La présente édition de lEncyclopédie de sécurité et de santé au travail est la première à inclure expressément des questions pertinentes touchant lenvironnement. Ce chapitre soulève un certain nombre de problèmes fondamentaux en politique de lenvironnement, qui sont de plus en plus liés à la sécurité et à la santé au travail; dautres examinent les risques que lenvironnement fait courir à la santé et la lutte contre la pollution: le chapitre no 53, «Les risques pour la santé liés à lenvironnement», et le chapitre no 55, «La lutte contre la pollution de lenvironnement». En outre, nous nous sommes attachés tout particulièrement à traiter de lenvironnement dans chacun des chapitres consacrés aux grandes branches de lactivité économique. Lorsque nous avons commencé à nous interroger sur lopportunité daborder ces questions dans lEncyclopédie , nous avons pensé, dans un premier temps, ny faire figurer quun seul chapitre de référence pour exposer les liens étroits qui se sont tissés entre la sécurité, la santé et les conditions de travail, dune part, et les problèmes denvironnement, dautre part. Comme lOrganisation internationale du Travail (OIT) le constate depuis une vingtaine dannées, le milieu de travail et lenvironnement en général constituent «les deux faces dun même problème».
Cependant, il est tout aussi évident que le défi que ce «problème à deux faces» lance aux travailleurs du monde entier est largement sous-estimé et négligé dans les plans daction. Les succès méritoires qui reçoivent lattention et les éloges légitimes de lEncyclopédie risquent de donner une impression dangereuse et erronée de sécurité et de confiance quant au niveau actuel de la sécurité et de la santé au travail, et de la protection de lenvironnement. Le meilleur de nos technologies, techniques et outils de gestion a fait accomplir des progrès impressionnants: des problèmes ont été supprimés et des risques prévenus dans nombre de secteurs essentiels, notamment dans les pays industriels, mais il nen reste pas moins que leur application et, donc, leur succès dans le monde sont bel et bien insuffisants et limités, en particulier dans les pays en développement et les économies en transition.
Nous décrirons ici quelques-uns des outils et des pratiques les plus utiles à notre disposition pour surmonter les difficultés et relever les défis que posent la sécurité et la santé au travail et lenvironnement, sans prétendre quils sont déjà largement en usage dans le monde. Il est cependant important que les professionnels de la prévention du monde entier en apprennent plus sur ces outils et pratiques, afin den répandre lapplication et ladaptation pratique aux différentes situations économiques et sociales.
Le premier article de ce chapitre passe brièvement en revue la corrélation entre la sécurité, la santé et le milieu de travail, les politiques et les problèmes dans le domaine de lenvironnement en général et le concept de «développement durable». Ce dernier est devenu le principe directeur dAction 21, le plan daction pour le XXIe siècle adopté par la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro en juin 1992. Il était certes rassurant de penser quil nest pas seulement possible, mais essentiel, de distinguer les problèmes selon quils se posent sur le lieu de travail ou en dehors de lentreprise, mais cétait aussi une grave erreur. Cette idée nest plus guère de mise. En fait, à lheure actuelle, travailleurs et employeurs, ainsi que leurs organisations commencent à reconnaître que les politiques suivies pour régler les problèmes ne sarrêtent pas aux portes de lentreprise.
Cela étant, les questions de sécurité et de santé au travail ont peut-être été traitées de façon trop cloisonnée par le passé. Nous exposerons donc brièvement quelques points de la politique de lenvironnement que les professionnels de la sécurité et de la santé au travail pourront juger tout particulièrement pertinents pour leurs activités et préoccupations. Deux articles du présent chapitre, consacrés aux lois et règlements sur lenvironnement, font le point de la situation créée par ladoption de nombreux traités internationaux et textes juridiques nationaux qui répondent aux problèmes daujourdhui et de demain dans ce domaine.
Quatre autres articles décrivent quelques-uns des instruments politiques les plus importants utilisés à lheure actuelle pour améliorer lenvironnement, non seulement dans lindustrie, mais aussi dans les autres secteurs de léconomie et lensemble de nos sociétés: études dimpact sur lenvironnement, analyses du cycle de vie, évaluation des risques et information, audits denvironnement. La dernière partie de ce chapitre offre deux perspectives sur la prévention et la maîtrise de la pollution: lune considère la prévention comme une priorité pour les entreprises, lautre se place dans une optique syndicale de prévention de la pollution et dutilisation de technologies propres.
Nous avons cherché à permettre au lecteur de mieux percevoir et de comprendre les relations toujours plus étroites entre la sécurité, la santé et le milieu de travail, dune part, et les questions plus générales denvironnement hors du lieu de travail, dautre part. Nous voulons croire que la prise de conscience de ces liens conduira à approfondir et à étendre les échanges dexpériences et dinformations entre les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail et ceux de lenvironnement, afin de nous rendre capables de relever les défis qui nous sont lancés dans le milieu de travail et en dehors de celui-ci.
Quiconque tente de remonter à la source de la plupart de nos problèmes actuels denvironnement aboutit nécessairement à une usine, un bureau, une entreprise, etc., ce qui ne saurait étonner les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail. Dailleurs, les graves effets de certains produits chimiques et autres substances sur la sécurité et la santé constituent désormais un système dalerte précoce des conséquences potentielles pour lenvironnement, et cela bien au-delà des lieux de travail.
Malgré la relation évidente entre le milieu de travail et lenvironnement, nombre de gouvernements, demployeurs et de travailleurs continuent de réagir aux causes et aux conséquences des problèmes dans ces deux secteurs de façon très disparate, comme sil sagissait de faits isolés (vu limportance de la distinction entre le milieu de travail et les perspectives plus vastes ouvertes par des termes tels que lenvironnement physique, général ou externe, nous utiliserons lexpression milieu de travail pour désigner toutes les questions relatives à la santé, à la sécurité et à lenvironnement sur le lieu de travail et le terme environnement pour les problèmes relatifs à lenvironnement en dehors de celui-ci). Nous voulons ici attirer lattention sur les avantages significatifs de solutions plus intégrées et stratégiques pour régler les problèmes denvironnement à lintérieur et à lextérieur de lentreprise. Cela est vrai non seulement des pays industriels, qui ont accompli de grands progrès tant en matière de sécurité et de santé au travail que denvironnement, mais aussi des économies en transition et des pays en développement, qui font face à des difficultés plus grandes encore.
Le présent article ayant été rédigé pour la quatrième édition (anglaise) de lEncyclopédie de sécurité et de santé au travail , il ne cherche pas à brosser un tableau de tous les problèmes de sécurité et de santé au travail liés à lenvironnement, qui sont étudiés dans dautres chapitres de cet ouvrage. En fait, la sécurité et la santé au travail font partie intégrante des résultats de lentreprise en matière denvironnement, ce qui ne veut pas dire que sécurité et santé au travail et protection de lenvironnement soient toujours totalement compatibles et se confortent mutuellement; à loccasion, elles peuvent même sopposer. Il convient néanmoins de rechercher les moyens de protéger à la fois la sécurité et la santé des travailleurs et, plus généralement, lenvironnement, et déviter davoir à choisir entre les unes ou lautre. Identifier les problèmes relatifs à lenvironnement et les stratégies destinées à les régler conduit trop souvent à opposer à tort la protection de lenvironnement et la sécurité des travailleurs ou celle de lemploi. Bien que de tels conflits puissent effectivement exister dans des circonstances bien précises, la majorité des situations réclame une série de compromis et de stratégies prudentes, menées dans la durée et permettant datteindre à la fois les objectifs de protection de lenvironnement, des travailleurs et de lemploi. En corollaire, la collaboration entre travailleurs et employeurs est indispensable si lon veut améliorer les résultats en matière de sécurité et de santé au travail comme aussi denvironnement.
Cette association de lenvironnement et du monde du travail apparaît particulièrement évidente si lon part du principe que les résultats en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail devraient être inspirés par la prévention plutôt que dêtre acquis par de simples mesures correctives ou de contrôle. La notion de prévention est fondamentale pour toute amélioration future de la sécurité et de la santé au travail et de lenvironnement. Au début du XXe siècle, la sécurité et la santé au travail dans les pays industriels consistaient souvent en un simple contrôle: il sagissait de protéger les travailleurs dune exposition aux risques. Laccent était mis en particulier sur des mesures de prévention technique destinées à limiter les accidents en améliorant les machines, par exemple en installant des dispositifs de protection. Avec les progrès des connaissances sur les conséquences pour la santé des travailleurs dune exposition à certains produits chimiques et substances toxiques, la réaction «logique» a souvent consisté à protéger dabord le travailleur en renforçant les systèmes de ventilation ou en imposant le port déquipements de protection. Certes, on a connu des exceptions, et non des moindres, en particulier dans les pays industriels, mais lintérêt de lopinion publique pour lélimination des produits chimiques et des substances toxiques, ou leur remplacement par des produits moins nocifs, dans des secteurs clés de lindustrie est un phénomène relativement récent qui est apparu il y a une trentaine dannées. Remarquons que laccent mis de plus en plus sur la prévention de lémission elle-même, ou sur lutilisation de produits chimiques spécifiques, va de pair avec la sensibilisation et lengagement du public pour les questions denvironnement. Cette nouvelle prise de conscience écologique a mis en évidence à la fois les conséquences immédiates et à plus long terme de la dégradation de lenvironnement pour nos sociétés et nos économies. Lintérêt du public semble avoir également encouragé les efforts déployés par les travailleurs pour collaborer avec leurs employeurs à lamélioration de la sécurité et de la santé au travail. Néanmoins, il est très clair que les actions sérieuses menées à ce jour en faveur de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que de lenvironnement ne représentent quune partie seulement des problèmes qui, sils sont évidents sur lensemble de la planète, sont encore plus spectaculaires dans les pays en développement et les économies en transition.
Lordre de priorité et les politiques en matière denvironnement dans les pays industriels ont connu à peu près le même parcours et passé du contrôle à la prévention, quoique sur une période bien plus courte que pour la sécurité et la santé au travail. Au début, lintérêt pour lenvironnement se limitait en fait à des préoccupations quant à la «pollution», cest-à-dire aux émissions dans lair, dans leau et dans le sol générées par les processus de production. Cest pourquoi les réactions portaient souvent sur laval (ou la «fin de cycle») des émissions locales. Pour ne citer quun exemple relativement simple, cette approche restrictive a donné lieu à des solutions comme la construction de cheminées plus hautes qui, malheureusement, ne supprimaient pas la pollution, mais la dispersaient bien au-delà de lentreprise et de la population locale. Si la population et les travailleurs sen satisfaisaient souvent, de nouveaux problèmes denvironnement surgissaient: une pollution à longue distance, voire une pollution atmosphérique transfrontière, peut entraîner dans certains cas ce quil est coutume dappeler les «pluies acides». Lorsque les effets secondaires de cette solution de fin de chaîne ou daval devinrent évidents, il fallut beaucoup de temps à certains intéressés pour reconnaître que la formule des hautes cheminées engendrait effectivement dautres conséquences négatives graves. Linnovation qui suivit consista à ajouter un système de filtrage sophistiqué pour retenir les émissions avant quelles ne sortent des cheminées. Comme le montre cet exemple, les décideurs ne sappliquaient pas à prévenir les émissions, mais plutôt à prendre des mesures destinées à les neutraliser. De nos jours, des efforts croissants sont déployés pour prévenir les émissions en changeant de carburant et en améliorant les technologies de combustion, ainsi quen modifiant le processus de production lui-même grâce à des méthodes de production dites «plus propres».
Cette stratégie préventive, qui appelle aussi une approche globale, présente au moins quatre avantages significatifs pour le monde du travail et lenvironnement:
Les politiques, législations et réglementations de lenvironnement ont évolué et amènent, ou tout au moins tentent daccompagner, la transition entre les approches fondées sur la lutte antipollution et celles qui reposent sur la prévention.
Quoi quil en soit, ces deux stratégies, de fin de chaîne et de production moins polluante, ont chacune des conséquences directes sur la sauvegarde et la création demplois. Il est clair que, dans de nombreuses parties du monde, notamment dans les pays industriels et les économies en transition, il existe dimportantes possibilités de création demplois liées aux activités de dépollution. Mais, dans le même temps, les technologies de production moins polluantes constituent également une industrie naissante en plein essor, porteuse de nouvelles possibilités demplois, qui appelle bien entendu dautres efforts encore pour répondre aux besoins de qualification et de formation. On le voit notamment dans le besoin impérieux de dispenser aux travailleurs qui participent à lassainissement une véritable formation aux questions de sécurité et de santé au travail et denvironnement. Sans négliger les effets négatifs quune réglementation et un contrôle accrus de lenvironnement risquent davoir sur lemploi, de telles mesures, à condition dêtre convenablement appliquées, peuvent améliorer la situation aussi bien en ce qui concerne la création de nouveaux emplois que la promotion de la sécurité et de la santé au travail ou la protection de lenvironnement.
Un autre changement décisif doptique est intervenu depuis les années soixante: lintérêt porté tout dabord aux seules méthodes de production soriente désormais vers les produits eux-mêmes et leurs effets sur lenvironnement. Lexemple le plus patent en est lautomobile, où des efforts considérables ont été déployés afin den améliorer «lefficacité pour lenvironnement», bien quil subsiste une vive controverse pour savoir si on ne devrait pas semployer à développer en complément un réseau de transports en commun lui aussi efficace sur le plan écologique. En tout état de cause, il est clair que tous les produits ont une incidence sur lenvironnement, sinon lors de leur production ou de leur utilisation, tout au moins au moment de leur élimination finale. Ce changement doptique a entraîné un accroissement du nombre de lois et de réglementations sur lenvironnement relatives à lutilisation et à lélimination des produits, voire à la limitation ou à la suppression de certains dentre eux. Il a également donné lieu à de nouvelles techniques danalyse telles que les études dimpact sur lenvironnement, lanalyse du cycle de vie, lévaluation des risques et lécobilan (voir les autres articles de ce chapitre). Cette conception élargie de lenvironnement a également des implications pour le monde du travail, en ce qui concerne par exemple les conditions de travail des personnes qui sont chargées de lélimination des produits dangereux ou les perspectives demploi de ceux qui fabriquent, vendent et assurent lentretien de produits soumis à des interdictions ou à des restrictions.
Autre moteur de la politique de lenvironnement, le nombre et la portée dramatiques des accidents industriels majeurs, en particulier la catastrophe de Bhopal en 1984. Cette dernière, ainsi que dautres accidents graves comme ceux de Tchernobyl et de lExxon Valdez ont démontré au monde entier public, personnalités politiques, employeurs et travailleurs que la conception traditionnelle selon laquelle les événements qui se produisent dans lenceinte de lentreprise ne sauraient affecter ou naffecteraient pas lenvironnement extérieur, la population ou la santé et les moyens de subsistance des communautés alentour est erronée. Bien que ces catastrophes ne soient pas les premières à se produire, les images quen ont diffusées les médias à travers le monde ont frappé lopinion publique des pays développés, des pays en développement et des économies en transition, amenant de larges couches de la population à prendre mieux conscience de ces risques et à apporter leur soutien à une politique de lenvironnement qui protège également les travailleurs et la population. Relevons cependant que, là encore, les progrès législatifs et réglementaires visant à améliorer la sécurité et la santé au travail ne sont intervenus quà la suite dévénements dramatiques, comme ce fut le cas, dans le passé, après des incendies dusines ou des catastrophes minières.
Lun des meilleurs exemples de leffet que peuvent avoir ces nouvelles préoccupations en faveur de lenvironnement, en particulier depuis ces dernières catastrophes «écologiques» est peut-être, dans le cadre de lOrganisation internationale du Travail (OIT) elle-même, la série de décisions prises par ses mandants tripartites. Cest ainsi quelle a intensifié ses activités liées à lenvironnement et au monde du travail, et quen particulier ont été adoptées, depuis 1990, trois importantes séries de conventions et de recommandations internationales du travail sur les conditions de travail:
Ces normes reflètent une extension explicite du champ daction traditionnel de lOIT, qui dépasse la seule protection des travailleurs pour inclure également une approche plus globale de ces sujets, en faisant référence, dans le préambule ou le dispositif, à la protection de la population et de lenvironnement. Par exemple, selon larticle 3 de la convention no 174, lexpression accident majeur désigne «un événement soudain [ ] entraînant un danger grave, immédiat ou différé, pour les travailleurs, la population ou lenvironnement»; larticle 4 dispose: «Tout Membre doit [ ] formuler, mettre en uvre et revoir périodiquement une politique nationale cohérente relative à la protection des travailleurs, de la population et de lenvironnement contre les risques daccident majeur.» La large palette de conventions et de recommandations de lOIT sur le milieu de travail constitue une source de conseils très utile pour les pays qui sefforcent daméliorer leurs résultats en matière de sécurité et de santé au travail et denvironnement. A cet égard, il est bon de noter que lOrganisation offre une assistance et un soutien consultatif à ses mandants tripartites afin de les aider à ratifier et à mettre en uvre ses normes pertinentes.
En outre, bien dautres facteurs influencent fortement les relations entre le milieu de travail et lenvironnement en général. Lun des plus évidents est le fait que, malgré maintes préoccupations et conclusions communes (par exemple, sur les produits chimiques, les accidents, la santé), ces deux domaines sont souvent régis par plusieurs ministères et par des lois, règlements, normes et mécanismes dapplication et de contrôle distincts. Ces différences jettent la confusion et entraînent aussi, peut-être, des coûts supplémentaires dus au chevauchement des compétences et, ce qui est plus troublant encore, déventuelles lacunes qui risquent dêtre à lorigine de graves omissions dans la protection des travailleurs, de la population et de lenvironnement. Par exemple, des rapports récents sur un certain nombre de services dinspection nationaux ont attiré lattention sur des risques de double emploi, de lacunes et dincohérences dans les responsabilités attribuées aux inspections des fabriques, du travail et de lenvironnement. Ces rapports font également mention de situations dans lesquelles des inspections du travail se sont vues attribuer de nouvelles responsabilités en matière denvironnement sans être dotées du personnel requis, de ressources financières supplémentaires ou de formation spécifique, ce qui ne peut que distraire le personnel de ses fonctions de sécurité et de santé au travail. En outre, dans de nombreux pays, ces obligations légales et ces fonctions dinspection demeurent extrêmement limitées et ne reçoivent pas le soutien politique et financier requis. On ne saurait trop insister sur la nécessité dune approche intégrée du contrôle, de la mise en uvre et des mécanismes de règlement des différends relatifs à la réglementation et aux normes applicables dans les domaines de la protection de lenvironnement et dans celui de la sécurité et de la santé au travail.
Bien que les fonctions dinspection soient une composante essentielle de tout système de gestion de la sécurité et de la santé au travail et de protection de lenvironnement, elles ne suffisent jamais à elles seules. La sécurité et la santé au travail, de même que le lien entre lenvironnement et le monde du travail, devront demeurer largement de la responsabilité de lentreprise. Le meilleur moyen dobtenir de bons résultats est détablir un maximum de confiance et de collaboration entre la direction et les travailleurs, et de dispenser à ces derniers une solide formation. Cette collaboration devra aussi être étayée par des mécanismes paritaires. Ces efforts dans lentreprise connaîtront dautant plus de succès que de bonnes relations auront été établies avec des services dinspection facilement accessibles, dotés de moyens suffisants, bien formés et indépendants.
La vague actuelle de déréglementation et dajustement structurel, en particulier dans le secteur public, si elle est bien conçue et mise en uvre, pourrait conduire à une meilleure gestion de la sécurité et de la santé au travail et de la protection de lenvironnement. Cependant, certains signes extrêmement inquiétants semblent indiquer que ce processus risque aussi dentraîner une détérioration des résultats dans ces deux domaines si les gouvernements, les employeurs, les travailleurs et le public ne leur accordent pas la priorité requise. Trop souvent, les problèmes de sécurité et de santé au travail et denvironnement sont considérés comme pouvant être remis à «plus tard», une fois satisfaites les exigences économiques immédiates. Pourtant, lexpérience tend à prouver que des économies à courte vue, réalisées aujourdhui, coûtent cher demain en mesures correctives de problèmes qui auraient pu être évités demblée et à moindre coût. La sécurité et la santé au travail et lenvironnement ne devraient pas être considérés comme des coûts improductifs en aval, mais bien comme des investissements productifs essentiels pour la société, lenvironnement et léconomie.
Il y a bien longtemps que les employeurs et les travailleurs collaborent sur le lieu de travail en vue dy régler les questions de sécurité et de santé, et cette collaboration a largement démontré sa valeur. Il est intéressant de noter quà lorigine la sécurité et la santé au travail étaient considérées comme une prérogative exclusive des employeurs. Néanmoins, grâce aux efforts considérables des partenaires sociaux, la plupart des pays considèrent désormais que ces questions doivent faire lobjet dune collaboration bi- ou tripartite. En fait, de nombreux pays ont mis en place une législation exigeant la création de comités mixtes de sécurité et de santé au travail dans les entreprises.
Ici encore, pourtant, la sécurité et la santé au travail et lenvironnement ont visiblement évolué de concert. Lorsque les travailleurs et leurs syndicats ont fait valoir que les problèmes de sécurité et de santé au travail les concernaient directement, ils ont souvent été éconduits sous prétexte quils navaient pas les connaissances et les compétences techniques nécessaires à la compréhension ou au traitement de ces problèmes. Ils ont dû lutter pendant des années pour faire reconnaître leur rôle fondamental à cet égard dans lentreprise et insister sur le fait que, sagissant de leur sécurité et de leur santé, ils avaient le droit de prendre part aux décisions et pouvaient apporter un concours précieux. De même, de nombreux employeurs et leurs organisations ont fini par admettre les avantages dune telle collaboration. A lheure actuelle, travailleurs et syndicats sont souvent confrontés à des attitudes de rejet similaires de la part de certains employeurs, lorsquils revendiquent leur capacité et leur droit de contribuer à la protection de lenvironnement. Ici aussi, il faut noter cependant que ce sont les employeurs avisés et responsables de certains secteurs de pointe qui sont les premiers à reconnaître que les aptitudes, lexpérience et le bon sens des travailleurs peuvent contribuer à améliorer les résultats en matière denvironnement et qui privilégient une main-duvre bien formée, motivée, pleinement informée et engagée.
