Le terme «organisation» est souvent utilisé dans un sens large, ce qui nest guère surprenant puisque l«organisation» revêt de nombreux aspects. On peut dire que létude des organisations constitue un domaine à part entière, qui ne sintègre pas naturellement dans telle ou telle discipline denseignement particulière. Certes, le concept dorganisation occupe aujourdhui une place centrale dans ce que lon appelle la science de la gestion laquelle, dans certains pays, est lune des matières des études commerciales. Mais on trouve également dans dautres domaines, dont celui de la sécurité et de la santé au travail, des raisons de prendre en considération la théorie organisationnelle et de déterminer les aspects de lorganisation à approfondir dans les analyses et les recherches.
Lorganisation est bien sûr essentielle à la bonne gestion des entreprises, mais elle joue aussi un rôle primordial pour chaque travailleur aussi bien sur le plan de la santé quau regard des possibilités qui soffrent à lui, à court et à long terme, dapporter une contribution efficace au travail. Il est donc capital pour les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail de se familiariser avec la théorie, les concepts et les modes de raisonnement relatifs à la réalité sociale à laquelle se réfèrent les termes «organisation» et «développement organisationnel» ou «changement organisationnel».
Les dispositions organisationnelles ont des conséquences sur les relations sociales qui se tissent entre les gens travaillant au sein dune même organisation. On peut même dire quelles sont conçues pour faciliter linstauration de certains types de relations sociales au travail. De multiples études sur les aspects psychosociaux de la vie professionnelle ont montré que cest la forme que revêt une organisation qui «façonne» les relations sociales. Le choix entre plusieurs structures organisationnelles dépend de différentes considérations, dont certaines trouvent leur origine dans une approche spécifique de la gestion et de la coordination organisationnelles. Ainsi, la forme de structure peut être fondée sur lidée que la gestion organisationnelle ne saurait être considérée comme efficace que si elle permet linstauration dinteractions sociales spécifiques entre les membres de lentreprise. Le choix de la forme structurelle, dans une entreprise, repose sur la façon dont les individus entendent être liés les uns aux autres en vue détablir des relations organisationnelles interdépendantes et efficaces; ou encore, comme ont tendance à le dire les théoriciens de la gestion des affaires, sur «la façon dont sont facilitées les combinaisons critiques».
Lun des membres les plus éminents de l«école des relations humaines», Likert (1961, 1967), est à lorigine dune idée qui a toujours cours de nos jours, concernant la façon idéale dont les «sous-systèmes» hiérarchiques devraient être reliés les uns aux autres dans une structure organisationnelle complexe. Likert a souligné limportance de lunité et de la solidarité entre les membres dune entreprise. A cet égard, le chef de service a une double tâche:
Le «modèle de liaison» de Likert est illustré par la figure 35.1. Likert utilise lanalogie de la famille pour caractériser linteraction sociale idéale entre les différentes unités de travail qui, selon sa conception, fonctionnent comme des «familles organisationnelles». Il est convaincu que, pour la direction dune entreprise, autoriser et encourager le renforcement des relations personnelles entre les travailleurs de différents niveaux constitue un puissant moyen daccroître lefficacité organisationnelle et dunir le personnel derrière les objectifs de lentreprise. Le modèle de Likert vise à instaurer une certaine «régularité de pratique» susceptible de renforcer la structure organisationnelle mise en place par la direction. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, ce modèle a pris une importance croissante. Il peut être considéré comme un exemple de structure à recommander.
Lune des acceptions du terme «organisation» met laccent sur la compétence des êtres humains; lorganisation est alors la combinaison de lensemble des compétences, voire, si lon souhaite aller un peu plus loin, la combinaison de leurs effets de synergie. Une autre perspective, opposée à celle-ci, privilégie la coordination des activités des individus dont une entreprise a besoin pour atteindre certains de ses objectifs. Il sagit ici en quelque sorte dun «arrangement organisationnel» décidé dun commun accord. Dans le présent chapitre consacré à la théorie organisationnelle, lanalyse repose sur cette notion darrangement organisationnel et les membres ou les travailleurs parties prenantes à cet arrangement sont considérés du point de vue de la santé au travail.
Le terme «structure» revient fréquemment dans la théorie de lorganisation et désigne une forme darrangement organisationnel conçue pour atteindre plus efficacement les objectifs fixés. Les activités professionnelles peuvent être analysées dans une perspective «structurelle». Lapproche structurelle est depuis longtemps la plus courante et a beaucoup contribué au niveau quantitatif à la connaissance que nous avons des organisations. Mais certains membres de la jeune génération de chercheurs spécialistes de lorganisation ont exprimé des réserves quant à la valeur de cette approche (Alvesson, 1989; Morgan, 1986).
Si lon adopte une perspective structurelle, on tient plus ou moins pour acquis que les activités professionnelles sont réalisées sous une forme qui suit un ordre convenu (structure). Sur la base de cette hypothèse, lorganisation, prise dans son acception générale, revient à définir lapparence spécifique que doit revêtir cette forme. Jusquà quel degré de précision et de quelle façon les tâches des personnes qui occupent différents postes ont-elles été décrites dans les documents officiels diffusés de façon systématique? Quelles sont les règles qui sappliquent aux postes de cadre? On trouve des informations sur la structure organisationnelle, lensemble des règlements et les relations aux divers niveaux dans des documents tels que les instructions aux cadres et les descriptions de postes.
Une autre question se pose quant à la façon dont les activités sont organisées et structurées dans la pratique. Quels sont les mécanismes de régulation existants et quelle est la nature des relations entre les individus? Le fait même que cette question se pose implique quil ne faille pas sattendre à une correspondance parfaite entre ce qui est officiellement décrété et ce qui se fait dans la pratique. Il existe plusieurs raisons à cela. Bien entendu, aucun règlement ne saurait couvrir toutes les phases du travail. De plus, si lon définit exactement la manière dont les opérations doivent avoir lieu, on ne peut prendre en compte ni les activités réelles des travailleurs, ni les interactions qui sétablissent entre eux. En effet:
Sur le plan pratique, on ne doit pas sattendre à ce quune norme adoptée décrive de manière parfaite lensemble des activités courantes normales. Les normes ne sont tout simplement pas en mesure de recouvrir la totalité des pratiques et des relations qui sétablissent entre les êtres humains. Ladéquation des normes dépendra du degré de précision avec lequel la structure officielle aura été définie. Lorsquon évalue une entreprise ou lorsquon met sur pied un programme de prévention, il est à la fois intéressant et important de déterminer jusquà quel point il y a correspondance entre les normes et les pratiques de ses membres.
