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Chapitre 54 - La politique de l'environnement

VUE D’ENSEMBLE: LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ AU TRAVAIL ET L’ENVIRONNEMENT — LES DEUX FACES D’UN MÊME PROBLÈME

Larry R. Kohler

La présente édition de l’Encyclopédie de sécurité et de santé au travail est la première à inclure expressément des questions pertinentes touchant l’environnement. Ce chapitre soulève un certain nombre de problèmes fondamentaux en politique de l’environnement, qui sont de plus en plus liés à la sécurité et à la santé au travail; d’autres examinent les risques que l’environnement fait courir à la santé et la lutte contre la pollution: le chapitre no 53, «Les risques pour la santé liés à l’environnement», et le chapitre no 55, «La lutte contre la pollution de l’environnement». En outre, nous nous sommes attachés tout particulièrement à traiter de l’environnement dans chacun des chapitres consacrés aux grandes branches de l’activité économique. Lorsque nous avons commencé à nous interroger sur l’opportunité d’aborder ces questions dans l’Encyclopédie , nous avons pensé, dans un premier temps, n’y faire figurer qu’un seul chapitre de référence pour exposer les liens étroits qui se sont tissés entre la sécurité, la santé et les conditions de travail, d’une part, et les problèmes d’environnement, d’autre part. Comme l’Organisation internationale du Travail (OIT) le constate depuis une vingtaine d’années, le milieu de travail et l’environnement en général constituent «les deux faces d’un même problème».

Cependant, il est tout aussi évident que le défi que ce «problème à deux faces» lance aux travailleurs du monde entier est largement sous-estimé et négligé dans les plans d’action. Les succès méritoires qui reçoivent l’attention et les éloges légitimes de l’Encyclopédie risquent de donner une impression dangereuse et erronée de sécurité et de confiance quant au niveau actuel de la sécurité et de la santé au travail, et de la protection de l’environnement. Le meilleur de nos technologies, techniques et outils de gestion a fait accomplir des progrès impressionnants: des problèmes ont été supprimés et des risques prévenus dans nombre de secteurs essentiels, notamment dans les pays industriels, mais il n’en reste pas moins que leur application et, donc, leur succès dans le monde sont bel et bien insuffisants et limités, en particulier dans les pays en développement et les économies en transition.

Nous décrirons ici quelques-uns des outils et des pratiques les plus utiles à notre disposition pour surmonter les difficultés et relever les défis que posent la sécurité et la santé au travail et l’environnement, sans prétendre qu’ils sont déjà largement en usage dans le monde. Il est cependant important que les professionnels de la prévention du monde entier en apprennent plus sur ces outils et pratiques, afin d’en répandre l’application et l’adaptation pratique aux différentes situations économiques et sociales.

Le premier article de ce chapitre passe brièvement en revue la corrélation entre la sécurité, la santé et le milieu de travail, les politiques et les problèmes dans le domaine de l’environnement en général et le concept de «développement durable». Ce dernier est devenu le principe directeur d’Action 21, le plan d’action pour le XXIe siècle adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro en juin 1992. Il était certes rassurant de penser qu’il n’est pas seulement possible, mais essentiel, de distinguer les problèmes selon qu’ils se posent sur le lieu de travail ou en dehors de l’entreprise, mais c’était aussi une grave erreur. Cette idée n’est plus guère de mise. En fait, à l’heure actuelle, travailleurs et employeurs, ainsi que leurs organisations commencent à reconnaître que les politiques suivies pour régler les problèmes ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise.

Cela étant, les questions de sécurité et de santé au travail ont peut-être été traitées de façon trop cloisonnée par le passé. Nous exposerons donc brièvement quelques points de la politique de l’environnement que les professionnels de la sécurité et de la santé au travail pourront juger tout particulièrement pertinents pour leurs activités et préoccupations. Deux articles du présent chapitre, consacrés aux lois et règlements sur l’environnement, font le point de la situation créée par l’adoption de nombreux traités internationaux et textes juridiques nationaux qui répondent aux problèmes d’aujourd’hui et de demain dans ce domaine.

Quatre autres articles décrivent quelques-uns des instruments politiques les plus importants utilisés à l’heure actuelle pour améliorer l’environnement, non seulement dans l’industrie, mais aussi dans les autres secteurs de l’économie et l’ensemble de nos sociétés: études d’impact sur l’environnement, analyses du cycle de vie, évaluation des risques et information, audits d’environnement. La dernière partie de ce chapitre offre deux perspectives sur la prévention et la maîtrise de la pollution: l’une considère la prévention comme une priorité pour les entreprises, l’autre se place dans une optique syndicale de prévention de la pollution et d’utilisation de technologies propres.

Nous avons cherché à permettre au lecteur de mieux percevoir et de comprendre les relations toujours plus étroites entre la sécurité, la santé et le milieu de travail, d’une part, et les questions plus générales d’environnement hors du lieu de travail, d’autre part. Nous voulons croire que la prise de conscience de ces liens conduira à approfondir et à étendre les échanges d’expériences et d’informations entre les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail et ceux de l’environnement, afin de nous rendre capables de relever les défis qui nous sont lancés dans le milieu de travail et en dehors de celui-ci.

L’ENVIRONNEMENT ET LE MONDE DU TRAVAIL: UNE APPROCHE INTÉGRÉE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU MILIEU DE TRAVAIL

Larry R. Kohler

Quiconque tente de remonter à la source de la plupart de nos problèmes actuels d’environnement aboutit nécessairement à une usine, un bureau, une entreprise, etc., ce qui ne saurait étonner les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail. D’ailleurs, les graves effets de certains produits chimiques et autres substances sur la sécurité et la santé constituent désormais un système d’alerte précoce des conséquences potentielles pour l’environnement, et cela bien au-delà des lieux de travail.

Malgré la relation évidente entre le milieu de travail et l’environnement, nombre de gouvernements, d’employeurs et de travailleurs continuent de réagir aux causes et aux conséquences des problèmes dans ces deux secteurs de façon très disparate, comme s’il s’agissait de faits isolés (vu l’importance de la distinction entre le milieu de travail et les perspectives plus vastes ouvertes par des termes tels que l’environnement physique, général ou externe, nous utiliserons l’expression milieu de travail pour désigner toutes les questions relatives à la santé, à la sécurité et à l’environnement sur le lieu de travail et le terme environnement pour les problèmes relatifs à l’environnement en dehors de celui-ci). Nous voulons ici attirer l’attention sur les avantages significatifs de solutions plus intégrées et stratégiques pour régler les problèmes d’environnement à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Cela est vrai non seulement des pays industriels, qui ont accompli de grands progrès tant en matière de sécurité et de santé au travail que d’environnement, mais aussi des économies en transition et des pays en développement, qui font face à des difficultés plus grandes encore.

Le présent article ayant été rédigé pour la quatrième édition (anglaise) de l’Encyclopédie de sécurité et de santé au travail , il ne cherche pas à brosser un tableau de tous les problèmes de sécurité et de santé au travail liés à l’environnement, qui sont étudiés dans d’autres chapitres de cet ouvrage. En fait, la sécurité et la santé au travail font partie intégrante des résultats de l’entreprise en matière d’environnement, ce qui ne veut pas dire que sécurité et santé au travail et protection de l’environnement soient toujours totalement compatibles et se confortent mutuellement; à l’occasion, elles peuvent même s’opposer. Il convient néanmoins de rechercher les moyens de protéger à la fois la sécurité et la santé des travailleurs et, plus généralement, l’environnement, et d’éviter d’avoir à choisir entre les unes ou l’autre. Identifier les problèmes relatifs à l’environnement et les stratégies destinées à les régler conduit trop souvent à opposer à tort la protection de l’environnement et la sécurité des travailleurs ou celle de l’emploi. Bien que de tels conflits puissent effectivement exister dans des circonstances bien précises, la majorité des situations réclame une série de compromis et de stratégies prudentes, menées dans la durée et permettant d’atteindre à la fois les objectifs de protection de l’environnement, des travailleurs et de l’emploi. En corollaire, la collaboration entre travailleurs et employeurs est indispensable si l’on veut améliorer les résultats en matière de sécurité et de santé au travail comme aussi d’environnement.

Cette association de l’environnement et du monde du travail apparaît particulièrement évidente si l’on part du principe que les résultats en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail devraient être inspirés par la prévention plutôt que d’être acquis par de simples mesures correctives ou de contrôle. La notion de prévention est fondamentale pour toute amélioration future de la sécurité et de la santé au travail et de l’environnement. Au début du XXe siècle, la sécurité et la santé au travail dans les pays industriels consistaient souvent en un simple contrôle: il s’agissait de protéger les travailleurs d’une exposition aux risques. L’accent était mis en particulier sur des mesures de prévention technique destinées à limiter les accidents en améliorant les machines, par exemple en installant des dispositifs de protection. Avec les progrès des connaissances sur les conséquences pour la santé des travailleurs d’une exposition à certains produits chimiques et substances toxiques, la réaction «logique» a souvent consisté à protéger d’abord le travailleur en renforçant les systèmes de ventilation ou en imposant le port d’équipements de protection. Certes, on a connu des exceptions, et non des moindres, en particulier dans les pays industriels, mais l’intérêt de l’opinion publique pour l’élimination des produits chimiques et des substances toxiques, ou leur remplacement par des produits moins nocifs, dans des secteurs clés de l’industrie est un phénomène relativement récent qui est apparu il y a une trentaine d’années. Remarquons que l’accent mis de plus en plus sur la prévention de l’émission elle-même, ou sur l’utilisation de produits chimiques spécifiques, va de pair avec la sensibilisation et l’engagement du public pour les questions d’environnement. Cette nouvelle prise de conscience écologique a mis en évidence à la fois les conséquences immédiates et à plus long terme de la dégradation de l’environnement pour nos sociétés et nos économies. L’intérêt du public semble avoir également encouragé les efforts déployés par les travailleurs pour collaborer avec leurs employeurs à l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail. Néanmoins, il est très clair que les actions sérieuses menées à ce jour en faveur de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que de l’environnement ne représentent qu’une partie seulement des problèmes qui, s’ils sont évidents sur l’ensemble de la planète, sont encore plus spectaculaires dans les pays en développement et les économies en transition.

L’ordre de priorité et les politiques en matière d’environnement dans les pays industriels ont connu à peu près le même parcours et passé du contrôle à la prévention, quoique sur une période bien plus courte que pour la sécurité et la santé au travail. Au début, l’intérêt pour l’environnement se limitait en fait à des préoccupations quant à la «pollution», c’est-à-dire aux émissions dans l’air, dans l’eau et dans le sol générées par les processus de production. C’est pourquoi les réactions portaient souvent sur l’aval (ou la «fin de cycle») des émissions locales. Pour ne citer qu’un exemple relativement simple, cette approche restrictive a donné lieu à des solutions comme la construction de cheminées plus hautes qui, malheureusement, ne supprimaient pas la pollution, mais la dispersaient bien au-delà de l’entreprise et de la population locale. Si la population et les travailleurs s’en satisfaisaient souvent, de nouveaux problèmes d’environnement surgissaient: une pollution à longue distance, voire une pollution atmosphérique transfrontière, peut entraîner dans certains cas ce qu’il est coutume d’appeler les «pluies acides». Lorsque les effets secondaires de cette solution de fin de chaîne ou d’aval devinrent évidents, il fallut beaucoup de temps à certains intéressés pour reconnaître que la formule des hautes cheminées engendrait effectivement d’autres conséquences négatives graves. L’innovation qui suivit consista à ajouter un système de filtrage sophistiqué pour retenir les émissions avant qu’elles ne sortent des cheminées. Comme le montre cet exemple, les décideurs ne s’appliquaient pas à prévenir les émissions, mais plutôt à prendre des mesures destinées à les neutraliser. De nos jours, des efforts croissants sont déployés pour prévenir les émissions en changeant de carburant et en améliorant les technologies de combustion, ainsi qu’en modifiant le processus de production lui-même grâce à des méthodes de production dites «plus propres».

Cette stratégie préventive, qui appelle aussi une approche globale, présente au moins quatre avantages significatifs pour le monde du travail et l’environnement:

Les politiques, législations et réglementations de l’environnement ont évolué et amènent, ou tout au moins tentent d’accompagner, la transition entre les approches fondées sur la lutte antipollution et celles qui reposent sur la prévention.

Quoi qu’il en soit, ces deux stratégies, de fin de chaîne et de production moins polluante, ont chacune des conséquences directes sur la sauvegarde et la création d’emplois. Il est clair que, dans de nombreuses parties du monde, notamment dans les pays industriels et les économies en transition, il existe d’importantes possibilités de création d’emplois liées aux activités de dépollution. Mais, dans le même temps, les technologies de production moins polluantes constituent également une industrie naissante en plein essor, porteuse de nouvelles possibilités d’emplois, qui appelle bien entendu d’autres efforts encore pour répondre aux besoins de qualification et de formation. On le voit notamment dans le besoin impérieux de dispenser aux travailleurs qui participent à l’assainissement une véritable formation aux questions de sécurité et de santé au travail et d’environnement. Sans négliger les effets négatifs qu’une réglementation et un contrôle accrus de l’environnement risquent d’avoir sur l’emploi, de telles mesures, à condition d’être convenablement appliquées, peuvent améliorer la situation aussi bien en ce qui concerne la création de nouveaux emplois que la promotion de la sécurité et de la santé au travail ou la protection de l’environnement.

Un autre changement décisif d’optique est intervenu depuis les années soixante: l’intérêt porté tout d’abord aux seules méthodes de production s’oriente désormais vers les produits eux-mêmes et leurs effets sur l’environnement. L’exemple le plus patent en est l’automobile, où des efforts considérables ont été déployés afin d’en améliorer «l’efficacité pour l’environnement», bien qu’il subsiste une vive controverse pour savoir si on ne devrait pas s’employer à développer en complément un réseau de transports en commun lui aussi efficace sur le plan écologique. En tout état de cause, il est clair que tous les produits ont une incidence sur l’environnement, sinon lors de leur production ou de leur utilisation, tout au moins au moment de leur élimination finale. Ce changement d’optique a entraîné un accroissement du nombre de lois et de réglementations sur l’environnement relatives à l’utilisation et à l’élimination des produits, voire à la limitation ou à la suppression de certains d’entre eux. Il a également donné lieu à de nouvelles techniques d’analyse telles que les études d’impact sur l’environnement, l’analyse du cycle de vie, l’évaluation des risques et l’écobilan (voir les autres articles de ce chapitre). Cette conception élargie de l’environnement a également des implications pour le monde du travail, en ce qui concerne par exemple les conditions de travail des personnes qui sont chargées de l’élimination des produits dangereux ou les perspectives d’emploi de ceux qui fabriquent, vendent et assurent l’entretien de produits soumis à des interdictions ou à des restrictions.

Autre moteur de la politique de l’environnement, le nombre et la portée dramatiques des accidents industriels majeurs, en particulier la catastrophe de Bhopal en 1984. Cette dernière, ainsi que d’autres accidents graves comme ceux de Tchernobyl et de l’Exxon Valdez ont démontré au monde entier — public, personnalités politiques, employeurs et travailleurs — que la conception traditionnelle selon laquelle les événements qui se produisent dans l’enceinte de l’entreprise ne sauraient affecter ou n’affecteraient pas l’environnement extérieur, la population ou la santé et les moyens de subsistance des communautés alentour est erronée. Bien que ces catastrophes ne soient pas les premières à se produire, les images qu’en ont diffusées les médias à travers le monde ont frappé l’opinion publique des pays développés, des pays en développement et des économies en transition, amenant de larges couches de la population à prendre mieux conscience de ces risques et à apporter leur soutien à une politique de l’environnement qui protège également les travailleurs et la population. Relevons cependant que, là encore, les progrès législatifs et réglementaires visant à améliorer la sécurité et la santé au travail ne sont intervenus qu’à la suite d’événements dramatiques, comme ce fut le cas, dans le passé, après des incendies d’usines ou des catastrophes minières.

L’un des meilleurs exemples de l’effet que peuvent avoir ces nouvelles préoccupations en faveur de l’environnement, en particulier depuis ces dernières catastrophes «écologiques» est peut-être, dans le cadre de l’Organisation internationale du Travail (OIT) elle-même, la série de décisions prises par ses mandants tripartites. C’est ainsi qu’elle a intensifié ses activités liées à l’environnement et au monde du travail, et qu’en particulier ont été adoptées, depuis 1990, trois importantes séries de conventions et de recommandations internationales du travail sur les conditions de travail:

Ces normes reflètent une extension explicite du champ d’action traditionnel de l’OIT, qui dépasse la seule protection des travailleurs pour inclure également une approche plus globale de ces sujets, en faisant référence, dans le préambule ou le dispositif, à la protection de la population et de l’environnement. Par exemple, selon l’article 3 de la convention no 174, l’expression accident majeur désigne «un événement soudain […] entraînant un danger grave, immédiat ou différé, pour les travailleurs, la population ou l’environnement»; l’article 4 dispose: «Tout Membre doit […] formuler, mettre en œuvre et revoir périodiquement une politique nationale cohérente relative à la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement contre les risques d’accident majeur.» La large palette de conventions et de recommandations de l’OIT sur le milieu de travail constitue une source de conseils très utile pour les pays qui s’efforcent d’améliorer leurs résultats en matière de sécurité et de santé au travail et d’environnement. A cet égard, il est bon de noter que l’Organisation offre une assistance et un soutien consultatif à ses mandants tripartites afin de les aider à ratifier et à mettre en œuvre ses normes pertinentes.

En outre, bien d’autres facteurs influencent fortement les relations entre le milieu de travail et l’environnement en général. L’un des plus évidents est le fait que, malgré maintes préoccupations et conclusions communes (par exemple, sur les produits chimiques, les accidents, la santé), ces deux domaines sont souvent régis par plusieurs ministères et par des lois, règlements, normes et mécanismes d’application et de contrôle distincts. Ces différences jettent la confusion et entraînent aussi, peut-être, des coûts supplémentaires dus au chevauchement des compétences et, ce qui est plus troublant encore, d’éventuelles lacunes qui risquent d’être à l’origine de graves omissions dans la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement. Par exemple, des rapports récents sur un certain nombre de services d’inspection nationaux ont attiré l’attention sur des risques de double emploi, de lacunes et d’incohérences dans les responsabilités attribuées aux inspections des fabriques, du travail et de l’environnement. Ces rapports font également mention de situations dans lesquelles des inspections du travail se sont vues attribuer de nouvelles responsabilités en matière d’environnement sans être dotées du personnel requis, de ressources financières supplémentaires ou de formation spécifique, ce qui ne peut que distraire le personnel de ses fonctions de sécurité et de santé au travail. En outre, dans de nombreux pays, ces obligations légales et ces fonctions d’inspection demeurent extrêmement limitées et ne reçoivent pas le soutien politique et financier requis. On ne saurait trop insister sur la nécessité d’une approche intégrée du contrôle, de la mise en œuvre et des mécanismes de règlement des différends relatifs à la réglementation et aux normes applicables dans les domaines de la protection de l’environnement et dans celui de la sécurité et de la santé au travail.

Bien que les fonctions d’inspection soient une composante essentielle de tout système de gestion de la sécurité et de la santé au travail et de protection de l’environnement, elles ne suffisent jamais à elles seules. La sécurité et la santé au travail, de même que le lien entre l’environnement et le monde du travail, devront demeurer largement de la responsabilité de l’entreprise. Le meilleur moyen d’obtenir de bons résultats est d’établir un maximum de confiance et de collaboration entre la direction et les travailleurs, et de dispenser à ces derniers une solide formation. Cette collaboration devra aussi être étayée par des mécanismes paritaires. Ces efforts dans l’entreprise connaîtront d’autant plus de succès que de bonnes relations auront été établies avec des services d’inspection facilement accessibles, dotés de moyens suffisants, bien formés et indépendants.

La vague actuelle de déréglementation et d’ajustement structurel, en particulier dans le secteur public, si elle est bien conçue et mise en œuvre, pourrait conduire à une meilleure gestion de la sécurité et de la santé au travail et de la protection de l’environnement. Cependant, certains signes extrêmement inquiétants semblent indiquer que ce processus risque aussi d’entraîner une détérioration des résultats dans ces deux domaines si les gouvernements, les employeurs, les travailleurs et le public ne leur accordent pas la priorité requise. Trop souvent, les problèmes de sécurité et de santé au travail et d’environnement sont considérés comme pouvant être remis à «plus tard», une fois satisfaites les exigences économiques immédiates. Pourtant, l’expérience tend à prouver que des économies à courte vue, réalisées aujourd’hui, coûtent cher demain en mesures correctives de problèmes qui auraient pu être évités d’emblée et à moindre coût. La sécurité et la santé au travail et l’environnement ne devraient pas être considérés comme des coûts improductifs en aval, mais bien comme des investissements productifs essentiels pour la société, l’environnement et l’économie.

Il y a bien longtemps que les employeurs et les travailleurs collaborent sur le lieu de travail en vue d’y régler les questions de sécurité et de santé, et cette collaboration a largement démontré sa valeur. Il est intéressant de noter qu’à l’origine la sécurité et la santé au travail étaient considérées comme une prérogative exclusive des employeurs. Néanmoins, grâce aux efforts considérables des partenaires sociaux, la plupart des pays considèrent désormais que ces questions doivent faire l’objet d’une collaboration bi- ou tripartite. En fait, de nombreux pays ont mis en place une législation exigeant la création de comités mixtes de sécurité et de santé au travail dans les entreprises.

Ici encore, pourtant, la sécurité et la santé au travail et l’environnement ont visiblement évolué de concert. Lorsque les travailleurs et leurs syndicats ont fait valoir que les problèmes de sécurité et de santé au travail les concernaient directement, ils ont souvent été éconduits sous prétexte qu’ils n’avaient pas les connaissances et les compétences techniques nécessaires à la compréhension ou au traitement de ces problèmes. Ils ont dû lutter pendant des années pour faire reconnaître leur rôle fondamental à cet égard dans l’entreprise et insister sur le fait que, s’agissant de leur sécurité et de leur santé, ils avaient le droit de prendre part aux décisions et pouvaient apporter un concours précieux. De même, de nombreux employeurs et leurs organisations ont fini par admettre les avantages d’une telle collaboration. A l’heure actuelle, travailleurs et syndicats sont souvent confrontés à des attitudes de rejet similaires de la part de certains employeurs, lorsqu’ils revendiquent leur capacité et leur droit de contribuer à la protection de l’environnement. Ici aussi, il faut noter cependant que ce sont les employeurs avisés et responsables de certains secteurs de pointe qui sont les premiers à reconnaître que les aptitudes, l’expérience et le bon sens des travailleurs peuvent contribuer à améliorer les résultats en matière d’environnement et qui privilégient une main-d’œuvre bien formée, motivée, pleinement informée et engagée.