Pourtant, il est encore des employeurs pour affirmer que lenvironnement est du ressort exclusif de la direction et pour sopposer à la mise en place de comités mixtes pour la sécurité, la santé et lenvironnement ou spécialisés dans ce dernier domaine. Dautres, en revanche, reconnaissent la contribution pratique et cruciale quune action commune des employeurs et des travailleurs peut apporter à la définition et au respect par les entreprises de normes environnementales. Il ne sagit plus de sacquitter simplement de ses obligations légales, il faut prendre volontairement des mesures pour répondre aux besoins des populations locales, de la concurrence internationale, du marketing «vert» (faisant appel à des arguments écologiques), etc. Les politiques et programmes volontaires en matière denvironnement que mènent certaines associations de branche (par exemple, le Programme de gestion responsable (Responsible Care Programme) des industries chimiques) intègrent souvent de façon explicite des considérations de sécurité et de santé au travail et denvironnement. De même, les normes spécifiques et souvent volontaires quélaborent des organismes tels que lOrganisation internationale de normalisation (ISO) ont également eu une influence croissante sur la protection dans ces deux domaines.
Les résultats positifs dune collaboration entre les organisations demployeurs et de travailleurs ont également engendré de nouveaux partenariats et alliances qui vont au-delà des lieux de travail et veillent à ce que toutes les personnes intéressées par la sécurité, la santé et lenvironnement puissent participer de façon constructive à cette entreprise. LOIT a qualifié de «collaboration tripartite élargie» ce nouvel effort qui vise, au-delà du lieu de travail, à étendre la coopération aux collectivités locales, aux organisations non gouvernementales (ONG) de défense de lenvironnement et aux autres institutions uvrant à lamélioration du monde du travail.
Plusieurs questions se dessinent à lhorizon qui sont à la fois source de difficultés et doccasions de resserrer les liens entre la sécurité et la santé au travail et lenvironnement. Les petites et moyennes entreprises (PME) et le secteur urbain non structuré sont dun accès particulièrement difficile. Il suffit dévoquer les conséquences redoutables de lun des grands défis du XXIe siècle pour lenvironnement et le développement qui est celui de leau potable et de lassainissement. De nouvelles stratégies participatives sont à concevoir pour mieux faire passer le message sur les risques majeurs que de nombreuses activités font encourir aux travailleurs et à lenvironnement. Cependant, au-delà de ces risques, il y a là une nouvelle occasion daugmenter la productivité et les revenus des activités traditionnelles, ainsi quune possibilité de créer de nouvelles activités génératrices de revenus, directement liées à lenvironnement. Compte tenu des multiples liens directs et indirects existant entre le secteur structuré, les PME et le secteur urbain non structuré, des solutions innovantes sont à trouver pour favoriser léchange dexpériences sur les moyens daméliorer la sécurité et la santé au travail, ainsi que lenvironnement. Les organisations demployeurs et de travailleurs auraient là un rôle pratique non négligeable à jouer.
Autre préoccupation naissante, la pollution de lair à lintérieur des bâtiments. Nous avons eu tendance à axer les actions destinées à remédier aux conditions de travail malsaines sur les grands établissements industriels. Or, de nos jours, on constate que de nombreux bureaux et locaux à usage commercial peuvent poser de nouveaux problèmes de santé au travail en raison de la pollution de lair à lintérieur des bâtiments. Cette pollution est liée à lusage accru de produits chimiques et déquipements électroniques, à labsorption dair ambiant contaminé, à lutilisation de systèmes de climatisation et de ventilation fonctionnant en circuit fermé, ainsi quà la possibilité dune sensibilité accrue des travailleurs, comme en témoigne le nombre croissant de cas dallergie et dasthme. Les mesures à prendre pour sattaquer aux problèmes de pollution de lair à lintérieur des bâtiments devront désormais mieux intégrer les facteurs de sécurité et de santé au travail comme aussi denvironnement.
Jusquici, nous avons brièvement mis en évidence la corrélation passée et peut-être future entre la sécurité et la santé au travail et lenvironnement. Toutefois, ce point de vue devrait apparaître demblée comme relativement étroit si on le compare à lapproche globale et intégrée que constitue le concept de développement durable. Cette notion fut à la clé, pour ne pas dire le maître mot, des travaux préparatoires des négociations qui ont mené à Action 21, le plan daction pour le XXIe siècle adopté par la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro en juin 1992 (Robinson, 1993). Le concept de développement durable fait et continuera de faire lobjet dune vive polémique. Une grande partie du débat a porté sur laspect sémantique. Aux fins de notre article, le développement durable constitue à la fois un but et un processus. En tant que but, il appelle un développement qui réponde de façon équitable aux besoins des générations présentes et futures. En tant que processus, il appelle la mise en uvre de politiques qui tiennent compte non seulement des facteurs économiques, mais aussi environnementaux et sociaux.
Pour que ce concept global se traduise dans les faits, tous ces facteurs devront faire lobjet dune démarche analytique et de solutions nouvelles. Il est essentiel que la sécurité et la santé au travail soient un critère décisif dans lévaluation des futures décisions dinvestissement et de développement, et ce à tous les niveaux, du lieu de travail à la négociation des normes internationales. La protection des travailleurs ne devra pas être considérée comme un simple coût dexploitation parmi dautres, mais comme un facteur essentiel à la réalisation des objectifs économiques, environnementaux et sociaux qui font partie intégrante du développement durable. Cela signifie que les projets visant à la réalisation de tels objectifs considéreront la protection des travailleurs comme un investissement ayant un taux de rendement potentiellement positif. La protection des travailleurs ne saurait être limitée au seul lieu de travail, mais devrait tenir compte des relations entre le travail et la santé en général, les conditions de vie (eau, installations sanitaires, logement), les transports, la culture, etc. Les actions destinées à améliorer la sécurité et la santé au travail sont donc un préalable à la réalisation du développement économique et social dans les pays en développement, et non un luxe réservé aux pays riches.
Comme Michel Hansenne, alors Directeur général du Bureau international du Travail (BIT), le déclarait dans son Rapport à la Conférence internationale du Travail de 1990:
[ ] Il y a en fait une question centrale qui reparaît dans pratiquement toutes les discussions sur la politique en matière denvironnement, à savoir comment peut-on répartir équitablement les coûts et les avantages de laction pour la protection de lenvironnement. «Qui va payer les améliorations de lenvironnement?». Voilà une question qui doit être débattue et résolue à tous les niveaux du point de vue des consommateurs, des travailleurs et des employeurs aussi bien que de celui des institutions locales, nationales, régionales et internationales.
Pour lOIT, la manière dont ces coûts et avantages potentiels de laction en faveur de lenvironnement sont répartis peut avoir des implications sociales et humaines aussi importantes que les mesures adoptées elles-mêmes. Une distribution inéquitable à lintérieur des pays comme entre les pays des coûts et des avantages sociaux, économiques et écologiques du développement ne saurait donner lieu à un développement mondial durable. Elle pourrait au contraire accentuer la pauvreté, linjustice et les divisions (BIT, 1990).
Par le passé, et trop fréquemment encore de nos jours, les travailleurs ont payé une part inéquitable des coûts du développement économique: conditions déplorables de sécurité et de santé (comme lincendie tragique de la Kader Industrial Toy Company, en Thaïlande, qui coûta la vie à 188 travailleurs), salaires insuffisants (revenus ne permettant pas de satisfaire les besoins essentiels des familles nourriture, logement, éducation), absence de liberté syndicale, voire perte de la dignité humaine (par exemple, recours au travail forcé des enfants). De même, les travailleurs et les populations locales ont dû assumer une grande partie des coûts directs occasionnés par la dégradation quotidienne de lenvironnement ou les fermetures dusines pour des motifs écologiques. Noublions pas non plus que, tandis que les pays industriels sefforçaient surtout de trouver des parades à la perte potentielle demplois due aux législations et réglementations sur lenvironnement, des millions de personnes ont déjà perdu leurs moyens traditionnels dexistence ou les ont vus gravement obérés par suite de la désertification, du déboisement, des inondations et de lérosion des sols.
Le développement durable signifie que ces coûts écologiques et sociaux, autrefois «externalisés» par lindustrie et la société, doivent désormais être pris en charge par lentreprise et répercutés sur les prix des produits et des services. Ce processus d«internalisation» est maintenant encouragé par les forces du marché et les associations de consommateurs, par de nouvelles lois et réglementations, dont les instruments économiques, ainsi que par des décisions prises par les entreprises elles-mêmes. Toutefois, pour réussir, cette intégration des coûts sociaux et écologiques réels de la production et de la consommation exigera une nouvelle approche de la collaboration, de la communication et de la participation aux décisions. Les organisations de travailleurs et demployeurs ont un rôle primordial à jouer dans ce processus et devraient également avoir leur mot à dire dans sa conception, sa mise en application et sa surveillance.
Attirons ici lattention sur les efforts diplomatiques menés pour assurer le suivi de la CNUED et faciliter lexamen des déséquilibres actuels dans les schémas mondiaux de production et de consommation. Le chapitre 4 du programme Action 21, intitulé «Modification des modes de consommation», déclare que des mesures devront être prises pour réaliser les objectifs ci-après:
Il reconnaît aussi la nécessité daugmenter considérablement la consommation de base de millions de personnes dans le monde qui vivent dans une pauvreté et une détresse extrêmes. Les négociations et pourparlers en cours à la Commission du développement durable des Nations Unies promettent dêtre très lentes et complexes. Elles pourraient néanmoins entraîner des changements significatifs dans les modèles actuels de production et de consommation, particulièrement dans certains grands secteurs industriels de nos économies, dont lindustrie chimique, lénergie et les transports. Elles auront également des répercussions marquantes sur les échanges internationaux, ainsi que sur les pratiques de sécurité et de santé au travail et denvironnement dans tous les pays, développés ou non, de même que sur de nombreux autres domaines du monde du travail, notamment lemploi, les revenus et la formation.
Bien que pour lheure ces questions soient abordées au niveau mondial, il est évident que cest dans chaque entreprise quelles devront trouver une application pratique. Cest pourquoi il est essentiel que cette négociation globale reflète la réalité, cest-à-dire les contraintes et les possibilités existant sur tous les lieux de travail de la planète. Avec la mondialisation de nos économies et les changements rapides dans lorganisation et la structure des lieux de travail (par exemple, la sous-traitance, le travail à temps partiel, le travail à domicile, le télétravail) et, surtout, la nouvelle façon denvisager le travail, les moyens dexistence et lemploi lui-même au XXIe siècle, la tâche ne sera pas aisée. Pour réussir, ce processus devra obtenir à chaque étape ladhésion tripartite des gouvernements et des organisations demployeurs et de travailleurs. De toute évidence, cette approche, qui part de la base, sera déterminante pour guider les efforts nationaux et internationaux visant à mettre en place des modes de production et de consommation capables dassurer un développement durable.
Les articles du présent chapitre portent sur les actions à mener aux niveaux national et international et sur les instruments politiques servant à améliorer lenvironnement. Il est clair, cependant, que les mesures politiques les plus importantes ne seront pas prises à léchelon national ou international, voire local, bien quelles aient toutes un rôle essentiel à jouer. Les vrais changements doivent et vont intervenir dans lentreprise et sur le lieu de travail. Ce sont les dirigeants des grandes sociétés multinationales comme des petites affaires familiales, les exploitants agricoles et les travailleurs indépendants du secteur non structuré qui donneront une impulsion au développement durable et le mèneront à bien. Le changement ne sera possible quà la faveur dune prise de conscience et dune action conjointe des employeurs et des travailleurs dans les entreprises et dans dautres secteurs intéressés (collectivités locales, ONG, etc.) visant à intégrer la sécurité et la santé au travail et lenvironnement dans les objectifs généraux et lordre de priorité de lentreprise. Malgré lampleur du défi, nous pouvons imaginer toute la panoplie des mesures, formelles ou non, adoptées dans les entreprises, appliquées et contrôlées conjointement par la direction, les travailleurs et les autres parties intéressées.
La sécurité et la santé au travail ont bien évidemment une forte incidence sur la réalisation de lensemble de nos objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Elles doivent par conséquent sinscrire en bonne place dans ce processus complexe visant à instaurer un développement durable. Après la CNUED, tous les gouvernements ont été appelés à mettre au point leurs propres stratégies et plans nationaux de développement durable en conformité avec le programme Action 21. Les objectifs environnementaux sont déjà considérés comme faisant partie intégrante de ce processus. Il reste cependant beaucoup à faire avant que les objectifs de sécurité et de santé au travail et demploi et les buts sociaux deviennent une partie explicite et intrinsèque de ce processus et que les appuis économiques et politiques nécessaires à leur réalisation soient mobilisés.
Nous tenons à remercier ici de leur soutien technique, de leurs conseils, commentaires et encouragements nos collègues ainsi que les gouvernements, employeurs et travailleurs qui, dans le monde entier, sont fortement engagés et compétents dans ce domaine. Notre reconnaissance sadresse tout particulièrement aux principaux représentants des organisations suivantes: Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de lénergie et des industries diverses (International Federation of Chemical, Energy and General Workers Unions (ICEF)), Congrès du travail du Canada (CTC), Syndicat canadien des communications, de lénergie et du papier, Union internationale des journaliers dAmérique du Nord (Labourers International Union of North America (LIUNA), qui tous ont insisté sur le besoin urgent dune action dans ce domaine.
La relation entre la santé et lenvironnement des êtres humains est connue depuis des temps immémoriaux. Ce principe remonte à Hippocrate, qui enjoignait à ses élèves de «sintéresser à lair, à leau, et aux autres lieux» sils voulaient comprendre lorigine de létat de santé et des maladies de leurs patients (Lloyd, 1983).
Cette idée antique du lien entre la santé humaine et lenvironnement a persisté. Son degré dacceptation par la société a été influencé par trois facteurs: le progrès des connaissances scientifiques du corps humain, la capacité de guérir les maladies et lévolution parallèle des idées scientifiques, religieuses et culturelles.
Lenvironnement en tant que facteur de santé ou de maladie de couches entières de la population a fait lobjet dune attention croissante pendant la révolution industrielle. Cette tendance se poursuit encore aujourdhui, soutenue par le développement des sciences environnementales et des techniques permettant détablir des liens de causalité et dévaluer les risques.
Cest dabord sur le lieu de travail que le lien de cause à effet entre santé et environnement a été clairement établi. Cest là également que les conséquences de laugmentation de la quantité et de la variété des polluants, consécutive à la diversification des processus industriels, se sont fait sentir en premier lieu. Cependant, ces polluants ne se limitent pas au milieu de travail. Une fois rejetés, leur itinéraire peut devenir plus difficile à suivre ou à reconstituer, mais il aboutit inévitablement dans la nature: les polluants sont présents dans le sol, leau et lair des endroits les plus reculés. La santé humaine est à son tour affectée par la pollution de lenvironnement naturel, quelle soit dorigine locale, nationale ou transfrontalière. Au côté des autres types de dégradation de lenvironnement, qui provoquent un appauvrissement des ressources naturelles dans le monde, linteraction entre létat de lenvironnement et la santé publique confère à cette pollution une dimension planétaire.
Il est donc indéniable que la qualité du milieu de travail et celle de lenvironnement naturel sont indissociables. Les solutions durables apportées à lun de ces deux problèmes ne peuvent être couronnées de succès que si elles sont conçues pour les deux à la fois.
La formulation de politiques destinées à préserver et à améliorer à la fois lenvironnement naturel et le milieu de travail est un préalable nécessaire à une bonne gestion de lenvironnement. Or, les politiques restent lettre morte si elles ne sont pas appliquées, et leur mise en uvre ne peut se faire quen transformant les principes en règles de droit. De ce point de vue, le droit se met au service de la politique en lui donnant un caractère concret et permanent grâce à une législation appropriée.
La législation, à son tour, établit un cadre structurel qui nest utile quune fois mis en application et respecté. Ces deux conditions dépendent des contextes politique et social: sans le soutien du public, elles risquent dêtre inefficaces.
Cest pourquoi la promulgation, la mise en application et lexécution de la législation sur lenvironnement dépendent dans une large mesure de la compréhension et de lacceptation des règles établies par ceux à qui elles sadressent, doù limportance dune diffusion de linformation et des connaissances sur lenvironnement auprès du public en général, ainsi que de groupes cibles spécifiques.
Le rôle du droit dans le domaine de lenvironnement, comme dans beaucoup dautres, est double: premièrement, il crée des règles et des conditions favorables au contrôle ou à la prévention des dommages causés à lenvironnement ou à la santé humaine; ensuite, il propose des solutions à des situations dans lesquelles un dommage sest produit malgré tout.
La réglementation de lutilisation des sols constitue un élément essentiel du droit de lenvironnement et un préalable à la maîtrise et à la valorisation des terres, ainsi quà lutilisation des ressources naturelles. La question est généralement de savoir si un espace particulier peut être affecté à un autre usage, étant entendu que la jachère est aussi une forme dexploitation du sol.
La planification permet de déterminer au mieux la localisation des activités humaines (là où elles causent le moins de dégâts), qui sont également soumises à des restrictions. Ces deux objectifs sont généralement atteints par lobligation dautorisation préalable.
Lautorisation préalable est un terme générique désignant toute forme dautorisation ou de licence devant être obtenue auprès dune autorité compétente avant dentreprendre certaines activités.
La première étape consiste à faire définir par la loi les activités des secteurs privé et public qui doivent faire lobjet dune autorisation préalable. Plusieurs approches sont possibles et ne sexcluent pas lune lautre:
Le contrôle à la source . Lorsquune catégorie de sources de dommages à lenvironnement est clairement identifiable, elle est généralement soumise à une autorisation préalable en tant que telle (cest le cas de toutes les catégories dinstallations industrielles et de véhicules à moteur).
Le contrôle des substances . Lorsquune substance ou une catégorie de substances particulières sont identifiées comme étant potentiellement nuisibles à lenvironnement, leur utilisation ou leur rejet dans lenvironnement peuvent faire lobjet dune autorisation préalable.
La maîtrise du milieu et la lutte intégrée contre la pollution . La maîtrise du milieu consiste à protéger une composante spécifique de lenvironnement (air, eau, sol). Elle peut avoir pour effet de reporter la nuisance sur un autre milieu et, par conséquent, échouer dans lobjectif de réduction du niveau général de nuisance, voire augmenter ce dernier. Cela a conduit à lélaboration de systèmes coordonnés dautorisation préalable, dans lesquels toutes les sources de pollution et tous les milieux récepteurs sont pris en considération avant loctroi dune autorisation globale unique.
Les normes environnementales fixent des limites maximales admissibles pouvant être imposées directement par une loi ou, indirectement, sous forme de conditions dobtention dune autorisation. Ces limites peuvent concerner soit les effets, soit les causes des dommages à lenvironnement:
Toute une gamme de facteurs, incluant la nature du polluant, le milieu récepteur et létat des techniques, déterminent le type de norme le plus approprié. Dautres considérations jouent également un rôle important: létablissement de normes constitue un moyen de réaliser un équilibre entre ce qui est souhaitable du point de vue de lenvironnement, dans un lieu donné et à un moment donné, et la faisabilité sur le plan socio-économique dun objectif écologique précis.
Il va sans dire que plus les normes sont strictes, plus les coûts de production sont élevés. Cest pourquoi différentes normes appliquées dans différents endroits dun Etat ou entre Etats exercent une forte influence sur la détermination des avantages ou des désavantages compétitifs et peuvent constituer des barrières non tarifaires aux échanges, doù lopportunité de rechercher une harmonisation aux niveaux régional ou mondial.
Les contrôles subis volontairement peuvent être utilisés comme des mesures complémentaires ou des solutions de remplacement aux techniques contraignantes. Ils consistent généralement à fixer des valeurs recommandées (plutôt quobligatoires) et à proposer des mesures économiquement incitatives ou dissuasives pour les faire respecter.
Le but dune mesure incitative (comme une autorisation damortissement accéléré, un allégement fiscal ou une subvention) est de récompenser et, par conséquent, de provoquer un comportement ou une activité favorables à lenvironnement. Ainsi, au lieu dimposer un certain niveau démission par la méthode du «bâton», on offre la «carotte» davantages économiques.
Le but dune mesure dissuasive (par exemple, une taxe de déversement ou démission) est de provoquer un comportement respectueux de lenvironnement afin de ne pas payer la taxe en question.
Dautres moyens encouragent lobservation de valeurs recommandées: on peut, par exemple, instaurer des procédures doctroi d«écoétiquettes» ou de labels écologiques, ou offrir des avantages commerciaux lorsque les consommateurs sont sensibles aux problèmes denvironnement.
Ces types daction volontaire sont souvent cités comme des solutions de remplacement aux mesures dordre «législatif»; cest oublier que les mesures incitatives et dissuasives ont également été créées par la loi!
Dans les cas où les mesures de gestion de lenvironnement peuvent être imposées par lautorité compétente (par exemple, par un mécanisme dautorisation préalable), les dispositions légales confèrent généralement à celle-ci des pouvoirs dexécution. Il existe toute une palette de techniques disponibles: sanctions financières (par exemple, par jour) jusquà lexécution de lobligation, exécution des mesures requises (comme la construction de filtres) aux frais de lintéressé; fermeture de linstallation pour non-respect des obligations administratives.
