En 1966, bien avant que les termes stress professionnel et facteurs psychosociaux ne soient devenus courants, un rapport intitulé «Protéger la santé de quatre-vingts millions de travailleurs un objectif national de la santé au travail» avait été publié aux Etats-Unis par le directeur du Département de la santé et des services sociaux (Department of Health and Human Services (DHHS), 1966). Préparé sous les auspices de la Commission consultative de lhygiène du milieu (National Advisory Environmental Health Committee), ce rapport avait pour but de fixer les grandes lignes des programmes fédéraux de santé au travail. Entre autres observations, le texte soulignait que le stress psychique était de plus en plus manifeste dans le monde du travail et quil impliquait «des menaces nouvelles et insidieuses pour la santé mentale», ainsi que des risques de troubles somatiques tels que des maladies cardio-vasculaires. Le changement technologique et les contraintes psychologiques croissantes du milieu de travail y étaient mentionnés comme des facteurs de stress. Dans sa conclusion, ce rapport énumérait plus dune vingtaine de «problèmes urgents» à traiter en priorité, dont la santé mentale au travail et les facteurs professionnels de stress.
Trente ans plus tard, on saperçoit que ce document était prophétique. Le stress professionnel est devenu lune des premières causes dincapacité de travail en Amérique du Nord et en Europe. En 1990, 13% de tous les cas dincapacité de travail traités par la société Northwestern National Life (lun des plus grands assureurs américains pour les risques professionnels) étaient dus à des troubles dont on pouvait considérer quils étaient imputables au stress professionnel (Northwestern National Life, 1991). Une étude réalisée en 1985 avait montré que 11% des cas de maladies professionnelles entraient dans une seule catégorie, à savoir une incapacité mentale due à un stress psychique développé progressivement sur le lieu de travail (National Council on Compensation Insurance, 1985)1.
1 Aux Etats-Unis, on distingue les cas de maladies professionneles des cas d'accidents du travail, qui sont beaucoup plus nombreux
Cette évolution sexplique facilement lorsque lon considère les exigences professionnelles actuelles. Une enquête conduite en 1991 par les membres de lUnion européenne a révélé que les personnes qui se plaignent de contraintes organisationnelles génératrices de stress sont proportionnellement plus nombreuses que les travailleurs souffrant de contraintes physiques (Fondation européenne pour lamélioration des conditions de vie et de travail, 1992). De même, une étude plus récente portant sur la population active des Pays-Bas indique que la moitié des personnes interrogées faisait état de cadences de travail élevées, que les trois quarts dentre elles se plaignaient du peu de possibilités de promotion qui leur étaient offertes et quun tiers évoquait un manque dadéquation entre leur formation et le poste quelles occupaient (Houtman et Kompier, 1995). Pour les Etats-Unis, il existe moins dinformations sur la prévalence des facteurs de risque de stress dans le monde du travail. Une enquête de 1993 portant sur plusieurs milliers de salariés américains montre cependant que plus de 40% de la population active déplorent une charge de travail excessive et se déclarent «psychiquement épuisés» en fin de journée (Galinsky, Bond et Friedman, 1993).
Bien quil soit difficile davancer une estimation fiable, il ne fait aucun doute que ce problème a des répercussions considérables sur la productivité, la santé et la qualité de vie. Les analyses récentes effectuées par la société Saint Paul Fire and Marine Insurance Company sur plus de 28 000 personnes sont très intéressantes: elles soulignent que la contrainte du temps et les autres difficultés psychologiques et personnelles rencontrées dans le milieu professionnel sont plus étroitement liées aux problèmes de santé signalés que tout autre facteur de stress individuel, y compris les problèmes financiers et familiaux ou la mort dun être cher (Saint Paul Fire and Marine Insurance Company, 1992).
Si lon se tourne vers lavenir, il apparaît que les transformations rapides du tissu professionnel et de la population active créent des risques de stress nouveaux et parfois les augmentent. Ainsi, dans de nombreux pays, la population active vieillit rapidement alors que la sécurité de lemploi diminue. Aux Etats-Unis, les compressions de personnel se sont poursuivies pratiquement sans discontinuer de 1990 à 1995 à un rythme de plus de 30 000 suppressions demplois par mois (Roy, 1995). Selon létude de Galinsky, Bond et Friedman (1993) citée plus haut, près dun cinquième des travailleurs nexcluaient pas de perdre leur emploi au cours de lannée à venir. Parallèlement, le nombre demplois précaires noffrant généralement aucune assurance maladie ou autres prestations sociales ne cesse daugmenter; actuellement, quelque 5% de la population active occupent de tels emplois (Bureau of Labour Statistics (BLS), 1995).
Lobjectif de ce chapitre est de donner un aperçu des connaissances actuelles sur les facteurs de stress au travail et sur les problèmes de sécurité et de santé qui en découlent. Parmi ces facteurs, couramment qualifiés de psychosociaux , on trouve certaines caractéristiques du poste de travail et de lenvironnement professionnel telles que le climat ou la culture de lentreprise, la répartition des fonctions, les relations interpersonnelles au travail, ainsi que la conception et le contenu des tâches (variété, sens, portée, répétitivité, etc.). Le concept de facteurs psychosociaux sétend également à lenvironnement extraprofessionnel (contraintes familiales, par exemple) et aux caractéristiques de lindividu (personnalité et attitudes) qui peuvent influer sur le développement du stress au travail. On utilise fréquemment les expressions organisation du travail ou facteurs organisationnels en lieu et place de facteurs psychosociaux pour parler des conditions de travail pouvant induire le stress.
La première section de ce chapitre décrit plusieurs modèles du stress professionnel qui présentent actuellement un intérêt scientifique et, notamment, le modèle «exigences professionnelles/ autonomie dans le travail», le modèle dadéquation «personne-environnement», ainsi que dautres approches théoriques du stress au travail. Comme toutes les conceptions contemporaines du stress professionnel, ces modèles ont en commun le fait que la représentation théorique du stress se fonde sur la relation entre lemploi et la personne qui loccupe. De ce point de vue, on considère quil y a stress professionnel et risque de pathologie lorsque les exigences professionnelles sécartent des besoins, attentes ou capacités de lindividu. Cette caractéristique fondamentale ressort bien de la figure 34.1 qui représente les éléments de base du modèle du stress présenté par les chercheurs de lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)). Daprès ce modèle, les facteurs psychosociaux liés au travail provoquent des réactions psychologiques, comportementales et physiques qui finissent par se répercuter sur la santé. Cependant, comme le montre cette figure, des facteurs individuels et contextuels (dits modérateurs de stress) interviennent pour en moduler les effets sur la santé et le bien-être (voir la description plus détaillée de ce modèle de stress dans Hurrell et Murphy, 1991).
Si lon fait abstraction de cette similitude conceptuelle, ces modèles se distinguent cependant par certaines différences théoriques non négligeables. Ainsi, contrairement au modèle du NIOSH et au modèle dadéquation «personne-environnement» qui admettent une multitude de facteurs de risques psychosociaux sur le lieu de travail, le modèle «exigences professionnelles/autonomie dans le travail» se concentre davantage sur un petit nombre de dimensions psychosociales liées à la charge psychologique et à la maîtrise possible par le travailleur de certains aspects de son travail (latitude décisionnelle). Par ailleurs, aussi bien le modèle «exigences professionnelles/autonomie dans le travail» que le modèle du NIOSH diffèrent du modèle dadéquation «personne-environnement» par limportance accordée à lindividu. Dans ce dernier modèle, laccent est mis sur la manière dont lindividu perçoit léquilibre entre les caractéristiques de lemploi et ses propres possibilités. Cette importance accordée à la perception de lindividu permet de relier la théorie de ladéquation «personne-environnement» à une autre variante de la théorie du stress; dans cette analyse attribuée à Lazarus (1966), ce sont les différences individuelles observées tant au niveau de lappréciation des facteurs de stress psychosociaux que des stratégies dadaptation qui exercent une influence déterminante sur les effets du stress. En revanche, sans nier limportance des différences individuelles, le modèle du NIOSH accorde la primauté aux facteurs contextuels dans la production du stress, ainsi que le suggère la présentation du modèle illustré à la figure 34.1. Fondamentalement, ce modèle implique que la plupart des facteurs de stress sont considérés le plus souvent comme une menace par la quasi-totalité des gens. On relève cette même primauté dans dautres modèles du stress, quil soit professionnel ou non (Cooper et Marshall, 1976; Kagan et Levi, 1971; Matteson et Ivancevich, 1987).
Ces différences ont dimportantes incidences sur lorientation des recherches consacrées au stress professionnel et des stratégies dintervention sur les lieux de travail. Le modèle du NIOSH plaide ainsi en faveur dune prévention du stress professionnel, axée principalement sur les facteurs de stress psychosociaux liés au lieu de travail et, à cet égard, il correspond à un modèle de prévention de santé publique. Même si ce type de prévention reconnaît limportance de la résistance et des caractéristiques de lhôte dans létiologie de la maladie, la première ligne de défense quelle considère consiste en effet à éliminer ou à réduire lexposition des individus aux facteurs pathogènes de lenvironnement.
