les domaines du management et de la culture dentreprise.
Le système daudit de Pellenberg rassemble les critères que doit réunir un système de prévention performant (voir tableau 57.2). Ces critères sont classés selon le système ISO (assurance qualité dans la conception, le développement, la fabrication, linstallation et la maintenance). Toutefois, le système ne se contente pas dappliquer les normes ISO à la sécurité, à la santé et au bien-être: il sinspire dune philosophie nouvelle visant à associer sécurité et satisfaction au travail. Le contrat du système ISO est remplacé par la mention des dispositions réglementaires et des attentes des partenaires sociaux en ce qui concerne la sécurité, la santé et le bien-être. La création demplois gratifiants et sans danger pour les travailleurs est considérée comme un objectif essentiel de chaque entreprise dans le cadre de ses responsabilités sociales. Lentreprise fournit du travail et les travailleurs sont ses clients.
Eléments de l’audit |
Correspondance avec la norme |
|
1. |
Responsabilité de la direction |
|
1.1. |
Politique de sécurité |
4.1.1. |
1. 2. |
Organisation |
|
1.2.1. |
Responsabilité et autorité |
4.1.2.1. |
1.2.2. |
Personnel et moyens de vérification |
4.1.2.2. |
1.2.3. |
Service de sécurité et de santé |
4.1.2.3. |
1.3. |
Examen du système de gestion de la sécurité |
4.1.3. |
2. |
Système de gestion de la sécurité |
4.2. |
3. |
Obligations |
4.3. |
4. |
Contrôle en conception |
|
4.1. |
Généralités |
4.4.1. |
4.2. |
Planification des études et du développement |
4.4.2. |
4.3. |
Critères de conception |
4.4.3. |
4.4. |
Produit de la conception |
4.4.4. |
4.5. |
Vérification de la conception |
4.4.5. |
4.6. |
Changements dans la conception |
4.4.6. |
5. |
Contrôle des documents |
|
5.1. |
Approbation et distribution des documents |
4.5.1. |
5.2. |
Changements/modifications dans les documents |
4.5.2. |
6. |
Achats et contrats |
|
6.1. |
Généralités |
4.6.1. |
6.2. |
Evaluation des fournisseurs et des sous-traitants |
4.6.2. |
6.3. |
Critères d’achats |
4.6.3. |
6.4. |
Produits tiers |
4.7. |
7. |
Identification |
4.8. |
8. |
Contrôle des processus |
|
8.1. |
Généralités |
4.9.1. |
8.2. |
Contrôle de la sécurité des processus |
4.11. |
9. |
Inspection |
|
9.1. |
Contrôle à la réception et avant la mise en service |
4.10.1. |
9.2. |
Contrôles périodiques |
4.10.2. |
9.3. |
Dossiers de contrôle |
4.10.4. |
9.4. |
Matériel de contrôle |
4.11. |
9.5. |
Statut du contrôle |
4.12. |
10. |
Accidents et incidents |
4.13. |
11. |
Action corrective et préventive |
4.13. |
12. |
Dossiers de sécurité |
4.16. |
13. |
Audits internes de sécurité |
4.17. |
14. |
Formation |
4.18. |
15. |
Maintenance |
4.19. |
16. |
Techniques statistiques |
4.20. |
Le système de Pellenberg intègre plusieurs autres éléments:
Le système de Pellenberg se réfère constamment à la politique générale de lentreprise dont la sécurité fait partie intégrante. En effet, une politique de sécurité optimale est à la fois le point de départ et le résultat dune stratégie densemble proactive. Si lon part du principe quune entreprise où la sécurité est assurée est aussi une entreprise efficace et rentable et que la réciproque est vraie aussi, il convient dapporter un soin particulier à lintégration de la politique de sécurité dans la politique générale de lentreprise. Les principaux ingrédients dune stratégie proactive sont notamment une culture dentreprise déclarée, un engagement à long terme, la participation active des employés, un souci de qualité dans le travail et un système dynamique damélioration constante. Ces éléments ne sont pas toujours faciles à concilier avec la démarche plus formelle et procédurale de lISO.
Il est incontestable que des procédures formelles et des résultats directement identifiables jouent un rôle important, mais un système de sécurité efficace ne saurait être fondé sur ces seuls critères. Les résultats dune politique de sécurité dépendent des méthodes adoptées, des efforts mis en uvre, du souci constant de progrès et, plus spécialement, de loptimisation des processus en vue de consolider les succès obtenus. Ces principes font partie intégrante du système de Pellenberg qui accorde une importance particulière, entre autres choses, à lamélioration systématique de la culture de la sécurité.
Lun des principaux avantages du système est quil crée des synergies. En sécartant de la démarche de lISO, les différents axes dapproche deviennent immédiatement reconnaissables par les spécialistes du programme TQM. Il existe des possibilités de synergie évidentes entre ces axes, car lamélioration des méthodes de management est lélément clé dans chacun deux. Une stratégie dapprovisionnement rigoureuse, un système de maintenance préventive performant, de bonnes méthodes de gestion, un style de management participatif et la promotion de lesprit dinitiative chez les travailleurs revêtent une importance capitale.
Les différents systèmes de sécurité sont organisés de manière analogue sur la base de principes tels que lengagement de la direction, la participation des cadres et du personnel et la contribution de divers spécialistes. Ils contiennent aussi des instruments daction analogues, comme la déclaration de politique de lentreprise, les plans daction annuels, les méthodes dévaluation et de contrôle, les audits internes et externes, etc. Le système de Pellenberg va donc clairement dans le sens dune collaboration efficace, génératrice déconomies et de synergies, entre les divers intéressés.
Le système de Pellenberg nest pas la voie la plus facile à suivre dans loptique du court terme. Rares dailleurs sont les dirigeants dentreprise qui se laisseront séduire par un système qui fait miroiter des gains considérables, rapidement et avec peu defforts. Toute stratégie solide repose sur une approche à long terme. Ce qui importe vraiment, ce ne sont pas tant les résultats immédiats que la certitude que le processus adopté produira des résultats durables non seulement dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans les autres secteurs de lentreprise. Dans une telle optique, améliorer la sécurité contribuera également à consolider les emplois, à motiver les travailleurs, à satisfaire la clientèle et à optimiser les résultats dexploitation.
La notion de progrès ininterrompu est un postulat fondamental de tout processus daudit de sécurité qui vise à produire des résultats durables dans la société rapidement évolutive daujourdhui. La meilleure garantie dun programme dynamique de ce type est lengagement sans réserve du personnel, qui progresse en même temps que lentreprise, car ses efforts sont systématiquement valorisés et quil a la possibilité de développer ses compétences et de les mettre régulièrement à niveau.
Le présent article étudie le rôle des facteurs humains dans le processus de causalité des accidents, expose la nature et lefficacité des mesures de prévention qui permettent de contrôler les erreurs humaines et examine leur application au modèle de causalité. Les erreurs humaines jouent un rôle important dans 90% au moins de tous les accidents du travail. Des défaillances purement techniques et des circonstances matérielles imprévues peuvent naturellement intervenir, mais les défaillances humaines demeurent la cause première. Les progrès réalisés dans la conception et la fiabilité des machines font que la proportion des accidents dus aux erreurs humaines augmente alors que le nombre daccidents, en termes absolus, tend à diminuer. Ces mêmes erreurs sont également à lorigine de nombre dincidents qui, sils ne font pas de victime, entraînent néanmoins des pertes financières considérables. A ces divers titres, la prévention de ces erreurs est un objectif majeur appelé à prendre une place de plus en plus importante. Si lon veut que les systèmes de gestion de la sécurité et les programmes didentification des risques soient efficaces, il est indispensable de pouvoir mettre en lumière le rôle du facteur humain en procédant à une analyse rigoureuse des défaillances possibles.
Lerreur humaine peut être considérée comme lincapacité datteindre un objectif donné selon la procédure prévue, par suite dun comportement involontaire ou délibéré. Cet échec peut être imputable à lune ou à plusieurs des quatre raisons ci-après:
Le comportement humain, nous lavons vu, peut être de trois types: machinal, procédural ou cognitif.
Dans certains cas, lexpression limitation humaine serait plus appropriée que celle derreur humaine . Notons, en passant, que la capacité de prévoir le comportement de systèmes complexes est elle aussi limitée (Gleick, 1987; Casti, 1990).
Le modèle de Reason et Embrey méthode générique de modélisation des erreurs (Reason, 1990) tient compte des mécanismes de correction des erreurs dans les comportements de type machinal, procédural ou cognitif. Il se fonde sur la notion que le comportement quotidien est routinier. Il est lobjet dun contrôle régulier mais, entre les retours dinformation successifs, il demeure complètement automatique. Aussi longtemps que le comportement est machinal, lerreur se traduit par un raté. Lorsque le retour dinformation signale un écart par rapport à lobjectif visé, une correction de type procédural intervient. Le problème rencontré fait lobjet dun diagnostic à partir des symptômes observés, et une consigne corrective est mise en uvre en fonction de ce diagnostic. Lorsque la consigne appliquée nest pas la bonne, il y a faute.
Dans le cas dune situation nouvelle, on fait appel à un comportement de type cognitif. Les symptômes sont étudiés à la lumière de ce que lon connaît du système et de ses composants. Lanalyse peut aboutir à une solution dont la mise en uvre constitue un cas de comportement guidé par les connaissances et lexpérience. A ce niveau, toutes les erreurs sont des fautes. Il y a violation lorsquune consigne est appliquée alors que lon sait quelle ne convient pas, lorsque lopérateur estime pouvoir appliquer une autre consigne en pensant quelle permettra de gagner du temps ou, éventuellement, quelle est mieux adaptée à la situation rencontrée, probablement exceptionnelle. Le sabotage constitue une violation commise avec la volonté de nuire, mais il déborde le cadre du présent article. Lorsquon tente déliminer les erreurs humaines, il convient de se demander si elles sont liées à un comportement machinal, procédural ou cognitif. En effet, les remèdes à appliquer ne seront pas les mêmes dans tous les cas (Groeneweg, 1996).
On entend souvent dire, à la suite dun accident, que «la personne ne sen est sans doute pas rendu compte sur le moment, mais si elle navait pas fait telle ou telle chose, laccident ne se serait pas produit». La prévention doit donc agir essentiellement sur la fraction cruciale du comportement humain à laquelle cette remarque fait allusion. Dans de nombreux systèmes de gestion de la sécurité, les solutions et les méthodes proposées visent à agir directement sur le comportement. Il est rare toutefois quune entreprise évalue lefficacité pratique de ces solutions et de ces méthodes. Les psychologues se sont longuement penchés sur la meilleure façon dinfluencer le comportement humain. Nous allons passer en revue six moyens de contrôler lerreur humaine et apprécier leur efficacité relative sur le contrôle du comportement à long terme (Wagenaar, 1992) (voir tableau 57.3.)
No |
Mode d’influence |
Coût |
Effet à long terme |
Evaluation |
1 |
Ne pas chercher à changer les comportements, mais créer un système à l’abri des défaillances humaines |
Elevé |
Faible |
Médiocre |
2 |
Etablir et donner des consignes |
Faible |
Faible |
Moyen |
3 |
Récompenser/sanctionner |
Modéré |
Moyen |
Moyen |
4 |
Motiver et sensibiliser |
Modéré |
Faible |
Médiocre |
5 |
Sélectionner du personnel qualifié |
Elevé |
Moyen |
Moyen |
6 |
Modifier le milieu de travail |
Elevé |
Prononcé |
Bon |
La première solution est de ne rien faire pour influencer le comportement des opérateurs, mais de concevoir lunité de travail ou le système de manière que, quoi que fasse un opérateur, ses actes naient pas de résultat indésirable. Il faut reconnaître que grâce à la robotique et à lergonomie, les concepteurs ont sensiblement amélioré la convivialité des installations et des matériels; il est toutefois quasiment impossible danticiper tous les comportements possibles de leurs opérateurs. Il arrive même quun système réputé infaillible ou indéréglable incite les opérateurs à essayer de trouver la faille. Enfin, il ne faut pas oublier que les concepteurs sont aussi des hommes et que tout système de ce type, aussi bien conçu soit-il, peut comporter des lacunes (Petroski, 1992). En tout état de cause, lavantage relatif de cette option par rapport aux niveaux de risque existants reste marginal et elle peut conduire à des coûts de conception et dinstallation inacceptables.
Une autre solution consiste à donner, pour chaque tâche, des consignes à tous les opérateurs, afin que lon puisse contrôler leur comportement. Cette option nécessite un inventaire des tâches et un système de contrôle des consignes complexe et difficile à mettre en place. Les comportements nétant plus automatiques, les «ratés» et les «lapsus» seront éliminés en bonne partie jusquà ce que les consignes, devenues routinières, savèrent moins efficaces.
Il nest pas très productif de dire aux opérateurs que leur travail est dangereux la plupart le savent déjà parfaitement. Ils feront de toute manière leurs propres choix en matière de risque, quoi que lon puisse dire pour les dissuader. Ils le feront soit pour rendre leur travail plus facile, soit pour gagner du temps, soit encore pour défier lautorité et, peut-être même, améliorer leurs perspectives de carrière ou obtenir une contrepartie financière. Donner des consignes est simple et ne coûte pas très cher, et la plupart des entreprises le font au début dun chantier ou dun nouveau travail. La méthode est cependant réputée peu efficace.
