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Chapitre 39 - Les catastrophes naturelles et technologies

LES CATASTROPHES ET LES ACCIDENTS MAJEURS

Pier Alberto Bertazzi

La nature et la fréquence des catastrophes

En 1990, la quarante-quatrième session de l’Assemblée générale des Nations Unies a annoncé l’entrée dans une décennie ayant pour objectif de réduire la fréquence et les effets des catastrophes naturelles (The Lancet , 1990). Un comité d’experts a défini une catastrophe comme étant une «perturbation de l’environnement de l’humain qui excède la capacité de la communauté de fonctionner normalement».

Les données relatives aux catastrophes recensées à l’échelle planétaire au cours des dernières décennies font ressortir deux caractéristiques principales — une augmentation du nombre de personnes affectées au fil du temps et une corrélation géographique (Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FISCRCR), 1993). Comme le montre la figure 39.1, la tendance est en effet nettement à la hausse, malgré des variations considérables d’une année à l’autre. La figure 39.2 passe en revue les pays les plus sérieusement touchés par des catastrophes majeures en 1991. Aucun pays du monde n’est à l’abri des catastrophes, mais ce sont généralement les pays les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut en vies humaines.

Figure 39.1 Nombre de personnes touchées chaque année par des catastrophes dans le
monde entre 1967 et 1991

Figure 39.1

Figure 39.2 Nombre de décès causés par des catastrophes majeures en 1991 dans les
20 pays les plus touchés

Figure 39.2

Il existe un grand nombre de définitions et de classifications des catastrophes, que nous avons examinées (Grisham, 1986; Lechat, 1990; Logue, Melick et Hansen, 1981; Weiss et Clarkson, 1986). Trois d’entre elles sont rappelées ici à titre d’exemples. Les Centres américains de lutte contre la maladie (US Centers for Disease Control (CDC) (CDC, 1989)) distinguent trois grandes catégories de catastrophes: les événements géographiques, comme les tremblements de terre et les éruptions volcaniques; les événements climatiques, comme les ouragans, les tornades, les vagues de chaleur ou de froid et les inondations; et, enfin, les événements engendrés par l’être humain, notamment les famines, la pollution atmosphérique, les catastrophes industrielles, les incendies et les incidents mettant en cause un réacteur nucléaire. Selon une autre classification, fondée sur la cause (Parrish, Falk et Melius, 1987), les catastrophes naturelles englobent les événements climatiques et géologiques, alors que les catastrophes causées par l’activité humaine comprennent les événements non naturels, technologiques et intentionnels provoqués par des êtres humains (accidents de transport, guerres, incendies, explosions, rejets chimiques et radioactifs, par exemple). Une troisième classification (voir tableau 39.1), établie par le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres à Louvain (Belgique), s’inspire d’un atelier tenu en 1991 par le Bureau du Coordonnateur des Nations Unies pour les secours en cas de catastrophe (UNDRO) et a été exposée dans le World Disaster Report 1993 (FISCRCR, 1993).

Tableau 39.1 Définitions des différents types de catastrophes

Soudaine, naturelle

Progressive, naturelle

Soudaine, causée par l'activité humaine

Progressive, causée par l’activité humaine

Avalanche
Vague de froid
Tremblement de terre
Secousse sismique
Inondation
Crue torrentielle
Rupture de barrage
Eruption volcanique
Coulée pyroclastique
Vague de chaleur
Cyclone avec vents violents
Tempête
Grêle
Tempête de sable
Ondes de tempête
Orage
Tempête tropicale
Tornade
Invasion d’insectes
Glissement de terrain
Coulée de terre
Panne d’électricité
Tsunami et raz-de-marée

Epidémie
Sécheresse
Désertification
Famine
Pénurie de vivres ou mauvaise récolte

Ecroulement d’ouvrages
Ecroulement de bâtiments
Effondrement ou affaissement de terrain dans une mine
Catastrophe aérienne
Catastrophe au sol
Catastrophe maritime
Accident industriel/technologique
Explosion
Explosion de produits chimiques
Explosion nucléaire ou explosion
thermonucléaire
Explosion dans une mine
Pollution
Pluies acides
Pollution chimique
Pollution atmosphérique
Hydrocarbures chlorofluorés (CFC)
Pollution par les hydrocarbures
Incendie
Incendie de forêt/feu de prairie

Nationale (émeutes, guerre civile)
Internationale (conflits armés)
Déplacement de population
Déplacement de personnes
Réfugiés

Source: FISCRCR, 1993.

La figure 39.3 précise le nombre total d’événements par type de catastrophe. La catégorie «accidents» englobe tous les événements soudains causés par l’être humain; elle vient au second rang par ordre de fréquence, devancée seulement par les «inondations». Les «tempêtes» occupent la troisième place, suivies par les «tremblements de terre» et les «incendies».

Figure 39.3 Nombre total d'événements par type de catastrophe, 1967-1991

Figure 39.3

D’autres données sur la nature, la fréquence et les conséquences des catastrophes, naturelles ou non, survenues entre 1969 et 1993, ont été extraites du rapport de 1993 de la FISCRCR.

Bien que l’on évalue actuellement la gravité des catastrophes en fonction du nombre de décès, il est impératif de prendre également en considération le nombre des personnes touchées. A l’échelon mondial, les personnes affectées par les catastrophes sont près de mille fois plus nombreuses que celles qui y succombent et, pour beaucoup d’entre elles, la survie devient tellement difficile après le choc qu’elles se retrouvent encore plus fragiles et démunies face à de nouveaux coups du sort. Cette constatation vaut aussi bien pour les catastrophes naturelles (voir tableau 39.2) que pour les catastrophes causées par l’activité humaine (voir tableau 39.3), tout particulièrement les accidents chimiques, dont les effets sur les sujets exposés ne se manifestent bien souvent que des années, voire des décennies plus tard (Bertazzi, 1989). La vulnérabilité humaine face à la catastrophe est la préoccupation centrale des stratégies de prévention et de planification préalable.

Tableau 39.2 Nombre annuel moyen de victimes de catastrophes naturelles entre
1969 et 1993, par région

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Tués

       76 883

       9 027

         56 072

    2 220

       99

       144 302

Blessés

         1 013

     14 944

         27 023

    3 521

     100

         46 601

Autres victimes

10 556 984

4 400 232

 105 044 476

563 542

95 128

120 660 363

Sans-abri

     172 812

   360 964

    3 980 608

  67 278

31 562

    4 613 224

Source: Walker, 1995.

Tableau 39.3 Nombre annuel moyen de victimes de catastrophes non naturelles entre
1969 et 1993, par région

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Tués

16 172

  3 765

   2 204

6 739

  18

  22 898

Blessés

16 236

  1 030

   5 601

6 483

476

    7 826

Autres victimes

  3 694

48 825

41 630

7 870

610

102 629

Sans-abri

  2 384

  1 722

  6 275

7 664

  24

  18 069

Source: Walker, 1995.

La sécheresse, la famine et les inondations continuent d’affecter un plus grand nombre de personnes que tout autre type de catastrophe. Les vents violents (cyclones, ouragans et typhons) entraînent, proportionnellement, davantage de décès que les famines et les inondations, par rapport à l’ensemble de la population touchée, tandis que les tremblements de terre, catastrophes les plus soudaines de toutes, restent aussi les plus meurtrières (voir tableau 39.4). Enfin, les accidents technologiques touchent davantage de gens que les incendies (voir tableau 39.5).

Tableau 39.4 Nombre annuel moyen de victimes de catastrophes naturelles entre
1969 et 1993, par type de catastrophe

 

Tremblement de terre

Sécheresse et famine

Inondation

Vents violents

Glissement de terrain

Eruption volcanique

Total

Tués

    21 668

57 973 606

47 812 097

9 428 555

131 550

 1 009

117 138 486

Blessés

    30 452

57 905 676

47 847 704

9 417 891

131 245

94 279

117 146 571

Autres victimes

1 764 724

57 905 676

47 849 065

9 417 442

131 807

94 665

117 163 379

Sans-abri

  224 186

57 922 720

  3 178 267

1 065 928

106 889

12 513

114 610 504

Source: Walker, 1995.

Tableau 39.5 Nombre annuel moyen de victimes de catstrophes non naturelles entre
1969 et 1993, par type de catastrophe

 

Accident

Accident technologique

Incendie

Total

Tués

3 419

603

3 300

7 321

Blessés

1 596

5 564

699

7 859

Autres victimes

17 153

52 704

32 771

102 629

Sans-abri

868

8 372

8 829

18 069

Source: Walker, 1995.

Les tableaux 39.6 et 39.7 indiquent le nombre de catastrophes survenues au cours d’une période de 25 ans, par catégorie et par continent. Les vents violents, les accidents (surtout les accidents de transport) et les inondations sont les catastrophes les plus fréquentes et l’Asie est le continent le plus souvent touché. La majorité des sécheresses se produit en Afrique. Bien que le nombre des décès attribuables à des catastrophes soit peu élevé en Europe, cette région est frappée dans une proportion comparable à l’Asie ou à l’Afrique; les plus faibles taux de mortalité reflètent une vulnérabilité humaine bien moindre en cas de crise. Le nombre des décès consécutifs aux accidents chimiques de Seveso (Italie) et de Bhopal (Inde) illustre clairement cet écart (Bertazzi, 1989).

Tableau 39.6 Catastrophes naturelles entre 1969 et 1993: nombre d'événements en 25 ans

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Tremblement de terre

  40

125

225

167

  83

   640

Sécheresse et famine

277

  49

  83

 15

  14

   438

Inondation

149

357

599

123

138

1 366

Glissement de terrain

  11

  85

  93

 19

  10

   218

Vents violents

  75

426

637

210

203

1 551

Eruption volcanique

   8

  27

  43

 16

    4

    98

Autre*

219

  93

186

 91

    4

   593

* Avalanche, vague de froid, vague de chaleur, invasion d’insectes, tsunami.

Source: Walker, 1995.

Tableau 39.7 Catastrophes non naturelles entre 1969 et 1993: nombre d'événements en 25 ans

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Accident

213

321

676

274

18

1 502

Accident technologique

  24

 97

 97

 88

 4

   310

Incendie

  37

115

236

166

29

   583

Source: Walker, 1995.

Les chiffres relatifs à l’année 1994 (voir tableaux 39.8 et 39.9) montrent que l’Asie demeure la région la plus exposée aux catastrophes, avec, en tête de liste, les inondations, les vents violents et les accidents majeurs. Bien que les tremblements de terre soient associés à un taux de mortalité élevé, ils ne sont en fait pas plus fréquents que les catastrophes technologiques majeures. Mis à part les incendies, le nombre de catastrophes non naturelles est légèrement inférieur, en moyenne annuelle, à celui des 25 années précédentes. En revanche, le nombre moyen de catastrophes naturelles est plus élevé, sauf dans le cas des inondations et des éruptions volcaniques. En 1994, on a recensé davantage de catastrophes d’origine humaine en Europe qu’en Asie (39 contre 37).

Tableau 39.8 Catastrophes naturelles: nombre par région du monde et par type en 1994

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Tremblement de terre

3

3

12

1

1

20

Sécheresse et famine

0

2

1

0

1

4

Inondation

15

13

27

13

0

68

Glissement de terrain

0

1

3

1

0

5

Vents violents

6

14

24

5

2

51

Eruption volcanique

0

2

5

0

1

8

Autre*

2

3

1

2

0

8

* Avalanche, vague de froid, vague de chaleur, invasion d’insectes, tsunami.

Source: Walker, 1995.

Tableau 39.9 Catastrophes non naturelles: nombre par région du monde et par type en 1994

 

Afrique

Amérique

Asie

Europe

Océanie

Total

Accident

8

12

25

23

2

70

Accident technologique

1

   5

   7

   7

0

20

Incendie

0

   5

   5

   9

2

21

Source: Walker, 1995.

Les accidents chimiques majeurs

Au cours du siècle qui s’achève, ce sont les guerres, les transports et les activités industrielles qui ont provoqué les catastrophes non naturelles les plus désastreuses pour l’être humain. A l’origine, seules les personnes occupant certains emplois étaient touchées par les catastrophes industrielles; avec le temps toutefois, et surtout depuis la seconde guerre mondiale, la croissance et l’expansion rapides de l’industrie chimique et le recours à l’énergie nucléaire ont créé de graves dangers, même pour les personnes à l’extérieur des lieux de travail et pour l’ensemble de l’environnement. Nous nous intéresserons ici aux accidents majeurs mettant en jeu des produits chimiques.

La première catastrophe chimique d’origine industrielle dont nous ayons gardé trace remonte au XVIIe siècle. Bernardino Ramazzini en a fait le récit (Bertazzi, 1989). Les catastrophes chimiques contemporaines diffèrent tant par la manière dont elles se produisent que par le type de produits chimiques en cause (BIT, 1991). Les risques potentiels sont fonction aussi bien de la nature particulière du produit que de la quantité présente sur les lieux. Toutes ces catastrophes ont cependant une caractéristique commune: ce sont des événements échappant à tout contrôle — incendies, explosions, rejets de substances toxiques — qui peuvent faire de nombreuses victimes à l’intérieur et à l’extérieur des installations et causer des dégâts matériels et écologiques considérables.

Le tableau 39.10 donne quelques exemples d’accidents chimiques majeurs représentatifs provoqués par des explosions, et le tableau 39.11 recense une série d’incendies majeurs. Dans l’industrie, les incendies sont plus fréquents que les explosions et les rejets de matières toxiques, mais ils font généralement moins de victimes. La supériorité des mesures de prévention et de planification préalable dans le premier cas en fournit peut-être une explication. Le tableau 39.12 énumère certains accidents industriels majeurs qui ont donné lieu à des rejets de produits chimiques toxiques. Le chlore et l’ammoniac sont les produits chimiques toxiques les plus souvent utilisés en quantités dangereuses importantes et ils ont déjà provoqué des accidents majeurs. Le rejet, dans l’atmosphère, de matières inflammables ou toxiques peut également provoquer des incendies.

Tableau 39.10 Exemples d'explosions d'origine industrielle

Produit chimique

Conséquences

Lieu et année

 

Morts

Blessés

 

Ether diméthylique

245

3 800

Ludwigshafen, Allemagne, 1948

Kérosène

32

16

Bitburg, Allemagne, 1954

Isobutane

7

13

Lake Charles, Louisiane, Etats-Unis, 1967

Boues de pétrole

2

85

Pernis, Pays-Bas, 1968

Propylène

230

Saint Louis, Illinois, Etats-Unis, 1972

Propane

7

152

Decatur, Illinois, Etats-Unis, 1974

Cyclohexane

28

89

Flixborough, Royaume-Uni, 1974

Propylène

14

107

Beek, Pays-Bas, 1975

Source: BIT, 1993.

Tableau 39.11 Exemples d'incendies majeurs

Produit chimique

Conséquences

Lieu et année

 

Morts

Blessés

 

Méthane

136

     77

Cleveland, Ohio, Etats-Unis, 1944

GPL1 (BLEVE)

  18

     90

Feyzin, France, 1966

GNL2

  40

       –

Staten Island, New York, Etats-Unis, 1973

Méthane

  52

       –

Santa Cruz, Mexique, 1978

GPL (BLEVE)

650

2 500

Mexico, Mexique, 1985

1  Gaz de pétrole liquéfié. 2  Gaz naturel liquéfié.

Source: BIT, 1993.

Tableau 39.12 Exemples de dégagements de produits toxiques

Produit chimique

Conséquences

Lieu et année

 

Morts

Blessés

 

Phosgène

      10

          –

Poza Rica, Mexique, 1950

Chlore

        7

          –

Wilsum, Allemagne, 1952

Dioxine/TCDD

        –

       193

Seveso, Italie, 1976

Ammoniac

      30

         25

Cartagena, Colombie, 1977

Dioxyde de soufre

        –

       100

Baltimore, Maryland, Etats-Unis, 1978

Sulfure d’hydrogène

        8

         29

Chicago, Illinois, Etats-Unis, 1978

Isocyanate de méthyle

 2 500

200 000

Bhopal, Inde, 1984

Un tour d’horizon des travaux consacrés aux accidents chimiques majeurs révèle plusieurs caractéristiques communes aux catastrophes industrielles contemporaines. Nous les analyserons brièvement ci-après, de manière à pouvoir non seulement établir une classification d’intérêt général, mais également apprécier la nature du problème et les défis à relever.

Les catastrophes avérées

Les catastrophes avérées sont des rejets dans l’environnement qui ne laissent subsister aucune ambiguïté quant à leur source et leur danger potentiel. Les catastrophes de Seveso, de Bhopal et de Tchernobyl en sont de bons exemples.

La catastrophe de Seveso est considérée comme le prototype des catastrophes chimiques industrielles (Homberger et coll., 1979; Pocchiari et coll., 1983, 1986). Cet accident, survenu le 10 juillet 1976 dans la région de Seveso, à proximité de Milan (Italie), dans une usine produisant du trichlorophénol, a entraîné la contamination par un produit très toxique, la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine (TCDD), de plusieurs kilomètres carrés d’une zone rurale assez fortement peuplée. Plus de 700 personnes ont été évacuées, et des restrictions ont été imposées à 30 000 autres habitants. Du point de vue médical, la chloracné a été l’effet nocif le plus clairement établi, mais toutes les conséquences possibles de cet incident n’ont pas encore été évaluées (Bruzzi, 1983; Pesatori, 1995).

Bhopal est probablement la pire catastrophe chimique industrielle de tous les temps (Das, 1985a, 1985b; Friedrich Naumann Foundation, 1987; Tachakra, 1987). Dans la nuit du 2 décembre 1984, à la suite d’une fuite de gaz, un nuage mortel a recouvert la ville de Bhopal, dans le centre de l’Inde, faisant des milliers de morts et des centaines de milliers de blessés en l’espace de quelques heures. L’accident a été provoqué par une réaction d’emballement survenue dans l’un des réservoirs de stockage de méthylisocyanate (MIC). Ce réservoir en béton, qui renfermait quelque 42 tonnes de ce composé utilisé dans la fabrication de pesticides, s’est fissuré, libérant dans l’atmosphère le MIC et d’autres produits de dégradation. Au-delà des conséquences tragiques évidentes de cet accident, on n’a pas encore complètement évalué ses effets éventuels à long terme sur la santé des personnes affectées ou exposées (Andersson et coll., 1986; Sainani et coll., 1985).

Les catastrophes d’installation lente

Seules deux circonstances révèlent parfois l’existence d’une catastrophe d’installation lente: la présence fortuite d’êtres humains sur la trajectoire du rejet, ou l’émergence, avec le temps, de certaines manifestations environnementales du danger présenté par des matières toxiques.

A cet égard, la maladie de Minamata constitue sans doute l’exemple le plus spectaculaire et le plus instructif du premier cas. En 1953, des troubles neurologiques rares ont commencé à se manifester chez les habitants de villages de pêcheurs situés le long de la baie de Minamata, au Japon. Après de nombreuses recherches, on a conclu que cette maladie baptisée kibyo , la «maladie mystérieuse», était probablement causée par du poisson toxique. Il a d’ailleurs été possible, en 1957, d’en reproduire expérimentalement les symptômes en nourrissant des chats avec du poisson pêché dans la baie. L’année suivante, on a émis l’hypothèse que le tableau clinique de la kibyo , associant polynévrite, ataxie cérébelleuse et cécité corticale, était analogue à celui d’une intoxication par des composés alkylés de mercure. On a donc recherché une source de mercure organique et l’enquête a abouti à une usine qui déversait ses effluents dans la baie de Minamata. En juillet 1961, la maladie avait frappé 88 personnes, dont 35 (40%) sont décédées (Hunter, 1978).

L’incident de Love Canal, site d’excavation situé à proximité de Niagara Falls, aux Etats-Unis, est un exemple du deuxième type de circonstance. Pendant une trentaine d’années, jusqu’en 1953, cette zone avait servi de lieu d’enfouissement de produits chimiques et de décharge municipale, avant que des habitations ne soient construites à proximité. A la fin des années soixante, les résidents ont commencé à signaler des odeurs de produits chimiques dans le sous-sol de leur maison, ainsi que des infiltrations chimiques à la périphérie du site, et les plaintes se sont multipliées avec le temps. En 1970, la crainte d’une menace sérieuse pour la santé des habitants a entraîné l’ouverture d’enquêtes sanitaires et environnementales. Aucune des études publiées n’a permis de conclure à l’existence d’un lien causal entre l’exposition aux produits chimiques de la décharge et d’éventuels effets nocifs sur la santé des résidents, mais il ne fait aucun doute que ces événements ont eu des répercussions sociales et psychologiques graves sur la population de la région, en particulier chez les personnes qui ont dû être évacuées (Holden, 1980).

Les intoxications alimentaires de masse

Des épidémies d’intoxications alimentaires peuvent être provoquées par le rejet dans l’environnement de produits chimiques utilisés dans la manipulation et la transformation des aliments. L’un des incidents les plus graves de cette nature a été signalé en Espagne (Spurzem et Lockey, 1984; OMS, 1984; The Lancet , 1983). En mai 1981, un syndrome jusqu’alors inconnu faisait son apparition dans les banlieues ouvrières de Madrid, touchant au total plus de 20 000 personnes.

En juin 1982, on dénombrait 315 décès (soit environ 16 décès pour 1 000 cas). Au départ, les signes cliniques comprenaient une pneumonie interstitielle, diverses formes d’éruptions cutanées, des lymphadénopathies, une éosinophilie marquée et des symptômes gastro-intestinaux. Près du quart des personnes ayant survécu à la phase aiguë de l’affection ont dû être hospitalisées par la suite pour des manifestations neuro-musculaires. A ce stade avancé, on a également observé des altérations de la peau évoquant la sclérodermie, associées à une hypertension pulmonaire et à un phénomène de Raynaud.

Un mois après l’apparition des premiers cas, on a découvert que la maladie était liée à la consommation d’huile de colza dénaturée bon marché. Ce produit, vendu dans des récipients en plastique non étiquetés, avait généralement été acheté à des vendeurs itinérants. Les mises en garde diffusées par les autorités espagnoles contre l’huile incriminée ont aussitôt entraîné une baisse spectaculaire du nombre de patients hospitalisés pour pneumopathie d’origine toxique (Gilsanz et coll., 1984; Kilbourne et coll., 1983).

Les biphényles polychlorés (PCB) ont été mis en cause dans d’autres intoxications alimentaires de masse dont on a largement fait état au Japon (Masuda et Yoshimura, 1984) et à Taiwan, Chine (Chen et coll., 1984).

Les catastrophes transfrontières

Les catastrophes d’origine humaine qui surviennent de nos jours ne respectent pas toujours les frontières politiques nationales. Celle de Tchernobyl, qui a provoqué la contamination d’une zone allant de l’océan Atlantique aux montagnes de l’Oural, en est un bon exemple (Agence pour l’énergie nucléaire (AEN), 1987). Une situation analogue s’est produite en Suisse (Friedrich Naumann Foundation, 1987; Salzman, 1987), le 1er novembre 1986, quand un incendie s’est déclaré peu après minuit dans un entrepôt de la société pharmaceutique multinationale Sandoz, à Schweizerhalle, à 10 km au sud-est de Bâle. Emportées par l’eau utilisée pour combattre l’incendie, quelque 30 tonnes de produits chimiques stockés dans l’entrepôt se sont déversées dans le Rhin avoisinant, causant de graves dommages écologiques sur une distance d’environ 250 km. Aucun cas de maladie grave n’a été recensé, mis à part les symptômes d’irritation signalés dans les secteurs de la région de Bâle atteints par les gaz et les vapeurs émanant de l’incendie. Mais cet incident n’en a pas moins suscité de sérieuses inquiétudes dans au moins quatre pays européens (Suisse, France, Allemagne et Pays-Bas).

La dimension internationale des catastrophes ne concerne pas seulement leurs conséquences et les dommages qu’elles provoquent, mais aussi parfois leurs causes, comme on l’a vu, par exemple, avec l’accident de Bhopal. Dans cette affaire, en effet, certains sont arrivés à la conclusion que l’accident était dû «à des mesures et à des décisions précises prises à Danbury, dans le Connecticut, ou ailleurs au sein des échelons supérieurs de la société, mais non à Bhopal» (Friedrich Naumann Foundation, 1987.)

Les catastrophes et le développement

En raison de l’industrialisation et de la modernisation de l’agriculture dans les pays en développement, on utilise aujourd’hui des technologies et des produits importés dans des contextes très différents de ceux auxquels ils étaient destinés. En outre, face à des règlements de plus en plus stricts, les entreprises des pays industriels sont parfois tentées de délocaliser leurs activités dangereuses vers des régions du monde où les mesures de protection de l’environnement et de la santé publique sont moins contraignantes. Là, les activités industrielles ont tendance à se concentrer dans les centres urbains existants, où elles contribuent à aggraver les problèmes causés par le surpeuplement et la pénurie de services publics. Elles se répartissent généralement entre un secteur très organisé, mais restreint, et un vaste secteur non organisé, où la sécurité au travail et la protection de l’environnement ne sont pas contrôlées de près par les autorités (Krishna Murti, 1987). Au Pakistan, par exemple, on a observé en 1976 une certaine forme d’intoxication chez 2 800 des 7 500 ouvriers agricoles qui participaient à un programme de lutte contre le paludisme (Baker et coll., 1978). On estime en outre qu’approximativement 500 000 intoxications aiguës par les pesticides surviennent chaque année, entraînant quelque 9 000 décès, et qu’environ 1% seulement des cas mortels sont recensés dans les pays industriels, bien que ces derniers consomment à peu près 80% de la production agrochimique mondiale (Jeyaratnam, 1985).

Certains prétendent également que les pays en développement risquent non seulement de ne pas sortir de leur état de sous-développement, mais aussi d’avoir à supporter un fardeau supplémentaire du fait d’une industrialisation sauvage et des conséquences que ce phénomène entraîne (Krishna Murti, 1987). Il est donc urgent, on le voit, de renforcer la coopération internationale dans trois domaines: la recherche scientifique, la santé publique et les politiques relatives à la sécurité et à l’implantation des installations industrielles.

Les enseignements pour l’avenir

Malgré les différences que présentent les catastrophes industrielles examinées, il est possible d’en tirer certaines leçons communes quant à la manière de prévenir les accidents chimiques majeurs et d’atténuer leur impact sur la population. Ainsi:

La prévention des accidents majeurs dans les installations à haut risque

On trouvera ci-après un certain nombre d’indications pour la mise en place d’un système de prévention destiné aux installations présentant des risques d’accident majeur. La première partie de l’exposé repose sur deux documents de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et une convention de la même organisation (voir encadré) et, la seconde, sur une directive du Conseil des Communautés européennes.

Convention (no 174) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant la
prévention des accidents industriels majeurs, 1993

Adoptée le 22 juin 1993 par la 80e session de la Conférence internationale du Travail

PARTIE I. CHAMP D’APPLICATION ET DÉFINITIONS

Article 1

1. La présente convention a pour objet la prévention des accidents majeurs mettant en jeu des produits chimiques dangereux et la limitation des conséquences de ces accidents [...]

Article 3

Aux fins de la convention:

  1. l’expression «produit dangereux» désigne un produit pur ou sous forme de mélange qui, du fait de propriétés chimiques, physiques ou toxicologiques, présente, seul ou en combinaison avec d’autres, un danger;
  2. l’expression «quantité seuil» désigne, pour chaque produit ou catégorie de produit dangereux, la quantité spécifiée par la législation nationale pour des conditions déterminées qui, si elle est dépassée, identifie une installation à risques d’accident majeur;
  3. l’expression «installation à risques d’accident majeur» désigne celle qui produit, transforme, manutentionne, utilise, élimine ou stocke, en permanence ou temporairement, un ou plusieurs produits ou catégories de produits dangereux en des quantités qui dépassent la quantité seuil;
  4. l’expression «accident majeur» désigne un événement soudain, tel qu’une émission, un incendie ou une explosion d’importance majeure, dans le déroulement d’une activité au sein d’une installation à risques d’accident majeur, mettant en jeu un ou plusieurs produits dangereux et entraînant un danger grave, immédiat ou différé, pour les travailleurs, la population ou l’environnement;
  5. l’expression «rapport de sécurité» désigne un document écrit présentant des informations techniques, de gestion et de fonctionnement relatives aux dangers et risques que comporte une installation à risques d’accident majeur et à la maîtrise desdits dangers et risques, et justifiant les mesures prises pour la sécurité de l’installation;
  6. le terme «quasi-accident» désigne tout événement soudain mettant en jeu un ou plusieurs produits dangereux qui, en l’absence d’effets, d’actions ou de systèmes d’atténuation, aurait pu aboutir à un accident majeur.

PARTIE II. PRINCIPES GÉNÉRAUX

Article 4

1. Tout Membre doit, eu égard à la législation, aux conditions et aux pratiques nationales et en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives ainsi qu’avec d’autres parties intéressées pouvant être touchées, formuler, mettre en œuvre et revoir périodiquement une politique nationale cohérente relative à la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement contre les risques d’accident majeur.

2. Cette politique doit être mise en œuvre par des mesures de prévention et de protection pour les installations à risques d’accident majeur et, dans la mesure où cela est réalisable, doit promouvoir l’utilisation des meilleures techniques de sécurité disponibles.

Article 5

1. L’autorité compétente ou un organisme agréé ou reconnu par l’autorité compétente doit, après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives et d’autres parties intéressées pouvant être touchées, établir un système permettant d’identifier les installations à risques d’accident majeur telles que définies à l’article 3 c) sur la base d’une liste de produits dangereux ou de catégories de produits dangereux, ou des deux, avec leurs quantités seuils respectives, conformément à la législation nationale ou aux normes internationales.

2. Le système mentionné au paragraphe 1 ci-dessus doit être revu et mis à jour régulièrement.

Article 6

Après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs intéressées, l’autorité compétente doit prendre des dispositions spéciales afin de protéger les informations confidentielles qui lui sont transmises ou fournies conformément à l’un quelconque des articles 8, 12, 13 ou 14, dont la divulgation serait de nature à nuire aux activités d’un employeur, pour autant que cette disposition n’entraîne pas de risque sérieux pour les travailleurs, la population ou l’environnement.

PARTIE III. RESPONSABILITÉS DES EMPLOYEURS

IDENTIFICATION

Article 7

Les employeurs doivent identifier toute installation à risques d’accident majeur dont ils ont le contrôle, sur la base du système visé à l’article 5.

NOTIFICATION

Article 8

1. Les employeurs doivent notifier à l’autorité compétente toute installation à risques d’accident majeur qu’ils auront identifiée:

  1. selon un calendrier fixé dans le cas d’une installation existante;
  2. avant sa mise en service dans le cas d’une nouvelle installation.

2. La fermeture définitive d’une installation à risques d’accident majeur doit également faire l’objet d’une notification préalable à l’autorité compétente par les employeurs.

DISPOSITIONS À PRENDRE AU NIVEAU DE L’INSTALLATION

Article 9

Pour toute installation à risques d’accident majeur, les employeurs doivent instituer et entretenir un système documenté de prévention et de protection de ces risques comportant:

  1. l’identification et l’analyse des dangers ainsi que l’évaluation des risques, y compris la prise en considération des interactions possibles entre les produits;
  2. des mesures techniques portant notamment sur la conception, les systèmes de sécurité, la construction, le choix de produits chimiques, le fonctionnement, l’entretien et l’inspection systématique de l’installation;
  3. des mesures d’organisation portant notamment sur la formation et l’instruction du personnel, la fourniture d’équipement pour assurer sa sécurité, le niveau des effectifs, les horaires de travail, la répartition des responsabilités ainsi que le contrôle des entreprises extérieures et des travailleurs temporaires opérant sur le site de l’installation;
  4. des plans et procédures d’urgence comportant notamment:
    1. l’élaboration de plans et de procédures d’urgence efficaces, y compris des procédures médicales d’urgence, à appliquer sur site en cas d’accident majeur ou de menace d’un tel accident, la vérification et l’évaluation périodiques de l’efficacité desdits plans et procédures et leur révision lorsque cela est nécessaire;
    2. la fourniture d’informations sur les accidents possibles et les plans d’intervention sur site aux autorités et aux organes chargés d’établir les plans et les procédures d’intervention visant à protéger la population et l’environnement en dehors du site de l’installation;
    3. toutes consultations nécessaires avec ces autorités et organes;
  5. des mesures visant à limiter les conséquences d’un accident majeur;
  6. la consultation avec les travailleurs et leurs représentants;
  7. des dispositions visant à améliorer le système, y compris des mesures pour rassembler des informations et analyser les accidents et les quasi-accidents. Les enseignements qui en sont tirés doivent être discutés avec les travailleurs et leurs représentants, et doivent être consignés, conformément à la législation et à la pratique nationale [...]

PARTIE IV. RESPONSABILITÉS DES AUTORITÉS COMPÉTENTES

PLANS D’URGENCE HORS SITE

Article 15

En tenant compte des informations fournies par l’employeur, l’autorité compétente doit faire en sorte que des plans et procédures d’urgence comportant des dispositions en vue de protéger la population et l’environnement en dehors du site de chaque installation à risques d’accident majeur soient établis, mis à jour à des intervalles appropriés, et coordonnés avec les autorités et instances concernées.