Pourtant, il est encore des employeurs pour affirmer que l’environnement est du ressort exclusif de la direction et pour s’opposer à la mise en place de comités mixtes pour la sécurité, la santé et l’environnement ou spécialisés dans ce dernier domaine. D’autres, en revanche, reconnaissent la contribution pratique et cruciale qu’une action commune des employeurs et des travailleurs peut apporter à la définition et au respect par les entreprises de normes environnementales. Il ne s’agit plus de s’acquitter simplement de ses obligations légales, il faut prendre volontairement des mesures pour répondre aux besoins des populations locales, de la concurrence internationale, du marketing «vert» (faisant appel à des arguments écologiques), etc. Les politiques et programmes volontaires en matière d’environnement que mènent certaines associations de branche (par exemple, le Programme de gestion responsable (Responsible Care Programme) des industries chimiques) intègrent souvent de façon explicite des considérations de sécurité et de santé au travail et d’environnement. De même, les normes spécifiques et souvent volontaires qu’élaborent des organismes tels que l’Organisation internationale de normalisation (ISO) ont également eu une influence croissante sur la protection dans ces deux domaines.

Les résultats positifs d’une collaboration entre les organisations d’employeurs et de travailleurs ont également engendré de nouveaux partenariats et alliances qui vont au-delà des lieux de travail et veillent à ce que toutes les personnes intéressées par la sécurité, la santé et l’environnement puissent participer de façon constructive à cette entreprise. L’OIT a qualifié de «collaboration tripartite élargie» ce nouvel effort qui vise, au-delà du lieu de travail, à étendre la coopération aux collectivités locales, aux organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l’environnement et aux autres institutions œuvrant à l’amélioration du monde du travail.

Plusieurs questions se dessinent à l’horizon qui sont à la fois source de difficultés et d’occasions de resserrer les liens entre la sécurité et la santé au travail et l’environnement. Les petites et moyennes entreprises (PME) et le secteur urbain non structuré sont d’un accès particulièrement difficile. Il suffit d’évoquer les conséquences redoutables de l’un des grands défis du XXIe siècle pour l’environnement et le développement qui est celui de l’eau potable et de l’assainissement. De nouvelles stratégies participatives sont à concevoir pour mieux faire passer le message sur les risques majeurs que de nombreuses activités font encourir aux travailleurs et à l’environnement. Cependant, au-delà de ces risques, il y a là une nouvelle occasion d’augmenter la productivité et les revenus des activités traditionnelles, ainsi qu’une possibilité de créer de nouvelles activités génératrices de revenus, directement liées à l’environnement. Compte tenu des multiples liens directs et indirects existant entre le secteur structuré, les PME et le secteur urbain non structuré, des solutions innovantes sont à trouver pour favoriser l’échange d’expériences sur les moyens d’améliorer la sécurité et la santé au travail, ainsi que l’environnement. Les organisations d’employeurs et de travailleurs auraient là un rôle pratique non négligeable à jouer.

Autre préoccupation naissante, la pollution de l’air à l’intérieur des bâtiments. Nous avons eu tendance à axer les actions destinées à remédier aux conditions de travail malsaines sur les grands établissements industriels. Or, de nos jours, on constate que de nombreux bureaux et locaux à usage commercial peuvent poser de nouveaux problèmes de santé au travail en raison de la pollution de l’air à l’intérieur des bâtiments. Cette pollution est liée à l’usage accru de produits chimiques et d’équipements électroniques, à l’absorption d’air ambiant contaminé, à l’utilisation de systèmes de climatisation et de ventilation fonctionnant en circuit fermé, ainsi qu’à la possibilité d’une sensibilité accrue des travailleurs, comme en témoigne le nombre croissant de cas d’allergie et d’asthme. Les mesures à prendre pour s’attaquer aux problèmes de pollution de l’air à l’intérieur des bâtiments devront désormais mieux intégrer les facteurs de sécurité et de santé au travail comme aussi d’environnement.

Les liens avec le développement durable

Jusqu’ici, nous avons brièvement mis en évidence la corrélation passée et peut-être future entre la sécurité et la santé au travail et l’environnement. Toutefois, ce point de vue devrait apparaître d’emblée comme relativement étroit si on le compare à l’approche globale et intégrée que constitue le concept de développement durable. Cette notion fut à la clé, pour ne pas dire le maître mot, des travaux préparatoires des négociations qui ont mené à Action 21, le plan d’action pour le XXIe siècle adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro en juin 1992 (Robinson, 1993). Le concept de développement durable fait et continuera de faire l’objet d’une vive polémique. Une grande partie du débat a porté sur l’aspect sémantique. Aux fins de notre article, le développement durable constitue à la fois un but et un processus. En tant que but, il appelle un développement qui réponde de façon équitable aux besoins des générations présentes et futures. En tant que processus, il appelle la mise en œuvre de politiques qui tiennent compte non seulement des facteurs économiques, mais aussi environnementaux et sociaux.

Pour que ce concept global se traduise dans les faits, tous ces facteurs devront faire l’objet d’une démarche analytique et de solutions nouvelles. Il est essentiel que la sécurité et la santé au travail soient un critère décisif dans l’évaluation des futures décisions d’investissement et de développement, et ce à tous les niveaux, du lieu de travail à la négociation des normes internationales. La protection des travailleurs ne devra pas être considérée comme un simple coût d’exploitation parmi d’autres, mais comme un facteur essentiel à la réalisation des objectifs économiques, environnementaux et sociaux qui font partie intégrante du développement durable. Cela signifie que les projets visant à la réalisation de tels objectifs considéreront la protection des travailleurs comme un investissement ayant un taux de rendement potentiellement positif. La protection des travailleurs ne saurait être limitée au seul lieu de travail, mais devrait tenir compte des relations entre le travail et la santé en général, les conditions de vie (eau, installations sanitaires, logement), les transports, la culture, etc. Les actions destinées à améliorer la sécurité et la santé au travail sont donc un préalable à la réalisation du développement économique et social dans les pays en développement, et non un luxe réservé aux pays riches.

Comme Michel Hansenne, alors Directeur général du Bureau international du Travail (BIT), le déclarait dans son Rapport à la Conférence internationale du Travail de 1990:

[…] Il y a en fait une question centrale qui reparaît dans pratiquement toutes les discussions sur la politique en matière d’environnement, à savoir comment peut-on répartir équitablement les coûts et les avantages de l’action pour la protection de l’environnement. «Qui va payer les améliorations de l’environnement?». Voilà une question qui doit être débattue et résolue à tous les niveaux — du point de vue des consommateurs, des travailleurs et des employeurs aussi bien que de celui des institutions locales, nationales, régionales et internationales.

Pour l’OIT, la manière dont ces coûts et avantages potentiels de l’action en faveur de l’environnement sont répartis peut avoir des implications sociales et humaines aussi importantes que les mesures adoptées elles-mêmes. Une distribution inéquitable — à l’intérieur des pays comme entre les pays — des coûts et des avantages sociaux, économiques et écologiques du développement ne saurait donner lieu à un développement mondial durable. Elle pourrait au contraire accentuer la pauvreté, l’injustice et les divisions (BIT, 1990).

Par le passé, et trop fréquemment encore de nos jours, les travailleurs ont payé une part inéquitable des coûts du développement économique: conditions déplorables de sécurité et de santé (comme l’incendie tragique de la Kader Industrial Toy Company, en Thaïlande, qui coûta la vie à 188 travailleurs), salaires insuffisants (revenus ne permettant pas de satisfaire les besoins essentiels des familles — nourriture, logement, éducation), absence de liberté syndicale, voire perte de la dignité humaine (par exemple, recours au travail forcé des enfants). De même, les travailleurs et les populations locales ont dû assumer une grande partie des coûts directs occasionnés par la dégradation quotidienne de l’environnement ou les fermetures d’usines pour des motifs écologiques. N’oublions pas non plus que, tandis que les pays industriels s’efforçaient surtout de trouver des parades à la perte potentielle d’emplois due aux législations et réglementations sur l’environnement, des millions de personnes ont déjà perdu leurs moyens traditionnels d’existence ou les ont vus gravement obérés par suite de la désertification, du déboisement, des inondations et de l’érosion des sols.

Le développement durable signifie que ces coûts écologiques et sociaux, autrefois «externalisés» par l’industrie et la société, doivent désormais être pris en charge par l’entreprise et répercutés sur les prix des produits et des services. Ce processus d’«internalisation» est maintenant encouragé par les forces du marché et les associations de consommateurs, par de nouvelles lois et réglementations, dont les instruments économiques, ainsi que par des décisions prises par les entreprises elles-mêmes. Toutefois, pour réussir, cette intégration des coûts sociaux et écologiques réels de la production et de la consommation exigera une nouvelle approche de la collaboration, de la communication et de la participation aux décisions. Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont un rôle primordial à jouer dans ce processus et devraient également avoir leur mot à dire dans sa conception, sa mise en application et sa surveillance.

Attirons ici l’attention sur les efforts diplomatiques menés pour assurer le suivi de la CNUED et faciliter l’examen des déséquilibres actuels dans les schémas mondiaux de production et de consommation. Le chapitre 4 du programme Action 21, intitulé «Modification des modes de consommation», déclare que des mesures devront être prises pour réaliser les objectifs ci-après:

  1. promouvoir des schémas de consommation et de production de nature à réduire l’agression environnementale et à répondre aux besoins essentiels de l’humanité;
  2. mieux comprendre le rôle de la consommation et des moyens de rationaliser davantage les modes de consommation.

Il reconnaît aussi la nécessité d’augmenter considérablement la consommation de base de millions de personnes dans le monde qui vivent dans une pauvreté et une détresse extrêmes. Les négociations et pourparlers en cours à la Commission du développement durable des Nations Unies promettent d’être très lentes et complexes. Elles pourraient néanmoins entraîner des changements significatifs dans les modèles actuels de production et de consommation, particulièrement dans certains grands secteurs industriels de nos économies, dont l’industrie chimique, l’énergie et les transports. Elles auront également des répercussions marquantes sur les échanges internationaux, ainsi que sur les pratiques de sécurité et de santé au travail et d’environnement dans tous les pays, développés ou non, de même que sur de nombreux autres domaines du monde du travail, notamment l’emploi, les revenus et la formation.

Bien que pour l’heure ces questions soient abordées au niveau mondial, il est évident que c’est dans chaque entreprise qu’elles devront trouver une application pratique. C’est pourquoi il est essentiel que cette négociation globale reflète la réalité, c’est-à-dire les contraintes et les possibilités existant sur tous les lieux de travail de la planète. Avec la mondialisation de nos économies et les changements rapides dans l’organisation et la structure des lieux de travail (par exemple, la sous-traitance, le travail à temps partiel, le travail à domicile, le télétravail) et, surtout, la nouvelle façon d’envisager le travail, les moyens d’existence et l’emploi lui-même au XXIe siècle, la tâche ne sera pas aisée. Pour réussir, ce processus devra obtenir à chaque étape l’adhésion tripartite des gouvernements et des organisations d’employeurs et de travailleurs. De toute évidence, cette approche, qui part de la base, sera déterminante pour guider les efforts nationaux et internationaux visant à mettre en place des modes de production et de consommation capables d’assurer un développement durable.

Conclusion

Les articles du présent chapitre portent sur les actions à mener aux niveaux national et international et sur les instruments politiques servant à améliorer l’environnement. Il est clair, cependant, que les mesures politiques les plus importantes ne seront pas prises à l’échelon national ou international, voire local, bien qu’elles aient toutes un rôle essentiel à jouer. Les vrais changements doivent et vont intervenir dans l’entreprise et sur le lieu de travail. Ce sont les dirigeants des grandes sociétés multinationales comme des petites affaires familiales, les exploitants agricoles et les travailleurs indépendants du secteur non structuré qui donneront une impulsion au développement durable et le mèneront à bien. Le changement ne sera possible qu’à la faveur d’une prise de conscience et d’une action conjointe des employeurs et des travailleurs dans les entreprises et dans d’autres secteurs intéressés (collectivités locales, ONG, etc.) visant à intégrer la sécurité et la santé au travail et l’environnement dans les objectifs généraux et l’ordre de priorité de l’entreprise. Malgré l’ampleur du défi, nous pouvons imaginer toute la panoplie des mesures, formelles ou non, adoptées dans les entreprises, appliquées et contrôlées conjointement par la direction, les travailleurs et les autres parties intéressées.

La sécurité et la santé au travail ont bien évidemment une forte incidence sur la réalisation de l’ensemble de nos objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Elles doivent par conséquent s’inscrire en bonne place dans ce processus complexe visant à instaurer un développement durable. Après la CNUED, tous les gouvernements ont été appelés à mettre au point leurs propres stratégies et plans nationaux de développement durable en conformité avec le programme Action 21. Les objectifs environnementaux sont déjà considérés comme faisant partie intégrante de ce processus. Il reste cependant beaucoup à faire avant que les objectifs de sécurité et de santé au travail et d’emploi et les buts sociaux deviennent une partie explicite et intrinsèque de ce processus et que les appuis économiques et politiques nécessaires à leur réalisation soient mobilisés.

Nous tenons à remercier ici de leur soutien technique, de leurs conseils, commentaires et encouragements nos collègues ainsi que les gouvernements, employeurs et travailleurs qui, dans le monde entier, sont fortement engagés et compétents dans ce domaine. Notre reconnaissance s’adresse tout particulièrement aux principaux représentants des organisations suivantes: Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie et des industries diverses (International Federation of Chemical, Energy and General Workers’ Unions (ICEF)), Congrès du travail du Canada (CTC), Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord (Labourers’ International Union of North America (LIUNA), qui tous ont insisté sur le besoin urgent d’une action dans ce domaine.

LES LOIS ET LES RÈGLEMENTS

Françoise Burhenne-Guilmin

La relation entre la santé et l’environnement des êtres humains est connue depuis des temps immémoriaux. Ce principe remonte à Hippocrate, qui enjoignait à ses élèves de «s’intéresser à l’air, à l’eau, et aux autres lieux» s’ils voulaient comprendre l’origine de l’état de santé et des maladies de leurs patients (Lloyd, 1983).

Cette idée antique du lien entre la santé humaine et l’environnement a persisté. Son degré d’acceptation par la société a été influencé par trois facteurs: le progrès des connaissances scientifiques du corps humain, la capacité de guérir les maladies et l’évolution parallèle des idées scientifiques, religieuses et culturelles.

L’environnement en tant que facteur de santé ou de maladie de couches entières de la population a fait l’objet d’une attention croissante pendant la révolution industrielle. Cette tendance se poursuit encore aujourd’hui, soutenue par le développement des sciences environnementales et des techniques permettant d’établir des liens de causalité et d’évaluer les risques.

C’est d’abord sur le lieu de travail que le lien de cause à effet entre santé et environnement a été clairement établi. C’est là également que les conséquences de l’augmentation de la quantité et de la variété des polluants, consécutive à la diversification des processus industriels, se sont fait sentir en premier lieu. Cependant, ces polluants ne se limitent pas au milieu de travail. Une fois rejetés, leur itinéraire peut devenir plus difficile à suivre ou à reconstituer, mais il aboutit inévitablement dans la nature: les polluants sont présents dans le sol, l’eau et l’air des endroits les plus reculés. La santé humaine est à son tour affectée par la pollution de l’environnement naturel, qu’elle soit d’origine locale, nationale ou transfrontalière. Au côté des autres types de dégradation de l’environnement, qui provoquent un appauvrissement des ressources naturelles dans le monde, l’interaction entre l’état de l’environnement et la santé publique confère à cette pollution une dimension planétaire.

Il est donc indéniable que la qualité du milieu de travail et celle de l’environnement naturel sont indissociables. Les solutions durables apportées à l’un de ces deux problèmes ne peuvent être couronnées de succès que si elles sont conçues pour les deux à la fois.

Le droit de l’environnement: un moyen pour une fin

La formulation de politiques destinées à préserver et à améliorer à la fois l’environnement naturel et le milieu de travail est un préalable nécessaire à une bonne gestion de l’environnement. Or, les politiques restent lettre morte si elles ne sont pas appliquées, et leur mise en œuvre ne peut se faire qu’en transformant les principes en règles de droit. De ce point de vue, le droit se met au service de la politique en lui donnant un caractère concret et permanent grâce à une législation appropriée.

La législation, à son tour, établit un cadre structurel qui n’est utile qu’une fois mis en application et respecté. Ces deux conditions dépendent des contextes politique et social: sans le soutien du public, elles risquent d’être inefficaces.

C’est pourquoi la promulgation, la mise en application et l’exécution de la législation sur l’environnement dépendent dans une large mesure de la compréhension et de l’acceptation des règles établies par ceux à qui elles s’adressent, d’où l’importance d’une diffusion de l’information et des connaissances sur l’environnement auprès du public en général, ainsi que de groupes cibles spécifiques.

Le rôle du droit de l’environnement: prévention et traitement

Le rôle du droit dans le domaine de l’environnement, comme dans beaucoup d’autres, est double: premièrement, il crée des règles et des conditions favorables au contrôle ou à la prévention des dommages causés à l’environnement ou à la santé humaine; ensuite, il propose des solutions à des situations dans lesquelles un dommage s’est produit malgré tout.

La prévention par des techniques contraignantes

La maîtrise de l’utilisation des sols

La réglementation de l’utilisation des sols constitue un élément essentiel du droit de l’environnement et un préalable à la maîtrise et à la valorisation des terres, ainsi qu’à l’utilisation des ressources naturelles. La question est généralement de savoir si un espace particulier peut être affecté à un autre usage, étant entendu que la jachère est aussi une forme d’exploitation du sol.

La planification permet de déterminer au mieux la localisation des activités humaines (là où elles causent le moins de dégâts), qui sont également soumises à des restrictions. Ces deux objectifs sont généralement atteints par l’obligation d’autorisation préalable.

L’autorisation préalable

L’autorisation préalable est un terme générique désignant toute forme d’autorisation ou de licence devant être obtenue auprès d’une autorité compétente avant d’entreprendre certaines activités.

La première étape consiste à faire définir par la loi les activités des secteurs privé et public qui doivent faire l’objet d’une autorisation préalable. Plusieurs approches sont possibles et ne s’excluent pas l’une l’autre:

Le contrôle à la source . Lorsqu’une catégorie de sources de dommages à l’environnement est clairement identifiable, elle est généralement soumise à une autorisation préalable en tant que telle (c’est le cas de toutes les catégories d’installations industrielles et de véhicules à moteur).

Le contrôle des substances . Lorsqu’une substance ou une catégorie de substances particulières sont identifiées comme étant potentiellement nuisibles à l’environnement, leur utilisation ou leur rejet dans l’environnement peuvent faire l’objet d’une autorisation préalable.

La maîtrise du milieu et la lutte intégrée contre la pollution . La maîtrise du milieu consiste à protéger une composante spécifique de l’environnement (air, eau, sol). Elle peut avoir pour effet de reporter la nuisance sur un autre milieu et, par conséquent, échouer dans l’objectif de réduction du niveau général de nuisance, voire augmenter ce dernier. Cela a conduit à l’élaboration de systèmes coordonnés d’autorisation préalable, dans lesquels toutes les sources de pollution et tous les milieux récepteurs sont pris en considération avant l’octroi d’une autorisation globale unique.

Les normes environnementales

Les normes environnementales fixent des limites maximales admissibles pouvant être imposées directement par une loi ou, indirectement, sous forme de conditions d’obtention d’une autorisation. Ces limites peuvent concerner soit les effets, soit les causes des dommages à l’environnement:

Toute une gamme de facteurs, incluant la nature du polluant, le milieu récepteur et l’état des techniques, déterminent le type de norme le plus approprié. D’autres considérations jouent également un rôle important: l’établissement de normes constitue un moyen de réaliser un équilibre entre ce qui est souhaitable du point de vue de l’environnement, dans un lieu donné et à un moment donné, et la faisabilité sur le plan socio-économique d’un objectif écologique précis.

Il va sans dire que plus les normes sont strictes, plus les coûts de production sont élevés. C’est pourquoi différentes normes appliquées dans différents endroits d’un Etat ou entre Etats exercent une forte influence sur la détermination des avantages ou des désavantages compétitifs et peuvent constituer des barrières non tarifaires aux échanges, d’où l’opportunité de rechercher une harmonisation aux niveaux régional ou mondial.

La prévention par les mesures incitatives ou dissuasives

Les contrôles subis volontairement peuvent être utilisés comme des mesures complémentaires ou des solutions de remplacement aux techniques contraignantes. Ils consistent généralement à fixer des valeurs recommandées (plutôt qu’obligatoires) et à proposer des mesures économiquement incitatives ou dissuasives pour les faire respecter.

Le but d’une mesure incitative (comme une autorisation d’amortissement accéléré, un allégement fiscal ou une subvention) est de récompenser et, par conséquent, de provoquer un comportement ou une activité favorables à l’environnement. Ainsi, au lieu d’imposer un certain niveau d’émission par la méthode du «bâton», on offre la «carotte» d’avantages économiques.

Le but d’une mesure dissuasive (par exemple, une taxe de déversement ou d’émission) est de provoquer un comportement respectueux de l’environnement afin de ne pas payer la taxe en question.

D’autres moyens encouragent l’observation de valeurs recommandées: on peut, par exemple, instaurer des procédures d’octroi d’«écoétiquettes» ou de labels écologiques, ou offrir des avantages commerciaux lorsque les consommateurs sont sensibles aux problèmes d’environnement.

Ces types d’action volontaire sont souvent cités comme des solutions de remplacement aux mesures d’ordre «législatif»; c’est oublier que les mesures incitatives et dissuasives ont également été créées par la loi!

Les mesures correctives

Les sanctions imposées par l’autorité compétente

Dans les cas où les mesures de gestion de l’environnement peuvent être imposées par l’autorité compétente (par exemple, par un mécanisme d’autorisation préalable), les dispositions légales confèrent généralement à celle-ci des pouvoirs d’exécution. Il existe toute une palette de techniques disponibles: sanctions financières (par exemple, par jour) jusqu’à l’exécution de l’obligation, exécution des mesures requises (comme la construction de filtres) aux frais de l’intéressé; fermeture de l’installation pour non-respect des obligations administratives.

Tout régime juridique prévoit des moyens de contester ces mesures. De même, il est important d’offrir la possibilité aux autres parties (par exemple, les organisations non gouvernementales représentant l’intérêt général) d’attaquer les décisions de l’autorité compétente. Dans ce dernier cas, ce n’est pas seulement l’action de l’administration qui devrait pouvoir être contestée, mais aussi son inaction.

Les sanctions pénales

Une législation imposant certaines normes ou conduites en matière d’environnement dispose généralement que le non-respect des règles établies, de façon intentionnelle ou non, constitue une infraction et détermine le type de sanctions pénales à appliquer dans chaque cas. Ces sanctions peuvent être financières (amendes) ou, dans les cas graves, entraîner une peine de prison, voire une combinaison des deux. Les sanctions pour infraction aux normes sur l’environnement dépendent du système pénal de chaque pays; c’est ainsi qu’elles sont souvent appliquées par référence au principal instrument de droit pénal, c’est-à-dire au code pénal, qui peut aussi contenir un chapitre sur les infractions en matière d’environnement. Les sanctions pénales peuvent être demandées par l’administration ou par une partie lésée.