Tout régime juridique prévoit des moyens de contester ces mesures. De même, il est important doffrir la possibilité aux autres parties (par exemple, les organisations non gouvernementales représentant lintérêt général) dattaquer les décisions de lautorité compétente. Dans ce dernier cas, ce nest pas seulement laction de ladministration qui devrait pouvoir être contestée, mais aussi son inaction.
Une législation imposant certaines normes ou conduites en matière denvironnement dispose généralement que le non-respect des règles établies, de façon intentionnelle ou non, constitue une infraction et détermine le type de sanctions pénales à appliquer dans chaque cas. Ces sanctions peuvent être financières (amendes) ou, dans les cas graves, entraîner une peine de prison, voire une combinaison des deux. Les sanctions pour infraction aux normes sur lenvironnement dépendent du système pénal de chaque pays; cest ainsi quelles sont souvent appliquées par référence au principal instrument de droit pénal, cest-à-dire au code pénal, qui peut aussi contenir un chapitre sur les infractions en matière denvironnement. Les sanctions pénales peuvent être demandées par ladministration ou par une partie lésée.
La législation de nombreux pays sest vu reprocher de ne pas considérer certaines fautes en matière denvironnement comme des infractions dordre pénal, ou dimposer des sanctions excessivement légères. Bien souvent, si le quantum des sanctions est inférieur au coût dinternalisation des mesures de gestion de lenvironnement, les coupables peuvent préférer prendre le risque dune sanction pénale, en particulier si elle a toutes les chances dêtre une simple amende. Cela est particulièrement vrai lorsquil existe une carence dans lexécution et que lapplication des normes environnementales est laxiste ou indulgente, comme cest souvent le cas.
Les règles de tout système juridique applicables à la responsabilité pour dommages causés sappliquent naturellement aussi aux atteintes à la santé et à lenvironnement. Cela suppose généralement quune indemnisation en nature ou en espèces nest due que sil est prouvé que le dommage a été causé directement par la faute dun ou de plusieurs auteurs.
Dans le domaine de lenvironnement, les difficultés dapplication de ces principes sont nombreuses et ont poussé un nombre croissant de pays à adopter des lois spéciales sur la responsabilité en la matière. Elles prévoient une responsabilité sans faute et, par conséquent, une indemnisation indépendante des circonstances ayant occasionné le dommage. Dans ces cas, cependant, un certain plafond monétaire est généralement fixé afin de permettre une couverture par lassurance, que la loi peut également rendre obligatoire.
Ces régimes spéciaux sefforcent également de mieux assurer la réparation dans les cas de dommage infligé à lenvironnement per se (un dommage écologique par opposition au dommage économique), nécessitant généralement la remise en état de lenvironnement chaque fois que la nature du dommage le permet. Dans un tel scénario, les dommages-intérêts ne sont dus que si la remise en état est impossible.
Tout le monde ne peut pas engager une action pénale ou demander réparation. Celle-ci ne peut traditionnellement être intentée que par ladministration ou une personne physique ou morale directement affectée par une certaine situation. Il ne suffit pas que lenvironnement soit atteint, étant donné que la plupart des dommages subis par celui-ci ne sont pas directement liés à des intérêts individuels. Il est donc important que les systèmes juridiques accordent à des «représentants» de lintérêt public le droit dintenter un procès à ladministration pour défaut ou insuffisance daction, ou de poursuivre les particuliers et les entreprises pour avoir enfreint la loi ou causé un dommage à lenvironnement. Cela peut se faire de différentes façons: des organisations non gouvernementales peuvent être désignées à cet effet; le système juridique peut prévoir une action collective ou individuelle en justice, etc. Le droit dintenter un procès pour défendre lintérêt public, plutôt que le seul intérêt dun propriétaire, est lun des éléments les plus importants des législations modernes sur lenvironnement.
Une bonne législation sur lenvironnement est une condition préalable à la réalisation et au maintien du niveau désiré de la qualité de lenvironnement, naturel et professionnel.
Une «bonne» législation sur lenvironnement risque dêtre difficile à définir. Certains souhaitent un déclin des méthodes autoritaires et leur remplacement par des techniques dincitation plus «douces» mais, dans la pratique, il nexiste pas de recette pour décider des points à inscrire dans la loi. Limportant est toutefois de faire correspondre la législation avec la situation particulière des pays intéressés, en adaptant les principes, méthodes et techniques disponibles à leurs besoins, possibilités et traditions juridiques.
Cela est dautant plus vrai à une époque où bon nombre de nations en développement et déconomies en transition cherchent à se doter de «bonnes» législations sur lenvironnement, ou à adapter leur législation existante. Malgré tout, dans la poursuite de cet objectif, des législations adaptées à un certain contexte juridique, économique et social, qui est souvent celui des pays industriels, sont trop souvent importées comme modèles dans des pays et des systèmes juridiques où elles sont totalement inappropriées.
Par conséquent, pour être utile, une législation sur lenvironnement efficace doit prendre en compte les particularités de chaque pays.
La publicité qui a entouré la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED), ayant eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a confirmé la place centrale que les questions touchant lenvironnement, comme le réchauffement du climat et la diminution de la diversité biologique, occupent dans la politique mondiale. En fait, les vingt années qui se sont écoulées entre la Conférence de Stockholm sur lenvironnement de 1972 et la CNUED de 1992 ont connu, outre une prise de conscience croissante des menaces que les activités humaines font peser sur lenvironnement à léchelle locale et mondiale, une forte augmentation du nombre dinstruments juridiques internationaux y relatifs (signalons, parmi les nombreux recueils de traités sur lenvironnement: Burhenne, 1974; Hohmann, 1992; Kiss, 1983; Molitor, 1991; Rummel-Bulska et Osafo, 1991. Pour une appréciation qualitative, voir Sand, 1992).
Rappelons que les deux sources principales du droit international, telles que définies par le Statut de la Cour internationale de Justice (1945) sont les conventions internationales et la coutume internationale (art. 38 (1) du Statut). Le droit coutumier international résulte des pratiques des Etats répétées dans le temps et acceptées comme étant la règle de droit. Bien que de nouvelles règles coutumières puissent apparaître assez rapidement, la promptitude avec laquelle les problèmes mondiaux denvironnement se sont emparés du calendrier politique a eu tendance, dans lévolution des normes juridiques, à reléguer au second plan le droit coutumier, après les conventions ou les traités. Bien que certains principes fondamentaux, tels que lutilisation équitable des ressources communes (sentence arbitrale dans laffaire du lac Lanoux) (Lac Lanoux Arbitration, 1957) ou lobligation de ne pas autoriser des activités portant préjudice à lenvironnement dun autre Etat (sentence arbitrale dans laffaire de la fonderie de Trail) (Trail Smelter Arbitration, 1939, 1941), puissent être attribués à des décisions fondées sur le droit coutumier, les traités sont sans aucun doute le principal fondement auquel la communauté internationale a recouru pour réglementer les activités menaçant lenvironnement. Un autre aspect important de la réglementation internationale sur ce sujet est le développement des règles de «soft law» (droit nayant pas caractère obligatoire): il sagit dinstruments juridiquement non contraignants qui établissent des lignes directrices ou des recommandations pour les actions à venir, ou par lesquels les Etats sengagent politiquement à atteindre certains objectifs. Ces instruments se transforment parfois en instruments juridiques formels ou sont associés à des instruments ayant force obligatoire, comme les décisions des parties à une convention (pour limportance du droit nayant pas force obligatoire dans le droit international de lenvironnement, voir Freestone, 1994). De nombreux recueils de documents sur le droit international de lenvironnement évoqués ci-dessus contiennent des instruments de ce type.
Nous donnerons ici un bref aperçu des principales conventions internationales portant sur lenvironnement. Bien quun tel inventaire énumère de préférence les conventions de portée mondiale, il ne faut pas négliger limportant réseau daccords régionaux et bilatéraux qui ne cesse de sétendre (pour une présentation systématique du droit international de lenvironnement, voir Kiss et Shelton, 1991; Birnie et Boyle, 1992; Churchill et Freestone, 1991).
Avant la Conférence de Stockholm de 1972, la majorité des conventions sur lenvironnement portaient sur la préservation des espèces sauvages. Les toutes premières conventions protégeant les oiseaux (par exemple, la convention pour la protection des oiseaux utiles à lagriculture, 1902 (Convention for the Protection of Birds Useful to Agriculture, 1902) (voir Lyster, 1985) revêtent un intérêt purement historique. Les conventions sur la protection de la nature en général sont plus importantes à long terme, bien que la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, 1946 (et son protocole de 1956) soit particulièrement remarquable pour lépoque; avec le temps, le centre dintérêt sest bien sûr déplacé de lexploitation vers la préservation. Une convention davant-garde en termes de protection est la convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles, Alger, 1968, qui, malgré son approche exhaustive et innovante de la conservation, a eu le tort, comme de nombreuses autres conventions, de ne pas créer de structure administrative pour en assurer lapplication. A noter également un instrument qui a eu beaucoup plus de succès, la convention relative aux zones humides dimportance internationale, particulièrement comme habitats de la sauvagine, Ramsar, 1971, qui a créé un réseau de zones humides protégées dans les territoires des Etats parties.
Dautres réalisations de cette période sont également dignes dintérêt: il sagit des premières conventions internationales sur la pollution par les hydrocarbures. La convention internationale pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures (OILPOL), 1954, telle que modifiée en 1962 et en 1969, a innové en créant un cadre réglementaire pour le transport maritime des hydrocarbures; mais les premières conventions qui ont prévu une action durgence et une indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ont été adoptées en réaction au premier accident mondial majeur causé par un pétrolier, le naufrage du navire libérien Torrey Canyon au large des côtes du sud-ouest de lAngleterre, en 1967. La convention internationale sur lintervention en haute mer en cas daccident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures, 1969, autorise les Etats riverains à entreprendre une action durgence au-delà des eaux territoriales. Des instruments analogues, la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 1969, et la convention internationale portant création dun fonds international dindemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 1971, signées à Bruxelles, ont jeté les bases juridiques fondant les demandes dindemnisation contre les propriétaires et les exploitants de pétroliers, et créé un fonds international dindemnisation (notons également les importants dispositifs volontaires dindemnisation par cette branche dactivité, tels que TOVALOP, accord volontaire entre armateurs de navires-citernes relatif à la responsabilité due à la pollution par les hydrocarbures, et CRISTAL; voir Abecassis et Jarashow, 1985.)
Entre 1972 et 1992 les instruments de droit international de lenvironnement ont connu un accroissement surprenant en nombre et en diversité. Une grande partie en est directement imputable à la Conférence de Stockholm. La célèbre Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement (ONU, 1972) ne sest pas contentée détablir certains principes, dont la majorité sont de lege ferenda (cest-à-dire quils sont à transformer en loi nationale), mais elle a élaboré aussi un plan daction pour lenvironnement en 109 points et une résolution qui recommande sa mise en application institutionnelle et financière par lOrganisation des Nations Unies (ONU). Ces recommandations ont abouti à linstitution, par une résolution de lAssemblée générale de lONU (ONU, 1972), du Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE) dont le siège est à Nairobi. Le PNUE est directement responsable dun certain nombre de traités internationaux fondamentaux sur lenvironnement et de la mise au point de limportant Programme sur les mers régionales, qui a tissé un réseau de quelque huit conventions-cadres régionales sur la protection de lenvironnement marin, chacune accompagnée de protocoles destinés à satisfaire les besoins particuliers des régions. Un certain nombre de nouveaux programmes régionaux sont encore en cours délaboration.
Pour donner une idée du grand nombre de conventions sur lenvironnement adoptées pendant cette période, nous les classerons en trois catégories: la conservation de la nature; la protection du milieu marin; la réglementation des impacts transfrontières sur lenvironnement.
Cette période a vu ladoption de plusieurs traités sur la conservation de la nature, tant au niveau mondial que régional. Sur le plan mondial, il convient de noter en particulier la convention de lUNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 1972, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées dextinction, Washington, 1973, et la convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, 1979 (Bonn Convention on the Conservation of Migratory Species of Wild Animals, 1979). Au niveau régional, signalons la convention pour la protection de lenvironnement entre le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède, 1974, la convention pour la conservation de la nature dans le Pacifique Sud, 1976 (Convention on Conservation of Nature in the South Pacific, 1976) (convention dApia, dans Burhenne, 1974) et la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de lEurope, Berne, 1979. Citons également la directive européenne 79/409 concernant la conservation des oiseaux sauvages (CCE, 1979), telle que modifiée et complétée par la directive 92/43 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (CCE, 1992), la convention pour la conservation et la gestion de la vigogne, 1979 (Convention for the Conservation and Management of the Vicuna, 1979) et laccord de lANASE sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, 1985 (ASEAN Agreement on the Conservation of Nature and Natural Resources, 1985) (voir Kiss et Shelton, 1991) (signalons aussi les traités relatifs à lAntarctique zone appartenant au patrimoine commun de lhumanité et ne relevant de la juridiction daucun Etat: la convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de lAntarctique, Canberra, 1980, la convention de Wellington sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de lAntarctique, 1988 (Wellington Convention on the Regulation of Antarctic Mineral Resource Activities, 1988), et le protocole au Traité de lAntarctique sur la protection de lenvironnement, signé à Madrid en 1991 (Protocol to the Antarctic Treaty on Environmental Protection, 1991).
Les négociations de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III) ont commencé en 1973 et ont duré neuf ans avant daboutir à la convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer, 1982 (Montego Bay Convention on the Law of the Sea (LOSC), 1982); la Partie XII trace un cadre général pour la réglementation des questions denvironnement marin, dont les rejets par les navires et la pollution dorigine tellurique, et établit certaines obligations générales concernant la protection du milieu marin.
LOrganisation maritime internationale (OMI) a été à lorigine de trois grands instruments qui traitent ces questions dans le détail: la convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de limmersion de déchets, Londres, 1972, et la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, 1973 (International Convention for the Prevention of Pollution from Ships, 1973), telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (MARPOL, 1973/78); la convention internationale sur la préparation, lintervention et la coopération en cas de pollution par les hydrocarbures (International Convention on Oil Pollution Preparedness, Response and Cooperation, 1991) a créé en 1990 un cadre juridique mondial pour la collaboration et lassistance en cas de déversements importants dhydrocarbures. Dautres conventions maritimes qui, à lorigine, ne concernent pas lenvironnement sont toutefois dignes dêtre mentionnées ici: la convention sur le règlement international pour prévenir les abordages en mer, Londres, 1972; la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, Londres, 1974; la convention internationale de lOIT (no 147) sur la marine marchande (normes minima), 1976 [et Protocole, 1996], et la convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, Londres, 1978.
La convention de Londres de 1972 a adopté une approche désormais courante en répertoriant, à lAnnexe I, les substances qui ne peuvent être déversées dans locéan et, à lAnnexe II, celles qui ne peuvent lêtre quavec une autorisation. La structure de la réglementation, qui oblige les Etats signataires à faire respecter ces obligations par tout navire chargeant dans leurs ports ou arborant leur pavillon dans nimporte quel endroit du monde, a progressivement durci son régime et les parties ont désormais effectivement cessé dimmerger en mer des déchets industriels. La convention MARPOL 1973/78, qui remplace la convention OILPOL de 1954, établit le principal régime applicable à la pollution provenant de navires de toutes sortes, y compris les pétroliers. MARPOL oblige les Etats dont les navires arborent le pavillon à imposer des contrôles sur les rejets volontaires de toutes les substances classées tels quils résultent de lexploitation. Le régime MARPOL a été modifié en 1978 de sorte quil sétend progressivement, dans ses cinq Annexes, aux différentes sources de pollution par les navires. Toutes les Annexes sont à présent en vigueur et couvrent les hydrocarbures (Annexe I), les substances liquides nocives (Annexe II), les déchets sous emballage (Annexe III), les eaux usées (Annexe IV) et les ordures ménagères (Annexe V). Des normes plus strictes sont appliquées dans des zones spéciales convenues par les parties.
A un niveau régional, le programme pour les mers régionales du PNUE constitue un réseau étendu, bien quincomplet, de traités de protection des mers. Il couvre: la Méditerranée (convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, Barcelone, 1976, et ses protocoles adoptés en 1976 (2), en 1980 et en 1982); la région du Golfe (convention régionale de Koweït pour la coopération en vue de la protection du milieu marin contre la pollution, 1978, et ses protocoles adoptés en 1978, en 1989 et en 1990); lAfrique de lOuest (convention dAbidjan relative à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de lAfrique de lOuest et du Centre, 1981 (Convention for Co-operation in the Protection and Development of the Marine and Coastal Environment of the West and Central African Region, Abidjan, 1981), et son protocole de 1981); le Pacifique du Sud-Est (convention de Lima concernant la protection de lenvironnement marin et des aires côtières du Pacifique du Sud-Est, 1981 (Convention for the Protection of the Marine Environment and Coastal Areas of the South-East Pacific, Lima, 1981), et ses protocoles adoptés en 1981, en 1983 (2) et en 1989); la mer Rouge (convention régionale de Djeddah pour la conservation du milieu marin de la mer Rouge et du golfe dAden, 1982 (Regional Convention for the Conservation of the Red Sea and Gulf of Aden Environment, Jeddah, 1982), et son protocole de 1982); les Caraïbes (convention de Carthagène sur la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, 1983 (Convention for the Protection and Development of the Marine Environment of the Wider Caribbean Region, Cartagena, 1983), et ses protocoles adoptés en 1983 et en 1990); lAfrique de lEst (convention de Nairobi relative à la protection, à la gestion et à la mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de lAfrique de lEst, 1985 (Convention for the Protection, Management and Development of the Marine and Coastal Environment of the East African Region, Nairobi, 1985), et ses deux protocoles adoptés en 1985); le Pacifique Sud (convention de Nouméa sur la protection des ressources naturelles et de lenvironnement de la région du Pacifique Sud, 1986 (Convention for the Protection of the Natural Resources and Environment of the South Pacific Region, Noumea, 1986), et ses deux protocoles adoptés en 1986) (pour les textes de toutes les conventions citées ci-dessus et de leurs protocoles, ainsi que pour les détails des programmes en cours détablissement, voir Sand, 1987). Ces traités sont complétés par des protocoles couvrant une large gamme de domaines, dont la réglementation de la pollution dorigine tellurique, la pollution des océans par les opérations dimmersion, la pollution provenant de larrêt définitif des plates-formes de forage pétrolier en mer, les régions faisant lobjet dune protection particulière et la protection des espèces sauvages.
Dautres régimes régionaux ont été instaurés, en dehors du PNUE, notamment dans lAtlantique Nord-Est, où un réseau très complet dinstruments régionaux couvre la réglementation des rejets en mer (convention pour la prévention de la pollution marine par les opérations dimmersion effectuées par les navires et les aéronefs, Oslo, 1972, et ses protocoles adoptés en 1983 et en 1989); la pollution dorigine tellurique (convention de Paris pour la prévention de la pollution marine dorigine tellurique, 1974 (Paris Convention for the Prevention of Marine Pollution from Land Based Sources, 1974), et son protocole de 1986); la surveillance et la coopération en matière de lutte contre la pollution par les hydrocarbures (accord de Bonn concernant la coopération en matière de lutte contre la pollution de la mer du Nord par les hydrocarbures et autres substances dangereuses, 1983 (Bonn Agreement for Co-operation in Dealing with Pollution of the North Sea by Oil and other Harmful Substances, 1983), tel que modifié en 1989); linspection des navires pour la sécurité et la protection du milieu marin (mémorandum dentente de Paris sur le contrôle de lEtat du port dans lexécution des accords sur la sécurité maritime et la protection du milieu marin, ainsi que la protection de la nature et des zones de pêche, 1982 (Paris Memorandum of Understanding on Port State Control in Implementing Agreements on Maritime Safety and Protection of the Marine Environment, 1982) (voir Freestone et Ijlstra, 1991)). Notons également la nouvelle convention de Paris pour la protection du milieu marin de lAtlantique Nord-Est (Paris, Convention for the Protection of the Marine Environment of the North-East Atlantic, 1992), qui remplace les conventions dOslo et de Paris (le texte est analysé dans Hey, Ijlstra et Nollkaemper, 1993); la convention dHelsinki sur la protection du milieu marin dans la zone de la mer Baltique, 1974 (Helsinki Convention on the Protection of the Marine Environment of the Baltic Sea Area, 1974), a été révisée en 1992 (le texte est analysé dans Ehlers, 1993); une nouvelle convention a été établie pour la mer Noire (convention de Bucarest relative à la protection de la mer Noire contre la pollution, 1992 (Bucharest Convention on the Protection of the Black Sea Region Against Pollution, 1992); voir également la déclaration ministérielle dOdessa relative à la protection de la mer Noire, 1993 (Odessa Ministerial Declaration on the Protection of the Black Sea, 1993).
Aux termes du Principe 21 de la Déclaration de Stockholm, «les Etats ont [ ] le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à lenvironnement dans dautres Etats ou dans des régions ne relevant daucune juridiction nationale». Bien quil soit actuellement largement considéré comme un principe de droit coutumier international, il appelle un grand travail délaboration avant de pouvoir constituer la base de la réglementation de ces activités. Des crises très médiatisées ont favorisé ladoption des conventions internationales sur des thèmes tels que la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, la protection de la couche dozone, la notification et la coopération en cas daccident nucléaire, les mouvements transfrontières de déchets dangereux et les changements climatiques mondiaux.