Article 16

L’autorité compétente doit faire en sorte que:

  1. des informations sur les mesures de sécurité à prendre et la conduite à suivre en cas d’accident majeur soient diffusées auprès des populations susceptibles d’être affectées par un accident majeur, sans qu’elles aient à le demander, et que ces informations soient mises à jour et rediffusées à intervalles appropriés;
  2. en cas d’accident majeur, l’alerte soit donnée dès que possible;
  3. lorsque les conséquences d’un accident majeur pourraient dépasser les frontières, les informations requises aux alinéas a) et b) ci-dessus soient fournies aux Etats concernés, afin de contribuer aux mesures de coopération et de coordination.

IMPLANTATION DES INSTALLATIONS À RISQUES D’ACCIDENT MAJEUR

Article 17

L’autorité compétente doit élaborer une politique globale d’implantation prévoyant une séparation convenable entre les installations à risques d’accidents majeur projetées et les zones résidentielles, les zones de travail ainsi que les équipements publics et, dans le cas d’installations existantes, toutes mesures convenables. Cette politique doit s’inspirer des principes généraux énoncés dans la partie II de la convention.

INSPECTION

Article 18

1. L’autorité compétente doit disposer d’un personnel dûment qualifié, formé et compétent, s’appuyant sur suffisamment de moyens, de techniciens et de spécialistes pour inspecter, enquêter, fournir une évaluation et des conseils sur les questions traitées dans la convention et assurer le respect de la législation nationale.

2. Des représentants de l’employeur et des travailleurs d’une installation à risques d’accident majeur devront avoir la possibilité d’accompagner les inspecteurs lorsqu’ils contrôlent l’application des mesures prescrites en vertu de la présente convention à moins que ceux-ci n’estiment, à la lumière des directives générales de l’autorité compétente, que cela risque de porter préjudice à l’efficacité de leur contrôle.

Article 19

L’autorité compétente doit avoir le droit de suspendre toute opération qui présente une menace imminente d’accident majeur.

PARTIE V. DROITS ET OBLIGATIONS DES TRAVAILLEURS
ET DE LEURS REPRÉSENTANTS

Article 20

Dans une installation à risques d’accident majeur, les travailleurs et leurs représentants doivent être consultés, selon des procédures appropriées de coopération, afin d’établir un système de travail sûr. En particulier, les travailleurs et leurs représentants doivent:

  1. être informés de manière suffisante et appropriée des dangers liés à cette installation et de leurs conséquences possibles;
  2. être informés de toutes instructions ou recommandations émanant de l’autorité compétente;
  3. être consultés lors de l’élaboration des documents suivants et y avoir accès:
    1. rapport de sécurité;
    2. plans et procédures d’urgence;
    3. rapports sur les accidents;
  4. recevoir régulièrement des instructions et une formation sur les pratiques et procédures pour la prévention des accidents majeurs et la maîtrise des événements susceptibles de conduire à de tels accidents ainsi que sur les procédures d’urgence à suivre en cas d’accident majeur;
  5. dans les limites de leur fonction et sans que cela puisse être retenu d’aucune manière à leur détriment, prendre des mesures correctives et, si nécessaire, interrompre l’activité lorsque, sur la base de leur formation et de leur expérience, ils ont un motif raisonnable de croire qu’il existe un danger imminent d’accident majeur, et en informer leur supérieur ou, selon le cas, déclencher l’alarme avant ou aussitôt que possible après avoir pris lesdites mesures;
  6. discuter avec l’employeur de tout danger potentiel qu’ils considèrent susceptible de causer un accident majeur et avoir le droit de notifier ces dangers à l’autorité compétente.

Article 21

Les travailleurs employés sur le site d’une installation à risques d’accident majeur doivent:

  1. se conformer à toutes les pratiques et procédures se rapportant à la prévention des accidents majeurs et à la maîtrise des événements susceptibles de conduire à de tels accidents;
  2. se conformer à toutes les procédures d’urgence au cas où un accident majeur viendrait à se produire.

PARTIE VI. RESPONSABILITÉ DES ÉTATS EXPORTATEURS

Article 22

Lorsque, dans un Etat Membre exportateur, l’utilisation de produits, technologies ou procédés dangereux est interdite en tant que source potentielle d’accident majeur, cet Etat devra mettre à la disposition de tout pays importateur les informations relatives à cette interdiction ainsi qu’aux raisons qui l’ont motivée.

Source: convention de l’OIT (no 174), 1993, extraits.

La perspective de l’Organisation internationale du Travail

Le texte qui suit est en bonne partie tiré de deux publications: Prévention des accidents industriels majeurs (BIT, 1991) et La maîtrise des risques d’accident majeur: guide pratique (BIT, 1993), complétées et actualisées par la convention (no 174) sur la prévention des accidents industriels majeurs, 1993 (voir encadré). Chacun de ces documents vise à protéger les travailleurs, la population et l’environnement contre les risques d’accident majeur en proposant des mesures pour: 1) prévenir ces accidents dans les installations industrielles à hauts risques; 2) limiter le plus possible leurs conséquences sur site et hors site, notamment par a) l’aménagement d’un périmètre de sécurité entre les installations présentant des risques d’accident majeur et les habitations et autres établissements du voisinage fréquentés par la population, tels qu’hôpitaux, écoles et magasins; et b) l’élaboration de plans d’intervention appropriés.

On trouvera plus de précisions à ce sujet dans la convention de l’OIT de 1993, dont un aperçu est proposé ci-après.

Les installations présentant des risques d’accident majeur peuvent, en raison de la nature et de la quantité des produits dangereux qui s’y trouvent, provoquer un accident majeur relevant de l’une des catégories générales suivantes:

Les obligations des Etats Membres

En vertu de la convention de 1993, les Etats Membres qui ne peuvent mettre en œuvre immédiatement toutes les mesures de prévention et de protection prévues doivent:

Les composantes du système de prévention des risques d’accident majeur et d’intervention en cas d’accident

La grande diversité des accidents majeurs a conduit à dégager la notion de risque d’accident majeur pour toute activité industrielle nécessitant des mesures de sécurité plus poussées que les activités normales, afin de protéger aussi bien les travailleurs que les personnes qui vivent et travaillent à l’extérieur de l’établissement. Ces mesures de sécurité visent non seulement à prévenir les accidents, mais aussi, le cas échéant, à en atténuer les conséquences.

La prévention doit être fondée sur une approche systématique, dont voici les principaux éléments:

Les responsabilités des exploitants

Les installations qui présentent des risques d’accident majeur doivent être exploitées conformément à des normes très rigoureuses de sécurité. En outre, les exploitants ont un rôle extrêmement important à jouer dans l’organisation et la mise en œuvre du système de prévention. Comme l’indique le tableau 39.13, il leur appartient en particulier:

Tableau 39.13 Rôle de l'exploitant dans le système de prévention et de protection

Mesures à prendre selon la législation

En cas d’accident majeur

Communiquer une notification aux autorités compétentes

Fournir des informations sur toute modification importante

Préparer un plan d’intervention dans les installations

Informer la population

Déclarer l’accident à l’autorité compétente

Etablir et soumettre le rapport de sûreté

Fournir des informations complémentaires sur demande

Fournir aux autorités locales les informations dont elles ont besoin pour élaborer un plan d’intervention à l’extérieur des installations

 

Fournir des informations sur l’accident

Source: d’après BIT, 1993.

L’exploitant d’une installation susceptible d’entraîner un accident majeur doit avant tout s’attacher à prévenir ce risque. Pour cela, il faut qu’il connaisse la nature du danger, les événements qui pourraient provoquer un accident et les conséquences que celui-ci pourrait avoir. Autrement dit, pour pouvoir adopter des mesures efficaces, l’exploitant doit se poser les questions suivantes:

L’étude des dangers

Pour répondre à ces questions, la meilleure approche consiste à effectuer une étude des dangers, afin d’établir pourquoi des accidents peuvent se produire et comment on peut les éviter ou, du moins, en atténuer les effets. Le tableau 39.14 récapitule les différentes méthodes de diagnostic des dangers.

Tableau 39.14 Etude des dangers: méthodes

Méthode

Objet

But

Moyens

1. Etude préliminaire des dangers

1. Détermination des dangers

1. Adéquation du système de sûreté

1. Canevas logiques

2. Matrices d’interactions

 

 

 

3. Listes de contrôle

 

 

 

4. Analyse des effets des défaillances

 

 

2. Canevas d’investigation, diagrammes et schémas

5. Etude systématique des dangers et des conditions de fonctionnement

 

 

 

6. Analyse du déroulement des accidents (inductive)

2. Détermination de la probabilité d’apparition des risques

2. Optimisation des systèmes de sécurité (disponibilité, fiabilité)

3. Arbre des enchaînements, arbre des causes, calcul des probabilités

7. Analyse régressive du processus causal (déductive)

 

 

 

8. Analyse des conséquences des accidents

3. Détermination des conséquences

3. Atténuation des conséquences, optimisation des plans d’intervention

4. Modèles mathématiques des processus physiques et chimiques

Source: BIT, 1993.

La sûreté de fonctionnement et d’exploitation

On trouvera ci-après un aperçu général des dispositions à prévoir pour maîtriser les risques.

La conception des éléments de l’installation

Les différents éléments d’une installation doivent pouvoir résister aux contraintes suivantes: efforts statiques, efforts dynamiques, pressions internes et externes, corrosion, chocs thermiques, phénomènes extérieurs (vent, neige, séismes, mouvements du sol). Lors de la conception d’une installation présentant des risques d’accident majeur, l’exploitant doit donc considérer les normes de construction agréées comme des prescriptions minimales à respecter.

Les systèmes de commande et de régulation

Dans une installation conçue de manière à supporter toutes les contraintes susceptibles de s’exercer dans des conditions de fonctionnement normales ou dans les situations anormales prévues, c’est au système de régulation qu’il appartient de garantir le respect des limites de sécurité ainsi posées.

Tout dispositif de régulation oblige à surveiller à la fois les paramètres du processus et les éléments actifs de l’installation. Le personnel d’exploitation doit être suffisamment formé pour comprendre le fonctionnement et l’importance des systèmes de régulation. Pour qu’il n’ait pas à s’en remettre entièrement au bon fonctionnement de systèmes automatiques, il convient de combiner ceux-ci avec des alarmes acoustiques ou optiques.

Il faut savoir aussi que tout système de régulation peut présenter des problèmes de fonctionnement dans certaines situations, par exemple pendant les phases de démarrage et d’arrêt, qui exigent une attention particulière. C’est pourquoi l’exploitant doit vérifier régulièrement les procédures de contrôle de qualité en vigueur dans son établissement.

Les systèmes de sécurité

Toutes les installations présentant des risques d’accident majeur doivent être équipées de systèmes de sécurité, dont la nature et la conception dépendent des dangers qui leur sont propres. Voici un aperçu des systèmes de sécurité existants:

L’entretien et la surveillance

La sécurité d’un établissement et le bon fonctionnement des éléments critiques dépendent directement de la qualité de l’entretien et de la surveillance.

L’inspection et les réparations

Il est nécessaire d’établir un plan d’inspection des installations, destiné au personnel d’exploitation, fixant le calendrier des ins-pections et les procédures à suivre. Des règles strictes doivent être adoptées pour l’exécution des travaux de réparation.

La formation

Les personnes pouvant avoir aussi bien une influence négative qu’une influence positive sur la sécurité, il faut s’attacher à réduire la première et à favoriser la seconde. On peut atteindre ces deux objectifs en sélectionnant le personnel avec soin et en lui assurant une bonne formation, complétée par des évaluations périodiques.

L’atténuation des conséquences

Même lorsqu’on a évalué les dangers et pris les mesures voulues pour y faire face, on ne peut exclure totalement la possibilité d’un accident. C’est pourquoi le souci de la sécurité doit aussi conduire à prévoir et à mettre en œuvre des dispositions pour limiter les conséquences d’un éventuel accident.

Ces mesures doivent être adaptées aux risques identifiés. Elles doivent en outre être complétées par une formation adéquate du personnel d’exploitation, des équipes d’intervention et des res-ponsables des services publics. Seuls la formation et les exercices de simulation permettent de rendre les plans d’intervention suffisamment réalistes pour s’avérer efficaces en cas de besoin.

Les rapports de sécurité aux autorités compétentes

Selon les dispositions en vigueur dans le pays, l’exploitant d’une installation présentant des risques d’accident majeur est en principe tenu de soumettre certaines informations aux autorités compétentes. Cette obligation comporte souvent trois volets:

Les droits et les obligations des travailleurs et de leurs représentants

Les travailleurs et leurs représentants doivent être consultés, selon des mécanismes de coopération appropriées, sur tout ce qui peut contribuer à la sécurité de leur environnement professionnel. Ils doivent pouvoir donner leur avis, en particulier lors de l’élaboration des rapports de sécurité ainsi que des plans et procédures d’intervention et des comptes rendus d’accident, et avoir accès à ces documents. Ils doivent recevoir une formation en matière de prévention des risques et d’intervention en cas d’accident majeur. Enfin, les travailleurs et leurs représentants doivent avoir la possibilité, dans les limites de leurs fonctions, de prendre des mesures correctives lorsqu’ils ont un motif raisonnable de croire qu’il existe un risque imminent d’accident majeur. Ils ont également le droit de notifier tout danger aux autorités compétentes.

Les travailleurs ont l’obligation d’appliquer toutes les mesures prévues pour la prévention des accidents majeurs et la maîtrise des événements susceptibles de conduire à de tels accidents. Ils doivent également, le cas échéant, se conformer à toutes les procédures arrêtées dans les plans d’intervention en cas d’accident.

La mise en œuvre du système de prévention des risques d’accident majeur et d’intervention en cas d’accident

S’il existe des installations qui utilisent et qui stockent de grandes quantités de substances dangereuses dans la plupart des pays du monde, en revanche on constate des disparités importantes d’un pays à l’autre quant aux systèmes de prévention des risques que de telles activités représentent. Il faudra donc plus ou moins de temps pour mettre en œuvre un système de prévention des risques d’accident majeur, selon les structures que le pays possède déjà, notamment en ce qui concerne le personnel (un corps d’inspecteurs compétents et expérimentés) et les moyens dont il dispose aux niveaux local et national pour organiser les différents éléments du système. Dans tous les pays, cependant, il faudra définir un ordre de priorité et instaurer le système par étapes.

L’identification des installations présentant des risques d’accident majeur

Il est indispensable, pour mettre en place un système de prévention des risques d’accident majeur, de commencer par donner une définition des installations présentant de tels risques. Certains pays l’ont déjà fait, en particulier ceux de l’Union européenne, mais quel que soit le pays considéré, cette définition doit correspondre aux priorités et à la situation locales, notamment sur le plan industriel.

Toute définition des installations présentant des risques d’accident majeur sera vraisemblablement fondée sur une liste de substances dangereuses, assortie pour chacune d’elles d’une quantité seuil, de façon que toute installation qui stocke ou utilise ces substances en quantité supérieure à la quantité indiquée soit considérée comme une installation à haut risque. On recensera ensuite les installations répondant à la définition arrêtée, en les localisant sur le territoire de la région ou du pays considérés. Si un pays souhaite dénombrer les installations présentant des risques d’accident majeur avant même d’avoir adopté la législation requise à ce sujet, il pourra déjà réaliser de grands progrès, surtout s’il peut compter sur la coopération des entreprises, en faisant appel à des sources d’information telles que les dossiers des services d’inspection, les renseignements communiqués par les organismes professionnels compétents, etc. Il pourra dresser ainsi une liste provisoire qui permettra non seulement d’établir rapidement les priorités en matière d’inspection, mais également d’évaluer les ressources requises pour la mise en place des différentes composantes du système de prévention.

La constitution d’un groupe d’experts

Dans les pays qui envisagent de créer un système de prévention des risques d’accident majeur, l’une des premières mesures à prendre sera sans doute de constituer, au sein des services officiels, un groupe d’experts qui arrêtera son programme de travail immédiat et fixera les tâches prioritaires. Ce groupe pourra être appelé à former le personnel aux techniques de contrôle des installations présentant des risques d’accident majeur et aux normes d’exploitation. Il devrait également pouvoir fournir un avis sur l’implantation des nouvelles installations et l’occupation des sols dans les zones circonvoisines. Enfin, il établira des contacts avec des experts d’autres pays pour se tenir au courant de ce qui se fait ailleurs dans son domaine de compétence.

La préparation de plans d’intervention sur site

Pour mettre au point des plans d’intervention à l’intérieur des installations présentant des risques d’accident majeur, il convient d’identifier les accidents qui pourraient s’y produire et la manière dont il faudrait y faire face. Il est indispensable pour cela que les exploitants disposent du personnel et du matériel nécessaires; il importe de vérifier que tel est bien le cas. Les plans en question devraient comprendre les éléments suivants:

La préparation de plans d’intervention à l’extérieur des installations

Cet aspect du système de prévention et d’intervention a reçu moins d’attention jusqu’ici que les mesures à prendre à l’intérieur des installations, et de nombreux pays devront s’y intéresser pour la première fois. Le plan d’intervention extérieur sera fonction de la nature des accidents potentiels identifiés par l’exploitant, de leur probabilité et de la distance des zones d’habitation ou d’activité avoisinantes. Il doit prévoir les dispositions à prendre pour alerter et évacuer rapidement la population compte tenu des conditions locales. Les constructions en dur, par exemple, offrent une bonne protection contre les nuages de gaz toxiques, contrairement à l’habitat précaire des bidonvilles.

Le plan d’intervention extérieur doit indiquer les organismes dont le concours pourra être nécessaire en cas d’accident; ceux-ci devront connaître exactement le rôle qu’ils auront à jouer. Les hôpitaux et le personnel médical, par exemple, devraient déterminer comment ils prendront en charge un afflux important de victimes et quel traitement leur administrer. Il faudra procéder régulièrement à des exercices pratiques, avec la participation de la population, pour tester l’efficacité du dispositif.

Si l’on prévoit que tel ou tel accident majeur pourrait avoir des conséquences au-delà des frontières nationales, il faut que les autorités des pays concernés en soient pleinement informées et que des mesures de coopération et de coordination leur soient proposées.

L’implantation géographique des installations

La raison d’être d’une politique judicieuse d’implantation des installations présentant des risques d’accident majeur est claire: puisqu’il est impossible de garantir la sécurité absolue, il faut éloigner ces installations des zones d’habitation ou d’activité. Il conviendra peut-être, dans un premier temps, de mettre l’accent sur l’implantation des installations nouvelles, en veillant à empêcher la construction d’habitations et l’apparition de bidonvilles à proximité, comme cela se produit souvent dans bien des pays.

La formation des inspecteurs

Les inspecteurs auront sans doute, dans de nombreux pays, un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du système de prévention des risques d’accident majeur. Ils devront avoir les connaissances voulues pour identifier rapidement ce type de risques. Les inspecteurs généralistes pourront se faire assister par des spécia-listes pour les aspects très techniques que comporte souvent l’ins-pection des installations à haut risque.

Pour remplir leurs fonctions, les inspecteurs devront avoir les qualifications et la formation appropriées. Ce sont vraisemblablement les entreprises elles-mêmes qui disposeront des moyens les plus importants et des compétences techniques les plus larges pour contribuer à cette formation.

Les autorités compétentes auront le droit de suspendre l’activité de toute installation présentant une menace imminente d’accident majeur.

L’évaluation des risques d’accident majeur

Cette évaluation devrait être effectuée si possible par des spécia-listes, avec le concours de l’exploitant le cas échéant. Il s’agit d’une étude systématique des risques d’accident majeur, semblable, bien que moins détaillée, à celle que l’exploitant doit effectuer pour établir le rapport de sûreté à l’intention des services d’inspection et le plan d’intervention à l’intérieur des installations.

L’évaluation portera sur toutes les opérations de manutention et de transport des substances dangereuses.

Elle s’intéressera aussi aux conséquences éventuelles d’une instabilité des procédés de fabrication ou de toute modification importante des paramètres d’exploitation.

Il conviendra d’examiner également l’emplacement des élé-ments de stockage ou de mise en œuvre des substances dangereuses les uns par rapport aux autres.

De même, il faudra déterminer les conséquences des défauts d’alimentation en énergie ou en fluides d’exploitation.

Enfin, les conséquences des accidents majeurs susceptibles de se produire seront évaluées pour la population des zones circonvoisines; ce critère devrait être déterminant pour la délivrance des autorisations d’exploitation.

L’information de la population

On a pu constater, à l’occasion d’accidents majeurs, en particulier lors de rejets toxiques, qu’il est extrêmement important d’informer préventivement la population des zones situées autour des installations sur: a) la façon dont elle serait avertie de l’existence d’une situation d’urgence; b) le comportement à adopter; c) les soins à administrer aux personnes atteintes.

Quand la population vit dans des habitations en dur, on conseille généralement aux gens de rentrer chez eux, de fermer toutes les issues, de débrancher tous les appareils de ventilation ou de climatisation et d’écouter la radio locale pour recevoir des instructions.

On ne saurait évidemment donner à la population les mêmes recommandations lorsqu’elle vit en grande partie dans des bidonvilles, situation qui peut alors rendre nécessaire une évacuation générale en cas d’accident.

Les conditions préalables à la mise en œuvre du système de prévention des risques d’accident majeur et d’intervention en cas d’accident

Le personnel

La mise en œuvre d’un système complet de prévention des risques d’accident majeur et d’intervention en cas d’accident exige, en dehors des ingénieurs et des techniciens chargés directement ou indirectement d’assurer la sécurité d’exploitation des installations, un personnel diversifié pour la conduite des inspections (inspecteurs généralistes, inspecteurs spécialisés), le diagnostic des risques, l’établissement des plans d’intervention en cas d’accident, le contrôle de qualité, l’étude des plans d’occupation des sols, les services médicaux et hospitaliers, la police, les services de gestion des eaux fluviales, sans compter le personnel que requiert le travail législatif et réglementaire.

La plupart des pays ne disposant sans doute que de ressources en personnel limitées, il est primordial de définir de façon réaliste les tâches prioritaires.

Le matériel

Il est possible d’aller assez loin dans la mise en place du système de prévention des risques d’accident majeur avec très peu de moyens matériels. Les inspecteurs n’ont pas besoin de beaucoup plus que le matériel d’inspection dont ils disposent déjà. Il faut, en revanche, développer les connaissances et l’expérience technique et assurer la transmission des informations du groupe d’experts à tous les éléments du dispositif: instituts du travail régionaux, organes d’inspection, entreprises. Des possibilités et des moyens de formation supplémentaires devront être créés s’il y a lieu.

L’information

Il est capital, pour la mise en place du système de prévention des risques d’accident majeur, d’avoir accès aux informations pertinentes et d’en assurer la transmission rapide à tous ceux qui en ont besoin pour leurs tâches de sécurité.

Il existe une abondante documentation sur les différents aspects de la prévention des risques d’accident majeur; utilisée de manière sélective, elle constitue une source d’information importante pour le groupe d’experts.

La responsabilité des pays exportateurs

Lorsque, dans un pays membre exportateur, l’utilisation de produits, de technologies ou de procédés dangereux est interdite parce qu’elle constitue une source potentielle d’accident majeur, ce pays doit mettre à la disposition de tout pays importateur les informations relatives à cette interdiction, ainsi qu’aux raisons qui l’ont motivée.

L’une des recommandations non contraignantes issues de la convention de 1993 concerne la dimension transnationale des risques d’accident majeur. Elle dispose qu’une entreprise natio-nale ou multinationale comptant plus d’un établissement ou plus d’une installation devrait prévoir, pour tous ses travailleurs et dans tous ses établissements, indépendamment du lieu ou du pays d’implantation, des mesures de sécurité visant à prévenir les accidents majeurs et à maîtriser toute évolution susceptible de conduire à de tels accidents (on pourra se reporter à cet égard à la partie intitulée «Les catastrophes transfrontières» ci-dessus.)

La directive européenne concernant les risques d’accidents majeurs liés à certaines activités industrielles

A la suite de divers accidents graves survenus dans l’industrie chimique au cours des vingt dernières années, plusieurs pays d’Europe occidentale ont adopté des dispositions législatives sur les activités comportant des risques d’accident majeur. Ces dispositions obligeaient les exploitants à fournir des informations sur les installations à haut risque en procédant à des études systématiques de sécurité. Après la catastrophe de Seveso (Italie) en 1976, le Conseil des Communautés européennes a établi une synthèse de cette réglementation et arrêté une directive concernant les risques d’accidents majeurs de certaines activités industrielles. Ce texte, en vigueur depuis 1984, est souvent appelé directive de Seveso (Conseil des Communautés européennes, 1982, 1987).

Pour l’identification des installations présentant des risques d’accident majeur, la directive européenne utilise des critères fondés sur les propriétés toxiques, inflammables et explosibles des substances chimiques (voir tableau 39.15).

Tableau 39.15 Substances dangereuses selon la directive des Communautés européennes

Substances toxiques et très toxiques

Substances caractérisées par les valeurs suivantes de toxicité aiguë et par des propriétés physiques et chimiques pouvant entraîner des risques d’accident majeur:

 

Dose létale 50 par voie orale (rat) mg/kg poids corporel

Dose létale 50 par voie cutanée (rat, lapin) mg/kg poids corporel

Concentration létale médiane par inhalation (4 h) (rat) mg/l

1.

DL50 ≤ 5

DL50 ≤ 10

CL50 ≤ 0,10

2.

 5 < DL 50 ≤ 25

10  < DL 50 ≤ 50

0,1 CL 50 ≤ 0,5

3.

25 < DL 50 ≤ 200

50  < DL 50 ≤ 400

0,5 CL 50 ≤ 2

Substances inflammables

1.

Gaz inflammables: substances qui, à l’état gazeux à la pression normale et mélangées à l’air, deviennent inflammables et dont le point d’ébullition est égal ou inférieur à 20 °C à la pression normale.

2.

Liquides hautement inflammables: substances dont le point d’éclair est inférieur à 21 °C et dont le point d’ébullition est supérieur à 20 °C à la pression normale.

3.

Liquides inflammables: substances dont le point d’éclair est inférieur à 55 °C et qui restent à l’état liquide sous l’effet d’une pression, dans la mesure où certains modes de traitement tels que pression et température élevées peuvent entraîner des risques d’accident majeur.

Substances explosibles

Substances qui peuvent exploser sous l’effet d’une flamme ou qui sont plus sensibles aux chocs ou aux frottements que le dinitrobenzène.

Substances comburantes

Substances qui, en contact avec d’autres, notamment avec des substances inflammables, présentent une réaction fortement exothermique.

Source: d’après BIT, 1993.

Elle donne en outre, en annexe, une liste de 180 substances assortie des quantités seuils. Quand ces substances sont présentes, dans une installation (ou un ensemble d’installations du même exploitant distantes de moins de 500 m les unes des autres), en quantités supérieures à celles indiquées dans la liste, l’activité est considérée comme présentant des risques d’accident majeur. Les quantités seuils s’échelonnent entre 1 kg pour les substances extrêmement toxiques et 50 000 tonnes pour les liquides hautement inflammables. Quelques substances devant faire l’objet d’un stockage séparé figurent sur une liste distincte.

En plus des gaz et liquides inflammables et des explosifs, la liste contient des produits chimiques comme l’ammoniac, le chlore, le dioxyde de soufre et l’acrylonitrile.

Pour faciliter l’application d’un système de prévention des risques d’accident majeur et inciter les autorités compétentes et les exploitants à le mettre en œuvre, il faut établir des priorités et concentrer les efforts sur les installations les plus dangereuses. Le tableau 39.16 propose une liste de produits à considérer en priorité dans cette perspective.

Tableau 39.16 Produits chimiques à considérer en priorité pour l'identification des
installations présentant des risques d'accident majeur

Dénomination

Quantité (>)

No  dans la directive CE

Substances inflammables en général

Gaz inflammables

    200 t

124

Liquides hautement nflammables

50 000 t

125

Substances inflammables particulières

Hydrogène

      50 t

24

Oxyde d’éthylène

      50 t

25

Substances explosibles

Nitrate d’ammonium

  2 500 t

146 a

Nitroglycérine

       10 t

132

Trinitrotoluène

       50 t

145

Substances toxiques

Acrylonitrile

     200 t

  18

Ammoniac

     500 t

  22

Chlore

       25 t

  16

Dioxyde de soufre

     250 t

148

Sulfure d’hydrogène

       50 t

  17

Cyanure d’hydrogène

       20 t

  19

Sulfure de carbone

     200 t

  20

Acide fluorhydrique

       50 t

  94

Acide chlorhydrique

     250 t

149

Trioxyde de soufre

       75 t

180

Substances très toxiques

Isocyanate de méthyle

     150 kg

  36

Dichlorure de carbonyle (phosgène)

     750 kg

  15

Source: BIT, 1993.

Cette liste doit permettre de recenser un certain nombre d’ins-tallations présentant des risques d’accident majeur. Si le nombre de ces installations est trop grand en regard des moyens dont disposent les autorités, il conviendra d’établir de nouvelles priorités en relevant les quantités seuils indiquées. On peut appliquer le même principe dans les entreprises pour délimiter des périmètres critiques. Vu la diversité et la complexité des activités industrielles en général, il est impossible de considérer que les installations comportant des risques d’accident majeur se limitent à certains secteurs. Toutefois, l’expérience montre que ces installations se rencontrent principalement dans:

LA PRÉPARATION AUX CATASTROPHES

Peter J. Baxter

Au cours des vingt dernières années, les efforts déployés pour tenter d’atténuer l’impact des catastrophes — le plus souvent par des mesures de secours largement improvisées après coup — se sont peu à peu réorientés vers la prévision et la préparation. C’est de cette démarche que s’inspire en particulier le programme de la Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles (DIPCN) proclamée par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Désormais, tout plan global de gestion des risques de catastrophes naturelles et technologiques comporte donc les quatre étapes ci-après:

Pour se préparer aux catastrophes, il faut non seulement prendre des mesures de prévention ou de réduction des risques, mais aussi anticiper les situations d’urgence et développer les moyens d’intervention. L’étude des dangers et l’évaluation de la vulnérabilité sont deux activités scientifiques qui doivent servir de base aux actions concrètes décidées par les services d’intervention, en collaboration avec les planificateurs, pour réduire les risques et se préparer aux urgences.

La plupart des professionnels de la santé considèrent que leur rôle en matière de préparation aux catastrophes se limite à prévoir les soins d’urgence à dispenser à un grand nombre de victimes. Si l’on veut, à l’avenir, réduire de façon radicale l’impact des catastrophes, il faudra bien pourtant que le secteur de la santé soit associé à l’élaboration des mesures préventives et à toutes les étapes de la planification préalable, aux côtés des scientifiques, des ingénieurs et des décideurs. Cette approche interdisciplinaire pose un défi de taille au secteur de la santé en ce début de siècle, alors que les catastrophes, naturelles ou engendrées par l’activité humaine, se font de plus en plus destructrices et entraînent des pertes humaines et matérielles sans cesse plus lourdes étant donné l’expansion des populations dans le monde entier.

Les catastrophes naturelles soudaines ou de survenue rapide comprennent les phénomènes météorologiques extrêmes (inondations et vents violents), les tremblements de terre, les glissements de terrain, les éruptions volcaniques, les tsunamis et les incendies, qui ont tous à peu près les mêmes conséquences. La famine, la sécheresse et la désertification, en revanche, sont des processus plus lents, encore très mal compris aujourd’hui, et moins faciles à maîtriser. A l’heure actuelle, ce sont les guerres ou les catastrophes dites complexes (Soudan, Somalie ou ex-Yougoslavie, par exemple) qui sont les principales causes de la famine.

Les catastrophes naturelles et les catastrophes complexes ont en commun qu’elles provoquent des déplacements massifs de populations dont les besoins nutritionnels et sanitaires nécessitent une gestion spécialisée.

Le monde moderne est aussi de plus en plus habitué aux catastrophes technologiques ou d’origine humaine, comme la pollution atmosphérique, les incendies et les accidents chimiques et nucléaires, ces derniers étant les plus graves aujourd’hui. Le présent article porte sur la prévention des catastrophes chimiques, les accidents nucléaires étant abordés ailleurs dans la présente Encyclopédie.

Les catastrophes naturelles soudaines

Dans cette catégorie, les catastrophes les plus destructrices sont les inondations, les ouragans, les tremblements de terre et les éruptions volcaniques. On a déjà largement fait état des succès obtenus en matière de prévention grâce aux systèmes d’alerte rapide, à la cartographie des risques et aux techniques de construction parasismiques. Ainsi, c’est la surveillance météorologique par satellite à l’échelle de la planète, conjuguée à un système régional d’alerte rapide et à une bonne planification des évacuations, qui explique les pertes humaines relativement réduites (14 morts) recensées après le passage du cyclone Hugo, le plus violent enregistré jusqu’ici dans les Caraïbes, sur la Jamaïque et les îles Caïmans, en 1988. De même, en 1991, lors d’une éruption volcanique parmi les plus violentes du siècle, l’alerte donnée par les scientifiques philippins qui surveillaient de près le Pinatubo a permis de sauver des milliers de vies humaines. Mais le recours à la technologie n’est que l’un des aspects des dispositions qui peuvent être prises pour limiter les conséquences d’un sinistre. Les lourdes pertes humaines et économiques engendrées par les catastrophes dans les pays en développement soulignent le rôle déterminant que jouent les facteurs socio-économiques à cet égard, principalement la pauvreté et, par conséquent, la nécessité d’en tenir compte dans la mesure où ils contribuent à accroître la vulnérabilité.