Bien que la méthode de la carotte et du bâton soit à la fois efficace et largement utilisée pour contrôler le comportement humain, elle nest pas sans poser des problèmes. Une récompense est surtout valable si celui qui en est lobjet y attache du prix au moment où il la reçoit. Dun autre côté, sanctionner un «raté» involontaire ne sert à rien. Ainsi, il est plus efficace daméliorer la sécurité du trafic routier en modifiant les conditions matérielles de circulation quen recourant à des campagnes dinformation ou à des mesures répressives. Même si un individu sait quil risque dêtre pris, il ne changera pas nécessairement de comportement, car la possibilité demeure de contrevenir aux règlements, tout comme le défi de pouvoir le faire impunément. Si les conditions de travail incitent à commettre une infraction, les employés choisiront automatique-ment le comportement déviant, quelle que soit la sanction quils encourent. Lefficacité de cette démarche est donc relative, car elle na généralement que des effets à court terme.
On croit parfois que les gens provoquent des accidents par manque de motivation ou inconscience du danger; cest faux, comme plusieurs études lont démontré (voir, par exemple, Wagenaar et Groeneweg, 1987). Même sils sont capables de juger exactement le danger, ils ne se comportent pas toujours en conséquence (Kruysse, 1993). Les accidents frappent aussi les gens les plus motivés et les plus sensibilisés à la sécurité. Il existe des méthodes efficaces pour stimuler la motivation et lattention; on y reviendra lorsquon parlera de modifier lenvironnement. Cette option est délicate à mettre en uvre: sil est difficile de stimuler des gens déjà motivés, il est en revanche très facile de les démotiver.
Les programmes de motivation nont deffets positifs que lorsquils sont associés à des techniques de modification du comportement, comme limplication du personnel dans la gestion des tâches.
La première réaction, après un accident, est souvent de lattribuer à un manque de compétence. Avec le recul, les circonstances de laccident semblent évidentes et facilement évitables par une personne normalement intelligente et suffisamment formée, mais cette impression est trompeuse: dans la réalité, les personnes concernées ne pouvaient pas prévoir laccident. Par conséquent, une formation plus poussée et une sélection plus rigoureuse nauront pas leffet souhaité. Une formation de base est toutefois un préalable à la sécurité. Il faut lutter contre la tendance quont certaines entreprises à remplacer du personnel expérimenté par du personnel novice et insuffisamment qualifié, car la complexité croissante des tâches exige le respect des consignes et une capacité de réflexion qui, souvent, font défaut à ces employés moins bien payés.
Une formation poussée et la sélection des individus les plus qualifiés présentent linconvénient que le comportement peut devenir automatique et que des ratés peuvent survenir. La sélection est un processus coûteux, et ses résultats sont souvent médiocres.
La plupart des comportements traduisent une réaction à certains éléments du milieu de travail: horaires de travail, attentes et exigences de la direction, etc. Toute modification apportée à ce milieu peut induire un changement de comportement. Cependant, plusieurs problèmes doivent être résolus avant que lon puisse atteindre ce résultat. Il faut dabord identifier les facteurs de perturbation, puis les contrôler; enfin, les dirigeants doivent se demander quel a été leur rôle dans la création des facteurs négatifs.
Il est plus facile dinfluer sur le comportement en instaurant des conditions de travail adéquates et en créant un environnement favorable. Cela exige: 1) lidentification préalable des facteurs qui sont à lorigine dun comportement indésirable; 2) leur contrôle; et 3) lanalyse des décisions prises antérieurement par la direction (Wagenaar, 1992; Groeneweg, 1996). Toutes ces conditions peuvent être réunies, comme on le verra plus loin. La modification du comportement peut avoir des effets positifs importants, même si son coût est parfois élevé.
Pour mieux cerner les éléments contrôlables du processus de causalité des accidents, il faut savoir quelles sont les boucles de retour dinformation possibles dans un système dinformation sur la sécurité. La figure 57.3 présente la structure complète dun tel système, grâce auquel on peut espérer parer aux erreurs humaines; cest une version remaniée du système proposé par Reason et coll. (1989).
Il est de règle, après un accident, de mener une enquête, détablir un rapport circonstancié et dinformer les décideurs du rôle joué par les défaillances humaines. Heureusement, cette méthode est de moins en moins utilisée dans les entreprises. Il est plus productif de déterminer les «perturbations opérationnelles» qui précèdent les accidents et les incidents dangereux. Un accident peut être considéré comme une perturbation opérationnelle suivie de conséquences plus ou moins sérieuses. Une simple sortie de route est une perturbation opérationnelle, alors quun automobiliste tué parce quil navait pas attaché sa ceinture de sécurité est un accident. Dans bien des cas, des dispositifs de sécurité ont été mis en place pour éviter quune perturbation opérationnelle devienne un accident, mais il arrive quils ne fonctionnent pas correctement ou quils aient été rendus inopérants.
Nous qualifierons un acte erroné commis par un travailleur dacte «indésiré» et non pas dacte «dangereux», car lutilisation de ce second terme pourrait donner limpression quil ne concerne que la sécurité personnelle, alors quil peut aussi intéresser, par exemple, des problèmes environnementaux. Les actes indésirés sont parfois enregistrés, mais des informations détaillées quant à la nature et aux raisons des ratés, des fautes et des violations sont rarement portées à la connaissance des cadres supérieurs et des dirigeants.
Avant de commettre un acte indésiré, son auteur était dans un certain état desprit. Si les signes précurseurs de nature psychologique fébrilité, inquiétude, etc. pouvaient être décelés à temps et maîtrisés, on pourrait éviter dans bien des cas quils ne débouchent sur un acte indésiré. Etant donné que les états desprit de ce genre sont impossibles à contrôler de manière efficace, les signes précurseurs jouent après coup le rôle de «boîte noire» (voir figure 57.3).
La case «types de défaillances générales» (TDG) de la figure 57.3 représente les mécanismes générateurs dun accident, à savoir les causes des actes et situations indésirés. Les actes de cette nature ne pouvant être directement maîtrisés, il faut modifier lenvironnement opérationnel. Cet environnement est déterminé par 11 mécanismes (voir tableau 57.4) (aux Pays-Bas, lexpression «défaillances générales» existe déjà, mais dans un contexte complètement différent; elle a trait à lélimination des déchets sans risque pour lenvironnement. Pour éviter toute confusion, on utilise dans ce pays une autre expression, celle de facteurs de risques fondamentaux (Roggeveen, 1994).)
Défaillances générales |
Définitions |
1. Conception |
Défaillances dues à une mauvaise conception de l’ensemble de l’installation ou de certains de ses éléments |
2. Matériels |
Défaillances dues au mauvais état ou à l’indisponibilité de machines ou d’outils |
3. Procédures |
Défaillances dues à la mauvaise qualité des procédures opérationnelles en termes d’efficacité, de disponibilité et d’exhaustivité |
4. Conditions génératrices d’erreurs |
Défaillances dues à la mauvaise qualité du milieu de travail qui favorise les risques d’erreurs |
5. Ordre et propreté |
Défaillances dues au désordre et à la saleté du lieu de travail |
6. Formation |
Défaillances dues à une formation ou une expérience insuffisantes |
7. Objectifs incompatibles |
Défaillances dues à la mise en péril de l’hygiène et de la sécurité interne par diverses pressions: délais, budget limité, etc. |
8. Communication |
Défaillances dues à la mauvaise qualité ou à l’absence de communication entre la direction, les services et les salariés |
9. Organisation |
Défaillances dues à la façon dont le projet est géré et dont fonctionne l’entreprise |
10. Gestion de la maintenance |
Défaillances dues à la mauvaise qualité des procédures de maintenance en termes d’efficacité, de disponibilité et d’exhaustivité |
11. Moyens de défense |
Défaillances dues à la mauvaise qualité des mesures de protection |
La case TDG est précédée dune case «décideurs», car cest deux que dépend en grande partie la façon dont sont gérées les défaillances. Il incombe au management de contrôler le milieu de travail en sattachant aux 11 types de défaillances mentionnés, ce qui lui permet dexercer un contrôle indirect sur la survenue des erreurs humaines.
Ces TDG peuvent tous contribuer à un accident dune manière souvent subtile, en favorisant des concours fâcheux de circonstances et dactions, en augmentant les risques dactes indésirés par certains individus et en empêchant que les événements en cours ne senchaînent pour aboutir à un accident.
Deux TDG appellent un commentaire: la gestion de la maintenance et les moyens de défense.
La gestion de la maintenance associe des facteurs que lon peut trouver dans dautres TDG; il ne sagit donc pas, à proprement parler, dun TDG spécifique. Cette gestion nest pas fondamentalement différente des autres fonctions de management. On peut néanmoins la traiter à part, car la maintenance joue un rôle important dans beaucoup daccidents et parce que cest une fonction à part entière dans la plupart des entreprises.
Il ne sagit pas non plus dans ce cas dun véritable TDG, car il na pas de lien avec le processus de causalité des accidents. Ces moyens entrent en jeu après une perturbation opérationnelle; ils ne sont pas en soi à lorigine détats desprit ou dactes indésirés, mais suivent un incident provoqué par laction dun ou de plusieurs TDG. Sil est vrai quun système de gestion de la sécurité doit se concentrer sur les éléments de la chaîne de causalité des accidents qui peuvent être maîtrisés avant et non après laccident, la notion de moyens de défense peut néanmoins être utilisée pour exprimer lefficacité perçue des systèmes de sécurité après une perturbation et montrer pourquoi ils nont pas permis dempêcher laccident.
Les décideurs ont besoin dune structure qui leur permette de faire le lien entre un problème identifié et laction préventive. Les mesures prises au niveau des dispositifs de sécurité et des actes indésirés sont certes nécessaires, mais elles ne seront jamais dune totale efficacité. Se fier à ces dispositifs qui constituent une dernière ligne de défense équivaut à se fier à des facteurs qui échappent en grande partie au contrôle des responsables. Ceux-ci ne devraient pas essayer de gérer des dispositifs extérieurs incontrôlables, mais sefforcer plutôt de rendre leur entreprise plus sûre à tous les niveaux.
Vérifier la présence des TDG dans une entreprise permettra aux enquêteurs didentifier les forces et les faiblesses de celle-ci. Munis de ces informations, il leur sera possible danalyser les accidents, de pondérer leurs causes, didentifier les faiblesses structurelles de lentreprise et dy porter remède avant quelles ne provoquent un accident.
La mission de lenquêteur consiste à identifier les causes possibles dun accident ou dun incident dangereux et à les répertorier par catégories. La fréquence dapparition dune cause dans un certain TDG donnera la mesure de son importance relative dans lentreprise. Pour ce faire, lenquêteur utilise souvent une grille de recueil de données ou un programme danalyse informatisé.
Il est possible et souhaitable de combiner des profils à partir daccidents successifs, mais semblables. Les conclusions tirées dune série denquêtes sur des accidents survenus dans un laps de temps relativement court sont beaucoup plus fiables que celles résultant dune étude où le profil a été établi sur la base dun seul accident. Un exemple de profil combiné est présenté à la figure 57.4, qui rassemble les données relatives à quatre accidents du même type.
Certains TDG conception, procédures, objectifs incompatibles ont joué, on le voit, un rôle important dans ces quatre accidents. Dans les accidents 1 et 2, cest surtout la conception qui est en cause. Le maintien de lordre et de la propreté, bien que majeur dans laccident 1, est un problème mineur si lon prend également en compte les autres accidents. Il faudrait donc étudier une dizaine daccidents semblables et en tirer un profil densemble avant de prendre des mesures correctives susceptibles dailleurs dêtre coûteuses. On peut ainsi identifier les facteurs contributifs et les classer ultérieurement dans différentes catégories de manière fiable (Van der Schrier, Groeneweg et van Amerongen, 1994).
Il est possible didentifier la présence de TDG de manière proactive, sans tenir compte des accidents et incidents survenus. Il faut rechercher à cette fin les signes indicateurs de la présence de tel ou tel TDG. Lindicateur utilisé peut être la réponse par oui ou par non à une question directe. Si la réponse donnée nest pas correcte, elle révèle une anomalie. On pourra demander par exemple: «Au cours des trois derniers mois, vous êtes-vous rendu à une réunion qui avait été annulée?». Une réponse affirmative nindique pas nécessairement un danger, mais elle est révélatrice dun TDG, en loccurrence la communication. Toutefois, si plusieurs questions concernant un TDG donné recueillent des réponses qui font apparaître une situation non satisfaisante, cest le signe que les dirigeants maîtrisent mal le problème.
Il est nécessaire, pour établir le profil de sécurité dun système, de poser 20 questions pour chacun des 11 TDG. Les réponses sont notées sur un barème allant de 0 (niveau de contrôle médiocre) à 100 (niveau de contrôle élevé). Le score obtenu est comparé à la moyenne de lindustrie dans une certaine zone géographique. Un exemple dapplication de la méthode est donné dans lencadré.
Voici une liste de 20 questions auxquelles ont répondu les employés de plus de 250 entreprises dEurope occidentale. Ces entreprises appartenaient à des branches dactivité très différentes (chimie, raffineries de pétrole, bâtiment et génie civil, etc.). Normalement, les questions sont adaptées en fonction du secteur dactivité. La liste est un exemple destiné uniquement à montrer comment elle fonctionne pour une catégorie donnée de défaillances. Elle ne contient que les questions qui ont été jugées suffisamment «générales» pour sappliquer à 80% au moins des entreprises interrogées. Dans la pratique, les employés doivent non seulement répondre aux questions, mais aussi justifier leurs réponses. Il ne suffit pas de répondre «Oui», par exemple, à la question «Au cours des quatre dernières semaines, avez-vous eu à appliquer une procédure dépassée?». Il faut préciser de quelle procédure il sagissait et dans quelles conditions elle devait être appliquée. Cette obligation répond à deux objectifs: obtenir des réponses plus fiables et apporter au management des informations quil puisse exploiter. Il faut faire attention lorsquon exprime un score en centiles. Dans la réalité, chaque entreprise sera comparée à un échantillon représentatif dentreprises ayant un profil semblable et appartenant au même secteur dactivité économique, et cela pour chacun des 11 types de défaillances générales. La distribution par centiles a été calculée à partir de mai 1995 et varie quelque peu dans le temps. Comment mesurer le «niveau de contrôle»Répondez aux 20 questions posées tenant compte de la situation dans votre propre entreprise et des délais quelles mentionnent. Certaines questions ne sappliquent peut-être pas à votre situation: dans ce cas, indiquez «n.p.». Si vous ne pouvez répondre à une question, indiquez-le par un point dinterrogation (?). Lorsque vous aurez répondu à toutes les questions, comparez vos réponses aux réponses de référence. Chaque réponse «correcte» vaut 1 point. Totalisez vos points. Calculez le pourcentage de réponses correctes en divisant le nombre total de points par le nombre des questions auxquelles vous avez répondu «Oui» ou «Non»; les réponses «n.p.» et «?» ne sont pas prises en compte. Le résultat est un pourcentage compris entre 0 et 100. La fiabilité du résultat peut être améliorée en augmentant le nombre des personnes interrogées et en faisant la moyenne de leurs notes. Vingt questions sur la catégorie de défaillances générales «Communication»Réponses possibles: O = Oui; N = Non; n.p. = non pertinent; ? = ne sait pas.