La législation de nombreux pays s’est vu reprocher de ne pas considérer certaines fautes en matière d’environnement comme des infractions d’ordre pénal, ou d’imposer des sanctions excessivement légères. Bien souvent, si le quantum des sanctions est inférieur au coût d’internalisation des mesures de gestion de l’environnement, les coupables peuvent préférer prendre le risque d’une sanction pénale, en particulier si elle a toutes les chances d’être une simple amende. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il existe une carence dans l’exécution et que l’application des normes environnementales est laxiste ou indulgente, comme c’est souvent le cas.

La responsabilité pour dommages causés

Les règles de tout système juridique applicables à la responsabilité pour dommages causés s’appliquent naturellement aussi aux atteintes à la santé et à l’environnement. Cela suppose généralement qu’une indemnisation en nature ou en espèces n’est due que s’il est prouvé que le dommage a été causé directement par la faute d’un ou de plusieurs auteurs.

Dans le domaine de l’environnement, les difficultés d’application de ces principes sont nombreuses et ont poussé un nombre croissant de pays à adopter des lois spéciales sur la responsabilité en la matière. Elles prévoient une responsabilité sans faute et, par conséquent, une indemnisation indépendante des circonstances ayant occasionné le dommage. Dans ces cas, cependant, un certain plafond monétaire est généralement fixé afin de permettre une couverture par l’assurance, que la loi peut également rendre obligatoire.

Ces régimes spéciaux s’efforcent également de mieux assurer la réparation dans les cas de dommage infligé à l’environnement per se (un dommage écologique par opposition au dommage économique), nécessitant généralement la remise en état de l’environnement chaque fois que la nature du dommage le permet. Dans un tel scénario, les dommages-intérêts ne sont dus que si la remise en état est impossible.

Le droit à agir

Tout le monde ne peut pas engager une action pénale ou demander réparation. Celle-ci ne peut traditionnellement être intentée que par l’administration ou une personne physique ou morale directement affectée par une certaine situation. Il ne suffit pas que l’environnement soit atteint, étant donné que la plupart des dommages subis par celui-ci ne sont pas directement liés à des intérêts individuels. Il est donc important que les systèmes juridiques accordent à des «représentants» de l’intérêt public le droit d’intenter un procès à l’administration pour défaut ou insuffisance d’action, ou de poursuivre les particuliers et les entreprises pour avoir enfreint la loi ou causé un dommage à l’environnement. Cela peut se faire de différentes façons: des organisations non gouvernementales peuvent être désignées à cet effet; le système juridique peut prévoir une action collective ou individuelle en justice, etc. Le droit d’intenter un procès pour défendre l’intérêt public, plutôt que le seul intérêt d’un propriétaire, est l’un des éléments les plus importants des législations modernes sur l’environnement.

Conclusion

Une bonne législation sur l’environnement est une condition préalable à la réalisation et au maintien du niveau désiré de la qualité de l’environnement, naturel et professionnel.

Une «bonne» législation sur l’environnement risque d’être difficile à définir. Certains souhaitent un déclin des méthodes autoritaires et leur remplacement par des techniques d’incitation plus «douces» mais, dans la pratique, il n’existe pas de recette pour décider des points à inscrire dans la loi. L’important est toutefois de faire correspondre la législation avec la situation particulière des pays intéressés, en adaptant les principes, méthodes et techniques disponibles à leurs besoins, possibilités et traditions juridiques.

Cela est d’autant plus vrai à une époque où bon nombre de nations en développement et d’économies en transition cherchent à se doter de «bonnes» législations sur l’environnement, ou à adapter leur législation existante. Malgré tout, dans la poursuite de cet objectif, des législations adaptées à un certain contexte juridique, économique et social, qui est souvent celui des pays industriels, sont trop souvent importées comme modèles dans des pays et des systèmes juridiques où elles sont totalement inappropriées.

Par conséquent, pour être utile, une législation sur l’environnement efficace doit prendre en compte les particularités de chaque pays.

LES CONVENTIONS INTERNATIONALES SUR L’ENVIRONNEMENT

David Freestone

La publicité qui a entouré la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), ayant eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a confirmé la place centrale que les questions touchant l’environnement, comme le réchauffement du climat et la diminution de la diversité biologique, occupent dans la politique mondiale. En fait, les vingt années qui se sont écoulées entre la Conférence de Stockholm sur l’environnement de 1972 et la CNUED de 1992 ont connu, outre une prise de conscience croissante des menaces que les activités humaines font peser sur l’environnement à l’échelle locale et mondiale, une forte augmentation du nombre d’instruments juridiques internationaux y relatifs (signalons, parmi les nombreux recueils de traités sur l’environnement: Burhenne, 1974; Hohmann, 1992; Kiss, 1983; Molitor, 1991; Rummel-Bulska et Osafo, 1991. Pour une appréciation qualitative, voir Sand, 1992).

Rappelons que les deux sources principales du droit international, telles que définies par le Statut de la Cour internationale de Justice (1945) sont les conventions internationales et la coutume internationale (art. 38 (1) du Statut). Le droit coutumier international résulte des pratiques des Etats répétées dans le temps et acceptées comme étant la règle de droit. Bien que de nouvelles règles coutumières puissent apparaître assez rapidement, la promptitude avec laquelle les problèmes mondiaux d’environnement se sont emparés du calendrier politique a eu tendance, dans l’évolution des normes juridiques, à reléguer au second plan le droit coutumier, après les conventions ou les traités. Bien que certains principes fondamentaux, tels que l’utilisation équitable des ressources communes (sentence arbitrale dans l’affaire du lac Lanoux) (Lac Lanoux Arbitration, 1957) ou l’obligation de ne pas autoriser des activités portant préjudice à l’environnement d’un autre Etat (sentence arbitrale dans l’affaire de la fonderie de Trail) (Trail Smelter Arbitration, 1939, 1941), puissent être attribués à des décisions fondées sur le droit coutumier, les traités sont sans aucun doute le principal fondement auquel la communauté internationale a recouru pour réglementer les activités menaçant l’environnement. Un autre aspect important de la réglementation internationale sur ce sujet est le développement des règles de «soft law» (droit n’ayant pas caractère obligatoire): il s’agit d’instruments juridiquement non contraignants qui établissent des lignes directrices ou des recommandations pour les actions à venir, ou par lesquels les Etats s’engagent politiquement à atteindre certains objectifs. Ces instruments se transforment parfois en instruments juridiques formels ou sont associés à des instruments ayant force obligatoire, comme les décisions des parties à une convention (pour l’importance du droit n’ayant pas force obligatoire dans le droit international de l’environnement, voir Freestone, 1994). De nombreux recueils de documents sur le droit international de l’environnement évoqués ci-dessus contiennent des instruments de ce type.

Nous donnerons ici un bref aperçu des principales conventions internationales portant sur l’environnement. Bien qu’un tel inventaire énumère de préférence les conventions de portée mondiale, il ne faut pas négliger l’important réseau d’accords régionaux et bilatéraux qui ne cesse de s’étendre (pour une présentation systématique du droit international de l’environnement, voir Kiss et Shelton, 1991; Birnie et Boyle, 1992; Churchill et Freestone, 1991).

L’avant-Stockholm

Avant la Conférence de Stockholm de 1972, la majorité des conventions sur l’environnement portaient sur la préservation des espèces sauvages. Les toutes premières conventions protégeant les oiseaux (par exemple, la convention pour la protection des oiseaux utiles à l’agriculture, 1902 (Convention for the Protection of Birds Useful to Agriculture, 1902) (voir Lyster, 1985) revêtent un intérêt purement historique. Les conventions sur la protection de la nature en général sont plus importantes à long terme, bien que la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, 1946 (et son protocole de 1956) soit particulièrement remarquable pour l’époque; avec le temps, le centre d’intérêt s’est bien sûr déplacé de l’exploitation vers la préservation. Une convention d’avant-garde en termes de protection est la convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles, Alger, 1968, qui, malgré son approche exhaustive et innovante de la conservation, a eu le tort, comme de nombreuses autres conventions, de ne pas créer de structure administrative pour en assurer l’application. A noter également un instrument qui a eu beaucoup plus de succès, la convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats de la sauvagine, Ramsar, 1971, qui a créé un réseau de zones humides protégées dans les territoires des Etats parties.

D’autres réalisations de cette période sont également dignes d’intérêt: il s’agit des premières conventions internationales sur la pollution par les hydrocarbures. La convention internationale pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures (OILPOL), 1954, telle que modifiée en 1962 et en 1969, a innové en créant un cadre réglementaire pour le transport maritime des hydrocarbures; mais les premières conventions qui ont prévu une action d’urgence et une indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ont été adoptées en réaction au premier accident mondial majeur causé par un pétrolier, le naufrage du navire libérien Torrey Canyon au large des côtes du sud-ouest de l’Angleterre, en 1967. La convention internationale sur l’intervention en haute mer en cas d’accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures, 1969, autorise les Etats riverains à entreprendre une action d’urgence au-delà des eaux territoriales. Des instruments analogues, la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 1969, et la convention internationale portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 1971, signées à Bruxelles, ont jeté les bases juridiques fondant les demandes d’indemnisation contre les propriétaires et les exploitants de pétroliers, et créé un fonds international d’indemnisation (notons également les importants dispositifs volontaires d’indemnisation par cette branche d’activité, tels que TOVALOP, accord volontaire entre armateurs de navires-citernes relatif à la responsabilité due à la pollution par les hydrocarbures, et CRISTAL; voir Abecassis et Jarashow, 1985.)

De Stockholm à Rio de Janeiro

Entre 1972 et 1992 les instruments de droit international de l’environnement ont connu un accroissement surprenant en nombre et en diversité. Une grande partie en est directement imputable à la Conférence de Stockholm. La célèbre Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement (ONU, 1972) ne s’est pas contentée d’établir certains principes, dont la majorité sont de lege ferenda (c’est-à-dire qu’ils sont à transformer en loi nationale), mais elle a élaboré aussi un plan d’action pour l’environnement en 109 points et une résolution qui recommande sa mise en application institutionnelle et financière par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ces recommandations ont abouti à l’institution, par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU (ONU, 1972), du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dont le siège est à Nairobi. Le PNUE est directement responsable d’un certain nombre de traités internationaux fondamentaux sur l’environnement et de la mise au point de l’important Programme sur les mers régionales, qui a tissé un réseau de quelque huit conventions-cadres régionales sur la protection de l’environnement marin, chacune accompagnée de protocoles destinés à satisfaire les besoins particuliers des régions. Un certain nombre de nouveaux programmes régionaux sont encore en cours d’élaboration.

Pour donner une idée du grand nombre de conventions sur l’environnement adoptées pendant cette période, nous les classerons en trois catégories: la conservation de la nature; la protection du milieu marin; la réglementation des impacts transfrontières sur l’environnement.

La conservation de la nature et des ressources naturelles

Cette période a vu l’adoption de plusieurs traités sur la conservation de la nature, tant au niveau mondial que régional. Sur le plan mondial, il convient de noter en particulier la convention de l’UNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 1972, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, Washington, 1973, et la convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, 1979 (Bonn Convention on the Conservation of Migratory Species of Wild Animals, 1979). Au niveau régional, signalons la convention pour la protection de l’environnement entre le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède, 1974, la convention pour la conservation de la nature dans le Pacifique Sud, 1976 (Convention on Conservation of Nature in the South Pacific, 1976) (convention d’Apia, dans Burhenne, 1974) et la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, Berne, 1979. Citons également la directive européenne 79/409 concernant la conservation des oiseaux sauvages (CCE, 1979), telle que modifiée et complétée par la directive 92/43 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (CCE, 1992), la convention pour la conservation et la gestion de la vigogne, 1979 (Convention for the Conservation and Management of the Vicuna, 1979) et l’accord de l’ANASE sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, 1985 (ASEAN Agreement on the Conservation of Nature and Natural Resources, 1985) (voir Kiss et Shelton, 1991) (signalons aussi les traités relatifs à l’Antarctique — zone appartenant au patrimoine commun de l’humanité et ne relevant de la juridiction d’aucun Etat: la convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, Canberra, 1980, la convention de Wellington sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique, 1988 (Wellington Convention on the Regulation of Antarctic Mineral Resource Activities, 1988), et le protocole au Traité de l’Antarctique sur la protection de l’environnement, signé à Madrid en 1991 (Protocol to the Antarctic Treaty on Environmental Protection, 1991).

La protection du milieu marin

Les négociations de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III) ont commencé en 1973 et ont duré neuf ans avant d’aboutir à la convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer, 1982 (Montego Bay Convention on the Law of the Sea (LOSC), 1982); la Partie XII trace un cadre général pour la réglementation des questions d’environnement marin, dont les rejets par les navires et la pollution d’origine tellurique, et établit certaines obligations générales concernant la protection du milieu marin.

L’Organisation maritime internationale (OMI) a été à l’origine de trois grands instruments qui traitent ces questions dans le détail: la convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets, Londres, 1972, et la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, 1973 (International Convention for the Prevention of Pollution from Ships, 1973), telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (MARPOL, 1973/78); la convention internationale sur la préparation, l’intervention et la coopération en cas de pollution par les hydrocarbures (International Convention on Oil Pollution Preparedness, Response and Cooperation, 1991) a créé en 1990 un cadre juridique mondial pour la collaboration et l’assistance en cas de déversements importants d’hydrocarbures. D’autres conventions maritimes qui, à l’origine, ne concernent pas l’environnement sont toutefois dignes d’être mentionnées ici: la convention sur le règlement international pour prévenir les abordages en mer, Londres, 1972; la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, Londres, 1974; la convention internationale de l’OIT (no 147) sur la marine marchande (normes minima), 1976 [et Protocole, 1996], et la convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, Londres, 1978.

La convention de Londres de 1972 a adopté une approche désormais courante en répertoriant, à l’Annexe I, les substances qui ne peuvent être déversées dans l’océan et, à l’Annexe II, celles qui ne peuvent l’être qu’avec une autorisation. La structure de la réglementation, qui oblige les Etats signataires à faire respecter ces obligations par tout navire chargeant dans leurs ports ou arborant leur pavillon dans n’importe quel endroit du monde, a progressivement durci son régime et les parties ont désormais effectivement cessé d’immerger en mer des déchets industriels. La convention MARPOL 1973/78, qui remplace la convention OILPOL de 1954, établit le principal régime applicable à la pollution provenant de navires de toutes sortes, y compris les pétroliers. MARPOL oblige les Etats dont les navires arborent le pavillon à imposer des contrôles sur les rejets volontaires de toutes les substances classées tels qu’ils résultent de l’exploitation. Le régime MARPOL a été modifié en 1978 de sorte qu’il s’étend progressivement, dans ses cinq Annexes, aux différentes sources de pollution par les navires. Toutes les Annexes sont à présent en vigueur et couvrent les hydrocarbures (Annexe I), les substances liquides nocives (Annexe II), les déchets sous emballage (Annexe III), les eaux usées (Annexe IV) et les ordures ménagères (Annexe V). Des normes plus strictes sont appliquées dans des zones spéciales convenues par les parties.

A un niveau régional, le programme pour les mers régionales du PNUE constitue un réseau étendu, bien qu’incomplet, de traités de protection des mers. Il couvre: la Méditerranée (convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, Barcelone, 1976, et ses protocoles adoptés en 1976 (2), en 1980 et en 1982); la région du Golfe (convention régionale de Koweït pour la coopération en vue de la protection du milieu marin contre la pollution, 1978, et ses protocoles adoptés en 1978, en 1989 et en 1990); l’Afrique de l’Ouest (convention d’Abidjan relative à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, 1981 (Convention for Co-operation in the Protection and Development of the Marine and Coastal Environment of the West and Central African Region, Abidjan, 1981), et son protocole de 1981); le Pacifique du Sud-Est (convention de Lima concernant la protection de l’environnement marin et des aires côtières du Pacifique du Sud-Est, 1981 (Convention for the Protection of the Marine Environment and Coastal Areas of the South-East Pacific, Lima, 1981), et ses protocoles adoptés en 1981, en 1983 (2) et en 1989); la mer Rouge (convention régionale de Djeddah pour la conservation du milieu marin de la mer Rouge et du golfe d’Aden, 1982 (Regional Convention for the Conservation of the Red Sea and Gulf of Aden Environment, Jeddah, 1982), et son protocole de 1982); les Caraïbes (convention de Carthagène sur la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, 1983 (Convention for the Protection and Development of the Marine Environment of the Wider Caribbean Region, Cartagena, 1983), et ses protocoles adoptés en 1983 et en 1990); l’Afrique de l’Est (convention de Nairobi relative à la protection, à la gestion et à la mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de l’Afrique de l’Est, 1985 (Convention for the Protection, Management and Development of the Marine and Coastal Environment of the East African Region, Nairobi, 1985), et ses deux protocoles adoptés en 1985); le Pacifique Sud (convention de Nouméa sur la protection des ressources naturelles et de l’environnement de la région du Pacifique Sud, 1986 (Convention for the Protection of the Natural Resources and Environment of the South Pacific Region, Noumea, 1986), et ses deux protocoles adoptés en 1986) (pour les textes de toutes les conventions citées ci-dessus et de leurs protocoles, ainsi que pour les détails des programmes en cours d’établissement, voir Sand, 1987). Ces traités sont complétés par des protocoles couvrant une large gamme de domaines, dont la réglementation de la pollution d’origine tellurique, la pollution des océans par les opérations d’immersion, la pollution provenant de l’arrêt définitif des plates-formes de forage pétrolier en mer, les régions faisant l’objet d’une protection particulière et la protection des espèces sauvages.

D’autres régimes régionaux ont été instaurés, en dehors du PNUE, notamment dans l’Atlantique Nord-Est, où un réseau très complet d’instruments régionaux couvre la réglementation des rejets en mer (convention pour la prévention de la pollution marine par les opérations d’immersion effectuées par les navires et les aéronefs, Oslo, 1972, et ses protocoles adoptés en 1983 et en 1989); la pollution d’origine tellurique (convention de Paris pour la prévention de la pollution marine d’origine tellurique, 1974 (Paris Convention for the Prevention of Marine Pollution from Land Based Sources, 1974), et son protocole de 1986); la surveillance et la coopération en matière de lutte contre la pollution par les hydrocarbures (accord de Bonn concernant la coopération en matière de lutte contre la pollution de la mer du Nord par les hydrocarbures et autres substances dangereuses, 1983 (Bonn Agreement for Co-operation in Dealing with Pollution of the North Sea by Oil and other Harmful Substances, 1983), tel que modifié en 1989); l’inspection des navires pour la sécurité et la protection du milieu marin (mémorandum d’entente de Paris sur le contrôle de l’Etat du port dans l’exécution des accords sur la sécurité maritime et la protection du milieu marin, ainsi que la protection de la nature et des zones de pêche, 1982 (Paris Memorandum of Understanding on Port State Control in Implementing Agreements on Maritime Safety and Protection of the Marine Environment, 1982) (voir Freestone et Ijlstra, 1991)). Notons également la nouvelle convention de Paris pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-Est (Paris, Convention for the Protection of the Marine Environment of the North-East Atlantic, 1992), qui remplace les conventions d’Oslo et de Paris (le texte est analysé dans Hey, Ijlstra et Nollkaemper, 1993); la convention d’Helsinki sur la protection du milieu marin dans la zone de la mer Baltique, 1974 (Helsinki Convention on the Protection of the Marine Environment of the Baltic Sea Area, 1974), a été révisée en 1992 (le texte est analysé dans Ehlers, 1993); une nouvelle convention a été établie pour la mer Noire (convention de Bucarest relative à la protection de la mer Noire contre la pollution, 1992 (Bucharest Convention on the Protection of the Black Sea Region Against Pollution, 1992); voir également la déclaration ministérielle d’Odessa relative à la protection de la mer Noire, 1993 (Odessa Ministerial Declaration on the Protection of the Black Sea, 1993).

Les impacts transfrontières

Aux termes du Principe 21 de la Déclaration de Stockholm, «les Etats ont […] le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres Etats ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale». Bien qu’il soit actuellement largement considéré comme un principe de droit coutumier international, il appelle un grand travail d’élaboration avant de pouvoir constituer la base de la réglementation de ces activités. Des crises très médiatisées ont favorisé l’adoption des conventions internationales sur des thèmes tels que la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, la protection de la couche d’ozone, la notification et la coopération en cas d’accident nucléaire, les mouvements transfrontières de déchets dangereux et les changements climatiques mondiaux.

La pollution atmosphérique transfrontière à longue distance

La pollution atmosphérique à longue distance en Europe est un sujet qui a été abordé pour la première fois à Genève, en 1979 (convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance). Il s’agit toutefois d’une convention-cadre dont l’objectif modeste était de «limiter et, autant que possible, de réduire graduellement et de prévenir la pollution atmosphérique, y compris la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance». Des progrès substantiels n’ont été accomplis dans la réglementation des émissions de substances spécifiques qu’avec l’élaboration des protocoles, qui sont désormais au nombre de quatre: le protocole de Genève relatif au financement à long terme du programme concerté de surveillance continue et d’évaluation du transport à longue distance des polluants atmosphériques en Europe, 1984 (Geneva Protocol on Long-term Financing of the Co-operative Programme for Monitoring and Evaluation of the Long-range Transmission of Air Pollution in Europe, 1984), a créé un réseau de stations de surveillance de la qualité de l’air; le protocole d’Helsinki relatif à la réduction des émissions de soufre et de leurs flux transfrontières d’au moins 30% d’ici à 1993, 1985 (Helsinki Protocol on the Reduction of Sulphur Emissions Aimed to Reduce Sulphur Emissions by 30% by 1993, 1985); le protocole de Sofia relatif à la lutte contre les émissions d’oxydes d’azote ou leurs flux transfrontières, 1988 (Sofia Protocol Concerning the Control of Emissions of Nitrogen Oxides of their Transboundary Fluxes, 1988), désormais remplacé par le deuxième protocole d’Oslo sur le soufre, 1994 (Second Sulphur Protocol, Oslo, 1994) prévoyait un gel d’ici à 1994 des émissions nationales d’oxydes d’azote à leur niveau de 1987; le protocole de Genève relatif à la lutte contre les émissions de composés organiques volatils ou leurs flux transfrontières, 1991 (Geneva Protocol Concerning the Control of Emissions of Volatile Organic Compounds or their Transboundary Fluxes, 1991) proposait un choix de mesures à cet effet.

Les conséquences transfrontières des accidents nucléaires

La catastrophe de Tchernobyl en 1986 avait attiré l’attention de l’opinion publique sur les conséquences transfrontières des accidents nucléaires, mais des conventions antérieures avaient déjà abordé un certain nombre de questions relatives aux risques provenant des dispositifs nucléaires, dont la convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire, 1960, et la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, 1963. Notons également le Traité interdisant les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère, dans l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau, 1963. La convention de Vienne de 1980 sur la protection physique des matières nucléaires (Vienna Convention on the Physical Protection of Nuclear Material, 1980) avait tenté d’établir des normes pour protéger les matières nucléaires d’un certain nombre de menaces, y compris le terrorisme. Dans le sillage de Tchernobyl, deux nouveaux instruments ont été adoptés à Vienne en 1986: la convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire (Vienna Convention on the Early Notification on a Nuclear Accident, 1986b) et la convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique (Vienna Convention on Assistance in the Case of a Nuclear Accident or Radiological Emergency, 1986a).