Dans tous les pays, prévenir les catastrophes naturelles est une priorité parmi d’autres. C’est un objectif auquel on peut contribuer de différentes façons — techniques de construction, législation, éducation, etc. — dans le cadre d’un programme général de réduction des risques et de promotion d’une véritable culture de la sécurité dans l’ensemble de la société. C’est aussi une garantie de qualité des investissements (dans l’immobilier et les projets d’équipement, par exemple), indissociable de toute politique de développement durable.

Les catastrophes technologiques

Il est évidemment impossible d’empêcher une catastrophe naturelle, c’est-à-dire un phénomène géologique ou météorologique, de se produire.

En revanche, on peut faire beaucoup pour prévenir les catastrophes technologiques en réduisant les risques lors de la conception des installations et en établissant des normes de sécurité très strictes. La directive européenne de Seveso constitue un exemple de ce type de réglementation, qui impose en outre l’adoption de plans d’intervention, à l’intérieur et à l’extérieur des établissements, pour faire face aux situations d’urgence.

Les accidents chimiques majeurs comprennent notamment les explosions de vapeurs ou de gaz inflammables, les incendies et les rejets de substances toxiques à partir d’installations dangereuses fixes ou pendant le transport et la distribution de produits chimiques. On s’est beaucoup intéressé, en particulier, au stockage de grandes quantités de gaz toxiques (dont le plus courant, le chlore, lorsqu’il est libéré brusquement à la suite d’une rupture de réservoir ou d’une fuite sur une canalisation, peut former de gros nuages toxiques plus lourds que l’air, capables de se déplacer sur de grandes distances dans le lit du vent); des modèles informatiques ont été mis au point pour étudier la dispersion des gaz denses en cas de dégagements soudains, dont on se sert pour établir des plans d’intervention. De même que l’on s’emploie actuellement à élaborer des scénarios prédictifs de dommages sismiques, on pourrait aussi se servir de ces modèles pour déterminer le nombre de victimes éventuelles d’une émission accidentelle prévisible.

La prévention des catastrophes

La notion de catastrophe a été définie comme un bouleversement de l’environnement d’une collectivité humaine qui empêche celle-ci de fonctionner normalement. Il ne s’agit pas simplement d’un problème d’ordre quantitatif, comme celui que poserait, par exemple, la prise en charge d’un grand nombre de victimes par les services de santé ou d’intervention. C’est une situation à laquelle la collectivité concernée est incapable de faire face, pour des raisons qualitatives, sans une aide extérieure d’origine nationale ou internationale. Le terme catastrophe est trop souvent utilisé sans discernement pour décrire un incident grave, fortement médiatisé ou de nature politique, alors qu’il désigne en fait un véritable effondrement de la collectivité frappée par l’événement. Dans cette optique, la préparation aux catastrophes vise donc à permettre une continuité de fonctionnement en cas de crise, en évitant notamment la dislocation des services essentiels, afin de réduire la morbidité et la mortalité humaines ainsi que les pertes économiques. Une catastrophe peut se produire sans s’accompagner nécessairement d’un grand nombre de blessés graves, ainsi que l’illustre l’accident survenu dans une usine chimique à Seveso, en 1976 (lequel a donné lieu à une évacuation massive par crainte des effets nocifs à long terme d’une contamination du sol par la dioxine). L’expression «quasi-catastrophe» conviendrait peut-être mieux à certains événements qui n’engendrent parfois que des troubles psychologiques ou des réactions de stress (comme l’accident nucléaire de Three Mile Island, aux Etats-Unis, en 1979). Aussi longtemps que la terminologie n’aura pas été arrêtée, on s’en tiendra à la description donnée par Lechat des objectifs sanitaires de la gestion des catastrophes, à savoir:

La prévention des catastrophes ne saurait s’improviser; elle doit être structurée à tous les niveaux de l’administration (Etat, région, collectivités locales), selon des modalités qui peuvent varier dans la pratique, la responsabilité de son organisation étant par exemple confiée, dans certains cas, à des organes déjà en place comme les forces armées ou les services de protection civile. Dans les pays où les risques naturels sont élevés, tous les ministères ou presque sont concernés.

Lorsqu’il existe un système national de prévention des risques naturels, c’est dans ce cadre qu’il convient d’aménager le dispositif d’intervention en cas de catastrophe technologique, plutôt que de créer des instances entièrement nouvelles. Le Centre d’activité du Programme pour l’industrie et l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE/IE/ PAC) a créé à cette fin le Programme d’information et de préparation au niveau local: un processus pour répondre aux accidents technologiques (APELL) (Awareness and Preparedness for Emergencies at Local Level: A Process for responding to technological accidents (APELL)), fruit d’une action concertée entre l’industrie et les pouvoirs publics en vue de prévenir les accidents technologiques et de réduire leurs effets dans les pays en développement, en faisant prendre conscience des risques présentés par certaines installations et en contribuant à l’établissement de plans d’intervention en cas d’urgence.

L’évaluation des dangers

Que ce soit dans un pays comme le Royaume-Uni, relativement peu exposé aux risques naturels en dehors des vents violents et des inondations, ou comme les Philippines, régulièrement frappées par toute une série de calamités qui constituent une sérieuse menace pour l’économie et même pour la stabilité politique du pays, il convient d’évaluer systématiquement la probabilité et les répercussions éventuelles des différents types de catastrophes naturelles. Partout dans le monde, chaque danger doit faire l’objet d’une évaluation scientifique portant au moins sur les points suivants:

Dans les régions très exposées aux tremblements de terre, aux éruptions volcaniques et aux inondations, les experts doivent établir des cartes des zones dangereuses afin de prévoir le lieu et l’impact d’une catastrophe éventuelle. Ces études serviront ensuite, d’une part, à réglementer l’occupation des sols de manière à réduire les risques à long terme, d’autre part, à planifier la gestion des situations d’urgence. Dans la plupart des pays en développement, la cartographie des risques sismiques et volcaniques est encore balbutiante. La développer est l’un des principaux objectifs de la Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles.

Dans le cas des risques naturels, l’évaluation des dangers nécessite une étude détaillée des catastrophes enregistrées au cours des siècles passés et un vaste travail géologique sur le terrain, afin de relever les traces des phénomènes majeurs, tels que tremblements de terre et éruptions volcaniques, jusqu’aux temps les plus reculés. Cela dit, il ne suffit pas de savoir comment se sont déroulés ces phénomènes dans le passé pour pouvoir prédire de façon infaillible la probabilité qu’ils ont de se reproduire à l’avenir. Il existe des méthodes hydrologiques agréées pour prévoir les inondations et il est facile de repérer bon nombre de zones dangereuses de ce point de vue, simplement parce qu’elles se situent dans des plaines inondables bien délimitées. Dans le cas des cyclones tropicaux, le relevé des zones littorales touchées permet d’évaluer la probabilité qu’un ouragan frappe en un point précis de la côte au cours d’une année, et l’on peut aussi prévoir efficacement la trajectoire et la vitesse d’un ouragan au moins 72 heures avant qu’il ne s’abatte sur le sol, pour peu qu’une surveillance soit déclenchée dès sa formation. On sait par ailleurs que les tremblements de terre, les éruptions volcaniques et les pluies torrentielles sont souvent accompagnés de glissements de terrain, et les études effectuées au cours des dix dernières années donnent de plus en plus de raisons de penser que ce risque est particulièrement élevé sur les versants de nombreux grands volcans en raison de l’instabilité des masses accumulées pendant les périodes d’activité.

En ce qui concerne les catastrophes technologiques, les collectivités publiques doivent faire l’inventaire des activités industrielles dangereuses exercées sur leur territoire. Nous connaissons désormais — car les exemples d’accidents majeurs ne manquent pas — les risques que peuvent présenter ces activités en cas de dysfonctionnement d’un processus ou de défaillance d’un système de sécurité. De nombreux pays industriels ont mis en place des plans d’intervention assez détaillés en prévision des accidents chimiques qui pourraient se produire.

L’évaluation des risques

L’évaluation des dangers et de leurs effets potentiels doit être suivie d’une évaluation des risques. Si le terme «danger» peut se définir comme la possibilité de causer un préjudice, le «risque» désigne quant à lui la probabilité qu’un phénomène naturel d’un type particulier et d’une ampleur donnée entraîne des morts, des blessés ou des dégâts matériels. Le risque peut se quantifier comme suit:

Risque = valeur × vulnérabilité × danger

la valeur représentant le nombre de vies ou le capital réel (bâtiments, par exemple) susceptibles d’être anéantis du fait de l’événement envisagé. Déterminer la vulnérabilité face aux catastrophes est une étape essentielle de l’évaluation des risques: pour les cons-tructions, il s’agit de mesurer la fragilité intrinsèque des structures exposées aux phénomènes naturels potentiellement dangereux. Ainsi, la probabilité qu’un immeuble s’écroule au cours d’un tremblement de terre peut être établie en fonction de son emplacement par rapport à la ligne de faille et de sa résistance structurelle aux secousses sismiques. Dans l’équation ci-dessus, le degré de perte résultant de la manifestation d’un phénomène naturel d’une ampleur donnée peut être mesuré sur une échelle allant de 0 (aucun dommage) à 1 (perte totale), tandis que le danger est le risque spécifique exprimé par la probabilité de la perte évitable par unité de temps. La vulnérabilité est donc la fraction de la valeur susceptible d’être détruite à la suite d’un événement donné. On peut l’analyser en se fondant, par exemple, sur l’inspection des constructions par des architectes et des ingénieurs dans les zones dangereuses. La figure 39.4 présente quelques courbes de risque caractéristiques.

Figure 39.4 Le risque est le produit du danger et de la vulnérabilité: courbes caractéristiques

Figure 39.4

Il est beaucoup plus difficile, à l’heure actuelle, d’apprécier la vulnérabilité en fonction des causes de mortalité et de traumatismes selon les différents types d’impacts; en effet, en l’absence de classification normalisée en la matière, les seules données dont on dispose, dans le cas également des tremblements de terre, sont des chiffres bruts qui ne permettent même pas d’établir un bilan exact des pertes. Un effort considérable de recherche épidémiologique reste donc à faire pour développer les bases scientifiques de la prévention des catastrophes.

On peut à présent représenter graphiquement, grâce au calcul mathématique d’échelles de risque, les zones les plus menacées de destruction en cas de séisme ou de chute de cendres d’origine volcanique; ce sont précisément celles où il faut concentrer les moyens de protection civile. L’évaluation des risques, conjuguée à l’analyse économique, joue ainsi un rôle déterminant dans le choix des options de prévention.

Outre les caractéristiques structurelles des ouvrages, l’autre aspect important de la vulnérabilité concerne les infrastructures et les services essentiels, à savoir:

En cas de catastrophe, ces services peuvent tous être anéantis ou lourdement endommagés. Toutefois, comme la nature de la force destructrice varie selon le danger naturel ou technologique, les mesures de protection doivent être conçues en fonction de l’évaluation des risques. Les techniques informatiques de représentation cartographique facilitent cette tâche.

En ce qui concerne la prévention et l’intervention en cas de catastrophe chimique, l’évaluation quantitative des risques permet de déterminer la probabilité d’une défaillance des installations et d’arrêter les mesures à prendre en se fondant sur des estimations chiffrées. Les techniques utilisées pour ce type d’analyse sont très perfectionnées, tout comme les méthodes de cartographie des zones à risque à proximité des installations dangereuses. Il existe des moyens de prédire les ondes de pression et les concentrations de chaleur rayonnée à différentes distances du lieu d’explosion possible de vapeurs ou de gaz inflammables, ainsi que des modèles informatiques permettant de calculer, en fonction des conditions météorologiques et de la quantité de produit s’échappant d’une cuve ou d’une installation, la concentration des gaz plus lourds que l’air poussés par le vent à des kilomètres du point d’émission. Dans ce cas, la vulnérabilité dépend principalement de la proximité des habitations, des écoles, des hôpitaux et d’autres établissements importants. Il convient d’évaluer les risques individuels et collectifs associés aux différents types de catastrophes et d’en informer la population locale dans le cadre du plan général de prévention.

La réduction des risques

Après avoir évalué la vulnérabilité, il faut trouver les moyens de l’atténuer et de réduire le risque global.

Il existe pour cela toute une série de mesures techniques adaptées aux circonstances. Ainsi, dans les zones exposées aux tremblements de terre, les nouvelles constructions devraient répondre aux normes parasismiques et les anciens bâtiments mis en conformité avec les exigences de cette réglementation. Les hôpitaux peuvent être transférés sur d’autres sites ou «renforcés» pour offrir une plus grande résistance à des phénomènes comme les tempêtes de vent, par exemple. Dans toutes les zones exposées à des vents violents ou à des éruptions volcaniques, les plans d’aménagement doivent absolument prévoir de bonnes routes qui serviront de voies d’évacuation en cas d’urgence. A long terme, le plus important est de réglementer l’occupation des sols afin d’empêcher l’urbanisation des zones dangereuses comme les plaines inondables, les pentes de volcans en activité ou les abords de grands complexes chimiques. Il faut éviter d’accorder une confiance aveugle aux solutions techniques, car elles peuvent soit engendrer un faux sentiment de sécurité dans les zones dangereuses, soit aller à l’encontre du but recherché en augmentant le risque d’apparition de catastrophes en principe rares (construction de digues le long de cours d’eau sujets à de fortes crues, par exemple).

La préparation aux situations d’urgence

La planification et l’organisation des mesures de préparation aux situations d’urgence devraient incomber à une équipe pluridisciplinaire, active à l’échelon local, et être intégrées au plan général d’évaluation des dangers, de réduction des risques et d’intervention. En ce qui concerne la prise en charge des victimes, on sait très bien aujourd’hui qu’il faut parfois compter au moins trois jours, dans les pays en développement, avant que les équipes médicales venant de l’extérieur parviennent sur les lieux d’une catastrophe. Etant donné que la majorité des décès évitables surviennent dans les 24 à 48 premières heures, ces secours arrivent donc trop tard. C’est pourquoi il convient de mettre l’accent avant tout sur les ressources locales pour que les collectivités concernées puissent engager elles-mêmes immédiatement les opérations de sauvetage et de secours, si nécessaire.

Dans cette optique, la préparation aux situations d’urgence passe obligatoirement par l’information de la population.

L’information et les communications

Compte tenu des dangers et des risques, il est essentiel de mettre en place un système d’alerte rapide et de planifier l’évacuation des zones à haut risque en cas de situation critique. Un tel système suppose que l’on organise au préalable des filières de communication entre les différents services d’intervention aux niveaux local et national, ainsi qu’un circuit officiel de diffusion de l’information. D’autres mesures, comme la constitution de réserves d’aliments et d’eau dans les foyers, peuvent également être envisagées.

Il est important que les habitants des zones situées à proximité d’installations dangereuses sachent comment ils seront avertis de l’existence d’une situation d’urgence (déclenchement d’une sirène en cas d’émission de gaz toxiques, par exemple) et quel comportement ils devront alors adopter (rentrer chez eux immédiatement, fermer les fenêtres et ne pas sortir avant d’y être autorisés). En cas d’accident chimique, il est indispensable de pouvoir définir rapidement le risque sanitaire résultant d’un rejet toxique, c’est-à-dire identifier le ou les produits chimiques en cause, se renseigner sur leurs effets immédiats et à long terme, et déterminer, le cas échéant, si la population a été exposée. L’établissement de lignes de communication avec les centres antipoison et les services médicaux spécialisés dans le traitement des intoxications chimiques est une mesure essentielle à prévoir. Malheureusement, il est parfois difficile, voire impossible, de savoir quelles sont les substances entrant en jeu dans des réactions d’emballement ou dans des incendies d’origine chimique; même si le produit est facilement identifiable, il arrive que l’on connaisse mal, voire pas du tout, sa toxicité chez l’être humain, en particulier ses effets à long terme, comme on a pu le constater après le rejet accidentel de méthylisocyanate à Bhopal. Or, il est certain que l’absence d’informations sur les risques encourus rend extrêmement difficile la prise en charge médicale des victimes et de la population exposée, ou encore la décision d’évacuation.

Sachant que toutes les données toxicologiques disponibles ne seront peut-être pas suffisantes pour faciliter la prise de décisions en cas d’accident majeur ou même d’incident limité où un risque d’exposition «aiguë» est suspecté, il importe de constituer à l’avance une équipe pluridisciplinaire qui sera chargée de recueillir toutes les informations utiles, d’entreprendre rapidement une évaluation des risques pour la santé et d’apprécier la situation de l’environnement, afin d’éviter la contamination du sol, de l’eau et des récoltes. Les personnes qui la composeront devront avoir les compétences voulues pour confirmer la nature du rejet chimique et effectuer les études d’impact que requiert la situation.

Dans le cas des catastrophes naturelles, l’épidémiologie est également très utile pour l’évaluation des besoins sanitaires ultérieurs et pour la surveillance des maladies infectieuses. La collecte d’informations sur les conséquences de la catastrophe est un travail scientifique qui devrait également être intégré au plan d’intervention et confié à une équipe spécialement désignée à cet effet. Très importants pour la coordination des secours, ces renseignements le sont aussi dans la mesure où ils peuvent contribuer à l’amélioration du plan d’intervention.

Le commandement et les communications

Quel que soit le partage des responsabilités en matière d’intervention et de coordination des opérations, variable selon les pays et les circonstances, il doit être décidé à l’avance. Sur les lieux du sinistre, on pourra installer le poste de commandement ou de coordination dans un véhicule particulier; il conviendra d’assurer des contacts par radio entre les différentes équipes en cas de saturation ou de défaillance des lignes téléphoniques.

Le plan hospitalier en cas d’accident majeur

Il faut évaluer la capacité d’intervention des hôpitaux en cas d’accident majeur, compte tenu de leurs effectifs, de leurs infrastructures (salles, lits disponibles, etc.) et de leurs moyens de traitement (médicaments et matériel). Les hôpitaux devraient eux aussi disposer de plans d’urgence détaillés pour faire face à l’arrivée soudaine d’un grand nombre de victimes et être en mesure, le cas échéant, d’envoyer des équipes volantes sur le terrain pour aider les sauveteurs à dégager les survivants et à procéder au tri des blessés. Il peut arriver que les grands hôpitaux ne soient plus à même de remplir leur mission en raison des dommages causés par la catastrophe, comme ce fut le cas lors du tremblement de terre à Mexico en 1985, et qu’il faille dès lors, dans un premier temps, les remettre en état et les aider à rétablir leurs services. Dans l’éventualité d’un accident chimique, il est important d’établir des contacts préalables avec les centres antipoison et de pouvoir compter plus généralement sur le concours d’un vaste éventail de professionnels de la santé, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone sinistrée, pour assurer une bonne prise en charge des victimes. Enfin, le plan hospitalier doit aussi prévoir les moyens qui permettront de faire parvenir rapidement du matériel et des médicaments aux équipes d’intervention sur le terrain.

Le matériel d’intervention

Il importe de recenser à l’avance le matériel dont les équipes de recherche et de sauvetage auront besoin dans telle ou telle circonstance, et de déterminer l’emplacement où il sera entreposé, pour pouvoir être en mesure de le déployer si nécessaire dans les premières 24 heures, période pendant laquelle on peut sauver le plus grand nombre de vies. Il faudra aussi pouvoir disposer sans délai des médicaments et du matériel médical d’urgence, ainsi que des équipements de protection individuelle destinés aux équipes d’intervention et au personnel de santé présents sur le terrain. Le concours d’ingénieurs capables de rétablir rapidement l’approvisionnement en eau et en électricité, les communications et le trafic routier peut aussi contribuer dans une large mesure à atténuer les conséquences les plus graves d’une catastrophe.

Le plan d’intervention

Les différents services d’intervention, ainsi que les organismes chargés de la santé publique, de l’hygiène du travail et de la protection de l’environnement devraient tous posséder leurs propres plans en cas de catastrophe; ceux-ci formeront, ensemble, le dispositif général d’action. Outre les procédures établies par les hôpitaux, il faut prévoir des plans d’intervention spécifiques pour différents types de catastrophes, compte tenu des résultats de l’analyse des dangers et des risques. Des protocoles thérapeutiques devraient être élaborés pour les diverses catégories de lésions et de traumatismes envisagés: syndromes d’écrasement dus à l’écroulement des bâtiments en cas de tremblement de terre, brûlures et lésions internes causées par l’inhalation de substances toxiques en cas d’éruption volcanique, par exemple. En ce qui concerne les accidents chimiques, il faudrait définir au préalable des procédures de tri médico-chirurgical et de décontamination et prévoir l’administration éventuelle d’antidotes, ainsi que le traitement d’urgence des lésions pulmonaires aiguës causées par des gaz toxiques irritants. Les mesures arrêtées devraient être suffisamment souples pour s’adapter aux situations d’urgence liées au transport de substances toxiques, en particulier dans les régions où il n’y a pas d’installations fixes qui obligeraient normalement les autorités à élaborer des plans d’intervention détaillés. Le traitement d’urgence des lésions dues à des agressions mécaniques et chimiques est un aspect essentiel de l’intervention des services de santé; il nécessite une formation spéciale du personnel hospitalier en médecine des catastrophes.

D’autres dispositions sont également à prévoir pour l’implantation des centres d’évacuation et la prise en charge des personnes évacuées, notamment sur le plan médical. La prévention et le traitement du stress, chez les victimes comme chez ceux qui leur portent secours, ne devraient pas non plus être négligés. Dans certains cas, les troubles psychologiques sont les principaux effets, sinon les seuls, observés sur la santé des populations concernées, en particulier lorsque les mesures prises pour faire face à la crise engendrent elles-mêmes une anxiété excessive. Ce type de problème se pose aussi dans le cas des accidents chimiques et des accidents dus aux rayonnements, mais il peut être limité si on sait l’anticiper.

La formation

Le personnel médical et les autres professionnels de la santé, dans les hôpitaux et les centres de soins primaires, ne sont généralement pas familiarisés avec les interventions d’urgence en situation de catastrophe. Tout comme les membres des autres services de secours, ils devraient donc recevoir une formation pour s’y préparer. Les exercices sur table sont très utiles à cet égard, à condition d’être aussi réalistes que possible, car les simulations à grande échelle sont souvent d’un coût prohibitif.

Le retour à la normale après l’événement

On entend par là le retour de la zone frappée par la catastrophe à l’état dans lequel elle se trouvait auparavant, grâce à une série d’actions sur le plan social, économique, psychologique et écologique qu’il convient de planifier à l’avance. Pour les accidents chimiques, cette phase comprend en outre la recherche d’agents susceptibles d’avoir contaminé l’eau et les sols, ainsi que la mise en œuvre des mesures de décontamination que requiert éventuellement la situation.

Conclusion

Par rapport aux interventions de secours, les efforts de préparation aux catastrophes ont été relativement peu encouragés jusqu’ici à l’échelle internationale; pourtant, malgré leur coût non négligeable, les mesures de protection bénéficient désormais d’un vaste corpus de connaissances scientifiques et techniques dont l’application rigoureuse devrait permettre d’atténuer sensiblement les conséquences sanitaires et économiques des catastrophes dans tous les pays.

LES ACTIONS À PRÉVOIR APRÈS UNE CATASTROPHE

Benedetto Terracini et Ursula Ackermann-Liebrich

Les accidents industriels peuvent frapper aussi bien les travailleurs présents à l’intérieur des installations où ils surviennent que les personnes vivant à proximité. Lorsqu’un accident entraîne le dégagement de substances polluantes, la population menacée peut dépasser largement l’effectif de l’entreprise, posant ainsi des problèmes de logistique complexes que le présent article se propose d’étudier.

Plusieurs raisons amènent à quantifier les effets sanitaires d’un accident:

La caractérisation des accidents en fonction de leurs conséquences pour la santé

Les accidents écologiques regroupent un vaste éventail d’événements pouvant survenir dans les circonstances les plus diverses; ce sont parfois des changements du milieu ambiant ou la survenue de certaines maladies qui amènent à déceler ou à soupçonner leur existence. Dans un cas comme dans l’autre, la preuve (ou l’indice) qu’il s’est produit «quelque chose d’anormal» peut apparaître soit brusquement (par exemple, l’incendie de l’entrepôt de la société Sandoz à Schweizerhalle (Suisse) en 1986, ou l’apparition du «syndrome de l’huile toxique» en Espagne en 1981), soit de façon insidieuse (par exemple, l’augmentation du nombre des cas de mésothéliome par suite d’une exposition à l’amiante — dans l’environnement et non sur le lieu de travail — à Wittenoom (Australie)). En tout temps et en toute circonstance, cependant, l’incertitude et l’ignorance prévalent généralement quant à l’ampleur des conséquences sanitaires et à l’évolution future de la situation.

Trois facteurs doivent être pris en compte pour évaluer l’impact d’un accident sur la santé humaine:

  1. La nature de la ou des substances rejetées, leurs propriétés toxiques et le risque engendré par leur rejet;
  2. Les réactions personnelles à la catastrophe;
  3. Les mesures prises pour faire face à la situation (Bertazzi, 1991).

Il peut être difficile de déterminer la nature et l’ampleur du rejet, ainsi que l’aptitude du produit à pénétrer et à cheminer par diverses voies dans le milieu humain, notamment à travers la chaîne alimentaire et l’approvisionnement en eau. Vingt ans après l’accident, la quantité de 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p -dioxine (TCDD) rejetée à Seveso, le 10 juillet 1976, continue de faire l’objet d’un débat. En outre, comme on connaissait mal à l’époque la toxicité de ce produit, toutes les prévisions faites au lendemain de la catastrophe étaient nécessairement problématiques.

Par réaction personnelle à une catastrophe, on entend la peur, l’anxiété et la détresse (Ursano, McCaughey et Fullerton, 1994) éprouvées à la suite de l’accident, quels que soient la nature du danger et le risque effectivement encouru. Il s’agit aussi bien de modifications conscientes, justifiées ou non, du comportement (telle la baisse marquée du taux de natalité dans de nombreux pays d’Europe occidentale en 1987, après la catastrophe de Tchernobyl) que de troubles psychologiques (par exemple, les symptômes de détresse observés chez des enfants et des soldats israéliens à la suite d’un dégagement de sulfure d’hydrogène dû au mauvais fonctionnement des latrines dans une école de Cisjordanie en 1981). Des facteurs subjectifs influent aussi sur les réactions à l’accident: ainsi, à Love Canal, on a constaté que les jeunes parents peu habitués à la présence de produits chimiques dans leur cadre de travail étaient plus enclins à quitter la région que les gens plus âgés ayant des enfants adultes.

Enfin, un accident peut avoir un effet indirect sur la santé des personnes exposées soit en créant d’autres dangers (liés à une évacuation, par exemple), soit, paradoxalement, en induisant des réactions positives à certains égards (comme chez ceux que le contact avec les équipes médicales incite à arrêter de fumer).

L’évaluation de l’impact d’un accident

Tout accident doit faire l’objet d’une évaluation de ses conséquences effectives ou potentielles pour les personnes exposées ainsi que pour les animaux domestiques ou sauvages, évaluation qu’il est parfois nécessaire de mettre à jour périodiquement. Dans la réalité, cependant, la précision, l’étendue et la nature des données que l’on peut recueillir à cette fin dépendent de nombreux facteurs, mais il faut savoir que l’importance des ressources disponibles joue ici un rôle déterminant. Ainsi, des accidents présentant la même gravité ne reçoivent pas tous la même attention selon les pays, car il n’est pas toujours possible de leur consacrer des ressources jusque-là réservées à d’autres problèmes sanitaires ou sociaux. La coopération internationale devrait normalement remédier en partie à ce déséquilibre, mais elle ne se manifeste en fait que dans les situations particulièrement dramatiques ou qui présentent un intérêt scientifique exceptionnel.

L’impact global d’un accident sur la santé est extrêmement variable. La nature des états pathologiques engendrés (qui peuvent aller jusqu’à entraîner la mort), la taille de la population exposée et le taux de morbidité en déterminent la gravité, celle-ci étant d’autant plus difficile à démontrer sur le plan épidémiologique qu’elle tend à devenir négligeable.

Parmi les sources de données qui permettent d’évaluer les conséquences sanitaires d’un accident, les statistiques existantes viennent au premier rang (il faut toujours songer à y recourir avant d’envisager la création de nouvelles bases de données). On peut tirer d’autres renseignements d’études épidémiologiques analytiques et conjecturales, fondées ou non sur les statistiques courantes. Lorsqu’il n’existe pas de système de surveillance médicale en milieu professionnel, l’accident peut être l’occasion d’en instaurer un, permettant ainsi de protéger les travailleurs contre d’autres dangers potentiels pour leur santé.

Il est indispensable de dresser une liste exhaustive des personnes exposées aux fins de la surveillance clinique (à court et à long terme) et de l’indemnisation des victimes. Cette tâche est relativement simple lorsque l’accident est circonscrit au périmètre des installations ou lorsqu’on peut se fonder sur le critère du lieu de résidence pour identifier la population touchée (habitants d’une commune ou d’une collectivité plus restreinte, si possible). Elle peut s’avérer plus difficile dans d’autres circonstances, surtout quand il faut établir une liste des personnes présentant des symptômes susceptibles d’être liés à l’accident. Après l’apparition du syndrome de l’huile toxique en Espagne, on a utilisé la liste des 20 000 demandeurs d’indemnisation pour dresser celle des personnes qui devraient faire l’objet d’un suivi clinique de longue durée, laquelle a été ensuite corrigée au vu des dossiers médicaux. Etant donné la publicité donnée à l’incident, on estime que cette liste reflète assez fidèlement la réalité.

L’évaluation des conséquences d’un accident exige en outre une démarche rationnelle, précise et facile à expliquer à la population. Sachant que la période de latence des maladies peut aller de quelques jours à quelques années, on peut, lorsque certaines conditions sont remplies, émettre des hypothèses suffisamment précises sur la nature et la probabilité des manifestations morbides pour élaborer un programme de surveillance clinique et d’études ad hoc répondant à l’un ou l’autre des objectifs évoqués au début du présent article. Les conditions en question — identification rapide de l’agent rejeté, connaissance de ses caractéristiques dangereuses à court et à long terme, quantification du rejet et appréciation des différences de réactions d’un individu à l’autre — sont toutefois rarement réunies dans la pratique, ce qui rend d’autant plus difficile, dans le climat d’incertitude et d’ignorance qui en découle, de résister à la pression de l’opinion publique et des médias en faveur de mesures de prévention ou de soins médicaux dont l’utilité reste à prouver.

Enfin, dès qu’un accident se trouve confirmé, il convient de mettre sur pied une équipe pluridisciplinaire (regroupant cliniciens, chimistes, hygiénistes du travail, épidémiologistes et spécialistes en toxicologie humaine et expérimentale) qui devra rendre compte aux autorités et au public. Le choix des experts dépend des produits chimiques et des procédés susceptibles d’être en cause, lesquels sont en principe très nombreux et peuvent donc engendrer différentes formes de toxicité mettant en jeu toute une série de systèmes biochimiques et physiologiques.

L’utilisation des statistiques courantes

Les indicateurs de santé couramment utilisés (mortalité, natalité, admissions à l’hôpital, congés de maladie et consultations médicales) peuvent renseigner rapidement sur les conséquences d’un accident à condition de pouvoir être établis pour la région touchée, ce qui n’est évidemment pas possible s’il s’agit, comme dans bien des cas, d’une zone trop restreinte pour coïncider avec une unité administrative. En outre, bien que les corrélations statistiques mises en évidence par ces indicateurs soient souvent l’indice d’une causalité entre l’accident et certaines manifestations observées dans les jours ou les semaines qui suivent, elles ne permettent pas nécessairement de conclure à l’existence d’une intoxication (l’augmentation du nombre de consultations médicales, par exemple, peut être davantage motivée par la peur que par l’apparition de troubles bien réels). Comme toujours, il faut donc faire preuve de prudence dans l’interprétation des données statistiques.

Tous les accidents ne font pas des morts, mais la mortalité est une valeur seuil aisément quantifiable soit par dénombrement direct (comme à Bhopal), soit par comparaison entre les observations et les prévisions (dans le cas des pics de pollution de l’air en zone urbaine, par exemple). Lorsqu’on s’est assuré qu’un accident n’a pas provoqué une hausse immédiate de la mortalité, on est mieux à même d’évaluer la gravité de son impact et de se concentrer sur ses conséquences non mortelles. De plus, les statistiques dont on a besoin pour établir des prévisions de mortalité existent dans la plupart des pays et permettent de faire des estimations pour des régions même restreintes, comme celles qui sont généralement touchées par un accident. Il est plus difficile, en revanche, d’évaluer la mortalité due à des états pathologiques particuliers, car la connaissance qu’ont les médecins des maladies dont l’incidence est censée augmenter à la suite de l’accident risque d’infléchir leur diagnostic des causes de décès.

C’est donc dire que, pour interpréter les indicateurs de santé à partir des sources de données existantes, il faut concevoir des analyses spéciales et, notamment, étudier tous les facteurs de confusion possibles.

On se demande parfois, dans la période qui suit immédiatement un accident, s’il y a lieu de créer un registre des cancers ou des malformations dans la population. Pour ces états pathologiques particuliers, ces nouveaux registres peuvent en effet fournir des données plus fiables que d’autres statistiques courantes (mortalité ou admissions à l’hôpital, par exemple), surtout s’ils sont tenus selon des normes internationalement acceptables. Leur mise en œuvre exige toutefois une réaffectation des ressources. En outre, si l’on crée un registre des malformations après un accident, il ne sera probablement guère capable, en l’espace de neuf mois, de produire des données comparables à celles d’autres registres, ce qui entraînera une série de problèmes d’inférence (en particulier des erreurs statistiques de type II). Au bout du compte, la décision dépendra donc en grande partie des preuves de cancérogénicité, d’embryotoxicité ou de tératogénicité que l’on aura pour les substances dangereuses rejetées, ainsi que des autres usages possibles des ressources disponibles.