Les articles du présent chapitre sorganisent selon le schéma fourni par le modèle de stress du NIOSH illustré par la figure 34.1. Après une analyse des modèles de stress professionnel, de courts articles résument les connaissances actuelles sur les facteurs psychosociaux de stress professionnel et sur les modérateurs de stress. Plusieurs sections considèrent des situations déjà largement traitées dans la littérature en tant que facteurs ou modérateurs de stress, ainsi que certains sujets auxquels on commence seulement à sintéresser tels que le climat de lentreprise et les perspectives de carrière. Préparées par des personnes faisant autorité en la matière, chacune de ces synthèses fournit une définition du sujet ainsi quun bref aperçu des travaux qui lui ont été consacrés. En outre, pour en accroître lutilité, il a été demandé à chaque auteur dinclure des informations sur les méthodes de mesure ou dévaluation et sur les pratiques de prévention.
A la fin du chapitre, les deux sections intitulées «Les réactions au stress», et «Les effets chroniques sur la santé», présentent létat actuel des connaissances sur toute une série de risques potentiels du stress professionnel pour la santé en expliquant les mécanismes en cause. On y aborde aussi bien certaines préoccupations classiques telles que les troubles psychologiques et cardio-vasculaires que dautres aspects identifiés plus récemment tels que le déficit immunitaire ou les troubles musculo-squelettiques.
La dernière section du chapitre, «La prévention», passe rapidement en revue les stratégies de prévention et de maîtrise du stress. En résumé, nous avons connu ces dernières années des changements sans précédent dans la conception du travail et les contraintes qui y sont associées, et le stress professionnel est devenu une préoccupation majeure de la médecine du travail. Cest le but de ce chapitre de lEncyclopédie que de faire mieux comprendre les risques psychosociaux dun monde du travail en pleine mutation, afin de mieux assurer le bien-être des travailleurs.
En mécanique, on entend par stress «toute force qui déforme les corps». En biologie et en médecine, le terme de stress se réfère normalement à un processus de lorganisme et, plus précisément, aux mécanismes quil met en uvre pour sadapter à toutes les influences, modifications, exigences et contraintes quil subit. Ces mécanismes se déclenchent, par exemple, en cas dagression dans la rue, mais également en cas dexposition à des substances toxiques ou à des températures extrêmes. Toutefois, cette réaction nintervient pas uniquement sous leffet de facteurs physiques, mais peut aussi être provoquée par des stimuli mentaux et sociaux. Il en est ainsi, par exemple, quand un supérieur hiérarchique nous réprimande, quand une expérience désagréable nous est rappelée, quand nous est demandée une tâche que lon se sent incapable daccomplir ou quand des problèmes professionnels ou conjugaux nous préoccupent (à tort ou à raison).
Toutes ces circonstances concernent la manière dont lorganisme sefforce de sy adapter. Ce dénominateur commun, qui fait «monter en régime», ou «mettre les gaz», nest autre que le stress. Le stress est donc la réaction stéréotypée de lorganisme à des influences, exigences ou contraintes diverses. De même quun pays entretient en permanence un certain état de préparation militaire aussi bien en temps de paix quen temps de guerre, lorganisme conserve toujours un niveau de stress minimal. Dans certaines circonstances, ce niveau de préparation sintensifie, parfois pour de bonnes raisons, parfois sans réelle justification.
En ce sens, le niveau de stress influe sur la rapidité des processus d«usure» de lorganisme. On peut dire que plus «on met les gaz», plus vite on fait tourner le «moteur» de lorganisme, plus on brûle de carburant et plus on use ce moteur. On peut aussi utiliser la métaphore de la chandelle qui, si on la brûle par les deux bouts, éclaire mieux, mais se consume plus vite. Une certaine quantité de carburant ou de combustible est nécessaire, faute de quoi le «moteur» sarrête ou la «bougie» séteint, cest-à-dire que lorganisme meurt. Ainsi, le problème ne réside pas tant dans lexistence dun stress réactionnel que dans le niveau excessif de stress (degré dusure) auquel lorganisme est soumis. Le stress réactionnel varie dune minute à lautre chez le même individu, cette variation étant fonction en partie de létat de lorganisme et en partie des influences et contraintes externes facteurs de stress auxquels lorganisme est exposé (un facteur de stress est donc tout élément susceptible de provoquer du stress).
Il est parfois difficile de savoir si, dans une situation donnée, le stress est bénéfique ou néfaste. Prenons lexemple de lathlète qui monte épuisé sur le podium des vainqueurs ou du cadre nouvellement promu, mais anéanti par le stress. Tous deux ont atteint leur objectif. En termes stricts de succès, on pourrait dire que le jeu en valait la chandelle, mais en termes psychologiques cela est moins certain, car le prix à payer a peut-être été très lourd: gros soucis, longues années dentraînement ou accumulation dheures supplémentaires, généralement au détriment de la vie familiale. Sur le plan médical, on peut dire aussi que ces personnes ont «brûlé leur chandelle par les deux bouts». Les conséquences peuvent aussi être physiologiques, car le sportif nest pas à labri dune déchirure musculaire, ni le cadre dune hypertension artérielle ou dun accident cardiaque.
Pour mieux comprendre le déclenchement des réactions de stress professionnel et leurs répercussions sur la santé et la qualité de vie, imaginons la situation suivante vécue par un travailleur: pour des raisons économiques et techniques, la direction a décidé de subdiviser un procédé de fabrication en plusieurs modules très simples constituant un travail à la chaîne. Par cette décision, une certaine structure sociale est créée et un processus engagé, qui peuvent être le point de départ dune séquence dévénements stressogènes et pathogènes. La nouvelle situation devient un stimulus psycho-social pour le sujet lorsquil la perçoit pour la première fois. Sa perception peut ensuite être influencée par le fait quil avait acquis une bonne formation qui lui laissait espérer un emploi exigeant des qualifications accrues et non un niveau de compétence plus bas. Supposons que ce travailleur ait aussi très mal vécu un emploi précédent sur une chaîne de montage (le vécu antérieur conditionnera la réaction au changement de situation). Supposons également que pour des raisons héréditaires, ce même sujet ait tendance à réagir aux facteurs de stress par une élévation de sa tension artérielle. Devenu plus irritable, il sera peut-être critiqué par son épouse qui lui reprochera davoir accepté cette nouvelle affectation et de répercuter ses problèmes professionnels sur sa famille. Sous leffet de tous ces facteurs, il peut réagir à son sentiment de détresse en consommant davantage dalcool ou par des effets physiologiques indésirables (hypertension, par exemple). Si ses difficultés professionnelles et familiales persistent, ces réactions, initialement passagères, deviennent permanentes. Cet individu risque alors de développer un état danxiété chronique, de devenir alcoolique ou de souffrir dune hypertension permanente, problèmes qui accroissent encore ses difficultés professionnelles et familiales et peuvent aussi renforcer sa vulnérabilité physiologique. Un cercle vicieux se crée qui peut sachever par un accident vasculaire cérébral, un accident du travail, voire un suicide. Cet exemple montre bien comment la programmation environnementale est susceptible dentraîner des réactions comportementales, physiologiques et sociales qui peuvent conduire à une vulnérabilité accrue, à des problèmes de santé ou même à une issue fatale.
Selon une importante résolution de lOrganisation internationale du Travail (BIT, 1975), lemploi doit non seulement respecter la vie et la santé des salariés et leur laisser du temps libre pour le repos et les loisirs, mais aussi leur permettre de servir la société et de sépanouir en développant leurs capacités personnelles. Ces principes avaient dailleurs été exposés dès 1963, dans un rapport de lInstitut Tavistock de Londres (document no T813) qui préconisait lapplication de certains grands principes pour la conception dun poste:
LOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) brosse cependant un tableau moins optimiste des réalités de la vie de travail et souligne les points suivants:
A court terme, les bénéfices résultant des évolutions prévues par lOCDE se sont traduits par une plus grande productivité à moindre coût, et par une augmentation de la richesse. A long terme, cependant, elles ont eu souvent pour conséquence daccroître linsatisfaction et laliénation des travailleurs, voire de porter atteinte à leur santé, avec tous les effets négatifs quune telle situation peut avoir pour léconomie dans son ensemble, même si ce coût économique na été pris en compte que récemment (Cooper, Liukkonen et Cartwright, 1996; Levi et Lunde-Jensen, 1996).
Nous avons également tendance à oublier que la race humaine na guère évolué sur le plan biologique depuis 100 000 ans, alors que lenvironnement notamment lenvironnement professionnel a connu des mutations profondes, surtout depuis un siècle. Cette évolution a été en partie positive, mais certaines de ces «améliorations» se sont accompagnées deffets pervers que lon ne prévoyait pas. Ainsi, daprès les informations recueillies par le Bureau central suédois des statistiques pour les années quatre-vingt:
Lors de sa grande enquête effectuée dans les 12 Etats membres de lUnion européenne en 1991-92 sur les conditions de travail, la Fondation européenne pour lamélioration des conditions de vie et de travail a montré quà lépoque 30% des actifs estimaient que leur emploi comportait un risque pour la santé, que 23 millions de personnes travaillaient la nuit pendant plus dun quart de leur temps total de travail, quun travailleur sur trois disait avoir un travail monotone hautement répétitif, quun homme sur cinq et quune femme sur six travaillaient constamment sous la pression du temps et quune personne sur quatre était contrainte de porter des charges lourdes ou de travailler en position inconfortable ou pénible pendant plus de la moitié de son temps de travail (Paoli, 1992).