La protection de la couche d’ozone

La convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, 1985, dispose, à l’article 2 (2):

A cette fin, les Parties, selon les moyens dont elles disposent et selon leurs possibilités:

a) coopèrent, au moyen d’observations systématiques, de recherches et d’échanges de renseignements afin de mieux comprendre et apprécier les effets des activités humaines sur la couche d’ozone et les effets exercés sur la santé humaine et l’environnement par la modification de la couche d’ozone;

b) adoptent les mesures législatives ou administratives appropriées et coopèrent pour harmoniser les politiques appropriées visant à réglementer, limiter, réduire ou prévenir les activités humaines relevant de leur juridiction ou de leur contrôle s’il s’avère que ces activités ont ou sont susceptibles d’avoir des effets néfastes par suite de la modification, ou de la modification susceptible de se produire, de la couche d’ozone;

c) coopèrent pour formuler des mesures, procédures et normes convenues pour l’application de la convention, dans l’optique d’adopter des protocoles et annexes;

d) coopèrent avec les organes internationaux compétents pour appliquer effectivement la présente convention et les protocoles auxquels elles sont parties.

La convention de Vienne a été complétée par le protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, 1987, lui-même adapté et modifié par la réunion de Londres de 1990 et par la réunion de Copenhague de novembre 1992.

L’article 2 du protocole oblige les parties à imposer des contrôles sur leur production et leur consommation de substances chimiques qui appauvrissent la couche d’ozone, à savoir les CFC, les halons, les autres CFC entièrement halogénés, le tétrachlorure de carbone et le 1,1,1-trichloroéthane (méthylchloroforme).

L’article 5 prévoit une exemption de la limitation des émissions pour certains pays en développement, «pour pouvoir répondre à [leurs] besoins intérieurs fondamentaux», exemption pouvant aller jusqu’à dix ans, sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3. Le protocole prévoit aussi d’aider sur les plans technique et financier les pays en développement réclamant une exemption conformément à l’article 5. Un fonds multilatéral a été créé pour aider ces parties à s’informer et à s’acquitter de leurs obligations (art. 10). A Copenhague, en novembre 1992, à la lumière de l’évaluation scientifique de l’appauvrissement de la couche d’ozone de 1991, qui a révélé de nouvelles preuves de la diminution de la quantité d’ozone dans les deux hémisphères à des latitudes moyennes et élevées, un certain nombre de nouvelles mesures ont été convenues et soumises au régime général; les pays en développement peuvent toujours obtenir les délais prévus à l’article 5. Toutes les parties se sont engagées à cesser d’utiliser les halons à partir de 1994, et les CFC, les HBFC, le tétrachlorure de carbone et le méthylchloroforme à partir de 1996. L’utilisation des hydrocarbures partiellement chlorofluorés devrait être gelée d’ici à 1996, réduite de 90% d’ici à 2015 et supprimée d’ici à 2030. Le bromure de méthyle, encore utilisé comme agent conservateur des fruits et céréales, a été soumis à des contrôles volontaires. Les parties contractantes ont convenu d’«accomplir tout ce qui est en leur pouvoir» pour que son utilisation en 1995 ne dépasse pas son niveau de 1991. L’objectif global est de stabiliser la concentration de chlore dans l’atmosphère en l’an 2000, puis de la ramener en-deçà de son niveau critique vers l’an 2060.

Les mouvements transfrontières de déchets dangereux

Suite à une série d’incidents notoires qui ont révélé le caractère anarchique et périlleux du transport des déchets dangereux en provenance des pays développés vers les pays en développement, les mouvements transfrontières de déchets dangereux ont fait l’objet d’une réglementation internationale par la convention sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, Bâle, 1989 (voir aussi Kummer, 1992). Cette convention repose sur le principe d’une information et d’un consentement préalables entre Etats avant tout acheminement de ces déchets. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) est cependant allée plus loin avec la convention de Bamako sur l’interdiction d’importer des déchets dangereux et le contrôle de leurs mouvements transfrontières en Afrique, 1991 (Bamako Convention on the Ban of the Import into Africa and the Control of Transboundary Movement and Management of Hazardous Wastes within Africa, 1991), qui vise à interdire toute importation de déchets dangereux en Afrique.

L’évaluation de l’impact sur l’environnement (EIE) dans un contexte transfrontière

La convention d’Espoo de 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière (Espoo Convention on Environmental Impact Assessment in a Transboundary Context, 1991) établit un cadre pour les relations de bon voisinage. Elle élargit le concept d’EIE, développé jusqu’ici dans le contexte exclusif des lois et procédures de planification nationales, aux impacts transfrontières des projets de développement et des procédures et décisions connexes.

Mille neuf cent quatre-vingt-douze et les conventions de l’après-Rio de Janeiro

La CNUED de Rio de Janeiro a donné un élan à la conclusion de plusieurs conventions mondiales et régionales sur l’environnement, ou coïncidé avec leur adoption et a proclamé des principes pour l’avenir dans la Déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement (PNUE, 1992a). Outre les deux conventions conclues à Rio de Janeiro — la convention-cadre concernant les changements climatiques (PNUE, 1992b) et la convention sur la diversité biologique (PNUE, 1992c) —, de nouvelles conventions sur l’environnement signées en 1992 réglementent, entre autres, l’usage des cours d’eau internationaux, ainsi que les effets transfrontières des accidents industriels. A un niveau régional, la convention sur la protection et l’utilisation de la zone de la mer Baltique a été adoptée à Helsinki en 1992 (Helsinki Convention on the Protection and Use of the Baltic Sea Area) (pour le texte et l’analyse, voir Ehlers, 1993), et la convention sur la protection de la mer Noire contre la pollution à Bucarest, en 1992 (Bucharest Convention on the Protection of the Black Sea Region Against Pollution, 1992). A noter également la déclaration ministérielle d’Odessa de 1993 sur la protection de la mer Noire (Odessa Ministerial Declaration on the Protection of the Black Sea, 1993), qui préconise une approche préventive et globale, et la convention de Paris pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-Est, 1992 (Convention for the Protection of the Marine Environment of the North East Atlantic, Paris, 1992) (pour le texte et l’analyse, voir Hey, Ijlstra et Nollkaemper, 1993).

La convention-cadre des Nations Unies concernant les changements climatiques (CCNUCC)

La CCNUCC, signée à Rio de Janeiro en juin 1992 par quelque 155 Etats, est plus ou moins calquée sur la convention de Vienne de 1985. Comme son nom l’indique, elle établit un cadre dans lequel les obligations seront négociées de façon plus précise par la voie de protocoles détaillés. L’objectif fondamental de la convention est de:

stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique […] dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable (art. 2).

Aux termes de l’article 4, «toutes les Parties […]: a) établissent, mettent à jour périodiquement, publient et mettent à la disposition de la Conférence des Parties […] des inventaires nationaux des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre […] en recourant à des méthodes comparables qui seront approuvées par la Conférence des Parties; b) établissent, mettent en œuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et […] régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques en tenant compte des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre […], ainsi que des mesures visant à faciliter l’adaptation appropriée aux changements climatiques». En outre, les pays développés conviennent d’un certain nombre d’obligations générales qui seront spécifiées dans des protocoles plus détaillés. Par exemple, ils «encouragent et soutiennent par leur coopération la mise au point […] de technologies […] qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions anthropiques des gaz à effet de serre». Ils «encouragent la gestion rationnelle [...] la conservation et [...] le renforcement des puits et réservoirs, […] notamment la biomasse, les forêts et les océans de même que les autres écosystèmes terrestres, côtiers et marins»; ils «préparent, en coopération, l’adaptation à l’impact des changements climatiques et conçoivent et mettent au point des plans appropriés et intégrés pour la gestion des zones côtières, pour les ressources en eau et l’agriculture, et pour la protection et la remise en état des zones frappées […] par les inondations». Ils «encouragent et soutiennent par leur coopération l’échange de données scientifiques, technologiques, socio-économiques et juridiques sur le système climatique et les changements climatiques ainsi que sur les conséquences [...] des stratégies de riposte [...] et l’éducation, la formation et la sensibilisation du public dans le domaine des changements climatiques».

La convention sur la diversité biologique

Les objectifs de la convention sur la diversité biologique, également adoptée en 1992 à la CNUED de Rio de Janeiro, sont «la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques» (art. 1) (pour une critique utile, voir Boyle, 1993). Tout comme la CCNUCC, cette convention, qui sera complétée par des protocoles, établit des obligations générales concernant la conservation et l’exploitation durable des ressources naturelles, l’identification et la surveillance de la diversité biologique, la conservation, la recherche et la formation in situ et ex situ, ainsi que l’éducation et la sensibilisation du public et les études d’impact sur l’environnement d’activités susceptibles d’affecter la biodiversité. Il existe aussi des dispositions générales relatives à l’accès aux ressources génétiques, ainsi que le transfert de techniques pertinentes, dont les biotechnologies, et à l’échange d’informations et la coopération sur le plan international.

La réglementation de l’utilisation des cours d’eau internationaux

La convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux, 1992 (Helsinki Convention on the Protection and Use of Transboundary Watercourses and International Lakes, 1992) trace le cadre de la coopération à établir: surveiller et évaluer ensemble, entreprendre des activités communes de recherche-développement et échanger des informations entre les Etats riverains. Elle oblige ces Etats à prévenir, à maîtriser et à réduire les effets transfrontières sur ces ressources communes, en particulier en ce qui concerne la pollution de l’eau, par des techniques appropriées de gestion, y compris l’EIE et la planification d’urgence, ainsi que par l’adoption de techniques peu polluantes ou sans déchets et la réduction de la pollution provenant de sources ponctuelles et diffuses.

Les effets transfrontières des accidents industriels

La convention sur les effets transfrontières des accidents industriels, également signée à Helsinki en mars 1992 (Convention on the Transboundary Effects of Industrial Accidents, 1992), porte sur la prévention, la préparation et l’intervention en cas d’accidents industriels pouvant avoir des effets transfrontières. Les obligations fondamentales portent sur la coopération et l’échange d’informations entre les parties. Le dispositif détaillé de treize annexes prévoit des mécanismes destinés à définir les activités dangereuses ayant des effets transfrontières, pour la préparation d’études d’impact sur l’environnement, y compris de tout effet transfrontière (conformément à la convention d’Espoo de 1991 mentionnée ci-dessus) dans la prise de décisions sur l’implantation d’activités potentiellement dangereuses. Elle prévoit également la préparation aux situations d’urgence et l’information du public et des autres parties.

Conclusion

Comme ce bref tour d’horizon devrait l’avoir démontré, depuis une vingtaine d’années la communauté internationale a complètement changé d’attitude à l’égard de la protection et de la gestion de l’environnement. Cette évolution a consisté notamment en une forte augmentation du nombre et de la portée des instruments internationaux y relatifs, qui vont de pair avec l’affirmation de nouveaux principes et la création d’institutions. Les principes du pollueur-payeur et de précaution (Churchill et Freestone, 1991; Freestone et Hey, 1996), ainsi que le souci des droits des générations futures inspirent les conventions internationales évoquées ci-dessus. Selon les commentateurs, le rôle du PNUE et la création de secrétariats chargés de promouvoir et d’assurer le suivi de tous ces traités indiquent que le droit international de l’environnement, à l’instar de celui des droits humains, est en train de devenir une nouvelle branche distincte du droit international (Freestone, 1994). La CNUED a joué un grand rôle dans ce processus: n’a-t-elle pas établi un programme d’action essentiel, bien qu’encore largement inachevé? Des protocoles détaillés doivent donner du poids à la convention sur les changements climatiques et, sans doute aussi à la convention sur la diversité biologique. Le souci de l’impact de la pêche en haute mer sur l’environnement a entraîné l’adoption, en 1995, de l’accord des Nations Unies sur le droit de la mer relatif à la conservation et à la gestion des stocks chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs. C’est aussi en 1995 que s’est tenue la Conférence des Nations Unies sur la pollution marine d’origine tellurique, désormais considérée comme la cause de plus de 70% de la pollution totale des océans. Le commerce mondial, ainsi que la désertification et le déboisement, dans leurs aspects environnementaux, devront également être abordés à l’échelle mondiale, tandis que le progrès continuera à nous faire prendre conscience de l’impact des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Le défi que pose ce droit international de l’environnement naissant n’appelle pas simplement la conclusion d’un nombre croissant d’instruments, mais aussi le renforcement de son efficacité.

LES ÉTUDES D’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT

Ronald Bisset

Aujourd’hui, le terme «études d’impact sur l’environnement» utilisé dans le titre du présent article est de plus en plus souvent remplacé par le terme «évaluation de l’environnement», mais cette pratique n’est pas encore universelle. Un bref rappel des raisons de ce changement nous permettra de déterminer la nature fondamentale de l’activité ainsi décrite et l’un des facteurs importants qui provoquent opposition ou hésitation à utiliser le terme d’impact.

Les Etats-Unis ont adopté en 1970 une loi nationale sur la politique de l’environnement (National Environmental Policy Act (NEPA)) qui fixe au gouvernement fédéral des objectifs en la matière et insiste sur la nécessité d’intégrer les facteurs écologiques dans les prises de décisions. S’il est naturellement facile d’énoncer un objectif politique, il est plus difficile de l’atteindre. Pour renforcer le pouvoir de cette loi, les législateurs ont incorporé une disposition exigeant que le gouvernement fédéral prépare un «dossier d’impact sur l’environnement» pour toute proposition d’action «susceptible d’affecter de façon significative la qualité de l’environnement humain». Le contenu de ce document doit être examiné avant toute décision sur l’action proposée. Les travaux effectués pour préparer ce dossier sont désormais plus connus sous le nom d’étude d’impact sur l’environnement (EIE), car ils comprennent la détermination, la prévision et l’évaluation de l’impact de l’action fédérale proposée.

Le terme «impact» en anglais n’a malheureusement pas une connotation positive et suppose, presque, par définition, quelque chose de préjudiciable. C’est pourquoi, lorsque la pratique de l’EIE s’est répandue au Canada, en Europe, en Asie du Sud-Est et en Australie, de nombreux gouvernements et leurs conseillers ont souhaité se démarquer de cet aspect négatif et ont choisi un nouveau terme, l’évaluation de l’environnement (EE). L’EIE et l’EE sont identiques (sauf aux Etats-Unis et dans les quelques pays qui ont adopté le système américain, dans lequel EIE et EE ont des sens précis et différents). Nous utiliserons ici la seule expression EIE, sans oublier de rappeler que nos commentaires s’appliquent également à l’évaluation de l’environnement et que les deux termes sont utilisés dans le vocabulaire international.

Outre l’usage du terme «impact», le contexte dans lequel l’EIE a été appliquée (en particulier aux Etats-Unis et au Canada) a également influencé la perception courante qu’en avaient et, dans certains cas, qu’en ont encore les politiques, les hauts fonctionnaires et les promoteurs des secteurs privé et public. Aux Etats-Unis comme au Canada, l’aménagement du territoire laissait à désirer et la préparation des études d’impact sur l’environnement ou des rapports d’EIE était souvent «récupérée» par les parties intéressées pour devenir un exercice de planification. Cela encourageait la production de documents importants en plusieurs volumes, dont la préparation était longue et coûteuse, et la lecture, comme le suivi, quasiment impossibles. Parfois, les projets étaient différés dans l’attente de ces documents, provoquant irritation et coûts supplémentaires chez les auteurs du projet et les investisseurs.

Par ailleurs, au cours des cinq à six premières années de sa mise en œuvre, la NEPA a donné lieu à de nombreux litiges devant des tribunaux, au cours desquels les opposants aux projets ont pu contester le caractère adéquat des dossiers d’impact sur l’environnement pour des motifs techniques et, parfois, de procédure. Une fois encore, de nombreux projets en ont été retardés. Toutefois, l’expérience aidant, les orientations ont été plus claires et plus strictes, et le nombre d’affaires portées devant les tribunaux a fortement diminué.

Malheureusement, l’effet combiné de ces expériences a donné à de nombreux observateurs extérieurs l’impression que les EIE procédaient certes d’une bonne intention, mais n’avaient malheureusement pas répondu aux attentes et finissaient par constituer plus un obstacle qu’une aide au développement. D’aucuns y voyaient une activité utile, bien que non indispensable dans des pays développés nantis, mais constituant pour les nations en cours d’industrialisation un luxe qu’elles ne pouvaient vraiment pas se permettre.

Malgré la réaction négative de certains milieux, la généralisation des EIE s’est imposée partout. Lancée en 1970 aux Etats-Unis, l’EIE s’est étendue au Canada, à l’Australie et à l’Europe. Plusieurs pays en développement, comme les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande ont introduit les procédures d’EIE avant de nombreux pays d’Europe occidentale. Il est intéressant de constater que diverses banques de développement telles que la Banque mondiale ont compté parmi les organisations les plus lentes à introduire l’EIE dans leurs dispositifs de prise de décisions. En effet, ce n’est qu’à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix que les banques et les organismes d’aide bilatérale ont rattrapé le reste du monde. Il n’existe pas de signes d’un ralentissement actuel du rythme auquel les lois et règlements sur l’EIE sont introduits dans les processus nationaux de prise de décisions. En fait, à la suite du Sommet Planète Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992, l’EIE a été de plus en plus utilisée, en même temps que les organisations internationales et les gouvernements nationaux tentaient de suivre les recommandations faites à Rio de Janeiro sur la nécessité d’un développement durable.

Qu’est-ce qu’une EIE?

Comment expliquer la popularité sans cesse croissante de l’EIE? Quel rôle peut-elle jouer pour les gouvernements, les promoteurs des secteurs privé et public, les travailleurs, leurs familles et les communautés dans lesquelles ils vivent?

Avant l’EIE, les projets de développement, comme les autoroutes, les barrages hydroélectriques, les ports et les installations industrielles étaient évalués d’un point de vue technique, économique et, bien sûr, politique. Ces projets avaient certains objectifs économiques et sociaux à atteindre, et les décideurs chargés de la délivrance des permis, licences et autres autorisations souhaitaient savoir s’ils y parviendraient (laissons de côté ici les projets conçus et bâtis à des fins politiques ou de prestige). Il fallait donc faire une étude économique (généralement une analyse coûts-avantages) et une enquête technique. Malheureusement, les études ne prenaient pas en compte les effets sur l’environnement et, avec le temps, de plus en plus de gens ont pris conscience des dommages croissants causés par ces projets. Dans bien des cas, les impacts involontaires sur l’environnement et sur la société occasionnaient un coût économique; par exemple, le barrage de Kariba en Afrique (à la frontière de la Zambie et du Zimbabwe) a entraîné le déplacement de plusieurs villages dans des régions ne convenant pas à l’agriculture traditionnelle pratiquée par les populations. Dans les zones de déplacement, la nourriture est devenue rare et le gouvernement a dû lancer des opérations d’approvisionnement d’urgence. D’autres exemples de coûts supplémentaires non prévus et de dommages causés à l’environnement ont fait prendre progressivement conscience du fait que les techniques traditionnelles d’appréciation des projets appelaient une approche supplémentaire pour réduire les risques de conséquences inattendues et indésirables.

La sensibilisation des gouvernements, des organisations non gouvernementales (ONG) et du public aux incidences négatives inattendues des grands projets de développement s’est accrue en même temps que l’importance de l’environnement pénétrait dans le champ de la conscience. En particulier, l’attention s’est portée sur les conséquences d’une augmentation de la croissance démographique et de l’activité économique en découlant, ainsi que sur les pressions éventuelles de cette croissance sur l’environnement. On s’est mis à reconnaître l’importance de la biogéochimie mondiale et autres procédés de maintien de la pureté de l’air et de l’eau, ainsi que des ressources renouvelables, comme les produits alimentaires et le bois de construction. En conséquence, beaucoup se sont convaincus que l’environnement ne pouvait plus être considéré comme une source passive et inépuisable de biens et un réceptacle des déchets humains, mais comme un élément actif du processus de développement qui, s’il était mal utilisé, pouvait réduire les chances de le poursuivre. Cette prise de conscience a entraîné la mise au point et l’application d’un certain nombre de procédures ou de pratiques destinées à intégrer l’environnement dans le processus de développement et à prendre en considération la mesure dans laquelle il pouvait être détérioré ou amélioré. L’EIE est l’une de ces procédures. Elle vise à réduire le risque pour l’être humain, en général, et les collectivités locales, en particulier, que les nuisances causées à l’environnement entraînent des phénomènes pouvant constituer une menace pour la vie, comme la famine et les inondations.

Fondamentalement, l’EIE est un moyen de caractériser, de prévoir et d’évaluer les conséquences pour l’environnement d’une mesure de développement proposée et des autres solutions possibles, avant de passer à son application. Le but est d’intégrer l’EIE dans les activités de normalisation, de préfaisabilité, de faisabilité, d’appréciation et de conception menées pour tester si une proposition va atteindre ses objectifs. En menant en parallèle une EIE, il devrait être possible de déceler rapidement les répercussions négatives ou positives importantes, d’écarter dans la mesure du possible celles qui sont négatives et, par ailleurs, de renforcer les atouts d’un projet. Toute EIE devrait présenter une proposition qui, de par sa situation géographique, sa conception et son mode de construction ou d’exploitation, soit respectueuse de l’environnement, dans la mesure où ses incidences sont écologiques et où il est peu probable qu’une détérioration quelconque entraîne des difficultés. L’EIE est par conséquent un outil de prévention: comme en médecine, mieux vaut prévenir que guérir. S’agissant de développement, il vaut mieux éviter autant que possible les dommages causés à l’environnement (tout en atteignant les objectifs économiques) plutôt que d’avoir à financer de coûteuses actions de dépollution ou de remise en état.

Les applications de l’EIE

A quels types d’activités de développement l’EIE s’applique-t-elle? Il n’existe en la matière ni norme ni réponse toute faite. C’est à chaque pays de décider du type et de l’envergure des activités visées; par exemple, un projet de route de 10 km dans une petite île tropicale peut avoir des répercussions importantes, alors que, dans un vaste pays semi-aride à faible densité de population, il serait probablement neutre pour l’environnement. Dans tous les pays, l’EIE est appliquée aux projets d’équipement «physique» selon les critères nationaux; dans certains pays, l’EIE porte aussi sur les plans, programmes et politiques d’aménagement (comme les programmes de développement sectoriels pour l’alimentation en énergie ou les plans d’aménagement du territoire) qui risquent d’avoir des répercussions importantes sur l’environnement. Parmi les pays qui utilisent l’EIE pour ce type d’actions, citons la Chine, les Etats-Unis et les Pays-Bas qui constituent encore des exceptions à la règle. La plupart des EIE sont préparées aux fins de projets d’équipement, bien qu’il ne fasse aucun doute que les EIE d’ordre «stratégique» soient appelées à prendre de l’importance à l’avenir.