Les études épidémiologiques ad hoc

A supposer même que l’on puisse connaître avec la plus grande précision les motifs des consultations médicales ou des admissions hospitalières dans une région donnée, les indicateurs ne pourront pas fournir toutes les données nécessaires pour évaluer les conséquences sanitaires d’un accident et déterminer les mesures médicales les plus appropriées. Certains états ou marqueurs particuliers de réactions individuelles n’exigent pas de contact avec le milieu médical ou ne correspondent pas aux classifications des maladies généralement utilisées dans les statistiques courantes, de sorte que leur présence est très difficile à déceler. Il arrive aussi que l’on doive compter parmi les «victimes» des sujets dont l’état se situe à la limite du pathologique. Enfin, il est souvent nécessaire d’étudier les différents protocoles thérapeutiques utilisés et d’évaluer leur efficacité. Ce n’est là qu’un petit échantillon de l’ensemble des problèmes qui peuvent justifier une enquête ad hoc. Quoi qu’il en soit, des dispositions devraient être prises pour pouvoir recevoir de nouvelles plaintes.

Les enquêtes diffèrent des soins en ce qu’elles ne sont pas directement liées à l’intérêt des sujets en tant que victimes de l’accident. Leur objectif étant de fournir des données fiables et de confirmer ou d’infirmer des hypothèses, c’est dans cette perspective qu’elles doivent être conçues. Si la pratique de l’échantillonnage peut paraître normale à des fins de recherche (à condition d’être acceptée par la population touchée), on ne saurait l’envisager lorsqu’il s’agit de dispenser des soins. Ainsi, en cas de déversement d’un agent soupçonné de porter atteinte à la moelle osseuse, le scénario sera radicalement différent selon que l’on cherchera à savoir: 1) si le produit en question entraîne effectivement une leucopénie; 2) si l’on a procédé à un dépistage exhaustif de la leucopénie chez les personnes exposées. Dans un environnement professionnel, on s’efforcera vraisemblablement de répondre aux deux questions; dans une population, la décision dépendra de la possibilité d’entreprendre une action efficace pour traiter les personnes touchées.

En principe, il faut disposer de compétences épidémiologiques suffisantes à l’échelon local pour pouvoir décider s’il est nécessaire ou non de mener des études ad hoc et, le cas échéant, les organiser et les superviser. Il se peut cependant que les autorités sanitaires, les médias ou la population ne soient pas convaincus de l’objectivité des spécialistes présents dans la région touchée, d’où la nécessité de faire appel dès le départ à des concours extérieurs. L’interprétation des données descriptives à partir des statistiques courantes et l’élaboration des hypothèses de causalité, si besoin est, devraient être effectuées par les mêmes épidémiologistes. Si cela n’est pas possible à l’échelon local, il faut obtenir la collaboration d’autres organismes (en général, les instituts nationaux de santé ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS)). Il est regrettable que certains incidents ne puissent être élucidés faute de pouvoir faire appel aux compétences requises.

Dès lors qu’une enquête épidémiologique apparaît nécessaire, il convient de se poser certaines questions préliminaires: A quoi les résultats serviront-ils? Est-il possible que le désir d’affiner les conclusions de l’étude envisagée retarde indûment les mesures de décontamination ou d’autres actions préventives? Le programme de recherche proposé doit-il d’abord être élaboré dans tous ses détails et évalué par l’équipe scientifique pluridisciplinaire (et peut-être par d’autres épidémiologistes)? Les personnes visées par l’étude seront-elles suffisamment bien informées au préalable pour que leur décision d’y participer soit prise en pleine connaissance de cause? Si l’on découvre l’existence d’un effet dommageable pour la santé, quel traitement offrira-t-on et selon quelles modalités?

Enfin, on entreprendra une étude prospective classique de la mortalité sur une cohorte de sujets en cas d’accident grave faisant craindre des effets ultérieurs. Les modalités pratiques de ce type d’étude varient selon les pays. En Europe, il est parfois possible d’identifier nominalement chaque personne (comme on l’a fait pour les populations rurales des îles Shetland, au Royaume-Uni, après le déversement d’hydrocarbures provoqué par l’accident du Braer ), mais on doit aussi, dans certains cas, contacter systématiquement toutes les familles des victimes pour identifier les mourants (par exemple, après l’apparition du syndrome de l’huile toxique en Espagne).

Le dépistage et les études de prévalence

Il est naturel de proposer un examen médical à toutes les personnes touchées par un accident qui pourrait avoir porté atteinte à leur santé. La recherche systématique dans la population exposée d’états pathologiques liés à l’accident (en vue de leur traitement) correspond à la définition habituelle du dépistage . Comme en d’autres circonstances, tout programme de dépistage mis en œuvre à la suite d’une catastrophe écologique obéit à certains principes et se caractérise par diverses possibilités et limites (indépendamment de la population visée, des signes à détecter et des moyens de diagnostic utilisés) (Morrison, 1985).

Il est aussi important d’évaluer la participation et de comprendre les motifs des non-réponses que de mesurer la sensibilité, la spécificité et la valeur prédictive des tests de diagnostic, de concevoir un protocole pour les examens complémentaires (au besoin) et d’administrer un traitement (si nécessaire). Faute de respecter ces principes, les programmes de dépistage à court et à long terme peuvent faire plus de mal que de bien. Les examens médicaux et les analyses de laboratoire inutiles sont un gaspillage de ressources et privent l’ensemble de la population des soins essentiels dont elle a besoin. C’est pourquoi il importe de bien veiller au départ et de s’assurer par la suite que le déroulement des opérations ne s’écarte pas des règles établies.

Les réactions émotionnelles et les incertitudes que suscitent les accidents écologiques peuvent compliquer encore les choses: dans les cas limites, le diagnostic perd généralement de sa spécificité, et certaines «victimes» s’estiment parfois en droit de recevoir un traitement, que celui-ci soit nécessaire ou non, voire utile. En dépit du chaos qui suit souvent un accident écologique, les programmes de dépistage devraient toujours obéir à quelques règles essentielles:

  1. Toutes les procédures à suivre devraient faire l’objet d’un protocole écrit (y compris les examens complémentaires et le traitement à assurer aux personnes affectées ou malades).
  2. Le programme devrait avoir un responsable désigné.
  3. La spécificité et la sensibilité des tests de diagnostic devraient avoir été évaluées au préalable.
  4. Les médecins qui participent au programme devraient coordonner leurs activités.
  5. Les taux de participation devraient être quantifiés et réexa-minés à intervalles réguliers.

Il est également utile d’estimer a priori l’efficacité de l’ensemble du programme pour décider de son opportunité (le diagnostic anticipé du cancer du poumon, par exemple, ne devrait pas être encouragé). En outre, des dispositions devraient être prises pour compléter la couverture des sujets.

Le dépistage peut présenter à tout moment un autre intérêt, qui est de déterminer la prévalence des états pathologiques existants pour pouvoir ensuite évaluer les conséquences de l’accident. Dans ce cas, la représentativité des personnes qui se soumettent elles-mêmes aux procédures de diagnostic constitue l’une des principales sources d’erreur, qui s’accroît avec le temps. La sélection de groupes témoins avec lesquels on puisse comparer les estimations pose également un problème, car elle peut être affectée d’autant de distorsions que l’échantillon des personnes exposées. Dans certaines circonstances, les études de prévalence sont toutefois extrêmement précieuses (surtout lorsque l’histoire naturelle de la maladie est inconnue, comme dans le cas du syndrome de l’huile toxique) et l’on peut faire appel à des groupes témoins extérieurs à l’étude, même s’ils ont été formés ailleurs à d’autres fins, en présence d’un problème important ou grave.

L’utilisation de substances biologiques à des fins épidémiologiques

A des fins descriptives, le prélèvement de substances biologiques (urine, sang, tissus) sur des personnes choisies dans la population exposée permet d’obtenir des marqueurs de la dose interne par définition plus précis (sans leur être toutefois entièrement substituables) que ceux obtenus par estimation des concentrations de polluants dans les différents milieux de l’environnement ou au moyen de questionnaires individuels. Là encore, toute évaluation devrait tenir compte des distorsions liées au manque de représentativité éventuel des sujets chez lesquels les échantillons biologiques ont été prélevés.

Le stockage d’échantillons biologiques peut s’avérer utile, ultérieurement, pour des études épidémiologiques spéciales exigeant une estimation de la dose interne (ou des effets immédiats) au niveau individuel. Il est donc capital de prélever ces échantillons peu de temps après l’accident (et de les conserver dans de bonnes conditions), même en l’absence d’hypothèses précises quant à leur utilisation. Le patient doit bien comprendre, pour donner son consentement en toute connaissance de cause, que les prélèvements biologiques que l’on va effectuer sur lui seront stockés en vue de tests non encore définis. On évitera d’avoir recours à ces spécimens pour certains tests (concernant les troubles de la personnalité, par exemple) afin de protéger les sujets sélectionnés.

Conclusion

L’intervention médicale et la conduite d’enquêtes épidémiologiques au sein d’une population touchée par un accident obéissent à des logiques qui peuvent être diamétralement opposées — évaluer l’impact d’agents dont le danger potentiel est établi et auxquels la population touchée est (ou a été) exposée, ou bien étudier les effets possibles d’agents supposés dangereux dont on soupçonne la présence dans une région donnée. Qu’il y ait des divergences entre spécialistes et, plus généralement, dans le public quant à la façon de percevoir un problème est tout simplement humain. Ce qui importe, en l’occurrence, c’est que toute décision soit dûment motivée et accompagnée d’un plan d’action transparent et qu’elle bénéficie du soutien de la collectivité à laquelle elle doit s’appliquer.

LES PROBLÈMES LIÉS AUX CONDITIONS MÉTÉOROLOGIQUES

Jean G. French

On a longtemps considéré les problèmes liés aux conditions météorologiques comme des phénomènes naturels, et les décès et les traumatismes qui en découlaient comme inévitables (voir tableau 39.17). Ce n’est qu’au cours des vingt dernières années que l’on s’est attaché à étudier ces facteurs de risque pour la vie et la santé de l’être humain sous l’angle de la prévention. Ces études étant récentes, les données dont nous disposons sont limitées, notamment en ce qui concerne le nombre et les circonstances des décès et des traumatismes attribuables aux phénomènes climatiques chez les travailleurs. L’article qui suit donne un aperçu des observations faites à ce jour.

Tableau 39.17 Risques professionnels liés conditions météorologiques

Evénements météorologiques

Catégories professionnelles

Agents biochimiques

Lésions traumatiques

Noyades

Brûlures/ coups de chaleur

Accidents de véhicules

Stress mental

Inondations
Ouragans



Policiers,
sapeurs-pompiers,
personnel d’intervention

Employés des transports

Travailleurs souterrains

Poseurs de lignes

Personnel de nettoyage



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*

Tornades

Policiers,
sapeurs-pompiers,
personnel d’intervention

Employés des transports

Personnel de nettoyage



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Incendies de forêts légers

Sapeurs-pompiers

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* Degré de risque.

Les inondations et les raz-de-marée

Les définitions, les causes et la survenue

Les inondations ont des causes diverses. Dans une région climatique donnée, on observe des différences considérables dans l’apparition et l’importance des crues en raison des fluctuations au sein même du cycle hydrologique et d’autres conditions naturelles ou artificielles (Chagnon, Schicht et Semorin, 1983). Selon la définition qu’en donne le Service météorologique des Etats-Unis (US National Weather Service), les crues soudaines ou torrentielles sont des crues de courte durée, caractérisées par des débits instantanés très supérieurs aux débits moyens et par un abondant transport de matériaux. Bien que la plupart des crues soudaines soient causées par une activité orageuse locale intense, certaines se produisent à l’occasion de cyclones tropicaux. Ce type de crue est souvent provoqué par les conditions atmosphériques qui influencent la durée et l’intensité de l’averse. Mais d’autres facteurs y contribuent également, comme la pente des versants en terrain montagneux, l’absence de végétation, la capacité d’infiltration insuffisante des sols, la présence d’embâcles d’origine végétale ou glaciaire, la fonte rapide des neiges, la rupture de barrages ou de digues, la rupture de poches d’eau glaciaires et les perturbations volcaniques (Marrero, 1979). Les crues fluviatiles peuvent aussi être influencées par ces facteurs, mais de façon plus insidieuse encore par les caractéristiques du lit des cours d’eau et par celles du sol et du sous-sol, ainsi que par l’ampleur des modifications artificielles dont il a été l’objet (Chagnon, Schicht et Semorin, 1983; Marrero, 1979). Les crues ou inondations côtières peuvent être causées par des ondes de tempête, qui résultent elles-mêmes d’un orage tropical ou d’un cyclone, ou encore par un afflux d’eau océanique à l’intérieur des terres, provoqué par un très fort vent. Le type de crue côtière le plus dévastateur est le tsunami, improprement appelé raz-de-marée, qui est provoqué par des tremblements de terre sous-marins ou par des éruptions volcaniques. La plupart des tsunamis déclarés sont survenus dans le Pacifique et dans la région côtière du Pacifique. Les îles Hawaï sont particulièrement exposées aux tsunamis du fait de leur situation au milieu de cet océan (Chagnon, Schicht et Semorin, 1983; Whitlow, 1979).

Les facteurs influant sur la morbidité et la mortalité

On estime que les inondations sont responsables de 40% des catastrophes dans le monde et qu’elles causent les dommages les plus lourds. L’inondation la plus meurtrière de mémoire d’homme est celle du fleuve Jaune en 1887: les eaux du fleuve ont franchi des digues de 21 m de hauteur et détruit 11 villes et 300 villages. La catastrophe aurait fait quelque 900 000 victimes. Plusieurs centaines de milliers de personnes pourraient aussi avoir péri en 1969 dans la province de Shandong en Chine, après qu’une onde de tempête eut poussé la marée montante vers l’amont du fleuve. A Rio de Janeiro, une crue soudaine a fait 1 500 victimes en janvier 1967. En 1974, des pluies torrentielles ont inondé le Bangladesh, causant 2 500 morts. En 1963, des précipitations intenses ont provoqué un énorme glissement de terrain dans le lac retenu par le barrage Vaiont, dans le nord de l’Italie, déversant 100 millions de tonnes d’eau par-dessus le barrage: 2 075 personnes ont péri (Frazier, 1979). En 1985, de 180 à 380 mm de pluie tombaient en 10 heures sur Porto Rico, tuant 180 personnes (French et Holt, 1989).

On s’est prémuni jusqu’à présent contre les crues fluviatiles au moyen d’ouvrages de génie civil et d’un reboisement accéléré des bassins hydrographiques (Frazier, 1979). Mais le nombre de crues soudaines a augmenté ces dernières années, au point de devenir le phénomène météorologique le plus meurtrier aux Etats-Unis. Le tribut de plus en plus lourd prélevé par les inondations a été attribué au peuplement et à l’urbanisation accrus des zones déjà exposées à ces perturbations (Mogil, Monro et Groper, 1978). C’est l’écoulement rapide d’eaux charriant de gros débris, comme des blocs de pierre et des troncs d’arbres, qui est responsable au premier chef de la morbidité et de la mortalité associées aux crues. Des études menées aux Etats-Unis ont montré que bien des gens se noyaient dans leur voiture lors des inondations parce qu’ils se trouvaient dans des zones basses ou traversaient des ponts inondés. Les voitures peuvent en effet tomber en panne dans l’eau ou rester coincées entre des débris, et leurs passagers se retrouver pris au piège tandis que le niveau de l’eau monte rapidement autour d’eux (French et coll., 1983). Des études de suivi menées auprès de victimes d’inondation montrent que celles-ci restent souvent marquées psychologiquement cinq ans encore après le drame (Melick, 1976; Logue, 1972). D’autres chercheurs ont relevé chez ces personnes une importante augmentation des cas d’hypertension, des maladies cardio-vasculaires, des lymphomes et des leucémies, phénomène qui, selon certains, serait lié au stress (Logue et Hansen, 1980; Janerich et coll., 1981; Greene, 1954). Les inondations peuvent aussi exposer la population à des agents biologiques ou chimiques lorsqu’elles provoquent la rupture des stations d’épuration et des réseaux d’évacuation des eaux usées, rompent les réservoirs souterrains, font déborder les sites de stoc-kage de déchets toxiques et favorisent la reproduction des vecteurs pathogènes et le déplacement de substances chimiques stockées sur terre (French et Holt, 1989).

Bien que, lors d’inondations, les travailleurs soient généralement exposés aux mêmes risques que l’ensemble de la population, certaines catégories professionnelles sont néanmoins plus exposées que d’autres. Ainsi, le personnel de nettoyage risque davantage d’entrer en contact avec des agents biologiques et chimiques; ceux qui travaillent sous terre, notamment dans des espaces confinés, peuvent se retrouver emprisonnés lors de crues soudaines; les chauffeurs de camion et autres travailleurs des transports peuvent périr coincés dans leur véhicule. Et, bien sûr, comme lors de toute autre catastrophe liée aux conditions météorologiques, les sapeurs-pompiers, la police et le personnel médical d’urgence sont également très exposés.

La prévention, le contrôle et les besoins en recherche

On peut prévenir les décès et les traumatismes causés par les inondations en identifiant les zones inondables, en les faisant connaître à la population et en donnant des conseils sur les mesures préventives à adopter; en inspectant régulièrement les barrages et les digues et en délivrant des certificats de sécurité; en déterminant les conditions météorologiques qui contribuent aux fortes précipitations et au ruissellement; en mettant en place un système d’alerte rapide dans certaines régions. On peut aussi prévenir les décès et les maladies attribuables à une exposition indirecte en s’assurant que les réserves d’eau et d’aliments sont propres à la consommation humaine et ne sont pas contaminées par des agents biologiques et chimiques, et en adoptant des méthodes sûres d’élimination des eaux usées sanitaires. Les sols entourant les sites d’enfouissement des déchets toxiques et les bassins de stockage des eaux usées devraient être inspectés pour établir s’il y a eu contamination par débordement (French et Holt, 1989). Bien que les programmes de vaccination massive soient inefficaces, il est indispensable que les employés des services de nettoyage et d’assainissement soient immunisés et instruits des mesures d’hygiène à observer.

Il faudrait par ailleurs améliorer la technologie de façon à accroître la précision, dans le temps et dans l’espace, des dispositifs d’alerte en cas de crue soudaine, et évaluer les conditions locales pour déterminer les modalités d’une éventuelle évacuation (en voiture ou à pied). Enfin, après une inondation, il serait bon de soumettre une cohorte de travailleurs à une étude dans le but d’évaluer les risques pour la santé physique et mentale du personnel d’intervention.

Les ouragans, les cyclones et les tempêtes tropicales

Les définitions, les causes et la survenue

Le cyclone tropical désigne tout vent qui tourbillonne autour d’une dépression atmosphérique issue de la convection de masses d’air réchauffées au contact des eaux tropicales. Dans l’hémisphère Nord, les cyclones tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. On distingue la dépression tropicale , qui est un cyclone dont les vents soufflent à une vitesse inférieure à 62 km/h, la tempête tropicale , qui génère des vents dont la vitesse est comprise entre 62 et 118 km/h, et l’ouragan, le plus violent, avec des vents de plus de 118 km/h. Dans le Pacifique, les ouragans prennent également le nom de typhons .

On pense aujourd’hui que de nombreux cyclones tropicaux naissent au-dessus de l’Afrique, dans la région sise juste au sud du Sahara. Ils commenceraient par une instabilité dans un étroit courant-jet est-ouest qui se forme dans cette région entre juin et décembre sous l’effet du contraste marqué de température entre l’air chaud du désert et l’air plus frais et plus humide du sud. Les études montrent que les perturbations engendrées au-dessus de l’Afrique durent longtemps et que nombre d’entre elles traversent l’Atlantique (Herbert et Taylor, 1979). Au XXe siècle, 10 cyclones tropicaux ont ainsi traversé l’Atlantique chaque année en moyenne, dont 6 se sont transformés en ouragans. A mesure que l’ouragan (ou typhon) approche de son intensité maximale, les courants d’air qui se sont formés dans les zones de haute pression des Bermudes ou du Pacifique le font dévier vers le nord, où les eaux océaniques sont plus froides. L’évaporation diminue et il y a donc moins de vapeur d’eau et d’énergie pour alimenter la tempête. Si celle-ci atteint la côte, elle est complètement coupée de sa source de vapeur d’eau. A mesure que l’ouragan ou le typhon progresse vers le nord, ses vents diminuent d’intensité. Les accidents de terrain, comme les montagnes, peuvent également contribuer à dissiper la tempête. Les régions les plus exposées aux ouragans sont les Antilles, le Mexique et les Etats américains de la côte est et du golfe du Mexique. En général, le typhon du Pacifique se forme dans les eaux chaudes tropicales de l’est des Philippines. Il peut ensuite se déplacer vers l’ouest et frapper le continent chinois, ou dévier vers le nord pour se diriger vers le Japon. Sa trajectoire est déterminée à mesure qu’il se déplace autour de la crête occidentale du système de haute pression du Pacifique (Time-Life, 1992).

Le pouvoir destructeur d’un ouragan (typhon) dépend de la façon dont se combinent l’onde de tempête, le vent et d’autres facteurs. Les prévisionnistes ont mis au point une échelle de possibilité de catastrophe comportant 5 catégories d’ouragans d’importance croissante (de 1 à 5), afin de mieux prévoir les dangers à l’approche d’un ouragan. Entre 1900 et 1982, 136 ouragans ont frappé de plein fouet les Etats-Unis, dont 55 étaient au moins de catégorie 3. C’est la Floride qui a essuyé les ouragans les plus violents et les plus nombreux, suivie du Texas, de la Louisiane et de la Caroline du Nord (Herbert et Taylor, 1979).

Les facteurs influant sur la morbidité et la mortalité

Bien qu’il occasionne beaucoup de dégâts matériels, le vent n’est pas le facteur le plus meurtrier lors d’un ouragan. La plupart des victimes meurent en effet noyées. Les inondations qui accompa-gnent un ouragan peuvent être causées par des pluies torrentielles ou par un raz-de-marée. Selon le Service météorologique des Etats-Unis, les raz-de-marée seraient à l’origine de 9 décès sur 10 associés aux ouragans (Herbert et Taylor, 1979). En ce qui concerne les catégories professionnelles les plus touchées, les ouragans (typhons) font surtout des victimes dans la navigation et les transports (à cause de la mer démontée et des vents violents); chez les monteurs de lignes électriques ou téléphoniques, souvent appelés à faire des réparations alors que la tempête fait encore rage; parmi les sapeurs-pompiers et les forces de police, qui organisent les évacuations et assurent la protection des biens des personnes évacuées; et au sein du personnel médical d’urgence (voir également ci-dessus à ce sujet la partie «Les inondations et les raz-de-marée»).

La prévention, les mesures de contrôle et les besoins en matière de recherche

L’incidence des décès et des traumatismes associés aux ouragans (typhons) a chuté considérablement ces vingt dernières années dans les régions où l’on a mis en place des systèmes d’alerte rapide perfectionnés. Les principales mesures de prévention à prendre sont les suivantes: identifier les précurseurs météorologiques des tempêtes tropicales, suivre la trajectoire de celles-ci et évaluer leurs probabilités de se transformer en ouragans; mettre en place un système d’alerte précoce de façon à pouvoir rapidement évacuer la population en cas de besoin; appliquer des règles très strictes en matière d’occupation des sols et de construction dans les zones à haut risque; et mettre au point des plans d’intervention prévoyant l’évacuation ordonnée de ces zones et l’hébergement des personnes évacuées.

Comme les facteurs météorologiques contribuant aux ouragans ont fait l’objet de nombreuses études, les informations sur la question sont abondantes. On aurait toutefois besoin d’en savoir davantage sur l’évolution variable de l’incidence et de l’intensité des ouragans dans le temps. Les plans d’intervention devraient être évalués après chaque ouragan et il faudrait déterminer si les immeubles construits pour résister aux vents violents peuvent également résister aux raz-de-marée.

Les tornades

La formation et les modes de survenue

Les tornades se forment lors de la rencontre de masses d’air présentant des températures, des densités et des dynamiques différentes. Cette rencontre produit de puissants courants ascendants et de gros cumulo-nimbus qui se transforment en spirales tourbillonnantes lorsqu’ils sont traversés par de forts vents de travers. En aspirant encore plus d’air chaud à l’intérieur du nuage, ce vortex accélère la rotation jusqu’à ce que se forme sous le nuage une trombe d’une grande violence (Time-Life, 1992). Une tornade de force moyenne parcourt approximativement 3,2 km sur une largeur de 45 m, balayant une superficie d’environ 0,15 km2 avec des vents pouvant souffler jusqu’à 480 km/h. Les tornades surviennent dans les régions où les fronts chauds et froids peuvent entrer en collision et engendrer des conditions instables. Malgré la probabilité extrêmement faible (0,0363) qu’une tornade frappe un endroit précis, certaines régions, comme le Midwest aux Etats-Unis, sont particulièrement exposées.

Les facteurs influant sur la morbidité et la mortalité

Des études ont montré que les personnes qui se trouvent dans des résidences mobiles ou dans des véhicules légers sur le passage d’une tornade sont exposées à un très grand danger. Ainsi, à Wichita Falls, au Texas, les occupants de résidences mobiles courent quarante fois plus de risques que les occupants de maisons en dur d’être victimes de blessures graves ou fatales, alors que les personnes circulant en voiture en courent cinq fois plus (Glass, Craven et Bregman, 1980). La principale cause de décès est le traumatisme craniocérébral, suivie des lésions par écrasement de la tête ou du tronc. Les fractures sont le type le plus courant de blessures non mortelles (Mandlebaum, Nahrwold et Boyer, 1966; High et coll., 1956). Les travailleurs qui passent la plus grande partie de leur temps de travail dans des véhicules légers ou dans des bureaux aménagés dans des résidences mobiles seraient donc les plus exposés. Les facteurs de risque évoqués pour le personnel de nettoyage dans la partie «Les inondations et raz-de-marée» s’appliquent également ici.

La prévention, les mesures de contrôle et les besoins en matière de recherche

La meilleure façon de prévenir les décès et les traumatismes associés aux tornades est d’émettre les mises en garde appropriées et de veiller à ce que la population se conforme aux mesures prévues. Aux Etats-Unis, le Service météorologique s’est équipé d’instruments perfectionnés, comme le radar Doppler, qui lui permettent de détecter les conditions favorables à la formation des tornades et d’émettre des mises en garde en conséquence. Une veille de tornade signifie que les conditions favorables à une tornade sont réunies dans une région donnée; une alerte à la tornade signifie qu’une tornade a été observée dans une région donnée et que les personnes qui y habitent doivent se mettre à l’abri, c’est-à-dire se réfugier dans le sous-sol de leur maison, dans une pièce intérieure ou dans un placard ou, si elles se trouvent à l’extérieur, s’abriter dans un fossé.

Des recherches devraient être faites pour établir si les mises en garde sont bien diffusées et évaluer dans quelle mesure les gens s’y conforment. Il faudrait également déterminer si les abris recommandés offrent une protection suffisante et recueillir des données sur le nombre de morts et de blessés parmi tous ceux qui sont appelés à travailler pendant les tornades.

La foudre et les incendies de forêt

Les définitions, les causes et la survenue

Lorsqu’un cumulo-nimbus se transforme en orage, des charges électriques positives et négatives s’accumulent dans différentes parties du nuage et au sol. Quand le potentiel électrostatique devient trop grand, les charges négatives et les charges positives s’attirent en provoquant une décharge, l’éclair, qui traverse le nuage ou passe du nuage vers le sol. Si la plupart des éclairs se déplacent de nuage en nuage, 20% passent du nuage au sol. L’éclair qui se déplace entre le nuage et le sol peut être soit positif, soit négatif. L’éclair positif, plus puissant, risque davantage d’allumer un incendie de forêt. La foudre ne peut déclencher un incendie que si elle frappe un combustible facilement inflammable, comme des aiguilles de pin, de l’herbe ou de la résine naturelle. Le feu qui prend dans du bois en décomposition peut passer inaperçu pendant longtemps. La foudre déclenche plus souvent des incendies lorsque la pluie du nuage s’est évaporée avant d’atteindre le sol; c’est ce que l’on appelle la foudre sèche (Fuller, 1991). Dans les régions rurales sèches, comme en Australie et dans l’ouest des Etats-Unis, 60% des incendies de forêt seraient causés par la foudre.

Les facteurs de morbidité et de mortalité

La plupart des sapeurs-pompiers morts en service sont victimes d’accidents de camion ou d’hélicoptère ou de chutes d’objets, plutôt que du feu lui-même. Les coups de chaleur provoqués par une élévation de la température corporelle au-dessus de 39,4 °C peuvent aussi entraîner la mort ou des lésions cérébrales. Le monoxyde de carbone constitue également un danger, en particulier lors des feux couvants. A l’occasion d’une étude, des chercheurs ont constaté que le sang de 62 sapeurs-pompiers sur 293 affichait des concentrations de carboxyhémoglobine supérieures au maximum admissible de 5% après 8 heures passées sur la ligne de feu (Fuller, 1991).

La prévention, les mesures de contrôle et les besoins en matière de recherche

A cause des dangers et du stress mental et physique associés à la lutte contre les incendies, les équipes de sapeurs-pompiers ne devraient jamais travailler plus de 21 jours d’affilée et devraient bénéficier de 1 jour de repos tous les 7 jours. Outre le port d’un équipement de protection approprié, les sapeurs-pompiers doivent se conformer à certaines règles de sécurité: prévoir des trajets sûrs, rester en communication avec leurs coéquipiers, prendre garde aux dangers, suivre la météo, vérifier les consignes et agir avant que la situation ne devienne critique. Les instructions habituelles de la lutte contre les incendies recommandent en particulier de bien observer le comportement de l’incendie, d’utiliser des vigies et de donner des ordres clairs et compréhensibles (Fuller, 1991).

Au nombre des mesures qui contribuent à la prévention des feux de forêt provoqués par la foudre, mentionnons la surveillance des combustibles (comme les broussailles ou les arbres facilement inflammables tels que l’eucalyptus), la maîtrise de l’urbanisation dans les secteurs exposés aux incendies et la mise en place de systèmes de détection rapide. A cet égard, il existe maintenant de nouvelles techniques, comme les systèmes infrarouges montés sur hélicoptère, qui permettent de vérifier si les coups de foudre signalés par les services de guet et les autres systèmes de détection ont effectivement déclenché des incendies et de cartographier les points chauds pour les équipes d’intervention sur le terrain et de largage par hélicoptère (Fuller, 1991).

Il faudrait recueillir davantage d’informations sur le nombre et les circonstances des décès et des traumatismes associés aux incendies de forêt causés par la foudre.

LES AVALANCHES: LES DANGERS ET LES MESURES DE PROTECTION

Gustav Poinstingl

Depuis l’époque où il s’est installé dans les régions montagneuses, l’être humain s’est exposé aux dangers qui leur sont particuliers. Parmi les plus perfides de ces dangers figurent les avalanches et les glissements de terrain qui ont prélevé, et continuent de prélever encore aujourd’hui, un lourd tribut de victimes.

Lorsqu’une montagne est recouverte de plusieurs mètres de neige en hiver, il arrive, dans certaines circonstances, qu’une masse de neige accrochée à ses flancs abrupts ou à son sommet se détache du sol et glisse sous l’effet de son propre poids. D’énormes quantités de neige peuvent ainsi dévaler par le chemin le plus direct jusque dans les vallées situées en contrebas. L’énergie cinétique ainsi libérée produit de dangereuses avalanches qui emportent, écrasent ou recouvrent tout sur leur passage.

On peut diviser les avalanches en deux catégories selon le type et l’état de la neige: les avalanches sèches ou poudreuses, et les avalanches mouillées ou de fond. Les premières sont dangereuses à cause de l’effet de souffle qu’elles engendrent et les secondes à cause de leur simple poids dû à l’humidité de la neige qui fait qu’elles écrasent tout en dévalant la pente souvent à grande vitesse, charriant parfois des parties du sous-sol.

Des situations particulièrement dangereuses peuvent ainsi survenir lorsque la neige s’accumule sur de vastes flancs de montagne sous l’effet du vent, car elle forme alors souvent une plaque dont la cohésion demeure superficielle, à la manière d’un rideau suspendu reposant sur une base susceptible de produire un effet de roulement à billes. Si une rupture survient dans cette plaque très mince (par exemple, à la suite du passage d’un skieur en travers de la pente) ou si, pour une raison quelconque, elle se déchire (par exemple, sous l’effet de son propre poids), toute la nappe de neige peut alors glisser vers le bas, se transformant habituellement en avalanche en cours de route.

Une énorme pression s’accumule parfois à l’intérieur de l’avalanche qui est alors capable d’emporter ou d’écraser des locomotives ou des immeubles entiers comme de simples jouets. Les êtres humains surpris dans un tel enfer n’ont de toute évidence que très peu de chances de survivre: ceux qui ne sont pas broyés meurent en général d’asphyxie ou de froid. Il ne faut donc pas s’étonner que, même lorsqu’on les retrouve immédiatement, 20% environ des personnes emportées par des avalanches ne peuvent être ranimées.