Lécart entre les normes et la pratique (définitions objective et subjective de la structure organisationnelle) est important, tout comme la différence entre la structure organisationnelle telle quelle est perçue par un «enquêteur» et limage ou la perception quun membre individuel de lentreprise peut en avoir. Labsence de correspondance entre les deux ne présente pas seulement un intérêt du point de vue intellectuel, mais elle constitue également un handicap pour les membres de lentreprise, en ce sens quils se font une idée beaucoup trop négative de celle-ci pour être en mesure de protéger ou de défendre leurs intérêts.
On a vu se succéder de nombreuses théories, idées et principes en matière de gestion des organisations, chacun cherchant ici à innover. Il nen demeure pas moins que la structure organisationnelle officielle prévoit en général une certaine forme dordre hiérarchique et de partage des responsabilités. Elle définit notamment les principaux aspects de lintégration verticale et de la responsabilité ou de lautorisation fonctionnelle.
Lapproche verticale trouve son expression la plus simple dans la forme dorganisation classique (voir figure 35.2). Lorganisation comprend un supérieur et un certain nombre de subordonnés, ce nombre devant être suffisamment restreint pour que le supérieur puisse exercer un contrôle direct. La forme classique élargie (voir figure 35.3) montre comment une structure organisationnelle complexe peut être construite sur la base de petits systèmes hiérarchiques (voir figure 35.1). Cependant, cette forme élargie de lorganisation classique ne spécifie pas nécessairement la nature de linteraction horizontale entre les personnes qui nappartiennent pas à lencadrement.
Toute structure organisationnelle est essentiellement composée de niveaux hiérarchiques (cest-à-dire une structure «triangulaire», avec plusieurs niveaux descendant du sommet) et se caractérise presque toujours par un ordre hiérarchique plus ou moins accentué. Le principe de base est celui de l«unité de commande» (Alvesson, 1989): une échelle dautorité se crée, qui sapplique avec une rigueur variable selon la nature de la structure organisationnelle retenue. Il peut exister de longues chaînes verticales dinfluence, ce qui présente de nombreux inconvénients pour le personnel et loblige à emprunter des voies de communication indirectes lorsquil souhaite contacter un décideur. A lopposé, lorsquil existe peu de niveaux hiérarchiques (cest-à-dire lorsque la structure de lorganisation est horizontale (voir figure 35.4)), cela indique que la direction préfère ne pas trop mettre laccent sur les rapports chefs de service/subordonnés. La distance entre la direction et les salariés est alors plus courte, et les lignes de contact plus directes. En revanche, chaque cadre a un nombre de subordonnés relativement important en fait, il en a parfois tellement quil nest généralement pas en mesure dexercer un contrôle direct sur eux. Il faut donc accorder plus de poids à linteraction horizontale, nécessaire au bon fonctionnement de lentreprise.
Dans le cas dune structure organisationnelle horizontale, lorganigramme ne fait quesquisser les normes dinfluence verticale. Lorganigramme doit donc être complété par des instructions à lintention des cadres et par des descriptions de postes détaillées.
Les structures hiérarchiques peuvent être considérées comme un moyen de contrôle normatif, cest-à-dire offrant un minimum de responsabilité aux membres de lentreprise. Dans un tel contexte, la latitude laissée à linfluence et à linitiative individuelles peut être plus ou moins généreuse, en fonction des dispositions arrêtées en ce qui concerne la décentralisation de la prise de décisions, la délégation des tâches, les groupes de coordination temporaires et la structure des responsabilités budgétaires. Lorsque la latitude ainsi laissée est moindre, la marge derreur pour lindividu en est dautant réduite. Les documents officiels susmentionnés ne permettent que de deviner le degré de latitude accordé.
Outre lordre hiérarchique (influence verticale), la structure organisationnelle officielle spécifie certaines formes (normatives) de partage des responsabilités et donc dautorité fonctionnelle. On peut dire que lart de diriger une entreprise revient en grande partie à structurer ses activités de manière que la combinaison des différentes fonctions établies ait le plus fort impact extérieur possible. Les noms donnés aux différentes parties (les fonctions) de la structure sont révélateurs, ne serait-ce quen termes très généraux, de la façon dont la direction conçoit la répartition des activités, ainsi que les relations et le partage des responsabilités entre les différentes unités. Ils sont également significatifs de ce qui est demandé aux cadres en matière dautorité fonctionnelle.
Il existe plusieurs modèles de création dune entreprise. Lune des questions fondamentales concerne la manière dont les activités centrales (la production de biens et de services) seront combinées avec les autres éléments indispensables tels que la gestion du personnel, linformatique, ladministration, lentretien, la commercialisation, etc. Lune des solutions possibles consiste à placer les principaux départements administration, personnel, finances, etc. en parallèle avec les unités de production (organisation fonctionnelle ou «de personnel»). Le choix dune telle configuration révèle lintérêt que porte la direction au personnel, dans chacun de ses domaines de spécialisation, grâce à lacquisition dun large éventail de qualifications en vue dapporter un appui et une aide aux unités de production, de réduire la charge quelles supportent et de favoriser leur développement.
Une autre solution consiste à affecter aux unités de production des salariés qui possèdent les compétences administratives spécialisées requises. Cette option facilite la coopération par-delà les limites administratives spécialisées, ce dont ne peut que bénéficier lunité de production concernée. Dautres structures organisationnelles sont également possibles, fondées sur diverses approches des schémas fonctionnels aptes à promouvoir la coopération au sein de lentreprise. Les entreprises sont souvent contraintes de réagir à des changements intervenus dans lenvironnement au sein duquel elles travaillent et, par voie de conséquence, de modifier leur structure. Le passage dune structure organisationnelle à une autre peut nécessiter des changements radicaux dans les formes dinteraction et de coopération recherchées. Ces changements ne touchent pas nécessairement tous les membres de lorganisation; ils sont parfois imperceptibles pour les personnes qui occupent certains emplois. Il est néanmoins important den tenir compte dans toute analyse des structures organisationnelles.