La pollution atmosphérique à longue distance en Europe est un sujet qui a été abordé pour la première fois à Genève, en 1979 (convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance). Il sagit toutefois dune convention-cadre dont lobjectif modeste était de «limiter et, autant que possible, de réduire graduellement et de prévenir la pollution atmosphérique, y compris la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance». Des progrès substantiels nont été accomplis dans la réglementation des émissions de substances spécifiques quavec lélaboration des protocoles, qui sont désormais au nombre de quatre: le protocole de Genève relatif au financement à long terme du programme concerté de surveillance continue et dévaluation du transport à longue distance des polluants atmosphériques en Europe, 1984 (Geneva Protocol on Long-term Financing of the Co-operative Programme for Monitoring and Evaluation of the Long-range Transmission of Air Pollution in Europe, 1984), a créé un réseau de stations de surveillance de la qualité de lair; le protocole dHelsinki relatif à la réduction des émissions de soufre et de leurs flux transfrontières dau moins 30% dici à 1993, 1985 (Helsinki Protocol on the Reduction of Sulphur Emissions Aimed to Reduce Sulphur Emissions by 30% by 1993, 1985); le protocole de Sofia relatif à la lutte contre les émissions doxydes dazote ou leurs flux transfrontières, 1988 (Sofia Protocol Concerning the Control of Emissions of Nitrogen Oxides of their Transboundary Fluxes, 1988), désormais remplacé par le deuxième protocole dOslo sur le soufre, 1994 (Second Sulphur Protocol, Oslo, 1994) prévoyait un gel dici à 1994 des émissions nationales doxydes dazote à leur niveau de 1987; le protocole de Genève relatif à la lutte contre les émissions de composés organiques volatils ou leurs flux transfrontières, 1991 (Geneva Protocol Concerning the Control of Emissions of Volatile Organic Compounds or their Transboundary Fluxes, 1991) proposait un choix de mesures à cet effet.
La catastrophe de Tchernobyl en 1986 avait attiré lattention de lopinion publique sur les conséquences transfrontières des accidents nucléaires, mais des conventions antérieures avaient déjà abordé un certain nombre de questions relatives aux risques provenant des dispositifs nucléaires, dont la convention sur la responsabilité civile dans le domaine de lénergie nucléaire, 1960, et la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, 1963. Notons également le Traité interdisant les essais darmes nucléaires dans latmosphère, dans lespace extra-atmosphérique et sous leau, 1963. La convention de Vienne de 1980 sur la protection physique des matières nucléaires (Vienna Convention on the Physical Protection of Nuclear Material, 1980) avait tenté détablir des normes pour protéger les matières nucléaires dun certain nombre de menaces, y compris le terrorisme. Dans le sillage de Tchernobyl, deux nouveaux instruments ont été adoptés à Vienne en 1986: la convention sur la notification rapide dun accident nucléaire (Vienna Convention on the Early Notification on a Nuclear Accident, 1986b) et la convention sur lassistance en cas daccident nucléaire ou de situation durgence radiologique (Vienna Convention on Assistance in the Case of a Nuclear Accident or Radiological Emergency, 1986a).
La convention de Vienne pour la protection de la couche dozone, 1985, dispose, à larticle 2 (2):
A cette fin, les Parties, selon les moyens dont elles disposent et selon leurs possibilités:
a) coopèrent, au moyen dobservations systématiques, de recherches et déchanges de renseignements afin de mieux comprendre et apprécier les effets des activités humaines sur la couche dozone et les effets exercés sur la santé humaine et lenvironnement par la modification de la couche dozone;
b) adoptent les mesures législatives ou administratives appropriées et coopèrent pour harmoniser les politiques appropriées visant à réglementer, limiter, réduire ou prévenir les activités humaines relevant de leur juridiction ou de leur contrôle sil savère que ces activités ont ou sont susceptibles davoir des effets néfastes par suite de la modification, ou de la modification susceptible de se produire, de la couche dozone;
c) coopèrent pour formuler des mesures, procédures et normes convenues pour lapplication de la convention, dans loptique dadopter des protocoles et annexes;
d) coopèrent avec les organes internationaux compétents pour appliquer effectivement la présente convention et les protocoles auxquels elles sont parties.
La convention de Vienne a été complétée par le protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche dozone, 1987, lui-même adapté et modifié par la réunion de Londres de 1990 et par la réunion de Copenhague de novembre 1992.
Larticle 2 du protocole oblige les parties à imposer des contrôles sur leur production et leur consommation de substances chimiques qui appauvrissent la couche dozone, à savoir les CFC, les halons, les autres CFC entièrement halogénés, le tétrachlorure de carbone et le 1,1,1-trichloroéthane (méthylchloroforme).
Larticle 5 prévoit une exemption de la limitation des émissions pour certains pays en développement, «pour pouvoir répondre à [leurs] besoins intérieurs fondamentaux», exemption pouvant aller jusquà dix ans, sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3. Le protocole prévoit aussi daider sur les plans technique et financier les pays en développement réclamant une exemption conformément à larticle 5. Un fonds multilatéral a été créé pour aider ces parties à sinformer et à sacquitter de leurs obligations (art. 10). A Copenhague, en novembre 1992, à la lumière de lévaluation scientifique de lappauvrissement de la couche dozone de 1991, qui a révélé de nouvelles preuves de la diminution de la quantité dozone dans les deux hémisphères à des latitudes moyennes et élevées, un certain nombre de nouvelles mesures ont été convenues et soumises au régime général; les pays en développement peuvent toujours obtenir les délais prévus à larticle 5. Toutes les parties se sont engagées à cesser dutiliser les halons à partir de 1994, et les CFC, les HBFC, le tétrachlorure de carbone et le méthylchloroforme à partir de 1996. Lutilisation des hydrocarbures partiellement chlorofluorés devrait être gelée dici à 1996, réduite de 90% dici à 2015 et supprimée dici à 2030. Le bromure de méthyle, encore utilisé comme agent conservateur des fruits et céréales, a été soumis à des contrôles volontaires. Les parties contractantes ont convenu d«accomplir tout ce qui est en leur pouvoir» pour que son utilisation en 1995 ne dépasse pas son niveau de 1991. Lobjectif global est de stabiliser la concentration de chlore dans latmosphère en lan 2000, puis de la ramener en-deçà de son niveau critique vers lan 2060.
Suite à une série dincidents notoires qui ont révélé le caractère anarchique et périlleux du transport des déchets dangereux en provenance des pays développés vers les pays en développement, les mouvements transfrontières de déchets dangereux ont fait lobjet dune réglementation internationale par la convention sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, Bâle, 1989 (voir aussi Kummer, 1992). Cette convention repose sur le principe dune information et dun consentement préalables entre Etats avant tout acheminement de ces déchets. LOrganisation de lunité africaine (OUA) est cependant allée plus loin avec la convention de Bamako sur linterdiction dimporter des déchets dangereux et le contrôle de leurs mouvements transfrontières en Afrique, 1991 (Bamako Convention on the Ban of the Import into Africa and the Control of Transboundary Movement and Management of Hazardous Wastes within Africa, 1991), qui vise à interdire toute importation de déchets dangereux en Afrique.
La convention dEspoo de 1991 sur lévaluation de limpact sur lenvironnement dans un contexte transfrontière (Espoo Convention on Environmental Impact Assessment in a Transboundary Context, 1991) établit un cadre pour les relations de bon voisinage. Elle élargit le concept dEIE, développé jusquici dans le contexte exclusif des lois et procédures de planification nationales, aux impacts transfrontières des projets de développement et des procédures et décisions connexes.
La CNUED de Rio de Janeiro a donné un élan à la conclusion de plusieurs conventions mondiales et régionales sur lenvironnement, ou coïncidé avec leur adoption et a proclamé des principes pour lavenir dans la Déclaration de Rio de Janeiro sur lenvironnement et le développement (PNUE, 1992a). Outre les deux conventions conclues à Rio de Janeiro la convention-cadre concernant les changements climatiques (PNUE, 1992b) et la convention sur la diversité biologique (PNUE, 1992c) , de nouvelles conventions sur lenvironnement signées en 1992 réglementent, entre autres, lusage des cours deau internationaux, ainsi que les effets transfrontières des accidents industriels. A un niveau régional, la convention sur la protection et lutilisation de la zone de la mer Baltique a été adoptée à Helsinki en 1992 (Helsinki Convention on the Protection and Use of the Baltic Sea Area) (pour le texte et lanalyse, voir Ehlers, 1993), et la convention sur la protection de la mer Noire contre la pollution à Bucarest, en 1992 (Bucharest Convention on the Protection of the Black Sea Region Against Pollution, 1992). A noter également la déclaration ministérielle dOdessa de 1993 sur la protection de la mer Noire (Odessa Ministerial Declaration on the Protection of the Black Sea, 1993), qui préconise une approche préventive et globale, et la convention de Paris pour la protection du milieu marin de lAtlantique Nord-Est, 1992 (Convention for the Protection of the Marine Environment of the North East Atlantic, Paris, 1992) (pour le texte et lanalyse, voir Hey, Ijlstra et Nollkaemper, 1993).
La CCNUCC, signée à Rio de Janeiro en juin 1992 par quelque 155 Etats, est plus ou moins calquée sur la convention de Vienne de 1985. Comme son nom lindique, elle établit un cadre dans lequel les obligations seront négociées de façon plus précise par la voie de protocoles détaillés. Lobjectif fondamental de la convention est de:
stabiliser [ ] les concentrations de gaz à effet de serre dans latmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique [ ] dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent sadapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre dune manière durable (art. 2).
Aux termes de larticle 4, «toutes les Parties [ ]: a) établissent, mettent à jour périodiquement, publient et mettent à la disposition de la Conférence des Parties [ ] des inventaires nationaux des émissions anthropiques par leurs sources et de labsorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre [ ] en recourant à des méthodes comparables qui seront approuvées par la Conférence des Parties; b) établissent, mettent en uvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et [ ] régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques en tenant compte des émissions anthropiques par leurs sources et de labsorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre [ ], ainsi que des mesures visant à faciliter ladaptation appropriée aux changements climatiques». En outre, les pays développés conviennent dun certain nombre dobligations générales qui seront spécifiées dans des protocoles plus détaillés. Par exemple, ils «encouragent et soutiennent par leur coopération la mise au point [ ] de technologies [ ] qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions anthropiques des gaz à effet de serre». Ils «encouragent la gestion rationnelle [...] la conservation et [...] le renforcement des puits et réservoirs, [ ] notamment la biomasse, les forêts et les océans de même que les autres écosystèmes terrestres, côtiers et marins»; ils «préparent, en coopération, ladaptation à limpact des changements climatiques et conçoivent et mettent au point des plans appropriés et intégrés pour la gestion des zones côtières, pour les ressources en eau et lagriculture, et pour la protection et la remise en état des zones frappées [ ] par les inondations». Ils «encouragent et soutiennent par leur coopération léchange de données scientifiques, technologiques, socio-économiques et juridiques sur le système climatique et les changements climatiques ainsi que sur les conséquences [...] des stratégies de riposte [...] et léducation, la formation et la sensibilisation du public dans le domaine des changements climatiques».
Les objectifs de la convention sur la diversité biologique, également adoptée en 1992 à la CNUED de Rio de Janeiro, sont «la conservation de la diversité biologique, lutilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de lexploitation des ressources génétiques» (art. 1) (pour une critique utile, voir Boyle, 1993). Tout comme la CCNUCC, cette convention, qui sera complétée par des protocoles, établit des obligations générales concernant la conservation et lexploitation durable des ressources naturelles, lidentification et la surveillance de la diversité biologique, la conservation, la recherche et la formation in situ et ex situ, ainsi que léducation et la sensibilisation du public et les études dimpact sur lenvironnement dactivités susceptibles daffecter la biodiversité. Il existe aussi des dispositions générales relatives à laccès aux ressources génétiques, ainsi que le transfert de techniques pertinentes, dont les biotechnologies, et à léchange dinformations et la coopération sur le plan international.
La convention dHelsinki sur la protection et lutilisation des cours deau transfrontières et des lacs internationaux, 1992 (Helsinki Convention on the Protection and Use of Transboundary Watercourses and International Lakes, 1992) trace le cadre de la coopération à établir: surveiller et évaluer ensemble, entreprendre des activités communes de recherche-développement et échanger des informations entre les Etats riverains. Elle oblige ces Etats à prévenir, à maîtriser et à réduire les effets transfrontières sur ces ressources communes, en particulier en ce qui concerne la pollution de leau, par des techniques appropriées de gestion, y compris lEIE et la planification durgence, ainsi que par ladoption de techniques peu polluantes ou sans déchets et la réduction de la pollution provenant de sources ponctuelles et diffuses.
La convention sur les effets transfrontières des accidents industriels, également signée à Helsinki en mars 1992 (Convention on the Transboundary Effects of Industrial Accidents, 1992), porte sur la prévention, la préparation et lintervention en cas daccidents industriels pouvant avoir des effets transfrontières. Les obligations fondamentales portent sur la coopération et léchange dinformations entre les parties. Le dispositif détaillé de treize annexes prévoit des mécanismes destinés à définir les activités dangereuses ayant des effets transfrontières, pour la préparation détudes dimpact sur lenvironnement, y compris de tout effet transfrontière (conformément à la convention dEspoo de 1991 mentionnée ci-dessus) dans la prise de décisions sur limplantation dactivités potentiellement dangereuses. Elle prévoit également la préparation aux situations durgence et linformation du public et des autres parties.
Comme ce bref tour dhorizon devrait lavoir démontré, depuis une vingtaine dannées la communauté internationale a complètement changé dattitude à légard de la protection et de la gestion de lenvironnement. Cette évolution a consisté notamment en une forte augmentation du nombre et de la portée des instruments internationaux y relatifs, qui vont de pair avec laffirmation de nouveaux principes et la création dinstitutions. Les principes du pollueur-payeur et de précaution (Churchill et Freestone, 1991; Freestone et Hey, 1996), ainsi que le souci des droits des générations futures inspirent les conventions internationales évoquées ci-dessus. Selon les commentateurs, le rôle du PNUE et la création de secrétariats chargés de promouvoir et dassurer le suivi de tous ces traités indiquent que le droit international de lenvironnement, à linstar de celui des droits humains, est en train de devenir une nouvelle branche distincte du droit international (Freestone, 1994). La CNUED a joué un grand rôle dans ce processus: na-t-elle pas établi un programme daction essentiel, bien quencore largement inachevé? Des protocoles détaillés doivent donner du poids à la convention sur les changements climatiques et, sans doute aussi à la convention sur la diversité biologique. Le souci de limpact de la pêche en haute mer sur lenvironnement a entraîné ladoption, en 1995, de laccord des Nations Unies sur le droit de la mer relatif à la conservation et à la gestion des stocks chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs. Cest aussi en 1995 que sest tenue la Conférence des Nations Unies sur la pollution marine dorigine tellurique, désormais considérée comme la cause de plus de 70% de la pollution totale des océans. Le commerce mondial, ainsi que la désertification et le déboisement, dans leurs aspects environnementaux, devront également être abordés à léchelle mondiale, tandis que le progrès continuera à nous faire prendre conscience de limpact des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Le défi que pose ce droit international de lenvironnement naissant nappelle pas simplement la conclusion dun nombre croissant dinstruments, mais aussi le renforcement de son efficacité.
Aujourdhui, le terme «études dimpact sur lenvironnement» utilisé dans le titre du présent article est de plus en plus souvent remplacé par le terme «évaluation de lenvironnement», mais cette pratique nest pas encore universelle. Un bref rappel des raisons de ce changement nous permettra de déterminer la nature fondamentale de lactivité ainsi décrite et lun des facteurs importants qui provoquent opposition ou hésitation à utiliser le terme dimpact.
Les Etats-Unis ont adopté en 1970 une loi nationale sur la politique de lenvironnement (National Environmental Policy Act (NEPA)) qui fixe au gouvernement fédéral des objectifs en la matière et insiste sur la nécessité dintégrer les facteurs écologiques dans les prises de décisions. Sil est naturellement facile dénoncer un objectif politique, il est plus difficile de latteindre. Pour renforcer le pouvoir de cette loi, les législateurs ont incorporé une disposition exigeant que le gouvernement fédéral prépare un «dossier dimpact sur lenvironnement» pour toute proposition daction «susceptible daffecter de façon significative la qualité de lenvironnement humain». Le contenu de ce document doit être examiné avant toute décision sur laction proposée. Les travaux effectués pour préparer ce dossier sont désormais plus connus sous le nom détude dimpact sur lenvironnement (EIE), car ils comprennent la détermination, la prévision et lévaluation de limpact de laction fédérale proposée.
Le terme «impact» en anglais na malheureusement pas une connotation positive et suppose, presque, par définition, quelque chose de préjudiciable. Cest pourquoi, lorsque la pratique de lEIE sest répandue au Canada, en Europe, en Asie du Sud-Est et en Australie, de nombreux gouvernements et leurs conseillers ont souhaité se démarquer de cet aspect négatif et ont choisi un nouveau terme, lévaluation de lenvironnement (EE). LEIE et lEE sont identiques (sauf aux Etats-Unis et dans les quelques pays qui ont adopté le système américain, dans lequel EIE et EE ont des sens précis et différents). Nous utiliserons ici la seule expression EIE, sans oublier de rappeler que nos commentaires sappliquent également à lévaluation de lenvironnement et que les deux termes sont utilisés dans le vocabulaire international.
Outre lusage du terme «impact», le contexte dans lequel lEIE a été appliquée (en particulier aux Etats-Unis et au Canada) a également influencé la perception courante quen avaient et, dans certains cas, quen ont encore les politiques, les hauts fonctionnaires et les promoteurs des secteurs privé et public. Aux Etats-Unis comme au Canada, laménagement du territoire laissait à désirer et la préparation des études dimpact sur lenvironnement ou des rapports dEIE était souvent «récupérée» par les parties intéressées pour devenir un exercice de planification. Cela encourageait la production de documents importants en plusieurs volumes, dont la préparation était longue et coûteuse, et la lecture, comme le suivi, quasiment impossibles. Parfois, les projets étaient différés dans lattente de ces documents, provoquant irritation et coûts supplémentaires chez les auteurs du projet et les investisseurs.
Par ailleurs, au cours des cinq à six premières années de sa mise en uvre, la NEPA a donné lieu à de nombreux litiges devant des tribunaux, au cours desquels les opposants aux projets ont pu contester le caractère adéquat des dossiers dimpact sur lenvironnement pour des motifs techniques et, parfois, de procédure. Une fois encore, de nombreux projets en ont été retardés. Toutefois, lexpérience aidant, les orientations ont été plus claires et plus strictes, et le nombre daffaires portées devant les tribunaux a fortement diminué.
Malheureusement, leffet combiné de ces expériences a donné à de nombreux observateurs extérieurs limpression que les EIE procédaient certes dune bonne intention, mais navaient malheureusement pas répondu aux attentes et finissaient par constituer plus un obstacle quune aide au développement. Daucuns y voyaient une activité utile, bien que non indispensable dans des pays développés nantis, mais constituant pour les nations en cours dindustrialisation un luxe quelles ne pouvaient vraiment pas se permettre.
Malgré la réaction négative de certains milieux, la généralisation des EIE sest imposée partout. Lancée en 1970 aux Etats-Unis, lEIE sest étendue au Canada, à lAustralie et à lEurope. Plusieurs pays en développement, comme les Philippines, lIndonésie et la Thaïlande ont introduit les procédures dEIE avant de nombreux pays dEurope occidentale. Il est intéressant de constater que diverses banques de développement telles que la Banque mondiale ont compté parmi les organisations les plus lentes à introduire lEIE dans leurs dispositifs de prise de décisions. En effet, ce nest quà la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix que les banques et les organismes daide bilatérale ont rattrapé le reste du monde. Il nexiste pas de signes dun ralentissement actuel du rythme auquel les lois et règlements sur lEIE sont introduits dans les processus nationaux de prise de décisions. En fait, à la suite du Sommet Planète Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992, lEIE a été de plus en plus utilisée, en même temps que les organisations internationales et les gouvernements nationaux tentaient de suivre les recommandations faites à Rio de Janeiro sur la nécessité dun développement durable.
Comment expliquer la popularité sans cesse croissante de lEIE? Quel rôle peut-elle jouer pour les gouvernements, les promoteurs des secteurs privé et public, les travailleurs, leurs familles et les communautés dans lesquelles ils vivent?
Avant lEIE, les projets de développement, comme les autoroutes, les barrages hydroélectriques, les ports et les installations industrielles étaient évalués dun point de vue technique, économique et, bien sûr, politique. Ces projets avaient certains objectifs économiques et sociaux à atteindre, et les décideurs chargés de la délivrance des permis, licences et autres autorisations souhaitaient savoir sils y parviendraient (laissons de côté ici les projets conçus et bâtis à des fins politiques ou de prestige). Il fallait donc faire une étude économique (généralement une analyse coûts-avantages) et une enquête technique. Malheureusement, les études ne prenaient pas en compte les effets sur lenvironnement et, avec le temps, de plus en plus de gens ont pris conscience des dommages croissants causés par ces projets. Dans bien des cas, les impacts involontaires sur lenvironnement et sur la société occasionnaient un coût économique; par exemple, le barrage de Kariba en Afrique (à la frontière de la Zambie et du Zimbabwe) a entraîné le déplacement de plusieurs villages dans des régions ne convenant pas à lagriculture traditionnelle pratiquée par les populations. Dans les zones de déplacement, la nourriture est devenue rare et le gouvernement a dû lancer des opérations dapprovisionnement durgence. Dautres exemples de coûts supplémentaires non prévus et de dommages causés à lenvironnement ont fait prendre progressivement conscience du fait que les techniques traditionnelles dappréciation des projets appelaient une approche supplémentaire pour réduire les risques de conséquences inattendues et indésirables.