Quels sont les types d’impacts analysés dans les EIE? Encore une fois, ils varient d’un pays à l’autre, mais dans une moindre mesure que pour les types d’activités proposées soumis à des EIE. On répond d’ordinaire qu’il s’agit des effets «sur l’environnement», qui risquent d’entraîner l’inévitable question: «Certes, mais qu’entend-on par ‘environnement’?». Généralement, la plupart des EIE se limitent à l’environnement biophysique, c’est-à-dire à des facteurs tels que:

Dans certains cas, aucune autre conséquence n’est envisagée. Cependant, le fait de restreindre l’EIE aux incidences biophysiques a été remis en question et, de plus en plus, les EIE adoptent une conception plus large de l’environnement comportant, le cas échéant, des éléments tels que:

Deux raisons permettent d’expliquer cette acception plus large des effets sur «l’environnement». Tout d’abord, on a constaté qu’il était socialement et politiquement inacceptable d’examiner les conséquences d’un projet sur l’environnement biophysique et, dans le même temps, d’ignorer les effets sociaux et les répercussions sur la santé publique des collectivités et des populations locales. Cette question a passé au premier plan dans les pays développés, en particulier ceux dont l’aménagement du territoire laisse à désirer et comporte des objectifs sociaux et économiques.

Dans les pays en développement, ce facteur existe aussi et vient s’ajouter à une autre explication. La majorité de la population de ces pays a une relation directe plus étroite et, à bien des égards, plus complexe avec son environnement que celle des pays développés. En d’autres termes, l’interaction entre les collectivités locales et leur environnement peut être modifiée par des impacts écologiques, sociaux et économiques. Par exemple, dans des régions pauvres, un grand projet, comme la construction d’une centrale électrique de 2 400 MW, va créer de nouvelles possibilités d’emploi et des infrastructures sociales (écoles, dispensaires) destinées à l’importante main-d’œuvre qu’il utilisera. Fondamentalement, les revenus injectés dans l’économie locale vont transformer la centrale électrique en un îlot prospère dans une mer de misère. La région attirera les plus pauvres qui vont chercher à améliorer leur niveau de vie en essayant d’obtenir un emploi et d’utiliser les nouvelles installations. Tous ne vont pas réussir, et ceux qui auront échoué proposeront leurs services à ceux qui travaillent, par exemple en leur fournissant du bois ou du charbon de bois. L’environnement en subira un stress, souvent même dans des endroits éloignés de la centrale. Tout cela s’ajoutera aux conséquences de l’afflux des travailleurs occupés sur le site de la centrale et de leur famille. On voit ainsi que le principal effet social d’un projet — une migration intérieure — se répercute sur l’environnement. Si ces implications socio-économiques n’étaient pas analysées, les études d’impact risqueraient de ne pas atteindre l’un de leurs principaux objectifs, à savoir identifier, prévoir, évaluer et atténuer les effets biophysiques sur l’environnement.

Presque toutes les études d’impact liées à des projets se focalisent sur l’environnement externe, hors des limites du site. Cela reflète l’histoire de l’EIE qui, comme nous l’avons vu, a ses origines dans le monde développé. Vu l’existence dans ces pays d’un solide cadre juridique protégeant la santé au travail, l’EIE n’avait pas à s’intéresser au milieu de travail interne et à l’environnement en général, cela afin d’éviter une répétition inutile des efforts et un mauvais emploi de ressources limitées.

La situation est justement l’inverse dans les pays en développement où il paraîtrait approprié que les EIE, notamment celles qui portent sur les installations industrielles, en envisagent les conséquences sur le milieu interne. La santé des travailleurs est ici l’élément essentiel, et il convient d’étudier les changements de qualité de l’air interne et des niveaux sonores. Mentionnons deux autres aspects qui ont leur importance. Premièrement, dans les pays pauvres, la perte d’un soutien de famille due à la maladie, à un accident ou à la mort peut forcer les autres membres de la famille à exploiter les ressources naturelles pour conserver leur niveau de revenu. Si plusieurs familles sont touchées, les effets cumulés peuvent être importants sur le plan local. Deuxièmement, la santé des membres de la famille peut être directement affectée par les produits chimiques introduits dans la maison par les vêtements des travailleurs. Il existe donc un lien direct entre le milieu de travail et l’environnement en général. Les ouvrages sur l’EIE n’accordent que peu d’importance au premier, qui se distingue par l’absence de lois, règlements et directives. Toutefois, il n’existe aucune raison logique ou pratique pour que, si les circonstances locales s’y prêtent, l’EIE n’aborde pas l’importante question de la santé des travailleurs et des conséquences externes possibles d’une détérioration de leur bien-être physique et mental.

Les coûts et les avantages de l’EIE

Le problème peut-être le plus fréquemment soulevé par les détracteurs de l’EIE ou les indifférents est son coût. La préparation des dossiers d’impact sur l’environnement demande du temps et des ressources, donc, de l’argent. C’est pourquoi il convient d’envisager les aspects économiques d’une étude d’impact sur l’environnement.

Les principaux coûts d’introduction des procédures d’EIE dans un pays incombent aux investisseurs ou aux promoteurs des projets, ainsi qu’aux autorités nationales ou locales (selon la nature de la procédure). Dans pratiquement tous les pays, les investisseurs ou les promoteurs financent la préparation de l’EIE pour leur projet. Il en va de même des responsables (généralement des organismes gouvernementaux) des stratégies d’investissement sectoriel et des plans d’aménagement régional. Selon l’expérience faite dans les pays, développés ou non, le coût de préparation des EIE varie entre 0,1 et 1% du coût d’investissement d’un projet. Cette proportion peut augmenter lorsque les mesures de modération ou de ménagement recommandées dans l’EIE sont prises en compte. Le coût dépend du type de mesures recommandées. De toute évidence, reloger 5 000 familles de sorte que leur qualité de vie soit préservée est une opération relativement coûteuse. Dans de tels cas, les coûts de l’EIE et des ménagements recommandés peuvent s’élever jusqu’à 15 à 20% du coût d’investissement. Dans d’autres cas, il peut se situer entre 1 et 5%. Ces chiffres peuvent paraître excessifs et semblent indiquer que l’EIE constitue un fardeau sur le plan financier. Il ne fait aucun doute qu’elle a son prix mais, d’après notre expérience, aucun projet important n’a été suspendu à cause des coûts de préparation de l’EIE, et ce n’est que dans quelques cas que les projets sont devenus non rentables en raison du coût des mesures de ménagement nécessaires.

Les procédures d’EIE occasionnent également des frais aux autorités nationales ou locales, du fait du personnel et des autres ressources qu’il faut consacrer à la gestion du système, ainsi qu’au traitement et à l’examen des dossiers. Ici encore, le coût dépend de la nature de la procédure et du nombre de dossiers d’impact sur l’environnement établis chaque année. Nous n’avons pas connaissance de calculs ayant tenté d’en donner un chiffre moyen.

Pour en revenir à notre comparaison avec la médecine, la prévention des maladies exige de réaliser en amont d’importants investissements pour s’assurer d’avantages positifs futurs et pouvant être étalés sur la durée en matière de santé publique. Il en va de même pour l’EIE. Les avantages financiers peuvent être examinés du point de vue de l’auteur du projet comme de celui du gouvernement et de la société dans son ensemble. L’auteur du projet peut en tirer plusieurs avantages:

Tous ces avantages n’interviennent pas dans chaque cas, mais il est utile d’envisager par quels moyens l’auteur du projet peut réaliser des économies.

Dans tous les pays, différents permis et autorisations sont nécessaires avant qu’un projet ne puisse être mis en œuvre et exploité. Les procédures d’autorisation prennent du temps, et les délais peuvent s’allonger si le projet rencontre une opposition et en l’absence de mécanisme officiel destiné à constater, à prendre en considération et à examiner les points litigieux. Sans doute, l’ère des populations passives, qui saluaient toutes les formes de développement comme des signes d’un inévitable progrès économique et social, est pratiquement révolue. Tous les projets font l’objet d’une attention croissante aux niveaux local, national et international (voir, par exemple, l’opposition continue que le complexe de barrages de Sardar Sarovar (Narmada) soulève en Inde).

Dans ce contexte, l’EIE constitue un moyen d’aborder, sinon de lever les appréhensions de la population. Des études menées dans des pays développés (comme le Royaume-Uni) ont démontré que l’EIE pouvait réduire les probabilités de retard dans l’obtention des autorisations et, le temps n’est-il pas de l’argent? De fait, une étude menée par la société britannique de distribution de gaz British Gas à la fin des années soixante-dix a montré qu’une EIE abrégeait la durée moyenne d’obtention des autorisations.

Les coûts additionnels des mesures de modération ont été évoqués, mais il est intéressant d’envisager la situation contraire. Dans des installations produisant un ou plusieurs flux de déchets, l’EIE permet d’identifier les mesures qui en réduisent la charge grâce aux procédés de récupération ou de recyclage. Dans le premier cas, la récupération d’un composant d’un flux de déchets peut permettre à l’auteur d’un projet de le vendre (s’il existe un marché) et de couvrir les coûts de la récupération, voire d’en tirer profit. Le recyclage d’un élément tel que l’eau peut en réduire la consommation et par là même le coût des matières premières.

Si une EIE a mis l’accent sur le milieu interne, les conditions de travail devraient être meilleures qu’en son absence. Un lieu de travail moins pollué et plus sûr diminue le mécontentement, les maladies et l’absentéisme du personnel. Globalement, il en résultera probablement une main-d’œuvre plus productive, ce qui constitue encore un gain financier pour l’auteur du projet ou l’exploitant.

Enfin, si l’option privilégiée a été choisie en se fondant sur les seuls critères techniques et économiques, elle peut ne pas être la meilleure. Au Botswana, un site avait été sélectionné pour stocker l’eau avant de l’acheminer vers Gaborone, la capitale. L’EIE démontra dès le début que l’impact sur l’environnement serait fortement négatif. Pendant les travaux de l’enquête, l’équipe de l’EIE trouva un autre site possible, qu’elle fut autorisée à faire figurer dans l’étude. La comparaison avec ce deuxième site montra que les effets sur l’environnement seraient bien moins graves. D’après les études techniques, ce site satisfaisait aussi aux critères requis. En fait, il fut démontré que ce second site pouvait permettre d’atteindre les objectifs de départ avec moins de dommages pour l’environnement et un coût de construction inférieur de 50% (Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources — Union mondiale pour la nature (UICN) et Gouvernement de la République du Botswana, non daté). C’est donc sans surprise que l’on a retenu cette solution, au bénéfice non seulement de l’auteur du projet, un organisme parapublic, mais de l’ensemble des contribuables du Botswana. De tels exemples sont probablement peu courants, mais démontrent que les travaux d’EIE constituent une occasion de «tester» diverses possibilités de développement.

Les principaux avantages retirés des procédures d’EIE se répartissent entre les différents éléments de la société, à savoir le gouvernement, les collectivités et les individus. En évitant des détériorations inacceptables de l’environnement, l’EIE permet de maintenir les «processus de vie» essentiels à toute vie et activité humaine, ce qui constitue un bénéfice à long terme et à large spectre. Dans des cas spécifiques, elle peut éviter de causer des dommages localisés à l’environnement qui devraient être corrigés ultérieurement, en général à grands frais, le coût de ces mesures incombant aux autorités locales ou centrales, et non à l’auteur du projet ou à l’exploitant de l’installation ayant causé le dommage.

Des événements font lentement évoluer les objectifs des activités de développement, en particulier depuis le Sommet Planète Terre de Rio de Janeiro. Jusqu’à une période récente, il s’agissait d’améliorer la situation économique et sociale dans un domaine spécifique. De plus en plus, le critère de «durabilité» occupe une place centrale dans la hiérarchie traditionnelle des objectifs qui n’en restent pas moins pertinents. Son introduction en tant qu’objectif important, sinon encore primordial, du processus de développement influera à l’avenir profondément sur l’existence même de l’opposition stérile entre emploi et environnement dont a souffert l’EIE. Ce débat avait un sens lorsque l’environnement ne faisait pas partie du processus de développement et n’avait pas la moindre chance d’y être intégré; aujourd’hui, il est un sujet de premier plan, et le débat porte sur les mécanismes qui permettront de lier de façon durable les emplois et la salubrité de l’environnement. L’EIE est encore appelée à une contribution primordiale et croissante, car elle constitue l’un des mécanismes qui permettront de progresser et de réaliser un développement durable.

L’ANALYSE DU CYCLE DE VIE (DU BERCEAU À LA TOMBE)

Sven-Olof Ryding

Protéger l’environnement pour les générations futures suppose non seulement de traiter des problèmes d’environnement naissants mais aussi, pour les régler, de définir de nouvelles stratégies d’un bon rapport coût-efficacité et acceptables pour l’environnement et de prendre concrètement les mesures qui se dégageront de ce débat. Tout porte à croire que l’amélioration de l’environnement et l’établissement de politiques destinées à le sauvegarder doivent prendre un rang plus élevé dans l’ordre de priorité pour les générations présentes et futures. Quoique ce discours soit fréquemment tenu par les gouvernements, les groupements de défense de l’environnement, les industriels, les universitaires et le grand public, la polémique est vive sur la meilleure façon d’améliorer l’environnement sans renoncer pour autant aux avantages économiques actuels. La protection de l’environnement a désormais acquis une grande importance politique, et la garantie de la stabilité écologique a passé au premier rang de nombreux programmes politiques.

Les efforts passés et présents consentis pour protéger l’environnement ont une caractéristique commune: ils sont circonscrits autour d’une seule question, et chaque problème est traité au cas par cas. Dans les cas de pollution ayant une source ponctuelle provoquée par des émissions facilement identifiables, c’était effectivement là un moyen d’en réduire l’impact sur l’environnement. Aujourd’hui, la situation est plus complexe. Une bonne partie de la pollution provient désormais d’un grand nombre de sources dispersées, qui se déplacent facilement d’un pays à un autre. En outre, nous contribuons chaque jour à la pollution par notre mode de vie. Les différentes sources diffuses sont difficiles à identifier, et la façon dont elles interagissent et se répercutent sur l’environnement n’est pas bien connue.

Les problèmes d’environnement vont croissant et revêtent un caractère complexe et global; l’application de mesures correctrices aura très probablement d’importantes répercussions sur plusieurs segments de la société. Pour contribuer effectivement à la protection de l’environnement, des mesures réfléchies et universelles doivent être mises en œuvre conjointement selon une démarche complémentaire et pluridisciplinaire de tous les acteurs intéressés — scientifiques, syndicats, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises et organismes nationaux et gouvernements, sans oublier les médias. Il importe donc de coordonner tous les intérêts sectoriels qui ont des ambitions en matière d’environnement afin d’obtenir les interactions et les réactions nécessaires aux solutions proposées. Il se peut que l’unanimité se fasse sur l’objectif ultime d’un environnement de meilleure qualité, mais aussi qu’il existe des désaccords quant au rythme, aux moyens et au temps nécessaires pour l’atteindre.

La protection de l’environnement est devenue un enjeu stratégique de plus en plus important pour l’industrie et le monde des affaires, tant pour l’implantation des usines que pour les performances techniques des procédés et des produits. Les industriels sont impatients d’avoir une idée globale des conséquences de leurs activités sur l’environnement. La législation n’est plus le seul facteur qui motive l’importance croissante des questions d’environnement liées au produit. Les produits écologiquement rationnels, écologiques ou «verts» sont des notions désormais admises par les producteurs et les consommateurs.

Il s’agit certes là d’un sérieux défi pour l’industrie; pour l’instant, les critères d’environnement ne sont pas souvent pris en compte dès la conception d’un produit, au moment où il serait pourtant plus facile d’éviter des conséquences néfastes. Jusqu’à une période récente, la plupart des impacts sur l’environnement étaient limités par des mesures prises en aval, ou lors de la conception des procédés et non de celle des produits. En conséquence, de nombreuses sociétés perdaient du temps à régler les problèmes plutôt qu’à les prévenir. Toutefois, il faut beaucoup de travail pour élaborer une démarche appropriée et reconnue — qui intègre les aspects environnementaux aux différents stades de la production et des activités industrielles, de l’achat et de la transformation des matières premières à l’utilisation des produits et à leur élimination finale.

Le seul concept connu pour traiter toutes ces questions nouvelles, au caractère complexe, semble être l’approche fondée sur le cycle de vie. Les analyses du cycle de vie (ACV) sont largement acceptées comme l’outil de gestion de l’environnement de l’avenir depuis que les questions de produit ont pris de l’importance dans le débat public. Les ACV promettent certes d’être une technique précieuse dans l’élaboration de stratégies de production moins polluantes et d’aide à la conception pour l’environnement, mais cette méthode relativement récente devra encore être affinée pour être acceptée comme un outil universel permettant de choisir des procédés et de mettre au point des produits écologiquement rationnels.

Le cadre industriel de l’analyse du cycle de vie

Les industriels doivent apprendre à considérer les produits et les services dans leur intégrité aux fins de la protection de l’environnement et définir une approche commune systématique et structurée permettant de prendre les décisions qui s’imposent et d’établir un ordre de priorité. Cette approche se doit d’être flexible et extensible, afin de prévoir toutes les situations appelant une décision industrielle, comme aussi les progrès scientifiques et technologiques. Cependant, elle devrait s’inspirer de certains principes fondamentaux tels que l’identification des problèmes, l’étude des mesures correctives, l’analyse coûts-avantages et l’évaluation finale (voir figure 54.1).

Figure 54.1 Etablissement d'un ordre de priorité en matière de protection de
l'environnement dans l'industrie

Figure 54.1

La phase d’identification devrait permettre de révéler différents types de problèmes d’environnement et leurs causes. Les jugements sont multidimensionnels et prennent en compte divers éléments du contexte. Il existe bel et bien une relation étroite entre le milieu de travail et l’environnement général. C’est pourquoi la protection de l’environnement devrait avoir deux ambitions: réduire au maximum les pressions exercées sur l’environnement général par toutes les activités humaines et promouvoir le bien-être des salariés grâce à un milieu de travail bien aménagé et sûr.

L’étude des mesures correctives potentielles devrait inclure toutes les solutions pratiques disponibles pour réduire au maximum les émissions polluantes et l’utilisation de ressources naturelles non renouvelables. La description des solutions techniques devrait si possible indiquer leur avantage escompté, en ce qui concerne tant la réduction des ressources utilisées et de la charge polluante que les coûts. L’analyse coûts-avantages vise à établir un ordre de priorité en comparant les différents types de mesures: pour ce faire, elle se place dans la perspective du cahier des charges à satisfaire par le produit, de la faisabilité économique et de l’efficacité écologique. Toutefois, l’expérience montre que d’importantes difficultés apparaissent souvent pour traduire un patrimoine naturel en termes monétaires.

La phase d’appréciation et d’évaluation devrait être considérée comme faisant partie intégrante de l’établissement d’un ordre de priorité, car elle fournit les éléments nécessaires pour juger au bout du compte de l’efficacité des mesures suggérées. En outre, l’exercice permanent d’évaluation consécutif à chaque mesure appliquée ou imposée optimisera en retour le modèle général de décision concernant les stratégies environnementales prioritaires à suivre. Un tel modèle prendra probablement une plus grande valeur stratégique aux yeux des industriels lorsqu’il apparaîtra peu à peu que l’ordre de priorité écologique pourrait bien avoir une grande importance pour les choix futurs des procédés et des produits. Outil d’identification des rejets dans l’environnement et d’évaluation des impacts d’un procédé, d’un produit ou d’une activité, l’ACV deviendra pour l’industrie l’instrument essentiel de recherche de modèles pratiques d’aide à la décision et d’un usage facile permettant de mettre au point des produits non polluants.

Le concept d’évaluation du cycle de vie

L’ACV se propose d’évaluer les effets sur l’environnement de toute activité donnée, de l’extraction initiale de matières premières dans la terre jusqu’au moment où tous les résidus y retournent. C’est pourquoi on utilise souvent l’expression «du berceau à la tombe». Bien que la pratique des études du cycle de vie existe depuis le début des années soixante-dix, on n’a guère cherché à expliquer l’ensemble de la procédure, à indiquer les données de base nécessaires, les hypothèses implicites et les possibilités d’utilisation pratique de la méthodologie. Cependant, depuis 1992, un certain nombre de rapports ont été publiés, qui s’attachent à décrire les différentes parties de l’ACV d’un point de vue théorique (Heijungs, 1992; Vigon et coll., 1992; Keoleian et Menerey, 1993; Association canadienne de normalisation, 1993; Society of Environmental Toxicology and Chemistry, 1993). Quelques guides et manuels pratiques se placent du point de vue des concepteurs d’un produit et font une analyse complète du cycle de vie lors de la mise au point de produits écologiques (Ryding, 1996).

L’ACV a été définie comme un procédé objectif permettant d’évaluer les pressions exercées sur l’environnement par un système associant procédé, produit, activité ou service, en identifiant et en quantifiant l’énergie et les matériaux utilisés et rejetés dans l’environnement afin d’en mesurer l’impact, d’évaluer et de mettre en application les améliorations possibles pour l’environnement. L’évaluation porte sur le cycle de vie complet du système et englobe l’extraction et la transformation des matières premières, la fabrication, le transport et la distribution, l’utilisation, la réutilisation, l’entretien, le recyclage et l’élimination finale.

L’ACV a pour principal objectif de donner une image aussi complète que possible des interactions d’une activité avec l’environnement, de contribuer à la compréhension de l’interdépendance et du caractère global des conséquences écologiques des activités humaines et de procurer aux décideurs des informations qui leur permettront de discerner les possibilités d’amélioration dans ce domaine.

La méthodologie de l’ACV comporte quatre phases: la définition des objectifs et du champ de l’étude, l’inventaire du cycle de vie ou écobilan, l’évaluation de l’impact et l’interprétation. A elle seule, aucune d’entre elles, puisqu’elle entre dans un cadre méthodologique plus vaste, ne peut être qualifiée d’ACV, qui doit les englober toutes les quatre. Dans de nombreux cas, les études du cycle de vie portent uniquement sur l’écobilan et sont généralement désignées par le terme d’inventaire du cycle de vie (ICV).

La première phase consiste à définir l’objet et la portée de l’étude, la définition de l’unité fonctionnelle (unité de référence qui permet de quantifier la performance d’un système de produits) et l’établissement d’une procédure permettant de s’assurer de la qualité des résultats.

Avant d’entreprendre une étude d’ACV, il est primordial d’en définir clairement les objectifs, de préférence sous la forme d’un exposé clair et sans équivoque du motif pour lequel l’ACV est effectuée et de l’utilisation prévue de ses résultats. Il est essentiel de décider si les résultats doivent servir à des applications internes à une société, en vue d’améliorer les caractéristiques écologiques d’un procédé industriel ou d’un produit, ou externes, par exemple pour influencer les orientations des pouvoirs publics ou les décisions d’achat des consommateurs.

En l’absence d’objectifs énoncés clairement et à l’avance, l’écobilan et l’évaluation de l’impact risquent d’être exagérés, et les résultats de ne pas être utilisés correctement aux fins d’une décision pratique. Le fait de définir si les résultats doivent porter sur les charges pour l’environnement, sur un problème écologique spécifique, ou sur une étude globale d’impact sur l’environnement indiquera clairement s’il convient de réaliser un écobilan, une classification/caractérisation ou une évaluation (voir figure 54.2). Il est important que toutes les étapes de l’ACV apparaissent clairement, afin que l’utilisateur puisse plus facilement choisir le niveau de complexité souhaité.