Comme nous lavons déjà vu, le stress est dû à une mauvaise adéquation objective ou subjective entre la personne et son environnement, au travail ou en dehors, à laquelle sajoute linteraction de facteurs génétiques. Tout comme des chaussures qui vont mal, les exigences de cet environnement ne correspondent pas aux aptitudes de lindividu ou les possibilités quil offre ne sont pas à la mesure de ses besoins ou de ses attentes. Cest le cas, par exemple, du travailleur qui est capable deffectuer une certaine quantité de travail, mais à qui on en demande beaucoup plus ou, au contraire, à qui on ne donne rien à faire. Cest aussi celui du salarié qui a besoin dêtre intégré dans un réseau social, davoir un sentiment dappartenance et de sentir que sa vie a un sens, alors quil ne lui est pas donné de répondre à ces besoins dans son environnement présent, doù inadéquation.
Ladéquation dépend autant de la «chaussure» que du «pied», cest-à-dire aussi bien des facteurs contextuels que des caractéristiques de lindividu et du groupe. Les principaux facteurs contextuels susceptibles dêtre la source dune mauvaise adéquation peuvent être classés comme suit:
La surcharge quantitative. Le salarié a trop à faire dans des délais trop courts et par des tâches trop répétitives. Cest le cas pour la plupart des fabrications en série et des tâches bureaucratiques de routine.
Le vide qualitatif. Le contenu de lemploi est trop restreint et univoque; il fait toujours appel aux mêmes stimuli, ne laisse aucune place à la créativité ou à la nécessité de résoudre des problèmes et nimplique que peu de rapports sociaux. Les postes de ce genre semblent plus fréquents lorsque lautomatisation des processus nest pas bien maîtrisée et avec le recours croissant à linformatique, aussi bien dans les bureaux que dans le secteur de la production, même si linverse peut parfois se produire.
Les conflits de rôles. Tout le monde est amené à assumer simultanément plusieurs rôles. Nous sommes à la fois le supérieur hiérarchique de certaines personnes et le subordonné dautres collègues. Nous sommes à la fois des enfants, des parents, des conjoints, des amis, des membres dassociations ou de syndicats. Des conflits peuvent facilement naître entre ces différents rôles et susciter du stress, par exemple lorsque les exigences professionnelles se heurtent à celles dun parent ou dun enfant malade, ou encore lorsquun contremaître doit concilier sa loyauté vis-à-vis de ses supérieurs et celle quil doit à ses collègues ou ses subordonnés.
Labsence de marge de manuvre dans le travail. Il en est ainsi lorsquil appartient à quelquun dautre de décider ce quil y a à faire, quand et comment; par exemple, lorsque le travailleur ne peut rien faire ou rien dire sur le rythme ou sur les méthodes de travail, ou encore lorsque lorganisation du travail est floue ou incertaine.
Labsence de soutien social de lentourage, du supérieur hiérarchique ou des collègues.
Les facteurs physiques de stress. Ces facteurs peuvent avoir un effet physique ou chimique, tels les solvants organiques qui agissent directement sur le cerveau. Des effets psychosociaux secondaires peuvent également résulter de la gêne suscitée par des odeurs, une lumière intense, le bruit, des températures extrêmes ou une humidité excessive, etc. Ils peuvent se produire aussi lorsque le travailleur sait quil est exposé à des risques chimiques ou à des risques daccidents pouvant lui être fatals, ou quil le soupçonne ou le craint.
Finalement, dans la réalité, que ce soit au travail ou en dehors, chacun est exposé à une multitude de risques différents qui peuvent sajouter les uns aux autres ou se combiner. La goutte qui fait déborder le vase peut nêtre quun facteur contextuel très banal, mais qui vient alourdir le poids dune surcharge déjà trop forte.
Certains des facteurs de stress propres au monde industriel méritent que lon sy attarde. Ce sont ceux qui caractérisent:
La production en série. Tout au long du siècle passé, le travail na cessé de se parcelliser, transformant des activités clairement identifiées en vue dun produit final reconnu et bien défini en une série de sous-unités limitées et très spécifiques nayant plus guère de relation apparente avec le produit fini. La croissance de nombreuses unités de production a engendré une longue chaîne hiérarchique entre la direction et les exécutants, accentuant encore le fossé entre ces deux catégories. De plus, le travailleur sest éloigné du consommateur, car les impératifs dune commercialisation et dune distribution accélérées interposent de nombreux maillons entre le producteur et le consommateur.
La production en série implique donc non seulement une forte fragmentation du processus de production, mais également une forte diminution de la maîtrise de ce processus par les travailleurs. Cela tient en partie à ce que lorganisation du travail, le contenu des tâches et les cadences sont déterminés par la machine. Ces différents facteurs sont généralement synonymes de monotonie, disolement social, de manque de liberté et de contrainte temporelle qui, à la longue, influent négativement sur la santé et le bien-être.
La production en série est aussi la porte ouverte au travail à la pièce. Immanquablement, le désir ou la nécessité de gagner davantage va conduire le travailleur à aller au-delà de ses forces, ignorant les avertissements mentaux et physiques que sont le sentiment de fatigue, la nervosité et les troubles fonctionnels de différents organes. La course au rendement et au gain peut aussi linciter à enfreindre les règles de sécurité, augmentant ainsi les risques de maladies professionnelles et daccidents pour lui-même et pour les autres (dans le cas des chauffeurs routiers payés au rendement, par exemple).
Les procédés de production hautement automatisés. Lorsque le travail est automatisé, les opérations «manuelles» et répétitives sont effectuées par la machine, et lhumain nassure pratiquement plus que des fonctions de surveillance et de contrôle. Ce type de travail est généralement plutôt qualifié, nest pas strictement régulé et laisse à lopérateur une certaine autonomie. En ce sens, lautomatisation élimine bien des inconvénients liés à la production en série. Toutefois, cela est surtout vrai pour les étapes du processus où lopérateur est assisté par lordinateur et conserve une certaine maîtrise de ses interventions. Cependant, si les compétences et les connaissances de lopérateur sont progressivement transférées à lordinateur évolution probable si cette décision incombe aux économistes et aux technocrates , il peut en résulter un nouvel appauvrissement du travail allant de pair avec la réapparition de la monotonie, de lisolement social et du manque dautonomie.
Surveiller un processus de production exige généralement une très grande vigilance de la part de lopérateur qui doit se tenir prêt à intervenir à tout moment en dépit de la monotonie de la tâche, ce qui est incompatible avec le besoin qua le cerveau dun afflux raisonnablement varié de stimuli sil veut pouvoir conserver le niveau de vigilance requis. Il est prouvé que laptitude à déceler les signaux critiques diminue rapidement dès la première demi-heure dun travail lorsque celui-ci est monotone. La tension est accrue dautant lorsque lopérateur sait que la moindre inattention ou la moindre erreur peut avoir de graves conséquences financières ou dautres répercussions désastreuses.
La surveillance dun processus implique aussi des contraintes et des qualités mentales très particulières dans la mesure où lopérateur travaille sur des symboles et des signaux abstraits émis par toute une série dinstruments divers et sans contact direct avec le produit de son travail.
Le travail posté . Dans le travail posté, les rythmes biologiques ne coïncident pas nécessairement avec les exigences des horaires. Ainsi, lorganisme peut être contraint de «mettre les gaz» et de sactiver à un moment où le sujet a besoin de dormir (pendant la journée qui suit une nuit de travail, par exemple) ou, au contraire, de se «désactiver» pendant la nuit alors que lintéressé doit travailler et rester vigilant.
En outre, les travailleurs postés vivent généralement dans un environnement social qui nest pas conçu pour ce type dorganisation du travail. Cette difficulté supplémentaire est encore accentuée par le fait que la plupart de ces travailleurs doivent sadapter à des changements dhoraires, réguliers ou non, comme cest le cas pour les équipes tournantes.
En résumé, les contraintes psychosociales du travail moderne sont souvent en opposition avec les besoins et les capacités du travailleur, doù un risque de stress et de maladie. Cet exposé na présenté quun aperçu des facteurs psychosociaux de stress liés au travail et de leurs répercussions sur la santé. Les sections ci-après analysent plus en détail lorigine de ces facteurs de stress dans les systèmes de travail et les technologies modernes. Ces textes évoquent aussi des démarches permettant dévaluer et de maîtriser ces facteurs.
La plupart des anciennes théories sur le stress ont été développées pour décrire les réactions au stress aigu «inévitable» qui survient dans des situations où la survie biologique est menacée (Cannon, 1935; Selye, 1936). Le modèle exigences/autonomie (en anglais «Demand/Control model») sapplique, quant à lui, aux environnements de travail où les facteurs de stress sont chroniques, ne mettent pas initialement la vie en danger et résultent de la sophistication du processus de décision dans lentreprise. La possibilité de maîtriser ces facteurs est essentielle et le devient dautant plus que nous développons des organisations sociales chaque jour plus complexes et plus intégrées, où des limitations croissantes sont imposées au comportement de lindividu. Le modèle exigences/autonomie (Karasek, 1976, 1979; Karasek et Theorell, 1990) étudié ci-après repose sur les caractéristiques psychosociales du travail, à savoir les contraintes psychologiques du travail et la résultante née de la maîtrise des tâches et de la libre utilisation des compétences (la latitude décisionnelle) . Ce modèle prédit, en premier lieu, les risques pathologiques liés au stress et, en second lieu, les corrélats comportementaux actifs ou passifs du poste de travail. Il a été utilisé principalement dans les études épidémiologiques portant sur les maladies chroniques telles que les cardiopathies ischémiques.