Réponses de référence:1=N; 2=N; 3=N; 4=O; 5=N; 6=N; 7=N; 8=N; 9=N; 10=N; 11=N; 12=N; 13=O; 14=N; 15=N; 16=O; 17=N; 18=N; 19=O; 20=N. Scores pour la catégorie «Communication»Score en pour cent = (a/b) x 100 où a = nombre de réponses correctes et b = nombre de réponses par «O» ou «N».
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Les indicateurs sont choisis au hasard dans une base de données comportant plusieurs centaines de questions. Chaque grille de recueil de données comprend des questions distinctes, celles-ci étant rédigées de manière à couvrir tous les TDG. Une panne de machine, par exemple, peut être due à une pièce manquante ou à un organe défectueux; ces deux facteurs doivent figurer dans la grille. La distribution des réponses à lensemble des questions est connue et les grilles ont le même niveau de difficulté.
On peut dès lors comparer les scores obtenus avec différentes grilles, de même que ceux réalisés par différentes entreprises ou différents services pendant une période déterminée. Des tests de validation détaillés ont été effectués pour faire en sorte que toutes les questions de la base de données soient valables et indicatives du TDG à mesurer. Des scores élevés indiquent un très bon niveau de contrôle. Un score de 70 signifie que lentreprise fait partie du tiers supérieur (100 moins 70) des entreprises comparables de sa catégorie. Si un score de 100 ne veut pas dire nécessairement que lentreprise maîtrise parfaitement un TDG donné, il indique néanmoins quelle est la meilleure en ce qui concerne ce TDG.
La figure 57.5 illustre deux profils de système de sécurité. Les points faibles de lentreprise 1, on le voit par les colonnes du diagramme, sont les procédures, lincompatibilité des objectifs, un milieu de travail propice aux erreurs et le mode dorganisation; le score dans ces catégories est inférieur à la moyenne de lindustrie considérée, comme le montre le grisé. Par contre, les scores concernant le maintien de lordre et de la propreté, le matériel, la communication et les moyens de défense sont excellents. A première vue, cette entreprise est dotée de tous les systèmes de sécurité et paraît sûre. Les scores de lentreprise 2 (en grisé) correspondent exactement à ceux de la moyenne de lindustrie. Cette entreprise ne présente pas de défaut majeur et, bien que ses scores relatifs au matériel, au maintien de lordre et de la propreté, à la communication et aux moyens de défense soient plus faibles, elle gère mieux que lentreprise 1, dans lensemble, la composante facteur humain. Si lon se réfère au modèle de causalité des accidents, lentreprise 2 est donc plus sûre que lentreprise 1, bien que cela puisse ne pas être nécessairement la conclusion à laquelle on aboutirait en comparant les deux organisations dans des audits de type conventionnel.
Si une entreprise était appelée à décider comment répartir ses ressources, les éléments ayant obtenu un score inférieur à la moyenne devraient avoir la priorité. Toutefois, le fait que les autres éléments ont un score supérieur à la moyenne ne veut pas dire que lon peut réduire les ressources affectées à leur maintien, car ce sont probablement ces ressources qui ont contribué aux bons résultats obtenus dans les domaines considérés.
Un tour dhorizon des travaux consacrés au facteur humain dans les accidents a permis de dégager six moyens permettant dinfluer sur le comportement humain. Un seul dentre eux, la modification du milieu de travail pour réduire le nombre de situations dans lesquelles les travailleurs sont susceptibles de commettre une erreur, a des effets relativement positifs dans une entreprise bien organisée où beaucoup dautres expériences ont déjà été tentées. Les dirigeants devraient avoir le courage de reconnaître que des situations de ce genre existent et de mobiliser les ressources né-cessaires pour opérer les changements requis. Les cinq autres moyens ne sont pas des alternatives valables, car ils nont que peu ou pas deffets et leur application est onéreuse.
«Maîtriser ce qui peut lêtre» est la règle dor de lapproche étudiée dans le présent article. Les différents TDG doivent être identifiés, traités et éliminés. Les 11 TDG passés en revue représentent les 11 catégories de défaillances qui peuvent intervenir dans le processus de causalité des accidents; sur ce nombre, 10 visent à prévenir des perturbations de type opérationnel, et un (les moyens de défense) à empêcher quune ou que plusieurs perturbations ne se transforment en accidents. Lélimination de limpact des TDG a une incidence directe sur la réduction des causes possibles daccidents. Les questions des grilles de recueil de données sont destinées à évaluer «létat de santé» dun TDG donné, tant dun point de vue général que sous langle de la sécurité. Celle-ci est une partie intégrante de lactivité productive; en dautres termes, le travail doit être fait en respectant les règles. Cette conception rejoint les nouvelles approches du management axées sur la qualité. Lexistence de stratégies, de procédures et doutils de management nest pas la préoccupation première de la gestion de la sécurité: la question est bien plutôt de savoir si ces méthodes sont effectivement comprises, utilisées et respectées.
La démarche décrite dans le présent article met laccent sur des facteurs systémiques et sur limpact que les décisions des dirigeants ne manquent pas davoir sur la sécurité du travail. Elle va à lencontre de la croyance selon laquelle les efforts devraient être axés sur les auteurs dactes indésirés, sur leurs attitudes, leurs motivations et leur perception du risque.
Larticle traite des risques spécifiques liés au matériel, cest-à-dire aux installations, machines et outillages utilisés dans lindustrie: récipients sous pression, machines-outils, installations électriques et autres équipements intrinsèquement dangereux. Il nabordera pas les risques liés aux actes et au comportement des travailleurs: chutes de hauteur ou de plain-pied, blessures occasionnées par des outils ordinaires, etc.
Les matériels de qualité sont très fiables, et la plupart de leurs défaillances sont dues à des causes extérieures: incendie, corrosion, mauvaise utilisation, etc. Il nen reste pas moins quils peuvent être mis en cause dans certains accidents, car une pièce ou un composant défectueux est souvent le maillon le plus évident ou le plus visible dans la chaîne des événements. Bien que le mot matériel soit employé ici au sens large, les exemples ci-après de défaillances de matériel ont été tirés dactivités industrielles. Les enquêtes consécutives à un accident matériel portent souvent sur des équipements du type:
Les risques liés au matériel peuvent provenir derreurs de construction, dun usage erroné, de surcharges répétées, etc.; selon les conclusions de lanalyse, les mesures de prévention peuvent sorienter dans différentes directions. Il arrive cependant que des formes dénergie physique ou chimique échappent au contrôle humain et soient à lorigine daccidents majeurs. Il importe dès lors de ne pas négliger ce type de risques et, pour ce faire, de répertorier dans toute installation les sources dénergie existantes ou potentielles par exemple la présence de chlore ou dammoniac dans un récipient sous pression. Dautres méthodes prennent comme point de départ la finalité ou la fonction du matériel pour étudier les effets probables dun dysfonctionnement ou dune panne.
Parallèlement aux concepts «dénergie contrôlée» et de «fonction prévue», le cas des substances dangereuses doit être étudié de manière approfondie. On peut en effet avoir affaire à des matières qui, en certaines circonstances, donnent lieu à des réactions non contrôlées et à des émissions extrêmement toxiques. Cest le cas de la dioxine, par exemple, qui peut prendre naissance dans certains processus chimiques ou résulter dune oxydation rapide provoquée par le feu.
Les risques liés aux matériels ne sont pas seulement mécaniques ou électriques: ils comprennent également des facteurs de surcharge ou de stress qui peuvent être nocifs à long terme. Citons par exemple:
Ces risques peuvent être identifiés, et des mesures prises pour les contrôler, car les conditions dangereuses existent déjà. Elles ne dépendent ni dune modification structurelle du matériel susceptible davoir des conséquences graves, ni dun événement imprévu capable de provoquer des dommages matériels ou corporels. Les risques à long terme ont également des sources spécifiques dans lenvironnement industriel, mais ils doivent être identifiés et évalués en observant les opérateurs et leur travail et pas seulement en analysant les spécifications et le fonctionnement des matériels quils utilisent.
Les risques liés à des machines ou des matériels dangereux sont en général exceptionnels dans un environnement de travail bien conçu, mais ils ne peuvent être complètement exclus. Plusieurs formes dénergies non contrôlées peuvent prendre naissance à la suite dun dysfonctionnement du matériel:
Objets en mouvement . Les chutes et projections dobjets, les pertes de fluide et les projections de liquide ou de vapeur sont souvent les premiers signes tangibles du dysfonctionnement dun matériel ou dune machine; ils sont à lorigine dun grand nombre daccidents.
Substances chimiques . Les risques chimiques sont souvent à lorigine daccidents du travail, mais ils peuvent aussi toucher lenvironnement et le grand public. Les catastrophes de Seveso et de Bhopal ont donné lieu à des émanations chimiques qui ont affecté de très nombreux habitants. Il nest pas rare quun incendie ou une explosion survenus dans une usine libère des substances toxiques dans latmosphère. Les accidents de la circulation dans lesquels sont impliqués des camions-citernes transportant de lessence ou des produits chimiques dangereux associent deux éléments de risque: des objets mobiles et des substances chimiques.
Energie électromagnétique. Les champs électriques et magnétiques, les rayonnements X et gamma sont des manifestations électromagnétiques mais sont souvent étudiés séparément, car on les rencontre dans des circonstances très différentes. Les risques quils présentent ont ceci de commun que les champs et les rayonnements pénètrent dans lorganisme et nagissent pas seulement au point de contact avec le corps; par ailleurs, ils ne peuvent être détectés directement par les sens, bien que de très fortes intensités provoquent un échauffement local. Les champs électriques dépendent de la tension mise en uvre; des tensions ordinaires (200 ou 300 volts) peuvent provoquer avec le temps une accumulation de poussières qui matérialise la présence dun champ; on peut le constater avec les lignes haute tension, les tubes cathodiques de téléviseur, les écrans dordinateur, etc.
Les champs magnétiques sont créés par le courant électrique; ils peuvent être intenses à proximité des gros moteurs électriques, des postes de soudage à larc, des appareils délectrolyse, etc. Ces champs sont le plus souvent proches de leur source, mais le rayonnement électromagnétique couvre de longues distances, comme le prouvent les ondes radar et radio. Ce rayonnement subit une diffusion, une réflexion et une atténuation lors de son passage dans lespace et lorsquil rencontre des objets, dautres atmosphères, etc.; il perd donc de son intensité de plusieurs façons.
Le risque électromagnétique a les particularités ci-après:
Rayonnements nucléaires . Les risques associés aux rayonnements nucléaires concernent plus particulièrement le personnel des centrales nucléaires et les travailleurs des installations où sont manipulées des matières nucléaires, telles que les installations de fabrication et de retraitement du combustible, ainsi que les activités de transport et de stockage de matières radioactives. On trouve également des sources de rayonnements nucléaires en médecine (radio-isotopes) et dans certaines industries, dans les instruments de mesure et de contrôle. Les détecteurs dincendie et de fumée qui utilisent un émetteur de particules alpha comme laméricium (Am) pour surveiller latmosphère ambiante sont également des sources de rayonnements ionisants.
Les risques nucléaires sont essentiellement liés à cinq facteurs:
Les risques proviennent des processus radioactifs dans la fission nucléaire et de la désintégration des matières radioactives. Les rayonnements sont émis par les réacteurs, les combustibles nucléaires, les modérateurs, les produits de fission gazeux et par certains matériaux de construction qui ont été rendus radioactifs par les émissions des réacteurs en service.
Autres agents de risque . Parmi les autres agents de risques qui libèrent ou émettent de lénergie, on trouve:
Un passage soudain ou graduel de létat normal ou «sûr» à une situation dangereuse peut survenir dans les circonstances ci-après, auxquelles il est possible de faire face par différents moyens (expérience des opérateurs, formation, surveillance, vérification des équipements, etc.):
Une utilisation correcte du matériel ne saurait compenser des défauts de conception ou dinstallation; il importe par conséquent de passer en revue lensemble du processus, depuis sa conception et sa sélection jusquà sa mise en place, son utilisation, sa maintenance et ses vérifications, afin den évaluer létat réel.
Les gaz peuvent être stockés et transportés dans des récipients spéciaux (comme les bouteilles doxygène utilisées par les soudeurs). Ils sont souvent comprimés ou liquéfiés, ce qui permet daccroître la capacité de stockage, mais augmente les risques daccidents. La principale cause daccident dans le stockage sous pression est la fissuration soudaine du récipient, ce qui a pour effet:
La gravité de ce type daccident dépend dun certain nombre de facteurs:
Le contenu du réservoir pourra séchapper presque immédiatement (sil sagit dun trou béant) ou progressivement (si lon est en présence de petites fissures).