La sensibilisation des gouvernements, des organisations non gouvernementales (ONG) et du public aux incidences négatives inattendues des grands projets de développement sest accrue en même temps que limportance de lenvironnement pénétrait dans le champ de la conscience. En particulier, lattention sest portée sur les conséquences dune augmentation de la croissance démographique et de lactivité économique en découlant, ainsi que sur les pressions éventuelles de cette croissance sur lenvironnement. On sest mis à reconnaître limportance de la biogéochimie mondiale et autres procédés de maintien de la pureté de lair et de leau, ainsi que des ressources renouvelables, comme les produits alimentaires et le bois de construction. En conséquence, beaucoup se sont convaincus que lenvironnement ne pouvait plus être considéré comme une source passive et inépuisable de biens et un réceptacle des déchets humains, mais comme un élément actif du processus de développement qui, sil était mal utilisé, pouvait réduire les chances de le poursuivre. Cette prise de conscience a entraîné la mise au point et lapplication dun certain nombre de procédures ou de pratiques destinées à intégrer lenvironnement dans le processus de développement et à prendre en considération la mesure dans laquelle il pouvait être détérioré ou amélioré. LEIE est lune de ces procédures. Elle vise à réduire le risque pour lêtre humain, en général, et les collectivités locales, en particulier, que les nuisances causées à lenvironnement entraînent des phénomènes pouvant constituer une menace pour la vie, comme la famine et les inondations.
Fondamentalement, lEIE est un moyen de caractériser, de prévoir et dévaluer les conséquences pour lenvironnement dune mesure de développement proposée et des autres solutions possibles, avant de passer à son application. Le but est dintégrer lEIE dans les activités de normalisation, de préfaisabilité, de faisabilité, dappréciation et de conception menées pour tester si une proposition va atteindre ses objectifs. En menant en parallèle une EIE, il devrait être possible de déceler rapidement les répercussions négatives ou positives importantes, décarter dans la mesure du possible celles qui sont négatives et, par ailleurs, de renforcer les atouts dun projet. Toute EIE devrait présenter une proposition qui, de par sa situation géographique, sa conception et son mode de construction ou dexploitation, soit respectueuse de lenvironnement, dans la mesure où ses incidences sont écologiques et où il est peu probable quune détérioration quelconque entraîne des difficultés. LEIE est par conséquent un outil de prévention: comme en médecine, mieux vaut prévenir que guérir. Sagissant de développement, il vaut mieux éviter autant que possible les dommages causés à lenvironnement (tout en atteignant les objectifs économiques) plutôt que davoir à financer de coûteuses actions de dépollution ou de remise en état.
A quels types dactivités de développement lEIE sapplique-t-elle? Il nexiste en la matière ni norme ni réponse toute faite. Cest à chaque pays de décider du type et de lenvergure des activités visées; par exemple, un projet de route de 10 km dans une petite île tropicale peut avoir des répercussions importantes, alors que, dans un vaste pays semi-aride à faible densité de population, il serait probablement neutre pour lenvironnement. Dans tous les pays, lEIE est appliquée aux projets déquipement «physique» selon les critères nationaux; dans certains pays, lEIE porte aussi sur les plans, programmes et politiques daménagement (comme les programmes de développement sectoriels pour lalimentation en énergie ou les plans daménagement du territoire) qui risquent davoir des répercussions importantes sur lenvironnement. Parmi les pays qui utilisent lEIE pour ce type dactions, citons la Chine, les Etats-Unis et les Pays-Bas qui constituent encore des exceptions à la règle. La plupart des EIE sont préparées aux fins de projets déquipement, bien quil ne fasse aucun doute que les EIE dordre «stratégique» soient appelées à prendre de limportance à lavenir.
Quels sont les types dimpacts analysés dans les EIE? Encore une fois, ils varient dun pays à lautre, mais dans une moindre mesure que pour les types dactivités proposées soumis à des EIE. On répond dordinaire quil sagit des effets «sur lenvironnement», qui risquent dentraîner linévitable question: «Certes, mais quentend-on par environnement?». Généralement, la plupart des EIE se limitent à lenvironnement biophysique, cest-à-dire à des facteurs tels que:
Dans certains cas, aucune autre conséquence nest envisagée. Cependant, le fait de restreindre lEIE aux incidences biophysiques a été remis en question et, de plus en plus, les EIE adoptent une conception plus large de lenvironnement comportant, le cas échéant, des éléments tels que:
Deux raisons permettent dexpliquer cette acception plus large des effets sur «lenvironnement». Tout dabord, on a constaté quil était socialement et politiquement inacceptable dexaminer les conséquences dun projet sur lenvironnement biophysique et, dans le même temps, dignorer les effets sociaux et les répercussions sur la santé publique des collectivités et des populations locales. Cette question a passé au premier plan dans les pays développés, en particulier ceux dont laménagement du territoire laisse à désirer et comporte des objectifs sociaux et économiques.
Dans les pays en développement, ce facteur existe aussi et vient sajouter à une autre explication. La majorité de la population de ces pays a une relation directe plus étroite et, à bien des égards, plus complexe avec son environnement que celle des pays développés. En dautres termes, linteraction entre les collectivités locales et leur environnement peut être modifiée par des impacts écologiques, sociaux et économiques. Par exemple, dans des régions pauvres, un grand projet, comme la construction dune centrale électrique de 2 400 MW, va créer de nouvelles possibilités demploi et des infrastructures sociales (écoles, dispensaires) destinées à limportante main-duvre quil utilisera. Fondamentalement, les revenus injectés dans léconomie locale vont transformer la centrale électrique en un îlot prospère dans une mer de misère. La région attirera les plus pauvres qui vont chercher à améliorer leur niveau de vie en essayant dobtenir un emploi et dutiliser les nouvelles installations. Tous ne vont pas réussir, et ceux qui auront échoué proposeront leurs services à ceux qui travaillent, par exemple en leur fournissant du bois ou du charbon de bois. Lenvironnement en subira un stress, souvent même dans des endroits éloignés de la centrale. Tout cela sajoutera aux conséquences de lafflux des travailleurs occupés sur le site de la centrale et de leur famille. On voit ainsi que le principal effet social dun projet une migration intérieure se répercute sur lenvironnement. Si ces implications socio-économiques nétaient pas analysées, les études dimpact risqueraient de ne pas atteindre lun de leurs principaux objectifs, à savoir identifier, prévoir, évaluer et atténuer les effets biophysiques sur lenvironnement.
Presque toutes les études dimpact liées à des projets se focalisent sur lenvironnement externe, hors des limites du site. Cela reflète lhistoire de lEIE qui, comme nous lavons vu, a ses origines dans le monde développé. Vu lexistence dans ces pays dun solide cadre juridique protégeant la santé au travail, lEIE navait pas à sintéresser au milieu de travail interne et à lenvironnement en général, cela afin déviter une répétition inutile des efforts et un mauvais emploi de ressources limitées.
La situation est justement linverse dans les pays en développement où il paraîtrait approprié que les EIE, notamment celles qui portent sur les installations industrielles, en envisagent les conséquences sur le milieu interne. La santé des travailleurs est ici lélément essentiel, et il convient détudier les changements de qualité de lair interne et des niveaux sonores. Mentionnons deux autres aspects qui ont leur importance. Premièrement, dans les pays pauvres, la perte dun soutien de famille due à la maladie, à un accident ou à la mort peut forcer les autres membres de la famille à exploiter les ressources naturelles pour conserver leur niveau de revenu. Si plusieurs familles sont touchées, les effets cumulés peuvent être importants sur le plan local. Deuxièmement, la santé des membres de la famille peut être directement affectée par les produits chimiques introduits dans la maison par les vêtements des travailleurs. Il existe donc un lien direct entre le milieu de travail et lenvironnement en général. Les ouvrages sur lEIE naccordent que peu dimportance au premier, qui se distingue par labsence de lois, règlements et directives. Toutefois, il nexiste aucune raison logique ou pratique pour que, si les circonstances locales sy prêtent, lEIE naborde pas limportante question de la santé des travailleurs et des conséquences externes possibles dune détérioration de leur bien-être physique et mental.
Le problème peut-être le plus fréquemment soulevé par les détracteurs de lEIE ou les indifférents est son coût. La préparation des dossiers dimpact sur lenvironnement demande du temps et des ressources, donc, de largent. Cest pourquoi il convient denvisager les aspects économiques dune étude dimpact sur lenvironnement.
Les principaux coûts dintroduction des procédures dEIE dans un pays incombent aux investisseurs ou aux promoteurs des projets, ainsi quaux autorités nationales ou locales (selon la nature de la procédure). Dans pratiquement tous les pays, les investisseurs ou les promoteurs financent la préparation de lEIE pour leur projet. Il en va de même des responsables (généralement des organismes gouvernementaux) des stratégies dinvestissement sectoriel et des plans daménagement régional. Selon lexpérience faite dans les pays, développés ou non, le coût de préparation des EIE varie entre 0,1 et 1% du coût dinvestissement dun projet. Cette proportion peut augmenter lorsque les mesures de modération ou de ménagement recommandées dans lEIE sont prises en compte. Le coût dépend du type de mesures recommandées. De toute évidence, reloger 5 000 familles de sorte que leur qualité de vie soit préservée est une opération relativement coûteuse. Dans de tels cas, les coûts de lEIE et des ménagements recommandés peuvent sélever jusquà 15 à 20% du coût dinvestissement. Dans dautres cas, il peut se situer entre 1 et 5%. Ces chiffres peuvent paraître excessifs et semblent indiquer que lEIE constitue un fardeau sur le plan financier. Il ne fait aucun doute quelle a son prix mais, daprès notre expérience, aucun projet important na été suspendu à cause des coûts de préparation de lEIE, et ce nest que dans quelques cas que les projets sont devenus non rentables en raison du coût des mesures de ménagement nécessaires.
Les procédures dEIE occasionnent également des frais aux autorités nationales ou locales, du fait du personnel et des autres ressources quil faut consacrer à la gestion du système, ainsi quau traitement et à lexamen des dossiers. Ici encore, le coût dépend de la nature de la procédure et du nombre de dossiers dimpact sur lenvironnement établis chaque année. Nous navons pas connaissance de calculs ayant tenté den donner un chiffre moyen.
Pour en revenir à notre comparaison avec la médecine, la prévention des maladies exige de réaliser en amont dimportants investissements pour sassurer davantages positifs futurs et pouvant être étalés sur la durée en matière de santé publique. Il en va de même pour lEIE. Les avantages financiers peuvent être examinés du point de vue de lauteur du projet comme de celui du gouvernement et de la société dans son ensemble. Lauteur du projet peut en tirer plusieurs avantages:
Tous ces avantages ninterviennent pas dans chaque cas, mais il est utile denvisager par quels moyens lauteur du projet peut réaliser des économies.
Dans tous les pays, différents permis et autorisations sont nécessaires avant quun projet ne puisse être mis en uvre et exploité. Les procédures dautorisation prennent du temps, et les délais peuvent sallonger si le projet rencontre une opposition et en labsence de mécanisme officiel destiné à constater, à prendre en considération et à examiner les points litigieux. Sans doute, lère des populations passives, qui saluaient toutes les formes de développement comme des signes dun inévitable progrès économique et social, est pratiquement révolue. Tous les projets font lobjet dune attention croissante aux niveaux local, national et international (voir, par exemple, lopposition continue que le complexe de barrages de Sardar Sarovar (Narmada) soulève en Inde).
Dans ce contexte, lEIE constitue un moyen daborder, sinon de lever les appréhensions de la population. Des études menées dans des pays développés (comme le Royaume-Uni) ont démontré que lEIE pouvait réduire les probabilités de retard dans lobtention des autorisations et, le temps nest-il pas de largent? De fait, une étude menée par la société britannique de distribution de gaz British Gas à la fin des années soixante-dix a montré quune EIE abrégeait la durée moyenne dobtention des autorisations.
Les coûts additionnels des mesures de modération ont été évoqués, mais il est intéressant denvisager la situation contraire. Dans des installations produisant un ou plusieurs flux de déchets, lEIE permet didentifier les mesures qui en réduisent la charge grâce aux procédés de récupération ou de recyclage. Dans le premier cas, la récupération dun composant dun flux de déchets peut permettre à lauteur dun projet de le vendre (sil existe un marché) et de couvrir les coûts de la récupération, voire den tirer profit. Le recyclage dun élément tel que leau peut en réduire la consommation et par là même le coût des matières premières.
Si une EIE a mis laccent sur le milieu interne, les conditions de travail devraient être meilleures quen son absence. Un lieu de travail moins pollué et plus sûr diminue le mécontentement, les maladies et labsentéisme du personnel. Globalement, il en résultera probablement une main-duvre plus productive, ce qui constitue encore un gain financier pour lauteur du projet ou lexploitant.
Enfin, si loption privilégiée a été choisie en se fondant sur les seuls critères techniques et économiques, elle peut ne pas être la meilleure. Au Botswana, un site avait été sélectionné pour stocker leau avant de lacheminer vers Gaborone, la capitale. LEIE démontra dès le début que limpact sur lenvironnement serait fortement négatif. Pendant les travaux de lenquête, léquipe de lEIE trouva un autre site possible, quelle fut autorisée à faire figurer dans létude. La comparaison avec ce deuxième site montra que les effets sur lenvironnement seraient bien moins graves. Daprès les études techniques, ce site satisfaisait aussi aux critères requis. En fait, il fut démontré que ce second site pouvait permettre datteindre les objectifs de départ avec moins de dommages pour lenvironnement et un coût de construction inférieur de 50% (Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources Union mondiale pour la nature (UICN) et Gouvernement de la République du Botswana, non daté). Cest donc sans surprise que lon a retenu cette solution, au bénéfice non seulement de lauteur du projet, un organisme parapublic, mais de lensemble des contribuables du Botswana. De tels exemples sont probablement peu courants, mais démontrent que les travaux dEIE constituent une occasion de «tester» diverses possibilités de développement.
Les principaux avantages retirés des procédures dEIE se répartissent entre les différents éléments de la société, à savoir le gouvernement, les collectivités et les individus. En évitant des détériorations inacceptables de lenvironnement, lEIE permet de maintenir les «processus de vie» essentiels à toute vie et activité humaine, ce qui constitue un bénéfice à long terme et à large spectre. Dans des cas spécifiques, elle peut éviter de causer des dommages localisés à lenvironnement qui devraient être corrigés ultérieurement, en général à grands frais, le coût de ces mesures incombant aux autorités locales ou centrales, et non à lauteur du projet ou à lexploitant de linstallation ayant causé le dommage.
Des événements font lentement évoluer les objectifs des activités de développement, en particulier depuis le Sommet Planète Terre de Rio de Janeiro. Jusquà une période récente, il sagissait daméliorer la situation économique et sociale dans un domaine spécifique. De plus en plus, le critère de «durabilité» occupe une place centrale dans la hiérarchie traditionnelle des objectifs qui nen restent pas moins pertinents. Son introduction en tant quobjectif important, sinon encore primordial, du processus de développement influera à lavenir profondément sur lexistence même de lopposition stérile entre emploi et environnement dont a souffert lEIE. Ce débat avait un sens lorsque lenvironnement ne faisait pas partie du processus de développement et navait pas la moindre chance dy être intégré; aujourdhui, il est un sujet de premier plan, et le débat porte sur les mécanismes qui permettront de lier de façon durable les emplois et la salubrité de lenvironnement. LEIE est encore appelée à une contribution primordiale et croissante, car elle constitue lun des mécanismes qui permettront de progresser et de réaliser un développement durable.
Protéger lenvironnement pour les générations futures suppose non seulement de traiter des problèmes denvironnement naissants mais aussi, pour les régler, de définir de nouvelles stratégies dun bon rapport coût-efficacité et acceptables pour lenvironnement et de prendre concrètement les mesures qui se dégageront de ce débat. Tout porte à croire que lamélioration de lenvironnement et létablissement de politiques destinées à le sauvegarder doivent prendre un rang plus élevé dans lordre de priorité pour les générations présentes et futures. Quoique ce discours soit fréquemment tenu par les gouvernements, les groupements de défense de lenvironnement, les industriels, les universitaires et le grand public, la polémique est vive sur la meilleure façon daméliorer lenvironnement sans renoncer pour autant aux avantages économiques actuels. La protection de lenvironnement a désormais acquis une grande importance politique, et la garantie de la stabilité écologique a passé au premier rang de nombreux programmes politiques.
Les efforts passés et présents consentis pour protéger lenvironnement ont une caractéristique commune: ils sont circonscrits autour dune seule question, et chaque problème est traité au cas par cas. Dans les cas de pollution ayant une source ponctuelle provoquée par des émissions facilement identifiables, cétait effectivement là un moyen den réduire limpact sur lenvironnement. Aujourdhui, la situation est plus complexe. Une bonne partie de la pollution provient désormais dun grand nombre de sources dispersées, qui se déplacent facilement dun pays à un autre. En outre, nous contribuons chaque jour à la pollution par notre mode de vie. Les différentes sources diffuses sont difficiles à identifier, et la façon dont elles interagissent et se répercutent sur lenvironnement nest pas bien connue.
Les problèmes denvironnement vont croissant et revêtent un caractère complexe et global; lapplication de mesures correctrices aura très probablement dimportantes répercussions sur plusieurs segments de la société. Pour contribuer effectivement à la protection de lenvironnement, des mesures réfléchies et universelles doivent être mises en uvre conjointement selon une démarche complémentaire et pluridisciplinaire de tous les acteurs intéressés scientifiques, syndicats, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises et organismes nationaux et gouvernements, sans oublier les médias. Il importe donc de coordonner tous les intérêts sectoriels qui ont des ambitions en matière denvironnement afin dobtenir les interactions et les réactions nécessaires aux solutions proposées. Il se peut que lunanimité se fasse sur lobjectif ultime dun environnement de meilleure qualité, mais aussi quil existe des désaccords quant au rythme, aux moyens et au temps nécessaires pour latteindre.
La protection de lenvironnement est devenue un enjeu stratégique de plus en plus important pour lindustrie et le monde des affaires, tant pour limplantation des usines que pour les performances techniques des procédés et des produits. Les industriels sont impatients davoir une idée globale des conséquences de leurs activités sur lenvironnement. La législation nest plus le seul facteur qui motive limportance croissante des questions denvironnement liées au produit. Les produits écologiquement rationnels, écologiques ou «verts» sont des notions désormais admises par les producteurs et les consommateurs.
Il sagit certes là dun sérieux défi pour lindustrie; pour linstant, les critères denvironnement ne sont pas souvent pris en compte dès la conception dun produit, au moment où il serait pourtant plus facile déviter des conséquences néfastes. Jusquà une période récente, la plupart des impacts sur lenvironnement étaient limités par des mesures prises en aval, ou lors de la conception des procédés et non de celle des produits. En conséquence, de nombreuses sociétés perdaient du temps à régler les problèmes plutôt quà les prévenir. Toutefois, il faut beaucoup de travail pour élaborer une démarche appropriée et reconnue qui intègre les aspects environnementaux aux différents stades de la production et des activités industrielles, de lachat et de la transformation des matières premières à lutilisation des produits et à leur élimination finale.
Le seul concept connu pour traiter toutes ces questions nouvelles, au caractère complexe, semble être lapproche fondée sur le cycle de vie. Les analyses du cycle de vie (ACV) sont largement acceptées comme loutil de gestion de lenvironnement de lavenir depuis que les questions de produit ont pris de limportance dans le débat public. Les ACV promettent certes dêtre une technique précieuse dans lélaboration de stratégies de production moins polluantes et daide à la conception pour lenvironnement, mais cette méthode relativement récente devra encore être affinée pour être acceptée comme un outil universel permettant de choisir des procédés et de mettre au point des produits écologiquement rationnels.
Les industriels doivent apprendre à considérer les produits et les services dans leur intégrité aux fins de la protection de lenvironnement et définir une approche commune systématique et structurée permettant de prendre les décisions qui simposent et détablir un ordre de priorité. Cette approche se doit dêtre flexible et extensible, afin de prévoir toutes les situations appelant une décision industrielle, comme aussi les progrès scientifiques et technologiques. Cependant, elle devrait sinspirer de certains principes fondamentaux tels que lidentification des problèmes, létude des mesures correctives, lanalyse coûts-avantages et lévaluation finale (voir figure 54.1).
La phase didentification devrait permettre de révéler différents types de problèmes denvironnement et leurs causes. Les jugements sont multidimensionnels et prennent en compte divers éléments du contexte. Il existe bel et bien une relation étroite entre le milieu de travail et lenvironnement général. Cest pourquoi la protection de lenvironnement devrait avoir deux ambitions: réduire au maximum les pressions exercées sur lenvironnement général par toutes les activités humaines et promouvoir le bien-être des salariés grâce à un milieu de travail bien aménagé et sûr.
Létude des mesures correctives potentielles devrait inclure toutes les solutions pratiques disponibles pour réduire au maximum les émissions polluantes et lutilisation de ressources naturelles non renouvelables. La description des solutions techniques devrait si possible indiquer leur avantage escompté, en ce qui concerne tant la réduction des ressources utilisées et de la charge polluante que les coûts. Lanalyse coûts-avantages vise à établir un ordre de priorité en comparant les différents types de mesures: pour ce faire, elle se place dans la perspective du cahier des charges à satisfaire par le produit, de la faisabilité économique et de lefficacité écologique. Toutefois, lexpérience montre que dimportantes difficultés apparaissent souvent pour traduire un patrimoine naturel en termes monétaires.
La phase dappréciation et dévaluation devrait être considérée comme faisant partie intégrante de létablissement dun ordre de priorité, car elle fournit les éléments nécessaires pour juger au bout du compte de lefficacité des mesures suggérées. En outre, lexercice permanent dévaluation consécutif à chaque mesure appliquée ou imposée optimisera en retour le modèle général de décision concernant les stratégies environnementales prioritaires à suivre. Un tel modèle prendra probablement une plus grande valeur stratégique aux yeux des industriels lorsquil apparaîtra peu à peu que lordre de priorité écologique pourrait bien avoir une grande importance pour les choix futurs des procédés et des produits. Outil didentification des rejets dans lenvironnement et dévaluation des impacts dun procédé, dun produit ou dune activité, lACV deviendra pour lindustrie linstrument essentiel de recherche de modèles pratiques daide à la décision et dun usage facile permettant de mettre au point des produits non polluants.