Sur le plan pédagogique, il sagit dun modèle simple qui peut aider à mettre clairement en évidence plusieurs problèmes importants dans les discussions de politique sociale portant sur la sécurité et la santé au travail. Il apparaît ainsi:
Au-delà des répercussions du travail sur la santé, le modèle prend également en compte le point de vue des responsables de lorganisation du travail, soucieux de productivité. La dimension «exigences psychologiques» se réfère à la difficulté de la tâche pour le travailleur, tandis que la latitude décisionnelle reflète les questions dorganisation du travail (qui prend les décisions? Qui exécute telle ou telle tâche?). Lhypothèse de lapprentissage actif du modèle décrit les processus de motivation quimplique un travail hautement performant. Dans le modèle «exigences/autonomie», la logique économique de la spécialisation extrême, cest-à-dire la conception classique de lemploi productif qui prévalait jadis, est mise en échec par ses effets nocifs sur la santé. Ce modèle implique quil existe dautres manières denvisager lorganisation du travail qui sont plus favorables à la santé, qui mettent laccent sur les compétences et la participation des salariés et qui peuvent aussi être la source de gains financiers en favorisant linnovation dans les industries manufacturières et dans le secteur des services et en élargissant les possibilités dapprentissage et de participation.
Selon cette première hypothèse, la plupart des effets négatifs de la tension psychologique (fatigue, anxiété, dépression et troubles physiques) surviennent lorsque les contraintes psychologiques du travail sont élevées et que le pouvoir de décision de la personne qui occupe cet emploi est faible (voir figure 34.2, partie inférieure droite). Ces réactions indésirables du type stress qui surviennent lorsque les sollicitations sont associées à de faibles possibilités daction ou dadaptation aux facteurs de stress sont désignées par le terme de «tension psychologique» (le terme stress nest pas utilisé ici, car il est défini différemment par de nombreux auteurs).
Ainsi, les faits et gestes de louvrier qui travaille sur une chaîne dassemblage sont tous étroitement limités. En cas de sollicitations accrues (accélération des cadences), la réponse constructive qui en découle saccompagne souvent dune réponse négative durable et non maîtrisable, qui donne lieu à une tension psychologique résiduelle. Cest le cas de la serveuse de restaurant qui ne parvient pas à faire face à limpatience de ses clients à lheure du «coup de feu» du déjeuner (Whyte, 1948). Kerckhoff et Back (1968) ont pris lexemple du personnel dune usine de vêtements soumis à des pressions considérables en termes de délais de production et de menaces de licenciement. Ils en concluent que lorsque les mesures normalement nécessaires pour faire face aux pressions imposées ne peuvent être prises, on peut voir apparaître les plus graves symptômes comportementaux révélateurs de stress (évanouissement, hystérie, tension au sein du groupe de travail). La tension nest pas seulement soulagée par la liberté daction dans laccomplissement de tâches formelles, mais aussi par les «rituels» familiers tels que la pause café, la cigarette ou les périodes de défoulement qui servent de soupape de sécurité au cours du travail (Csikszentmihalyi, 1975). Il sagit souvent dactivités sociales entreprises avec dautres salariés précisément celles qui sont éliminées dans les méthodes de Frederick Taylor pour cause «dagitation inutile» et «dembrigadement» (1911) [1967]. Il apparaît donc nécessaire délargir le modèle pour y inclure les relations sociales et le soutien social.
Dans ce modèle, la latitude décisionnelle a trait à la maîtrise du salarié sur ses propres activités et sur lutilisation de ses propres compétences, mais nimplique aucun pouvoir sur celles des autres. Les échelles de mesure de la latitude décisionnelle ont deux composantes: la maîtrise des tâches , cest-à-dire le pouvoir socialement prédéterminé sur certains aspects spécifiques de lexécution des tâches (également appelé autonomie) et la libre utilisation des compétences , cest-à-dire la maîtrise de la mise en uvre de ses propres compétences, également déterminée socialement sur le lieu de travail (souvent appelée variété ou «complexité inhérente») (Hackman et Lawler, 1971; Kohn et Schooler, 1973). Dans la structure hiérarchique des entreprises modernes, le plus haut niveau de connaissances légitime lexercice du plus haut niveau dautorité, et les salariés qui ont des compétences limitées et exécutent des tâches spécialisées sont gérés par des personnes plus élevées dans la hiérarchie. La libre utilisation des compétences et le pouvoir de décision sont si étroitement liés en théorie comme en pratique que les deux concepts sont souvent combinés.
Parmi les exemples de contraintes psychologiques liées au travail, on peut mentionner les délais, la sollicitation ou la stimulation mentale nécessaire pour accomplir une tâche ou les responsabilités de coordination. Les contraintes physiques du travail ne sont pas visées dans ce contexte (bien que leffort physique entraîne une stimulation mentale). Parmi les autres composantes des contraintes psychologiques dordre professionnel, il faut citer les facteurs de stress dus aux conflits personnels. La crainte de perdre son emploi ou de voir ses compétences dépassées peut manifestement y contribuer. Malgré la diversité évoquée plus haut, Buck (1972) estime globalement que les exigences liées aux tâches à accomplir (charge de travail) se situent au centre des contraintes psychologiques professionnelles chez la plupart des personnes actives. Alors que les décisions simples qui influent modérément sur les horaires de travail ne semblent pas entraîner de conséquences directes sur létat de santé, le travail posté, notamment sous forme déquipes tournantes, est associé à des difficultés sociales importantes et à des problèmes de santé.
Si un certain niveau dexigence est nécessaire pour favoriser lapprentissage et lefficacité (cest-à-dire lintérêt), des exigences trop sévères sont manifestement préjudiciables. Cest ce quillustre la courbe en U inversé qui représente le niveau optimal dexigences dans le syndrome bien connu dadaptation générale de Selye (1936) et dans les théories classiques apparentées de Yerkes et Dodson (1908) et de Wundt (1922) sur le stress et la performance2. Les données dont nous disposons montrent cependant que, dans la plupart des situations professionnelles, il y a plutôt surcharge quinsuffisance de travail.
2 Bien que la relation de Selye en forme de U entre les exigences et le stress soit censée être unidimensionnelle le long d'un axe représentant les facteurs de stress, elle inclut aussi probablement une seconde dimension représentative des contraintes imposées dans les expérimentations animales. Il s'agit donc d'un modèle véritablement composite de détérioration physiologique liée au stress, potentiellement similaire à la situation caractérisée par des exigences élevées et une autonomie réduite, décrite par d'autres chercheurs (Weiss, 1971).
Lorsque le niveau dautonomie dans le travail est élevé et que les exigences psychologiques sont également fortes, sans être excessives (voir figure 34.2, partie supérieure droite), on peut prévoir un comportement caractérisé par lapprentissage et le perfectionnement (hypothèse de lapprentissage actif). Ce type demploi a été qualifié d«actif», car les recherches effectuées sur des populations suédoises et américaines ont montré que les personnes de ce groupe sont aussi les plus actives dans le secteur des loisirs et de la politique, en dépit de lourds impératifs professionnels (Karasek et Theorell, 1990). On peut prédire que lemploi «actif» nengendre quune tension psychologique modérée, car une grande partie de lénergie libérée par les nombreux facteurs de stress professionnel («défis») se traduit par une action directe (résolution effective des problèmes), de sorte que la tension résiduelle perturbatrice est faible. Cette hypothèse va dans le même sens que le concept de compétence de White (1959), selon lequel létat psychologique dun individu confronté à un défi est stimulé par laccroissement des exigences. Il sagit dune théorie contextuelle de la motivation. Ce modèle prédit également que les stimuli de perfectionnement et dapprentissage, dans un contexte professionnel donné, augmentent la productivité.
Dans le modèle «exigences/autonomie», lapprentissage se déroule dans des conditions qui exigent à la fois une dépense dénergie mentale (contraintes ou défis) et une capacité de décision. Lorsque lindividu qui jouit dune certaine marge de décision exerce un choix quant à la manière de faire face à un nouveau facteur de stress, cette réponse comportementale, si elle est efficace, est intégrée dans le répertoire individuel des stratégies dadaptation (elle sera «apprise»). Le niveau dactivité potentiel sera désormais plus élevé, car les solutions opposables aux défis seront dorénavant plus nombreuses, ce qui entraînera une motivation accrue. Les possibilités de renforcement positif des schémas comportementaux sont optimales lorsque lindividu a la maîtrise des solutions possibles et les compétences nécessaires pour relever les défis qui lui sont proposés (Csikszentmihalyi, 1975). La situation ne doit être ni trop simple, cest-à-dire sans défis (et donc sans importance), ni trop complexe, cest-à-dire de nature à entraîner une anxiété excessive qui inhibe laction (situation de tension psychologique).