Lorsquon met au point des modèles pour étudier le comportement des fuites, il faut définir les critères ci-après:
Il est difficile de chiffrer avec précision limportance dune fuite lorsque du gaz liquéfié séchappe dun réservoir à jet continu puis sévapore. Evaluer la dispersion du nuage qui en résulte est également difficile: il faut tenir compte des mouvements et de la dispersion des émanations, voir si le gaz forme des nuages visibles ou non et sil sélève ou reste plaqué au niveau du sol.
Lhydrogène est un gaz plus léger que lair. Lammoniac (NH3, masse moléculaire 17,0) sélèvera dans une atmosphère ordinaire doxygène et dazote ayant même température et même pression. Le chlore (Cl2, masse moléculaire 70,9) et le butane (C4H10, masse moléculaire 58) font partie des produits chimiques qui, en phase gazeuse, sont plus denses que lair, même à la température ambiante. Lacétylène (C2H2, masse moléculaire 26,0) a une densité denviron 0,90 g/l proche de celle de lair (1,0 g/l), de sorte que, dans le cadre par exemple dune opération de soudage, une fuite de gaz naura ni tendance à sélever dans lair, ni à saccumuler au voisinage du sol; ce gaz, par ailleurs, se mélange facilement à lair.
Lammoniac qui séchappe dun récipient sous pression sous forme liquide commencera par sévaporer, cest-à-dire par se refroidir, avant de se disperser en plusieurs étapes:
Il arrive quun nuage de gaz léger ne se forme pas immédiatement à partir dune fuite de gaz liquide; il peut se former dabord un nuage de gouttelettes qui reste près du sol. Le mouvement du nuage et sa dilution progressive dans latmosphère environnante dépend à la fois des conditions climatiques et des conditions alentour enceinte confinée, espace ouvert, maisons, circulation, présence de travailleurs, etc.
La défaillance de lenveloppe dun récipient sous pression peut avoir des conséquences très diverses: incendie, explosion, asphyxie, intoxication ou suffocation, comme on a pu lobserver dans les accidents impliquant des installations de production et de distribution de gaz (propane, méthane, azote, hydrogène, etc.), des cuves dammoniac ou de chlore et des appareils de soudage oxyacétylénique. La cause de la fissure initiale de lenveloppe influe fortement sur son «comportement» ultérieur, lequel influe à son tour sur celui de la fuite; son identification est donc capitale pour la sécurité. Un récipient sous pression est conçu et construit pour être utilisé dans certaines conditions, supporter certaines contraintes et recevoir un ou plusieurs gaz connus. Ses capacités réelles dépendent de sa forme, des matériaux dont il est fait, de la qualité de ses soudures, de ses dispositifs de sécurité, de son utilisation et des conditions climatiques. Lévaluation de sa capacité à contenir un gaz dangereux doit donc tenir compte de ses caractéristiques structurelles, de son utilisation ainsi que des épreuves et des contrôles quil a subis. Ses points vulnérables sont en général les cordons de soudure, les points de connexion des accessoires (raccords, soupapes, vannes de sortie, fixations et instruments), et les extrémités plates des réservoirs cylindriques comme les wagons-citernes. Les cordons de soudure sont contrôlés visuellement, aux rayons X ou par des tests destructifs réalisés sur des échantillons, pour localiser les éventuels points faibles susceptibles de mettre en danger la solidité générale du réservoir ou de déclencher une défaillance soudaine.
La résistance du réservoir dépend aussi de son utilisation, de lusure normale, des chocs quil reçoit et de la corrosion à laquelle il peut être exposé. Dautres paramètres peuvent aussi jouer un rôle:
De ce fait, les matériaux de construction plaques dacier ou daluminium, béton pour les applications sans pression, etc. peuvent être endommagés ou subir des sollicitations anormales sans quil soit toujours possible de le vérifier sans leur imposer des contraintes excessives ou provoquer leur rupture.
Lexplosion en 1974 dun gros nuage de cyclohexane à Flixborough (Royaume-Uni), qui a fait 28 victimes et des dégâts matériels considérables, est un exemple daccident particulièrement instructif. Il a été déclenché par la défaillance dune tuyauterie provisoire dun réacteur chimique, cest-à-dire par lavarie dun élément matériel. Une enquête plus approfondie a toutefois révélé que la rupture de la tuyauterie avait été provoquée par une surcharge et que linstallation provisoire nétait pas adaptée à lusage prévu. Deux mois après sa mise en place, cette tuyauterie avait été exposée à une flexion anormale, due à une légère élévation de la pression de 10 bars (106 Pa) du cyclohexane à une température denviron 150 °C. Les deux soufflets reliant la tuyauterie au réacteur ont explosé, laissant échapper 30 à 50 tonnes de cyclohexane bientôt enflammé, sans doute par la chaleur dun four voisin (voir figure 57.6). Kletz (1988) a fait un compte rendu détaillé de laccident.
Les méthodes utilisées pour identifier et évaluer les risques que peuvent présenter une installation, une machine, un processus chimique ou une opération particulière permettent deffectuer une «analyse des risques». Ces méthodes sont basées sur des questions telles que: «Quel problème peut surgir?», «Quelle peut être sa gravité?», «Quelles solutions appliquer?». On combine souvent plusieurs méthodes danalyse pour couvrir un nombre raisonnable de risques, mais cela ne peut quaider et guider les spécialistes. Les principales difficultés de lanalyse des risques sont:
Pour parvenir dans ces circonstances à une évaluation fiable, il importe de délimiter avec la plus grande rigueur le champ de lanalyse et le niveau de précision que lon se propose datteindre; il est évident quil nest pas nécessaire de réunir le même genre et la même quantité dinformations selon quil sagit de conclure une police dassurance ou de procéder à létude dune installation complexe, de dispositifs de sécurité ou de mesures durgence. En règle générale, les risques doivent être étudiés en associant des techniques empiriques (des statistiques, par exemple), un raisonnement déductif et de limagination.
Plusieurs outils dévaluation des risques, voire certains logiciels danalyse des risques, peuvent savérer très utiles. Les méthodes HAZOP (analyse des écarts dangereux et des actions correctives) et AMDEC (analyse des modes de défaillance des composants, de leurs effets sur le système et de leur criticité) sont très utilisées pour analyser les risques, notamment dans lindustrie chimique. La méthode HAZOP est fondée sur lanalyse des causes des écarts possibles à partir dun ensemble de paramètres (pression, température, débit, etc.); le but est didentifier ces causes et de mettre en évidence leurs conséquences probables pour chaque cas de figure. Dans un deuxième temps, on cherche les moyens de réduire la probabilité dapparition des scénarios étudiés et den atténuer les conséquences inacceptables. Charsley (1995) a décrit la méthode en détail. La méthode AMDEC, de son côté, consiste à étudier systématiquement chacun des composants du système considéré, à analyser chacun de ses modes de défaillance possibles et à identifier les conséquences quils peuvent avoir pour le système lui-même et son environnement. Lapplication de cette méthode sera illustrée plus loin par un exemple.
Les arbres des fautes (appelés aussi arbres de défaillance, arbres de pannes ou encore des événements indésirables) et les modes danalyse logique des structures de causalité des accidents, ainsi que le calcul des probabilités, ne sont pas des méthodes spécifiquement appliquées à lanalyse des risques matériels: ce sont des outils généraux qui servent à évaluer les risques des systèmes.
Pour identifier les risques possibles, on doit rassembler tout dabord des informations sur les ouvrages (systèmes) et leur fonctionnement en étudiant:
Grâce à ces informations, les analystes établissent le profil de lobjet du risque, de ses fonctions et de son utilisation réelle. Lorsque lobjet en question nest pas encore construit ou ne peut être contrôlé, aucune observation significative ne peut être réalisée et lévaluation repose alors entièrement sur des descriptions, des performances annoncées et des plans. Cela peut sembler insuffisant mais, dans la pratique, la plupart des évaluations de risques sont faites de cette manière, quil sagisse dobtenir lautorisation dentreprendre une nouvelle construction ou de comparer la sécurité relative dune ou de plusieurs variantes. Les processus déjà exploités seront étudiés pour réunir les informations qui ne figurent pas sur les diagrammes théoriques ou des renseignements qui peuvent être obtenus oralement, et pour vérifier que les données provenant de ces sources sont factuelles et correspondent bien à la réalité. On sinformera en particulier sur:
La plus grande partie de ces informations (celles plus spécialement qui visent les interactions) ne peuvent être réunies que par des observateurs entraînés, expérimentés et doués dimagination; certaines dentre elles sont presque impossibles à extraire des schémas et des diagrammes. Des interactions involontaires ou imprévues entre différents systèmes apparaissent lorsque le fonctionnement de lun dentre eux affecte létat ou le fonctionnement des autres par un autre biais que celui de leur fonction. Cest souvent le cas lorsque des éléments ayant des fonctions différentes sont situés à proximité les uns des autres (lorsquune fuite, par exemple, provoque lécoulement dune substance sur les éléments situés au-dessous et occasionne une panne). On rencontre aussi des interactions de cette nature lorsque des corps étrangers ou des pièces inadaptées sont introduits dans un système au moyen dinstruments ou doutils en cours de fonctionnement ou durant les travaux de maintenance, entraînant des modifications structurelles ou des dysfonctionnements. Par causes communes de défaillances , on entend les situations inondation, foudre, panne délectricité, etc. qui peuvent perturber simultanément plusieurs systèmes et, éventuellement, provoquer une panne générale ou un accident. En général, on essaie déviter les conséquences des interactions considérées et des causes communes de défaillances en prévoyant des mesures spéciales ou en isolant convenablement les différentes opérations.
La figure 57.7 représente un terminal de transvasement de gaz entre un navire et un réservoir. Des fuites pourraient se produire nimporte où: navire, tuyauterie de transvasement, réservoir, canalisations dentrée et de sortie; linstallation comportant en fait deux réservoirs, une fuite pourrait durer des heures.
Les éléments les plus vulnérables du dispositif de linstallation sont:
Tout réservoir contenant une grande quantité de gaz liquide est placé en tête de cette liste, car une fuite à ce niveau serait difficilement colmatable. Le deuxième poste de la liste la connexion avec le navire est critique, car une fuite survenant dans la tuyauterie ou au droit des joints de raccordement peut provoquer des écoulements dangereux, surtout si leurs garnitures sont usées. Quant aux pièces souples comme les tuyaux flexibles et les soufflets, elles sont plus délicates que les pièces rigides et doivent être entretenues régulièrement et contrôlées avec soin. Les dispositifs de sécurité sont importants eux aussi, car ils peuvent révéler des défaillances latentes ou à venir.
Jusquici, la classification des composants du système par ordre dimportance en termes de fiabilité est restée générale. Pour approfondir lanalyse, on sintéressera maintenant aux différentes fonctions du système, dont la première est le transvasement du gaz liquide du navire au réservoir. Le risque majeur est constitué ici par les fuites; les mécanismes qui risquent de les déclencher sont notamment:
Le principe de base de cette méthode est didentifier de manière précise les modes de défaillance de chaque composant du système et de déterminer les conséquences de chaque défaillance pour le système lui-même et pour lenvironnement. Pour des composants classiques comme un réservoir, un tuyau, une pompe, un manomètre, etc., les modes de défaillance répondent à des schémas généraux. Dans le cas dune vanne, par exemple, ils peuvent être les suivants:
Les conséquences des fuites semblent évidentes, mais les plus importantes ne sont pas toujours les plus apparentes: que se passe-t-il, par exemple, si une vanne se bloque en position semi-ouverte? Une vanne de régulation qui ne souvre pas complètement lorsquelle est actionnée retardera le remplissage du réservoir, ce qui est sans danger. En revanche, si la vanne reste dans cette position lorsque le mécanisme de fermeture est actionné alors que le réservoir est plein, celui-ci pourra déborder (à moins que la vanne de sécurité ait fonctionné). Dans un système bien conçu et fonctionnant correctement, la probabilité que ces deux vannes soient bloquées simultanément est faible.
Une soupape de sécurité qui ne fonctionne pas au moment voulu peut provoquer une catastrophe; on peut même dire que les défaillances latentes sont une menace constante pour tous les systèmes de sécurité. Une soupape de ce type peut être endommagée par la corrosion, des impuretés ou de la peinture (généralement à cause dun défaut dentretien); dans le cas dun gaz liquide, ces défauts (associés à la chute de température provoquée par la fuite) peuvent entraîner la formation de glace et freiner ou interrompre lécoulement par une soupape de sécurité. La pression montera dans le réservoir et les installations connexes et pourra provoquer dautres fuites ou lexplosion du réservoir.
Pour des raisons de simplicité, les instruments de contrôle nont pas été indiqués sur la figure 57.7; linstallation comporte bien entendu des instruments de mesure de la pression, du débit et de la température; ces paramètres sont indispensables pour connaître et surveiller létat de linstallation. Celle-ci possède également dautres sources dalimentation en énergie que celles utilisées pour le transvasement: électricité, circuits hydrauliques, dispositifs de sécurité additionnels. Une analyse complète doit évidemment englober ces éléments et en rechercher les modes de défaillances et leurs conséquences. En ce qui concerne notamment les causes communes de défaillances et les interactions involontaires ou imprévues, lanalyse doit porter sur tous les composants du système principal, les dispositifs de commande et de contrôle, les instruments, lalimentation en énergie, les opérateurs, les programmes de travail, la maintenance, etc.
Les conséquences des causes communes de défaillances des systèmes de transport de gaz peuvent être identifiées à laide des questions suivantes:
Même sil a été bien conçu, sil est équipé de lignes dalimentation indépendantes, un système peut pâtir dun défaut de maintenance; cest le cas, par exemple, lorsquune vanne et son système de sécurité (la soupape de sécurité) nont pas été ramenés à leur position normale après un contrôle. Dans un système de transvasement dammoniac, une fuite mineure peut entraver les interventions manuelles sur les composants de linstallation en raison de la mise en place dun système de protection durgence.