Lidentification des types de structures existants est devenue un sujet de recherche important pour de nombreux théoriciens de lorganisation des entreprises (voir, par exemple, Mintzberg, 1983; Miller et Mintzberg, 1983), lidée étant quil serait utile que les chercheurs puissent déterminer la nature des organisations et les classer selon des catégories facilement identifiables. Dautres chercheurs ont utilisé des données empiriques (statistiques fondées sur lobservation des structures organisationnelles) pour démontrer que limiter ainsi la description à des typologies aussi rigoureuses ne permet pas de refléter la réalité, qui est beaucoup plus nuancée (Alvesson, 1989). A leur avis, il vaut mieux tirer des enseignements de chaque cas individuel que de généraliser immédiatement en se conformant à la typologie existante. Le chercheur spécialiste de la santé au travail devrait privilégier la démarche fondée sur la réalité, car cest elle qui lui permet de mieux comprendre les conditions et la situation dans lesquelles chaque salarié travaille.
Parallèlement à sa structure organisationnelle de base (laquelle définit linfluence verticale et la répartition des fonctions pour les principales activités), une organisation peut disposer dun certain nombre de structures spéciales, mises en place pour une durée déterminée ou indéterminée. Ces structures sont souvent appelées «structures parallèles». Elles peuvent être instituées pour différentes raisons, telles que la nécessité daccroître la compétitivité de lentreprise (en premier lieu dans son propre intérêt), par exemple en constituant des réseaux, ou encore la nécessité de renforcer les droits des salariés, notamment en établissant des mécanismes de surveillance (comités dhygiène et de sécurité, etc.).
Etant donné que la surveillance du milieu de travail a pour fonction première de protéger les intérêts des salariés en matière de sécurité, elle revêt souvent la forme dune structure parallèle permanente. De telles structures existent dans de nombreux pays et leurs procédures de fonctionnement sont souvent définies par la législation nationale (voir à ce sujet le chapitre no 21, «Les relations professionnelles et la gestion des ressources humaines»).
Dans le vocabulaire de la gestion moderne des entreprises, le «réseau» est un terme qui a acquis une signification bien particulière. Il sagit de lorganisation de cercles de cadres moyens et de salariés occupant des postes clés dans différentes parties de lentreprise, et ce, à des fins spécifiques. Le réseau peut avoir pour tâche de favoriser le développement (celui, par exemple, des postes de secrétaire dans lensemble de lentreprise), de fournir une formation (par exemple, au personnel qui travaille dans les points de vente au détail), ou de rationaliser le fonctionnement de lentreprise (par exemple, en standardisant les procédures de commande internes). Dune manière générale, on crée un réseau pour améliorer le fonctionnement de lentreprise à un niveau très concret, de façon que lensemble de lorganisation en bénéficie.
Par comparaison avec le modèle de liaison de Likert, qui a pour but de favoriser linteraction verticale et horizontale entre les niveaux hiérarchiques et au sein de ces mêmes niveaux, le réseau a pour objectif de relier les individus dans le cadre de constellations nouvelles, qui ne figurent pas dans la structure de base (mais cela na, bien entendu, pas dautre objectif que celui de servir les intérêts de lentreprise).
La direction dune entreprise se lance dans la constitution de réseaux dans le but de contrer mais non pas de démanteler la structure hiérarchique en place (avec sa répartition de fonctions), lorsque celle-ci savère beaucoup trop pesante face aux nouvelles exigences de lenvironnement. Créer un réseau peut constituer une meilleure solution que de se lancer dans le difficile processus dune modification ou dune restructuration de lorganisation tout entière. Selon Charan (1991), la clé de la réussite, en matière de constitution de réseaux, réside dans les efforts déployés par la direction pour faire fonctionner le réseau et pour en choisir les membres (lesquels doivent être très motivés, énergiques et résolus, rapides et efficaces, et capables de diffuser facilement les informations auprès des autres salariés). La direction devrait en outre suivre avec attention les activités du réseau. Lorsquil est conçu de la sorte, le réseau correspond à une approche «hiérarchique», ou «descendante». Avec lappui de la direction et des fonds suffisants, un réseau peut se transformer en structure puissante, transcendant lorganisation de base.
Linitiative prise il y a un certain nombre dannées dans une usine Volvo pour relever le niveau général de qualification des travailleurs est un exemple qui illustre bien ce quest la constitution de réseaux. Dans le cadre de cette démarche, la direction a établi un réseau dont les membres ont la possibilité de mettre au point un système de tâches classées en fonction du niveau de difficulté. Grâce à un programme de formation, les travailleurs peuvent gravir des échelons de carrière assortis de la rémunération correspondante. Les membres du réseau ont été choisis parmi des salariés expérimentés travaillant dans différentes unités de lusine et à divers niveaux. Le système proposé ayant été perçu comme une innovation, la collaboration au sein du réseau est devenue extrêmement motivante et le plan a été appliqué dans les plus brefs délais. |
Le spécialiste de la santé au travail a beaucoup à gagner à se demander quelle proportion de linteraction entre les personnes est due à la structure organisationnelle de base et quelle proportion repose sur les structures parallèles qui ont été mises en place. Auxquels de ces types dinteraction lindividu prend-il activement part? Quexige-t-on de lui en termes defforts et de loyauté? Quelle est linfluence de ces attentes sur les échanges et la coopération entre les collègues, les camarades de travail, les cadres et les autres partenaires actifs au sein des structures reconnues?
Pour le spécialiste de la santé au travail intéressé par les problèmes psychosociaux, il importe de savoir quil y a toujours un ou plusieurs individus (à lextérieur ou à lintérieur de lentreprise) qui ont entrepris la tâche (ou ont été désignés à cet effet) délaborer lensemble des règles normatives régissant les activités. Ces «créateurs organisationnels» nagissent pas seuls: ils sont aidés, au sein même de lentreprise, par les défenseurs loyaux de la structure quils créent. Certains de ces derniers participent activement au processus de création, et appliquent et renforcent les principes à cette fin. Dautres sont les représentants ou les «porte-parole» du personnel dans son ensemble ou de certains groupes spécifiques (voir figure 35.5). En outre, il existe un important groupe de salariés, que lon pourrait qualifier de «metteurs en uvre» des formes dactivité prescrites, mais qui nont pas leur mot à dire dans la conception ou les méthodes de réalisation de ces activités.