Figure 54.2 L'analyse du cycle de vie: buts et exhaustivité recherchée

Figure 54.2

Dans de nombreux programmes généraux destinés à élaborer des stratégies de production moins polluantes, ou une mise au point de procédés ou de produits écologiques, l’objectif principal est souvent de réduire l’impact global sur l’environnement d’un produit pendant toute la durée de son cycle de vie. Pour ce faire, il est parfois nécessaire de parvenir à une forme très agrégée de l’étude d’impact sur l’environnement qui, à son tour, appelle une méthode d’évaluation reconnue, permettant de mesurer le poids respectif des différents effets sur l’environnement.

Le champ d’une ACV en définit la méthode, les limites ainsi que les exigences portant sur les données, les hypothèses et les limitations. Elle doit être définie assez précisément pour garantir que l’analyse soit suffisamment étendue et approfondie pour être compatible avec l’objet énoncé et toutes ses frontières, et pour s’assurer de la clarté et de la transparence des hypothèses. Cependant, une ACV étant un processus itératif, il peut être recommandé dans certains cas de ne pas en arrêter de façon définitive tous les aspects relatifs au champ de l’étude. Le recours à l’analyse de sensibilité et d’erreur est recommandé pour tester et valider successivement l’objet et la portée de l’étude d’ACV par rapport aux résultats obtenus, afin d’effectuer des corrections et d’émettre de nouvelles hypothèses.

L’inventaire est un procédé objectif qui quantifie, à partir de données, les flux d’énergie et de matières premières, les émissions dans l’atmosphère, les rejets dans l’eau, les déchets solides et autres rejets dans l’environnement tout au long du cycle de vie d’un procédé, d’un produit, d’une activité ou d’un service (voir figure 54.3).

Figure 54.3 Eléments consécutifs de l'inventaire du cycle de vie

Figure 54.3

Le calcul des intrants et des extrants dans l’inventaire renvoie au système défini. Dans de nombreux cas, les opérations de transformation donnent lieu à plus d’un extrant, et il est important de décomposer ce système complexe en une série de sous-processus distincts donnant chacun lieu à un produit unique. Pendant la production d’un matériau de construction, des émissions polluantes interviennent dans chacun des sous-processus, de l’achat des matières premières au produit final. Le processus de production total peut être illustré par un «arbre des procédés» dont le tronc peut être considéré comme la chaîne principale de flux de matières et d’énergie, tandis que les branches peuvent représenter les sous-processus, et les feuilles les chiffres particuliers des émissions polluantes, et ainsi de suite. Ajoutés les uns aux autres, ces sous-processus présentent le total des caractéristiques du système original unique des coproduits.

Afin d’estimer l’exactitude des données obtenues dans l’inventaire, il est recommandé d’effectuer une analyse de sensibilité et d’erreur. C’est pourquoi toutes les données utilisées devraient indiquer les informations pertinentes non seulement sur leur fiabilité, mais aussi sur leur source, leur origine, etc., afin de faciliter une mise à jour et un affinement ultérieur. Le recours à l’analyse de sensibilité et d’erreur va permettre d’identifier les données essentielles revêtant une grande importance pour le résultat de l’étude, qui peut exiger des efforts supplémentaires en vue d’accroître sa fiabilité.

L’évaluation de l’impact est un procédé technique, qualitatif ou quantitatif, permettant de caractériser et d’apprécier les effets des charges sur l’environnement identifiés dans l’inventaire. Elle devrait aborder à la fois les aspects écologiques et sanitaires, ainsi que d’autres effets tels que les modifications de l’habitat et la pollution acoustique. Cet élément pourrait se diviser en trois étapes consécutives — la classification, la caractérisation et la pondération — interprétant chacune les effets des charges pour l’environnement identifiées dans l’inventaire, à différents niveaux d’agrégation (voir figure 54.4). La classification est l’étape au cours de laquelle les flux répertoriés sont regroupés en un certain nombre de catégories d’impact; la caractérisation est l’étape d’analyse et de quantification et, lorsque c’est possible, d’agrégation des impacts dans les différentes catégories; l’évaluation consiste à peser l’importance respective des divers effets de façon à pouvoir les comparer et à parvenir à une nouvelle interprétation et agrégation des données fournies par l’évaluation de l’impact.

Figure 54.4 Cadre conceptuel des niveaux successifs d'agrégation des données
dans l'étude d'impact

Figure 54.4

Dans l’étape de classification, les impacts peuvent être regroupés dans les domaines de protection généraux suivants: l’appauvrissement des ressources, la salubrité de l’environnement et la santé humaine. Ces domaines peuvent ensuite être divisés en catégories spécifiques, portant de préférence sur le mécanisme écologique concerné, afin de permettre une perspective cohérente avec la connaissance scientifique actuelle de ces mécanismes.

La caractérisation peut être abordée de plusieurs manières et, soit lier les informations aux concentrations sans effet observé ou aux normes environnementales, soit modéliser à la fois l’exposition et ses effets et utiliser ces modèles de façon particulière au site, soit encore utiliser des facteurs d’équivalence pour les différentes catégories d’impact. On peut aussi rapporter les données agrégées pour chaque catégorie d’impact à la dimension réelle des impacts dans certains secteurs, afin d’accroître la comparabilité.

L’évaluation, qui vise à agréger encore les données de l’étude d’impact, est l’élément de l’ACV qui a probablement suscité le plus de débats. Certaines approches, souvent dénommées techniques de théorie de la décision, affirment pouvoir faire de l’évaluation une méthode rationnelle et explicite. Les principes d’évaluation peuvent reposer sur des considérations scientifiques, politiques ou sociologiques, et il existe actuellement des approches couvrant ces trois perspectives. Il est particulièrement important de recourir à l’analyse de sensibilité et d’erreur. L’analyse de sensibilité permet d’identifier les critères d’évaluation choisis susceptibles de changer l’attribution de priorité entre deux procédés ou produits du fait de l’incertitude des données. L’analyse d’erreur peut être utilisée pour indiquer la probabilité qu’un produit soit plus écologique qu’un autre.

Beaucoup pensent que les évaluations doivent se fonder largement sur des choix de valeurs et de société. Cependant, personne n’a encore défini les exigences spécifiques auxquelles doit répondre une méthode d’évaluation fiable et acceptée par tous. La figure 54.5 dresse une liste de quelques conditions qui pourraient être utilement remplies. Cependant, et il convient de le souligner clairement, tout système d’évaluation de la gravité des impacts sur l’environnement d’une quelconque activité humaine doit reposer largement sur des jugements de valeur subjectifs. Il n’est probablement pas possible d’établir, pour ces évaluations, des critères valables dans toutes les situations.

Figure 54.5 Quelques conditions à remplir par une méthode d'évaluation du cycle de vie

Figure 54.5

L’interprétation des résultats consiste à évaluer systématiquement la nécessité et les possibilités de diminuer les contraintes que font peser sur l’environnement l’utilisation d’énergie et de matières premières et la production de déchets pendant tout le cycle de vie d’un produit, d’un procédé ou d’une activité. Elle peut inclure des mesures d’amélioration tant quantitatives que qualitatives, telles que des modifications dans la conception d’un produit, l’utilisation des matières premières, la production industrielle, la demande des consommateurs et la gestion des déchets.

L’interprétation des résultats est la phase de l’ACV qui permet de déceler et d’évaluer les possibilités de réduire les impacts ou les charges que les procédés ou les produits à l’étude font peser sur l’environnement. Elle s’attache à identifier, à évaluer et à choisir des solutions permettant d’améliorer la conception des procédés et des produits, c’est-à-dire de revoir la conception technique d’un procédé ou d’un produit afin d’en minimiser la charge sur l’environnement tout en répondant aux spécifications requises. Les décideurs doivent être bien informés des effets des incertitudes concernant les données de base et les critères utilisés pour obtenir les résultats, afin de ne pas tirer de conclusions erronées sur les procédés et les produits à l’étude. Insistons encore sur la nécessité d’une analyse de sensibilité et d’erreur pour la crédibilité de la méthodologie de l’ACV: en effet, elle donne aux décideurs des informations sur les paramètres et hypothèses essentiels, qui peuvent appeler un réexamen et des corrections pour en consolider les conclusions, d’une part, et sur l’importance statistique de la différence chiffrée de charge polluante entre les différents procédés ou produits, d’autre part.

La phase d’interprétation a été désignée comme la partie la moins documentée de l’ACV. Cependant, les résultats préliminaires de certaines grandes études d’ACV, menées conjointement par des universitaires, des sociétés de conseil et des entreprises, ont révélé que, d’un point de vue général, les pressions importantes exercées sur l’environnement par les produits semblaient être liées à l’utilisation de ces derniers (voir figure 54.6). Il semble donc possible que des initiatives lancées par l’industrie puissent minimiser les impacts sur l’environnement au moment de la mise au point des produits.

Figure 54.6 Aperçu de quelques expériences montrant les phases du cycle de vie d'un
produit pendant lesquelles s'exercent les principales pressions sur l'environnement

Figure 54.6

Selon une étude menée sur les expériences internationales de mise au point de produits écologiques fondées sur l’ACV (Ryding, 1994), l’application générale de cette méthode semblait prometteuse: 1) pour l’usage interne des entreprises, comme source d’orientation stratégique à long terme de conception des produits; 2) pour les autorités dotées de pouvoirs réglementaires qui y recourent, dans une certaine mesure, afin d’atteindre leurs objectifs généraux de planification et de choix de société. La mise au point et l’utilisation des informations fournies par l’ACV sur les effets, tant en amont qu’en aval, de l’activité spécifique étudiée pour l’environnement peuvent créer un nouveau paradigme d’aide à la décision pour la gestion d’entreprise comme pour les politiques de réglementation.

Conclusion

La connaissance des dangers que l’être humain fait courir à l’environnement semble progresser plus rapidement que sa capacité à les conjurer. C’est pourquoi les décisions sont souvent sujettes à plus d’incertitude dans ce domaine que dans d’autres, et les marges de sécurité sont généralement très faibles. Les connaissances écologiques et techniques actuelles ne suffisent pas toujours à proposer des stratégies complètes et infaillibles de protection de l’environnement. Il n’est pas possible de comprendre toutes les parades écologiques aux contraintes de l’environnement avant d’agir. Cependant, l’absence de preuves scientifiques, complètes et irréfutables, ne saurait décourager l’adoption et la mise en œuvre de programmes de lutte contre la pollution. Les questions d’environnement ne peuvent attendre d’être résolues scientifiquement avant que des mesures ne soient prises, car les dommages qui pourraient résulter d’une temporisation risqueraient d’être irréversibles. Par conséquent, la signification et la portée de la plupart des problèmes sont déjà assez connues pour justifier une action et, dans bien des cas, ces connaissances sont suffisantes pour prendre des mesures efficaces pour remédier à la plupart d’entre eux.

L’analyse du cycle de vie constitue un nouveau concept qui permet d’aborder les problèmes complexes qui se poseront demain. Cependant, il n’existe pas de réponse à tout. L’adoption rapide d’une nouvelle démarche globale en la matière permettra sans doute de déceler un certain nombre de lacunes dans notre connaissance des nouvelles questions à régler. Par ailleurs, les données disponibles qui pourraient être utilisées sont bien souvent destinées à d’autres fins. Mais, toutes ces difficultés ne sont pas des arguments pour différer l’utilisation de l’ACV jusqu’à ce que les choses aillent mieux. Bien sûr, on peut invoquer des difficultés et des incertitudes sur le concept actuel d’ACV pour justifier l’attentisme, mais il appartient à chacun de décider s’il vaut la peine d’aborder les problèmes d’environnement d’une façon globale, par l’analyse du cycle de vie. Plus l’ACV sera utilisée, mieux sa structure, sa fonction et sa validité seront connues, ce qui constitue la meilleure garantie de son amélioration par les informations obtenues en retour.

Procéder aujourd’hui à une ACV est peut-être plus une question de volonté et d’ambition que de connaissances, incontestées ou non. L’idée maîtresse de l’ACV devrait être de tirer le meilleur parti possible des connaissances scientifiques et techniques actuelles et d’en utiliser le résultat avec intelligence et humilité. Pareille approche gagnera très certainement en crédibilité.

L’ÉVALUATION ET LA COMMUNICATION EN MATIÈRE DE RISQUES

Adrian V. Gheorghe et Hansjörg Seiler

Les gouvernements, l’industrie et le public admettent la nécessité d’identifier, d’évaluer et de maîtriser les risques industriels, sur le lieu de travail et en général, encourus par la population et l’environnement. La conscience des risques et des accidents pouvant entraîner des pertes importantes en vies et en biens a conduit à élaborer et à utiliser des stratégies, des méthodes et des outils systématiques d’évaluation et de communication.

L’évaluation des risques comprend: la description du système, l’identification et la mise au point de scénarios d’accidents ou de résultats d’événements liés aux activités de fabrication ou à une installation de stockage; l’estimation des effets ou des conséquences de ces événements dangereux sur les personnes, les biens et l’environnement; l’estimation des probabilités que ces événements dangereux se produisent réellement et de leurs effets, estimation justifiant les différentes mesures et pratiques mises en place pour maîtriser les risques opérationnels et organisationnels; la quantification des niveaux de risques hors de l’établissement, tant en termes de conséquences que de probabilités; l’évaluation de ces niveaux par référence à des critères quantitatifs.

L’évaluation quantitative des risques est probabiliste par nature. Etant donné que les accidents majeurs peuvent se produire ou non durant toute la durée de vie d’un établissement ou d’un procédé, l’évaluation ne doit pas porter sur les conséquences des accidents prises isolément, mais aussi sur la probabilité que de tels accidents se produisent réellement. Ces probabilités et les niveaux de risque qui en découlent devraient refléter l’importance des moyens de prévention mis en place lors de la conception, de l’exploitation et de l’organisation. Bon nombre d’incertitudes planent sur la quantification des risques (par exemple, les modèles mathématiques destinés à en estimer les conséquences, l’établissement des probabilités dans différents scénarios d’accidents, les effets probables de tels accidents). Dans tous les cas, l’évaluation des risques devrait exposer ces incertitudes et en tenir compte.

Le principal intérêt de l’évaluation quantitative des risques ne devrait pas non plus reposer sur la seule valeur numérique de résultats isolés. Le processus d’évaluation en lui-même offre de bonnes possibilités de reconnaître et d’évaluer les risques de façon systématique. Il permet leur identification et leur reconnaissance, ainsi que l’affectation des ressources appropriées à leur maîtrise.

Les objectifs et utilisations de cette méthode vont consister à déterminer à leur tour le champ de l’analyse, les procédures et méthodes appropriées, ainsi que le personnel, les compétences, le financement, le temps et la documentation nécessaires. L’identification des risques est une procédure efficace et indispensable d’aide à leur analyse et à la décision en vue de l’évaluation, comme aussi de gestion de la sécurité et de la santé au travail. Un certain nombre d’objectifs essentiels peuvent être énoncés:

Le premier objectif global est de faire bien comprendre les questions importantes et les situations pouvant affecter l’analyse des risques dans chaque établissement ou au cours d’un processus; la synergie des risques pris individuellement avec l’ensemble du domaine étudié a son importance particulière. Les problèmes de conception et d’exploitation peuvent être identifiés, et un système de classification des risques envisagé.

Le deuxième objectif comporte des éléments d’évaluation des risques et consiste à élaborer des scénarios d’accident et à en interpréter les résultats. L’évaluation des conséquences de divers accidents et de la propagation de leurs effets dans le temps et dans l’espace est particulièrement utile dans la phase d’identification des risques.

Le troisième objectif est de procurer des informations qui pourront être utiles pour les étapes ultérieures de l’évaluation des risques et de la gestion de la sécurité de l’exploitation. A cet effet, on peut préciser les spécifications du scénario pour l’analyse des risques ou définir les mesures de sécurité répondant à des critères donnés de risques (par exemple, individuels ou collectifs), ou encore donner des conseils pour se préparer aux cas d’urgence et gérer les accidents.

Les objectifs une fois définis, le second élément le plus important de la gestion, de l’organisation et de la mise en œuvre de l’identification des risques est la délimitation de son champ. Dans une étude complexe d’identification des risques, le champ peut être déterminé principalement par les paramètres ci-après: 1) les sources potentielles de risques (dégagements radioactifs, substances toxiques, incendies, explosions); 2) les dommages causés à l’établissement ou au processus; 3) les événements générateurs; 4) les conséquences potentielles; 5) la hiérarchisation des risques. Les facteurs qui déterminent le degré d’intégration de ces paramètres à l’identification des risques sont: a) les objectifs et l’usage souhaité; b) la disponibilité des informations et des données appropriées; c) les ressources et les compétences disponibles. L’identification des risques exige de prendre en considération toutes les informations pertinentes sur l’installation (établissement, processus), c’est-à-dire la disposition du site et de l’établissement; des informations détaillées sur le processus (diagrammes techniques et conditions d’exploitation et de maintenance); la nature et la quantité des matières manipulées; les dispositifs de protection opérationnels, organisationnels et physiques; les normes de conception.

Un accident peut avoir plusieurs conséquences externes (par exemple, le nombre de morts, le nombre de personnes hospitalisées, les différents types de dommages à l’écosystème, les pertes financières, etc.). Les conséquences externes d’un accident, dues à la substance i pour une activité identifiée j, peuvent être calculées comme suit:

Cij = Aa fa fm, où
Cij = nombre de décès par accident dus à la substance i
pour une activité identifiée j
A = zone affectée [ha]
a = densité de population dans les parties habitées de la zone
affectée; [personnes/ha]
fa et fm étant des facteurs de correction

Les conséquences pour l’environnement des accidents majeurs sont plus difficiles à estimer en raison de la variété des substances éventuellement présentes, ainsi que du nombre d’indicateurs d’impact sur l’environnement s’appliquant à une situation d’accident donnée. Généralement, une échelle d’utilisation est associée aux diverses conséquences pour l’environnement; elle pourrait inclure les événements liés aux incidents, aux accidents ou aux catastrophes.

L’évaluation financière des conséquences d’accidents potentiels nécessite une estimation détaillée des conséquences possibles et des coûts qui leur sont associés. La valeur de catégories particulières de conséquences (par exemple, les pertes humaines ou la perte d’habitats biologiques particuliers) n’est pas toujours acceptée a priori. L’évaluation en termes financiers devrait aussi inclure les coûts externes, qui sont très souvent difficiles à estimer.

Les procédures d’identification des situations dangereuses susceptibles de se produire dans les établissements et avec le matériel en exploitation sont généralement considérées comme l’élément le plus développé et le mieux établi du processus d’évaluation des installations dangereuses. Il faut admettre que: 1) les procédures et les techniques varient en complexité et en modes de fonctionnement et vont de listes de contrôle comparatives à des diagrammes logiques structurés et détaillés; 2) les procédures peuvent s’appliquer à différents stades de la formulation et de la mise en œuvre des projets (de la prise de décisions sur l’emplacement d’un établissement jusqu’à sa conception, sa construction et son exploitation).

Les techniques d’identification des risques se divisent pour l’essentiel en trois catégories. Les techniques les plus communément utilisées pour chaque catégorie sont les suivantes:

L’analyse des causes et des conséquences; l’analyse de fiabilité humaine

L’opportunité et la pertinence de toute technique spécifique d’identification des risques dépendent dans une large mesure du but fixé à une évaluation de ceux-ci. Lorsque de nouveaux détails techniques sont disponibles, il est possible de les incorporer dans l’évaluation globale. Les expertises et appréciations techniques peuvent souvent servir à l’évaluation des risques pour d’autres installations ou processus. Le principe fondamental est d’abord d’examiner l’établissement ou les opérations sous l’angle le plus large possible et d’en identifier systématiquement les risques potentiels. Le fait d’avoir essentiellement recours à des techniques très élaborées peut susciter des problèmes et faire négliger des risques évidents. Parfois, il peut être nécessaire d’adopter plusieurs techniques, selon le niveau de précision requis, qu’il s’agisse d’une nouvelle installation proposée ou d’une opération en cours.

Les critères probabilistes de sécurité sont associés à un processus rationnel de prise de décisions qui réclame l’établissement d’un cadre cohérent, assorti de normes indiquant le niveau de sécurité souhaité. Il conviendrait d’examiner les risques collectifs pour juger de l’acceptabilité de toute installation industrielle dangereuse. Un certain nombre de facteurs devraient être présents à l’esprit lors de la définition des critères probabilistes de sécurité fondés sur le risque collectif, dont la forte appréhension qu’inspirent au public les accidents ayant de lourdes conséquences (c’est-à-dire que le niveau de risque retenu devrait être inversement proportionnel à la gravité des conséquences). Tandis que les niveaux de risques individuels de mortalité englobent tous les facteurs dangereux (incendies, explosions, toxicité), il peut subsister des incertitudes quant à la corrélation entre des concentrations de produits toxiques et le risque de mortalité. L’interprétation du terme «mortel» ne devrait pas reposer sur une quelconque relation de dose à effet, mais comprendre un examen des données disponibles. Le concept de risque collectif suppose que les accidents susceptibles d’avoir de lourdes conséquences, mais rares, sont perçus comme plus inquiétants que les incidents bénins beaucoup plus fréquents.

Indépendamment de la valeur de tout niveau de risque défini comme critère d’évaluation, certains principes qualitatifs doivent absolument être adoptés comme des références en la matière ainsi qu’en gestion de la sécurité: 1) tous les risques «évitables» devraient être écartés; 2) le risque provenant d’un danger majeur devrait être réduit chaque fois que possible; 3) les effets d’événements dangereux plus probables devraient être contenus, partout où cela est possible, à l’intérieur de l’enceinte de l’installation; 4) lorsqu’il existe un risque élevé émanant d’une installation dangereuse, l’ajout d’aménagements dangereux ne devrait pas être autorisé s’il accroît le risque existant de manière significative.

Dans les années quatre-vingt-dix, la communication au sujet des dangers encourus a éveillé l’intérêt et est devenue une branche distincte de la science des risques ou cyndinique.

Les principales tâches dévolues à la communication sur les risques consistent à:

Le domaine et les objectifs de la communication sur les risques peuvent varier selon les acteurs impliqués, les fonctions que ceux-ci attribuent au processus de communication et à son environnement et, aussi, à leurs attentes.

Les individus et les entreprises intervenant dans la communication sur les risques utilisent de multiples moyens. Les principaux sujets sont la protection de la santé et de l’environnement, l’amélioration de la sécurité et le niveau d’acceptabilité des risques.

Selon la théorie, la communication peut avoir les fonctions suivantes:

Aux fins de la communication sur les risques, il peut être utile de faire la distinction entre ces fonctions. Selon la fonction choisie, il conviendrait d’envisager différentes conditions pour que le processus soit réussi.