La topographie et la végétation du lieu font en sorte que les masses de neige en mouvement suivent une trajectoire prédéterminée jusqu’au fond de la vallée. Tous ceux qui vivent dans ces régions le savent d’expérience et par tradition et se tiennent donc à l’écart de ces zones dangereuses en hiver.

Autrefois, la seule façon d’échapper à ce genre de danger était d’éviter de s’y exposer. Les fermes et les villages étaient bâtis dans les endroits protégés des avalanches par des accidents du terrain ou que l’on savait de longue date éloignés de toute trajectoire connue d’avalanche. Les gens évitaient même complètement les régions montagneuses pendant les périodes dangereuses.

Les forêts situées en haut des versants montagneux offrent une bonne protection contre ce type de catastrophe naturelle, car elles soutiennent les masses de neige dans les zones menacées et peuvent ralentir, stopper ou détourner des avalanches qui se sont déjà déclenchées, pourvu qu’elles n’aient pas atteint une trop grande vitesse.

L’histoire des régions montagneuses n’en est pas moins ponctuée de catastrophes à répétition causées par les avalanches qui ont entraîné et continuent d’entraîner des pertes humaines et matérielles considérables. D’une part, on sous-estime souvent la vitesse et l’inertie des avalanches. D’autre part, les avalanches empruntent parfois des trajectoires qui, même après des siècles d’expérience, n’avaient jamais été considérées comme des couloirs d’avalanche. Certaines conditions météorologiques défavorables, alliées à une qualité de neige particulière et à l’état du sol sous-jacent (végétation endommagée, érosion ou ameublissement du sol par suite de fortes pluies), créent parfois des conditions qui peuvent conduire à une nouvelle «catastrophe du siècle».

Le risque d’avalanche que présente une région dépend non seulement des conditions météorologiques, mais aussi et surtout de la stabilité de la couverture neigeuse et du fait qu’elle est ou non située dans une zone habituelle d’écoulement ou d’arrivée d’avalanche. Des cartes spéciales indiquent les zones où des avalanches ont déjà eu lieu ou risquent de se produire compte tenu des caractéristiques topographiques, notamment les couloirs et les points d’arrivée d’avalanches fréquentes. Il est interdit de cons-truire dans les zones à haut risque.

Ces précautions ne suffisent toutefois plus aujourd’hui. En effet, malgré l’interdiction de construire dans certaines régions et malgré l’abondance des informations sur les dangers des avalanches, les gens sont toujours attirés en grand nombre par le pittoresque des régions montagneuses, si bien que l’on construit de plus en plus même dans des zones pourtant réputées dangereuses. A ces infractions ou à ces contournements de la réglementation viennent s’ajouter les milliers de touristes qui affluent à la montagne en hiver pour y faire du sport et s’y adonner à d’autres activités de loisir, dans les régions mêmes où les avalanches sont pratiquement préprogrammées. L’idéal pour le ski, c’est une pente raide, libre d’obstacles et recouverte d’un manteau neigeux assez épais: si ces conditions sont idéales pour le skieur, elles le sont aussi pour les avalanches.

Or, si ces risques ne peuvent être évités ou sont, dans une certaine mesure, consciemment assumés comme un «effet secondaire» indésirable du plaisir que l’on prend à faire du sport, il est quand même nécessaire de se préparer à faire face au danger.

Pour accroître les chances de survie des personnes prisonnières d’une avalanche, il est essentiel de mettre sur pied des services de sauvetage efficaces, d’installer des téléphones d’urgence près des zones à risque et de tenir à jour, à l’intention des autorités et des touristes, l’information sur les conditions observées dans les zones à risque. La mise en place de systèmes d’alerte avancée et de services de sauvetage dotés d’une organisation sans faille et du meilleur équipement possible peut accroître considérablement les chances de survie des personnes enfouies sous des avalanches et réduire l’ampleur des dommages qu’elles entraînent.

Les mesures de protection

Diverses méthodes de protection contre les avalanches ont été mises au point et éprouvées partout dans le monde, comme les services d’alerte transfrontalière, les barrages et même le déclenchement artificiel d’avalanches au moyen d’explosifs ou de coups de feu tirés au-dessus des champs de neige.

La stabilité de la couverture neigeuse est essentiellement déterminée par le rapport de la contrainte mécanique et de la densité. Cette stabilité peut varier très sensiblement selon le type de contrainte (compression, traction, cisaillement) dans une zone géo-graphique donnée (partie du champ neigeux où peut prendre naissance une avalanche). Le relief, l’ensoleillement, les vents, la température et les perturbations locales de la structure du manteau neigeux (du fait de la présence de rochers, de skieurs, de chasse-neige ou d’autres véhicules) peuvent également avoir une incidence sur la stabilité. Celle-ci peut donc être réduite par une intervention locale délibérée, comme le dynamitage, ou accrue par l’installation d’ouvrages de soutènement ou de barrières. Ces mesures, qui peuvent être permanentes ou temporaires, sont les deux principales défenses utilisées contre les avalanches.

Au nombre des mesures de protection permanente figurent divers ouvrages efficaces et durables, tels que les râteliers aménagés dans les zones de départ d’avalanche, les parois de déviation ou les cairns de freinage dans la zone d’écoulement et les murs d’arrêt dans la zone d’arrivée. Le but des défenses temporaires est de rendre sûres et de stabiliser les zones où une avalanche risque de se produire, en déclenchant volontairement des avalanches de moindre envergure pour éliminer par sections les masses de neige dangereuses.

Les râteliers augmentent artificiellement la stabilité du manteau neigeux dans les zones à risque d’avalanche. Les virevents, qui empêchent le vent d’accumuler de nouvelles masses de neige dans la zone avalancheuse, peuvent accroître l’effet des râteliers. Les parois de déviation et les cairns de freinage aménagés sur la trajectoire de l’avalanche, de même que les murs d’arrêt placés dans la zone d’arrivée, peuvent détourner ou ralentir la masse de neige dans sa course et raccourcir la distance d’écoulement. Les râteliers sont des ouvrages fixés au sol plus ou moins perpendiculairement à la pente, capables d’offrir une résistance suffisante à la masse de neige en mouvement; ils doivent être assez hauts pour atteindre la surface de la neige. Habituellement disposés en plusieurs rangées, ils doivent être installés partout où des avalanches pourraient, en présence de diverses conditions météorologiques, menacer la zone à protéger. Des années d’observation et de mesure de la neige sont nécessaires pour déterminer avec précision l’emplacement, la structure et les dimensions de ces ouvrages. Les rangées de râteliers doivent aussi avoir une certaine perméabilité pour laisser passer les avalanches mineures et les glissements de surface, en les empêchant de prendre de l’ampleur ou de causer des dommages. Si la perméabilité est insuffisante, la neige risque de s’empiler derrière les barrières et de permettre ainsi aux avalanches suivantes de passer librement par-dessus sans être stoppées, entraînant avec elles d’autres masses de neige.

Contrairement aux structures permanentes que sont les râteliers, les défenses temporaires permettent elles aussi de réduire le danger pendant un certain temps. Il s’agit en gros de déclencher des avalanches par des moyens artificiels: on élimine ainsi les masses de neige dangereuses des zones avalancheuses en déclenchant délibérément, sous surveillance, un certain nombre de petites avalanches à des moments choisis. De telles mesures ont pour effet d’augmenter considérablement la stabilité de la couverture neigeuse qui reste sur le site avalancheux et de réduire, au moins pendant un certain temps, le risque d’avalanches plus grosses et plus dangereuses en période critique.

L’ampleur de ces avalanches provoquées ne peut cependant être déterminée d’avance avec un grand degré de précision. Pour réduire au maximum le risque d’accidents, toute la région touchée par l’avalanche artificielle, depuis la zone de départ jusqu’à la zone d’arrivée, devrait être évacuée et fermée et faire l’objet d’un contrôle avant le déclenchement.

Les applications possibles de ces deux méthodes de réduction des risques sont fondamentalement différentes. En général, il est préférable de recourir aux défenses permanentes pour protéger les zones qu’il est impossible ou difficile d’évacuer ou de fermer, ou lorsque les avalanches contrôlées risquent de toucher des bâtiments ou des forêts. Les défenses temporaires conviennent par contre très bien à la protection des routes, des pistes ou des pentes de ski qu’il est facile de fermer pour de courtes périodes.

Les diverses méthodes de déclenchement artificiel des avalanches comportent plusieurs opérations qui présentent certains risques et qui, par-dessus tout, exigent la mise en place de mesures de protection supplémentaires pour les personnes affectées à l’exécution des travaux. L’essentiel est de provoquer une rupture de la couverture neigeuse au moyen d’une secousse artificielle (détonation), afin d’entraîner un glissement.

Les explosifs conviennent particulièrement bien au déclenchement d’avalanches sur les versants escarpés. Il est habituellement possible de détacher de petites sections de neige espacées les unes des autres et d’éviter ainsi de provoquer des avalanches majeures qui s’écoulent sur de longues distances et peuvent être extrêmement destructrices. L’idéal serait de pouvoir mener ces déclenchements à tout moment et par tous les temps, mais cela n’est pas toujours faisable. Les méthodes de déclenchement à l’explosif diffèrent considérablement selon les moyens utilisés pour atteindre la zone cible.

Les zones sujettes aux avalanches peuvent être bombardées à la grenade ou à la roquette à partir de positions sûres, mais ces interventions ne permettent d’obtenir le résultat voulu que dans 20 à 30% des cas. En effet, d’une part, il est pratiquement impossible de déterminer et de frapper avec précision la meilleure zone cible à distance et, d’autre part, la couverture neigeuse absorbe le choc de l’explosion. Il arrive aussi que les obus n’explosent pas.

Le déclenchement à l’aide d’explosifs commerciaux installés directement dans la zone où les avalanches sont susceptibles de se produire a généralement plus de succès. La meilleure méthode consiste à installer l’explosif sur des pieux ou sur des câbles suspendus au-dessus de la section du champ de neige où l’on veut déclencher l’avalanche et à le faire détoner à une hauteur de 1,5 à 3 m au-dessus de la couverture neigeuse.

En plus du bombardement des flancs de la montagne, trois autres méthodes ont été mises au point pour amener l’explosif jusqu’à l’endroit choisi pour déclencher l’avalanche:

Le transport par câble aérien est la méthode à la fois la plus précise et la plus sûre. A l’aide d’un petit câble transporteur, la charge explosive est amenée au-dessus de la section de la couverture neigeuse où l’on veut déclencher l’avalanche. En contrôlant bien le câble et en se servant de divers signaux et marqueurs, on arrive à positionner la charge à l’endroit précis où l’on sait d’expérience qu’elle sera la plus efficace et à la faire exploser directement au-dessus. Pour obtenir les meilleurs résultats, il faut que la détonation se produise à la bonne hauteur au-dessus de la couverture neigeuse. Comme le câble transporteur passe généralement trop haut au-dessus du sol, on doit installer un dispositif d’abaissement pour descendre la charge jusqu’à la hauteur voulue. Il s’agit habituellement d’un treuil permettant d’abaisser un filin auquel la charge a été fixée. Grâce à ces câbles transporteurs, on peut déclencher des explosions à partir d’une position sûre, même lorsque la visibilité est mauvaise, de jour comme de nuit.

Vu ses bons résultats et ses coûts de production relativement peu élevés, cette méthode est largement employée dans toutes les régions alpines. On doit cependant presque partout détenir un permis pour l’utiliser. En 1988, des fabricants et des utilisateurs de câbles transporteurs d’explosifs, de même que des représentants des administrations des régions alpines de l’Autriche, de la Bavière et de la Suisse se sont rencontrés pour partager leur expérience en la matière. Toutes les informations recueillies à cette occasion ont été résumées dans des brochures et ont servi à l’élaboration de réglementations ayant force obligatoire. Ces documents contiennent les normes de sécurité technique relatives aux équipements et installations, de même que les instructions pour l’exécution des opérations en toute sécurité. Ainsi, lorsqu’elle prépare la charge explosive et utilise l’équipement prévu à cet effet, l’équipe de dynamitage doit pouvoir se déplacer sans encombre autour des divers appareils de câblage et commandes. Il faut aussi prévoir des sentiers sûrs et faciles d’accès permettant à l’équipe de quitter le site le plus vite possible en cas d’urgence. Il faut en outre avoir accès en toute sécurité aux tréteaux et aux stations du câble porteur. Pour prévenir tout raté à l’explosion, deux amorces et deux détonateurs doivent être utilisés pour chaque charge.

Souvent employé autrefois, le dynamitage à la main est une deuxième façon de provoquer des avalanches. Le dynamiteur doit alors escalader la montagne jusqu’à l’endroit du déclenchement. Une fois sur place, il peut fixer la charge explosive à des piquets plantés dans la neige ou, plus souvent, la lancer vers un point situé en contrebas qu’il sait d’expérience être particulièrement sensible. Habituellement, on exige que le dynamiteur soit relié par un filin à ses coéquipiers pendant toute la durée de l’opération. Mais, quel que soit le soin apporté par l’équipe de dynamitage à l’opération, les risques de chute ou la possibilité de rencontrer une avalanche en chemin ne peuvent être éliminés étant donné que l’intervention demande souvent de longues ascensions, parfois par mauvais temps. A cause de ces dangers, cette méthode, elle aussi soumise à des règles de sécurité, est rarement utilisée de nos jours.

Le déclenchement par hélicoptère est une troisième méthode dont on se sert depuis de nombreuses années, dans les régions alpines et ailleurs, pour provoquer des avalanches. Vu les risques élevés qu’elle fait courir à l’équipage de l’appareil, on n’y a recours la plupart du temps qu’en cas d’absolue nécessité, pour éviter un danger grave et imminent, lorsqu’on ne peut procéder autrement sans encourir de risques encore plus grands. Comme cette méthode soulève en outre certains problèmes d’ordre juridique liés à l’emploi d’un aéronef, les autorités alpines, en collaboration avec les organismes de réglementation de l’aviation, les institutions et les autorités responsables de la sécurité et de la santé au travail et les spécialistes, ont formulé des directives particulières régissant le déclenchement des avalanches à partir d’hélicoptères. Ces directives prennent en compte non seulement la réglementation sur les explosifs et les consignes de sécurité, mais aussi les compétences physiques et techniques requises des personnes à qui l’on confie ce genre d’opérations.

Pour déclencher une avalanche à partir d’un hélicoptère, on peut soit abaisser la charge au-dessus de la couverture neigeuse à l’aide d’un filin, puis la faire exploser, soit la laisser tomber après l’avoir amorcée. Les hélicoptères doivent être spécialement adaptés pour ce genre d’opérations et bénéficier d’un permis approprié. En ce qui concerne la sécurité des opérations à bord de l’appareil, il doit y avoir une stricte division des tâches entre le pilote et le technicien en explosifs. La charge doit être correctement préparée et la longueur de l’amorce choisie en fonction de la technique employée (abaissement ou largage de la charge). Pour plus de sûreté, il faut aussi utiliser deux détonateurs et deux amorces, comme dans les autres méthodes. En règle générale, chaque charge contient entre 5 et 10 kg d’explosifs. Plusieurs charges peuvent être abaissées ou larguées l’une après l’autre au cours du même vol. Les détonations doivent être observées de visu pour s’assurer que toutes les charges ont bien sauté.

Toutes ces méthodes de dynamitage nécessitent l’utilisation d’explosifs spéciaux, efficaces par temps froid et peu sensibles aux influences mécaniques. Les personnes affectées à ces opérations doivent avoir reçu une formation spéciale et posséder l’expérience requise.

Les défenses temporaires et permanentes contre les avalanches ont été conçues à l’origine pour des usages très différents. Les onéreuses barrières permanentes ont surtout été construites pour protéger les villages et les bâtiments contre les grosses avalanches. Les dispositifs de protection temporaires servaient presque exclusivement au départ à protéger les routes, les domaines skiables et les équipements touristiques faciles à fermer. De nos jours, la tendance est à la combinaison des deux méthodes. Pour établir le programme de sécurité le plus efficace dans une région donnée, il faut analyser en détail les conditions locales et choisir la méthode qui offrira la meilleure protection possible.

LE TRANSPORT DES MATIÈRES DANGEREUSES: LES PRODUITS CHIMIQUES ET LES MATIÈRES RADIOACTIVES

Donald M. Campbell

L’industrie et l’économie sont tributaires de nombreuses matières dangereuses qui sont transportées par route, par rail, par eau, par air ou par pipeline entre leur point de fabrication et celui de leur utilisation, avant d’aboutir à leur point d’élimination. La grande majorité de ces matières atteignent leur destination sans encombre et en toute sécurité. L’industrie pétrolière fournit un bon exemple de l’ampleur du problème. Au Royaume-Uni, quelque 100 millions de tonnes de produits pétroliers sont acheminés par pipeline, par rail, par route et par eau. Près de 10% des travailleurs de l’industrie chimique de ce pays sont employés dans le réseau de distribution correspondant (transport et stockage).

Une matière dangereuse peut être définie comme une «subs-tance ou une matière dont on sait qu’elle peut présenter un risque inacceptable pour la santé, la sécurité ou la propriété lorsqu’elle est transportée». La notion de «risque inacceptable» couvre un large spectre de considérations relatives à la santé, à l’incendie et à l’environnement. Les matières visées comprennent les explosifs, les gaz inflammables, les gaz toxiques, les liquides inflammables et hautement inflammables, les solides inflammables, les matières qui deviennent dangereuses au contact de l’eau, les matières comburantes, les matières toxiques ainsi que les matières corrosives et, enfin, les matières radioactives.

Les risques que présentent ces matières résultent directement de leur déversement, de leur inflammation, etc. Transportées par rail ou par route, elles peuvent provoquer des accidents majeurs susceptibles de toucher aussi bien les travailleurs que la population en général. Elles présentent également des dangers au chargement et au déchargement, de même qu’au cours de leur transport. La population exposée est donc celle qui vit à proximité des routes ou des voies ferrées qu’elles empruntent ou qui circule dans les véhicules ou les trains susceptibles d’être impliqués dans un accident majeur. Les zones à risque englobent aussi les points d’arrêt temporaire, comme les gares de triage et les aires de stationnement des camions. Sur mer, les risques sont associés aux manœuvres des navires qui entrent ou sortent des ports et y chargent ou déchargent leur cargaison; d’autres risques découlent également du cabotage et de la navigation dans les détroits et les eaux intérieures.

Au nombre des incidents qui peuvent se produire dans le cadre du transport, que ce soit pendant le transit ou sur le site d’installations fixes, on mentionnera l’auto-échauffement chimique incontrôlé, les déversements, les fuites, les dégagements de vapeurs ou de gaz, les incendies et les explosions. Deux des principaux facteurs d’incidents sont les collisions et les incendies. Dans le cas des camions-citernes, les fuites provenant des vannes et de surremplissages sont une autre cause de déversement. En général, tant pour les véhicules routiers que pour les véhicules ferroviaires, les incendies causés par une collision sont beaucoup moins fréquents que les autres. Les incidents liés au transport peuvent se produire aussi bien dans des zones rurales que dans des zones urbaines, industrielles ou résidentielles, et concerner des véhicules ou des trains, surveillés ou non. Il est rare qu’une collision soit la cause première de l’incident.

Le personnel d’intervention devrait être conscient des risques d’exposition et de contamination liés aux substances toxiques en cas d’accidents impliquant des chemins de fer, des gares de triage, des véhicules routiers, des terminaux de marchandises, des navires (de haute mer et de navigation intérieure) et des docks. Les pipelines (tant ceux des réseaux de distribution longue distance que ceux des réseaux locaux) peuvent aussi être dangereux s’ils sont endommagés ou s’ils fuient, que l’avarie se produise ou non en même temps qu’un autre incident. Les accidents survenant en cours de transport sont souvent plus dangereux que ceux qui arrivent sur le site d’installations fixes. On ignore parfois à quelles matières on a affaire; les panneaux de mise en garde peuvent être masqués parce que le véhicule s’est renversé ou à cause de la fumée ou de la présence de débris; les personnes en mesure de donner des renseignements pertinents sont parfois absentes ou ont péri dans l’accident. Le nombre des personnes exposées dépend de la densité démographique sur le lieu de l’accident, du moment de la journée (le jour ou la nuit), de la proportion de personnes qui se trouvent à l’intérieur et à l’extérieur, ainsi que de la proportion de celles qui peuvent être considérées comme particulièrement vulnérables. En plus de la population normalement présente sur les lieux, les équipes d’intervention courent également un risque. Ces personnels constituent d’ailleurs souvent une part importante des victimes lors d’accidents survenant pendant le transport de matières dangereuses.

Entre 1971 et 1990, soit sur une période de 20 ans, une quinzaine de personnes sont mortes dans des accidents de la route mettant en cause des produits chimiques dangereux au Royaume-Uni, comparativement à une moyenne annuelle de 5 000 victimes pour l’ensemble des accidents d’automobile. Il n’en reste pas moins qu’une quantité minime de marchandises dangereuses peut causer des dommages considérables. En voici quelques exemples provenant de divers pays:

Ce sont les gaz et les liquides inflammables qui sont à l’origine du plus grand nombre d’incidents graves (compte tenu en partie du volume transporté), suivis par les gaz et les fumées toxiques (y compris les produits de combustion).

Voici quelques données sur les transports routiers provenant d’études menées au Royaume-Uni:

Ces données sont sans doute loin de rendre compte de tous les incidents mettant en cause des véhicules qui transportent des matières dangereuses. Par ailleurs, chaque accident survenant au cours du transport routier de ces matières présente ses propres caractéristiques.

De nombreux accords internationaux régissent le transport des matières potentiellement dangereuses:

Le règlement de transport des matières radioactives de 1996 de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA, 1996). Ce règlement établit des normes de sécurité assurant un niveau de contrôle acceptable des risques d’irradiation auxquels sont exposés les personnes, les biens et l’environnement du fait du transport des matières radioactives.

La convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS 74). Cette convention définit les normes de sûreté essentielles pour tous les navires à passagers et les navires de charge, y compris ceux qui transportent des matières dangereuses en vrac.

La convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (MARPOL 73/78 ). Cette convention vise la prévention de la pollution par les hydrocarbures, les substances liquides nocives en vrac, les substances nuisibles transportées par mer en colis (y compris conteneurs, citernes mobiles et véhicules routiers ou ferroviaires). Elle est renforcée par le Code maritime international des marchandises dangereuses (Code IMDG).

Il existe un important corpus de règlements internationaux concernant le transport des marchandises dangereuses par air, par rail, par route ou par mer (incorporés aux législations nationales dans de nombreux pays). La plupart se fondent sur les normes prônées par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et portent sur les principes d’identification, d’étiquetage, de prévention et de contrôle. Le Comité d’experts en matière de transport des marchandises dangereuses de l’ONU a rédigé des Recommandations relatives au transport des marchandises dangereuses à l’intention des gouvernements et des organisations internationales qui s’intéressent à la question. Ces recommandations portent, entre autres, sur les principes de la classification et la définition des classes, l’énumération des marchandises dangereuses, les exigences générales en matière d’emballage, les méthodes d’épreuve, le marquage, l’étiquetage et le placardage, ainsi que sur les documents de transport. Rassemblées dans un recueil appelé «Livre orange» («Orange Book»), elles n’ont pas force de loi, mais forment la base de toutes les réglementations internationales élaborées par diverses organisations internationales parmi lesquelles on peut citer:

Que ce soit au niveau du transport ou des installations fixes, il est impérieux de dresser des plans détaillés pour intervenir en cas d’accident majeur impliquant des substances dangereuses et pour en atténuer les effets. Cette tâche est loin d’être simple et, cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le lieu de l’accident n’est pas connu d’avance, ce qui exige de la souplesse dans la planification, et les substances en cause ne le sont pas davantage. Selon la nature de l’accident, plusieurs produits peuvent se mélanger sur les lieux, causant d’énormes problèmes aux services d’intervention. L’accident peut aussi se produire dans les lieux les plus variés: région très urbanisée, région rurale éloignée, zone fortement industrialisée ou commerciale. Un autre facteur à prendre en considération est la population de passage qui, sans le savoir, peut être impliquée dans un incident à cause des embouteillages créés sur la voie publique ou de l’arrêt des trains, en cas d’accident ferroviaire.

Il est donc nécessaire d’élaborer des plans d’intervention aux échelons local et national. Ces plans doivent allier clarté, souplesse et simplicité. Comme de graves accidents de transport peuvent se produire dans une multitude d’endroits, les plans doivent couvrir tous les lieux possibles. Et pour qu’ils soient efficaces à tout moment, dans les régions rurales isolées comme dans les zones urbaines fortement peuplées, toutes les organisations participantes doivent pouvoir intervenir en disposant de la latitude voulue, tout en se conformant aux grands principes de la stratégie globale.

Les premiers intervenants arrivés sur place devraient recueillir le plus d’informations possible pour tenter de cerner les risques que présente la situation. L’intervention sera déterminée par la nature de l’accident (déversement, incendie, rejet de substances toxiques ou combinaison de ces possibilités). Les services d’intervention devraient connaître les systèmes d’étiquetage nationaux et internationaux servant à identifier les véhicules transportant des substances dangereuses et des marchandises dangereuses emballées; ils devraient en outre avoir accès à l’une ou l’autre des nombreuses bases de données nationales et internationales pouvant aider à définir le danger et les problèmes qui en découlent.

Il est capital de maîtriser rapidement la situation. La chaîne de commandement doit être clairement établie. Ainsi, au cours d’une même opération, le commandement peut passer des services de secours aux services de police, puis aux pouvoirs publics de la région touchée. Le plan doit permettre de déterminer les effets de l’accident sur la population (celle qui travaille ou réside dans la zone potentiellement touchée comme celle qui ne fait qu’y passer). Les spécialistes de la santé publique doivent être mobilisés pour donner des conseils tant sur la gestion immédiate de l’incident que sur ses effets directs et indirects (par le biais de la chaîne alimentaire) à long terme. Les points de contact auprès desquels on peut se renseigner sur la pollution des cours d’eau et autres sites et sur les effets des conditions météorologiques sur le déplacement des nuages de gaz doivent aussi être identifiés. Le plan doit en outre prévoir une éventuelle évacuation. Les options proposées doivent toutefois demeurer souples, car il faut tenir compte de tout un éventail de coûts/avantages, tant du point de vue de la gestion de l’incident que de celui de la santé publique. Les dispositions adoptées doivent énoncer clairement la politique à suivre en ce qui concerne l’information des médias et les mesures prises pour atténuer les répercussions de l’incident. L’information diffusée doit être exacte et pertinente; les porte-parole doivent savoir exactement où en est l’intervention et avoir accès aux spécialistes pour répondre aux questions techniques. De mauvaises relations avec les médias peuvent nuire à la gestion de la crise et susciter des commentaires négatifs et parfois injustifiés. Enfin, tout plan doit prévoir un nombre suffisant d’exercices théoriques et pratiques pour permettre aux différents acteurs d’évaluer leurs points forts et leurs points faibles, tant personnels qu’organisationnels.

Malgré l’abondance des publications sur les déversements de produits chimiques, seuls quelques ouvrages décrivent les conséquences écologiques de ces incidents. La plupart des travaux sont des études de cas. Les descriptions des déversements qui ont eu lieu mettent l’accent sur la santé humaine et les problèmes de sécurité et restent vagues sur leurs conséquences écologiques. Il faut savoir que les substances chimiques pénètrent dans l’environnement surtout en phase liquide. Il est très rare que des accidents ayant des répercussions écologiques touchent aussi immédiatement les êtres humains, et leurs effets sur l’environnement ne sont généralement pas causés par les mêmes substances chimiques ni par les mêmes voies d’entrée.

Diverses mesures de contrôle ont été mises en place pour prévenir les risques que présente le transport des matières dangereuses pour la santé et la vie humaines, notamment: réglementation des quantités transportées, orientation et contrôle des moyens de transport, établissement d’itinéraires particuliers, réglementation des points de correspondance et de rassemblement ainsi que des zones situées à proximité. La recherche devrait maintenant mettre l’accent sur les critères de risque, la quantification des risques et les équivalences de risque. La Direction de la sécurité et de la santé du Royaume-Uni (United Kingdom Health and Safety Executive) a créé une base de données sur les risques d’accidents majeurs (MHIDAS) impliquant des substances chimiques dans le monde entier. Cette base de données contient actuellement des informations sur plus de 6 000 incidents.

Etude de cas: transport de matières dangereuses

Un camion-citerne articulé transportant environ 22 000 litres de toluène circulait sur une grande artère qui traverse Cleveland, au Royaume-Uni, lorsqu’une voiture se mit en travers de son chemin. En manœuvrant pour l’éviter, le chauffeur fit capoter son véhicule. Les couvercles des cinq compartiments de la citerne s’ouvrirent et le toluène se répandit sur la chaussée, où il s’enflamma en provoquant un incendie en nappe. Cinq voitures qui circulaient en sens inverse furent prises dans les flammes, mais tous les occupants purent s’échapper.

Cinq minutes après avoir été appelés, les sapeurs-pompiers étaient sur les lieux. Le liquide en flammes avait pénétré dans les égouts et le feu s’était déjà propagé sur près de 400 m. Le plan d’intervention du comté fut aussitôt déclenché, tandis que les services sociaux et les transports publics étaient placés en état d’alerte pour le cas où une évacuation serait décidée. Les sapeurs-pompiers s’employèrent d’abord à éteindre les voitures en feu et à secourir leurs occupants. Ils se mirent ensuite à la recherche d’une prise d’eau appropriée. Un membre de l’équipe de sécurité de la société de produits chimiques arriva alors sur les lieux pour coordonner l’intervention avec les commandants des services de police et des sapeurs-pompiers. Des employés des services d’ambulance, de la commission d’hygiène environnementale et de la régie des eaux se trouvaient également sur place. Après consultation, on décida de laisser le toluène brûler plutôt que de tenter de l’éteindre au risque de provoquer des émissions de vapeurs chimiques. Pendant quatre heures, les policiers diffusèrent des mises en garde par les radios nationale et locale, demandant aux gens de rester chez eux et de fermer les fenêtres. La route fut interdite d’accès pendant huit heures. Une fois le niveau de toluène redescendu au-dessous de celui des couvercles dans la citerne, on éteignit le feu et récupéra les résidus de toluène. L’incident fut déclaré clos treize heures environ après l’accident initial.

Les risques étaient considérables à la fois pour la population (du fait du rayonnement thermique), pour l’environnement (du fait de la pollution de l’air, du sol et de l’eau) et pour l’économie (du fait des perturbations de la circulation). Le plan d’intervention prévu par la société de transport a été mis en œuvre dans les quinze minutes qui ont suivi l’accident et cinq personnes se sont immédiatement rendues sur les lieux. De leur côté, les autorités du comté possédaient un plan d’intervention hors site qu’elles ont, elles aussi, mis en œuvre immédiatement par le biais d’un centre de contrôle ad hoc réunissant la police et les sapeurs-pompiers. On a procédé au mesurage des concentrations, sans toutefois établir de prévisions sur la dispersion du produit en cause. L’intervention a mobilisé des moyens importants. Une cinquantaine de sapeurs-pompiers, avec l’aide de dix engins, se sont principalement employés à combattre le feu, à nettoyer les lieux et à contenir le déversement. Plus de quarante policiers ont été affectés à la circulation, à l’information de la population, à la sécurité et aux communications avec les médias. Les services de santé ont dépêché sur les lieux deux ambulances et deux assistants médicaux. L’administration locale a mis à contribution ses services d’hygiène environnementale et de transport, ainsi que ses services sociaux. La population a été tenue au courant au moyen de haut-parleurs, de messages diffusés à la radio et par le bouche-à-oreille. L’information mettait l’accent sur la conduite à tenir et, notamment, sur la nécessité de se mettre à l’abri à l’intérieur des habitations.

Deux personnes ont été admises à l’hôpital — un passant et un employé de la compagnie, tous deux blessés lors de l’accident. L’air a été pollué, mais la contamination du sol et de l’eau est restée limitée. Sur le plan économique, les dommages causés à la route ont été considérables et la circulation grandement perturbée, mais on n’a perdu ni récolte, ni bétail, ni production. Plusieurs leçons ont été tirées de l’événement. Le recours rapide aux données du système Chemdata et la présence sur place d’un expert technique de la société de transport se sont révélés fort utiles et ont permis de prendre immédiatement les mesures qui s’imposaient. On a pu aussi constater combien il est important de coordonner les déclarations à la presse. On a vu, enfin, qu’il faut toujours tenir compte de l’impact environnemental de la lutte contre l’incendie: en effet, si le feu avait été combattu dès le début de l’incident, un volume considérable de liquide contaminé (eau utilisée pour éteindre le feu et toluène) aurait pu pénétrer dans les égouts, dans les réserves d’eau et dans le sol.

LES ACCIDENTS RADIOLOGIQUES

Pierre Verger et Denis Winter

La description, les sources, les modalités de survenue

Les accidents radiologiques peuvent avoir trois origines, en dehors du transport de produits radioactifs:

Il existe deux types de situations accidentelles pouvant toucher des populations différentes, selon qu’un rejet ou la dispersion de radionucléides dans l’environnement se produit ou non.

La contamination de l’environnement entraîne un risque d’exposition du public dont l’importance et la durée dépendent de la quantité et des caractéristiques des radionucléides rejetés (demi-vie, propriétés physico-chimiques) (voir tableau 39.18). Elle survient lors de la rupture des barrières interposées entre l’environnement et les radioéléments, à la suite d’accidents sur des installations nucléaires ou mettant en jeu des sources industrielles ou médicales. En l’absence de rejet, l’exposition reste circonscrite, dans la majorité des cas, aux travailleurs présents sur les installations ou manipulant les appareils ou des substances radioactives. Ces accidents se rencontrent aussi bien dans les installations nucléaires que dans les autres domaines d’utilisation des radioéléments (industrie, médecine, recherche).