Le modèle «exigences/autonomie» prédit que les situations caractérisées par des exigences réduites et une faible autonomie (voir figure 34.2, extrémité opposée de la diagonale B) peuvent créer un contexte très peu motivant, conduisant à un «apprentissage négatif» ou à une perte progressive des compétences acquises antérieurement. Lexpérience montre que dans ce genre de situation un désengagement progressif intervient également dans le domaine des loisirs et de lactivité politique (Karasek et Theorell, 1990). Ces emplois dits «passifs» peuvent résulter de l«impuissance acquise» étudiée par Seligman (1975) pour une série de situations professionnelles où les initiatives du travailleur ont été rejetées.
Le fait que les exigences environnementales peuvent être représentées en termes aussi bien positifs que négatifs est conforme à lidée courante selon laquelle il existe un «bon» et un «mauvais» stress. Au moins deux mécanismes distincts doivent être utilisés pour décrire le «fonctionnement psychologique» du salarié, ce qui constitue lune des principales validations du modèle multidimensionnel «exigences/autonomie». La diagonale «active»-«passive» B implique que les mécanismes dapprentissage sont indépendants des mécanismes de tension psychologique (cest-à-dire orthogonaux par rapport à eux). Il en résulte un modèle très restreint dans lequel les deux grandes dimensions qui décrivent lactivité professionnelle sont associées à deux mécanismes psychologiques principaux (il sagit donc dun modèle d«interaction») (Southwood, 1978) (la multiplication des interactions entre les axes constituerait un test trop restrictif pour la plupart des échantillons).
Le modèle «exigences/autonomie» a parfois été considéré comme correspondant à un modèle du type «exigences et ressources» permettant de lassimiler facilement à la notion courante actuelle des «coûts/avantages» dans laquelle les «avantages» positifs des ressources sont soustraits des coûts négatifs des exigences. La notion de «ressources» permet dinclure de nombreux facteurs autres que la simple expérience professionnelle de lintéressé. La logique des hypothèses du modèle «exigences/autonomie» ne peut cependant pas se réduire à une approche unidimensionnelle. La distinction entre la latitude décisionnelle et les facteurs psychologiques de stress doit être maintenue, car le modèle prédit aussi bien la tension dapprentissage que la tension liée au travail à partir de deux combinaisons différentes des exigences et de lautonomie qui ne sadditionnent pas de façon purement mathématique. Lautonomie dans le travail nest pas un simple facteur de stress négatif et les contraintes et défis liés à un manque dautonomie ne sont pas associés à un apprentissage plus poussé. Le fait de disposer dune certaine marge de décision réduit le stress, mais permet un meilleur apprentissage, tandis que les exigences psychologiques accroissent à la fois la possibilité dapprentissage et le stress. Cette distinction entre exigences et autonomie permet de comprendre les effets, autrement difficilement prévisibles: a) de la «responsabilité» qui résulte en fait dune combinaison entre des exigences élevées et une latitude décisionnelle importante; b) des «exigences qualitatives du poste de travail» qui mesurent aussi laptitude à choisir les compétences à utiliser; et c) du «travail à la pièce» où la faculté de décider de travailler plus vite entraîne presque automatiquement un accroissement des exigences.
Le modèle «exigences/autonomie» a été utilement élargi par Johnson qui y a ajouté le soutien social comme troisième dimension (Johnson, 1986; Kristensen, 1995). Lhypothèse de base selon laquelle les plus gros risques de maladie correspondent à des emplois à exigences élevées et à faible autonomie, et où lappui social est également réduit (forte «isotension») a été vérifiée par plusieurs études empiriques portant sur les affections chroniques. Ladjonction de cette troisième dimension montre clairement que toute théorie du stress professionnel doit prendre en compte les relations sociales sur le lieu de travail (Karasek et Theorell, 1990; Johnson et Hall, 1988). Leffet «tampon» de lappui social sur la tension psychologique dépendra du degré dintégration sociale et psychologique et de la confiance témoignée par les collègues et les supérieurs hiérarchiques, entre autres; on peut parler de soutien «socio-affectif» (Israel et Antonucci, 1987). Cette adjonction du soutien social permet aussi de mieux utiliser le modèle «exigences/autonomie» pour la redéfinition des postes. Des changements dans les relations sociales entre les travailleurs (équipes de travail autonomes, par exemple) ou au niveau de la latitude décisionnelle vont presque toujours de pair avec la redéfinition des postes, en particulier dans les processus participatifs (House, 1981).
Cependant, lanalyse théorique exhaustive de limpact des relations sociales sur le stress et sur le comportement au travail est un problème très complexe qui nécessite des recherches complémentaires. Les relations entre les maladies chroniques et les interactions entre collaborateurs et supérieurs hiérarchiques sont moins cohérentes que sagissant de la latitude décisionnelle; les relations sociales peuvent accroître ou, au contraire, réduire fortement la stimulation du système nerveux qui pourrait être le lien (inducteur de risque) entre la situation sociale et la maladie. Les paramètres liés à lexpérience acquise qui atténuent le stress professionnel ne seraient pas nécessairement les mêmes que ceux qui engendrent un comportement actif dans le modèle «exigences/autonomie». Les mesures visant à favoriser les formes collectives de comportement actif seraient probablement axées sur la répartition des compétences et la manière de les utiliser, sur les structures de la communication et les aptitudes en la matière, sur les possibilités de coordination, sur les qualités de «compréhension» (Goleman, 1995) et sur la confiance, composante essentielle du soutien social.
Les caractéristiques professionnelles peuvent être représentées dans un diagramme à quatre quadrants, en utilisant les caractéristiques moyennes retenues pour les recensements aux Etats-Unis (Karasek et Theorell, 1990). Le quadrant «actif», où les exigences et lautonomie sont élevées, inclut les professions prestigieuses: avocats, juges, médecins, professeurs, ingénieurs, personnel infirmier et cadres de toutes sortes. Le quadrant «passif», où les exigences et lautonomie sont faibles, comprend les employés de bureau (gestion des stocks et services de facturation, par exemple), le personnel des sociétés de transport et les employés subalternes tels que les portiers et concierges. Le quadrant à «tension élevée», où les exigences sont grandes et où lautonomie est faible, inclut les personnes dont le travail est rythmé par la machine (monteurs, coupeurs sur métal, vérificateurs et manutentionnaires), ainsi que les employés subalternes du secteur des services (serveurs ou cuisiniers, par exemple). Les professions typiquement féminines sont fréquentes dans cette catégorie (piqueuses, serveuses, standardistes, opératrices de saisie). Les professions à «faible tension» et non rythmées par une machine demandent souvent un long apprentissage et une autorégulation du rythme de travail (réparateurs, vendeurs, travailleurs forestiers, monteurs de lignes électriques ou téléphoniques, chercheurs dans le domaine des sciences de la nature).
Ainsi, les cadres et les travailleurs intellectuels sont-ils soumis à un stress modéré, et non pas maximal, comme on a souvent tendance à le croire. Si les cadres de direction sont soumis à un stress indéniable en raison des contraintes psychologiques qui sont lapanage de ce type de poste, il apparaît que la fréquence des décisions à prendre et la faculté de décider comment faire le travail constituent un important modérateur de stress. Certes, au niveau le plus élevé, la principale sollicitation psychologique des postes de direction est la prise de décisions, qui est un cas de figure où le modèle «exigences/autonomie» ne sapplique plus. Il apparaît cependant quà ce niveau le stress pourrait être atténué si le nombre de décisions était moindre, alors quà léchelon inférieur les salariés seraient plus satisfaits de leur emploi sils avaient davantage de possibilités de décision. En dautres termes, un partage plus équitable du pouvoir de décision serait favorable à toutes les catégories.
La marge de manuvre dans le travail est en général plus grande pour les hommes que pour les femmes, ce que reflètent les écarts de salaires (Karasek et Theorell, 1990). Une autre différence majeure entre hommes et femmes est la corrélation négative qui existe pour ces dernières entre latitude décisionnelle et exigences du poste: les femmes qui ont peu dautonomie doivent aussi assurer davantage de contraintes. En dautres termes, la probabilité doccuper un emploi à forte tension est beaucoup plus élevée chez les femmes que pour lensemble de la population active. Chez les hommes, en revanche, les fortes contraintes professionnelles saccompagnent généralement dun plus grand pouvoir de décision (lautorité étant proportionnelle aux responsabilités).
Le modèle «exigences/autonomie» est le fruit dune intégration théorique de plusieurs orientations scientifiques disparates. Ce modèle se démarque donc dun certain nombre de traditions scientifiques bien établies qui lont enrichi ou auxquelles il est souvent opposé: épidémiologie de la santé mentale et sociologie, physiologie du stress, psychologie cognitive et psychologie de la personnalité. Certaines de ces anciennes théories du stress sont centrées sur une explication causale fondée sur la personne, tandis que le modèle «exigences/autonomie» prédit le stress en tant que réponse à lenvironnement social et psychologique. Toutefois, le modèle «exigences/autonomie» a tenté de fournir une série dinterfaces possibles avec les approches fondées sur la personne. Il propose en outre des relations avec les questions dorganisation macrosociale et de politique économique telles que la classe sociale, par exemple. Ces intégrations et oppositions théoriques sont analysées ci-après à plusieurs niveaux. Les relations présentées ci-dessous fournissent le support dun ensemble élargi dhypothèses scientifiques.