La communication sur les risques peut parfois consister en une simple présentation des faits. L’information est un besoin de toute société moderne. Dans le domaine de l’environnement en particulier, il existe des lois qui, d’une part, obligent les autorités à informer la population et, d’autre part, donnent à celle-ci le droit de connaître la situation de l’environnement et des risques (par exemple, la directive Seveso de la Communauté européenne et la législation sur le droit de savoir de la collectivité, aux Etats-Unis). L’information peut également être destinée à une catégorie particulière de la collectivité, par exemple, les salariés d’une usine doivent être informés des risques auxquels ils sont exposés sur leur lieu de travail. En ce sens, la communication sur les risques se doit d’être:

L’appel vise à inciter quelqu’un à faire quelque chose. Dans les domaines liés au risque, on lui attribue les fonctions ci-après:

L’appel doit:

Le fait de se présenter soi-même ne délivre pas une information neutre, mais fait essentiellement partie d’une stratégie de persuasion ou de marketing destinée à améliorer l’image de marque d’un individu, à faire accepter une certaine activité, ou encore à obtenir le soutien à une position quelconque. Le critère de réussite de la communication est l’adhésion ou non du public. D’un point de vue normatif, bien qu’une présentation de ce type vise à convaincre, elle devrait être honnête et sincère.

Ces formes de communication sont essentiellement unilatérales. Lorsqu’on cherche à obtenir une décision ou un accord, la communication est bilatérale ou multilatérale: la partie qui transmet l’information n’est plus seule, et plusieurs acteurs interviennent dans le processus de communication: c’est généralement le cas dans une société démocratique. En particulier, lorsqu’il s’agit de risques et d’environnement, la communication est considérée comme remplaçant un instrument réglementaire dans des situations complexes, où il n’est pas possible de trouver une solution. Par conséquent, les décisions comportant des risques et revêtant à ce titre une importance politique doivent être prises dans un climat de communication. En ce sens, la communication sur les risques peut intervenir, notamment lorsque les problèmes sont fortement politisés, ou, par exemple, s’établir entre un entrepreneur, son personnel et les services d’urgence, afin que le premier soit le mieux préparé possible en cas d’accident. C’est pourquoi, en fonction de la portée et de l’objectif de la communication sur les risques, différents acteurs peuvent participer au processus de communication. Ce sont principalement:

Dans une approche systémique, toutes ces catégories d’acteurs correspondent à un certain type de société et ont donc des codes de communication, des valeurs et des intérêts à communiquer différents. Très souvent, il n’est pas facile d’avoir une base commune de dialogue en matière de risques. Il faut trouver des structures à même de concilier ces différents points de vue et de parvenir à un résultat pratique. Par exemple, l’objet de la communication sur les risques peut être une décision consensuelle sur l’implantation ou non d’un établissement dangereux dans une certaine région.

Dans toutes les sociétés, il existe des procédures juridiques et politiques traitant des questions liées au risque (par exemple, la législation, les décisions gouvernementales ou administratives, les procédures judiciaires, etc.). Dans de nombreux cas, ces procédures ne conduisent pas à des solutions entièrement satisfaisantes permettant un règlement pacifique des conflits. Des propositions obtenues en intégrant des éléments de la communication sur les risques aux procédures existantes ont été élaborées pour améliorer le processus de décision politique.

Lorsqu’on propose des procédures de communication, il faut discuter de deux questions essentielles:

En ce qui concerne l’organisation formelle, plusieurs possibilités se présentent:

De toute façon, les relations entre ces structures de communication et les organes législatifs et politiques qui prennent les décisions doivent être précisées. D’ordinaire, le résultat d’un processus de communication sur les risques a force de recommandation non contraignante auprès des organes de décision.

Quant à la structure du processus de communication, en règle générale, tout argument est accepté à condition:

Diverses règles et propositions spécifiques ont été élaborées, afin de concrétiser ces principes. Dans le processus de communication des risques, il convient notamment de distinguer entre les exigences d’ordre:

De même, les divergences d’opinion peuvent porter sur:

Il peut être utile que le processus de communication des risques clarifie le niveau des différences et leur signification. Différentes propositions structurelles visent à améliorer les conditions de ce débat et, dans le même temps, à aider les décideurs à trouver des solutions équitables et appropriées — par exemple:

L’efficacité de la communication sur les risques peut se définir comme le niveau de modification d’une situation initiale (indésirable) vers un état voulu, défini dans les objectifs de départ. Les aspects de procédure doivent être inclus dans l’évaluation des programmes de communication sur les risques. Ces critères comprennent la faisabilité (souplesse, adaptabilité, possibilité, applicabilité, etc.) et les coûts (en argent, en personnel et en temps) du programme.

L’AUDIT D’ENVIRONNEMENT — DÉFINITION ET MÉTHODOLOGIE

Robert Coyle

Les origines de l’audit d’environnement (ou éco-audit)

L’audit de sécurité et de salubrité de l’environnement s’est développé au début des années soixante-dix, essentiellement dans des sociétés travaillant dans des secteurs sensibles sur le plan écologique, tels le pétrole et les produits chimiques. Depuis lors, l’audit d’environnement s’est répandu rapidement, comme d’ailleurs les stratégies et les techniques adoptées. Plusieurs facteurs ont influencé cette croissance.

Qu’est-ce qu’un audit d’environnement?

Il faut distinguer l’audit d’une technique telle que l’étude d’impact sur l’environnement (EIE). Cette dernière évalue les conséquences potentielles pour l’environnement d’un projet d’installation. L’audit d’environnement a pour objet essentiel l’évaluation systématique des résultats écologiques de l’ensemble des activités d’une entreprise. Au mieux, un audit est un examen exhaustif des systèmes et dispositifs de gestion; au pire, il consiste en un tour d’horizon superficiel.

Tous ne comprennent pas ce terme de la même façon et emploient les mots évaluation, enquête et étude pour décrire le même type d’activités. En outre, certaines organisations considèrent qu’un audit d’environnement aborde uniquement les questions liées à ce thème, alors que, pour d’autres, il porte aussi sur les questions de sécurité et de santé. Bien qu’il n’existe pas de définition universelle, l’audit, tel qu’il est pratiqué par nombre de grandes sociétés, correspond à la conception et à la démarche de la Chambre de commerce internationale (CCI) dans sa publication, Environmental Auditing (1989). Dans son règlement 1836/1993, le Conseil des Communautés européennes (CCE, 1993) a repris cette définition à l’article 2, f):

un outil de gestion qui comporte une évaluation systématique, documentée, périodique et objective du fonctionnement de l’organisation, du système de management et des procédés destinés à assurer la protection de l’environnement et qui vise à:

i) faciliter le contrôle opérationnel des pratiques susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement;

ii) évaluer la conformité avec les politiques environnementales de l’entreprise.

Les objectifs de l’audit d’environnement

L’objectif global d’un audit d’environnement est d’aider à protéger l’environnement et à réduire au maximum les risques pour la santé humaine. Il est clair que l’audit ne va pas atteindre ce but à lui seul (d’où le terme «aider»). Il est un outil de gestion et se propose les principaux objectifs ci-après:

Le champ de l’audit

L’objectif fondamental des audits étant de tester l’adéquation des systèmes de gestion existants, leur fonction est fondamentalement différente de celle du contrôle des résultats pour l’environnement. L’audit peut porter sur un seul sujet ou sur toute une série de questions: plus son champ est large, plus la taille de son équipe, le temps passé sur place et l’approfondissement des investigations sont importants. Lorsque des audits internationaux doivent être réalisés par une équipe centrale, il peut y avoir de bonnes raisons, une fois sur place, d’enquêter sur plus d’un domaine afin de réduire les coûts au minimum.

En outre, l’audit peut avoir une portée qui varie entre une simple vérification de conformité et un examen plus rigoureux, selon les besoins ressentis par la direction. La technique ne s’applique pas seulement à la gestion opérationnelle de l’environnement, de la sécurité et de la santé, mais aussi, de plus en plus, à la gestion de la sécurité et de la qualité des produits, ou encore à la prévention des pertes. Si le but de l’audit est de permettre une gestion correcte de ces vastes domaines, tous doivent être examinés séparément. Les points pouvant être abordés par un audit, y compris l’environnement, la sécurité, la santé, et la sécurité des produits, sont présentés dans le tableau 54.1.

Tableau 54.1 Champ d'un audit d'environnement

Environnement

Sécurité

Santé au travail

Sécurité des produits

Histoire du site
Processus/matières
Stockage des matières en surface sous terre
Emissions dans l’atmosphère
Rejets dans l’eau
Déchets liquides/dangereux
Amiante
Elimination des déchets sur le site hors du site
Prévention des rejets d’hydrocarbures/de produits chimiques
Permis/licences

Politique/procédures de sécurité
Déclaration d’accident
Enregistrement d’accident
Enquête sur les accidents
Systèmes de permis de travail
Procédures spéciales pour pénétration en milieu confiné, travail sur matériel électrique, pénétration dans les canalisations, etc.
Intervention d’urgence
Lutte contre l’incendie
Analyse de la sécurité du travail
Formation à la sécurité
Communication/promotion de la sécurité
Economie
Respect de la réglementation

Exposition des salariés aux contaminants atmosphériques
Exposition aux agents physiques, tels que bruit, rayonnements, chaleur
Mesures de l’exposition des salariés
Enregistrement des expositions
Ventilation/moyens de prévention technique
Equipements de protection individuelle
Information et formation aux risques pour la santé
Programme de surveillance médicale
Protection de l’acuité auditive
Premiers secours
Exigences réglementaires

Programme de sécurité des produits
Contrôle de la qualité des produits
Emballage, stockage et expédition des produits
Procédures de rappel/retrait des produits
Information du consommateur sur la manipulation et la qualité des produits
Respect de la réglementation
Etiquetage
Caractéristiques des matières/produits/ emballages achetés
Données de sécurité sur les matières
Programme de qualification des vendeurs
Test et inspection d’assurance qualité
Tenue des registres
Documentation sur les produits
Régulation des processus

Bien que certaines sociétés aient instauré un cycle régulier (souvent annuel), les audits sont en premier lieu déclenchés par la nécessité et l’urgence. C’est pourquoi toutes les installations et tous les aspects d’une entreprise ne seront pas examinés avec la même fréquence ou dans la même mesure.

Le processus d’audit type

Un audit est généralement effectué par une équipe qui va rassembler des données factuelles avant et pendant la visite d’un site, analyser les faits et les comparer avec les critères de l’audit, tirer des conclusions et les transmettre. Ces étapes suivent généralement un certain ordre dénommé protocole d’audit, établi de telle façon que le processus puisse être reproduit avec fiabilité dans d’autres installations et avec la même qualité. Pour qu’un audit soit efficace, il doit comporter un certain nombre d’étapes fondamentales. Celles-ci sont récapitulées et expliquées dans le tableau 54.2.

Tableau 54.2 Les étapes essentielles d'un audit d'environnement

Tableau 54.2

Les étapes fondamentales de l’audit d’environnement

Les critères: que contrôle-t-on?

Une étape fondamentale dans l’établissement d’un programme d’audit consiste à décider des critères qui vont présider à cet exercice et à les faire connaître à la direction dans toute la société. Voici les critères types:

Les étapes préalables

Les étapes préalables portent sur les questions administratives liées à la planification de l’audit, la sélection du personnel de l’équipe (souvent en provenance de différents départements de la société ou d’une unité spécialisée), la préparation du protocole d’audit utilisé par la société et l’obtention des informations de base sur l’établissement.

Si la pratique de l’audit est récente, le besoin d’informer les intéressés (les auditeurs et personnes soumises à l’audit) ne saurait être sous-estimé. Il en va de même d’une société multinationale qui étend son programme d’audit de son pays d’origine à ses filiales étrangères. Dans ces situations, le temps consacré aux explications portera ses fruits, les audits seront reçus dans un esprit de coopération et ne seront pas considérés comme une menace par la direction locale.

Lorsqu’une importante société des Etats-Unis a décidé d’étendre son programme d’audit à ses activités en Europe, elle s’est particulièrement attachée à ce que les établissements soient correctement informés, à ce que les protocoles d’audit conviennent aussi à l’Europe et à ce que les équipes comprennent bien les règlements en vigueur. Des audits pilotes ont été menés sur des établissements sélectionnés. En outre, le processus a été présenté de façon à souligner les avantages d’une stratégie fondée sur la coopération plutôt que sur la contrainte.

L’obtention des informations de base sur un établissement et son fonctionnement peut permettre de réduire au minimum le temps passé sur le site par l’équipe et de cibler ses activités, économisant ainsi des ressources.

La composition de l’équipe d’audit dépendra de l’approche adoptée par l’organisation. En l’absence de compétences internes, ou de ressources à consacrer à ces activités, les entreprises ont fréquemment recours à des consultants indépendants qui mènent les audits pour elles. D’autres sociétés font un choix mixte: personnel maison et consultants externes dans chaque équipe pour garantir l’objectivité. Certaines grandes entreprises ne font appel qu’à leur propre personnel pour les audits et disposent de groupes spécialisés dans les audits d’environnement. De nombreuses sociétés importantes possèdent leur propre équipe d’audit à laquelle elles adjoignent souvent un consultant indépendant.

Les étapes sur site

Les étapes postérieures à l’audit

Après les travaux sur le site, l’étape suivante consiste à préparer un projet de rapport, qui est examiné par la direction de l’établissement afin d’en confirmer l’exactitude. Il est ensuite distribué aux cadres supérieurs, conformément aux désirs de la société.

L’autre étape essentielle est de mettre en place un plan d’action pour remédier aux défaillances. Certaines sociétés demandent que le rapport d’audit recommande des mesures correctives, et l’établissement fondera alors sa stratégie sur ces recommandations. D’autres sociétés souhaitent que le rapport d’audit se borne à constater les faits et les insuffisances, sans mentionner les moyens d’y remédier, laissant alors à la direction de l’établissement le soin de s’en charger.

Une fois qu’un programme d’audit est en place, les futurs audits intégreront à leur documentation les rapports et les progrès accomplis.

L’extension du processus d’audit; autres types d’audit

Bien que l’audit d’environnement serve surtout à évaluer les résultats des activités d’une société en matière d’environnement, ce thème se prête à plusieurs variations. Indiquons les autres types d’audits utilisés dans des circonstances particulières:

Les avantages de l’audit d’environnement

Un audit d’environnement mené de façon constructive peut apporter de nombreux avantages. L’audit décrit dans le présent article permettra:

LES STRATÉGIES DE GESTION DE L’ENVIRONNEMENT ET LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

Cecilia Brighi

L’évolution des stratégies d’intervention dans le domaine de l’environnement

Les trente dernières années ont connu un essor spectaculaire des problèmes d’environnement dû à différents facteurs: l’expansion démographique (son rythme se poursuit, et les estimations font état de 8 milliards de personnes d’ici à l’an 2030); la pauvreté; la prépondérance de modèles économiques axés sur la croissance et sur la quantité plutôt que sur la qualité; une consommation élevée des ressources naturelles, induite notamment par l’expansion industrielle; la réduction de la diversité biologique à la suite, en particulier, d’une production agricole accrue par la monoculture; l’érosion des sols; le changement climatique; l’utilisation insoutenable des ressources naturelles; la pollution de l’air, du sol et de l’eau. Par ailleurs, les effets négatifs de l’activité humaine sur l’environnement ont également accéléré la sensibilisation et la perception de l’intérêt collectif dans de nombreux pays, modifiant les conceptions et les modes d’intervention traditionnels.

Ces modes ont évolué, passant successivement de l’ignorance à la non-reconnaissance du problème, puis à la dilution et au contrôle de la pollution par des stratégies dites de fin de chaîne. Les années soixante-dix ont été celles des premières grandes crises locales environnementales, d’une nouvelle prise de conscience de la pollution et de l’adoption d’une vague de législations nationales, de réglementations et de conventions internationales visant à maîtriser et à combattre la pollution. Cette stratégie dite de fin de chaîne a bientôt montré ses faiblesses, car elle visait à intervenir de façon autoritaire sur les symptômes, et non sur les causes des problèmes d’environnement. Dans le même temps, la pollution industrielle a également attiré l’attention sur le caractère de plus en plus contradictoire de la mentalité respective des employeurs, des travailleurs et des groupements écologistes.

Les années quatre-vingt ont connu la mondialisation des problèmes d’environnement, comme la catastrophe de Tchernobyl, les pluies acides, l’appauvrissement et le trou dans la couche d’ozone, l’effet de serre et le changement climatique, ainsi que l’augmentation et l’exportation des déchets toxiques. Ces événements et les problèmes en découlant ont favorisé la sensibilisation et le soutien du public à de nouvelles solutions axées sur les outils de gestion de l’environnement et les modes de production moins polluants. Des organisations telles que le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Union européenne (UE) et de nombreuses institutions nationales ont commencé à définir la problématique et à travailler ensemble dans un cadre global fondé sur les principes de prévention, d’innovation, d’information, d’éducation et de participation des principaux intéressés. L’avènement des années quatre-vingt-dix a marqué une prise de conscience spectaculaire de l’aggravation de la crise de l’environnement, en particulier dans le monde en développement et en Europe centrale et orientale. Le seuil critique a été franchi à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) qui a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992.

Aujourd’hui, le principe de précaution est devenu l’un des facteurs les plus importants à prendre en compte dans l’évaluation des politiques et des solutions en matière d’environnement. Selon ce principe, une incertitude ou une controverse scientifiques sur les problèmes et les politiques d’environnement ne devraient pas empêcher les décideurs de s’entourer de précautions afin d’éviter de futures répercussions négatives chaque fois que cela est possible du point de vue économique, social et technique. Le principe de précaution devrait présider à l’élaboration des politiques et des règlements, ainsi qu’à la planification et à la mise en œuvre des projets et des programmes.

De fait, tant la méthode de prévention que le principe de précaution visent à intégrer l’action sur l’environnement: l’intérêt quasiment exclusif pour le processus de production cède le pas à la mise au point d’outils et de techniques de gestion de l’environnement au service de toutes les formes d’activité économique et de prise de décisions. Contrairement à la stratégie de lutte contre la pollution, qui consistait simplement à réagir et à faire marche arrière, la gestion de l’environnement et la recherche d’une production moins polluante veulent inscrire le principe de précaution dans des stratégies plus larges de mise au point d’un processus qui sera évalué, surveillé et continuellement amélioré. Pour être efficaces, toutefois, la gestion de l’environnement et la recherche d’une production moins polluante doivent faire l’objet d’une application attentive par tous les intéressés et à tous les niveaux d’intervention.

Ces nouvelles stratégies ne doivent pas être considérées comme de simples instruments de technique environnementale, car elles relèvent plutôt d’une démarche globale intégrée qui permettra de définir de nouveaux modèles d’économie de marché, conciliables avec les impératifs sociaux et écologiques. Pour être pleinement efficaces, elles auront besoin d’un cadre réglementaire, d’instruments d’incitation et d’un consensus social issu de la collaboration des institutions, des partenaires sociaux, des groupements écologistes et des organisations de consommateurs. Pour que la gestion de l’environnement et les stratégies de production moins polluantes créent un développement socio-économique plus durable, divers facteurs seront à prendre en considération lorsqu’il s’agira de fixer les politiques, d’élaborer et d’appliquer les normes et règlements, et d’adopter les conventions et plans d’action collectifs, tant à l’échelle de l’entreprise qu’aux niveaux local, national et international. Compte tenu des grandes disparités des conditions économiques et sociales dans le monde, les chances de réussite dépendront aussi de la situation politique, économique et sociale au niveau local.

La mondialisation, la libéralisation des marchés et les politiques d’ajustement structurel vont aussi défier notre capacité d’analyser globalement les conséquences économiques, sociales et écologiques de ces changements complexes dans nos sociétés qui risquent de bouleverser les rapports de force et les responsabilités, peut-être même la propriété et le pouvoir. Il faudra veiller à ce que ces changements n’entraînent pas une impuissance et une paralysie dans le développement de la gestion de l’environnement et des technologies de production moins polluantes. Au-delà des risques, il y a là une nouvelle occasion d’améliorer nos conditions sociales, économiques, culturelles, politiques et environnementales actuelles. La gestion de ces changements positifs appelle toutefois la collaboration, la participation et la souplesse dans nos sociétés et nos entreprises. Pour éviter la paralysie, nous devrons adopter des mesures inspirant confiance et privilégier une stratégie progressive propre à obtenir le soutien et les moyens nécessaires à un bouleversement de nos futures conditions de vie et de travail.

Les principales répercussions internationales

Comme nous l’avons mentionné, la nouvelle donne internationale se caractérise par la libéralisation des marchés, l’élimination des barrières douanières, les nouvelles technologies de l’information, les transferts quotidiens de capitaux à la fois rapides et colossaux et la mondialisation de la production, en particulier par les entreprises multinationales. La déréglementation et la compétitivité constituent les critères essentiels des stratégies d’investissement. Cependant, ces changements facilitent aussi la délocalisation des usines, la fragmentation des processus de production et la création de zones spéciales d’exportation, qui dispensent les industries de leurs obligations, réglementaires et autres, à l’égard des travailleurs et de l’environnement. Ces phénomènes peuvent favoriser des coûts salariaux excessivement bas et, par voie de conséquence, des bénéfices plus élevés pour les industriels, mais s’accompagnent fréquemment d’une situation déplorable d’exploitation de la main-d’œuvre et de l’environnement. En outre, en l’absence de réglementations et de contrôles, des usines, des technologies et des matériels dépassés depuis longtemps sont exportés, tout comme le sont, en particulier vers les pays en développement, les produits chimiques et autres substances dangereuses qui ont été interdits, retirés de la vente ou sévèrement limités dans un pays pour des motifs écologiques ou sécuritaires.

Pour surmonter ces difficultés, il est essentiel que les nouvelles règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) soient établies de façon à promouvoir des échanges acceptables sur le plan social et écologique. Afin de garantir une concurrence équitable, l’OMC devrait donc exiger que tous les pays se conforment aux normes internationales du travail (par exemple, aux conventions fondamentales adoptées par les Etats Membres de l’Organisation internationale du Travail (OIT)) et aux conventions et règlements sur l’environnement. En outre, les directives, telles que celles de l’OCDE sur les transferts de technologie, et les règlements devraient être effectivement appliqués pour éviter l’exportation de systèmes de production fortement polluants et dangereux.

Les facteurs à prendre en compte sur le plan international sont notamment:

Les pays en développement et ceux qui en ont besoin devraient se voir accorder une aide financière spéciale, des réductions d’impôts, des mesures d’incitation et une assistance technique pour pouvoir appliquer les normes fondamentales du travail et de l’environnement évoquées ci-dessus et introduire des technologies et des produits moins polluants. Une approche innovante doit à l’avenir retenir l’attention: il s’agit de l’élaboration de codes de conduite négociés par certaines sociétés et leurs syndicats et visant à promouvoir le respect des droits fondamentaux en matière sociale et environnementale. Grâce à sa structure tripartite, l’OIT joue un rôle unique dans l’évaluation de ce processus au niveau international, en étroite coordination avec d’autres organes des Nations Unies et les institutions responsables de l’assistance financière et de l’aide internationales.