Tableau 39.18 Exemples de radionucléides avec leurs périodes radioactives

Radionucléides

Symbole

Rayonnements émis

Période physique*

Demi-vie biologique après incorporation*

Barium 133

Ba-133

γ

10,7 a

65 j

Cérium 144

Ce-144

β, γ

284 j

263 j

Césium 137

Cs-137

β, γ

30 a

109 j

Cobalt 60

Co-60

β, γ

5,3 a

1,6 a

Iode 131

I-131

β, γ

18 j

7,5 j

Plutonium 239

Pu-239

α, γ

24 065 a

50 a

Polonium 210

Po-210

α

138 j

27 j

Strontium 90

Sr-90

β

29,1 a

18 a

Tritium

H-3

β

12,3 a

10 j

* a: années; j: jours.

Qu’il s’agisse des travailleurs ou du public, il existe différents modes d’exposition qui peuvent être associés: l’irradiation externe, l’irradiation interne et la contamination de la peau ou de plaies.

L’irradiation externe se produit lorsqu’un individu reçoit les rayonnements d’une source radioactive située à l’extérieur de l’organisme. La source peut être ponctuelle (source de téléthérapie ou d’irradiation) ou diffuse (nuage et dépôts radioactifs d’un accident) (voir figure 39.5). L’irradiation peut être locale, quand seule une partie du corps a été exposée, ou encore globale, lorsque l’ensemble de l’organisme est irradié.

Figure 39.5 Modalités d'exposition aux rayonnements ionisants après un rejet
accidentel de radioactivité dans l'environnement

Figure 39.5

L’irradiation interne est consécutive à l’incorporation de subs-tances radioactives dans l’organisme (voir figure 39.5). L’incorporation peut résulter de l’inhalation de particules radioactives en suspension dans l’air (par exemple, césium 137, iode 131 présents dans le nuage de Tchernobyl). Elle peut aussi se faire par ingestion de corps radioactifs passés dans la chaîne alimentaire. Par exemple, l’iode 131 se concentre dans le lait. Selon les caractéristiques des radionucléides, l’irradiation interne peut toucher l’organisme entier ou des organes particuliers. Par exemple, le césium 137 diffuse dans l’ensemble des tissus de façon homogène tandis que l’iode 131 se concentre dans la thyroïde et le strontium 90 dans les os.

Enfin, la contamination de la peau ou d’une plaie se produit lorsque des corps radioactifs sont en contact direct avec celles-ci.

Les accidents d’installations nucléaires

Les installations nucléaires comprennent les centrales nucléaires (réacteurs de puissance), les réacteurs expérimentaux, les installations du cycle du combustible nucléaire (usines de fabrication de combustible ou de retraitement du combustible irradié) et, enfin, les laboratoires de recherche. Dans le domaine militaire, il existe des réacteurs de production de plutonium et des réacteurs «embarqués» de propulsion de navires ou de sous-marins nucléaires.

Les centrales nucléaires

Pour produire de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire, il faut récupérer, sous forme de chaleur, l’énergie libérée par la fission des atomes. Schématiquement, une centrale nucléaire est constituée: 1) d’un cœur contenant le combustible (en général, 80 à 120 t d’oxyde d’uranium pour les réacteurs à eau sous pression) dans lequel a lieu la réaction de fission; 2) de circuits transportant la chaleur grâce à un fluide caloporteur; 3) d’une installation, similaire aux installations non nucléaires de production d’électricité, qui transforme cette chaleur en électricité.

Le risque majeur de ces installations est la survenue d’événements pouvant induire des augmentations de puissance massives et brutales, provoquer la fusion du cœur et entraîner le rejet de produits radioactifs hors de l’installation. Deux accidents sont survenus dans le passé, l’un à Three Mile Island (1979, Pennsylvanie, Etats-Unis), l’autre à Tchernobyl (1986, Ukraine). Tous deux correspondaient à une fusion plus ou moins importante du cœur du réacteur.

L’accident de Tchernobyl est un accident dit de «criticité»: la réaction nucléaire s’est emballée, c’est-à-dire qu’une augmentation soudaine et rapide des réactions de fission s’est produite en quelques secondes, échappant à tout contrôle. Elle a entraîné la destruction complète du cœur du réacteur et provoqué un rejet massif de radioactivité directement dans l’environnement (voir tableau 39.19). Ce rejet a atteint une hauteur de 2 km, ce qui a favorisé sa dispersion sur de grandes distances (hémisphère Nord, essentiellement). Les modalités de dispersion du nuage radioactif sont complexes, du fait des changements météorologiques durant la période des rejets (voir figure 39.6) (AIEA, 1991).

Tableau 39.19 Comparaison de différents accidents nucléaires

Accidents

Type d’installation

Mécanisme de l’accident

Quantité totale d’activité rejetée (GBq)

Durée des rejets

Principaux radionucléides rejetés

Dose collective (hSv)

Kyshtym, 1957

Réservoir de produits de fission de haute activité

Explosion chimique

740 x 106

Quasi instantanée

Strontium 90

2 500

Windscale, 1957

Réacteur de production de plutonium

Incendie

7,4 x 106

Environ 23 heures

Iode 131,
polonium 210,
césium 137

2 000

Three Mile Island, 1979

Réacteur industriel PWR

Défaut de refroidissement

555

?

Iode 131

16-50

Tchernobyl, 1986

Réacteur industriel RBMK

Criticité

3 700 x 106

Plus de 10 jours

Iode 131, iode 132,
césium 137,
césium 134,
strontium 89, strontium 90

600 000

Source: UNSCEAR, 1993.

Figure 39.6 Trajets des rejets après l'accident de Tchernobyl entre le 26 avril et le 6 mai 1986

Figure 39.6

Des cartes de contamination ont été établies à partir de mesures environnementales portant sur le césium 137, un des principaux radioéléments rejetés (voir tableaux 39.18 et 39.19). En Biélorussie, Russie et Ukraine, trois zones géographiques ont été fortement contaminées (voir figure 39.7). La superficie des zones contaminées, les types de populations et leurs modes d’exposition sont indiqués au tableau 39.20. Dans le reste de l’Europe, les dépôts ont été moins importants (voir figure 39.8) (UNSCEAR, 1988).

Figure 39.7 Dépôts de césium 137 en Biélorussie, en Russie et en Ukraine après
l'accident de Tchernobyl

Figure 39.7

Tableau 39.20 Superficie des zones contaminées, types de populations exposées et modes
d'exposition en Biélorussie, Russie et Ukraine après l'accident de Tchernobyl

Types de population

Superficie (km2)

Effectifs de population (milliers)

Modes d’exposition prédominants

Populations professionnellement exposées

Employés sur place au  moment de l’accident

 

~0,44

Irradiation externe,inhalation, contamination cutanée causées par le réacteur endommagé, ses fragments dispersés sur le site et par l’eau, les vapeurs et les poussières radioactives

Sapeurs-pompiers

 

~0,12

Liquidateurs*

 

600-800

Irradiation externe, inhalation, contamination cutanée

Population générale

Evacuée de la zone interdite dans les premiers jours

 

115

Irradiation externe causée par le nuage, inhalation de particules radioactives en suspension dans le nuage

Résidant dans les territoires contaminés**
(MBq/m2)     (Ci/km2)

Irradiation externe causée par les dépôts, ingestion de produits contaminés

>1,5             (>40)
0,6-1,5         (15-40)
0,2-0,6         (5-15)
0,04-0,2       (1-5)

   3 100
   7 200
  17 600
103 000

     33
   216
   584
3 100

 

Résidant sur le reste du territoire
(<0,04MBq/m2)

 

280 000

Irradiation externe causée par les dépôts, ingestion de produits contaminés

*Personnes ayant participé aux tâches d’assainissement dans un périmètre de 30 km autour du site. Il s’agit aussi bien des sapeurs-pompiers, des militaires, des techniciens et des ingénieurs qui sont intervenus dans les premières semaines que des médecins et des chercheurs impliqués plus tard.

**Niveaux de contamination en césium 137.

Source: UNSCEAR, 1988; AIEA, 1991.

Figure 39.8 Dépôts de césium 137 (kBq/km2) en Europe après l'accident de Tchernobyl

Figure 39.8

L’accident de Three Mile Island a été causé par un «défaut de refroidissement» du cœur du réacteur pendant plusieurs heures. C’est un accident thermique sans emballement de la réaction nucléaire. Le cœur a été partiellement détruit. Du fait de la présence d’une enceinte de confinement, une quantité limitée de radioactivité a été rejetée dans l’environnement (voir tableau 39.19). Néanmoins, 200 000 personnes ont spontanément évacué la région bien qu’aucun ordre d’évacuation n’ait été donné.

Un accident s’est également produit dans un réacteur de production de plutonium sur la côte ouest de l’Angleterre (Windscale), en 1957 (voir tableau 39.19) à la suite d’un incendie du cœur. Cet accident a provoqué un rejet de radioactivité dans l’environnement par une cheminée de 120 m de haut.

Les installations de traitement du combustible

Ces installations (voir figure 39.9) comportent, en amont des réacteurs, des usines de fabrication de combustible (extraction du minerai et transformation physique et chimique de l’uranium en «éléments combustibles» utilisables dans les réacteurs). Des risques d’accident existent sur les installations de transformation: ils sont surtout de nature chimique et liés à la présence d’un composé de l’uranium sous forme gazeuse, l’hexafluorure d’uranium (UF6). Celui-ci peut produire, en se décomposant à l’air, de l’acide fluorhydrique (HF), un gaz chimiquement très corrosif.

Figure 39.9 Cycle du combustible nucléaire

Figure 39.9

En aval des réacteurs, il existe des installations pour stocker le combustible irradié ou pour le retraiter. Quatre accidents de criticité lors d’opérations chimiques de retraitement d’uranium enrichi ou de plutonium se sont produits dans le passé (Rodrigues, 1987). Les quantités de substances radioactives en jeu étaient faibles (quelques dizaines de kilogrammes, au maximum), comparées à celles des réacteurs de puissance. Les effets mécaniques de ces accidents sont toujours restés négligeables, sans rejet vers l’extérieur des installations. Seuls les travailleurs présents ont été exposés et ont subi une irradiation externe par des rayonnements gamma et des neutrons pendant des temps très courts (quelques minutes) et à des doses très élevées.

Un accident s’est produit en 1957 sur un réservoir de stockage de déchets fortement radioactifs, dans le premier complexe nucléaire construit dans le sud de l’Oural (Russie) pour la fabrication du plutonium à des fins militaires (accident de Kyshtym) (voir tableaux 39.19 et 39.21). Le réservoir, insuffisamment refroidi, a explosé, provoquant le rejet de 740 PBq (20 MCi) dans l’atmosphère et la contamination de plus de 16 000 km2 (Akleyev, 1994).

Tableau 39.21 Superficie des zones contaminés et effectifs de populations exposées après
l'accident de Kyshtyn (Oural, 1957), selon le niveau de contamination en strontium 90

Contamination (kBq/m2)

(Ci/km2)

Superficie (km2)

Population

≥ 37 000

≥ 1 000

        20

     1 240

≥ 3 700

≥ 100

      120

     1 500

≥ 74

≥ 2

   1 000

   10 000

≥ 3,7

≥ 0,1

 15 000

 270 000

Les réacteurs de recherche

Les risques de ces installations sont similaires à ceux des centrales nucléaires, quoique de moindre importance en raison de leur puissance beaucoup plus faible. Plusieurs accidents de criticité entraînant des irradiations significatives de personnels se sont produits sur ces installations (Rodrigues, 1987).

Les accidents lors d’utilisations industrielles (hors nucléaire) et médicales de radioéléments (Zerbib, 1993)

La perte de sources radioactives utilisées en gammagraphie industrielle (par exemple, pour l’inspection radiographique de joints ou de soudures) est l’accident le plus fréquent. La perte de sources à usage médical s’est également produite (voir tableau 39.22). Deux scénarios sont alors possibles. La source peut être emportée et conservée par une personne durant quelques heures (par exemple, dans la poche), puis signalée et restituée; elle provoque alors des brûlures localisées. Elle peut également être emportée à domicile, où l’irradiation prolongée de nombreuses personnes est alors possible.

Tableau 39.22 Accidents liés à la perte de sources radioactives et ayant entraîné une
exposition de la population

Pays (année)

Nombre de personnes exposées

Nombre de personnes ayant reçu des doses élevées*

Nombre de personnes décédées**

Source radioactive impliquée

Mexique (1962)

?

   5

 4

Cobalt 60

Chine (1963)

?

   6

 2

Cobalt 60

Algérie (1978)

22

   5

 1

Iridium 192

Maroc (1984)

?

11

 8

Iridium 192

Mexique
(Ciudad Juárez, 1984)

~4 000

   5

 0

Cobalt 60

Brésil,
(Goiânia, 1987)

249

50

 4

Césium 137

Chine
(Xinhou, 1992)

~90

12

 3

Cobalt 60

Etats-Unis,
(Indiana, 1992)

~90

   1

 1

Iridium 192

* Personnes exposées à des doses ayant pu entraîner des effets aigus (décès inclus) ou des séquelles.

** Parmi les personnes ayant reçu des doses élevées.

Source: Nénot, 1993.

Des accidents ont eu lieu à la suite de la récupération d’appareils de téléthérapie par des ferrailleurs. Ceux-ci avaient démonté les têtes des appareils renfermant les sources radioactives pour récupérer leurs matériaux et les ont ainsi mises à nu. Deux accidents importants de ce type ont entraîné une exposition du public: Ciudad Juárez (Mexique) et Goiânia (Brésil) (voir tableau 39.22 et encadré).

L’accident de Goiânia, 1987

Entre le 21 et le 28 septembre 1987, plusieurs personnes furent admises à l’hôpital des maladies tropicales de Goiânia, ville d’un million d’habitants dans l’Etat de Goias, au Brésil. Elles présentaient toutes des troubles similaires: vomissements, diarrhée, vertiges et lésions cutanées localisées en divers endroits du corps. Ces troubles furent attribués à une maladie parasitaire fréquente au Brésil. Le 28 septembre, le médecin responsable du service de vigilance sanitaire de la ville reçut la visite d’une femme qui lui apportait un sac contenant des débris d’un appareil récupéré dans une clinique désaffectée et une poudre qui émettait, au dire de cette personne, «une lueur bleue». Pensant que l’appareil était probablement un appareil à rayons X, le médecin contacta ses collègues de l’hôpital des maladies tropicales. Le département de l’environnement de l’Etat de Goias fut averti et, le lendemain, un physicien vint effectuer des mesures dans la cour du service d’hygiène où le sac avait été déposé la veille. Il constata des niveaux de radioactivité très élevés. Les investigations déclenchées par les autorités compétentes permirent de remonter à l’origine de la source: il s’agissait d’une source de césium 137, d’une activité totale d’environ 50 TBq (1375 Ci). Elle provenait d’un appareil de téléthérapie laissé à l’abandon dans les locaux d’une clinique désaffectée depuis 1985. La tête de l’appareil avait été démontée le 10 septembre 1987 par deux ferrailleurs et la source de césium, sous forme de poudre, avait été progressivement séparée de son enveloppe de protection. Cette substance insolite et les fragments de l’appareil qu’elle avait contaminés avaient été peu à peu disséminés en plusieurs endroits de la ville. De nombreuses personnes les ayant transportés, manipulés ou simplement examinés — parents, amis, voisins — furent contaminées. Au total, sur plus de 100 000 personnes examinées, 129 avaient été très sérieusement contaminées, 50 durent être hospitalisées (dont 14 pour insuffisance médullaire) et 4 sont décédées, dont une petite fille âgée de 6 ans. Les conséquences économiques et sociales de l’accident furent dramatiques, pour l’ensemble de la ville de Goiânia, dont 1/1 000e de la superficie a été touché, mais aussi pour l’Etat de Goias: les prix agricoles, les loyers, la valeur des biens immobiliers et des terrains ont chuté et les habitants de l’Etat tout entier subirent une véritable discrimination.

Source: AIEA, 1989a.

L’accident de Ciudad Juárez a été découvert fortuitement (AIEA, 1989b). Le 16 janvier 1984, un camion transportant des barres d’acier déclenche un détecteur de rayonnements lors de son entrée dans un laboratoire scientifique de Los Alamos (Nouveau-Mexique, Etats-Unis). Les investigations permettent d’établir la présence de cobalt 60 dans les barres et de remonter à leur origine: une fonderie située au Mexique. Le 21 janvier, la provenance des matériaux contaminés est établie: il s’agit d’un dépôt de ferraille situé à Ciudad Juárez et qui s’avère fortement contaminé. Une surveillance systématique des routes et des autoroutes par des détecteurs repère un camion massivement contaminé et permet de retracer l’origine de la source: un appareil de téléthérapie stocké dans un centre médical. En décembre 1983, cet appareil avait été démonté et transporté chez un ferrailleur, et la capsule protégeant la source avait été rompue, libérant des pastilles de cobalt-60. Certaines d’entre elles étaient tombées dans le camion utilisé pour le transport et les autres avaient été dispersées dans le dépôt de ferraille lors de manipulations, se mélangeant aux débris de ferraille entreposés.

Sur les irradiateurs industriels (utilisés, par exemple, pour la préservation d’aliments, la stérilisation de produits médicaux ou encore la polymérisation de substances chimiques), des accidents se sont produits lorsque des travailleurs ont pénétré dans les chambres d’irradiation alors que les appareils fonctionnaient encore. Chaque fois, les règles de sécurité n’avaient pas été respectées et les systèmes de sécurité et d’alarme étaient déconnectés ou défectueux. Ces travailleurs ont subi de ce fait une irradiation externe à des débits de dose très élevés (doses mortelles en quelques minutes ou secondes) (voir tableau 39.23).

Tableau 39.23 Principaux accidents survenus sur des irradiateurs industriels

Lieu, date

Appareil

Victimes

Niveaux, durée d’exposition

Organes et tissus touchés

Doses reçues (Gy)

Conséquences médicales

Forbach, août 1991

AE*

2

Quelques dGy/ seconde

Mains, tête, tronc

40, peau

Brûlures sur 25 à 60 % de la surface corporelle

Maryland, décembre 1991

AE

1

?

Mains

55, mains

Amputations des doigts aux 2 mains

Viet Nam, novembre 1992

AE

1

1 000 Gy/ minute

Mains

1,5 corps entier

Amputation de la main droite et d’un doigt de la main gauche

Italie, mai 1975

IC*

1

Quelques minutes

Tête et corps entier

8, moelle osseuse

Décès

San Salvador, février 1989

IC

3

?

Corps entier, jambes et pieds

3-8, corps entier

2 amputations de la jambe
1 décès

Israël, juin 1990

IC

1

1 minute

Tête et corps entier

10-20

Décès

Biélorussie, octobre 1991

IC

1

Quelques minutes

Corps entier

10

Décès

*AE: accélérateur d’électrons; IC: irradiateur cobalt 60.

Source: Zerbib, 1993; Nénot, 1993.

Enfin, des expositions accidentelles de travailleurs aboutissant à des contaminations de la peau ou de plaies, ou encore à l’ingestion ou l’inhalation de substances radioactives peuvent se produire lors de la préparation ou de la manipulation de sources radioactives (personnel médical et scientifique). Il faut mentionner que ce type d’accident existe aussi dans les installations du cycle nucléaire.

Les dimensions du problème sous l’angle de la santé publique

L’évolution de la fréquence des accidents dans le temps

Le bilan des accidents radiologiques est assuré grâce à un registre mondial (United States Radiation Accident Registry) établi à Oak Ridge (Etats-Unis) dans lequel sont consignés depuis 1944 les accidents survenant dans le monde entier faisant l’objet d’une publication et conduisant à l’exposition de personnes à des doses supérieures à 0,25 Sv au corps entier ou 6 Sv à la peau, ou encore 0,75 Sv aux autres tissus ou organes (voir encadré pour la définition du Sievert). Ce registre exclut les accidents ayant pu conduire à des expositions plus faibles, mais néanmoins significatives sur le plan de la santé publique (voir ci-après les conséquences des irradiations). Le bilan des accidents radiologiques et nucléaires entre 1944 et 1988 montre une nette augmentation de leur nombre au cours de la période 1980-1988 (voir tableau 39.24). Le nombre de personnes impliquées dans les accidents a également augmenté de façon très importante. Cette hausse reflète probablement l’inclusion dans le bilan des populations exposées à Tchernobyl, notamment les 13 500 personnes qui résidaient initialement dans la zone interdite des 30 km. De plus, les accidents de Goiânia et de Ciudad Juárez se sont aussi produits durant cette période, entraînant l’exposition significative d’un grand nombre de personnes (voir tableau 39.22).

Qu’est-ce qu’une dose?

Dans le domaine des rayonnements ionisants, la dose est définie de plusieurs façons dont chacune correspond à un objectif différent.

La dose absorbée

La dose absorbée est la définition qui se rapproche le plus d’une dose au sens pharmacologique — quantité de substance administrée à un sujet rapportée à l’unité de poids (ou de surface). Elle représente la quantité d’énergie communiquée par les rayonnements ionisants par unité de masse de matière. Elle se mesure en grays (1 Gy = 1 joule/kg). Lorsqu’un individu est exposé de façon homogène — par exemple par irradiation externe par les rayonnements d’origine cosmique et terrestre ou par irradiation interne par le potassium 40 présent dans l’organisme — tous les organes et tissus reçoivent la même dose et l’on peut parler de «dose corps entier». Quand un individu est exposé de façon hétérogène à des rayonnements ionisants, certains organes ou tissus vont recevoir une dose beaucoup plus importante que le reste de l’organisme: il est plus intéressant alors, du point de vue des effets de cette exposition, de parler de «dose à l’organe». Par exemple, l’inhalation des produits de filiation du radon entraîne essentiellement une dose aux poumons, alors que l’incorporation d’iode radioactif provoque surtout une irradiation de la thyroïde: on parlera alors respectivement de dose aux poumons et de dose à la thyroïde.

Cependant, d’autres unités de dose ont été construites, pour tenir compte des différences d’effets entre les types de rayonnements et des différences de radiosensibilité des tissus et organes.

La dose équivalente

L’apparition d’effets biologiques (tels que l’inhibition de croissance cellulaire, la mort cellulaire, l’azoospermie) dépend de la dose absorbée, mais également du type de rayonnement. Les rayonnements alpha ont un pouvoir ionisant plus important que les rayonnements bêta ou gamma. Cette différence est prise en compte dans le calcul de la dose équivalente en appliquant des facteurs de pondération appelés «facteurs de pondération pour les rayonnements». Par exemple, pour les rayonnements gamma et bêta à faible pouvoir ionisant, le facteur de pondération a été fixé à 1. Pour les particules alpha à pouvoir ionisant élevé, le facteur de pondération a été fixé à 20 [CIPR 60]. L’unité de la dose équivalente est le sievert (Sv).

La dose efficace

Lors d’une irradiation hétérogène (par exemple, lors de l’exposition à divers radionucléides irradiant des organes différents), il peut être intéressant de combiner les doses reçues par les différents organes ou tissus pour calculer une «dose» globale. On tient compte pour cela de la sensibilité des tissus aux effets des rayonnements ionisants en appliquant, pour les tissus et les organes, des facteurs de pondération déterminés à partir des résultats des études épidémiologiques antérieures sur les cancers radio-induits. On calcule ainsi la dose efficace dont l’unité est encore appelée le sievert (Sv) [CIPR 60]. La dose efficace n’est, par conséquent, pas adaptée à l’évaluation épidémiologique des effets de l’exposition aux rayonnements ionisants, mais elle a été conçue dans un objectif de radioprotection, c’est-à-dire de gestion des risques.

La dose collective

La dose collective reflète l’exposition d’un groupe ou d’une population et non plus d’un individu. Elle est calculée en cumulant les doses individuelles reçues ou en multipliant la dose individuelle moyenne par le nombre de personnes exposées dans les groupes ou populations considérés. L’unité est «l’homme sievert» (h.Sv). La dose collective permet d’évaluer les conséquences de l’exposition aux rayonnements ionisants à l’échelle d’une population ou d’un groupe.

Tableau 39.24 Bilan des accidents radiologiques et nucléaires survenus
dans le monde entre 1944 et 1988 et figurant dans le registre
mondial des accidents (Oak Ridge, Etats-Unis)

Période

1944-1979

1980-1988

1944-1988

Nombre total d’accidents

      98

       198

       296

Nombre de personnes impliquées

    562

136 053

136 615

Nombre de personnes exposées à des doses supérieures aux critères*

    306

  24 547

  24 853

Nombre de décès (effets aigus)

     16

         53

         69

* 0,25 Sv au corps entier, 6 Sv à la peau, 0,75 Sv aux autres tissus et organes.

Les populations potentiellement exposées

Il faut établir une distinction entre les personnes professionnellement exposées aux rayonnements ionisants et le public. Selon le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) (UNSCEAR, 1993), le nombre des personnes professionnellement exposées aux rayonnements ionisants dans le monde peut être estimé, pour la période 1985-1989, à 4 millions, dont 20% environ dans le cycle du combustible nucléaire (voir tableau 39.25). Le parc des irradia-teurs dans les pays membres de l’AIEA était évalué en 1992 à 760 installations, dont 600 accélérateurs d’électrons et 160 irradiateurs gamma.

Tableau 39.25 Evolution du nombre de personnes exposées professionnellement aux
rayonnements ionisants d'origine artificielle dans le monde (en milliers)

Type d’activité

1975-1979

1980-1984

1985-1989

Cycle du combustible nucléaire*

     560

     800

     880

Domaine militaire**

     310

     350

     380

Utilisations industrielles

     530

     690

     560

Utilisations médicales

  1 280

  1 890

  2 220

Total

  2 680

  3 730

  4 040

* Fabrication et retraitement de combustibles: 40 000; exploitation de réacteurs: 430 000.

** Dont 190 000 sur navires.

Source: UNSCEAR, 1993.

En ce qui concerne la population en général, la répartition des installations nucléaires selon les pays fournit une indication quant aux zones d’exposition potentielle (voir figure 39.10).

Figure 39.10 Répartition des réacteurs de puissance et des installations de
retraitement du combustible dans le monde en 1989-90 (R: usines de retraitement
de combustible irradié en 1989)

Figure 39.10

Les conséquences pour la santé

Les effets sur la santé directement liés aux rayonnements ionisants

Les effets des rayonnements ionisants sont dans l’ensemble bien connus. Leur nature dépend à la fois du niveau de dose reçue et du débit de dose (dose reçue par unité de temps (voir encadré).

Les effets déterministes

Ils surviennent lorsque la dose dépasse un certain seuil et lorsque le débit de dose est élevé. Le seuil de dose est variable selon l’organe (voir tableau 39.26). Plus la dose est élevée, plus l’effet est grave.

Tableau 39.26 Effets déterministes: seuils pour divers organes

Tissu et effet

Dose équivalente reçue à l’organe en une exposition unique (Sv)

Testicules

Stérilité temporaire

0,15

Stérilité définitive

3,5-6,0

Ovaires

Stérilité

2,5-6,0

Cristallin

Opacités détectables

0,5-2,0

Diminution de la vue (cataracte)

5,0

Moelle osseuse

Dépression de l’hématopoïèse

0,5

Source: CIPR, 1991.

Lors des accidents qui viennent d’être passés en revue, des effets déterministes peuvent survenir après une irradiation grave localisée: irradiation externe par une source, contact direct avec une source (source égarée emportée et mise en poche) ou encore contamination cutanée. Ces irradiations entraînent des brûlures radiologiques qui s’accompagnent de nécrose des tissus lorsque la dose locale est très importante, de 20 à 25 Gray (Gy) (voir tableau 39.23 et encadré). Lorsque l’irradiation est globale et la dose supérieure en moyenne à 0,5 Gy, elle peut provoquer un syndrome d’irradiation aiguë, se traduisant par des troubles digestifs (nausées, vomissements, voire diarrhée) et une aplasie plus ou moins sévère de la moelle osseuse. Irradiations globales et localisées peuvent être combinées.

Lors des accidents de criticité dans les installations de traitement du combustible ou dans les réacteurs de recherche, 9 décès sont survenus parmi les 60 travailleurs exposés (Rodrigues, 1987). Les personnes décédées avaient reçu entre 3 et 45 Gy, tandis que pour les survivants, les doses étaient comprises entre 0,1 et 7 Gy. Parmi les survivants, on a mis en évidence des syndromes d’irradiation aiguë (gastro-intestinaux et hématologiques), des cataractes bilatérales et des nécroses de membres nécessitant une amputation.

Lors de l’accident de Tchernobyl, le personnel de la centrale et les équipes de secours qui sont intervenus sans protection particulière ont subi dans les premières heures ou les journées suivant l’accident d’intenses irradiations bêta et gamma. Cinq cents personnes ont été hospitalisées, dont 237 pour un syndrome d’irradiation aiguë; 28 sont décédées malgré les traitements (voir tableau 39.27) (UNSCEAR, 1988). D’autres ont subi des irradiations localisées (membres et extrémités, parfois plus de 50% de la surface corporelle) et portent encore, après plusieurs années, de nombreuses séquelles cutanées (Peter et coll., 1994).

Tableau 39.27 Répartition, selon le niveau de gravité, des patients ayant présenté un
syndrome d'irradiation aiguë (SIR) après l'accident de Tchernobyl

Degré de sévérité du SIR

Dose correspondante (Gy)

Nombre de sujets

Nombre de décès (%)

Délai moyen de survie (jours)

I

1-2

140

 –

II

2-4

   55

   1   (1,8)

96

III

4-6

   21

   7 (33,3)

29,7

IV

  > 6

   21

20 (95,2)

26,6

Source: UNSCEAR, 1988.

Les effets stochastiques

Ces effets sont de nature probabiliste: leur fréquence augmente avec la dose reçue, mais leur gravité est indépendante de la dose. Les principaux effets stochastiques sont:

Tableau 39.28 Résultats des études épidémiologiques sur les expositions à fort débit de
dose pour différents sites de cancer

Site de cancer

Hiroshima/Nagasaki

Autres études

 

Mortalité

Incidence

Etudes positives/total1

Système hématopoïétique

 

 

 

Leucémies
Lymphomes (non spécifiés)
Lymphomes non hodgkiniens
Myélome

+*
+

+

+*

+*
+

6/11
0/3
1/1
1/4

Cavité orale

+

+

0/1

Glandes salivaires

 

+*

1/3

Système digestif  

 

 

 

Œsophage
Estomac
Intestin grêle
Côlon
Rectum
Foie
Vésicule biliaire
Pancréas

+*
+*

+*
+
+*

+*
+*

+*
+
+*

2/3
2/4
1/2
0/4
3/4
0/3
0/2
3/4

Système respiratoire  

 

 

 

Cavité nasale
Larynx
Trachée, bronches, poumons



+*



+*


0/1
1/3

Peau

 

 

 

Non spécifié
Mélanomes
Autres cancers

 



+*

1/3
0/1
0/1

Seins (femmes)  

+*

+*

9/14

Tractus génital  

 

 

 

Utérus (non spécifié)
Corps utérin
Ovaires
Autres (féminin)
Prostate

+

+*

+

+

+*

+

2/3
1/1
2/3
2/3
2/2

Tractus urinaire

 

 

 

Vessie
Reins
Autres

+*

+*

3/4
0/3
0/1

Système nerveux central   

+

+

2/4

Thyroïde  

 

+*

4/7

Os  

 

 

2/6

Tissu conjonctif  

 

 

0/4

Tous cancers, sauf leucémies  

 

 

1/2

+ Sites étudiés chez les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. * Sites pour lesquels un excès significatif a été mis en évidence.

1 Etudes de cohortes (incidence ou mortalité) et études cas témoins.

Source: UNSCEAR, 1994.

Deux points importants sur les effets des rayonnements ioni-sants restent cependant controversés ou ne sont pas encore connus avec précision:

Premièrement, quels sont les effets d’une irradiation à faible dose (inférieure à 0,2 Sv) et à faible débit de dose? A l’exception de l’exposition au radon, la plupart des études épidémiologiques servant de base à la quantification des risques concernent des populations exposées durant des périodes très brèves à des doses relativement élevées (survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, personnes irradiées pour des raisons thérapeutiques); l’évaluation des risques de cancer aux doses et débits de dose plus faibles repose sur des extrapolations, essentiellement à partir des résultats des études chez les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki. Plusieurs études effectuées chez les travailleurs du nucléaire, dont les expositions sont faibles et s’étalent sur quelques années ou plus, ont mis en évidence des niveaux de risque (pour les leucémies, d’une part, et les autres cancers, d’autre part) compatibles avec ces extrapolations (UNSCEAR, 1994; Cardis, 1995); ces résultats devront être confirmés.

Deuxièmement, existe-t-il un seuil de dose en deçà duquel il n’y aurait pas d’effet? Pour le moment, cette question reste sans réponse. Des études expérimentales ont montré que les dommages, dus à des erreurs spontanées ou à des facteurs environnementaux, que subit en permanence le matériel génétique, l’ADN, sont constamment réparés. Mais ces réparations ne sont pas toujours efficaces et elles aboutissent parfois à la transformation maligne de cellules (UNSCEAR, 1994).