LACV se propose dévaluer les effets sur lenvironnement de toute activité donnée, de lextraction initiale de matières premières dans la terre jusquau moment où tous les résidus y retournent. Cest pourquoi on utilise souvent lexpression «du berceau à la tombe». Bien que la pratique des études du cycle de vie existe depuis le début des années soixante-dix, on na guère cherché à expliquer lensemble de la procédure, à indiquer les données de base nécessaires, les hypothèses implicites et les possibilités dutilisation pratique de la méthodologie. Cependant, depuis 1992, un certain nombre de rapports ont été publiés, qui sattachent à décrire les différentes parties de lACV dun point de vue théorique (Heijungs, 1992; Vigon et coll., 1992; Keoleian et Menerey, 1993; Association canadienne de normalisation, 1993; Society of Environmental Toxicology and Chemistry, 1993). Quelques guides et manuels pratiques se placent du point de vue des concepteurs dun produit et font une analyse complète du cycle de vie lors de la mise au point de produits écologiques (Ryding, 1996).
LACV a été définie comme un procédé objectif permettant dévaluer les pressions exercées sur lenvironnement par un système associant procédé, produit, activité ou service, en identifiant et en quantifiant lénergie et les matériaux utilisés et rejetés dans lenvironnement afin den mesurer limpact, dévaluer et de mettre en application les améliorations possibles pour lenvironnement. Lévaluation porte sur le cycle de vie complet du système et englobe lextraction et la transformation des matières premières, la fabrication, le transport et la distribution, lutilisation, la réutilisation, lentretien, le recyclage et lélimination finale.
LACV a pour principal objectif de donner une image aussi complète que possible des interactions dune activité avec lenvironnement, de contribuer à la compréhension de linterdépendance et du caractère global des conséquences écologiques des activités humaines et de procurer aux décideurs des informations qui leur permettront de discerner les possibilités damélioration dans ce domaine.
La méthodologie de lACV comporte quatre phases: la définition des objectifs et du champ de létude, linventaire du cycle de vie ou écobilan, lévaluation de limpact et linterprétation. A elle seule, aucune dentre elles, puisquelle entre dans un cadre méthodologique plus vaste, ne peut être qualifiée dACV, qui doit les englober toutes les quatre. Dans de nombreux cas, les études du cycle de vie portent uniquement sur lécobilan et sont généralement désignées par le terme dinventaire du cycle de vie (ICV).
La première phase consiste à définir lobjet et la portée de létude, la définition de lunité fonctionnelle (unité de référence qui permet de quantifier la performance dun système de produits) et létablissement dune procédure permettant de sassurer de la qualité des résultats.
Avant dentreprendre une étude dACV, il est primordial den définir clairement les objectifs, de préférence sous la forme dun exposé clair et sans équivoque du motif pour lequel lACV est effectuée et de lutilisation prévue de ses résultats. Il est essentiel de décider si les résultats doivent servir à des applications internes à une société, en vue daméliorer les caractéristiques écologiques dun procédé industriel ou dun produit, ou externes, par exemple pour influencer les orientations des pouvoirs publics ou les décisions dachat des consommateurs.
En labsence dobjectifs énoncés clairement et à lavance, lécobilan et lévaluation de limpact risquent dêtre exagérés, et les résultats de ne pas être utilisés correctement aux fins dune décision pratique. Le fait de définir si les résultats doivent porter sur les charges pour lenvironnement, sur un problème écologique spécifique, ou sur une étude globale dimpact sur lenvironnement indiquera clairement sil convient de réaliser un écobilan, une classification/caractérisation ou une évaluation (voir figure 54.2). Il est important que toutes les étapes de lACV apparaissent clairement, afin que lutilisateur puisse plus facilement choisir le niveau de complexité souhaité.
Dans de nombreux programmes généraux destinés à élaborer des stratégies de production moins polluantes, ou une mise au point de procédés ou de produits écologiques, lobjectif principal est souvent de réduire limpact global sur lenvironnement dun produit pendant toute la durée de son cycle de vie. Pour ce faire, il est parfois nécessaire de parvenir à une forme très agrégée de létude dimpact sur lenvironnement qui, à son tour, appelle une méthode dévaluation reconnue, permettant de mesurer le poids respectif des différents effets sur lenvironnement.
Le champ dune ACV en définit la méthode, les limites ainsi que les exigences portant sur les données, les hypothèses et les limitations. Elle doit être définie assez précisément pour garantir que lanalyse soit suffisamment étendue et approfondie pour être compatible avec lobjet énoncé et toutes ses frontières, et pour sassurer de la clarté et de la transparence des hypothèses. Cependant, une ACV étant un processus itératif, il peut être recommandé dans certains cas de ne pas en arrêter de façon définitive tous les aspects relatifs au champ de létude. Le recours à lanalyse de sensibilité et derreur est recommandé pour tester et valider successivement lobjet et la portée de létude dACV par rapport aux résultats obtenus, afin deffectuer des corrections et démettre de nouvelles hypothèses.
Linventaire est un procédé objectif qui quantifie, à partir de données, les flux dénergie et de matières premières, les émissions dans latmosphère, les rejets dans leau, les déchets solides et autres rejets dans lenvironnement tout au long du cycle de vie dun procédé, dun produit, dune activité ou dun service (voir figure 54.3).
Le calcul des intrants et des extrants dans linventaire renvoie au système défini. Dans de nombreux cas, les opérations de transformation donnent lieu à plus dun extrant, et il est important de décomposer ce système complexe en une série de sous-processus distincts donnant chacun lieu à un produit unique. Pendant la production dun matériau de construction, des émissions polluantes interviennent dans chacun des sous-processus, de lachat des matières premières au produit final. Le processus de production total peut être illustré par un «arbre des procédés» dont le tronc peut être considéré comme la chaîne principale de flux de matières et dénergie, tandis que les branches peuvent représenter les sous-processus, et les feuilles les chiffres particuliers des émissions polluantes, et ainsi de suite. Ajoutés les uns aux autres, ces sous-processus présentent le total des caractéristiques du système original unique des coproduits.
Afin destimer lexactitude des données obtenues dans linventaire, il est recommandé deffectuer une analyse de sensibilité et derreur. Cest pourquoi toutes les données utilisées devraient indiquer les informations pertinentes non seulement sur leur fiabilité, mais aussi sur leur source, leur origine, etc., afin de faciliter une mise à jour et un affinement ultérieur. Le recours à lanalyse de sensibilité et derreur va permettre didentifier les données essentielles revêtant une grande importance pour le résultat de létude, qui peut exiger des efforts supplémentaires en vue daccroître sa fiabilité.
Lévaluation de limpact est un procédé technique, qualitatif ou quantitatif, permettant de caractériser et dapprécier les effets des charges sur lenvironnement identifiés dans linventaire. Elle devrait aborder à la fois les aspects écologiques et sanitaires, ainsi que dautres effets tels que les modifications de lhabitat et la pollution acoustique. Cet élément pourrait se diviser en trois étapes consécutives la classification, la caractérisation et la pondération interprétant chacune les effets des charges pour lenvironnement identifiées dans linventaire, à différents niveaux dagrégation (voir figure 54.4). La classification est létape au cours de laquelle les flux répertoriés sont regroupés en un certain nombre de catégories dimpact; la caractérisation est létape danalyse et de quantification et, lorsque cest possible, dagrégation des impacts dans les différentes catégories; lévaluation consiste à peser limportance respective des divers effets de façon à pouvoir les comparer et à parvenir à une nouvelle interprétation et agrégation des données fournies par lévaluation de limpact.
Dans létape de classification, les impacts peuvent être regroupés dans les domaines de protection généraux suivants: lappauvrissement des ressources, la salubrité de lenvironnement et la santé humaine. Ces domaines peuvent ensuite être divisés en catégories spécifiques, portant de préférence sur le mécanisme écologique concerné, afin de permettre une perspective cohérente avec la connaissance scientifique actuelle de ces mécanismes.
La caractérisation peut être abordée de plusieurs manières et, soit lier les informations aux concentrations sans effet observé ou aux normes environnementales, soit modéliser à la fois lexposition et ses effets et utiliser ces modèles de façon particulière au site, soit encore utiliser des facteurs déquivalence pour les différentes catégories dimpact. On peut aussi rapporter les données agrégées pour chaque catégorie dimpact à la dimension réelle des impacts dans certains secteurs, afin daccroître la comparabilité.
Lévaluation, qui vise à agréger encore les données de létude dimpact, est lélément de lACV qui a probablement suscité le plus de débats. Certaines approches, souvent dénommées techniques de théorie de la décision, affirment pouvoir faire de lévaluation une méthode rationnelle et explicite. Les principes dévaluation peuvent reposer sur des considérations scientifiques, politiques ou sociologiques, et il existe actuellement des approches couvrant ces trois perspectives. Il est particulièrement important de recourir à lanalyse de sensibilité et derreur. Lanalyse de sensibilité permet didentifier les critères dévaluation choisis susceptibles de changer lattribution de priorité entre deux procédés ou produits du fait de lincertitude des données. Lanalyse derreur peut être utilisée pour indiquer la probabilité quun produit soit plus écologique quun autre.
Beaucoup pensent que les évaluations doivent se fonder largement sur des choix de valeurs et de société. Cependant, personne na encore défini les exigences spécifiques auxquelles doit répondre une méthode dévaluation fiable et acceptée par tous. La figure 54.5 dresse une liste de quelques conditions qui pourraient être utilement remplies. Cependant, et il convient de le souligner clairement, tout système dévaluation de la gravité des impacts sur lenvironnement dune quelconque activité humaine doit reposer largement sur des jugements de valeur subjectifs. Il nest probablement pas possible détablir, pour ces évaluations, des critères valables dans toutes les situations.
Linterprétation des résultats consiste à évaluer systématiquement la nécessité et les possibilités de diminuer les contraintes que font peser sur lenvironnement lutilisation dénergie et de matières premières et la production de déchets pendant tout le cycle de vie dun produit, dun procédé ou dune activité. Elle peut inclure des mesures damélioration tant quantitatives que qualitatives, telles que des modifications dans la conception dun produit, lutilisation des matières premières, la production industrielle, la demande des consommateurs et la gestion des déchets.
Linterprétation des résultats est la phase de lACV qui permet de déceler et dévaluer les possibilités de réduire les impacts ou les charges que les procédés ou les produits à létude font peser sur lenvironnement. Elle sattache à identifier, à évaluer et à choisir des solutions permettant daméliorer la conception des procédés et des produits, cest-à-dire de revoir la conception technique dun procédé ou dun produit afin den minimiser la charge sur lenvironnement tout en répondant aux spécifications requises. Les décideurs doivent être bien informés des effets des incertitudes concernant les données de base et les critères utilisés pour obtenir les résultats, afin de ne pas tirer de conclusions erronées sur les procédés et les produits à létude. Insistons encore sur la nécessité dune analyse de sensibilité et derreur pour la crédibilité de la méthodologie de lACV: en effet, elle donne aux décideurs des informations sur les paramètres et hypothèses essentiels, qui peuvent appeler un réexamen et des corrections pour en consolider les conclusions, dune part, et sur limportance statistique de la différence chiffrée de charge polluante entre les différents procédés ou produits, dautre part.
La phase dinterprétation a été désignée comme la partie la moins documentée de lACV. Cependant, les résultats préliminaires de certaines grandes études dACV, menées conjointement par des universitaires, des sociétés de conseil et des entreprises, ont révélé que, dun point de vue général, les pressions importantes exercées sur lenvironnement par les produits semblaient être liées à lutilisation de ces derniers (voir figure 54.6). Il semble donc possible que des initiatives lancées par lindustrie puissent minimiser les impacts sur lenvironnement au moment de la mise au point des produits.
Selon une étude menée sur les expériences internationales de mise au point de produits écologiques fondées sur lACV (Ryding, 1994), lapplication générale de cette méthode semblait prometteuse: 1) pour lusage interne des entreprises, comme source dorientation stratégique à long terme de conception des produits; 2) pour les autorités dotées de pouvoirs réglementaires qui y recourent, dans une certaine mesure, afin datteindre leurs objectifs généraux de planification et de choix de société. La mise au point et lutilisation des informations fournies par lACV sur les effets, tant en amont quen aval, de lactivité spécifique étudiée pour lenvironnement peuvent créer un nouveau paradigme daide à la décision pour la gestion dentreprise comme pour les politiques de réglementation.
La connaissance des dangers que lêtre humain fait courir à lenvironnement semble progresser plus rapidement que sa capacité à les conjurer. Cest pourquoi les décisions sont souvent sujettes à plus dincertitude dans ce domaine que dans dautres, et les marges de sécurité sont généralement très faibles. Les connaissances écologiques et techniques actuelles ne suffisent pas toujours à proposer des stratégies complètes et infaillibles de protection de lenvironnement. Il nest pas possible de comprendre toutes les parades écologiques aux contraintes de lenvironnement avant dagir. Cependant, labsence de preuves scientifiques, complètes et irréfutables, ne saurait décourager ladoption et la mise en uvre de programmes de lutte contre la pollution. Les questions denvironnement ne peuvent attendre dêtre résolues scientifiquement avant que des mesures ne soient prises, car les dommages qui pourraient résulter dune temporisation risqueraient dêtre irréversibles. Par conséquent, la signification et la portée de la plupart des problèmes sont déjà assez connues pour justifier une action et, dans bien des cas, ces connaissances sont suffisantes pour prendre des mesures efficaces pour remédier à la plupart dentre eux.
Lanalyse du cycle de vie constitue un nouveau concept qui permet daborder les problèmes complexes qui se poseront demain. Cependant, il nexiste pas de réponse à tout. Ladoption rapide dune nouvelle démarche globale en la matière permettra sans doute de déceler un certain nombre de lacunes dans notre connaissance des nouvelles questions à régler. Par ailleurs, les données disponibles qui pourraient être utilisées sont bien souvent destinées à dautres fins. Mais, toutes ces difficultés ne sont pas des arguments pour différer lutilisation de lACV jusquà ce que les choses aillent mieux. Bien sûr, on peut invoquer des difficultés et des incertitudes sur le concept actuel dACV pour justifier lattentisme, mais il appartient à chacun de décider sil vaut la peine daborder les problèmes denvironnement dune façon globale, par lanalyse du cycle de vie. Plus lACV sera utilisée, mieux sa structure, sa fonction et sa validité seront connues, ce qui constitue la meilleure garantie de son amélioration par les informations obtenues en retour.
Procéder aujourdhui à une ACV est peut-être plus une question de volonté et dambition que de connaissances, incontestées ou non. Lidée maîtresse de lACV devrait être de tirer le meilleur parti possible des connaissances scientifiques et techniques actuelles et den utiliser le résultat avec intelligence et humilité. Pareille approche gagnera très certainement en crédibilité.
Les gouvernements, lindustrie et le public admettent la nécessité didentifier, dévaluer et de maîtriser les risques industriels, sur le lieu de travail et en général, encourus par la population et lenvironnement. La conscience des risques et des accidents pouvant entraîner des pertes importantes en vies et en biens a conduit à élaborer et à utiliser des stratégies, des méthodes et des outils systématiques dévaluation et de communication.
Lévaluation des risques comprend: la description du système, lidentification et la mise au point de scénarios daccidents ou de résultats dévénements liés aux activités de fabrication ou à une installation de stockage; lestimation des effets ou des conséquences de ces événements dangereux sur les personnes, les biens et lenvironnement; lestimation des probabilités que ces événements dangereux se produisent réellement et de leurs effets, estimation justifiant les différentes mesures et pratiques mises en place pour maîtriser les risques opérationnels et organisationnels; la quantification des niveaux de risques hors de létablissement, tant en termes de conséquences que de probabilités; lévaluation de ces niveaux par référence à des critères quantitatifs.
Lévaluation quantitative des risques est probabiliste par nature. Etant donné que les accidents majeurs peuvent se produire ou non durant toute la durée de vie dun établissement ou dun procédé, lévaluation ne doit pas porter sur les conséquences des accidents prises isolément, mais aussi sur la probabilité que de tels accidents se produisent réellement. Ces probabilités et les niveaux de risque qui en découlent devraient refléter limportance des moyens de prévention mis en place lors de la conception, de lexploitation et de lorganisation. Bon nombre dincertitudes planent sur la quantification des risques (par exemple, les modèles mathématiques destinés à en estimer les conséquences, létablissement des probabilités dans différents scénarios daccidents, les effets probables de tels accidents). Dans tous les cas, lévaluation des risques devrait exposer ces incertitudes et en tenir compte.
Le principal intérêt de lévaluation quantitative des risques ne devrait pas non plus reposer sur la seule valeur numérique de résultats isolés. Le processus dévaluation en lui-même offre de bonnes possibilités de reconnaître et dévaluer les risques de façon systématique. Il permet leur identification et leur reconnaissance, ainsi que laffectation des ressources appropriées à leur maîtrise.
Les objectifs et utilisations de cette méthode vont consister à déterminer à leur tour le champ de lanalyse, les procédures et méthodes appropriées, ainsi que le personnel, les compétences, le financement, le temps et la documentation nécessaires. Lidentification des risques est une procédure efficace et indispensable daide à leur analyse et à la décision en vue de lévaluation, comme aussi de gestion de la sécurité et de la santé au travail. Un certain nombre dobjectifs essentiels peuvent être énoncés:
Le premier objectif global est de faire bien comprendre les questions importantes et les situations pouvant affecter lanalyse des risques dans chaque établissement ou au cours dun processus; la synergie des risques pris individuellement avec lensemble du domaine étudié a son importance particulière. Les problèmes de conception et dexploitation peuvent être identifiés, et un système de classification des risques envisagé.
Le deuxième objectif comporte des éléments dévaluation des risques et consiste à élaborer des scénarios daccident et à en interpréter les résultats. Lévaluation des conséquences de divers accidents et de la propagation de leurs effets dans le temps et dans lespace est particulièrement utile dans la phase didentification des risques.
Le troisième objectif est de procurer des informations qui pourront être utiles pour les étapes ultérieures de lévaluation des risques et de la gestion de la sécurité de lexploitation. A cet effet, on peut préciser les spécifications du scénario pour lanalyse des risques ou définir les mesures de sécurité répondant à des critères donnés de risques (par exemple, individuels ou collectifs), ou encore donner des conseils pour se préparer aux cas durgence et gérer les accidents.
Les objectifs une fois définis, le second élément le plus important de la gestion, de lorganisation et de la mise en uvre de lidentification des risques est la délimitation de son champ. Dans une étude complexe didentification des risques, le champ peut être déterminé principalement par les paramètres ci-après: 1) les sources potentielles de risques (dégagements radioactifs, substances toxiques, incendies, explosions); 2) les dommages causés à létablissement ou au processus; 3) les événements générateurs; 4) les conséquences potentielles; 5) la hiérarchisation des risques. Les facteurs qui déterminent le degré dintégration de ces paramètres à lidentification des risques sont: a) les objectifs et lusage souhaité; b) la disponibilité des informations et des données appropriées; c) les ressources et les compétences disponibles. Lidentification des risques exige de prendre en considération toutes les informations pertinentes sur linstallation (établissement, processus), cest-à-dire la disposition du site et de létablissement; des informations détaillées sur le processus (diagrammes techniques et conditions dexploitation et de maintenance); la nature et la quantité des matières manipulées; les dispositifs de protection opérationnels, organisationnels et physiques; les normes de conception.
Un accident peut avoir plusieurs conséquences externes (par exemple, le nombre de morts, le nombre de personnes hospitalisées, les différents types de dommages à lécosystème, les pertes financières, etc.). Les conséquences externes dun accident, dues à la substance i pour une activité identifiée j, peuvent être calculées comme suit:
Les conséquences pour lenvironnement des accidents majeurs sont plus difficiles à estimer en raison de la variété des substances éventuellement présentes, ainsi que du nombre dindicateurs dimpact sur lenvironnement sappliquant à une situation daccident donnée. Généralement, une échelle dutilisation est associée aux diverses conséquences pour lenvironnement; elle pourrait inclure les événements liés aux incidents, aux accidents ou aux catastrophes.
Lévaluation financière des conséquences daccidents potentiels nécessite une estimation détaillée des conséquences possibles et des coûts qui leur sont associés. La valeur de catégories particulières de conséquences (par exemple, les pertes humaines ou la perte dhabitats biologiques particuliers) nest pas toujours acceptée a priori. Lévaluation en termes financiers devrait aussi inclure les coûts externes, qui sont très souvent difficiles à estimer.
Les procédures didentification des situations dangereuses susceptibles de se produire dans les établissements et avec le matériel en exploitation sont généralement considérées comme lélément le plus développé et le mieux établi du processus dévaluation des installations dangereuses. Il faut admettre que: 1) les procédures et les techniques varient en complexité et en modes de fonctionnement et vont de listes de contrôle comparatives à des diagrammes logiques structurés et détaillés; 2) les procédures peuvent sappliquer à différents stades de la formulation et de la mise en uvre des projets (de la prise de décisions sur lemplacement dun établissement jusquà sa conception, sa construction et son exploitation).
Les techniques didentification des risques se divisent pour lessentiel en trois catégories. Les techniques les plus communément utilisées pour chaque catégorie sont les suivantes:
Lopportunité et la pertinence de toute technique spécifique didentification des risques dépendent dans une large mesure du but fixé à une évaluation de ceux-ci. Lorsque de nouveaux détails techniques sont disponibles, il est possible de les incorporer dans lévaluation globale. Les expertises et appréciations techniques peuvent souvent servir à lévaluation des risques pour dautres installations ou processus. Le principe fondamental est dabord dexaminer létablissement ou les opérations sous langle le plus large possible et den identifier systématiquement les risques potentiels. Le fait davoir essentiellement recours à des techniques très élaborées peut susciter des problèmes et faire négliger des risques évidents. Parfois, il peut être nécessaire dadopter plusieurs techniques, selon le niveau de précision requis, quil sagisse dune nouvelle installation proposée ou dune opération en cours.