Lun des aspects de la théorie du stress provient du domaine aujourdhui très populaire de la psychologie cognitive. Le principe de base du modèle cognitif du fonctionnement psychologique humain est que ce sont les processus de perception et dinterprétation du monde extérieur qui déterminent le développement des états psychologiques de lindividu. La charge mentale est définie comme étant la charge de lensemble des informations que le travailleur doit appréhender et interpréter pendant quil effectue les tâches afférentes à son emploi (Sanders et McCormick, 1993; Wickens, 1984). Il y a «surcharge» et stress lorsque les informations à traiter dépassent les capacités de traitement de lindividu. Ce modèle a été largement adopté, car il représente les fonctions mentales humaines selon le schéma théorique général utilisé par linformatique contemporaine, et correspond donc à une conception mécaniste du travail. Il nous montre toute limportance de la surcharge dinformations, des difficultés de communication et des problèmes de mémoire. Il est fort utile pour la conception de certains aspects des interfaces opérateur/ordinateur et du contrôle de processus complexes par lhumain.
Toutefois, ce modèle de la psychologie cognitive tend, par exemple, à sous-estimer le rôle des facteurs objectifs de stress existant sur le lieu de travail et à donner trop dimportance à linterprétation de la situation par les individus stressés. Dans lapproche de type cognitif fondée sur la capacité dadaptation de lindividu, Lazarus et Folkman (1984) défendent lidée selon laquelle lindividu réinterprète la perception quil a de la situation dans un sens moins menaçant et réduit ainsi le stress quil ressent. Linconvénient est que cette réinterprétation peut être dangereuse pour lui lorsque les facteurs contextuels de stress sont objectivement réels et devraient être modifiés. Une autre variante de lapproche cognitive, et qui va dans le sens dune plus grande responsabilisation des salariés, est la théorie de «lauto-efficacité-motivation» de Bandura (1977) qui met laccent sur le renforcement de la confiance en soi qui survient lorsque lindividu: a) définit lobjectif dun processus de changement; b) est informé, par son entourage, des résultats positifs obtenus; et c) parvient à obtenir des améliorations progressives.
Le modèle cognitif comporte plusieurs lacunes qui posent certains problèmes lorsquon tente lanalyse du stress dans la perspective de la santé au travail et qui sont en contradiction avec le modèle «exigences/autonomie»:
Bien quignorée par le modèle cognitif, la réponse émotionnelle est un aspect essentiel de la notion de «stress», car cest souvent le stress initial qui conduit aux états émotionnels déplaisants que sont lanxiété, la crainte ou la dépression. Pulsions et émotions sont essentiellement le fait des régions limbiques du cerveau, cest-à-dire de régions différentes et plus primitives du cerveau que le cortex cérébral dont relèvent la plupart des processus décrits par la psychologie cognitive. Cette absence dune conception intégrée du fonctionnement psychologique tient sans doute à la difficulté dintégrer des domaines de recherche différents intéressant deux systèmes neurologiques du cerveau différents eux aussi. Des résultats commencent cependant à mettre en évidence les effets conjoints de lémotion et de la cognition. Il semble que lon peut en conclure que lémotion est un déterminant sous-jacent majeur du schéma comportemental, de la mémoire et de la cognition (Damasio, 1994; Goleman, 1995).
Le modèle «exigences/autonomie» a été élaboré en vue dintégrer lappréhension de la situation sociale avec la réponse émotionnelle, les symptômes psychosomatiques et les comportements actifs observés dans les principales sphères de la vie adulte, notamment dans les situations professionnelles à forte structuration sociale. Toutefois, lorsque ce modèle a été construit, la base la plus plausible pour ce travail, à savoir les études sociologiques de la pathologie de vastes populations, omettait souvent le détail des données concernant les réponses sociales ou individuelles propres au stress, de sorte quun travail dintégration important restait à faire.
La première idée dune intégration, par le modèle «exigences/autonomie», de la situation sociale et de la réponse émotionnelle a porté sur les symptômes de stress et a lié deux conceptions traditionnelles et relativement unidimensionnelles de la recherche sociologique et sociopsychologique. Dans un premier temps, et selon la conception stress/maladie (Holmes et Rahe, 1967; Dohrenwend et Dohrenwend, 1974), on a considéré que la maladie résultait uniquement des contraintes sociales et psychologiques et aucun cas nétait fait des possibilités de maîtriser les facteurs de stress. Dans un deuxième temps, limportance de lautonomie a été clairement reconnue dans toutes les études relatives à la satisfaction au travail (Kornhauser, 1965): en dautres termes, lautonomie dans lexécution des tâches et la diversité des compétences utilisées étaient retenues comme critères de détermination de la satisfaction dans lemploi, de labsentéisme ou de la productivité, ainsi que quelques éléments tenant compte des relations sociales dans lemploi mais la charge de travail nétait guère mentionnée. En combinant plusieurs de ces études, on a pu combler certaines lacunes dans le domaine de la pathologie et de la tension mentale. Sundbom (1971) a observé des symptômes de tension psychologique dans le travail à forte sollicitation mentale, ce dernier paramètre étant mesuré grâce à des questions portant à la fois sur les pressions mentales subies et sur la monotonie du travail (qui, elle-même, impliquait sans doute aussi une faible autonomie). Les conclusions combinées de ces deux études et de ces deux conceptions ont montré la nécessité de développer un modèle bidimensionnel pour prédire la maladie: en dautres termes, selon le niveau des exigences psychologiques du poste, une autonomie réduite pouvait entraîner deux types de problèmes radicalement différents, à savoir la tension psychologique ou le retrait dans la passivité.
La seconde intégration du modèle «exigences/autonomie» a prédit les schémas comportementaux liés à lexpérience professionnelle. Les répercussions sur le comportement de lactivité professionnelle sont aussi apparues comme étant fonction de deux grandes caractéristiques du poste, mais selon une combinaison différente. Kohn et Schooler (1973) avaient observé que les attitudes positives vis-à-vis du travail résultaient à la fois dun niveau de compétence élevé et dune grande autonomie ainsi que de fortes contraintes psychologiques. Les paramètres relatifs aux classes sociales constituaient aussi des corrélats essentiels. Meissner (1971) a également constaté quune attitude détendue allait de pair avec la possibilité de prendre des décisions sur le plan professionnel et daccomplir un travail à forte sollicitation mentale. De ces études, on a pu tirer la conclusion générale que, dun côté, les situations de défi ou de stimulation mentale étaient nécessaires pour un apprentissage efficace, mais que, de lautre, elles pouvaient aussi contribuer à une tension psychologique. Cest essentiellement «lautonomie» qui est apparue comme la variable modératrice capitale pour déterminer dans quelle mesure les exigences de lenvironnement auront des conséquences «positives» en termes dapprentissage ou des conséquences «négatives» en termes de tension mentale.
La combinaison de ces deux hypothèses intégratives prédisant aussi bien les répercussions sur la santé que sur le comportement constitue la base du modèle «exigences/autonomie». Ce sont les niveaux d«exigences» qui déterminent si une faible autonomie va entraîner la passivité ou la tension psychologique, et ce sont les niveaux d«autonomie» qui déterminent si les exigences vont conduire à un apprentissage réussi ou à une tension psychologique (Karasek, 1976, 1979). Ce modèle a ensuite été testé sur un échantillon représentatif de la population suédoise (Karasek, 1976) pour prédire à la fois les symptômes de pathologie ou de détente et les corrélats de comportement politique du contexte psychosocial de lemploi. Les hypothèses ont été confirmées dans ces deux domaines, bien que ces résultats comportent encore de nombreuses sources de confusion. Peu après ces confirmations empiriques, deux autres formulations conceptuelles conformes au modèle «exigences/autonomie» ont vu le jour, qui confirmaient la solidité de ces hypothèses générales. Seligman (1975) a observé des cas de dépression et dimpuissance acquise dans des situations de contraintes extrêmes associées à une faible autonomie. Csikszentmihalyi (1975) a remarqué parallèlement que des situations impliquant à la fois des défis psychologiques et un niveau élevé de qualifications étaient vécues comme une «expérience active». Grâce à ce modèle, on a pu résoudre certains paradoxes mis en évidence par les études sur la satisfaction au travail et sur la tension mentale (Karasek, 1979). On a pu expliquer, par exemple, pourquoi certaines charges de travail qualifiantes ne provoquent pas de tension (parce quelles traduisent aussi la libre utilisation par lindividu de ses compétences). Cest à partir de 1979 que le modèle a commencé à être largement accepté par dautres chercheurs, après que des cardiopathies ischémiques eurent été fréquemment prédites empiriquement avec laide de Tores Theorell, médecin ayant une longue expérience de lépidémiologie cardio-vasculaire.
Des recherches complémentaires ont permis un second niveau dintégration reliant le modèle «exigences/autonomie» à la réponse physiologique3. Les progrès de la recherche physiologique avaient permis didentifier deux schémas dadaptation dun organisme à son environnement. La réaction de lutte ou de fuite étudiée par Cannon (1914) est surtout associée à une stimulation médullosurrénale et à la sécrétion dadrénaline. Ce schéma, qui se conjugue avec une activation sympathique du système cardio-vasculaire, constitue clairement un mode de réponse actif et énergique dans lequel lorganisme humain est capable dutiliser une énergie métabolique maximale afin de supporter leffort mental et physique nécessaire pour échapper à des dangers majeurs menaçant sa survie. Dans le second schéma de réponse physiologique, la réponse corticosurrénale est une réaction à la défaite ou à la fuite dans une situation qui ne laisse guère de possibilité de victoire. Les recherches de Selye (1936) sur le stress portaient sur la réponse corticosurrénale danimaux soumis à des stress, mais se trouvant en situation passive (les animaux étaient retenus pendant quils étaient stressés et nétaient donc pas dans une situation de lutte ou de fuite). Henry et Stephens (1977) décrivent ce comportement comme une défaite ou une perte de liens sociaux qui conduit au retrait et à la soumission dans les interactions sociales.