En étudiant le changement organisationnel, nous devons adopter une perspective méthodique de lorganisation. Le concept de changement organisationnel recouvre toutes les transformations possibles, depuis la modification de lensemble de la macrostructure dune entreprise jusquaux changements dans la répartition du travail ou la coordination des activités dans des unités plus petites et définies de manière précise; il peut sagir de modifications dans ladministration ou dans la production. Quel que soit le cas, le problème consiste à réorganiser les relations de travail entre les salariés.
Les changements organisationnels ont des conséquences sur la santé et le bien-être des membres de lentreprise. Les répercussions sur la santé qui sont les plus faciles à observer relèvent du domaine psychosocial. On peut dire quun changement organisationnel exige beaucoup dun grand nombre de salariés. Pour de nombreux individus, il sagit dun défi, même positif, et les périodes de lassitude, de fatigue et dirritation sont inévitables. Limportant, cest que les responsables de la santé au travail fassent tout leur possible pour que ces sentiments de lassitude ne deviennent pas permanents et pour les convertir en un atout. Il faut mettre laccent sur le souci de la qualité de lemploi et de ses répercussions sur le plan de la compétence et de lépanouissement personnel, les satisfactions sociales (contacts, collaboration, sentiment d«appartenance», esprit déquipe, cohésion) et, enfin, les émotions (sécurité, anxiété, stress, tension) résultant de ces conditions. Le succès dun changement organisationnel devrait être évalué en prenant en considération ces aspects de la satisfaction au travail.
Un point de vue erroné, mais courant, qui risque dempêcher le personnel de réagir positivement au changement organisationnel, consiste à ne considérer les structures normatives que comme de simples formalités qui nont dinfluence ni sur la façon dont les gens se comportent dans la réalité, ni sur la manière dont ils perçoivent les problèmes auxquels ils sont confrontés. Les partisans de ce point de vue estiment que ce qui compte le plus, cest «le fonctionnement dans la pratique». Ils accordent toute leur attention à la façon dont les gens agissent effectivement dans la «réalité». Ce point de vue peut parfois paraître convaincant, notamment dans le cas dentreprises où aucun changement structurel nest intervenu depuis longtemps et où les salariés se sont habitués au système dorganisation en vigueur. Ils se sont accoutumés à un ordre accepté et éprouvé. En pareil cas, ils ne veulent pas savoir sil sagit dun ordre normatif ou dun ordre qui fonctionne tout simplement dans la pratique et ils ne se soucient pas non plus de savoir si leur propre «image» de lentreprise correspond ou non à limage officielle.
Il convient de relever par ailleurs que les descriptions normatives semblent donner une image plus exacte dune entreprise quelles ne le font en réalité. Ce nest pas parce quelles sont consignées par écrit et ont reçu lestampille officielle que ces descriptions représentent de façon exacte lorganisation telle quelle fonctionne dans la pratique. La réalité peut être fort différente, comme cest le cas lorsque les descriptions organisationnelles normatives sont tellement dépassées quelles en ont perdu toute valeur.
Pour réagir de façon aussi efficace que possible au changement, il faut choisir avec soin les normes et les pratiques de lentreprise faisant lobjet dun changement. La plupart du temps, le fait que les normes opérationnelles officiellement établies ont des effets sur les interactions entre les gens et interviennent dans ces interactions apparaît pour la première fois aux yeux des observateurs lorsquils ont été personnellement témoins du changement structurel ou y ont participé. Létude de ces changements nécessite donc une perspective méthodique de lorganisation.
Une telle perspective équivaut à poser des questions du type suivant:
Il sagit dobtenir une image densemble de la façon dont on envisage les relations entre les travailleurs, de la manière dont ces relations sétablissent et fonctionnent dans la pratique, et de la nature des tensions entre les règles formellement établies et celles qui sont effectivement suivies.
Lincompatibilité entre la description des entreprises et leur réalité est révélatrice du fait quaucun modèle organisationnel ne permet de décrire parfaitement cette réalité. La structure retenue comme modèle sert (avec plus ou moins de succès) à adapter les activités aux problèmes que la direction considère comme les plus urgents à résoudre, à un moment où il est clair que lentreprise doit faire lobjet dun changement.
Les motifs justifiant le passage dune structure à une autre sont très divers; ce peut être, par exemple, la nécessité dadapter les qualifications du personnel en place, de mettre sur pied un nouveau système de rémunération, ou de développer ou de réduire une certaine partie des activités de lentreprise. Plusieurs motifs stratégiques peuvent également justifier des changements dans la structure dune entreprise. Souvent, la raison du changement est tout simplement le fait que la nécessité de changer était si grande quil sagissait, pour lentreprise, dune question de survie. Il convient parfois de faciliter, voire dassurer, la survie de lentreprise elle-même. Dans certains cas, il arrive que les salariés ne sont impliqués que dune façon très limitée dans le changement structurel, voire quils ne le soient pas du tout. Les conséquences du changement peuvent être favorables à certains et défavorables à dautres. Dans quelques cas, les structures organisationnelles sont modifiées principalement dans le but de protéger la sécurité et la santé au travail des salariés (Westlander, 1991).