Les autres effets

Il faut enfin mentionner les effets tératogènes d’une irradiation en cours de grossesse. Ceux-ci n’ont été observés que chez les enfants des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, lors d’une irradiation au cours du premier trimestre de la grossesse. Il s’agissait de microcéphalies et de retards mentaux (Otake, Schull et Yoshimura, 1989; Otake et Schull, 1992). Il est difficile de se prononcer sur la nature stochastique ou déterministe de ces effets, bien que les analyses suggèrent l’existence d’un seuil de l’ordre de 0,1 à 0,2 Gy, pour les retards mentaux uniquement.

Les effets observés lors de la catastrophe de Tchernobyl

La catastrophe de Tchernobyl est l’accident nucléaire le plus important qui se soit produit jusqu’ici. Cependant, l’ensemble des conséquences sur la santé des populations les plus exposées n’a pas, 10 ans après, été évalué de façon précise. Il y a plusieurs raisons à cela:

Travailleurs. On manque, pour le moment, d’informations sur le suivi de l’ensemble des personnes fortement irradiées dans les premiers jours de l’accident. En ce qui concerne les liquidateurs (voir tableau 39.20), des études sont en cours pour étudier les risques de cancers solides et de leucémies. Ces études se heurtent à plusieurs difficultés. De nombreux liquidateurs provenaient de différentes régions de l’ex-URSS et sont repartis après avoir travaillé sur le site de Tchernobyl; cet éloignement entrave évidemment leur suivi sanitaire régulier. De plus, des questions se posent quant à la fiabilité des données de l’époque pour évaluer les doses individuelles reçues. Elles devront donc être «reconstruites» de façon rétrospective.

Population générale. Le seul effet vraisemblablement lié aux rayonnements ionisants observé à ce jour dans la population est l’augmentation, à partir de 1989, de l’incidence du cancer de la thyroïde chez les enfants de moins de 15 ans. Elle a été mise en évidence en Biélorussie à partir de 1989, trois années seulement après l’accident. Les données ont été analysées et confirmées par différents groupes d’experts (Williams et coll., 1993). L’augmentation est particulièrement marquée dans les régions les plus contaminées de Biélorussie, notamment la région de Gomel. Alors que le cancer de la thyroïde est très rare avant l’âge de 15 ans (de 0,1 à 0,3 cas pour 100 000 et par an), son incidence chez l’enfant a été multipliée par 10 sur l’ensemble du pays et par 20 environ dans la région de Gomel (voir tableau 39.29 et figure 39.11) (Stsjazhko et coll., 1995). Une augmentation plus tardive a également été rapportée en Ukraine (multiplication de l’incidence par 10 dans les 5 régions les plus contaminées), puis dans la région de Briansk, en Russie (voir tableau 39.29). Par ailleurs, une augmentation chez l’adulte est suspectée, mais non confirmée.

Tableau 39.29 Evolution de l'incidence* et du nombre total des cas de cancer de la
thyroïde chez l'enfant, en Biélorussie, en Ukraine et en Russie sur la période 1981-1994

 

Incidence pour 100 000

Nombre de cas

 

1981-1985

1991-1994

1981-1985

1991-1994

Biélorussie

  Ensemble du pays

  0,3

3,06

   3

333

  Région de Gomel

  0,5

9,64

   1

164

Ukraine

  Ensemble du pays

0,05

0,34

25

209

  Cinq régions les plus contaminées

0,01

1,15

 1

118

Russie

  Ensemble du pays

     ?

     ?

   ?

      ?

  Régions de Briansk et Kalouga

0

1,00

 0

 20

* L’incidence désigne un taux: c’est le rapport entre le nombre de nouveaux cas d’une maladie pendant une période donnée et l’effectif de la population concernée pendant la même période.

Source: Stsjazhko et coll., 1995.

Figure 39.11 Incidence* du cancer de la thyroïde chez les enfants âgés de moins de
15 ans en Biélorussie

Figure 39.11

La mise en place, dans les régions contaminées, de campagnes de dépistage systématique (notamment à l’aide d’examens écho-graphiques permettant de détecter des tumeurs thyroïdiennes de quelques millimètres de diamètre), a pu révéler des cancers latents qui existaient avant l’accident. Mais les caractéristiques des cancers décelés (tumeurs agressives et rapidement évolutives en majorité) et l’ampleur de l’augmentation permettent de penser que celle-ci est due en partie à l’accident.

Lors de celui-ci, une importante quantité d’iode a été rejetée. En l’absence de mesure de prévention, l’iode radioactif se fixe préférentiellement sur la thyroïde. Dans les zones les plus contaminées après l’accident (région de Gomel, par exemple), les doses à la thyroïde étaient élevées, particulièrement chez les enfants (Williams et coll., 1993).

L’exposition aux rayonnements est un facteur de risque bien documenté pour le cancer de la thyroïde. Une douzaine d’études portant sur des enfants ayant subi une irradiation externe de la tête et du cou à des fins médicales ont montré une nette augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde. Dans la majorité de ces études, l’augmentation devient nette au bout de 10 à 15 ans, mais elle est parfois détectée entre 3 à 7 ans après l’exposition. Par contre, les effets d’une irradiation interne par l’iode-131 et par des isotopes d’iode à période courte chez l’enfant ne sont pas bien établis (Shore, 1992).

L’ampleur exacte et l’évolution dans les prochaines années de l’augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde dans les populations les plus exposées après l’accident de Tchernobyl devront être précisées. Les études épidémiologiques en cours devraient permettre de quantifier les risques de cancer de la thyroïde en fonction du niveau de dose à la thyroïde et de préciser le rôle éventuel d’autres facteurs de risque, génétiques ou environnementaux (en effet, la carence en iode est fréquente dans les régions concernées).

Par ailleurs, parmi les effets qui étaient attendus entre 5 et 10 ans après la catastrophe de Tchernobyl dans les populations les plus exposées, figurait l’augmentation de l’incidence des leucémies. Pour le moment, aucun excès de leucémie n’a été observé dans les zones les plus contaminées, y compris chez l’enfant, qui est pourtant plus sensible aux effets des rayonnements ionisants. Cependant, les études effectuées jusqu’ici comportent des limites méthodologiques et ne permettent pas de conclure de façon définitive à l’absence d’excès de leucémies.

Les conséquences psychosociales

La survenue de troubles psychiques plus ou moins sévères à la suite d’un traumatisme psychique est bien établie et a été abondamment étudiée à la suite de catastrophes environnementales (inondations, éruptions volcaniques, tremblements de terre). L’état de stress post-traumatique en représente une conséquence sévère, durable et invalidante pour les personnes atteintes (APA, 1996).

L’essentiel des connaissances sur les troubles psychiques et le stress lors d’accidents radiologiques vient des études effectuées après l’accident de Three Mile Island, aux Etats-Unis. Dans l’année suivant l’accident, elles ont montré l’existence d’effets psychologiques immédiats dans la population exposée et la sensibilité plus importante des mères de jeunes enfants chez lesquelles des troubles anxiodépressifs ont été observés (Bromet et coll., 1982). Chez les travailleurs de la centrale également, une fréquence de ce type de troubles plus élevée a été constatée chez les employés d’une autre centrale non accidentée. Dans les années suivantes, un quart environ des personnes incluses dans des enquêtes ont présenté des troubles psychologiques, voire psychiatriques relativement importants, troubles réactivés lors de la réouverture de la centrale; pour les trois quarts restants, les troubles psychologiques n’étaient pas plus fréquents que dans des populations témoins (Dew et Bromet, 1993). Les troubles psychologiques étaient plus fréquents chez les personnes résidant à proximité de la centrale, ayant évacué leur domicile au moment de l’accident, ne bénéficiant pas d’un soutien solide de leur entourage ou ayant des antécédents de troubles psychiatriques (Baum, Cohen et Hall, 1993).

Des études ont également été effectuées dans les populations de l’ex-URSS touchées par l’accident de Tchernobyl (liquidateurs, personnes résidant en permanence dans des zones contaminées). Elles montrent une augmentation significative et durable des symptômes psychologiques. Cette détresse psychologique peut avoir un impact important sur la santé publique. Mais, pour le moment, on manque encore d’informations rigoureuses qui permettraient de connaître la nature et la gravité des divers troubles psychiques, ainsi que leur fréquence dans certains groupes de populations (les liquidateurs, par exemple). Le contexte socio-économique difficile, les divers systèmes de réparation mis en place par les autorités, l’évacuation et le relogement (environ 100 000 personnes supplémentaires ont été relogées dans les années suivant l’accident), les contraintes sur le mode de vie (par exemple, l’alimentation) subies par les personnes résidant dans les zones contaminées sont autant de facteurs qui devraient être pris en compte dans l’évaluation des conséquences psychosociales de l’accident.

Les principes et les directives de prévention

Les principes et les directives de sûreté

Les utilisations industrielles et médicales de sources radioactives

Il faut rappeler que les accidents majeurs sont liés à des installations nucléaires. Cependant, les autres utilisations de radio-éléments ont entraîné, elles aussi, de nombreux accidents avec des conséquences souvent graves pour les travailleurs ou le public. La prévention de ces accidents est donc essentielle, d’autant plus que le traitement médical est décevant lorsque les doses sont élevées. La prévention repose sur la formation du personnel et sur le recensement exhaustif des sources utilisées et de leur localisation, depuis leur fabrication jusqu’à leur élimination ou stockage définitif. Par ailleurs, des principes de sûreté et des recommandations ont été publiés par l’AIEA pour l’utilisation de sources radioactives dans l’industrie, la médecine et la recherche (AIEA, 1990). Les concepts sont voisins de ceux présentés ci-après pour les installations nucléaires.

La sûreté des installations nucléaires (AIEA, 1988)

L’objectif recherché est de protéger en toutes circonstances l’être humain et son environnement naturel contre la dispersion des produits radioactifs. Pour cela, un ensemble de dispositions est appliqué à tous les stades de la conception, de la construction, de l’exploitation et de la mise à l’arrêt des installations nucléaires.

La sûreté des installations nucléaires repose tout d’abord sur le principe de «défense en profondeur», c’est-à-dire la juxtaposition de mesures et de systèmes redondants visant à pallier d’éventuelles défaillances techniques ou humaines. Concrètement, des barrières successives sont interposées entre les produits radioactifs contenus dans l’installation et l’environnement. Sur les réacteurs de puissance, la barrière ultime est l’enceinte de confinement (absente sur la centrale de Tchernobyl, présente sur celle de Three Mile Island). Pour éviter la défaillance de ces barrières ou en limiter les conséquences, trois fonctions de sûreté doivent être assurées à chaque instant de la vie de la centrale: le contrôle de la réaction nucléaire, le refroidissement du combustible et le confinement des produits radioactifs.

Un autre principe essentiel de la sûreté est le «retour d’expérience»: il s’agit de tirer tous les enseignements possibles d’accidents ou d’incidents, même mineurs, pour améliorer la sûreté des installations existantes. Ainsi, les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl ont été analysés et des améliorations ont été engagées afin qu’ils ne se répètent pas sur d’autres centrales.

Enfin, il convient de signaler que des efforts importants ont été déployés pour promouvoir une «culture de sûreté» au sein des installations nucléaires, c’est-à-dire pour prendre en compte en permanence les problèmes de sûreté dans l’organisation, les activités et les pratiques, ainsi que les comportements individuels. De plus, pour faciliter la perception de l’importance des incidents ou accidents survenant dans les installations nucléaires, une échelle internationale pour la classification des incidents nucléaires (INES) a été construite, identique, dans son principe, aux échelles mesurant la gravité de certains phénomènes naturels tels que les séismes et le vent (voir tableau 39.30). Elle ne constitue cependant pas un outil d’évaluation de la sûreté ou de comparaison internationale.

Tableau 39.30 Echelle internationale pour la classification des incidents nucléaires

Niveau

Extérieur du site

Intérieur du site

Barrières de défense

7 — Accident majeur

Rejet majeur, effets étendus sur la santé et sur l’environnement

 

 

6 — Accident grave

Rejet important, possibilité d’application de toutes les contre-mesures

 

 

5 — Accident

Rejet limité, ossibilité d’application partielle des contre-mesures

Réacteur/barrières de défense gravement endommagés

 

4 — Accident

Faible rejet, exposition du public équivalente aux limites

Réacteur/barrières endommagés, exposition mortelle des travailleurs

 

3 — Incident grave

Très faible rejet, exposition du public inférieure aux limites

Contamination grave, effets aigus sur la santé des travailleurs

Quasi-accident

2 — Incident

 

Contamination importante, surexposition des travailleurs

Défaillances importantes des mesures de sûreté

1 — Anomalie

 

 

Anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé

0 — Ecart

Importance nulle du point de vue de la sûreté

 

 

Les principes de radioprotection lors d’accidents comportant une exposition de la population générale

Lorsqu’il y a risque d’exposition du public, des mesures de protection peuvent être nécessaires pour prévenir ou limiter l’exposition aux rayonnements ionisants afin d’éviter, en particulier, la survenue d’effets déterministes. Les premières contre-mesures à envisager en urgence sont le confinement, l’évacuation et la distribution d’iode stable, qui permet de saturer la thyroïde s’il est ingéré suffisamment tôt et d’éviter la fixation d’iode radioactif. Pour être efficace, toutefois, la saturation de la thyroïde doit intervenir avant le début de l’exposition ou peu de temps après. Enfin, il peut être nécessaire de reloger la population, de décontaminer la zone sinistrée et de contrôler les travaux agricoles et les denrées alimentaires, et cela de manière temporaire ou permanente, selon les cas. A chacune de ces mesures correspond un «niveau d’action» (voir tableau 39.31) qu’il convient de ne pas confondre avec les limites de dose recommandées par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) pour les travailleurs et la population en général, limites édictées dans un objectif de prévention dans un contexte non accidentel (CIPR, 1991).

Tableau 39.31 Exemples de niveaux d'intervention génériques recommandés pour la
mise en place de mesures de protection de la population en cas d'accident

Mesures de protection

Niveau d’intervention (dose évitée)

Urgentes

Confinement

  10 mSv

Evacuation

  50 mSv

Distribution d’iode stable

100 mGy

Différées

Relogement temporaire

30 mSv en 30 jours; 10 mSv les 30 jours suivants

Relogement définitif

1 Sv sur la vie entière

Source: AIEA, 1994.

Les besoins en matière de recherche et les tendances futures

En matière de sûreté, les efforts de recherche portent actuellement sur la conception de réacteurs de puissance prenant en compte les risques d’accidents majeurs (réduction des risques de fusion du cœur et limitation des conséquences potentielles de ces accidents).

L’expérience tirée des accidents devrait permettre d’améliorer la prise en charge thérapeutique des personnes gravement irradiées. Dans le traitement des aplasies médullaires radio-induites, les recherches cliniques s’orientent actuellement vers l’utilisation de facteurs stimulant la croissance des cellules de la moelle osseuse (facteurs de croissance hématopoïétique) (Thierry et coll., 1995).

Il subsiste des incertitudes sur les effets des faibles doses et débits de dose de rayonnements ionisants. L’amélioration des connaissances à ce sujet est importante sur le plan scientifique et pour la radioprotection (limites de doses pour la population en général et les travailleurs). La recherche biologique aide à mieux appréhender les mécanismes de cancérogenèse. Des études épidémiologiques portant sur un grand nombre d’individus, notamment celles en cours chez les travailleurs du nucléaire, devraient permettre d’améliorer la précision des estimations de risque de cancer à faibles doses et débits de dose. L’étude des populations qui ont été ou sont encore exposées du fait d’accidents radiologiques devrait apporter des connaissances sur les effets de doses plus fortes souvent délivrées à de faibles débits.

Il est essentiel, par ailleurs, de se préparer à l’évaluation des conséquences sur la santé d’accidents radiologiques éventuels, c’est-à-dire de se doter de structures et d’outils permettant de recueillir en temps voulu les données essentielles.

Enfin, de nombreuses études sont encore nécessaires pour appréhender les conséquences psychosociales des accidents, c’est-à-dire pour mieux cerner la nature et la fréquence des réactions psychologiques post-traumatiques (pathologiques ou non) et leurs facteurs de risque. Ces études sont essentielles si l’on veut améliorer la prise en charge des individus impliqués, qu’il s’agisse des travailleurs ou de la population en général.

LES MESURES DE SÉCURITÉ ET DE SANTÉ DANS LES RÉGIONS AGRICOLES CONTAMINÉES PAR DES RADIONUCLÉIDES: L’EXPÉRIENCE DE TCHERNOBYL

Yuri Kundiev, Leonard A. Dobrovolsky et V.I. Chernyuk

La contamination massive de terres agricoles par des radionucléides a généralement pour cause un accident majeur dans une usine ou une centrale nucléaire. Des accidents de ce genre sont survenus à Windscale (Angleterre) et dans le sud de l’Oural (Russie). Le plus important est celui qui s’est produit en avril 1986 à la centrale nucléaire de Tchernobyl, entraînant une contamination massive des sols sur plusieurs milliers de kilomètres carrés.

Les principaux facteurs qui influent sur les effets des rayonnements dans les régions agricoles sont les suivants:

Des radionucléides, pour la plupart volatils, ayant une activité supérieure à 50 millions de curies (Ci) ont été dispersés dans l’environnement à la suite de l’accident de Tchernobyl. Au cours de la première étape, qui a duré 2,5 mois (la «période de l’iode»), l’iode 131 constituait le plus grand danger biologique, étant donné les fortes doses de rayonnements gamma à haute énergie.

Le travail sur les terres agricoles pendant la période de l’iode doit faire l’objet d’une réglementation très stricte. L’iode 131 s’accumule dans la glande thyroïde où il provoque des lésions. A la suite de l’accident de Tchernobyl, on a délimité, dans un rayon de 30 km autour de la centrale, une zone de rayonnement à très haute intensité à l’intérieur de laquelle il était interdit de vivre ou de travailler.

A l’extérieur de la zone interdite, quatre autres zones ont été définies selon le niveau de rayonnements gamma des sols et selon le type d’activité agricole qui pouvait y être pratiquée; l’intensité du rayonnement dans ces quatre zones, mesurée en roentgens (R), était la suivante au cours de la période de l’iode:

En fait, comme la contamination par les radionucléides était inégalement répartie au cours de la période de l’iode, le travail agricole a continué dans ces zones à des niveaux de rayonnements gamma allant de 0,2 à 25 mR/h. Outre l’absence d’uniformité de la contamination, la variation des niveaux de rayonnements gamma était due aux différences de concentration des radionucléides dans les diverses cultures. Les cultures fourragères, en particulier, sont exposées à des émetteurs gamma de haute intensité au cours de la récolte, du transport, de l’ensilage et de la distribution aux animaux.

Après la désintégration de l’iode 131, ce sont le césium 137 et le strontium 90, des nucléides à longue durée de vie, qui représentent le plus grand danger pour les travailleurs agricoles. Le césium 137, un émetteur gamma, est un analogue chimique du potassium; ingéré par les humains ou les animaux, il se distribue uniformément dans l’ensemble de l’organisme et est excrété assez rapidement dans l’urine et les fèces. Le fumier des régions contaminées représente donc une autre source de rayonnements et il faut le retirer le plus rapidement possible des exploitations d’élevage et l’entreposer dans des endroits spéciaux.

Le strontium 90, un émetteur bêta, est un analogue chimique du calcium; il se dépose dans la moelle épinière des humains et des animaux. Le strontium 90 et le césium 137 peuvent pénétrer dans l’organisme humain par le biais de l’ingestion de lait, de viande ou de légumes contaminés.

La division des terres agricoles en zones à la suite de la désintégration des radionucléides à courte durée de vie obéit à un principe différent. Ce n’est plus l’intensité des rayonnements gamma qui entre ici en ligne de compte, mais la quantité de sol contaminé par le césium 137, le strontium 90 et le plutonium 239.

Lorsque la contamination est particulièrement grave, la population est évacuée des régions touchées, et le travail agricole se fait par rotation de deux semaines. Les critères de délimitation des zones dans les régions contaminées sont énumérés au tableau 39.32.

Tableau 39.32 Critères de délimitation des zones contaminées

Zones de contamination

Limites de contamination du sol

Doses limites

Types d’intervention

1. Zone interdite
(30 km autour de la centrale)

La population est obligée de quitter les lieux et le travail agricole est interdit.

2. Evacuation obligatoire

15 Ci/km2 , césium 137
3 Ci/km2 , strontium 90
0,1 Ci/km2 , plutonium 239

 0,5 cSv/an

Le travail agricole se fait par rotations de deux semaines, avec un contrôle radiologique rigoureux.

3. Evacuation volontaire

5-15 Ci/km2 , césium 137
0,15-3,0 Ci/km2 , strontium 90
0,01-0,1 Ci/km2 , plutonium 239

0,01-0,5 cSv/an

Des mesures sont prises pour réduire la contamination de la couche superficielle du sol; le travail agricole est soumis à un contrôle radiologique rigoureux.

4. Surveillance radioécologique

1-5 Ci/km2 , césium 137
0,02-0,15 Ci/km2 , strontium 90
0,05-0,01 Ci/km2 , plutonium 239

0,01 cSv/an

Le travail agricole se fait de façon habituelle, mais est soumis à un contrôle radiologique.

Les gens qui travaillent dans des terres agricoles contaminées par des radionucléides peuvent en absorber par inhalation ou par contact avec les poussières de sol et de matières végétales. Dans ce cas, les émetteurs bêta (strontium 90) et les émetteurs alpha sont extrêmement dangereux.

Après un accident dans une centrale nucléaire, une partie des matières radioactives qui pénètrent dans l’environnement se compose de particules du combustible nucléaire de faible dispersion et de haute activité — dites «particules chaudes».

Le travail agricole et le vent génèrent énormément de poussière renfermant des particules chaudes, ainsi que l’a confirmé l’exa-men de filtres à air prélevés sur des tracteurs utilisés dans les zones contaminées.

L’évaluation des doses reçues au poumon par les travailleurs agricoles exposés à des particules chaudes, à l’extérieur de la zone de 30 km, a mis en évidence des niveaux de plusieurs millisieverts (Loshchilov et coll., 1993).

Selon les données de Bruk, Kaduka et Parkhomenko (1989), l’activité totale du césium 137 et du césium 134 dans la poussière inhalée par les conducteurs d’engins se situait entre 0,005 et 1,5 nCi/m3 . Ces auteurs ont calculé que la dose efficace au poumon variait entre 2 et 70 cSv pour l’ensemble de la période de travail aux champs.

On a établi la relation entre l’importance de la contamination des sols par le césium 137 et la radioactivité de l’air dans la zone de travail. Selon les données de l’Institut de la santé au travail de Kiev, la radioactivité de l’air aux postes de travail atteignait 13,0 Bq/m3 lorsque le niveau de contamination du sol par le césium 137 était compris entre 7,0 et 30,0 Ci/km2 . Dans la région témoin, où la densité de la contamination se situait entre 0,23 et 0,61 Ci/km2 , la radioactivité de l’air aux postes de travail allait de 0,1 à 1,0 Bq/m3 (Krasnyuk, Chernyuk et Stezhka, 1993).

Les examens médicaux comparatifs des conducteurs de machines agricoles travaillant dans les zones contaminées et dans les zones saines ont révélé que les premiers souffraient davantage de maladies cardio-vasculaires, notamment de cardiopathie ischémique et de dystonie neurocirculatoire. D’autres troubles, tels que dysplasie de la glande thyroïde et monocytose, étaient également plus fréquents chez eux.

Les exigences en matière d’hygiène

Les horaires de travail

Lorsque des accidents importants surviennent dans des centrales nucléaires, des réglementations temporaires sont généralement adoptées pour protéger la population. Ce fut le cas à Tchernobyl, la valeur limite d’exposition étant fixée à 10 cSv pour une période d’un an. Si l’on part de l’hypothèse que les travailleurs reçoivent 50% de leur dose par irradiation externe dans le cadre de leur activité, cela signifie que le seuil d’intensité de la dose d’irradiation au cours de la journée de travail de huit heures ne devrait pas dépasser 2,1 mR/h.

Dans le travail agricole, l’intensité des rayonnements peut varier considérablement selon la concentration des substances radioactives dans le sol et les végétaux et, aussi, selon le type d’opérations (ensilage, préparation de fourrage sec, etc.). C’est donc la durée du travail agricole qu’il faut réglementer afin de réduire les doses absorbées.

La figure 39.12 illustre les règles adoptées à la suite de l’accident de Tchernobyl.

Figure 39.12 Durée du travail agricole en fonction de l'intensité des rayonnements
gamma sur les lieux de travail

Figure 39.12

Les agrotechnologies

Il faut prendre des mesures rigoureuses de prévention de la contamination par la poussière pour les travaux agricoles effectués dans des zones où le sol et les végétaux sont fortement contaminés. Le chargement et le déchargement des matières sèches et poussiéreuses devraient être mécanisés; la goulotte de sortie du transporteur devrait être couverte de tissu. Les émissions de poussière doivent être réduites dans tous les types de travail aux champs.

En ce qui concerne le travail mécanisé, il faut tenir dûment compte de la pressurisation de la cabine et se déplacer dans la direction appropriée, de préférence perpendiculairement au vent. Il vaut mieux, si possible, arroser les champs avant de les cultiver. L’usage de technologies industrielles doit être privilégié afin d’éliminer le plus possible le travail manuel.

Enfin, il est recommandé d’appliquer sur le sol des produits qui favorisent l’absorption et la fixation des radionucléides pour en faire des composés insolubles, empêchant ainsi leur transfert aux végétaux.

Les machines agricoles

Les machines agricoles contaminées par des radionucléides cons-tituent l’un des plus grands dangers pour la santé des travailleurs. La durée admissible d’utilisation de ces machines dépend de l’intensité des rayonnements gamma émis par la surface des cabines. Il faut non seulement que la pressurisation des cabines soit suffi-sante, mais encore que les systèmes de ventilation et de conditionnement de l’air fonctionnent correctement. Une fois le travail terminé, il faut laver les cabines et remplacer les filtres.

Lorsqu’on entretient ou répare les machines après décontamination, l’intensité des rayonnements gamma émis par les surfaces extérieures ne devrait pas dépasser 0,3 mR/h.

Les bâtiments

Les bâtiments devraient être lavés systématiquement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur; ils devraient être dotés de douches. Lorsque l’on prépare du fourrage contenant des particules de poussière, il faut prendre des mesures pour prévenir leur inhalation par les travailleurs et dépoussiérer le sol, le matériel, etc.

La pressurisation des équipements devrait être vérifiée et les lieux de travail être munis d’un système de ventilation générale efficace.

L’utilisation de pesticides et d’engrais minéraux

L’application de pesticides sous forme de poudre et de granulés et d’engrais minéraux, ainsi que l’épandage par voie aérienne devraient être restreints. Il vaut mieux opter pour l’épandage et l’application à la machine de produits chimiques sous forme de granulés et d’engrais mixtes liquides. Les engrais minéraux en poudre devraient être entreposés et transportés uniquement dans des conteneurs hermétiquement fermés.

On devrait porter un équipement de protection individuelle complet (salopette, casque, lunettes de protection, appareil de protection respiratoire, gants et bottes de caoutchouc) pour charger et décharger les produits, préparer les formulations liquides de pesticides et effectuer d’autres activités analogues.

L’approvisionnement en eau et l’alimentation

Les travailleurs devraient pouvoir prendre leurs repas dans des locaux ou des fourgons spéciaux fermés, à l’abri des courants d’air. Avant de manger, ils devraient nettoyer leurs vêtements et se laver à fond le visage et les mains à l’eau courante et au savon. En été, les travailleurs agricoles devraient être approvisionnés en eau potable conservée dans des récipients clos. Il faut éviter que de la poussière ne pénètre dans les récipients au moment de leur remplissage.

Les examens médicaux préventifs des travailleurs

Des examens médicaux périodiques devraient être pratiqués par un médecin et comporter obligatoirement une analyse du sang, un électrocardiogramme et des épreuves fonctionnelles respiratoires. Si l’intensité des rayonnements ionisants ne dépasse pas la limite admissible, les examens devraient se faire au moins tous les 12 mois. Si elle est plus forte, il faut augmenter la fréquence des contrôles (après les semailles, la récolte, etc.) en tenant compte de l’intensité des rayonnements aux postes de travail et de la dose totale absorbée.

L’organisation du contrôle radiologique dans les régions agricoles

Les principaux indicateurs de contamination à la suite de retombées radioactives sont l’intensité des rayonnements gamma dans la région, la contamination des terres agricoles par certains radionucléides et la teneur en radionucléides des produits agricoles.

Si l’on connaît l’intensité des rayonnements gamma, on peut délimiter les régions très contaminées, estimer les doses d’irradiation externe des travailleurs agricoles et établir des horaires propres à assurer la sécurité sur le plan radiologique.

Dans le secteur agricole, le contrôle radiologique relève généralement des laboratoires de radiologie du service sanitaire et des services vétérinaire et agrochimique. Ce sont ces laboratoires qui assurent la formation et l’éducation du personnel chargé du contrôle dosimétrique et des consultations de la population rurale.

ÉTUDE DE CAS: L’INCENDIE DE LA FABRIQUE DE JOUETS KADER

Casey C. Grant

Un incendie tragique survenu dans une fabrique de jouets en Thaïlande a attiré l’attention du monde entier sur la nécessité d’adopter et d’appliquer des normes rigoureuses dans les entreprises industrielles de toutes catégories.

Le 10 mai 1993, un incendie de grande ampleur à la Kader Industrial (Thailand) Co. Ltd., dans la province de Nakhon Pathom, en Thaïlande, entraîna la mort de 188 travailleurs (Grant et Klem, 1994). De tous les incendies de bâtiments industriels, c’est celui qui a causé le plus grand nombre de pertes humaines accidentelles dans l’histoire récente, brisant en cela le triste record détenu pendant 82 ans par l’incendie de la manufacture Triangle Shirtwaist, à New York, qui avait fait en son temps 146 victimes (Grant, 1993). En dépit des années qui les séparent, ces deux catastrophes présentent des similitudes frappantes.

Plusieurs organismes nationaux et internationaux se sont penchés sur cet accident. Dans l’optique de la protection contre l’incendie, l’Association nationale de protection contre l’incendie (National Fire Protection Association (NFPA)) des Etats-Unis et le Bureau international du travail (BIT), en collaboration avec les sapeurs-pompiers des services de police de Bangkok, se sont employés à établir les circonstances du sinistre.

La dimension internationale du problème

En Thaïlande, l’incendie de la Kader a focalisé l’attention sur les mesures de sécurité en vigueur dans le pays et, plus particulièrement, sur les exigences et l’application du code du bâtiment. Le Premier ministre thaïlandais, Chuan Leekpai, qui s’était rendu sur les lieux le soir même du drame, a déclaré que le gouvernement était résolu à revoir l’ensemble du dispositif de sécurité en matière d’incendie. Selon le Wall Street Journal (1993), Leekpai a également réclamé des mesures sévères contre tous ceux qui enfreignent les lois en matière de sécurité, tandis que le ministre de l’Industrie, Sanan Kachornprasart, déclarait pour sa part que «les entreprises qui n’ont pas de systèmes de prévention des incendies seront tenues d’en installer un ou devront fermer leurs portes».

Toujours selon le Wall Street Journal , si l’on estimait alors, dans les milieux syndicaux et officiels et parmi les experts de la sécurité, que l’incendie de la Kader devait donner lieu à un durcissement des normes de construction et des règles de sécurité, le pays n’était toutefois pas à la veille de réaliser des progrès durables en ce sens, étant donné le laxisme des employeurs à l’égard de la réglementation et la priorité accordée à la croissance économique au détriment de la sécurité des travailleurs.

Comme la Kader Industrial (Thailand) Co. Ltd. appartient majoritairement à des intérêts étrangers, l’incendie a également suscité un débat international sur les responsabilités des investisseurs étrangers à l’égard de la sécurité des travailleurs thaïlandais. En fait, le capital de la Kader est détenu par des investisseurs de Taiwan et de Hong-kong, Chine, à hauteur respectivement de 20% et de 79,96%, tandis que 0,04% seulement des parts est entre les mains de Thaïlandais.

Avec la mondialisation de l’économie, la localisation de la production est désormais dissociée des marchés de consommation. Il ne faudrait pas que le souci de rester compétitif dans ce nouvel environnement conduise à négliger les règles de sécurité élémentaires en vigueur dans l’industrie en matière de prévention des incendies. Tous les travailleurs, dans tous les pays, doivent pouvoir bénéficier d’une protection adéquate dans ce domaine: la leur assurer est une obligation morale pour toutes les parties concernées.

La fabrique Kader

La fabrique Kader produisait des jouets en plastique et des poupées en peluche ou en laine destinés essentiellement au marché des Etats-Unis et d’autres pays développés; elle est située dans le district de Sam Phran de la province de Nakhon Pathom, à peu près à mi-chemin entre Bangkok et la ville voisine de Kanchanaburi, site du tristement célèbre pont de la rivière Kwaï érigé pendant la seconde guerre mondiale.

Toutes les structures détruites dans le brasier appartenaient directement à la Kader, également propriétaire du terrain. La Kader a deux sociétés sœurs, elles aussi implantées sur le même site en vertu d’un contrat de location.