Les principales répercussions nationales et locales

Un cadre réglementaire général approprié doit être établi, aux niveaux national et local, afin de mettre en place des procédures adéquates de gestion de l’environnement. Cela appellera un système de prise de décisions associant les politiques budgétaire, fiscale, industrielle, économique, du travail et de l’environnement et assurera une consultation et une participation pleines et entières des acteurs sociaux les plus directement intéressés (à savoir les employeurs, les organisations syndicales, les groupements écologistes et les organisations de consommateurs). Une telle approche systématique lierait également les différents programmes et politiques. Ainsi:

L’élaboration et la mise en œuvre des politiques industrielles nationales et locales devraient s’effectuer en pleine concertation avec les organisations syndicales, afin d’accorder les politiques des entreprises et du travail avec les nécessités sociales et écologiques. Des négociations et des consultations nationales directes avec les syndicats peuvent contribuer à éviter des conflits potentiels dus aux conséquences des nouvelles politiques industrielles pour la sécurité, la santé et l’environnement. Cependant, ces négociations et consultations devraient se poursuivre dans les entreprises afin que chacune dispose en suffisance des contrôles, d’incitations et d’assistance.

En résumé, les facteurs à prendre en considération aux niveaux national et local sont:

La gestion de l’environnement dans l’entreprise

La gestion de l’environnement dans un groupe, une entreprise ou toute autre structure économique demande une évaluation et une prise en considération continues des effets sur l’environnement, que ce soit sur le lieu de travail (milieu de travail) ou à l’extérieur de l’entreprise (environnement général), de toutes les activités et décisions liées à l’exploitation. Elle appelle également à la modification de l’organisation du travail et des processus de production pour réagir efficacement à ces effets.

Les entreprises doivent prévoir les conséquences potentielles sur l’environnement d’une activité, d’un procédé ou d’un produit dès leur conception afin de pouvoir mettre en œuvre des stratégies d’intervention suffisantes, opportunes et concertées. L’objectif est de rendre l’industrie et les autres secteurs économiques compatibles avec les besoins durables du développement économique et social et de l’environnement. Très certainement, dans de nombreux cas, une période de transition sera nécessaire, pendant laquelle il faudra lutter contre la pollution et prendre des mesures correctives. C’est pourquoi la gestion de l’environnement devrait être considérée comme un processus combiné de prévention et de lutte visant à harmoniser les stratégies des entreprises et l’environnement. Pour ce faire, les sociétés devront mettre au point, dans leur stratégie de gestion, des processus de production propres, les mettre en œuvre et effectuer des écobilans.

La gestion de l’environnement et une production propre auront des répercussions positives non seulement sur l’environnement, mais aussi sur:

Loin de se contenter d’évaluer leur conformité avec la législation et les réglementations existantes, les sociétés devraient aussi se fixer des objectifs raisonnables en matière d’environnement en échelonnant dans le temps un processus qui comporterait:

On peut évaluer les activités de plusieurs façons, chacune pouvant comporter les éléments essentiels ci-après:

Les relations professionnelles et la gestion de l’environnement

Alors que, dans certains pays, les droits syndicaux fondamentaux ne sont pas encore reconnus et que les travailleurs ne sont en mesure ni de protéger leur santé, leur sécurité et leurs conditions de travail, ni d’améliorer les résultats en matière d’environnement, dans plusieurs autres, l’approche participative, destinée à s’assurer de la compatibilité durable de l’entreprise avec l’environnement, a été testée avec succès. Au cours des dix dernières années, la conception traditionnelle des relations professionnelles s’est élargie pour inclure non seulement les questions et programmes de sécurité et de santé, conformément aux réglementations nationales et internationales en la matière, mais encore les questions d’environnement dans le mécanisme des relations professionnelles. En fonction des différentes situations, des partenariats entre les employeurs et les représentants des syndicats ont été établis dans les entreprises, les branches et sur le plan national, par voie de conventions collectives. Ils sont parfois également prévus par les règlements de consultation mis en place par les autorités locales ou nationales pour gérer les conflits en matière d’environnement. Voir tableaux 54.3, 54.4 et 54.5.

Tableau 54.3 Les participants aux accords volontaires sur l'environnement

Pays

Employeur/ Etat

Employeur/ syndicat/ Etat

Employeur/ syndicat

Employeur/ comité d’entreprise

Allemagne

X

 

X

X

Autriche

   

X

 

Belgique

   

X

X

Danemark

X

X

X

X

Espagne

   

X

X

France

   

X

X

Grèce

 

X

X

 

Italie

X

X

X

X

Pays-Bas

X

 

X

X

Royaume-Uni

   

X

X

Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.

Tableau 54.4 Portée des accords volontaires sur les mesures de protection de
l'environnement entre les parties aux conventions collectives

Pays

Niveau national

Accord de branche (niveau régional)

Etablissement

Allemagne

 

X

X

Autriche

 

X

 

Belgique

X

 

X

Danemark

X

X

X

Espagne

 

X

X

France

     

Grèce

X

   

Italie

X

X

X

Pays-Bas

X

X

X

Royaume-Uni

   

X

Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.

Tableau 54.5 Nature des accords sur les mesures de protection de l'environnement conclus
entre les parties aux conventions collectives

Pays

Déclarations communes, recommandations, accords

Conventions collectives de branche

Accords d’entreprise

Allemagne

X

X

X

Autriche

 

X

 

Belgique

X

 

X

Danemark

X

X

X

Espagne

 

X

 

France

 

X

X

Grèce

X

   

Italie

X

X

X

Pays-Bas

X

X

X

Royaume-Uni

 

X

 

Source: Hildebrandt et Schmidt, 1994.

Intervenir pour assainir

Le nettoyage des sites contaminés est une procédure de plus en plus courante et coûteuse depuis les années soixante-dix, qui marquent une prise de conscience provoquée par les cas de contamination importante du sol et de l’eau par l’accumulation des déchets chimiques, l’abandon des sites industriels, etc. La pollution de ces sites résulte des activités ci-après:

L’élaboration d’un plan d’intervention ou d’assainissement fait appel à des techniques complexes qui doivent s’accompagner d’une définition claire des responsabilités en matière de gestion et des obligations qui en découlent. De telles initiatives devraient être prises dans un contexte d’harmonisation d’une législation nationale et avec la participation des populations intéressées, aux fins de définir des procédures claires de règlement des conflits et d’éviter d’éventuels effets de dumping socio-écologique. Ces règlements, accords et plans devraient clairement inclure les ressources naturelles, biotiques ou non, telles que l’eau, l’air, le sol ou la flore et la faune, mais aussi le patrimoine culturel, les aspects esthétiques du paysage et les dommages causés aux personnes physiques et aux biens. Une définition restrictive de l’environnement réduirait en conséquence celle du dommage causé à celui-ci et limiterait les mesures prises pour remédier aux effets de la pollution. Dans le même temps, les personnes directement affectées par les dommages devraient se voir attribuer certains droits et protection, mais des actions collectives devraient aussi pouvoir être intentées pour protéger les intérêts de la collectivité et veiller à la restauration de la situation antérieure.

Conclusion

Seule une action vigoureuse permettra de faire face à la rapidité avec laquelle la situation de l’environnement évolue. Nous nous sommes attachés ici à démontrer la nécessité d’agir pour améliorer les résultats de l’industrie et des autres secteurs économiques en matière d’environnement. Pour que cette action soit effective et utile, les travailleurs et leurs syndicats doivent y prendre une part active, non seulement dans l’entreprise, mais aussi aux niveaux local et national. Les travailleurs doivent être considérés comme des partenaires essentiels et appelés à ce titre à jouer un rôle actif dans la réalisation des futurs objectifs d’environnement et de développement durable. Leur capacité et celle des syndicats à participer à la gestion de l’environnement ne dépend pas seulement de leurs propres aptitudes et de leur sensibilisation, bien que des efforts nécessaires soient en cours afin de les améliorer, mais aussi de l’engagement des directions et des collectivités en faveur de la mise au point de nouvelles formes de collaboration et de participation.

LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L’ENVIRONNEMENT: FAIRE DE LA PRÉVENTION UNE PRIORITÉ POUR LES ENTREPRISES

Robert Bringer et Thomas Zosel

Qu’est-ce que prévenir la pollution sinon envisager des solutions et les réaliser, et s’engager en faveur de produits et de procédés ayant un effet minimal sur l’environnement?

La prévention dans ce domaine n’est pas une idée nouvelle: elle est l’expression d’une éthique qui a inspiré de nombreux peuples et civilisations, comme les Indiens d’Amérique: ils vivaient en harmonie avec la nature qui leur procurait abri et nourriture et constituait le fondement même de leur religion. Bien que les conditions fussent excessivement rudes, la nature était honorée et respectée.

Avec le développement des nations et la révolution industrielle, l’attitude vis-à-vis de l’environnement changea du tout au tout. La société en vint à le considérer comme une source intarissable de matières premières et une décharge commode pour ses déchets.

Les premiers efforts faits pour réduire les déchets

Cependant, certaines branches ont pratiqué une forme de prévention de la pollution dès le début du développement de l’industrie chimique. A l’origine, celle-ci recherchait surtout l’efficacité ou un rendement accru des procédés grâce à la réduction des déchets, plutôt que la prévention spécifique de la pollution. A intentions différentes, résultat identique: moins de déchets étaient rejetés dans l’environnement.

Un exemple précoce de prévention de la pollution nous est donné sous une autre forme par une usine allemande qui produisait de l’acide sulfurique au XIXe siècle. Des perfectionnements du procédé permirent de réduire la quantité de dioxyde de soufre émise par livre de produit fabriqué, ce qui était vraisemblablement considéré alors comme une amélioration de l’efficacité ou de la qualité. Il y a peu de temps que le concept de prévention de la pollution a été directement associé à ce type de modification des procédés.

La prévention de la pollution telle que nous la connaissons à l’heure actuelle a vu le jour au milieu des années soixante-dix, en réaction à la croissance en volume et en complexité des impératifs écologiques. C’est alors que l’Agence pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Agency (EPA)) a été créée aux Etats-Unis. Les premiers efforts destinés à réduire la pollution étaient pour la plupart des installations en aval, ou des adjonctions coûteuses de dispositifs antipollution. L’élimination de la source de pollution ne constituait pas une priorité et, si on y procédait, c’était plus dans un souci de profit ou d’efficacité que dans un effort organisé de protection de l’environnement.

Ce n’est que récemment que les industriels ont adopté un point de vue plus spécifiquement écologique et se sont efforcés d’aller dans ce sens; cependant, leur manière d’aborder la prévention de la pollution peut être très différente.

Prévention ou lutte antipollution?

Avec le temps, les esprits ont commencé à évoluer et à s’intéresser davantage à la prévention qu’à la lutte contre la pollution. Il est apparu que les scientifiques qui inventent les produits, les ingénieurs qui conçoivent les machines, les exploitants des installations de production, les spécialistes du marketing qui travaillent auprès des clients à améliorer les caractéristiques «vertes» des produits, les représentants qui rapportent au laboratoire les préoccupations écologiques des clients pour qu’on y trouve des solutions et les employés de bureau qui s’efforcent de réduire leur consommation de papier, tous peuvent contribuer à la réduction de l’impact sur l’environnement des opérations ou des activités dont ils sont responsables.

La mise au point de programmes efficaces de prévention de la pollution

Dans l’état actuel des choses, il convient d’examiner tant les programmes globaux que les techniques spécifiques de prévention de la pollution. En la matière, les uns et les autres concourent également aux résultats. Bien que le progrès technique soit absolument indispensable, les avantages écologiques ne seront jamais complètement acquis sans une structure organisationnelle destinée à le soutenir et à le mettre en œuvre.

Obtenir la pleine participation de l’entreprise à la prévention de la pollution relève de la gageure. Certaines sociétés ont imposé la prévention à tous les niveaux de leur organisation au moyen de programmes bien conçus et détaillés. Citons-en trois parmi les plus largement reconnus aux Etats-Unis: les programmes 3P (La prévention de la pollution paie (Pollution Prevention Pays)) de la société 3M, SMART (Economies et réduction des produits toxiques (Save Money and Reduce Toxics)) de la société Chevron and WRAP (Réduire les déchets rapporte toujours (Waste Reduction Always Pays)) de Dow Chemical.

Le but de ces programmes est de réduire les déchets autant que la technologie le permet, mais compter sur la seule réduction à la source n’est pas toujours techniquement faisable. Le recyclage et la réutilisation doivent aussi faire partie de l’effort de prévention de la pollution, comme c’est le cas dans les programmes susmentionnés. Lorsqu’on demande à chaque salarié, non seulement de rendre les processus aussi efficaces que possible, mais aussi de trouver un usage productif à chaque sous-produit ou flux résiduel, la prévention de la pollution devient partie intégrante de la culture d’entreprise.

A la fin de 1993, aux Etats-Unis, la Table ronde de l’industrie (The Business Roundtable) a publié les résultats d’une étude de référence sur les efforts réussis en matière de prévention de la pollution. Elle signalait les meilleurs programmes de prévention réalisés sur des installations et mettait en évidence les éléments nécessaires à l’intégration de la prévention dans l’exploitation d’une société. Elle portait sur les installations de Proctor and Gamble (P&G), Intel, DuPont, Monsanto, Martin Marietta et 3M.

Les initiatives visant à prévenir la pollution

L’étude a démontré que les programmes couronnés de succès dans ces sociétés avaient en commun les éléments suivants:

En outre, l’étude a révélé que, dans chaque établissement, la prévention de la pollution au stade de la fabrication avait cédé le pas à une prévention intégrée dès la phase de préproduction. La prévention de la pollution était devenue une valeur fondamentale de l’entreprise.

Les programmes de prévention ne seront totalement opérationnels qu’avec le soutien de la haute direction de la société et des différents établissements qui doivent envoyer à tous les salariés un message clair déclarant que la prévention de la pollution fait partie intégrante de leurs fonctions. Cela commence par le directeur général, puisque c’est lui qui donne le ton à toutes les activités de la société et se fait entendre en parlant en public et dans l’entreprise.

Le deuxième facteur de réussite est la participation des salariés. Le personnel technique et les ouvriers de production sont les premiers touchés par la mise au point de nouveaux procédés ou produits. Mais les salariés de toutes catégories peuvent s’intéresser à réduire le gaspillage grâce à la réutilisation, à la récupération et au recyclage, qui deviennent des moyens de prévention de la pollution. Les salariés connaissent les possibilités existant dans leur domaine de responsabilité bien mieux que les professionnels de l’environnement. Si elle veut motiver son personnel, la société doit l’informer des défis qui lui sont lancés. La publication dans le bulletin de l’entreprise d’articles sur les questions d’environnement peut contribuer à sensibiliser le personnel.

La reconnaissance des résultats peut s’effectuer de nombreuses façons. Le directeur général de 3M propose un système spécial de récompense non seulement aux salariés qui contribuent aux objectifs de l’entreprise, mais également à ceux qui participent à l’effort de l’ensemble de la communauté en faveur de l’écologie. En outre, les résultats dans ce domaine sont pris en compte dans l’évaluation du travail accompli.

La mesure des résultats est extrêmement importante, car elle est le moteur de l’action des salariés. Certains établissements et programmes d’entreprise mesurent tous les déchets, tandis que d’autres se concentrent sur les émissions des rejets toxiques répertoriés ou sur d’autres mesures qui correspondent le mieux à leur culture d’entreprise et à leurs programmes de prévention de la pollution.

Exemples de programmes de protection de l’environnement

En vingt ans, la prévention de la pollution s’est implantée dans la culture d’entreprise de la société 3M. Sa direction s’est engagée à aller au-delà des réglementations gouvernementales, notamment en mettant en place des plans de gestion de l’environnement combinant objectifs écologiques et stratégie d’entreprise. Le programme 3P s’attachait à la prévention, et non à la lutte antipollution.

L’idée est d’arrêter la pollution avant même qu’elle ne commence et de rechercher les possibilités de la prévenir à tous les stades — et non seulement à la fin de la vie d’un produit. Les entreprises qui y réussissent admettent que la prévention est plus efficace pour l’environnement, meilleure techniquement et moins onéreuse que les procédures de lutte ordinaires, qui n’éliminent pas le problème. La prévention est économique parce que, en évitant la pollution, il n’y a pas à s’en occuper plus tard.

Le personnel de 3M a élaboré et mis en application plus de 4 200 projets de prévention de la pollution depuis le début du programme 3P. Pendant les vingt dernières années, ces projets ont permis d’éliminer plus de 589 670 tonnes de polluants et d’économiser 750 millions de dollars.

Entre 1975 et 1993, 3M a diminué de 3 900 Btu (1 Btu = 1 055,06 J) la quantité d’énergie nécessaire par unité de production, soit 58%. Les économies d’énergie annuelles de 3M pour les seuls Etats-Unis s’élèvent au total à 22 milliards de Btu par an. Cela représente assez d’énergie pour chauffer, refroidir et éclairer plus de 200 000 foyers dans le pays et éliminer plus de 2 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Enfin, en 1993, les usines de 3M ont récupéré et recyclé plus de déchets solides (90 264 tonnes) qu’ils n’en ont mis en décharge (89 811 tonnes).

Les technologies de prévention de la pollution

Concevoir des produits et des procédés de fabrication respectueux de l’environnement est une idée qui fait son chemin, mais les technologies utilisées pour la prévention de la pollution sont aussi variées que les entreprises elles-mêmes. En général, cette idée devient réaliste à la faveur des innovations techniques touchant quatre domaines:

La concentration des efforts dans chacun de ces domaines permet de créer des produits nouveaux et plus sûrs, de réduire les coûts et de satisfaire les clients.

La modification de la composition des produits est probablement la chose la plus difficile à réaliser. Bon nombre des caractéristiques qui rendent des matières idéales pour l’usage qu’on en fait peuvent aussi poser des difficultés. Ainsi, une équipe de scientifiques a éliminé le méthylchloroforme, destructeur d’ozone, d’un produit de protection pour textile. Le nouveau produit, à base d’eau, réduit considérablement l’usage de solvants et confère à l’entreprise un avantage sur le marché.

Fabriquant des médicaments sous forme de comprimés pour l’industrie pharmaceutique, des salariés ont mis au point une nouvelle solution à base d’eau pour remplacer la solution à base de solvant utilisée auparavant pour enrober les cachets. Ce changement a coûté 60 000 dollars, mais a évité d’en dépenser 180 000 en matériels de lutte contre la pollution, a économisé 150 000 dollars de matières premières et a éliminé 24 tonnes de polluants atmosphériques par an.

La modification d’un procédé de fabrication a permis de supprimer l’usage de produits chimiques dangereux pour nettoyer les feuilles de cuivre destinées ensuite à la fabrication d’articles électriques. Auparavant, le nettoyage s’effectuait par pulvérisation de persulfate d’ammonium, d’acide phosphorique et d’acide sulfurique, produits chimiques dangereux. Ce procédé a été remplacé par un autre qui utilise une solution légère d’acide citrique, produit inoffensif. Ce changement de procédé évite la production de 18 143 tonnes de déchets dangereux par an et économise à la société environ 15 000 dollars par an de matières premières et de frais d’élimination.

La reconception des machines conduit aussi à la réduction des déchets. Dans le secteur de la production de résines, une entreprise prélevait régulièrement des échantillons d’une résine phénolique liquide spéciale au moyen d’un robinet placé sur le trajet du flux de production. Une partie du produit était perdue avant et après la prise de l’échantillon. En installant un simple entonnoir sous le dispositif d’échantillonnage et un tuyau retournant dans le circuit, la société prélève désormais ses échantillons sans perdre de produit. Cela évite environ 9 tonnes de pertes par an, économise environ 22 000 dollars, augmentant le rendement et réduisant les coûts d’élimination, le tout pour un coût d’investissement d’environ 1 000 dollars.

La récupération des ressources et l’utilisation productive des matières résiduelles sont elles aussi extrêmement importantes pour prévenir la pollution. On fabrique désormais des tampons à récurer avec des bouteilles de soda en plastique recyclé. Dans les deux premières années d’existence de ce nouveau produit, la société a utilisé près de 500 tonnes de ce matériau recyclé pour fabriquer les tampons, ce qui équivaut à plus de 10 millions de bouteilles de soda de deux litres. De même, des déchets de caoutchouc découpés dans des revêtements de sol au Brésil servent à fabriquer des sandales. Pour la seule année 1994, l’usine a récupéré environ 30 tonnes de matière, assez pour fabriquer plus de 120 000 paires de sandales.

Autre exemple, les blocs de Post-it® consomment 100% de papier recyclé. Une seule tonne de papier recyclé économise environ 2 295 m3 d’espace de décharge, 17 arbres, 26 495 litres d’eau et 4 100 kWh d’énergie, ce qui suffit à chauffer un foyer moyen pendant six mois.

L’analyse du cycle de vie

Une analyse du cycle de vie ou des procédés similaires sont en place dans chaque entreprise qui réussit. On voit donc que chaque phase du cycle de vie d’un produit, de la mise au point à l’élimination, en passant par la production et la consommation, offre l’occasion d’améliorer l’environnement. Les réponses aux défis environnementaux ont entraîné la création de produits à forte connotation écologique dans toute l’industrie.

Ainsi, P&G a été le premier fabricant à mettre sur le marché des détergents concentrés présentés dans des emballages de 50 à 60% plus petits que les précédents. Les recharges de P&G réapprovisionnent aussi plus de 57 marques dans 22 pays; elles coûtent moins cher et économisent jusqu’à 70% de déchets solides.

Dow a mis au point un nouveau désherbant très efficace, mais non toxique. Il comporte moins de risques pour les personnes et pour les animaux et se calcule en grammes et non en kilogrammes par demi-hectare. Grâce à la biotechnologie, Monsanto a mis au point des plants de pomme de terre résistant aux insectes, ce qui permet de réduire les besoins en insecticides chimiques. Un autre herbicide de Monsanto aide à rétablir l’habitat naturel des zones humides en luttant contre les mauvaises herbes de façon plus écologique.

S’engager pour un environnement plus propre

Nous devons absolument envisager la prévention de la pollution dans son ensemble et nous engager en faveur d’un renforcement des programmes et du perfectionnement des technologies. L’accroissement de l’efficacité ou du rendement des procédés et la réduction de la production de déchets font depuis longtemps partie des pratiques des industries manufacturières. Pourtant, ce n’est que depuis une vingtaine d’années que ces activités s’intéressent plus directement à la prévention de la pollution. De gros efforts visent désormais la réduction de la pollution à la source, ainsi que les processus destinés à séparer, à recycler et à réutiliser les sous-produits. Tous sont des instruments éprouvés de prévention de la pollution.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Abecassis et Jarashow, 1985: Oil Pollution from Ships (Londres, Sweet and Maxwell).

Association canadienne de normalisation, 1993: Life-cycle Assessment Guideline (Rexdale, Ontario).

Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), 1985: ASEAN Agreement on the Conservation of Nature and Natural Resources (Kuala Lumpur).

Bamako Convention on the Ban of the Import into Africa and the Control of Transboundary Movement and Management of Hazardous Wastes within Africa, 1991, International Legal Materials , vol. 30, p. 775.

Birnie, P.W. et Boyle, A.E., 1992: International Law and the Environment (Oxford, Oxford University Press).

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