Le changement organisationnel décrit ici a été étudié dans une grande société dingénierie suédoise. Il sagit dun excellent exemple dune action ayant pour objectif principal de relever le niveau de santé au travail. Lentreprise, de très grande taille, est située dans une zone rurale où il est pratiquement impossible pour des secrétaires qualifiées de trouver aisément un autre emploi. Dans la pratique, le personnel est contraint daccepter les conditions proposées par cette grande entreprise sil veut continuer à travailler. Une cinquantaine de femmes y étaient employées en qualité de secrétaires. La plupart dentre elles étaient mariées à des hommes travaillant eux aussi pour la société et, de ce fait, elles étaient doublement liées à lemploi quelles pouvaient trouver dans le secteur. Les problèmes communément rencontrés chez ces secrétaires concernaient les tâches et la grille des salaires. Lentreprise noffrait pas de possibilités davancement professionnel, de formation ou de promotion et leur travail consistait pour lessentiel à exécuter de simples tâches routinières, si bien que certaines dentre elles étaient considérées comme surqualifiées. La direction estimait que les postes de secrétaire étaient «le dernier maillon de la chaîne», et cette politique du personnel suscitait chez elles beaucoup de rancur. Les changements intervenus à la suite de ce mécontentement général se sont échelonnés sur quatre ans. Il sagissait de favoriser le développement professionnel dans le cadre du travail de secrétariat; comme ni la direction, ni les autres catégories de personnel navaient fait de demande en ce sens, les 50 secrétaires ont dû sefforcer datteindre leurs objectifs en ayant à faire face à une forte opposition. On trouvera ci-après un résumé chronologique des efforts quelles ont déployés pour obtenir les changements souhaités. Le problème a été soulevé pour la première fois au cours dune réunion locale du syndicat des employés de bureau. Lune des secrétaires a fait remarquer que la plupart de ses collègues effectuaient un travail qui semblait relever dautres catégories demploi. Son intervention a été consignée au compte rendu, mais aucune décision na été prise. Certaines secrétaires ont ensuite contacté le comité local du syndicat et ont demandé à son président dorganiser une réunion avec plusieurs dirigeants, ce qui a été fait. La grille des salaires et le développement professionnel des secrétaires ont alors été discutés, mais lintérêt est retombé après la réunion. Un consultant interne sest penché sur le problème et a tenté, mais en vain, de convaincre le syndicat de se charger dun certain suivi. Un second consultant interne, expert en évaluation des tâches, est alors entré en scène. Une enquête a été réalisée auprès des secrétaires, avec lappui dune société de conseil. Les résultats ont révélé un mécontement général. A la demande du syndicat et de la direction, les consultants ont organisé plusieurs conférences à lintention des secrétaires et de leurs supérieurs immédiats. Ces conférences avaient pour but de montrer aux cadres ce quétaient réellement, dans la pratique, les conditions de travail des secrétaires et de leur exposer précisément les vux de ces dernières quant à leur développement professionnel, le tout en restant dans le cadre de leurs tâches de secrétariat. Ces conférences se sont révélées fort productives. Les préjugés et objections se sont librement exprimés. Une liste des problèmes a été dressée. Au total, 45 cadres et 53 secrétaires ont participé à ces conférences. Après cette phase danalyse, les consultants ont fait clairement comprendre que leur contribution sarrêterait là. Les secrétaires ont décidé dassurer elles-mêmes la relève et de satteler à la tâche. Entre plusieurs solutions, elles ont choisi une stratégie déconomie de lentreprise en partant de lhypothèse quune telle stratégie augmenterait lintérêt des cadres et de la direction pour cette question. Elles ont donc créé des petits groupes de travail spécialisés (technologie, ergonomie, achats, etc.) qui se sont chargés de faire des propositions pour améliorer le travail de secrétariat tout en chiffrant le coût de chaque proposition. Au cours des années suivantes, 22 groupes de travail ont été constitués en vue de régler différents problèmes. Six dentre eux étaient encore en activité quatre ans après leur création. Les noms de ces groupes indiquent bien à quel niveau se situait le problème: les nouvelles technologies, le matériel de bureau, le service des voyages, les mesures permettant de réduire la transcription dactylographique, la formation, la formation au travail en équipe. Les propositions de ces groupes ont reçu une attention croissante; bon nombre dentre elles ont été retenues et appliquées. A la suite des études réalisées par ces groupes, un certain nombre de mesures de rationalisation ont été prises. Aujourdhui, plus personne ne fait un travail inutile. Les manuscrits sont acceptés comme documents de travail. Les secrétaires ne dactylographient des textes que lorsque cela est nécessaire. Un système dinformatique de bureau a été installé. Dix postes de secrétaires ont été supprimés par réduction naturelle (généralement par suite dun déménagement vers une autre région). Le service de recrutement de lentreprise sest mis à consulter les secrétaires au sujet des postes vacants à pourvoir. On leur a demandé de proposer une réorganisation du travail de manière quil ne soit pas nécessaire dembaucher de nouvelles personnes. A ce jour, 19 secrétaires ont été promues à un poste classé dans une catégorie plus élevée, avec un salaire lui aussi plus élevé, leur travail nécessitant davantage de qualifications. La direction est satisfaite des changements organisationnels intervenus. A lorigine, lobjectif du projet était de supprimer certaines tâches inutiles et peu qualifiées du travail de secrétariat, et den ajouter dautres plus qualifiées. Cet objectif a été atteint; on a en effet découvert à la faveur de cette étude que beaucoup de tâches étaient effectuées en double, que cela coûtait cher et que certaines procédures de travail étaient beaucoup trop longues. Après un certain temps, le processus amorcé sest poursuivi mais sous dautres formes. Il a été intégré aux tâches du service du personnel et a été dénommé groupe de référence pour le développement du secrétariat. Pendant quelque temps, ce changement organisationnel a fait parler de lui dans lensemble de la Suède. Un certain nombre de membres des groupes de travail ont été invités à participer à des conférences ou à des réunions dans tout le pays afin de parler du projet. Les conséquences psychosociales. Pour chacune des secrétaires, ces changements ont revêtu une importance personnelle considérable. Ils se sont traduits, pour la plupart dentre elles, par une plus grande prise de conscience de leur rôle professionnel et des possibilités qui existaient daméliorer les tâches de secrétariat dans lentreprise. Un esprit déquipe sest formé lorsquelles ont étudié ensemble leurs problèmes communs. En tant que collectif de travail, elles ont pu se rendre compte, petit à petit, des résultats de leur ténacité. Cest grâce à leurs propres efforts quelles ont acquis de meilleures qualifications (Westlander, 1991). |
Jusquici, nous avons essentiellement consacré notre examen à lentreprise dans son ensemble. Mais nous pouvons également restreindre notre analyse au contenu des tâches dun travailleur individuel et à la nature de sa collaboration avec ses collègues. Lexpression utilisée le plus couramment pour cet aspect de lorganisation est celle dorganisation du travail. Elle est également employée dans diverses disciplines et approches de recherche.
Cest dabord dans la tradition de la recherche pure en matière dergonomie du travail que lon trouve le concept dorganisation du travail, laquelle consiste à étudier dans quelle mesure léquipement est adapté au travailleur, et vice versa, sur le lieu de travail. Du point de vue des individus, ce qui importe le plus, cest la façon dont ils réagissent à leur équipement et dont ils sen servent. Sous langle de la fatigue et de lefficacité, la durée du travail est également très importante. Il sagit notamment de savoir pendant combien de temps le travail devrait se poursuivre, durant quelles périodes du jour ou de la nuit, avec quel degré de régularité, et quelle est la durée des périodes de récupération octroyées sous forme de pauses ou de périodes plus longues de repos ou de congé. Ces aspects temporels doivent être gérés par la direction. Ils devraient donc être considérés comme des facteurs organisationnels relevant de la recherche ergonomique et comme des facteurs très importants de surcroît. On peut dire que, en ce qui concerne les effets sur la santé, le temps consacré au travail peut influer sur la relation entre léquipement et le travailleur.