La Kader Industrial (Thailand) Co. Ltd. avait été enregistrée pour la première fois le 27 janvier 1989, mais la licence de l’entreprise avait été suspendue le 21 novembre 1989, après qu’un incendie survenu le 16 août 1989 eut détruit la fabrique. Le feu avait pris naissance dans du polyester utilisé par une machine à filer pour fabriquer des poupées. Le ministre de l’Industrie avait alors permis à l’usine reconstruite de rouvrir ses portes le 4 juillet 1990.

La fabrique a connu plusieurs feux de moindre importance entre le moment de sa réouverture et l’incendie de mai 1993. L’un d’eux, survenu en février 1993, avait causé d’énormes dommages au bâtiment 3, qui était encore en réparation au moment de l’incendie de mai 1993. L’incendie de février s’était déclaré tard en soirée dans un local d’entreposage de polyester et de coton. Plusieurs jours après l’incident, un inspecteur s’était rendu sur les lieux et avait signalé à l’entreprise qu’elle devait se doter d’un système d’inspection des installations, de matériel de sécurité et d’un plan d’intervention.

Selon les premiers rapports sur l’incendie de mai 1993, la fabrique comptait quatre bâtiments, dont trois ont été détruits par les flammes. Ce n’est pas inexact, mais les trois bâtiments en question formaient en fait une seule structure en forme de E (voir figure 39.13) dont les différentes parties portaient respectivement le nom de bâtiment 1, 2 et 3. Il y avait à proximité un atelier d’un seul niveau et une autre structure à quatre niveaux appelée bâtiment 4.

Figure 39.13 Plan de situation de la fabrique de jouets Kader

Figure 39.13

Le bâtiment en E était une construction sur quatre niveaux composée d’une ossature métallique et de dalles de béton, avec des fenêtres sur les quatre côtés à chaque étage et un toit en double pente de faible inclinaison. Chacune des parties de cette structure comportait un monte-charge grillagé et deux cages d’escalier de 1,5 m de large.

Chaque bâtiment était muni d’un système d’alarme incendie. Il n’y avait pas d’extincteurs automatiques, mais des extincteurs portatifs et des robinets d’incendie étaient installés sur les murs extérieurs et dans les cages d’escalier. Aucun élément de la charpente métallique n’était protégé par un matériau ignifuge.

Des données contradictoires ont circulé sur le nombre total de travailleurs qui se trouvaient sur place. La Fédération des industries thaïlandaises s’était engagée à venir en aide à 2 500 employés touchés par l’incendie, mais on ne sait pas exactement combien d’employés se trouvaient en même temps sur le site. Au moment de l’incendie, on a déclaré qu’il y avait 1 146 travailleurs dans le bâtiment 1: 36 au rez-de-chaussée, 10 au premier étage, 500 au deuxième et 600 au troisième. Il y avait 405 travailleurs dans le bâtiment 2: 60 au rez-de-chaussée, 5 au premier étage, 300 au deuxième et 40 au troisième. On ne connaît pas le nombre exact de travailleurs qui se trouvaient dans le bâtiment 3, car il était partiellement en réparation. Les travailleurs de l’usine étaient pour la plupart des femmes.

L’incendie

Le lundi 10 mai 1993 était un jour de travail normal. Vers 16 heures, comme le poste de jour tirait à sa fin, on découvrit un petit feu au rez-de-chaussée près de l’extrémité sud du bâtiment 1. Comme ce lieu servait à emballer et à entreposer les produits finis, il contenait une charge combustible considérable (voir figure 39.14). Chaque bâtiment avait une charge combustible composée de tissus, de plastiques et de matériaux de rembourrage, en plus du matériel habituellement présent sur tout lieu de travail.

Figure 39.14 Organisation intérieure des bâtiments 1, 2 et 3

Figure 39.14

Les gardes chargés de la sécurité qui se trouvaient à proximité ont tenté en vain d’éteindre les flammes avant d’appeler les sapeurs-pompiers de la police locale à 16 h 21. Les autorités ont reçu deux autres appels, à 16 h 30 et à 16 h 31. Bien que la fabrique soit située juste au-delà des limites administratives de Bangkok, les services d’incendie de la ville sont intervenus avec ceux de la province de Nakhon Pathom.

Pendant que les travailleurs et les gardes tentaient en vain d’éteindre les flammes, le bâtiment a commencé à se remplir de fumée et d’autres produits de combustion. Des survivants ont déclaré que l’alarme incendie n’avait jamais sonné dans le bâtiment 1, mais que la vue de la fumée aux étages supérieurs avait alerté de nombreux travailleurs. Malgré la fumée, il semble que des gardes aient demandé à certains d’entre eux de rester à leur poste, en leur expliquant que l’incendie serait rapidement maîtrisé.

Le feu s’est rapidement propagé dans l’ensemble du bâtiment 1, tandis que l’air devenait irrespirable aux étages supérieurs. L’escalier situé à l’extrémité sud du bâtiment étant bloqué par le brasier, la plupart des travailleurs se sont rués vers celui de l’extrémité nord. C’est donc dire qu’environ 1 100 personnes ont tenté de quitter les deuxième et troisième étages par un seul escalier.

Le premier engin d’incendie n’est arrivé qu’à 16 h 40, en raison à la fois de l’éloignement relatif de l’usine et de la circulation toujours très dense à Bangkok. A leur arrivée, les sapeurs-pompiers ont constaté que le bâtiment 1, déjà largement pris dans les flammes, commençait à s’écrouler et que des gens sautaient des deux derniers étages.

Malgré leurs efforts, le bâtiment 1 s’est complètement effondré vers 17 h 14. Attisé par les forts vents qui soufflaient vers le nord, le feu s’est rapidement étendu aux bâtiments 2 et 3 avant que les sapeurs-pompiers ne parviennent à les protéger. D’après les rapports, le bâtiment 2 s’est écroulé à 17 h 30, et le bâtiment 3, à 18 h 05. Les sapeurs-pompiers ont réussi à empêcher que les flammes ne gagnent le bâtiment 4 et l’atelier plus petit, composé d’un simple rez-de-chaussée, qui se trouvait à proximité. Vers 19 h 45, le brasier était maîtrisé. Une cinquantaine d’engins d’incendie ont pris part à l’intervention.

Les alarmes incendie des bâtiments 2 et 3 ont, semble-t-il, bien fonctionné, et toutes les personnes qui y travaillaient ont pu s’échapper. Les travailleurs du bâtiment 1 n’ont pas eu cette chance. Un grand nombre d’entre eux ont sauté des étages supérieurs. Au total, 469 travailleurs ont été hospitalisés; 20 d’entre eux sont décédés. Les autres victimes ont été retrouvées au cours des recherches menées après l’incendie dans ce qui avait été l’escalier nord du bâtiment. Bon nombre d’entre elles avaient succombé à des produits de combustion létaux avant ou pendant l’effondrement du bâtiment. Selon les dernières données, 188 personnes, pour la plupart des femmes, sont mortes au cours ou à la suite de cet incendie.

Il a fallu plusieurs jours pour retirer tous les corps des décombres, même avec l’aide de six grands appareils de levage transportés sur les lieux pour faciliter les recherches. Il n’y a pas eu de morts chez les sapeurs-pompiers, mais un seul blessé.

La circulation dans les environs, généralement difficile, a ralenti le transport des victimes vers les hôpitaux. Près de 300 travailleurs blessés ont été conduits à l’hôpital voisin Sriwichai II, mais bon nombre d’entre eux ont dû être transférés dans d’autres centres médicaux, cet hôpital n’étant plus en mesure de faire face à de nouvelles arrivées.

Le lendemain de l’incendie, l’hôpital Sriwichai II avait admis 111 victimes, l’hôpital Kasemrat, 120, le Sriwichai Pattanana, 60, le Sriwichai I, 50, le Ratanathibet I, 36, le Siriraj, 22 et le Bang Phai, 17; 53 autres blessés avaient été orientés vers divers établissements hospitaliers de la région. Au total, 22 hôpitaux de Bangkok et de la province de Nakhon Pathom sont intervenus à la suite de la catastrophe.

La direction de l’hôpital Sriwichai II a précisé que 80% des 111 victimes admises souffraient de blessures graves, justifiant une intervention chirurgicale dans 30% des cas. La moitié des patients avaient simplement inhalé de la fumée, tandis que les autres souffraient également de brûlures et de fractures diverses. Au moins 10% des travailleurs blessés admis à l’hôpital Sriwichai II risquaient de demeurer paralysés.

Il n’a pas été possible d’établir avec certitude la cause de l’incendie, la partie de l’usine dans laquelle il avait pris naissance ayant été entièrement détruite. En outre, les survivants ont fourni des informations contradictoires. Comme le feu s’était déclaré près d’un grand panneau électrique de distribution, les enquêteurs ont d’abord pensé qu’une défaillance du circuit électrique pouvait être en cause. Ils ont également envisagé une origine criminelle. Les autorités thaïlandaises estiment toutefois, à l’heure actuelle, qu’une cigarette jetée par mégarde pourrait avoir été à l’origine du sinistre.

L’analyse de l’incendie

La comparaison de cet incendie avec celui de la Triangle Shirtwaist, survenu à New York en 1911, fournit des repères précieux pour l’analyse. Les deux bâtiments présentaient plusieurs similitudes: sorties déficientes, systèmes fixes de protection contre l’incendie insuffisants ou inefficaces, charge combustible initiale facilement inflammable et coupe-feu horizontaux et verticaux inadéquats. De plus, les deux entreprises n’avaient pas donné une formation suffisante à leur personnel en matière de sécurité incendie. Une différence cependant distingue nettement ces deux sinistres: le bâtiment de la Triangle Shirtwaist ne s’est pas effondré, contrairement à celui de la fabrique Kader.

Le mauvais aménagement des sorties est peut-être le facteur qui a le plus largement contribué au nombre élevé de pertes en vies humaines aussi bien dans l’incendie de la Kader que dans celui de la Triangle Shirtwaist. Si la fabrique Kader avait appliqué les dispositions relatives aux sorties du Life Safety Code (règlement NFPA 101), rédigé immédiatement après l’incendie de New York, le bilan de la catastrophe de 1993 aurait été beaucoup moins lourd (NFPA, 1994).

Plusieurs prescriptions de base du Life Safety Code s’appliquent directement à l’incendie de la Kader. Ainsi, le code exige que tous les ouvrages et tous les bâtiments soient construits, aménagés et exploités de façon que leurs occupants ne soient pas exposés à des dangers inacceptables causés par un incendie, de la fumée, des gaz ou la panique pouvant survenir au cours d’une évacuation ou pendant le déroulement des secours.

Le code exige aussi que chaque bâtiment ait suffisamment de sorties et d’autres dispositifs de sécurité de capacité suffisante et bien placés pour permettre à tous ses occupants de s’échapper. Ces sorties devraient être adaptées au bâtiment, compte tenu de sa destination, du nombre et des capacités de ses occupants, de la hauteur et du type d’immeuble, des services de protection incendie disponibles et des autres éléments intéressant la sécurité de ses occupants. Ce n’était manifestement pas le cas à l’usine Kader, où les flammes ont bloqué l’une des deux cages d’escalier du bâtiment 1, forçant quelque 1 100 personnes à s’échapper des deuxième et troisième étages par un seul escalier.

Les sorties devraient toujours être disposées et entretenues de façon à permettre aux occupants de quitter sans difficulté, à tout moment, n’importe quelle partie d’un bâtiment. Chacune d’elles devrait être bien visible, et la voie à suivre indiquée de façon parfaitement claire.

Toutes les ouvertures ménagées dans les planchers du bâtiment devraient être fermées ou protégées afin d’assurer une sécurité raisonnable aux occupants qui sortent et d’empêcher l’incendie, la fumée et les gaz de se propager d’un étage à l’autre avant que les occupants n’aient eu la possibilité de s’échapper.

L’absence de séparations coupe-feu horizontales et verticales adéquates a largement influé sur l’issue des incendies de la Triangle Shirtwaist et de la Kader. Les deux fabriques avaient été construites et aménagées de telle sorte qu’un feu prenant naissance à un niveau inférieur pouvait se propager rapidement aux étages supérieurs, prenant ainsi un grand nombre de travailleurs au piège.

Les bâtiments industriels comportent très souvent des aires de travail vastes et ouvertes. Ils doivent être équipés de planchers et de murs résistant au feu pour ralentir la propagation des flammes d’un secteur à l’autre. Il faut aussi empêcher le feu de se propager d’un étage à l’autre par les fenêtres, comme ce fut le cas dans l’incendie de la Triangle Shirtwaist.

Le meilleur moyen de limiter la propagation verticale du feu et de la fumée est de prévoir des cages autour des escaliers, des monte-charge et des ouvertures verticales ménagées entre les étages. De ce point de vue, la présence dans l’usine Kader de monte-charge grillagés, signalée par les rapports, suscite de sérieux doutes.

La formation et l’équipement en matière de sécurité incendie

L’absence de formation adéquate en matière de lutte contre le feu et la rigidité des consignes de sécurité des deux fabriques — celle de la Triangle Shirtwaist comme celle de la Kader — sont deux autres facteurs responsables des pertes élevées en vies humaines.

Après l’incendie de la Kader, des survivants ont signalé que les exercices pratiques et la formation en matière de sécurité incendie et de lutte contre le feu étaient réduits au minimum, et que seuls les gardes chargés de la sécurité semblaient en connaître les rudiments. La Triangle Shirtwaist, quant à elle, n’avait pas de plan d’évacuation et n’organisait pas d’exercices d’incendie. Des survivants de cette entreprise ont indiqué qu’on les arrêtait systématiquement pour les soumettre à des contrôles de sécurité lorsqu’ils quittaient le bâtiment à la fin de leur journée de travail. Certains ont accusé le dispositif de sécurité de la Kader d’avoir ralenti l’évacuation, mais toute la lumière n’a pas encore été faite sur la question. Quoi qu’il en soit, l’absence de plan d’évacuation clairement établi semble avoir largement contribué au lourd bilan de l’incendie de la Kader (le chapitre 31 du Life Safety Code porte précisément sur les exercices d’incendie et la formation relative à l’évacuation).

L’absence de systèmes fixes et automatiques de protection contre l’incendie et de lutte contre le feu a également influé sur l’ampleur du sinistre dans les deux fabriques. Aucune d’elles ne possédait de système d’extinction automatique, mais la Kader disposait d’une installation d’alarme incendie. Selon le Life Safety Code , on devrait installer des alarmes incendie dans tout bâtiment dont la taille, l’aménagement ou la destination sont tels que les occupants ne peuvent se rendre compte immédiatement par eux-mêmes de la présence d’un incendie naissant. Il semble malheureusement que l’alarme ne se soit pas déclenchée dans le bâtiment 1 de la Kader, ce qui a beaucoup retardé l’évacuation. Par contre, on n’a déploré aucun mort dans les bâtiments 2 et 3, où les systèmes d’alarme ont fonctionné comme prévu.

Les systèmes d’alarme et d’extinction devraient être conçus, installés et entretenus conformément à des règlements comme le National Fire Alarm Code , en l’occurrence le NFPA 72 (NFPA, 1993), le NFPA 13 (NFPA, 1994a) et le NFPA 25 (NFPA, 1995).

La charge combustible initiale était la même dans l’incendie de la Triangle Shirtwaist et dans celui de la Kader. Dans le premier cas, le feu s’est déclaré dans des caisses à chiffons et s’est propagé rapidement à des vêtements puis à des meubles en bois, dont certains étaient imprégnés d’huile de machine. L’incendie de la Kader a pris naissance dans du polyester, du coton, diverses matières plastiques et des tissus servant à fabriquer des jouets en plastique ou en peluche et d’autres articles du même genre. Toutes ces matières s’enflamment aisément, favorisent la propagation rapide des flammes et dégagent beaucoup de chaleur.

On mettra probablement toujours en œuvre, dans l’industrie, des matières présentant un risque d’incendie important, mais les exploitants devraient être conscients des risques inhérents à ces matières et prendre les précautions nécessaires pour réduire au minimum les dangers qui en découlent.

L’intégrité structurelle des bâtiments

La différence la plus importante entre les deux incendies tient aux effets constatés sur l’intégrité structurelle des bâtiments sinistrés. En effet, même si l’incendie de la Triangle Shirtwaist a détruit les trois étages supérieurs du bâtiment qui en comptait dix, la structure est demeurée intacte. Les bâtiments de la Kader, par contre, se sont effondrés assez rapidement parce que la charpente métallique n’était pas revêtue d’un matériau ignifuge qui lui aurait permis de résister à des températures élevées, ainsi que l’a révélé l’examen ultérieur des décombres.

Il va de soi que l’effondrement d’un bâtiment au cours d’un incendie met grandement en péril les occupants et les sapeurs-pompiers. Dans le cas de la Kader, on ignore cependant si cela a eu un impact direct sur le nombre de morts, car les victimes avaient peut-être déjà succombé aux effets de la chaleur et des produits de combustion. Si les travailleurs des étages supérieurs du bâtiment 1 avaient été protégés des produits de combustion et de la chaleur pendant qu’ils tentaient de sortir, l’effondrement aurait contribué aux pertes humaines de manière directe.

Rappel de quelques principes de protection contre l’incendie

L’incendie de la Kader a attiré plus particulièrement l’attention sur certains principes de protection contre l’incendie, parmi lesquels la conception des voies d’évacuation, la formation des occupants, les systèmes automatiques de détection des incendies et de lutte contre le feu, les portes coupe-feu et l’intégrité structurelle des constructions. Ces principes ne sont pas nouveaux; ils ont été énoncés pour la première fois il y a plus de 80 ans, après l’incendie de la Triangle Shirtwaist, et rappelés plus récemment à l’occasion de plusieurs incendies graves en milieu de travail: celui de l’usine de transformation du poulet à Hamlet (Caroline du Nord), qui a entraîné la mort de 25 travailleurs; celui d’une fabrique de poupées à Kuiyong (Chine), qui a fait 81 victimes; et celui de la centrale électrique de Newark (New Jersey), où les 3 employés présents sur les lieux ont trouvé la mort (Grant et Klem, 1994; Klem, 1992; Klem et Grant, 1993).

Les incendies de la Caroline du Nord et du New Jersey, en particulier, montrent qu’il ne suffit pas de disposer des normes et des codes les plus perfectionnés, comme le Life Safety Code de la NFPA (NFPA, 1994b) pour prévenir des pertes tragiques. Encore faut-il les mettre en œuvre et les appliquer avec rigueur pour leur donner effet.

A tous les niveaux de l’administration, les autorités devraient s’interroger sur l’application des codes en vigueur en matière de construction des bâtiments et de prévention des incendies afin d’établir s’il y a lieu de les mettre à jour ou d’en adopter de nouveaux. Elles devraient aussi déterminer si elles disposent d’un mécanisme approprié d’examen et d’inspection des plans de cons-truction permettant de vérifier leur conformité aux règles pertinentes. Elles devraient enfin veiller à ce que les bâtiments existants fassent l’objet d’inspections périodiques en vue d’assurer à tout moment un niveau maximal de sécurité.

Les propriétaires de bâtiments et les exploitants devraient être conscients du fait qu’ils ont la responsabilité d’assurer un environnement de travail sûr à leur personnel. Ils devraient, à tout le moins, prendre les mesures de protection contre l’incendie prévues par les codes et les normes de sécurité les plus récents, afin de réduire au minimum les risques de catastrophe.

Si les bâtiments de l’usine Kader avaient été munis d’extincteurs automatiques et d’alarmes incendie en bon état, les pertes n’auraient sans doute pas été aussi lourdes. Si les sorties du bâtiment 1 avaient été mieux conçues, des centaines de personnes ne se seraient probablement pas blessées en sautant des deuxième et troisième étages. Si des séparations coupe-feu verticales et horizontales avaient été en place, le feu ne se serait sans doute pas propagé aussi rapidement dans l’ensemble du bâtiment. Enfin, si l’ossature métallique avait été ignifugée, les bâtiments ne se seraient peut-être pas effondrés.

Le philosophe George Santayana a écrit: «Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le revivre.» L’incendie survenu chez Kader en 1993 fut malheureusement, à bien des égards, une réplique de celui de la Triangle Shirtwaist en 1911. Confrontée à son avenir, la société tout entière doit tout faire pour prévenir le retour des catastrophes.

LES CONSÉQUENCES DES CATASTROPHES: ENSEIGNEMENTS À TIRER DU POINT DE VUE MÉDICAL

José Luis Zeballos*

*Cet article est adapté de Zaballos (1993b), avec l'autorisation de l'auteur.

L’Amérique latine et les Caraïbes ont eu leur part de catastrophes naturelles. Presque chaque année, des cataclysmes causent des morts, des blessés et d’énormes dommages matériels. On estime globalement que les grandes catastrophes naturelles survenues dans cette région au cours des deux dernières décennies ont fait quelque 500 000 blessés et 150 000 morts, et engendré des pertes matérielles pour près de 8 millions de personnes. Ces chiffres proviennent pour la plupart de sources officielles (il est très difficile d’obtenir des renseignements exacts sur les catastrophes soudaines; si les sources d’information abondent, il n’existe par contre aucun système de collecte de données uniformisé). La Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) estime que les cataclysmes qui frappent cette région du monde coûtent chaque année, en moyenne, 1,5 milliard de dollars E.-U. et causent 6 000 décès (Jovel, 1991).

Le tableau 39.33 dresse la liste des grandes catastrophes naturelles qui ont touché divers pays de la région entre 1970 et 1993. Il importe de noter que les catastrophes d’installation lente, comme les sécheresses et les inondations, ne sont pas prises en compte.

Tableau 39.33 Catastrophes majeurs survenus en Amérique latine et dans
les Caraïbes, 1970-1993

Année

Pays

Type de catastrophe

Nombre de décès signalés

Nombre estimatif de victimes

1970

Pérou

Tremblement de terre

66 679

3 139 000

1972

Nicaragua

Tremblement de terre

10 000

  400 000

1976

Guatemala

Tremblement de terre

23 000

1 200 000

1980

Haïti

Cyclone (Allen)

     220

   330 000

1982

Mexique

Eruption volcanique

  3 000

    60 000

1985

Mexique

Tremblement de terre

10 000

    60 000

1985

Colombie

Eruption volcanique

23 000

   200 000

1986

El Salvador

Tremblement de terre

  1 100

   500 000

1988

Jamaïque

Cyclone (Gilbert)

      45

   500 000

1988

Mexique

Cyclone (Gilbert)

     250

   200 000

1988

Nicaragua

Cyclone (Joan)

     116

   185 000

1989

Montserrat, Dominique

Cyclone (Hugo)

      56

   220 000

1990

Pérou

Tremblement de terre

      21

   130 000

1991

Costa Rica

Tremblement de terre

      51

    19 700

1992

Nicaragua

Tsunami

     116

    13 500

1993

Honduras

Tempête tropicale

     103

    11 000

Source: OPS, 1989; USAID, 1989; UNDRO, 1990.

Les conséquences économiques

Au cours des dernières décennies, la CEPALC a effectué de nombreuses recherches sur les conséquences sociales et économiques des catastrophes. Ces travaux ont clairement démontré que celles-ci ont des effets négatifs sur le développement économique et social des pays en développement. En effet, les pertes financières engendrées par une catastrophe majeure dépassent souvent le produit national brut total. Il n’est donc pas étonnant que ces événements soient à même de paralyser des pays entiers et de créer de graves perturbations politiques et sociales.

Les catastrophes ont en général trois types de conséquences économiques:

Le tableau 39.34 indique les pertes estimatives causées par six grandes catastrophes naturelles. Ces pertes, qui peuvent ne pas sembler particulièrement lourdes pour des pays développés et prospères ont, en revanche, des effets graves et prolongés sur les économies faibles et vulnérables des pays en développement (OPS, 1989).

Tableau 39.34 Pertes imputables à six catastrophes naturelles

Catastrophe

Lieu

Année(s)

Total des pertes (en millions de dollars E.-U.)

Tremblement de terre

Mexique

 1985

4 337

Tremblement de terre

El Salvador

 1986

   937

Tremblement de terre

Equateur

 1987

1 001

Eruption volcanique (Nevado del Ruiz)

Colombie

 1985

   224

Inondation, sécheresse («El Niño»)

Pérou, Equateur, Bolivie

 1982-1983

3 970

Cyclone (Joan)

Nicaragua

 1988

   870

Source: OPS, 1989; CEPALC.

L’infrastructure sanitaire

Dans toute situation d’urgence liée à une catastrophe majeure, la priorité absolue est de sauver des vies et de secourir immédiatement les blessés. Parmi les services médicaux d’urgence mobilisés à cette fin, les hôpitaux jouent un rôle clé. Dans les pays qui possèdent un système d’intervention intégré (où le concept de «services médicaux d’urgence» implique la coordination de sous-systèmes indépendants, tels que services d’ambulance, sapeurs-pompiers et équipes de secours), ils constituent en fait le pilier de ce système (OPS, 1989).

Les hôpitaux et autres centres de soins sont des lieux très fréquentés. Ils accueillent des patients, du personnel et des visiteurs et fonctionnent 24 heures sur 24. Les patients peuvent être traités au moyen d’équipements spéciaux ou reliés à des systèmes de maintien des fonctions vitales alimentés à l’électricité. Selon des dossiers de projets fournis par la Banque interaméricaine de développement (BID) (communication personnelle, Tomas Engler, BID), le coût estimatif d’un lit d’hôpital dans un centre spécialisé varie d’un pays à l’autre, mais il se situe en moyenne entre 60 000 et 80 000 dollars E.-U.; il est encore plus élevé dans les unités de soins très spécialisés. Aux Etats-Unis, en Californie en particulier où l’on possède une vaste expérience en génie parasismique, le coût d’un lit d’hôpital peut dépasser 110 000 dollars. Bref, les hôpitaux modernes sont des ensembles très complexes qui font à la fois office d’hôtels, de bureaux, de laboratoires et d’entrepôts (Peisert, Cross et Riggs, 1984; FEMA, 1990).

Ces centres de soins sont très vulnérables face aux ouragans et aux tremblements de terre, ainsi que l’expérience de l’Amérique latine et des Caraïbes l’a amplement démontré. Comme l’indique le tableau 39.35, 3 catastrophes survenues dans les années quatre-vingt ont, à elles seules, endommagé 40 de ces établissements et entraîné la perte de 11 332 lits d’hôpital en El Salvador, à la Jamaïque et au Mexique, sans compter les pertes en vies humaines (y compris parmi le personnel local hautement qualifié) (voir tableaux 39.36 et 39.37).

Tableau 39.35 Nombre d'hôpitaux et de lits d'hôpitaux endommagés ou détruits par
trois catastrophes naturelles majeurs

Type de catastrophe

Nombre d’hôpitaux endommagés ou détruits

Nombre de lits perdus

Tremblement de terre, Mexique
(District Fédéral, septembre 1985)

13

  4 387

Tremblement de terre, Salvador
(San Salvador, octobre 1986)

  4

  1 860

Cyclone Gilbert
(Jamaïque, septembre 1988)

23

  5 085

Total

40

11 332

Source: OPS, 1989; USAID, 1989; CEPALC.

Tableau 39.36 Victimes de l'effondrement de deux hôpitaux au cours du tremblement
de terre de 1985 au Mexique

 

Hôpital général

Hôpital de Ciudad Juárez

 

Nombre

%

Nombre

%

Décès

295

  62,6

561

  75,8

Sauvetages

129

  27,4

179

  24,2

Disparitions

   47

  10,0

   –

   –

Total

471

100,0

740

100,0

Source: OPS, 1987.

Tableau 39.37 Lits d'hôpitaux perdus à la suite du tremblement de terre de mars 1985 au Chili

Région

Nombre d’hôpitaux existants

Nombre de lits

Lits perdus dans la région

Nombre

%

Région métropolitaine
(Santiago)

26

11 464

2 373

20,7

Région 5
(Viña del Mar, Valparaíso, San Antonio)

23

 4 573

   622

13,6

Région 6
(Rancagua)

15

 1 413

   212

15,0

Région 7
(Ralca, Meula)

15

 2 286

    64

  2,8

Ensemble

79

19 736

3 271

16,6

Source: Wyllie et Durkin, 1986.

A l’heure actuelle, de nombreux hôpitaux d’Amérique latine ne sont pas assurés de pouvoir résister à un tremblement de terre. Ils occupent le plus souvent de vieux bâtiments dont certains datent de l’époque de la colonisation espagnole. Et, même si beaucoup d’autres sont situés dans des bâtiments modernes à l’architecture séduisante, le laxisme avec lequel les codes du bâtiment sont appliqués soulève des doutes quant à leur capacité de résister à un tremblement de terre.

Les facteurs de risque liés aux tremblements de terre

De tous les types de catastrophes naturelles soudaines, ce sont, de loin, les tremblements de terre qui causent le plus de dommages aux hôpitaux. Chaque tremblement de terre présente des caractéristiques propres en ce qui concerne l’épicentre, le type d’ondes sismiques, la nature géologique du sous-sol qui transmet ces ondes, etc. Toutefois, les études ont permis d’identifier certains facteurs communs qui tendent à occasionner des pertes ou, inversement, à les prévenir ou à les limiter: paramètres structurels des constructions, comportement et habitudes des populations, caractéristiques des équipements non structurels, de l’ameublement et des autres éléments se trouvant à l’intérieur des bâtiments.

Ces dernières années, chercheurs et planificateurs se sont particulièrement attachés à cerner les facteurs de risque pour les hôpitaux en vue d’améliorer les normes régissant la construction et l’aménagement de ces établissements dans les zones très vulnérables. Une brève liste des facteurs de risque pertinents figure au tableau 39.38. Il a été observé que ces facteurs, en particulier ceux qui ont trait aux aspects structurels, avaient influé sur les profils de destruction établis au cours du tremblement de terre survenu en décembre 1988 en Arménie, qui a fait quelque 25 000 morts et 1 100 000 sinistrés et a détruit ou gravement endommagé 377 écoles, 560 centres de santé et 324 centres communautaires et culturels (USAID, 1989).

Tableau 39.38 Infrastructure hospitalière: facteurs de risque liés aux tremblements de terre

Eléments structurels

Eléments non structurels

Comportements

Conception
Qualité de la construction
Matériaux
Conditions du sol
Caractéristiques sismiques
Date de l’événement
Densité de la population

Matériel médical
Matériel de laboratoire
Matériel de bureau
Armoires, étagères
Cuisinières, réfrigérateurs, appareils de chauffage
Appareils de radiographie
Matières réactives

Information de la population
Motivation
Plans
Programmes d’éducation
Formation du personnel
soignant

Des dommages d’ampleur comparable ont été enregistrés en juin 1990, en Iran, au cours d’un tremblement de terre qui s’est soldé par environ 40 000 tués, 60 000 blessés et 500 000 sans-abri et la destruction de 60 à 90% des bâtiments dans les zones touchées (UNDRO, 1990).

Pour étudier ce genre de cataclysmes, un colloque international s’est tenu à Lima (Pérou) en 1989; il a examiné la planification, la conception, la remise en état et la gestion des hôpitaux dans les zones exposées aux tremblements de terre. Parrainé par l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), l’Université nationale d’ingénieurs du Pérou et le Centre nippo-péruvien de recherche sismique (CISMID), ce colloque a réuni des architectes, des ingénieurs et des administrateurs d’hôpitaux pour étudier diverses questions concernant les centres de santé implantés dans des zones sujettes aux séismes. Les travaux ont débouché sur un ensemble de recommandations techniques et d’engagements portant sur l’analyse de la vulnérabilité des infrastructures hospitalières, l’amélioration de la conception des nouveaux centres et l’élaboration de mesures de sécurité pour les hôpitaux existants, particulièrement ceux qui sont situés dans des zones à risque sismique élevé (CISMID, 1989).

Les recommandations pour la préparation des établissements hospitaliers aux catastrophes

Comme on peut l’imaginer au vu de ce qui précède, la préparation des hôpitaux aux catastrophes occupe une grande place dans les activités du Service d’organisation des interventions et de l’aide d’urgence (Office of Emergency Preparedness and Disaster Relief) de l’OPS. Au cours des dix dernières années, ce service a incité les pays membres à prendre diverses mesures à cet égard, et notamment:

De façon plus générale, l’un des principaux objectifs de la Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles (DIPCN) qui s’est terminée en décembre 1999 est de sensibiliser les autorités sanitaires et les dirigeants des différents pays au rôle des services de santé appelés à intervenir en cas de catastrophe, et de les inciter à renforcer ces services dans les pays en développement.

Les questions liées aux accidents technologiques

Depuis une vingtaine d’années, les pays en développement se livrent une concurrence acharnée dans une course à l’industrialisation dont les enjeux sont:

Malheureusement, les efforts déployés n’ont pas toujours produit les résultats escomptés. En effet, la souplesse dont on a fait preuve pour attirer les investisseurs, l’absence de réglementation rigoureuse en matière de sécurité industrielle et de protection de l’environnement, la négligence dans l’exploitation des installations industrielles et l’utilisation de technologies désuètes sont autant d’éléments qui ont contribué à accroître le risque d’accident technologique dans certaines régions.

L’absence de réglementation visant à maîtriser l’urbanisation à proximité des établissements industriels vient s’ajouter à la liste des facteurs de risque. Il est courant de voir, dans les grandes villes d’Amérique latine, des complexes industriels implantés au milieu de zones d’habitation dont les résidents ignorent tout des risques qu’ils encourent (Zeballos, 1993a).

S’agissant de l’implantation d’industries chimiques, on propose que les lignes directrices suivantes soient adoptées dans le but d’éviter des accidents semblables à ceux de Guadalajara (Mexique) en 1992 et de protéger les travailleurs industriels et l’ensemble de la population:

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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