Le matériel est rarement responsable du déclenchement dun accident. Les causes profondes doivent être recherchées dans dautres maillons de la chaîne causale: erreurs de conception, défauts de maintenance, erreurs humaines, erreurs de management, etc. Nous avons déjà donné plusieurs exemples de conditions et dactions qui peuvent être à lorigine de défaillances; on peut, en récapitulant, mentionner notamment:
La maîtrise des risques liés aux matériels appelle lidentification de toutes les causes possibles et de toutes les conditions susceptibles dentraîner une situation critique. Les implications de cette obligation pour lorganisation des programmes de gestion des risques seront abordées dans dautres articles.
Lindustrialisation a entraîné une réorganisation profonde du travail en usine à partir du moment où lon a pu disposer de sources dénergie mécanique (vapeur, etc.). Par rapport au travail artisanal traditionnel, la production mécanisée à laide de sources dénergie plus puissantes a fait apparaître de nouveaux risques daccidents. Les travailleurs ont peu à peu cessé dexercer un contrôle direct sur ces sources dénergie, les décisions en matière de sécurité étant prises le plus souvent par la direction et non par les personnes directement exposées au risque. Cest à ce stade de lindustrialisation quest apparue la nécessité de gérer la sécurité.
A la fin des années vingt, Heinrich a proposé le premier cadre théorique de la gestion de la sécurité fondé sur le principe que les efforts de prévention devaient être guidés par des décisions fondées sur lidentification et lanalyse des causes daccidents. A cette époque, les accidents étaient attribués à des défaillances dans le système opérateur-machine; en dautres termes, à des conditions et à des actes dangereux ou indésirés.
Par la suite, diverses méthodes ont été élaborées pour identifier et évaluer les risques daccidents. La méthode MORT (Management Oversight and Risk Tree), mise au point à la fin des années soixante par lAdministration américaine de recherche et de développement pour lénergie (US Energy Research and Development Administration) met laccent sur la maîtrise des risques daccidents au niveau supérieur, cest-à-dire au niveau de la direction.
La méthode MORT se proposait de formuler un système idéal de gestion de la sécurité en faisant la synthèse des meilleurs éléments des programmes existants et des meilleures techniques de gestion dans ce domaine. Les principes sous-jacents de la méthode ont été appliqués aux connaissances dont on disposait alors, ce qui explique que les travaux disparates et les compétences éparses existant à lépoque faisaient allusion à un modèle ramifié, larbre danalyse. La première version de cet arbre a été publiée en 1971. La figure 57.8 représente les principaux éléments de la version quen a présentée Johnson en 1980. Des modèles arborescents similaires apparaissent également dans des publications ultérieures sous une forme modifiée du concept MORT (voir, par exemple, Knox et Eicher, 1992).
Le diagramme MORT est un outil danalyse utilisé dans les enquêtes menées après un accident et dans lévaluation des programmes de prévention. Au sommet de larbre représenté dans la figure 57.8 (Johnson, 1980), on trouve les diverses pertes (réelles ou possibles) occasionnées par un accident. Au niveau suivant, trois branches principales font mention des négligences et omissions spécifiques (S), des négligences et omissions dans la gestion (M) et des risques assumés (R). La branche R regroupe les risques assumés, cest-à-dire les situations et les événements connus de la direction qui ont été évalués et acceptés au niveau hiérarchique compétent. Les autres situations et événements révélés par lanalyse et appartenant aux branches S et M sont considérés comme «non adéquats» (NA).
La branche S concerne les événements et les situations de laccident réel ou potentiel (en général, les temps se lisent horizontalement, de gauche à droite, et les causes, verticalement, de bas en haut). Les stratégies de Haddon (1980) jouent ici un rôle clé. Un événement est qualifié daccident lorsquune cible (une personne ou un objet) est exposée à un transfert dénergie non maîtrisé et subit des dommages (corporels ou matériels). Dans la branche S du diagramme MORT, la prévention est assurée par des barrières; il en existe trois grandes catégories: 1) celles qui entourent et isolent la source dénergie (le risque); 2) celles qui protègent la cible; et 3) celles qui séparent le risque de la cible, physiquement, dans le temps ou dans lespace. Ces différents types de barrières se retrouvent dans les branches inférieures de larbre. La case «Amélioration» désigne les mesures prises après laccident pour limiter les pertes. Le niveau inférieur de la branche S a trait aux facteurs qui ont un rapport avec les différentes phases du cycle de vie dun système industriel. Ce sont les phases de conception (information, études et plans), de mise en service (entrée en activité) et dexploitation (maintenance, surveillance et haute surveillance).
La branche M sous-tend un processus de généralisation des conclusions spécifiques de lenquête ou de lévaluation du programme de prévention. Les situations et les événements de la branche S ont souvent leur contrepartie dans la branche M. Lorsquils abordent la branche M, les analystes étendent leur raisonnement à lensemble du système de management. Ainsi, leurs recommandations pourront sappliquer également à dautres scénarios daccidents. Cest dans la branche M que lon trouve les fonctions les plus importantes de la gestion de la sécurité: la définition de la stratégie, sa mise en uvre et son suivi. Ces mêmes éléments de base se retrouvent dans les principes dassurance qualité des normes de la série ISO 9000 (ISO, 1993-1997) publiées par lOrganisation internationale de normalisation (ISO).
Lorsque les branches du diagramme MORT ont une ramification plus poussée, on y trouve des éléments relevant de domaines très différents comme lanalyse des risques, lanalyse des facteurs humains, lanalyse organisationnelle et les systèmes dinformation sur la sécurité. Dans sa totalité, le diagramme MORT couvre environ 1 500 facteurs élémentaires.
Rappelons que le diagramme MORT a deux applications immédiates (Knox et Eicher, 1992): 1) analyser le rôle du management et les facteurs organisationnels après un accident; et 2) évaluer un programme de sécurité ou procéder à son audit en vue de prévenir un accident. Cest un outil de dépistage dans la planification des analyses et des évaluations. Il sert également de grille de recueil de données pour comparer un système existant à un système idéal. Dans ce cas, le diagramme MORT permet de sassurer que lanalyse est complète et décarter les a priori et les préjugés personnels.
La méthode MORT repose essentiellement sur un ensemble de questions. Les critères qui permettent de déterminer si tel ou tel événement ou situation sont satisfaisants ou non sont dérivés de ces questions. Malgré le caractère directif des questions, le jugement des analystes est en partie subjectif. Il importe donc de veiller à ce quil y ait un niveau de qualité et de subjectivité commun et adéquat entre les analyses MORT faites par des personnes différentes. Aux Etats-Unis, il existe un programme de certification pour les analystes MORT.
Il existe peu de publications sur lévaluation de la méthode MORT. Johnson fait état daméliorations importantes constatées dans la qualité des enquêtes après accidents suite à lapparition de cette méthode (Johnson, 1980). Les carences qui se situent au niveau des cadres et de la direction sont mises en évidence de façon plus systématique. Des évaluations sur les applications de la méthode dans lindustrie finlandaise (Ruuhilehto, 1993) ont également apporté de nombreux enseignements et permis didentifier certaines limites. Ainsi, la méthode MORT ne permet pas de reconnaître les risques immédiats entraînés par les défaillances et les perturbations; de plus, elle ne permet pas dordonner les priorités. Les résultats des analyses MORT requièrent par conséquent une analyse supplémentaire pour pouvoir être traduits en actions correctives. Enfin, lexpérience montre que cest un exercice qui prend beaucoup de temps et qui est réservé à des spécialistes.
En dehors du fait quelle met laccent sur le management et les facteurs organisationnels, la méthode MORT a lavantage dassocier la sécurité aux activités ordinaires de production et de gestion. En facilitant la planification et le contrôle densemble, elle contribue à réduire la fréquence des perturbations dans le processus de production.
Un programme de développement a été lancé aux Etats-Unis dès lintroduction du concept MORT au début des années soixante-dix. Le Centre de recherche sur la sécurité des systèmes (System Safety Development Center), à Idaho Falls, a été lélément moteur de ce programme, qui a donné naissance à différentes méthodes et techniques inspirées de MORT dans des domaines comme lanalyse des facteurs humains, les systèmes dinformation sur la sécurité et lanalyse de la sécurité. Le programme de préparation opérationnelle (Nertney, 1975) en est un exemple. Ce programme est appliqué dans létude des nouveaux systèmes industriels et des modifications à apporter aux systèmes existants. Son but est de veiller à ce que, du point de vue de la gestion de la sécurité, tout système nouvellement créé ou modifié soit prêt à fonctionner sans aléas au moment de sa mise en service. Il faut pour cela que les barrières et mécanismes de contrôle nécessaires aient été intégrés au niveau des matériels, des opérateurs et des procédures. Un autre exemple de programme inspiré par MORT est lanalyse des causes profondes (Cornelison, 1989), qui sert à identifier les problèmes fondamentaux dune entreprise en matière de gestion de la sécurité. Pour ce faire, les conclusions des analyses MORT sont ramenées à 27 problèmes génériques de sécurité.
Bien que la méthode MORT ne soit pas destinée à servir directement la collecte dinformations à loccasion des enquêtes sur les accidents et des audits de sécurité, les questions qui en forment lossature ont été utilisées en Scandinavie pour créer un outil de diagnostic utilisé dans ce but précis: SMORT (Safety Management and Organization Review Technique); il sagit dune technique dexamen de la gestion et de lorganisation de la sécurité (Kjellén et Tinmannsvik, 1989). Une analyse SMORT suit un ordre inverse: elle part du cas despèce pour remonter jusquau niveau du management. Le point de départ (niveau 1) est un accident ou un risque potentiel. Lorganisation, la planification et les facteurs techniques relatifs aux activités quotidiennes sont examinés au niveau 2. Les autres niveaux concernent la conception des nouveaux systèmes (niveau 3) et les fonctions de management aux échelons supérieurs (niveau 4). Les données recueillies à chaque niveau sont étendues aux niveaux situés en amont. Ainsi, les observations relatives au déroulement de laccident et aux activités quotidiennes de lentreprise servent à analyser les méthodes appliquées au stade des projets (niveau 3). Les conclusions tirées à ce niveau 3 nauront pas dincidence sur la sécurité des systèmes existants, mais elles pourront orienter la planification des nouveaux systèmes et conduire à la modification de ceux qui sont en place. SMORT se distingue également de MORT par le mode de reconnaissance des données. Au niveau 1, celles-ci portent sur les événements et les situations qui révèlent des écarts. Lorsque les facteurs organisationnels et de gestion sont introduits dans lanalyse aux niveaux 2 à 4, les conclusions sont formulées sur la base des jugements de valeur portés par un groupe danalystes et vérifiés par une procédure de contrôle qualité. Le but est de faire en sorte que tous les acteurs aient la même vision des problèmes organisationnels.
La méthode MORT a joué un rôle clé dans lévolution de la gestion de la sécurité depuis les années soixante-dix. On retrouve son influence dans les études sur la sécurité, les ouvrages consacrés à la gestion de la sécurité, les outils daudit et la législation sur lautoréglementation et le contrôle interne. En dépit de limpact quelle a pu avoir, ses limites ne sauraient être ignorées. MORT et les méthodes qui sen inspirent sont normatives dans le sens où elles indiquent comment les programmes de gestion de la sécurité devraient être organisés et mis en uvre. Lidéal consiste évidemment en une organisation bien structurée, avec des objectifs précis et réalistes et des lignes de responsabilité et dautorité bien définies. De ce fait, MORT convient surtout aux entreprises de grande taille.
Laudit a été défini comme un «processus structuré de collecte dinformations indépendantes sur la performance, lefficacité et la fiabilité dun système global de gestion de la sécurité et de planification des actions correctives» (Health and Safety Executive, 1991).
Linspection des lieux de travail nest donc pas seulement la dernière étape dun programme de gestion de la sécurité, mais également un moyen de veiller constamment à sa bonne marche. Elle ne peut sexercer en labsence dun système structuré de gestion de la sécurité. Un tel système doit reposer sur un énoncé officiel de la politique et des orientations définies par la direction en vue de créer un milieu de travail offrant des conditions de sécurité et de santé satisfaisantes et de mettre sur pied au sein de lentreprise les structures et les mécanismes qui permettront dappliquer cette politique de manière efficace. La direction doit par ailleurs être prête à fournir les ressources, tant humaines que financières, indispensables au bon fonctionnement de ces structures et de ces mécanismes. Il faudra encore dresser des plans détaillés en matière de sécurité et de santé et définir des objectifs qui soient mesurables. Il faudra en effet pouvoir évaluer les résultats par rapport à des normes établies et aux résultats antérieurs. Ce nest que lorsque ces moyens seront en place et opérationnels, et après cela seulement, quun système daudit pourra être mis sur pied.
Dans le cas dentreprises dune certaine importance, des programmes satisfaisants de gestion de la sécurité pourront être conçus, précisés et mis en uvre avec les moyens internes. Des programmes de cette nature pourront aussi être proposés par des sociétés de conseil, des compagnies dassurances, des organismes publics, des associations et des firmes spécialisées. Il appartiendra à chaque entreprise de décider si elle veut définir son propre programme ou faire appel à des concours extérieurs. Les deux options pourront donner dexcellents résultats si les dirigeants sengagent réellement à appliquer avec diligence celle quils auront choisie. Le succès dépendra largement de la qualité du système daudit.