Les critères probabilistes de sécurité sont associés à un processus rationnel de prise de décisions qui réclame létablissement dun cadre cohérent, assorti de normes indiquant le niveau de sécurité souhaité. Il conviendrait dexaminer les risques collectifs pour juger de lacceptabilité de toute installation industrielle dangereuse. Un certain nombre de facteurs devraient être présents à lesprit lors de la définition des critères probabilistes de sécurité fondés sur le risque collectif, dont la forte appréhension quinspirent au public les accidents ayant de lourdes conséquences (cest-à-dire que le niveau de risque retenu devrait être inversement proportionnel à la gravité des conséquences). Tandis que les niveaux de risques individuels de mortalité englobent tous les facteurs dangereux (incendies, explosions, toxicité), il peut subsister des incertitudes quant à la corrélation entre des concentrations de produits toxiques et le risque de mortalité. Linterprétation du terme «mortel» ne devrait pas reposer sur une quelconque relation de dose à effet, mais comprendre un examen des données disponibles. Le concept de risque collectif suppose que les accidents susceptibles davoir de lourdes conséquences, mais rares, sont perçus comme plus inquiétants que les incidents bénins beaucoup plus fréquents.
Indépendamment de la valeur de tout niveau de risque défini comme critère dévaluation, certains principes qualitatifs doivent absolument être adoptés comme des références en la matière ainsi quen gestion de la sécurité: 1) tous les risques «évitables» devraient être écartés; 2) le risque provenant dun danger majeur devrait être réduit chaque fois que possible; 3) les effets dévénements dangereux plus probables devraient être contenus, partout où cela est possible, à lintérieur de lenceinte de linstallation; 4) lorsquil existe un risque élevé émanant dune installation dangereuse, lajout daménagements dangereux ne devrait pas être autorisé sil accroît le risque existant de manière significative.
Dans les années quatre-vingt-dix, la communication au sujet des dangers encourus a éveillé lintérêt et est devenue une branche distincte de la science des risques ou cyndinique.
Les principales tâches dévolues à la communication sur les risques consistent à:
Le domaine et les objectifs de la communication sur les risques peuvent varier selon les acteurs impliqués, les fonctions que ceux-ci attribuent au processus de communication et à son environnement et, aussi, à leurs attentes.
Les individus et les entreprises intervenant dans la communication sur les risques utilisent de multiples moyens. Les principaux sujets sont la protection de la santé et de lenvironnement, lamélioration de la sécurité et le niveau dacceptabilité des risques.
Selon la théorie, la communication peut avoir les fonctions suivantes:
Aux fins de la communication sur les risques, il peut être utile de faire la distinction entre ces fonctions. Selon la fonction choisie, il conviendrait denvisager différentes conditions pour que le processus soit réussi.
La communication sur les risques peut parfois consister en une simple présentation des faits. Linformation est un besoin de toute société moderne. Dans le domaine de lenvironnement en particulier, il existe des lois qui, dune part, obligent les autorités à informer la population et, dautre part, donnent à celle-ci le droit de connaître la situation de lenvironnement et des risques (par exemple, la directive Seveso de la Communauté européenne et la législation sur le droit de savoir de la collectivité, aux Etats-Unis). Linformation peut également être destinée à une catégorie particulière de la collectivité, par exemple, les salariés dune usine doivent être informés des risques auxquels ils sont exposés sur leur lieu de travail. En ce sens, la communication sur les risques se doit dêtre:
Lappel vise à inciter quelquun à faire quelque chose. Dans les domaines liés au risque, on lui attribue les fonctions ci-après:
Lappel doit:
Le fait de se présenter soi-même ne délivre pas une information neutre, mais fait essentiellement partie dune stratégie de persuasion ou de marketing destinée à améliorer limage de marque dun individu, à faire accepter une certaine activité, ou encore à obtenir le soutien à une position quelconque. Le critère de réussite de la communication est ladhésion ou non du public. Dun point de vue normatif, bien quune présentation de ce type vise à convaincre, elle devrait être honnête et sincère.
Ces formes de communication sont essentiellement unilatérales. Lorsquon cherche à obtenir une décision ou un accord, la communication est bilatérale ou multilatérale: la partie qui transmet linformation nest plus seule, et plusieurs acteurs interviennent dans le processus de communication: cest généralement le cas dans une société démocratique. En particulier, lorsquil sagit de risques et denvironnement, la communication est considérée comme remplaçant un instrument réglementaire dans des situations complexes, où il nest pas possible de trouver une solution. Par conséquent, les décisions comportant des risques et revêtant à ce titre une importance politique doivent être prises dans un climat de communication. En ce sens, la communication sur les risques peut intervenir, notamment lorsque les problèmes sont fortement politisés, ou, par exemple, sétablir entre un entrepreneur, son personnel et les services durgence, afin que le premier soit le mieux préparé possible en cas daccident. Cest pourquoi, en fonction de la portée et de lobjectif de la communication sur les risques, différents acteurs peuvent participer au processus de communication. Ce sont principalement:
Dans une approche systémique, toutes ces catégories dacteurs correspondent à un certain type de société et ont donc des codes de communication, des valeurs et des intérêts à communiquer différents. Très souvent, il nest pas facile davoir une base commune de dialogue en matière de risques. Il faut trouver des structures à même de concilier ces différents points de vue et de parvenir à un résultat pratique. Par exemple, lobjet de la communication sur les risques peut être une décision consensuelle sur limplantation ou non dun établissement dangereux dans une certaine région.
Dans toutes les sociétés, il existe des procédures juridiques et politiques traitant des questions liées au risque (par exemple, la législation, les décisions gouvernementales ou administratives, les procédures judiciaires, etc.). Dans de nombreux cas, ces procédures ne conduisent pas à des solutions entièrement satisfaisantes permettant un règlement pacifique des conflits. Des propositions obtenues en intégrant des éléments de la communication sur les risques aux procédures existantes ont été élaborées pour améliorer le processus de décision politique.
Lorsquon propose des procédures de communication, il faut discuter de deux questions essentielles:
En ce qui concerne lorganisation formelle, plusieurs possibilités se présentent:
De toute façon, les relations entre ces structures de communication et les organes législatifs et politiques qui prennent les décisions doivent être précisées. Dordinaire, le résultat dun processus de communication sur les risques a force de recommandation non contraignante auprès des organes de décision.
Quant à la structure du processus de communication, en règle générale, tout argument est accepté à condition:
Diverses règles et propositions spécifiques ont été élaborées, afin de concrétiser ces principes. Dans le processus de communication des risques, il convient notamment de distinguer entre les exigences dordre:
De même, les divergences dopinion peuvent porter sur:
Il peut être utile que le processus de communication des risques clarifie le niveau des différences et leur signification. Différentes propositions structurelles visent à améliorer les conditions de ce débat et, dans le même temps, à aider les décideurs à trouver des solutions équitables et appropriées par exemple:
Lefficacité de la communication sur les risques peut se définir comme le niveau de modification dune situation initiale (indésirable) vers un état voulu, défini dans les objectifs de départ. Les aspects de procédure doivent être inclus dans lévaluation des programmes de communication sur les risques. Ces critères comprennent la faisabilité (souplesse, adaptabilité, possibilité, applicabilité, etc.) et les coûts (en argent, en personnel et en temps) du programme.
Laudit de sécurité et de salubrité de lenvironnement sest développé au début des années soixante-dix, essentiellement dans des sociétés travaillant dans des secteurs sensibles sur le plan écologique, tels le pétrole et les produits chimiques. Depuis lors, laudit denvironnement sest répandu rapidement, comme dailleurs les stratégies et les techniques adoptées. Plusieurs facteurs ont influencé cette croissance.
Il faut distinguer laudit dune technique telle que létude dimpact sur lenvironnement (EIE). Cette dernière évalue les conséquences potentielles pour lenvironnement dun projet dinstallation. Laudit denvironnement a pour objet essentiel lévaluation systématique des résultats écologiques de lensemble des activités dune entreprise. Au mieux, un audit est un examen exhaustif des systèmes et dispositifs de gestion; au pire, il consiste en un tour dhorizon superficiel.
Tous ne comprennent pas ce terme de la même façon et emploient les mots évaluation, enquête et étude pour décrire le même type dactivités. En outre, certaines organisations considèrent quun audit denvironnement aborde uniquement les questions liées à ce thème, alors que, pour dautres, il porte aussi sur les questions de sécurité et de santé. Bien quil nexiste pas de définition universelle, laudit, tel quil est pratiqué par nombre de grandes sociétés, correspond à la conception et à la démarche de la Chambre de commerce internationale (CCI) dans sa publication, Environmental Auditing (1989). Dans son règlement 1836/1993, le Conseil des Communautés européennes (CCE, 1993) a repris cette définition à larticle 2, f):
un outil de gestion qui comporte une évaluation systématique, documentée, périodique et objective du fonctionnement de lorganisation, du système de management et des procédés destinés à assurer la protection de lenvironnement et qui vise à:
i) faciliter le contrôle opérationnel des pratiques susceptibles davoir une incidence sur lenvironnement;
ii) évaluer la conformité avec les politiques environnementales de lentreprise.
Lobjectif global dun audit denvironnement est daider à protéger lenvironnement et à réduire au maximum les risques pour la santé humaine. Il est clair que laudit ne va pas atteindre ce but à lui seul (doù le terme «aider»). Il est un outil de gestion et se propose les principaux objectifs ci-après:
Lobjectif fondamental des audits étant de tester ladéquation des systèmes de gestion existants, leur fonction est fondamentalement différente de celle du contrôle des résultats pour lenvironnement. Laudit peut porter sur un seul sujet ou sur toute une série de questions: plus son champ est large, plus la taille de son équipe, le temps passé sur place et lapprofondissement des investigations sont importants. Lorsque des audits internationaux doivent être réalisés par une équipe centrale, il peut y avoir de bonnes raisons, une fois sur place, denquêter sur plus dun domaine afin de réduire les coûts au minimum.
En outre, laudit peut avoir une portée qui varie entre une simple vérification de conformité et un examen plus rigoureux, selon les besoins ressentis par la direction. La technique ne sapplique pas seulement à la gestion opérationnelle de lenvironnement, de la sécurité et de la santé, mais aussi, de plus en plus, à la gestion de la sécurité et de la qualité des produits, ou encore à la prévention des pertes. Si le but de laudit est de permettre une gestion correcte de ces vastes domaines, tous doivent être examinés séparément. Les points pouvant être abordés par un audit, y compris lenvironnement, la sécurité, la santé, et la sécurité des produits, sont présentés dans le tableau 54.1.
Environnement |
Sécurité |
Santé au travail |
Sécurité des produits |
Histoire du site |
Politique/procédures de sécurité |
Exposition des salariés aux contaminants atmosphériques |
Programme de sécurité des produits |
Bien que certaines sociétés aient instauré un cycle régulier (souvent annuel), les audits sont en premier lieu déclenchés par la nécessité et lurgence. Cest pourquoi toutes les installations et tous les aspects dune entreprise ne seront pas examinés avec la même fréquence ou dans la même mesure.
Un audit est généralement effectué par une équipe qui va rassembler des données factuelles avant et pendant la visite dun site, analyser les faits et les comparer avec les critères de laudit, tirer des conclusions et les transmettre. Ces étapes suivent généralement un certain ordre dénommé protocole daudit, établi de telle façon que le processus puisse être reproduit avec fiabilité dans dautres installations et avec la même qualité. Pour quun audit soit efficace, il doit comporter un certain nombre détapes fondamentales. Celles-ci sont récapitulées et expliquées dans le tableau 54.2.
Une étape fondamentale dans létablissement dun programme daudit consiste à décider des critères qui vont présider à cet exercice et à les faire connaître à la direction dans toute la société. Voici les critères types:
Les étapes préalables portent sur les questions administratives liées à la planification de laudit, la sélection du personnel de léquipe (souvent en provenance de différents départements de la société ou dune unité spécialisée), la préparation du protocole daudit utilisé par la société et lobtention des informations de base sur létablissement.
Si la pratique de laudit est récente, le besoin dinformer les intéressés (les auditeurs et personnes soumises à laudit) ne saurait être sous-estimé. Il en va de même dune société multinationale qui étend son programme daudit de son pays dorigine à ses filiales étrangères. Dans ces situations, le temps consacré aux explications portera ses fruits, les audits seront reçus dans un esprit de coopération et ne seront pas considérés comme une menace par la direction locale.
Lorsquune importante société des Etats-Unis a décidé détendre son programme daudit à ses activités en Europe, elle sest particulièrement attachée à ce que les établissements soient correctement informés, à ce que les protocoles daudit conviennent aussi à lEurope et à ce que les équipes comprennent bien les règlements en vigueur. Des audits pilotes ont été menés sur des établissements sélectionnés. En outre, le processus a été présenté de façon à souligner les avantages dune stratégie fondée sur la coopération plutôt que sur la contrainte.
Lobtention des informations de base sur un établissement et son fonctionnement peut permettre de réduire au minimum le temps passé sur le site par léquipe et de cibler ses activités, économisant ainsi des ressources.
La composition de léquipe daudit dépendra de lapproche adoptée par lorganisation. En labsence de compétences internes, ou de ressources à consacrer à ces activités, les entreprises ont fréquemment recours à des consultants indépendants qui mènent les audits pour elles. Dautres sociétés font un choix mixte: personnel maison et consultants externes dans chaque équipe pour garantir lobjectivité. Certaines grandes entreprises ne font appel quà leur propre personnel pour les audits et disposent de groupes spécialisés dans les audits denvironnement. De nombreuses sociétés importantes possèdent leur propre équipe daudit à laquelle elles adjoignent souvent un consultant indépendant.
Après les travaux sur le site, létape suivante consiste à préparer un projet de rapport, qui est examiné par la direction de létablissement afin den confirmer lexactitude. Il est ensuite distribué aux cadres supérieurs, conformément aux désirs de la société.
Lautre étape essentielle est de mettre en place un plan daction pour remédier aux défaillances. Certaines sociétés demandent que le rapport daudit recommande des mesures correctives, et létablissement fondera alors sa stratégie sur ces recommandations. Dautres sociétés souhaitent que le rapport daudit se borne à constater les faits et les insuffisances, sans mentionner les moyens dy remédier, laissant alors à la direction de létablissement le soin de sen charger.
Une fois quun programme daudit est en place, les futurs audits intégreront à leur documentation les rapports et les progrès accomplis.
Bien que laudit denvironnement serve surtout à évaluer les résultats des activités dune société en matière denvironnement, ce thème se prête à plusieurs variations. Indiquons les autres types daudits utilisés dans des circonstances particulières:
Un audit denvironnement mené de façon constructive peut apporter de nombreux avantages. Laudit décrit dans le présent article permettra:
Les trente dernières années ont connu un essor spectaculaire des problèmes denvironnement dû à différents facteurs: lexpansion démographique (son rythme se poursuit, et les estimations font état de 8 milliards de personnes dici à lan 2030); la pauvreté; la prépondérance de modèles économiques axés sur la croissance et sur la quantité plutôt que sur la qualité; une consommation élevée des ressources naturelles, induite notamment par lexpansion industrielle; la réduction de la diversité biologique à la suite, en particulier, dune production agricole accrue par la monoculture; lérosion des sols; le changement climatique; lutilisation insoutenable des ressources naturelles; la pollution de lair, du sol et de leau. Par ailleurs, les effets négatifs de lactivité humaine sur lenvironnement ont également accéléré la sensibilisation et la perception de lintérêt collectif dans de nombreux pays, modifiant les conceptions et les modes dintervention traditionnels.
Ces modes ont évolué, passant successivement de lignorance à la non-reconnaissance du problème, puis à la dilution et au contrôle de la pollution par des stratégies dites de fin de chaîne. Les années soixante-dix ont été celles des premières grandes crises locales environnementales, dune nouvelle prise de conscience de la pollution et de ladoption dune vague de législations nationales, de réglementations et de conventions internationales visant à maîtriser et à combattre la pollution. Cette stratégie dite de fin de chaîne a bientôt montré ses faiblesses, car elle visait à intervenir de façon autoritaire sur les symptômes, et non sur les causes des problèmes denvironnement. Dans le même temps, la pollution industrielle a également attiré lattention sur le caractère de plus en plus contradictoire de la mentalité respective des employeurs, des travailleurs et des groupements écologistes.
Les années quatre-vingt ont connu la mondialisation des problèmes denvironnement, comme la catastrophe de Tchernobyl, les pluies acides, lappauvrissement et le trou dans la couche dozone, leffet de serre et le changement climatique, ainsi que laugmentation et lexportation des déchets toxiques. Ces événements et les problèmes en découlant ont favorisé la sensibilisation et le soutien du public à de nouvelles solutions axées sur les outils de gestion de lenvironnement et les modes de production moins polluants. Des organisations telles que le Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE), lOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE), lUnion européenne (UE) et de nombreuses institutions nationales ont commencé à définir la problématique et à travailler ensemble dans un cadre global fondé sur les principes de prévention, dinnovation, dinformation, déducation et de participation des principaux intéressés. Lavènement des années quatre-vingt-dix a marqué une prise de conscience spectaculaire de laggravation de la crise de lenvironnement, en particulier dans le monde en développement et en Europe centrale et orientale. Le seuil critique a été franchi à la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED) qui a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992.
Aujourdhui, le principe de précaution est devenu lun des facteurs les plus importants à prendre en compte dans lévaluation des politiques et des solutions en matière denvironnement. Selon ce principe, une incertitude ou une controverse scientifiques sur les problèmes et les politiques denvironnement ne devraient pas empêcher les décideurs de sentourer de précautions afin déviter de futures répercussions négatives chaque fois que cela est possible du point de vue économique, social et technique. Le principe de précaution devrait présider à lélaboration des politiques et des règlements, ainsi quà la planification et à la mise en uvre des projets et des programmes.
De fait, tant la méthode de prévention que le principe de précaution visent à intégrer laction sur lenvironnement: lintérêt quasiment exclusif pour le processus de production cède le pas à la mise au point doutils et de techniques de gestion de lenvironnement au service de toutes les formes dactivité économique et de prise de décisions. Contrairement à la stratégie de lutte contre la pollution, qui consistait simplement à réagir et à faire marche arrière, la gestion de lenvironnement et la recherche dune production moins polluante veulent inscrire le principe de précaution dans des stratégies plus larges de mise au point dun processus qui sera évalué, surveillé et continuellement amélioré. Pour être efficaces, toutefois, la gestion de lenvironnement et la recherche dune production moins polluante doivent faire lobjet dune application attentive par tous les intéressés et à tous les niveaux dintervention.
Ces nouvelles stratégies ne doivent pas être considérées comme de simples instruments de technique environnementale, car elles relèvent plutôt dune démarche globale intégrée qui permettra de définir de nouveaux modèles déconomie de marché, conciliables avec les impératifs sociaux et écologiques. Pour être pleinement efficaces, elles auront besoin dun cadre réglementaire, dinstruments dincitation et dun consensus social issu de la collaboration des institutions, des partenaires sociaux, des groupements écologistes et des organisations de consommateurs. Pour que la gestion de lenvironnement et les stratégies de production moins polluantes créent un développement socio-économique plus durable, divers facteurs seront à prendre en considération lorsquil sagira de fixer les politiques, délaborer et dappliquer les normes et règlements, et dadopter les conventions et plans daction collectifs, tant à léchelle de lentreprise quaux niveaux local, national et international. Compte tenu des grandes disparités des conditions économiques et sociales dans le monde, les chances de réussite dépendront aussi de la situation politique, économique et sociale au niveau local.
La mondialisation, la libéralisation des marchés et les politiques dajustement structurel vont aussi défier notre capacité danalyser globalement les conséquences économiques, sociales et écologiques de ces changements complexes dans nos sociétés qui risquent de bouleverser les rapports de force et les responsabilités, peut-être même la propriété et le pouvoir. Il faudra veiller à ce que ces changements nentraînent pas une impuissance et une paralysie dans le développement de la gestion de lenvironnement et des technologies de production moins polluantes. Au-delà des risques, il y a là une nouvelle occasion daméliorer nos conditions sociales, économiques, culturelles, politiques et environnementales actuelles. La gestion de ces changements positifs appelle toutefois la collaboration, la participation et la souplesse dans nos sociétés et nos entreprises. Pour éviter la paralysie, nous devrons adopter des mesures inspirant confiance et privilégier une stratégie progressive propre à obtenir le soutien et les moyens nécessaires à un bouleversement de nos futures conditions de vie et de travail.
Comme nous lavons mentionné, la nouvelle donne internationale se caractérise par la libéralisation des marchés, lélimination des barrières douanières, les nouvelles technologies de linformation, les transferts quotidiens de capitaux à la fois rapides et colossaux et la mondialisation de la production, en particulier par les entreprises multinationales. La déréglementation et la compétitivité constituent les critères essentiels des stratégies dinvestissement. Cependant, ces changements facilitent aussi la délocalisation des usines, la fragmentation des processus de production et la création de zones spéciales dexportation, qui dispensent les industries de leurs obligations, réglementaires et autres, à légard des travailleurs et de lenvironnement. Ces phénomènes peuvent favoriser des coûts salariaux excessivement bas et, par voie de conséquence, des bénéfices plus élevés pour les industriels, mais saccompagnent fréquemment dune situation déplorable dexploitation de la main-duvre et de lenvironnement. En outre, en labsence de réglementations et de contrôles, des usines, des technologies et des matériels dépassés depuis longtemps sont exportés, tout comme le sont, en particulier vers les pays en développement, les produits chimiques et autres substances dangereuses qui ont été interdits, retirés de la vente ou sévèrement limités dans un pays pour des motifs écologiques ou sécuritaires.