Mais il existe aussi des approches ergonomiques plus larges: les analyses vont plus loin et prennent en compte la situation de travail dans laquelle léquipement est utilisé. Cest ici quintervient la question de la bonne adaptation des conditions de travail au salarié et inversement. En pareil cas, cest léquipement lui-même, plus une série de facteurs liés à lorganisation du travail (comme la nature, le type et la composition des tâches, les responsabilités, les formes de coopération, les formes de supervision et le temps consacré au travail sous tous ses aspects) qui déterminent la situation complexe à laquelle réagit le salarié, à laquelle il lui faut sadapter et dans le cadre de laquelle il uvre.
Ces facteurs liés à lorganisation du travail sont pris en compte dans les analyses ergonomiques plus larges; lergonomie sintéresse souvent au type de psychologie du travail qui met laccent sur le contenu des tâches de lindividu (types et composition des tâches) et sur dautres facteurs apparentés. Ces conditions sont considérées comme opérant parallèlement aux conditions physiques. Cest en ce sens quil incombe au chercheur dadopter une position quant à la question de savoir si et comment les conditions physiques et organisationnelles du travail de lindividu nuisent à sa santé (à cause du stress ou des tensions quil subit, par exemple). Mais il se révèle beaucoup plus difficile disoler les causes des effets dans une telle perspective que lorsquon adopte une approche ergonomique plus étroite.
Outre les conditions organisationnelles dans lesquelles le salarié est régulièrement appelé à travailler, il existe un certain nombre de phénomènes, organisationnels eux aussi (tels que la politique de recrutement, les programmes de formation, les systèmes de rémunération), qui sont sans doute davantage périphériques, mais qui nen revêtent pas moins une importance décisive quant à ce que représente, pour chaque salarié, sa situation de travail du moment. Cette perspective plus large (on serait dailleurs en droit de se demander si elle lest suffisamment) présente de lintérêt pour le chercheur qui souhaite comprendre la relation entre le travailleur individuel et lensemble des activités de lentreprise.
Alors que la psychologie du travail met laccent sur les tâches professionnelles de lindividu et sur les exigences de lemploi par rapport aux capacités de lintéressé, la psychologie organisationnelle se réfère aux individus tels quils sont définis par la place quils occupent dans une entreprise, en qualité de membres plus ou moins visibles et plus ou moins actifs. Le point de départ de lapproche organisationnelle est le fonctionnement dune entreprise ou dun organisme et les différentes parties de cette entité au sein desquelles les individus sont eux-mêmes actifs.
La réalisation dactivités nécessite ladoption de dispositions organisationnelles. Il faut une structure organisationnelle unifiée; lensemble des activités doit être ventilé en tâches identifiables. Il convient de créer une structure des tâches suivant certains principes de répartition des responsabilités. Il est par conséquent nécessaire de disposer de mécanismes de gestion, de systèmes techniques et de procédures dentretien. Dans de nombreux cas, il appartient aussi de mettre en place des systèmes de sécurité spéciaux et des systèmes de protection de la santé, qui viennent sajouter aux procédures de sécurité prescrites par la loi.
Outre les éléments structurels à mettre en place en vue de laccomplissement des tâches, il faut aussi instituer des systèmes de rémunération et de contrôle. Des systèmes de participation à la prise de décisions et de développement des compétences (outre la maîtrise des moyens techniques) sont également indispensables. Tous ces systèmes peuvent être considérés comme des facteurs organisationnels. De par leur nature, ce sont des activités formelles, conçues pour atteindre un objectif précis et qui ont une existence parallèle dans lentreprise. Comme nous lavons déjà mentionné, ces divers mécanismes et systèmes peuvent être permanents ou institués temporairement pour une durée plus ou moins longue, mais ils exercent tous une certaine influence sur les conditions dans lesquelles travaille chaque salarié. Ils peuvent être examinés selon différentes perspectives psychosociales: comme sources de soutien au travailleur, comme instruments de contrôle utilisés par la direction, comme facteurs de réussite pour la direction ou les salariés. Linteraction entre ces différents systèmes organisationnels est dun grand intérêt; leurs buts ne sont pas toujours compatibles et auraient plutôt tendance à aller en sens contraire. Mais il ne faut pas oublier quaprès tout les responsables de ces systèmes sont des êtres humains.
Le responsable du service de linformatique et la personne chargée de traiter les demandes de réparation au service des lésions professionnelles (accidents du travail et maladies professionnelles) ont collaboré de façon intensive pendant environ six mois. Ils navaient encore jamais eu loccasion de travailler ensemble et ne se connaissaient pas très bien. Linformaticien est le chef de son service, lequel fait partie de ladministration financière centrale de lentreprise qui, dans lorganigramme, se situe juste au-dessous de la direction générale. Le responsable du traitement des demandes de réparation des lésions professionnelles est le chef de lun des services administratifs de lentreprise, le service des lésions professionnelles, installé géographiquement dans une autre partie de la ville. Le service de linformatique a pour tâche permanente de rationaliser et de réviser les formulaires utilisés par lentreprise pour que lenregistrement des documents et la correspondance au sein des différents services soient aussi simples et efficaces que possible. Le service des lésions professionnelles est chargé de traiter les demandes de réparation des lésions professionnelles de ses assurés (clients) de façon scrupuleuse et précise, afin que les clients aient le sentiment dêtre bien servis. Le service de linformatique a donc une mission de rationalisation dans lentreprise, alors que le service des lésions professionnelles a une fonction orientée vers le client dans un domaine spécialisé de lassurance. Le responsable du traitement des demandes de réparation a des contacts quotidiens avec dautres responsables de son propre groupe de travail et avec des membres dautres groupes de travail au sein du service des lésions professionnelles. Ces contacts ont pour objectif premier de discuter des questions relatives aux lésions professionnelles afin que tous les employés, dans le service, traitent les demandes selon les mêmes principes directeurs. Le service des lésions professionnelles fonctionne en autarcie dans lentreprise et il na que très peu de contacts directs, si ce nest ceux quil entretient avec son propre cercle de clients. Les contacts avec le reste de lentreprise sont extrêmement limités. Le service de linformatique fait partie du système central de contrôle financier de lentreprise. Son chef a des contacts brefs, mais réguliers, avec tous les services de lentreprise