Le contrôle de la gestion du programme de sécurité doit être aussi minutieux et objectif que celui exercé dans le domaine financier. Il faut déterminer en premier lieu si la politique et les orientations définies en matière de sécurité et de santé se reflètent bien dans les structures et les mécanismes créés pour leur mise en uvre; dans le cas contraire, les principes et les objectifs énoncés doivent être revus, et des ajustements apportés le cas échéant aux structures et aux mécanismes existants. Une approche similaire doit être suivie en ce qui concerne les plans établis, la validité des critères de définition des objectifs et la mesure de la performance. Les résultats des contrôles seront transmis à la direction de lentreprise, qui devra les étudier et prendre ou approuver toutes les mesures correctives qui simposent et veiller à ce quelles soient appliquées.
Il est souvent impossible en pratique et parfois même peu souhaitable de procéder simultanément à un examen exhaustif de tous les éléments dun programme de sécurité et den vérifier lapplication. Le plus souvent, les contrôles porteront soit sur un certain aspect du programme au niveau de lentreprise, soit sur lapplication de lensemble du programme dans un seul service, lobjectif général étant cependant de contrôler tous les éléments du programme dans lensemble des services au cours dune période raisonnable, afin de valider les résultats obtenus.
Envisagé sous cet angle, le contrôle devrait être considéré comme un processus continu. Il est essentiel quil soit toujours objectif. Sil est assuré par lentreprise elle-même, il faut prévoir une procédure standard. Lopération devrait être confiée à des personnes ayant reçu une formation spécifique; on ne leur demandera pas de contrôler leur propre service ou tout autre service avec lesquels elles pourraient avoir des liens personnels. Cette dernière condition disparaît généralement lorsque le contrôle est confié à des consultants extérieurs.
Nombre de grandes entreprises ont adopté un programme de ce type, quelles ont mis au point elles-mêmes ou emprunté à lextérieur. Lapplication judicieuse et rigoureuse de ses divers éléments devrait se traduire par une réduction importante du nombre daccidents ce qui est lobjectif premier de lexercice et par une amélioration de la rentabilité qui en est un effet secondaire.
Le cadre juridique destiné à assurer la protection des travailleurs sur les lieux de travail doit évidemment être géré et appliqué efficacement pour que la législation atteigne son but. La plupart des pays ont instauré à cette fin des services dinspection chargés de veiller au respect de la législation de sécurité et de santé au travail. Dans plusieurs pays, ces questions relèvent des conventions collectives régissant les relations professionnelles, les salaires, les congés ou les prestations sociales. Dans de nombreux cas, le contrôle des conditions de sécurité fait partie des tâches confiées aux inspecteurs des services officiels, mais il peut aussi être assuré par des inspecteurs spécialisés. Dautres différences apparaissent dans la répartition des tâches entre les services centraux et les services régionaux. En Italie et au Royaume-Uni, les tâches relèvent des deux. Quel que soit le modèle adopté, la principale fonction dun service officiel dinspection est de veiller au respect de la législation par une série denquêtes et de contrôles menés sur les lieux de travail.
Aucun service dinspection ne saurait être efficace si ses agents ne disposent pas des pouvoirs nécessaires pour mener leur mission à bien. On constate beaucoup de points communs entre ces services quant aux pouvoirs qui leur sont conférés par le législateur. Ils ont le droit de pénétrer sans préavis dans les entreprises, ce qui est évidemment essentiel pour tout contrôle digne de ce nom. Ils ont également le droit dexaminer les documents, registres et rapports pertinents, dinterroger les travailleurs individuellement ou collectivement, de sentretenir librement avec les responsables syndicaux, de prélever des échantillons de matières et de produits, de prendre des photographies et, le cas échéant, de recueillir sur place des déclarations écrites émanant du personnel.
Les inspecteurs sont souvent dotés de pouvoirs additionnels leur permettant de remédier à des situations susceptibles de constituer un danger imminent et grave pour la vie ou la santé des travailleurs. Là encore, les méthodes utilisées sont très diverses. Lorsque la situation est si dégradée quelle présente un danger imminent, linspecteur peut ordonner larrêt immédiat de la machine, de linstallation ou de lopération incriminée jusquà ce que le risque ait été éliminé. Lorsque la situation est moins critique, il peut avoir recours à une notification formelle demandant lapplication de mesures correctives dans un délai fixé. Il existe, pour améliorer les conditions de travail, des moyens plus efficaces et plus rapides que le recours à une procédure juridique, souvent complexe et lente à déployer ses effets.
Les procédures de ce type occupent une place importante dans la hiérarchie des mesures coercitives. Daucuns considèrent que ces procédures, strictement punitives, nentraînent pas nécessairement un changement dattitude positif à légard de la sécurité et devraient dès lors nêtre envisagées quen dernier ressort, après léchec des autres actions possibles. Dautres affirment en revanche que lon doit tenir compte du fait que, lorsque des obligations légales ont été ignorées ou négligées et que la sécurité ou la santé des personnes ont été mises en danger, la loi doit être appliquée et les tribunaux doivent intervenir. Pour certains, enfin, les entreprises qui nappliquent pas les prescriptions en vigueur sont avantagées par rapport à ceux de leurs concurrents qui se donnent les moyens de le faire. Sanctionner les entreprises qui enfreignent la loi devrait donc dissuader celles qui ne sont pas scrupuleuses et encourager celles qui respectent la loi.
Il convient de réaliser un juste équilibre entre le rôle consultatif et le rôle répressif de tout service officiel dinspection. Les petites entreprises posent un problème particulier. Les économies locales, parfois même nationales, vivent souvent de lactivité dentreprises employant moins de 20 personnes; dans lagriculture, leffectif moyen est bien inférieur. Dans ces conditions, il appartient aux services dinspection de profiter de leur présence sur place pour dispenser des informations et des conseils non seulement sur la teneur et la portée des obligations légales, mais aussi sur les méthodes et les moyens den assurer lapplication. Il faut encourager et stimuler plutôt que sanctionner. Léquilibre, il faut le reconnaître, nest pas facile à trouver. Les salariés ont le droit de travailler dans de bonnes conditions de sécurité et de santé, quelle que soit la taille de leur entreprise; il serait peu judicieux pour un service dinspection dignorer ou de minimiser les risques et de renoncer à exiger lapplication de la loi simplement pour protéger lexistence dune petite entreprise financièrement fragile.
Le métier dinspecteur est complexe: il exige de bonnes connaissances juridiques, techniques et scientifiques et une parfaite ob-jectivité. Il nest pas possible de remplir convenablement cette mission en adoptant une approche mécaniste. La nécessité de trouver un équilibre délicat entre les fonctions consultative et répressive pose le problème de la cohérence de laction des services dinspection. Les employeurs, les syndicats et les travailleurs ont le droit dattendre que les prescriptions légales et les spécifications techniques soient appliquées de façon cohérente par les inspecteurs du travail, ce qui nest pas toujours facile dans la pratique.
Plusieurs conditions doivent être remplies pour assurer la cohérence des contrôles. Les inspecteurs doivent formuler aussi clairement que possible leurs critères techniques et les règles dapplication de la loi. Grâce à leur formation, et en se référant aux instructions internes de leur service et à lexpérience de leurs collègues, ils devraient être en mesure de reconnaître un problème et dy apporter une solution. Enfin, la procédure devrait permettre aux entreprises et aux salariés de déposer un recours sils ont des griefs légitimes quant au bon déroulement dune inspection et à la cohérence de ses conclusions.
Quelle doit être la fréquence des inspections? Ici encore, les réponses varient sensiblement. LOrganisation internationale du Travail (OIT) considère que chaque lieu de travail devrait être contrôlé par lautorité compétente au moins une fois par an. Rares sont en pratique les pays qui peuvent se targuer datteindre cet objectif. En effet, depuis la crise économique de la fin des années quatre-vingt, certains gouvernements ont réduit le budget des services dinspection, ce qui a eu pour conséquence de diminuer leurs effectifs.
Il existe plusieurs façons détablir la fréquence des inspections. On peut adopter une démarche purement cyclique: les ressources disponibles seront déployées de manière à inspecter chaque entreprise tous les deux ans ou, plus vraisemblablement, tous les quatre ans. Cette méthode, en apparence équitable, a linconvénient de mettre sur le même pied toutes les entreprises, quels que soient leur taille et les risques quelles présentent. Il existe de toute évidence de grandes disparités entre les entreprises en termes de risques professionnels et lon peut donc considérer que cette approche mécaniste est imparfaite.
On peut aussi adopter une autre méthode consistant à établir un programme de contrôle basé sur la nature et la gravité des risques: les inspections seront dautant plus fréquentes que les risques sont plus importants. On concentrera donc les ressources sur les risques potentiels les plus élevés. Séduisante à première vue, cette approche pose quand même des problèmes considérables. Tout dabord, il est difficile dévaluer les risques de manière précise et objective. La méthode conduit à trop espacer les contrôles dans les entreprises où les risques, à tort ou à raison, sont jugés plutôt faibles; leurs salariés nauront plus le même sentiment de sécurité et de protection. Par ailleurs, cette méthode présume que les risques, une fois évalués, ne changent pas radicalement. Cest loin dêtre le cas. Une entreprise jugée sûre pourra modifier ses méthodes de travail ou intensifier ses activités, créant des risques nouveaux ou augmentant les risques existants, et cela sans que les services dinspection aient connaissance de cette évolution.
La périodicité des inspections peut également être fixée en fonction de taux daccidents supérieurs à la moyenne nationale dans lindustrie considérée. Enfin, des contrôles spéciaux sont effectués après des accidents mortels ou des catastrophes majeures. Il ny a donc pas de réponse toute prête dans ce domaine. En tout état de cause, les services dinspection semblent manquer en permanence de moyens dans de nombreux pays, de sorte que la protection quils assurent sérode peu à peu.
Les techniques de contrôle varient selon la taille et la complexité de lentreprise. Dans les PME, le contrôle pourra être exhaustif et déterminera lensemble des risques potentiels ainsi que les précautions correspondantes. Il permettra de voir si lemployeur est informé des problèmes de sécurité et de santé et sil bénéficie de conseils appropriés sur la façon dy remédier. Il importe toutefois que, même dans les entreprises les plus modestes, linspecteur ne donne pas limpression que la recherche des défaillances et lapplication de mesures appropriées relèvent de sa responsabilité et non de celle de lemployeur. Les entreprises doivent être incitées à reconnaître et à gérer efficacement les risques sans abdiquer leurs responsabilités et sans attendre dy être poussées par les services dinspection.
Dans les grandes entreprises, le but des contrôles est quelque peu différent. Elles ont les moyens techniques et financiers de faire face aux problèmes rencontrés, et il leur appartient de mettre sur pied des structures efficaces et des procédures aptes à en vérifier le bon fonctionnement. Dans ces conditions, les contrôles consisteront essentiellement à vérifier et à valider les systèmes de gestion existants; il ne sagit pas de sassurer en détail de la sécurité offerte par chaque machine et chaque installation, mais bien plutôt de tester lefficacité et la fiabilité des systèmes de gestion mis en place pour assurer les meilleures conditions possibles de sécurité et de santé.
Dans toute entreprise, lun des éléments essentiels du contrôle est le contact avec les travailleurs. Dans beaucoup de PME, il nexiste pas de syndicat officiel, ni même de syndicat tout court. Le contact avec les salariés nen demeure pas moins indispensable si lon veut que le contrôle soit objectif et bien accepté. Dans les grandes entreprises, les inspecteurs devraient toujours se mettre en rapport avec les représentants syndicaux ou les organisations locales de travailleurs. La législation de certains pays (Suède et Royaume-Uni, notamment) donne un statut officiel et des pouvoirs aux délégués des travailleurs à la sécurité et leur reconnaît le droit dinspecter les lieux de travail, denquêter sur les accidents et les situations dangereuses et, dans certains cas exceptionnels, darrêter une machine, une installation ou un processus de production sil présente un danger imminent. Des informations très utiles peuvent être obtenues auprès des salariés. Il importe de les contacter à loccasion de chaque inspection et, en tout cas, chaque fois quun accident grave est survenu ou quune plainte a été déposée.
La dernière étape dun contrôle est lexamen de ses conclusions avec le représentant de la direction qui se trouve sur place et qui occupe le rang le plus élevé. Cest à lui quil incombe de veiller au respect des prescriptions de sécurité et de santé. Aucune inspection ne saurait être complète sans que la direction sache dans quelle mesure elle a honoré cette obligation et ce quelle doit encore faire pour atteindre ou maintenir un niveau satisfaisant dans ce domaine. En cas dinjonction prononcée ou de procédure juridique engagée à la suite dune inspection, la direction doit naturellement en être informée dans les meilleurs délais.
Les contrôles internes jouent également un rôle important, quelle que soit la taille de lentreprise considérée. Dans les grandes entreprises, ils peuvent être intégrés à la procédure de contrôle de la gestion. Il est indispensable, même dans les entreprises plus petites, dadopter une forme de contrôles réguliers, sans se fier exclusivement aux visites des services officiels, qui sont bien trop peu fréquents et qui servent davantage à encourager ladoption de mesures appropriées quà en évaluer lefficacité. Des contrôles peuvent également être réalisés par des consultants ou des associations ou sociétés spécialisées, mais nous nous limiterons ici à ceux qui sont effectués par les entreprises elles-mêmes.