3 Ce sont les observations de Dement (1969) qui ont conduit à développer en 1974 l'hypothèse de la tension psychologique dans le modèle «exigences/autonomie». Cet auteur a ainsi montré que la relaxation vitale liée aux rêves du sommeil paradoxal était inhibée chez les chats privés de sommeil et «assujetis» à des stress psychologiques extrêmes. Les effets combinés des facteurs de stress et d'une faible maîtrise sur l'environnement étaient les éléments déterminants de l'apparition de ces phénomènes. Les répercussions négatives en termes de perturbation mentale furent catastrophiques et ont conduit à une incapacité de coordonner la plupart des processus physiologiques élémentaires.
Au début des années quatre-vingt, Frankenhaeuser (1986) a démontré la cohérence entre ces deux schémas de réponse physiologique et les principales hypothèses du modèle «exigences/autonomie», ce qui a permis détablir un lien entre la réponse physiologique, la situation sociale et la réponse émotionnelle. Dans les situations de forte tension, le cortisol libéré par le cortex surrénal tout comme ladrénaline médullosurrénale sont sécrétés en abondance, alors quen présence dun facteur de stress contrôlable et prévisible, seule la sécrétion dadrénaline est élevée (Frankenhaeuser, Lundberg et Forsman, 1980). Cela démontre que la réponse psychoendocrinienne est très différenciée selon le contexte. Frankenhaeuser a utilisé un modèle bidimensionnel présentant la même structure que le modèle «exigences/autonomie», mais comportant plusieurs dimensions pour personnaliser la réponse émotionnelle. L«effort» décrit lactivation médullosurrénale (ce qui correspond aux exigences dans le modèle «exigences/autonomie») et la «détresse» décrit la stimulation corticosurrénale (ce qui correspond à labsence de latitude décisionnelle dans le modèle «exigences/autonomie»). Les catégories de réponses émotionnelles de Frankenhaeuser illustrent bien le lien entre lémotion et la réponse physiologique mais, sous cette forme, le modèle «exigences/autonomie» ne montre pas clairement la relation entre la sociologie du travail et la réponse physiologique, qui était un autre point fort du modèle.
Lun des buts que poursuivait le développement du modèle «exigences/autonomie» était de trouver une alternative à lexplication socialement conservatrice selon laquelle ce serait la perception de la situation par lindividu ou ses réactions qui seraient les causes principales du stress ce que prétendaient certaines des théories du stress fondées sur la personne. Il est difficile, par exemple, daccepter, sur la base de ces théories, que la plupart des réactions de stress se développent parce que les types de personnalités tendent en général à donner une mauvaise interprétation aux facteurs de stress du monde réel ou à réagir à ces facteurs de manière excessive, et que les personnalités de ce type peuvent être identifiées par de simples tests. En fait, la preuve de ces effets de la personnalité a été au mieux mêlée à toutes les mesures, même les plus courantes (encore que lon ait pu identifier un type de personnalité qui refuse le stress lalexithymique) (Henry et Stephens, 1977). Cest ainsi que le profil comportemental de type A a été, à lorigine, interprété comme la tendance dun individu à choisir des activités stressantes, mais la recherche préfère aujourdhui y voir une personnalité à tendance colérique (Williams, 1987). La réponse colérique pourrait bien entendu inclure une forte réaction à lenvironnement. Une version générale de la théorie de la personnalité peut être trouvée dans le modèle dadéquation «personne-environnement» (Van Harrison, 1978) qui postule quune bonne adéquation entre lindividu et son environnement réduit le stress. Là aussi, il a été difficile de déterminer les caractéristiques personnelles à mesurer. Il nen reste pas moins que les approches fondées sur la réponse individuelle ou la personnalité ont pris en compte les faits évidents suivants: a) que les perceptions individuelles constituent une bonne part du processus par lequel lenvironnement influe sur lindividu; et b) que la réponse des individus à lenvironnement varie dans le temps. Ces réflexions ont abouti à la mise au point dune version du modèle «exigences/autonomie» intégrant une dynamique temporelle, les facteurs denvironnement et les éléments de la personnalité.
La version dynamique du modèle «exigences/autonomie» (voir figure 34.3) intègre les effets de lenvironnement et certains phénomènes liés à la personne tels que le développement de la confiance en soi ou lépuisement à long terme. Pour procéder à cette intégration, elle pose deux hypothèses combinées sur les mécanismes initiaux de tension et dapprentissage: a) le stress inhibe lapprentissage; et b) lapprentissage peut, à long terme, inhiber le stress. Selon la première hypothèse, une forte tension peut inhiber la capacité normale de relever un défi et, donc, interdire tout nouvel apprentissage. Cet état peut résulter dune tension psychologique accumulée de longue date et qui se reflète dans les mesures des paramètres personnels (voir figure 34.3, diagonale B). Selon la seconde hypothèse, tout nouvel apprentissage peut donner une impression de maîtrise ou de confiance, qui est un paramètre de la personnalité. Cette impression peut, à son tour, atténuer la perception des événements stressants et permettre une meilleure maîtrise de la situation (voir figure 34.3, diagonale A). Ainsi, avec le temps, les facteurs environnementaux conditionnent en partie la personnalité et, par la suite, les effets de lenvironnement sont atténués par les orientations ainsi données antérieurement à la personnalité. Le modèle ainsi élargi pourrait inclure des mesures plus précises de la réponse individuelle, à savoir le sentiment de maîtrise, le refus, lalexithymie, lanxiété intrinsèque, les tendances colériques, labattement, lépuisement professionnel, les effets cumulatifs des facteurs de stress de lexistence et les éventuelles composantes comportementales de type A.
Le modèle dynamique engendre la possibilité de deux spirales comportementales dynamiques de longue durée. La dynamique comportementale positive senclenche grâce à un contexte professionnel actif, une impression accrue de maîtrise et une plus grande capacité de faire face au stress inhérent à la profession. Tout cela réduit dautant lanxiété accumulée et renforce la capacité daccepter de nouveaux apprentissages, ce qui entraîne des évolutions positives de la personnalité et une amélioration du bien-être. La dynamique comportementale négative commence par un contexte professionnel à forte tension, une importante tension résiduelle accumulée et une capacité réduite daccepter les défis de lapprentissage. Il en résulte une diminution de la confiance en soi et une perception exacerbée du stress, doù une évolution négative de la personnalité et une diminution du bien-être. En 1990, Karasek et Theorell ont étudié ces mécanismes constitutifs secondaires, mais le modèle na pas été testé dans son intégralité. Les recherches sur l«épuisement vital» qui étudient lévolution des réponses aux aléas de lexistence (Appels, 1990) et les méthodes de mesure de l«auto-efficacité» de Bandura (1977), qui intègrent le développement des compétences et de la confiance en soi, constituent deux axes de recherche prometteurs qui seraient faciles à intégrer aux travaux sur le modèle «exigences/autonomie».
Une étape indispensable dans les recherches sur le modèle «exigences/autonomie» est de décrire de façon plus exhaustive les processus physiologiques qui conduisent à la maladie. De plus en plus, la réaction physiologique est comprise comme une réponse systémique complexe. La physiologie de la réaction humaine au stress, dans le comportement de fuite ou de lutte par exemple, correspond à une combinaison hautement intégrée de plusieurs modifications: débit cardio-vasculaire, régulation par le tronc cérébral, interaction respiratoire, contrôle limbique de la réponse endocrinienne, activation corticale générale et circulation périphérique. Selon toute probabilité, le concept de stress est celui qui sapplique le mieux aux systèmes complexes impliquant de multiples sous-systèmes interactifs et une causalité multiforme4. Parallèlement à cette nouvelle perspective de la dynamique des systèmes en physiologie, de nombreuses maladies ont été définies comme des dérèglements systémiques (Henry et Stephens, 1977; Weiner, 1977) et différents travaux ont étudié la traduction des ajustements multifactoriels et chronodépendants dans léquilibre systémique ou, à linverse, labsence de tels ajustements («chaos»).
4 Dans les modèles de stress, les relations causales sont plus complexes qu'une simple relation univoque de cause à effet, comme c'est les cas dans les sciences pures: il peut exister de nombreuses causes qui s'accumulent pour produire un seul effet, mais une cause unique (facteur de stress) peut ainsi avoir de multiples effets ou conséquences à retardement.