Pour surmonter ces difficultés, il est essentiel que les nouvelles règles de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) soient établies de façon à promouvoir des échanges acceptables sur le plan social et écologique. Afin de garantir une concurrence équitable, lOMC devrait donc exiger que tous les pays se conforment aux normes internationales du travail (par exemple, aux conventions fondamentales adoptées par les Etats Membres de lOrganisation internationale du Travail (OIT)) et aux conventions et règlements sur lenvironnement. En outre, les directives, telles que celles de lOCDE sur les transferts de technologie, et les règlements devraient être effectivement appliqués pour éviter lexportation de systèmes de production fortement polluants et dangereux.
Les facteurs à prendre en compte sur le plan international sont notamment:
Les pays en développement et ceux qui en ont besoin devraient se voir accorder une aide financière spéciale, des réductions dimpôts, des mesures dincitation et une assistance technique pour pouvoir appliquer les normes fondamentales du travail et de lenvironnement évoquées ci-dessus et introduire des technologies et des produits moins polluants. Une approche innovante doit à lavenir retenir lattention: il sagit de lélaboration de codes de conduite négociés par certaines sociétés et leurs syndicats et visant à promouvoir le respect des droits fondamentaux en matière sociale et environnementale. Grâce à sa structure tripartite, lOIT joue un rôle unique dans lévaluation de ce processus au niveau international, en étroite coordination avec dautres organes des Nations Unies et les institutions responsables de lassistance financière et de laide internationales.
Un cadre réglementaire général approprié doit être établi, aux niveaux national et local, afin de mettre en place des procédures adéquates de gestion de lenvironnement. Cela appellera un système de prise de décisions associant les politiques budgétaire, fiscale, industrielle, économique, du travail et de lenvironnement et assurera une consultation et une participation pleines et entières des acteurs sociaux les plus directement intéressés (à savoir les employeurs, les organisations syndicales, les groupements écologistes et les organisations de consommateurs). Une telle approche systématique lierait également les différents programmes et politiques. Ainsi:
En résumé, les facteurs à prendre en considération aux niveaux national et local sont:
La gestion de lenvironnement dans un groupe, une entreprise ou toute autre structure économique demande une évaluation et une prise en considération continues des effets sur lenvironnement, que ce soit sur le lieu de travail (milieu de travail) ou à lextérieur de lentreprise (environnement général), de toutes les activités et décisions liées à lexploitation. Elle appelle également à la modification de lorganisation du travail et des processus de production pour réagir efficacement à ces effets.
Les entreprises doivent prévoir les conséquences potentielles sur lenvironnement dune activité, dun procédé ou dun produit dès leur conception afin de pouvoir mettre en uvre des stratégies dintervention suffisantes, opportunes et concertées. Lobjectif est de rendre lindustrie et les autres secteurs économiques compatibles avec les besoins durables du développement économique et social et de lenvironnement. Très certainement, dans de nombreux cas, une période de transition sera nécessaire, pendant laquelle il faudra lutter contre la pollution et prendre des mesures correctives. Cest pourquoi la gestion de lenvironnement devrait être considérée comme un processus combiné de prévention et de lutte visant à harmoniser les stratégies des entreprises et lenvironnement. Pour ce faire, les sociétés devront mettre au point, dans leur stratégie de gestion, des processus de production propres, les mettre en uvre et effectuer des écobilans.
La gestion de lenvironnement et une production propre auront des répercussions positives non seulement sur lenvironnement, mais aussi sur:
Loin de se contenter dévaluer leur conformité avec la législation et les réglementations existantes, les sociétés devraient aussi se fixer des objectifs raisonnables en matière denvironnement en échelonnant dans le temps un processus qui comporterait:
On peut évaluer les activités de plusieurs façons, chacune pouvant comporter les éléments essentiels ci-après:
Alors que, dans certains pays, les droits syndicaux fondamentaux ne sont pas encore reconnus et que les travailleurs ne sont en mesure ni de protéger leur santé, leur sécurité et leurs conditions de travail, ni daméliorer les résultats en matière denvironnement, dans plusieurs autres, lapproche participative, destinée à sassurer de la compatibilité durable de lentreprise avec lenvironnement, a été testée avec succès. Au cours des dix dernières années, la conception traditionnelle des relations professionnelles sest élargie pour inclure non seulement les questions et programmes de sécurité et de santé, conformément aux réglementations nationales et internationales en la matière, mais encore les questions denvironnement dans le mécanisme des relations professionnelles. En fonction des différentes situations, des partenariats entre les employeurs et les représentants des syndicats ont été établis dans les entreprises, les branches et sur le plan national, par voie de conventions collectives. Ils sont parfois également prévus par les règlements de consultation mis en place par les autorités locales ou nationales pour gérer les conflits en matière denvironnement. Voir tableaux 54.3, 54.4 et 54.5.
Pays |
Employeur/ Etat |
Employeur/ syndicat/ Etat |
Employeur/ syndicat |
Employeur/ comité d’entreprise |
Allemagne |
X |
X |
X |
|
Autriche |
X |
|||
Belgique |
X |
X |
||
Danemark |
X |
X |
X |
X |
Espagne |
X |
X |
||
France |
X |
X |
||
Grèce |
X |
X |
||
Italie |
X |
X |
X |
X |
Pays-Bas |
X |
X |
X |
|
Royaume-Uni |
X |
X |
Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.
Pays |
Niveau national |
Accord de branche (niveau régional) |
Etablissement |
Allemagne |
X |
X |
|
Autriche |
X |
||
Belgique |
X |
X |
|
Danemark |
X |
X |
X |
Espagne |
X |
X |
|
France |
|||
Grèce |
X |
||
Italie |
X |
X |
X |
Pays-Bas |
X |
X |
X |
Royaume-Uni |
X |
Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.
Pays |
Déclarations communes, recommandations, accords |
Conventions collectives de branche |
Accords d’entreprise |
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Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.
Le nettoyage des sites contaminés est une procédure de plus en plus courante et coûteuse depuis les années soixante-dix, qui marquent une prise de conscience provoquée par les cas de contamination importante du sol et de leau par laccumulation des déchets chimiques, labandon des sites industriels, etc. La pollution de ces sites résulte des activités ci-après:
Lélaboration dun plan dintervention ou dassainissement fait appel à des techniques complexes qui doivent saccompagner dune définition claire des responsabilités en matière de gestion et des obligations qui en découlent. De telles initiatives devraient être prises dans un contexte dharmonisation dune législation nationale et avec la participation des populations intéressées, aux fins de définir des procédures claires de règlement des conflits et déviter déventuels effets de dumping socio-écologique. Ces règlements, accords et plans devraient clairement inclure les ressources naturelles, biotiques ou non, telles que leau, lair, le sol ou la flore et la faune, mais aussi le patrimoine culturel, les aspects esthétiques du paysage et les dommages causés aux personnes physiques et aux biens. Une définition restrictive de lenvironnement réduirait en conséquence celle du dommage causé à celui-ci et limiterait les mesures prises pour remédier aux effets de la pollution. Dans le même temps, les personnes directement affectées par les dommages devraient se voir attribuer certains droits et protection, mais des actions collectives devraient aussi pouvoir être intentées pour protéger les intérêts de la collectivité et veiller à la restauration de la situation antérieure.
Seule une action vigoureuse permettra de faire face à la rapidité avec laquelle la situation de lenvironnement évolue. Nous nous sommes attachés ici à démontrer la nécessité dagir pour améliorer les résultats de lindustrie et des autres secteurs économiques en matière denvironnement. Pour que cette action soit effective et utile, les travailleurs et leurs syndicats doivent y prendre une part active, non seulement dans lentreprise, mais aussi aux niveaux local et national. Les travailleurs doivent être considérés comme des partenaires essentiels et appelés à ce titre à jouer un rôle actif dans la réalisation des futurs objectifs denvironnement et de développement durable. Leur capacité et celle des syndicats à participer à la gestion de lenvironnement ne dépend pas seulement de leurs propres aptitudes et de leur sensibilisation, bien que des efforts nécessaires soient en cours afin de les améliorer, mais aussi de lengagement des directions et des collectivités en faveur de la mise au point de nouvelles formes de collaboration et de participation.
Quest-ce que prévenir la pollution sinon envisager des solutions et les réaliser, et sengager en faveur de produits et de procédés ayant un effet minimal sur lenvironnement?
La prévention dans ce domaine nest pas une idée nouvelle: elle est lexpression dune éthique qui a inspiré de nombreux peuples et civilisations, comme les Indiens dAmérique: ils vivaient en harmonie avec la nature qui leur procurait abri et nourriture et constituait le fondement même de leur religion. Bien que les conditions fussent excessivement rudes, la nature était honorée et respectée.
Avec le développement des nations et la révolution industrielle, lattitude vis-à-vis de lenvironnement changea du tout au tout. La société en vint à le considérer comme une source intarissable de matières premières et une décharge commode pour ses déchets.
Cependant, certaines branches ont pratiqué une forme de prévention de la pollution dès le début du développement de lindustrie chimique. A lorigine, celle-ci recherchait surtout lefficacité ou un rendement accru des procédés grâce à la réduction des déchets, plutôt que la prévention spécifique de la pollution. A intentions différentes, résultat identique: moins de déchets étaient rejetés dans lenvironnement.
Un exemple précoce de prévention de la pollution nous est donné sous une autre forme par une usine allemande qui produisait de lacide sulfurique au XIXe siècle. Des perfectionnements du procédé permirent de réduire la quantité de dioxyde de soufre émise par livre de produit fabriqué, ce qui était vraisemblablement considéré alors comme une amélioration de lefficacité ou de la qualité. Il y a peu de temps que le concept de prévention de la pollution a été directement associé à ce type de modification des procédés.
La prévention de la pollution telle que nous la connaissons à lheure actuelle a vu le jour au milieu des années soixante-dix, en réaction à la croissance en volume et en complexité des impératifs écologiques. Cest alors que lAgence pour la protection de lenvironnement (Environmental Protection Agency (EPA)) a été créée aux Etats-Unis. Les premiers efforts destinés à réduire la pollution étaient pour la plupart des installations en aval, ou des adjonctions coûteuses de dispositifs antipollution. Lélimination de la source de pollution ne constituait pas une priorité et, si on y procédait, cétait plus dans un souci de profit ou defficacité que dans un effort organisé de protection de lenvironnement.
Ce nest que récemment que les industriels ont adopté un point de vue plus spécifiquement écologique et se sont efforcés daller dans ce sens; cependant, leur manière daborder la prévention de la pollution peut être très différente.
Avec le temps, les esprits ont commencé à évoluer et à sintéresser davantage à la prévention quà la lutte contre la pollution. Il est apparu que les scientifiques qui inventent les produits, les ingénieurs qui conçoivent les machines, les exploitants des installations de production, les spécialistes du marketing qui travaillent auprès des clients à améliorer les caractéristiques «vertes» des produits, les représentants qui rapportent au laboratoire les préoccupations écologiques des clients pour quon y trouve des solutions et les employés de bureau qui sefforcent de réduire leur consommation de papier, tous peuvent contribuer à la réduction de limpact sur lenvironnement des opérations ou des activités dont ils sont responsables.
Dans létat actuel des choses, il convient dexaminer tant les programmes globaux que les techniques spécifiques de prévention de la pollution. En la matière, les uns et les autres concourent également aux résultats. Bien que le progrès technique soit absolument indispensable, les avantages écologiques ne seront jamais complètement acquis sans une structure organisationnelle destinée à le soutenir et à le mettre en uvre.
Obtenir la pleine participation de lentreprise à la prévention de la pollution relève de la gageure. Certaines sociétés ont imposé la prévention à tous les niveaux de leur organisation au moyen de programmes bien conçus et détaillés. Citons-en trois parmi les plus largement reconnus aux Etats-Unis: les programmes 3P (La prévention de la pollution paie (Pollution Prevention Pays)) de la société 3M, SMART (Economies et réduction des produits toxiques (Save Money and Reduce Toxics)) de la société Chevron and WRAP (Réduire les déchets rapporte toujours (Waste Reduction Always Pays)) de Dow Chemical.
Le but de ces programmes est de réduire les déchets autant que la technologie le permet, mais compter sur la seule réduction à la source nest pas toujours techniquement faisable. Le recyclage et la réutilisation doivent aussi faire partie de leffort de prévention de la pollution, comme cest le cas dans les programmes susmentionnés. Lorsquon demande à chaque salarié, non seulement de rendre les processus aussi efficaces que possible, mais aussi de trouver un usage productif à chaque sous-produit ou flux résiduel, la prévention de la pollution devient partie intégrante de la culture dentreprise.
A la fin de 1993, aux Etats-Unis, la Table ronde de lindustrie (The Business Roundtable) a publié les résultats dune étude de référence sur les efforts réussis en matière de prévention de la pollution. Elle signalait les meilleurs programmes de prévention réalisés sur des installations et mettait en évidence les éléments nécessaires à lintégration de la prévention dans lexploitation dune société. Elle portait sur les installations de Proctor and Gamble (P&G), Intel, DuPont, Monsanto, Martin Marietta et 3M.
Létude a démontré que les programmes couronnés de succès dans ces sociétés avaient en commun les éléments suivants:
En outre, létude a révélé que, dans chaque établissement, la prévention de la pollution au stade de la fabrication avait cédé le pas à une prévention intégrée dès la phase de préproduction. La prévention de la pollution était devenue une valeur fondamentale de lentreprise.
Les programmes de prévention ne seront totalement opérationnels quavec le soutien de la haute direction de la société et des différents établissements qui doivent envoyer à tous les salariés un message clair déclarant que la prévention de la pollution fait partie intégrante de leurs fonctions. Cela commence par le directeur général, puisque cest lui qui donne le ton à toutes les activités de la société et se fait entendre en parlant en public et dans lentreprise.
Le deuxième facteur de réussite est la participation des salariés. Le personnel technique et les ouvriers de production sont les premiers touchés par la mise au point de nouveaux procédés ou produits. Mais les salariés de toutes catégories peuvent sintéresser à réduire le gaspillage grâce à la réutilisation, à la récupération et au recyclage, qui deviennent des moyens de prévention de la pollution. Les salariés connaissent les possibilités existant dans leur domaine de responsabilité bien mieux que les professionnels de lenvironnement. Si elle veut motiver son personnel, la société doit linformer des défis qui lui sont lancés. La publication dans le bulletin de lentreprise darticles sur les questions denvironnement peut contribuer à sensibiliser le personnel.
La reconnaissance des résultats peut seffectuer de nombreuses façons. Le directeur général de 3M propose un système spécial de récompense non seulement aux salariés qui contribuent aux objectifs de lentreprise, mais également à ceux qui participent à leffort de lensemble de la communauté en faveur de lécologie. En outre, les résultats dans ce domaine sont pris en compte dans lévaluation du travail accompli.
La mesure des résultats est extrêmement importante, car elle est le moteur de laction des salariés. Certains établissements et programmes dentreprise mesurent tous les déchets, tandis que dautres se concentrent sur les émissions des rejets toxiques répertoriés ou sur dautres mesures qui correspondent le mieux à leur culture dentreprise et à leurs programmes de prévention de la pollution.
En vingt ans, la prévention de la pollution sest implantée dans la culture dentreprise de la société 3M. Sa direction sest engagée à aller au-delà des réglementations gouvernementales, notamment en mettant en place des plans de gestion de lenvironnement combinant objectifs écologiques et stratégie dentreprise. Le programme 3P sattachait à la prévention, et non à la lutte antipollution.
Lidée est darrêter la pollution avant même quelle ne commence et de rechercher les possibilités de la prévenir à tous les stades et non seulement à la fin de la vie dun produit. Les entreprises qui y réussissent admettent que la prévention est plus efficace pour lenvironnement, meilleure techniquement et moins onéreuse que les procédures de lutte ordinaires, qui néliminent pas le problème. La prévention est économique parce que, en évitant la pollution, il ny a pas à sen occuper plus tard.
Le personnel de 3M a élaboré et mis en application plus de 4 200 projets de prévention de la pollution depuis le début du programme 3P. Pendant les vingt dernières années, ces projets ont permis déliminer plus de 589 670 tonnes de polluants et déconomiser 750 millions de dollars.
Entre 1975 et 1993, 3M a diminué de 3 900 Btu (1 Btu = 1 055,06 J) la quantité dénergie nécessaire par unité de production, soit 58%. Les économies dénergie annuelles de 3M pour les seuls Etats-Unis sélèvent au total à 22 milliards de Btu par an. Cela représente assez dénergie pour chauffer, refroidir et éclairer plus de 200 000 foyers dans le pays et éliminer plus de 2 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Enfin, en 1993, les usines de 3M ont récupéré et recyclé plus de déchets solides (90 264 tonnes) quils nen ont mis en décharge (89 811 tonnes).
Concevoir des produits et des procédés de fabrication respectueux de lenvironnement est une idée qui fait son chemin, mais les technologies utilisées pour la prévention de la pollution sont aussi variées que les entreprises elles-mêmes. En général, cette idée devient réaliste à la faveur des innovations techniques touchant quatre domaines:
La concentration des efforts dans chacun de ces domaines permet de créer des produits nouveaux et plus sûrs, de réduire les coûts et de satisfaire les clients.
La modification de la composition des produits est probablement la chose la plus difficile à réaliser. Bon nombre des caractéristiques qui rendent des matières idéales pour lusage quon en fait peuvent aussi poser des difficultés. Ainsi, une équipe de scientifiques a éliminé le méthylchloroforme, destructeur dozone, dun produit de protection pour textile. Le nouveau produit, à base deau, réduit considérablement lusage de solvants et confère à lentreprise un avantage sur le marché.
Fabriquant des médicaments sous forme de comprimés pour lindustrie pharmaceutique, des salariés ont mis au point une nouvelle solution à base deau pour remplacer la solution à base de solvant utilisée auparavant pour enrober les cachets. Ce changement a coûté 60 000 dollars, mais a évité den dépenser 180 000 en matériels de lutte contre la pollution, a économisé 150 000 dollars de matières premières et a éliminé 24 tonnes de polluants atmosphériques par an.
La modification dun procédé de fabrication a permis de supprimer lusage de produits chimiques dangereux pour nettoyer les feuilles de cuivre destinées ensuite à la fabrication darticles électriques. Auparavant, le nettoyage seffectuait par pulvérisation de persulfate dammonium, dacide phosphorique et dacide sulfurique, produits chimiques dangereux. Ce procédé a été remplacé par un autre qui utilise une solution légère dacide citrique, produit inoffensif. Ce changement de procédé évite la production de 18 143 tonnes de déchets dangereux par an et économise à la société environ 15 000 dollars par an de matières premières et de frais délimination.
La reconception des machines conduit aussi à la réduction des déchets. Dans le secteur de la production de résines, une entreprise prélevait régulièrement des échantillons dune résine phénolique liquide spéciale au moyen dun robinet placé sur le trajet du flux de production. Une partie du produit était perdue avant et après la prise de léchantillon. En installant un simple entonnoir sous le dispositif déchantillonnage et un tuyau retournant dans le circuit, la société prélève désormais ses échantillons sans perdre de produit. Cela évite environ 9 tonnes de pertes par an, économise environ 22 000 dollars, augmentant le rendement et réduisant les coûts délimination, le tout pour un coût dinvestissement denviron 1 000 dollars.
La récupération des ressources et lutilisation productive des matières résiduelles sont elles aussi extrêmement importantes pour prévenir la pollution. On fabrique désormais des tampons à récurer avec des bouteilles de soda en plastique recyclé. Dans les deux premières années dexistence de ce nouveau produit, la société a utilisé près de 500 tonnes de ce matériau recyclé pour fabriquer les tampons, ce qui équivaut à plus de 10 millions de bouteilles de soda de deux litres. De même, des déchets de caoutchouc découpés dans des revêtements de sol au Brésil servent à fabriquer des sandales. Pour la seule année 1994, lusine a récupéré environ 30 tonnes de matière, assez pour fabriquer plus de 120 000 paires de sandales.
Autre exemple, les blocs de Post-it® consomment 100% de papier recyclé. Une seule tonne de papier recyclé économise environ 2 295 m3 despace de décharge, 17 arbres, 26 495 litres deau et 4 100 kWh dénergie, ce qui suffit à chauffer un foyer moyen pendant six mois.
Une analyse du cycle de vie ou des procédés similaires sont en place dans chaque entreprise qui réussit. On voit donc que chaque phase du cycle de vie dun produit, de la mise au point à lélimination, en passant par la production et la consommation, offre loccasion daméliorer lenvironnement. Les réponses aux défis environnementaux ont entraîné la création de produits à forte connotation écologique dans toute lindustrie.
Ainsi, P&G a été le premier fabricant à mettre sur le marché des détergents concentrés présentés dans des emballages de 50 à 60% plus petits que les précédents. Les recharges de P&G réapprovisionnent aussi plus de 57 marques dans 22 pays; elles coûtent moins cher et économisent jusquà 70% de déchets solides.
Dow a mis au point un nouveau désherbant très efficace, mais non toxique. Il comporte moins de risques pour les personnes et pour les animaux et se calcule en grammes et non en kilogrammes par demi-hectare. Grâce à la biotechnologie, Monsanto a mis au point des plants de pomme de terre résistant aux insectes, ce qui permet de réduire les besoins en insecticides chimiques. Un autre herbicide de Monsanto aide à rétablir lhabitat naturel des zones humides en luttant contre les mauvaises herbes de façon plus écologique.
Nous devons absolument envisager la prévention de la pollution dans son ensemble et nous engager en faveur dun renforcement des programmes et du perfectionnement des technologies. Laccroissement de lefficacité ou du rendement des procédés et la réduction de la production de déchets font depuis longtemps partie des pratiques des industries manufacturières. Pourtant, ce nest que depuis une vingtaine dannées que ces activités sintéressent plus directement à la prévention de la pollution. De gros efforts visent désormais la réduction de la pollution à la source, ainsi que les processus destinés à séparer, à recycler et à réutiliser les sous-produits. Tous sont des instruments éprouvés de prévention de la pollution.