Quelle doit être la fréquence de ces contrôles? La réponse dépend, dans une certaine mesure, des risques inhérents à la nature et à la complexité des installations. Même lorsque ces risques sont faibles, il doit y avoir un contrôle régulier (mensuel, trimestriel, etc.), sous une forme ou une autre. Si lentreprise emploie un ingénieur ou un agent de sécurité, lorganisation et la conduite du contrôle doivent faire partie intégrante de ses fonctions. En règle générale, linspection sera confiée à une équipe composée du spécialiste de la sécurité, du responsable de lunité ou du contremaître, ainsi que dun représentant syndical ou dun travailleur qualifié, le délégué à la sécurité par exemple. Le contrôle devrait être exhaustif; tous les matériels devraient faire lobjet dun examen minutieux (systèmes, procédures, consignes, autorisations de travail, dispositifs de protection, équipement anti-incendie, ventilation des locaux, vêtements et accessoires de protection, etc.). Une attention particulière sera portée aux «quasi-accidents», cest-à-dire aux incidents dangereux qui nont pas provoqué de dommages corporels ou matériels, mais qui sont une source potentielle daccidents graves. On sattend, après un accident entraînant un arrêt de travail, à ce quune enquête soit immédiatement ouverte sur les circonstances de cet accident, et cela en dehors du cycle normal des contrôles. Léquipe dinspection devrait cependant noter, à loccasion des contrôles de routine, les dommages corporels mineurs enregistrés depuis la dernière inspection.
Il est important que ces contrôles napparaissent pas comme systématiquement négatifs; sil y a des fautes, il faut quelles soient identifiées et rectifiées. Il est tout aussi important de féliciter les travailleurs qui ont des ateliers propres et en bon ordre et qui sont respectueux des consignes de sécurité. Il faut les encourager à utiliser les équipements de protection individuelle mis à leur disposition. Au terme du contrôle, ses conclusions devraient être consignées par écrit, et les carences significatives notées. On relèvera en particulier les défauts déjà constatés lors des contrôles précédents et qui persistent. Sil existe un comité de sécurité ou une commission paritaire direction-personnel pour la sécurité, le rapport dinspection sera inclus dans lordre du jour de leurs réunions. Il sera transmis à la direction et débattu avec elle afin quelle détermine les mesures à prendre et, éventuellement, les autorise et les appuie.
Les contrôles sont importants même pour les petites entreprises qui nont ni agent de sécurité ni syndicat. Beaucoup de services officiels dinspection ont publié des directives exposant de manière simple les concepts de base de la sécurité et de la santé et fournissent des conseils sur leur application. Par ailleurs, de nombreux organismes ou associations de prévention diffusent (souvent gratuitement) des notices et des brochures dinformation spécialement destinées aux petites entreprises et qui indiquent comment instaurer de bonnes conditions de sécurité et de santé. Muni de ces informations et en y consacrant un peu de temps, tout chef dentreprise aussi petite soit-elle peut aisément élaborer des consignes satisfaisantes et contribuer ainsi à éviter les accidents et les atteintes à la santé qui peuvent se produire dans son établissement.
Il est paradoxal de constater que la prévention des accidents liés au travail ne soit pas apparue très tôt comme une impérieuse nécessité, alors que la sécurité est à lorigine même du travail, celui-ci sétant développé pour assurer la survie de la communauté. Il faudra en effet attendre le début du XXe siècle pour que laccident du travail perde son caractère fatal et que sa causalité devienne un objet danalyse et lune des bases de la prévention. Toutefois, cette pratique est restée longtemps très sommaire et très empirique. Historiquement, laccident a dabord été perçu comme un phénomène simple, cest-à-dire résultant dune cause unique (ou principale) puis dun petit nombre de causes. Lefficacité de lanalyse des accidents, dont lobjectif est de mettre en évidence les causes du phénomène pour éviter son renouvellement, dépend à la fois de la conception qui sous-tend cette analyse et de la complexité de la situation à laquelle elle sapplique.
Il est vrai que dans les situations les plus précaires, laccident se résume la plupart du temps à un enchaînement assez simple de quelques causes renvoyant vite à des problèmes techniques fondamentaux quune analyse même sommaire peut faire apparaître (matériel mal conçu, mode opératoire non défini, etc.). En revanche, lorsque les éléments matériels (machines, installations, disposition des lieux) tendent à être conformes aux exigences réglementaires, la situation de travail devient de plus en plus sûre et laccident ne peut alors se produire que lorsque sont réunies un ensemble de conditions exceptionnelles de plus en plus nombreuses. Dans de tels cas, la lésion apparaît comme le terme ultime dun réseau de causes souvent complexe. Cette complexité témoigne des progrès de la prévention et exige alors des méthodes danalyse adaptées. Le tableau 57.5 recense les principales conceptions du phénomène accident, leurs caractéristiques et leurs conséquences essentielles pour la prévention.
Conception du phénomène accident |
Eléments significatifs |
Principales conséquences pour la prévention |
Conception élémentaire (accident comme phénomène paucicausal, voire unicausal) |
L’objectif est d’identifier la cause unique ou principale |
Mesures de prévention simples concernant l’antécédent immédiat de la blessure (protection individuelle, consigne de prudence, protection des mécanismes dangereux) |
Conception focalisée sur les aspects réglementaires |
Accent mis sur la recherche de responsabilité; |
Prévention généralement limitée au rappel des dispositions réglementaires existantes ou à des consignes formelles |
Conception linéaire (ou quasi linéaire) (modèle des dominos) |
Identification d’une succession chronologique de «conditions dangereuses» et d’«actions dangereuses» |
Conclusions portant en général sur les actes dangereux |
Conception multifactorielle |
Recherche de l’exhaustivité dans le recueil des faits |
Conception n’incitant pas à la recherche de solutions cas par cas (analyse clinique) mieux adaptées à la mise en évidence d’aspects statistiques |
Conception systématique (ADC, STEP) |
Mise en évidence du réseau des facteurs de chaque accident |
Méthodes centrées sur l’analyse clinique |
Actuellement, laccident du travail est généralement considéré comme lindice (le symptôme) de dysfonctionnements dun système constitué par une unité de production usine, atelier, équipe ou poste de travail. La notion de système conduit lanalyste à examiner non seulement les éléments qui composent le système, mais aussi leurs relations. Dans une perspective systémique, lanalyse de laccident vise à retrouver, jusquà leurs origines, lenchaînement des dysfonctionnements élémentaires ayant abouti à la lésion et, plus généralement, le réseau des antécédents de lévénement non désiré (accident, quasi-accident ou incident).
Lapplication des méthodes de ce type, telles que la méthode STEP (Sequentially Timed Events Plotting Procedures) ou celle de «larbre des causes» (ADC), permet de visualiser le processus accidentel sous la forme dun graphe fléché qui rend bien compte de la multicausalité du phénomène. La proximité de ces deux méthodes nous dispensera dun double exposé; on se centrera donc sur la méthode dite de «larbre des causes» (ADC), en indiquant les principales différences quelle présente avec la méthode STEP.
Point de départ de lanalyse, la collecte des informations doit permettre de décrire le déroulement de laccident en termes concrets, précis et objectifs. Lanalyse sapplique donc à recueillir des faits tangibles en se gardant de les interpréter ou démettre une opinion à leur sujet: ce sont les antécédents de laccident. Les antécédents recueillis peuvent être de deux types:
Ainsi, la protection insuffisante dune machine (antécédent permanent) se révèle être un facteur daccident en permettant à lopérateur de se placer dans une zone dangereuse pour pallier un incident (antécédent inhabituel).
La collecte des informations seffectue sur les lieux mêmes de laccident et le plus tôt possible après sa survenue. Elle est réalisée de préférence par une personne connaissant bien lentreprise et qui sattache à obtenir une description précise du travail sans se limiter aux circonstances immédiates de la lésion. Cette collecte dinformations se fait surtout par interviews, si possible de la victime, puis des témoins oculaires, des coéquipiers et des responsables hiérarchiques. Il est complété, le cas échéant, par des expertises techniques.
Lanalyste sefforce alors de repérer, en priorité, les antécédents inhabituels et de détecter leurs liaisons logiques. Ce faisant, il décèle du même coup les antécédents permanents qui ont permis que laccident survienne. Ainsi, il est amené à remonter bien en amont des antécédents immédiats de la blessure. Ces antécédents peuvent concerner les individus (ce quils sont), leurs tâches (ce quils font), le matériel quils utilisent et le milieu où ils évoluent. En procédant comme il vient dêtre indiqué, on peut généralement établir une liste dantécédents nombreux dont il est difficile de tirer parti demblée. Cela deviendra possible grâce à une représentation graphique de lensemble des antécédents concernant la genèse de laccident: il sagit de larbre des causes.
Larbre des causes présente lensemble des antécédents recueillis ayant engendré laccident, avec lindication des liaisons logiques et chronologiques qui relient ces antécédents; cest une représentation du réseau des antécédents qui ont provoqué directement ou indirectement la lésion. Larbre des causes se construit à partir du fait ultime de lhistoire, cest-à-dire la lésion, en se posant systématiquement, pour chaque antécédent recueilli, les questions ci-après:
Ce jeu de questions peut faire apparaître trois types de liaisons logiques entre les antécédents résumés dans la figure 57.9.
La cohérence logique de larbre se contrôle en posant pour chaque antécédent les questions suivantes:
La construction même de larbre des causes incite dailleurs le praticien à poursuivre et à compléter, si nécessaire, la collecte des informations, donc lanalyse souvent très en amont de la lésion. Une fois terminé, larbre représente le réseau des antécédents ayant engendré la lésion et qui sont en fait autant de facteurs de laccident. A titre dexemple, laccident dont le résumé suit donne lieu à larbre des causes de la figure 57.10.
Compte rendu résumé de laccident: un apprenti mécanicien récemment embauché est amené à travailler seul en urgence. Il utilise alors une élingue détériorée pour suspendre le moteur quil doit remettre en place. Au cours de lopération, lélingue se rompt et la chute du moteur lui blesse le bras.
Dans cette méthode (voir figure 57.11), chaque événement est disposé dans un tableau en respectant lordre chronologique de son apparition et en réservant une ligne par «acteur» concerné (cest-à-dire la personne ou la chose qui détermine le cours des événements constituant le processus de laccident). Chaque événement est décrit avec précision en indiquant son début, sa durée, le lieu, etc. Lorsquil existe plusieurs hypothèses plausibles, lanalyse peut les faire figurer dans le réseau des événements en utilisant la relation logique «ou».
Lexploitation de larbre des causes à des fins de prévention répond à deux objectifs:
Etant donné la structure logique de larbre, labsence dun seul antécédent aurait empêché la réalisation de laccident. Une mesure de prévention judicieuse suffirait donc, en principe, à éviter le retour du même accident. Toutefois, le second objectif exigerait que tous les facteurs découverts soient supprimés mais, dans la pratique, les antécédents ne sont pas tous dégal intérêt pour la prévention. Aussi convient-il détablir la liste des antécédents appelant des actions de prévention concevables et réalistes. Si cette liste est étoffée, un choix simpose. Ce choix a dautant plus de chance dêtre pertinent quil se réalise dans le cadre dun débat entre les partenaires concernés par laccident. De plus, le débat gagne en clarté dans la mesure où il est possible destimer le rapport efficacité/coût de chaque mesure proposée.
Lefficacité dune mesure de prévention peut être appréciée à laide de plusieurs critères:
La stabilité de la mesure. Les effets dune mesure de prévention ne doivent pas disparaître avec le temps: linformation des opérateurs (le rappel des consignes, en particulier) est une mesure peu stable, car ses effets sont souvent fugitifs. Il en est dailleurs de même de certaines protections matérielles lorsquelles sont facilement amovibles.
La possibilité dintégrer la sécurité. Lorsquune mesure de prévention est surajoutée, cest-à-dire lorsquelle ne concourt pas direc-tement à la production, on dit alors que la sécurité nest pas intégrée. Dès quil en est ainsi, on observe que la mesure tend à disparaître. Dune façon générale, toute mesure de prévention entraînant un coût supplémentaire pour lopérateur doit être évitée, quil sagisse dun coût physiologique (augmentation de la charge physique ou nerveuse), dun coût financier (dans le cas du salaire au rendement), voire dune simple perte de temps.
Le non-déplacement du risque. Certaines mesures de prévention peuvent avoir des effets indirects préjudiciables à la sécurité. Il faut donc toujours envisager les répercussions éventuelles dune mesure de prévention sur le système (poste, équipe, atelier) où elle sinsère.
La possibilité dapplication générale (la notion de facteur potentiel daccidents) . Ce critère reflète le souci quune même action de prévention puisse concerner dautres postes de travail que celui concerné par laccident analysé. Chaque fois que cela est possible, il faut sefforcer de dépasser le cas particulier qui a donné lieu à lanalyse, ce qui exige souvent une reformulation des problèmes découverts. Par exemple, il ne faut pas se contenter de remplacer une élingue cassée mais, dans ce cas, il faut envisager le problème, plus général, du matériel désaffecté restant disponible. Lenseignement tiré dun accident peut alors entraîner des actions de prévention concernant des facteurs ignorés, mais présents dans dautres situations de travail où ils nont pas encore provoqué daccidents. Pour cette raison, ils sont appelés «facteurs potentiels daccident». Cette notion ouvre la voie à la détection précoce des risques abordée plus loin.
Laction sur les «causes» profondes. En règle générale, la prévention de facteurs daccident proches de la lésion supprime certains effets des situations dangereuses, tandis que la prévention qui agit très en amont tend à supprimer lexistence même de telles situations. Lanalyse approfondie des accidents trouve sa raison dêtre dans la mesure où laction de prévention concerne également les facteurs en amont.
Les délais dapplication. La nécessité dagir le plus rapidement possible après la survenue dun accident pour en éviter le retour se traduit souvent par lapplication dune mesure de prévention simple (une consigne, par exemple), mais celle-ci ne doit pas dispenser dautres actions plus durables et plus efficaces. Tout accident doit donc donner lieu à un ensemble de propositions dont la réalisation fait lobjet dun suivi.
Les critères qui viennent dêtre énumérés sont destinés à mieux apprécier la qualité des actions de prévention proposées à la suite de chaque analyse daccident. Cependant, le choix définitif ne se fait pas uniquement sur ces bases; dautres considérations, économiques ou sociales, peuvent également entrer en ligne de compte. Enfin, les mesures retenues doivent évidemment respecter les dispositions réglementaires en vigueur.