et, globalement, il est même davantage en relation avec eux quavec le personnel des services parallèles qui constituent le système central des finances. La principale raison pour laquelle sest posée la question de la collaboration entre le chef du service de linformatique et celui des lésions professionnelles est que le service de linformatique avait reçu de la direction générale des instructions concernant ses activités de rationalisation, lui demandant de faire en sorte que les responsables des questions dassurance dans les différents services améliorent leur productivité et puissent ainsi soccuper dun plus large cercle de clients (en particulier, en offrant de nouveaux types de polices dassurance). Le responsable du traitement des demandes de réparation des lésions professionnelles a réagi avec beaucoup dhésitation à la proposition de linformaticien, lorsque ce dernier lui a expliqué quelle était la motivation de la direction générale. Il souhaite en effet atteindre ses propres objectifs et remplir sa propre fonction dans lentreprise, qui consiste à satisfaire les besoins des assurés, en gérant avec soin toutes les questions relatives aux lésions professionnelles. Il considère que cet objectif est incompatible avec une augmentation de productivité. Linteraction entre ces deux cadres supérieurs est rendue plus complexe encore par le fait quils ne travaillent pas au même endroit, que leurs obligations sont de nature différente et que leurs «points de vue» sur les activités de lentreprise en général ne sont pas les mêmes. En dautres termes, ils appréhendent les difficultés (en loccurrence, les problèmes de rentabilité) dans des perspectives différentes. Nous constatons quil existe ici des forces et des objectifs antagonistes qui, étant intégrés dans une conception organisationnelle des activités, constituent la base de linteraction entre deux cadres supérieurs. |
Pour quune entreprise survive en tant que telle, il faut que sa direction reste constamment attentive à ce qui se passe dans le monde extérieur et quelle soit toujours prête à évoluer. La direction se doit en effet de réagir de façon immédiate aux brusques changements provoqués par des influences extérieures comme une perte dintérêt de la part dun gros client, une modification de la demande, la soudaine apparition de nouveaux concurrents, des demandes dinformations provenant des autorités gouvernementales ou des décisions officielles qui aboutissent à une restructuration du secteur public. La réaction de la direction face à de tels changements consiste souvent à réorganiser lensemble ou une partie des activités de lentreprise. La plupart du temps, les besoins de lindividu en matière de santé ne sont pas au premier plan des priorités dans ce type de situation qui ne laisse pas non plus le temps nécessaire à une participation prolongée des salariés aux négociations concernant le changement. Même si, à long terme, ces négociations auraient été constructives, le fait est que la direction compte généralement sur lobéissance et la confiance des salariés. En bref, ceux qui souhaitent rester salariés de lentreprise doivent accepter la situation.
Dans une analyse de documents rédigés pour le BIT, Karasek (1992) distingue deux approches différentes utilisées pour planifier les changements organisationnels: dans la première, laccent est mis sur lintervention des experts; dans la deuxième, cest la participation qui est mise en avant. On na pas constaté de différences entre tel ou tel pays quant à limportance donnée à lune ou à lautre de ces approches. Il est néanmoins admis (Ivancevich et coll., 1990) que le rôle de la direction est important pour les projets de changement organisationnel destinés à réduire le stress au travail et à améliorer le bien-être et la santé des travailleurs. Ce type dinterventions nécessite la collaboration de la direction, des cadres et des travailleurs et, éventuellement, celle des experts.
Lorsque des changements structurels interviennent, il est inévitable que lensemble des membres de lentreprise éprouvent un sentiment dincertitude. Mais ce sentiment sexprime sous des formes et à des degrés divers, selon le poste occupé dans lentreprise. Les conditions requises pour se faire une idée exacte de la réussite ou de léchec dune entreprise dans la mise en uvre des changements sont bien différentes, selon quil sagit de la direction ou des salariés. Au risque de simplifier la situation à lextrême, nous dirons quil existe deux types de sentiment dincertitude:
1. Le fait dêtre conscient de lincertitude quant à la poursuite des activités de lentreprise ou à sa réussite . Ce type de sentiment dincertitude se rencontre chez les décideurs. Le fait d«être conscient de lincertitude» signifie que lintéressé est en mesure dévaluer les avantages et les inconvénients liés à lincertitude de la situation. Il a la possibilité de faire face activement à cet état de fait (par exemple, en obtenant davantage dinformations, en essayant dexercer une influence sur certaines personnes, etc.). Lindividu concerné peut également réagir négativement en tentant déviter la situation par différents moyens, par exemple en cherchant un nouvel emploi.
2. Le fait de ne pas être conscient de lincertitude quant à la poursuite des activités de lentreprise ou à sa réussite . Ce type dincertitude se rencontre chez les salariés qui ne participent pas à la prise de décisions. «Ne pas être conscient de lincertitude» signifie que lintéressé a des difficultés à prendre position sur ce qui se passe et quil en est généralement réduit à réagir de façon passive (en restant dans lexpectative, en demeurant dans un état instable et diffus, en laissant les autres agir).
Psychologiquement, notamment lorsquon essaie dempêcher certains effets du travail sur le milieu, ces différents sentiments dincertitude sont très importants. Les personnes appartenant à lun de ces groupes se sentiront aliénées par rapport à la réalité subjective de lautre groupe. La décision dopérer un changement dans lentreprise est habituellement prise à un niveau élevé dans la hiérarchie, lobjectif premier consistant à accroître lefficacité. Le cadre supérieur qui participe à un changement organisationnel voit son travail regagner de lintérêt, car le changement crée de nouvelles conditions auxquelles il faut sadapter. Ce changement devient un défi positif, voire, fréquemment, un stimulant. Chez les travailleurs, en revanche, la fonction dune réorganisation se décline au conditionnel: ce nest une bonne chose que dans la mesure où le changement améliore, ou même laisse en létat, leur situation de travail actuelle et future.
Dautres personnes voient les changements avec plus de détachement: ce sont celles qui occupent des postes administratifs spécialisés ou les experts en organisation, pour lesquels la réorganisation est intéressante en elle-même, quel quen soit le résultat. On peut en effet la considérer comme une expérience qui permet de déterminer comment elle agit sur les salariés et lentreprise; ces données seront ensuite très utiles aux administrateurs ou aux experts en organisation de lentreprise concernée ou dune autre entreprise.