Les enseignements tirés de lanalyse de chaque accident méritent dêtre consignés de façon systématique dans le but de faciliter le passage de la connaissance à laction. Ainsi, la figure 57.12 se compose de trois colonnes. Dans celle de gauche, on note les facteurs daccident justiciables de mesures de prévention. Les mesures de prévention possibles sont décrites dans la colonne centrale en regard de chaque facteur retenu. Après la discussion évoquée précédemment, les actions retenues sont cochées dans ce même document.
La colonne de droite comprend les facteurs potentiels daccident suggérés par les facteurs inscrits dans la colonne de gauche: on considère que chaque facteur daccident découvert nest souvent quun cas particulier dun facteur plus général appelé facteur potentiel daccident. Le passage du cas particulier au cas plus général est souvent fait spontanément. Cependant, chaque fois quun facteur daccident est exprimé de telle façon quil nest pas possible de le rencontrer ailleurs que dans la situation où il est apparu, il faut réfléchir à une formulation plus générale. Ce faisant, il faut éviter deux écueils opposés pour utiliser efficacement la notion de facteur potentiel daccident dans la détection précoce des risques réalisée par la suite: une formulation trop circonscrite ne permet pas un dépistage systématique, tandis quune formulation trop large rend la notion non opérationnelle et ne présente plus dintérêt pratique. Le dépistage des facteurs potentiels daccident repose donc sur une bonne formulation de ces facteurs. Ce dépistage peut alors être réalisé de deux façons, dailleurs complémentaires:
Lintérêt . Les méthodes danalyse des accidents issues dune conception systémique présentent de nombreux avantages dont les trois principaux sont mentionnés ci-après:
Lefficacité. En contrepartie, lefficacité de la pratique des analyses daccidents implique que les quatre conditions suivantes soient réunies:
Les limites. Même si elle est très bien réalisée, lanalyse des accidents connaît cependant une double limitation:
La collecte et lanalyse de données sur les accidents du travail ont comme premier but de réunir des informations qui serviront à prévenir les lésions, les accidents mortels et les autres formes de dommages corporels, comme les maladies chroniques dues à lexposition à des substances toxiques. Ces données sont également utiles pour décider des prestations à accorder aux victimes daccidents. La collecte de ce type de données a dautres fins plus spécifiques, parmi lesquelles on peut citer:
Il est souvent souhaitable davoir des chiffres concernant lensemble des accidents survenus au cours dune année. A cette fin, on compare le nombre daccidents à une mesure liée au groupe de risque et exprimée, par exemple, par centaine de milliers de salariés ou dheures de travail. Ce décompte annuel révèle les écarts dans les taux daccidents dune année sur lautre. Toutefois, si ces chiffres peuvent indiquer le type daccidents qui requièrent une action préventive urgente, ils ne donnent aucune indication sur la forme quelle devrait revêtir.
Les informations concernant les accidents sont nécessaires à trois niveaux:
Dans de nombreux pays, les entreprises sont légalement tenues de dresser des statistiques sur les accidents du travail entraînant des dommages corporels, des décès ou des maladies professionnelles. Cette obligation a pour but dattirer lattention sur les risques et les circonstances qui ont donné lieu à ces accidents et dinciter les entreprises à concentrer sur eux leurs efforts de prévention. En général, les données sont le plus souvent collectées de manière systématique, fonction correspondant généralement à un niveau hiérarchique élevé.
Les circonstances de la plupart des accidents étant particulières, il est rare quil se produise plusieurs accidents exactement identiques; de ce fait, la prévention basée sur lanalyse des accidents au cas par cas a rarement une portée générale. En analysant systématiquement les informations sur les accidents, on peut avoir une image plus large des activités comportant des risques spécifiques et découvrir des facteurs secondaires de causalité. Un procédé de production particulier, un poste de travail donné ou une tâche particulière peuvent provoquer des accidents très particuliers eux aussi. Mais un examen approfondi des types daccidents associés à un type de travail donné peut faire apparaître dautres facteurs causals comme des procédés mal conçus, une utilisation erronée des matières mises en uvre, des conditions de travail difficiles ou labsence dinstructions précises. Lanalyse des accidents récursifs devrait révéler les causes fondamentales à traiter dans le cadre dune action préventive.
La législation concernant la déclaration des accidents du travail et des cas de maladies professionnelles aux autorités compétentes varie considérablement dun pays à lautre, notamment en ce qui concerne les catégories demployeurs assujettis à la loi. Les pays qui accordent une grande place à la sécurité exigent généralement que les informations sur les accidents soient communiquées à lautorité responsable de lapplication de la législation en la matière; dans certains cas, la loi exige que soient signalés les accidents du travail entraînant un arrêt de un à trois jours après le jour de laccident. La plupart des législations associent la déclaration et la notification en vue dune réparation.
Pour fournir des bases saines aux efforts de prévention, il importe de réunir des informations concernant tous les secteurs dactivité et tous les types de métiers. Une base de comparaison doit exister au niveau national pour classer les actions préventives par ordre de priorité et pour que la connaissance des risques inhérents aux tâches spécifiques à telle ou telle industrie puisse servir à la prévention. La collecte des informations sur les accidents du travail au niveau national devrait donc sétendre à tous les accidents présentant un certain degré de gravité, quils concernent des salariés, des artisans, des travailleurs temporaires ou permanents, le secteur public ou le secteur privé.
Si les employeurs, en règle générale, sont tenus de déclarer les accidents, ils ne le font pas toujours avec la même diligence. Le degré de respect de cette obligation dépend de lintérêt quils y trouvent. Dans certains pays, par exemple, les employeurs se voient rembourser le salaire versé à la victime pendant larrêt de travail, une disposition qui leur donne une bonne raison de déclarer les accidents. Dautres pays pénalisent les entreprises qui ne signalent pas les accidents survenus chez elles. Lorsquil nexiste pas dencouragements ou de sanctions de ce genre, les employeurs ne respectent pas toujours leurs obligations légales. Il est bon par ailleurs que les informations destinées à des actions de prévention soient communiquées aux organismes responsables de ces actions et soient séparées de celles qui sadressent à linstitution chargée de la réparation.
Trois types dinformations générales peuvent être tirées de la déclaration des accidents:
Il faut recueillir un ensemble de données de base pour déterminer exactement quand et où un accident se produit et en analyser les modalités. Les données rassemblées par les entreprises sont plus détaillées que celles collectées au niveau national, mais les rapports locaux contiennent des informations qui seront utiles à tous les niveaux. Le tableau 57.6 illustre les différents types dinformations pouvant être réunies lors de la description dun accident donné. Les éléments qui intéressent plus spécialement les statisticiens sont indiqués ci-après.
Actions |
Eléments |
Etape 1 |
|
Activité de la victime: conduite d’une machine, maintenance, conduite d’un véhicule, marche, etc. |
Elément lié à l’activité de la victime: presse mécanique, outil, véhicule, sol, etc. |
Etape 2 |
|
Déviation: explosion, défaillance structurelle, faux pas, perte de contrôle, etc. |
Elément lié à la déviation: récipient sous pression, mur, câble, véhicule, machine, outil, etc. |
Etape 3 |
|
Action ayant entraîné la lésion: choc, écrasement, contact, morsure, etc. |
Agent de la lésion: brique, sol, machine, etc. |
Numéro de référence de laccident . Un numéro de référence unique doit être attribué à chaque accident du travail. Il est préférable dutiliser un code didentification numérique pour faciliter linformatisation des données et leur traitement ultérieur.
Numéro didentification personnel et date . Il est essentiel que la victime soit reliée à laccident qui la concerne par un numéro didentification personnel qui peut être sa date de naissance, son numéro de sécurité sociale ou tout autre identificateur qui lui soit propre. Enregistrer à la fois le numéro didentification personnel et la date de laccident permet déviter que le même accident soit enregistré deux fois et également de vérifier quil la bien été. Le lien entre les informations figurant dans le rapport daccident et le numéro didentification personnel peut être protégé pour des raisons de sécurité.
Nationalité . La nationalité de la victime peut être une information particulièrement importante dans les pays comptant une forte main-duvre étrangère. On peut choisir un numéro de code à deux chiffres dans la liste de la norme ISO 3166-1 (ISO, 1997).
Profession . Un numéro de référence peut être choisi dans la liste des codes internationaux à quatre chiffres figurant dans la Classification internationale type des professions (CITP) (BIT, 1990).
Entreprise. Le nom, ladresse et le numéro didentification de lentreprise sont inclus dans les dossiers daccidents au niveau national (mais le nom et ladresse ne peuvent figurer dans le fichier informatique). Généralement, le secteur production de lentreprise est enregistré en précisant le nom de lassureur couvrant les accidents du travail ou le numéro dimmatriculation des opérateurs. Un numéro didentification peut être attribué selon le système international de classification à cinq chiffres NACE.
Opération (tâche effectuée au moment de laccident) . Une description de lopération effectuée au moment où laccident sest produit est essentielle. Son identification précise est indispensable pour bien cibler les actions de prévention. Dans ce contexte, lopération est la tâche que la victime était en train dexécuter au moment de laccident; elle ne se confond pas nécessairement avec le processus industriel correspondant.
Accident . Un accident est généralement le résultat dune chaîne ou séquence dévénements. Les enquêteurs ont souvent tendance à se concentrer sur la partie de la chaîne où se situent les dommages corporels. Du point de vue de la prévention, toutefois, il est tout aussi important de préciser à quel moment de la chaîne la situation a commencé à se dégrader et ce que faisait la victime au moment de laccident.
Conséquences de laccident . Après avoir situé de façon précise lemplacement et décrit la nature des lésions (en partie à laide de codes portés sur une grille de recueil de données et en partie par la description de la chaîne dévénements), on précise la gravité de ces lésions, si elles ont entraîné un arrêt de travail (de quelle durée), une invalidité ou le décès de la victime. Des informations détaillées sur les arrêts de travail de longue durée, les durées dhospitalisation et le type et le degré dinvalidité sont généralement disponibles auprès des institutions de sécurité sociale.
Pour compléter le dossier, on retient généralement les trois points ci-après:
Les exemples qui suivent illustrent lapplication de ces points:
Les informations à réunir pour chaque accident peuvent être présentées sous une forme semblable à celle de la figure 57.13.
Les informations ainsi rassemblées pourront être saisies sur ordinateur à laide de codes de classification (lorsquil existe des systèmes internationaux de classification, ils sont mentionnés dans les données individuelles décrites plus haut). Le Service danois détude du milieu de travail a mis au point des modes de classification concernant dautres variables utilisées pour documenter les accidents du travail; les principes détablissement dun système de documentation uniforme font partie dun projet préparé par lUnion européenne.
Les statistiques daccidents sont un instrument précieux à plusieurs titres: cartographie des accidents, surveillance et alerte, ciblage des actions de prévention, mesures de prévention, recherche dinformations. Un domaine peut empiéter sur lautre, mais les principes dapplications varient.
Pour dresser une carte des accidents du travail, il faut extraire certains types dinformations de la masse des données accumulées et de lanalyse des liens qui existent entre ces données. Quelques exemples illustreront lutilité de cette application.
La surveillance est un processus continu qui se double dun système dalerte en cas de risques majeurs et, notamment, de variation significative de ces risques. On parle de risque majeur lorsque la fréquence des accidents est élevée, les lésions occasionnées sévères et les groupes dindividus exposés nombreux. Les rapports daccidents peuvent révéler une modification des procédures de notification ou, ce qui est plus grave, une évolution inquiétante des facteurs de risque.
Létablissement de priorités permet de sélectionner les secteurs de risques ou les problèmes les plus importants aux fins dactions préventives. En partant des cartes et des activités de surveillance et dalerte, on peut dresser une liste des priorités qui tienne compte:
Les données figurant dans un registre des accidents du travail peuvent servir à établir des priorités à plusieurs niveaux, celui de lentreprise ou celui du pays tout entier. Les analyses et les évaluations pourront, dans chaque cas, être conduites selon les mêmes principes.
Les analyses et la documentation servant à orienter les actions de prévention sont généralement très spécifiques et concentrées sur des secteurs précis qui peuvent être étudiés en profondeur. La campagne contre les accidents mortels menée au Danemark par le Service national dinspection du travail en offre un bon exemple. Des cartes avaient été dressées en vue didentifier les professions et les activités où lon avait enregistré des accidents mortels. Les tracteurs agricoles ont été sélectionnés comme cible danalyse visant à déterminer ce qui rendait ces engins aussi dangereux. Il fallait savoir qui les conduisait, où ils étaient utilisés, quand les accidents se produisaient et, en particulier, quels types de situations ou de conditions conduisaient à un accident. Létude a permis de reconnaître sept situations typiques qui généraient le plus grand nombre daccidents et délaborer un programme de prévention fondé sur ces conclusions.
Le nombre des accidents du travail survenus dans une entreprise donnée est souvent trop faible pour permettre den tirer des indications valables pour la prévention. Lanalyse des accidents déclarés peut contribuer à une réduction des accidents similaires, mais demeure sans effet dès lors quil sagit déviter des accidents différents. A moins que létude ne porte sur une grande entreprise, il vaut mieux travailler sur un groupe dentreprises similaires appartenant à la même branche dactivité économique.
Lune des utilisations les plus courantes des dossiers daccidents et des archives qui sy rapportent est le rappel dinformations spécifiques aux fins de recherche. Ainsi, une étude devant servir à préparer un projet de règlement sur les travaux en toiture a permis, en analysant les types daccidents liés à cette activité, de réfuter lopinion générale selon laquelle les couvreurs se blessent rarement en tombant dun toit.