Un changement organisationnel est un processus compliqué non seulement à cause des modifications pratiques quil implique, mais en raison également de ses conséquences psychologiques et psychosociales. Ainsi, latmosphère de travail reflète les niveaux dintérêt dans les changements proposés, de même que le type de stress psychique subi. Cette réalité sociale complexe est difficile à étudier de façon systématique.
Les économistes dentreprise, les sociologues et les psychologues ont une approche différente de linterprétation des liens entre le changement organisationnel et les conditions de travail du salarié. La psychologie du travail et de lorganisation met laccent sur les salariés et leurs conditions de travail. Il sagit dobtenir des données systématiques concernant les effets du changement organisationnel sur la santé et les perspectives professionnelles de chacun. Cest cette approche qui nous permet de mieux connaître les conséquences du changement organisationnel sur la santé mentale au travail.
La sociologie de lorganisation analyse essentiellement les conditions individuelles sur lesquelles le changement organisationnel a un impact, le but étant de comprendre/décrire/découvrir les conséquences de ce changement sur les relations et les dépendances qui se sont instaurées au sein de lentreprise tout entière et dans les groupes qui la composent. Les sciences de la gestion et de ladministration peuvent sintéresser aux aspects psychologiques dans le but de comprendre certains comportements et attitudes des membres de lentreprise (parfois uniquement ceux des personnes qui occupent les postes clés) qui ont une importance capitale pour lexpansion de ses activités.
Les facteurs organisationnels, la division du travail, la décentralisation, les systèmes de rémunération ne sont pas des objets physiques! Ils sont intangibles. Ils sont insaisissables et la plupart dentre eux se traduisent par des activités ou des interactions qui disparaissent plus ou moins vite pour être immédiatement remplacées par dautres. Les dimensions de lorganisation du travail quil est possible de «mesurer» (à peu près de la même façon que lon mesure des facteurs physiques) sont également, ce qui nest guère surprenant, celles quun chercheur ayant une formation en sciences naturelles trouverait les plus facilement gérables et acceptables. Le temps, par exemple, peut être quantifié de manière objective, avec un instrument de mesure indépendant de lêtre humain. La façon dont le travail est organisé dun point de vue strictement temporel (le temps passé au travail et le temps consacré aux pauses et aux périodes de repos plus longues) pose rarement des problèmes de mesure importants aux ergonomes. En revanche, la perception que chaque individu peut avoir des différents aspects du temps est psychologique et, par conséquent, beaucoup plus difficile à mesurer.
Il est aussi relativement plus facile pour le chercheur de comprendre et danalyser les facteurs organisationnels du travail qui revêtent une forme matérielle. Cest le cas lorsque les instructions données aux cadres, les descriptions de poste et les procédures de travail sont définies par écrit, comme peuvent lêtre dailleurs aussi les mécanismes de contrôle et les différentes formes de coordination du personnel. Une analyse systématique du contenu de tels textes permet souvent dobtenir des informations utiles. Il convient cependant de rappeler que la pratique peut différer parfois dans des proportions importantes des prescriptions écrites. En pareil cas, il nest pas facile dobtenir une image précise des activités et des attitudes des individus.
La mesure des phénomènes organisationnels est fondée sur différentes sources dinformation:
Le type dinformation à utiliser en priorité sera déterminé, dune part, par le type de facteur organisationnel à évaluer et les préférences du chercheur en matière de méthodes dévaluation et, dautre part, par la latitude que lentreprise laisse au chercheur pour explorer le domaine concerné de la façon qui lui convient le mieux.
La recherche organisationnelle peut rarement se contenter dune ou de deux sources dinformation pour les données chiffrées: elle fait appel le plus souvent à des sources multiples.
Pour mesurer le changement organisationnel, il est encore plus indispensable de prêter attention à certains aspects caractéristiques. Il se passe beaucoup de choses en matière de relations interpersonnelles juste avant et juste après la mise en uvre du changement. Or, dans ce domaine, contrairement à ce qui se produit au cours des expériences en laboratoire ou dans des réunions où lon peut faire remplir des questionnaires de groupe, la situation (cest-à-dire le processus du changement) nest pas maîtrisée. Plutôt que de sen irriter ou de simpatienter, les chercheurs qui étudient le changement organisationnel devraient considérer ce processus comme une source de richesse. Les sociologues du travail devraient adopter la même attitude. Il faut abandonner lidée dévaluer les effets finaux et se rendre compte que le travail de prévention consiste à toujours se montrer disponible et à apporter le soutien voulu. Il faudrait accorder une attention particulière aux relations formelles entre supérieurs et subordonnés (salariés).
Lévaluation de la recherche sur le changement organisationnel du point de vue de la santé au travail conduit à la conclusion que lintérêt porté à la santé des salariés, notamment à leur santé psychosociale, varie beaucoup lorsquil sagit de mettre en uvre des changements organisationnels. Dans certains cas, on a carrément laissé au hasard le soin de résoudre cette question, la direction de lentreprise et même les membres des comités dhygiène et de sécurité sen désintéressant complètement. Dans dautres cas, il existait peut-être un intérêt, mais aucune expérience sur laquelle sappuyer. Parfois, cependant, le changement organisationnel était motivé par des considérations où se mêlaient efficacité et santé. Mais le principal objectif recherché est rarement de protéger ou daméliorer le bien-être psychosocial des salariés. Néanmoins, on a de plus en plus conscience de limportance de prendre en compte la santé des salariés à tous les stades du changement organisationnel (Porras et Robertson, 1992).
Pendant la mise en uvre de ce changement, les relations devraient idéalement se caractériser, du moins au niveau informel, par un sentiment de coopération. Nombreuses sont aujourdhui les entreprises qui disposent des ressources nécessaires à toutes ces activités, telles quun service du personnel, un département chargé de lorganisation, un service interne de santé au travail et des représentants syndicaux motivés. Dans certaines de ces entreprises, il existe aussi une philosophie plus explicite de la prévention, qui incite les cadres en poste à différents niveaux à utiliser de manière plus efficace toutes ces ressources et les responsables de ces diverses fonctions à pratiquer une coopération fructueuse. Il faut espérer que la tendance qui se fait jour à considérer les aspects relatifs à la santé au travail dans la mise en uvre des changements organisationnels se renforcera encore quune telle approche nécessite une prise de conscience accrue, de la part des experts de la santé au travail, de la nécessité de se familiariser avec la philosophie et la théorie des conditions organisationnelles.