Si lon interprète ces observations daprès un modèle «exigences/autonomie» «généralisé», on pourrait dire que le stress recouvre un déséquilibre du système dans son ensemble, même si certaines parties peuvent rester fonctionnelles. Tout organisme doit avoir des mécanismes de contrôle pour coordonner les actions des différents sous-systèmes (cerveau, cur et système immunitaire). Le stress (ou la tension professionnelle) serait une surcharge du système de contrôle de lorganisme lorsque celui-ci tente de maintenir un fonctionnement intégré face à des défis trop nombreux (exigences élevées) et que la capacité du système dassurer un contrôle intégré de ses sous-mécanismes est défaillante (forte tension). Pour rétablir lordre dans cet environnement chaotique, les systèmes internes de contrôle physiologique doivent faire en sorte de maintenir une régularité physiologique coordonnée (une fréquence cardiaque constante, par exemple), malgré des exigences contextuelles irrégulières. Lorsque la capacité de contrôle de lorganisme est épuisée au terme dun travail d«organisation» excessif (par analogie avec la thermodynamique, on pourrait parler de faible entropie), toute exigence supplémentaire entraîne une fatigue extrême ou une tension invalidante. Par ailleurs, tout organisme doit mettre périodiquement ses systèmes de contrôle au repos pendant les périodes de sommeil ou de relaxation (désordre sans tension ou forte entropie) pour être capable de faire face aux tâches de coordination suivantes. Le processus de coordination du système ou ses tentatives de relaxation risquent dêtre inhibés lorsquun schéma daction optimal ne peut être suivi, cest-à-dire lorsque le système ne peut se contrôler lui-même ou trouver un équilibre interne satisfaisant. En règle générale, labsence de contrôle peut correspondre à une diminution de la capacité qua lorganisme de mobiliser lensemble de ses mécanismes adaptatifs pour maintenir un équilibre physiologique face aux exigences, ce qui conduit à long terme à une surcharge et à un risque de maladie. Il sagit là dun axe intéressant pour les recherches physiologiques futures sur le modèle «exigences/autonomie».
Lune des conclusions que lon devrait pouvoir confirmer est que si le modèle «exigences/autonomie» prédit la mortalité cardio-vasculaire, aucun facteur unique de risque traditionnel ni aucun indicateur physiologique isolé ne peut être considéré comme étant la cause principale de cette pathologie. Les travaux futurs indiqueront peut-être si «les défaillances de la dynamique des systèmes» constituent une explication.
Les modèles qui couvrent plusieurs domaines de recherche permettent de faire des prédictions plus larges sur les conséquences pour la santé des institutions sociales mises en place par lêtre humain. Ainsi, Henry et Stephens (1977) ont observé que, dans le monde animal, les contraintes psychologiques résultent des responsabilités «sociales» quimpliquent la recherche de nourriture et dabri pour la famille, ainsi que lélevage et la protection des jeunes; on imagine mal des situations où des contraintes accrues seraient associées à un isolement social. Dans lunivers humain, en revanche, le travail est organisé de telle manière que des contraintes peuvent exister en dehors de toute appartenance sociale. En fait, selon les principes de gestion scientifique du travail élaborés par Frederick Taylor (1911) [1967], le renforcement des contraintes professionnelles devrait souvent intervenir isolément sous peine de voir les travailleurs se révolter contre le processus et revenir à des rapports sociaux sources de pertes de temps! Cet exemple montre non seulement lutilité dun modèle intégré, mais aussi la nécessité de mieux appréhender les divers aspects sociaux du stress humain (en ajoutant, par exemple, une dimension de soutien social au modèle «exigences/autonomie»).
Cette compréhension intégrée et socialement étayée du stress humain est particulièrement nécessaire pour comprendre lévolution économique et politique future. Des modèles moins exhaustifs peuvent, à cet égard, être sources derreurs. Ainsi, daprès le modèle cognitif qui a dominé les débats sur lévolution future de la société et du monde du travail (lorientation des qualifications professionnelles, la vie dans la société de linformation, etc.), lindividu a toute liberté dinterpréter, cest-à-dire de reprogrammer, sa perception des événements réels du monde comme étant stressants ou non stressants. Sur le plan social, cela signifie que, littéralement, nous pouvons concevoir lorganisation sociale qui nous convient et devons prendre la responsabilité de nous adapter au stress quelle peut entraîner. Cependant, de nombreuses conséquences physiologiques du stress sont liées au «cerveau émotionnel» du système limbique, dont la structure déterministe a ses limites quant aux réponses à des exigences dordre général. Ce système nest certainement pas reprogrammable indéfiniment comme le montrent clairement les études sur le syndrome de stress post-traumatique (Goleman, 1995). Faire abstraction des limites du système limbique, et de lintégration émotionnelle et sociale, risque dentraîner toute une série très moderne de conflits fondamentaux pour le développement de lhumain. Nous risquons en effet de mettre au point des systèmes sociaux fondés sur les remarquables capacités cognitives de notre cortex cérébral, mais imposant une surcharge intolérable aux fonctions cérébrales limbiques plus élémentaires: perte des liens sociaux, manque de moyens de maîtrise des tâches et «vue densemble» limitée. En somme, il semble que nous courons le risque dorganiser le travail selon des schémas qui sont inadaptés à nos caractéristiques sociobiologiques. Ces résultats ne proviennent pas seulement de modèles scientifiques incomplets, ils favorisent aussi les processus sociaux inadéquats qui servent les intérêts de certains groupes détenteurs du pouvoir social au prix, pour dautres groupes, de nouveaux dysfonctionnements sociaux et personnels.
Dans bien des cas, les facteurs individuels de stress peuvent être modélisés comme résultant de processus sociaux dynamiques et politico-économiques plus généraux. Aussi, est-il nécessaire détablir des liens théoriques avec des concepts tels que la classe sociale. Lévaluation des rapports entre le statut social et la maladie renvoie aux relations qui peuvent exister entre les facteurs psychosociaux du modèle «exigences/autonomie» et les paramètres sociaux généraux du type «classe sociale». La latitude décisionnelle dont on dispose dans le travail est en corrélation évidente avec la formation reçue et avec dautres paramètres liés à la classe sociale. La prise en compte de la classe sociale permet traditionnellement dévaluer les effets du revenu et de la formation, mais ceux-ci opèrent selon dautres mécanismes que les paramètres psychosociaux du modèle «exigences/autonomie». Il faut souligner que, dans les populations nationales, le concept de tension professionnelle est pratiquement orthogonal à la plupart des paramètres liés à la classe sociale (bien que la dimension actif/passif soit en corrélation étroite avec la classe sociale chez les salariés de statut élevé) (Karasek et Theorell, 1990). La faible marge de manuvre propre aux emplois subalternes paraît une meilleure explication de la tension psychologique que lopposition traditionnelle entre travail physique et travail intellectuel utilisée pour distinguer les emplois manuels des emplois de bureau. En fait, la fatigue physique courante chez les ouvriers, dans certaines circonstances, a un effet protecteur contre la tension psychologique. Bien que la tension dans le travail soit plus fréquente dans les emplois subalternes, les paramètres psychosociaux de lemploi configurent, à cet égard, un profil de risque passablement indépendant des paramètres que lon a continué dassocier à la classe sociale.
Bien que certains auteurs aient suggéré que les relations observées entre lemploi et la maladie dans le cadre du modèle «exigences/autonomie» reflètent simplement des différences de classe sociale (Ganster, 1989; Spector, 1986), une analyse des données disponibles conduit à rejeter ce point de vue (Karasek et Theorell, 1990). En effet, la plupart des recherches liées au modèle «exigences/autonomie» ont aussi analysé la classe sociale, et il apparaît que les corrélations établies persistent à lintérieur des différents groupes sociaux. Ces corrélations sont cependant plus systématiques dans le monde ouvrier alors quelles varient dune étude à lautre chez les employés de bureau (voir ci-après «La tension professionnelle et les maladies cardio-vasculaires») et quelles sont un peu moins marquées pour les activités autonomes (il est cependant indéniable quau plus haut niveau de léchelle la prise de décisions peut en soi devenir une contrainte très importante).
Dans la mesure où les paramètres traditionnels liés à la classe sociale présentent souvent une corrélation moins marquée avec le désarroi psychologique et les problèmes de santé que ne lindique le modèle «exigences/autonomie», de nouvelles conceptions ont pu être avancées à cet égard. Karasek et Theorell (1990) ont défini de nouveaux groupes de salariés avantagés ou désavantagés sur le plan psychosocial, où les «perdants» effectuent des travaux bureaucratiques et routiniers et les «gagnants» des travaux hautement créatifs et intellectuellement enrichissants. Cette définition va dans le sens de la nouvelle conception propre à la «société de linformation» dune production industrielle fondée sur les qualifications et dune nouvelle perspective sur la politique des classes sociales.
La plupart des données sur les caractéristiques psychosociales du travail ont été obtenues à laide de questionnaires dautoévaluation, car cette méthode est simple et permet aussi danalyser les concepts clés lorsquil sagit de redéfinir les postes (Hackman et Oldham, 1975; questionnaire de Karasek sur le contenu du travail, 1985; questionnaire suédois de Statshalsan). Bien quils visent à mesurer objectivement le poste, ces questionnaires évaluent inévitablement certaines des caractéristiques du poste telles que les perçoit le travailleur. Doù une certaine subjectivité dans lautoévaluation de variables dépendantes telles que la dépression, lépuisement et linsatisfaction. Lune des solutions à ce problème consiste à regrouper les réponses individuelles par groupes professionnels placés dans des situations similaires (Kristensen, 1995). Cest cette méthode qui est à la base des systèmes et analyses les plus courants des relations entre les professions et les caractéristiques psychosociales du travail (Johnson et coll., 1996).
Nous disposons aussi dinformations qui permettent dapprécier la validité objective des échelles dautoévaluation psychosociale. Les corrélations entre les données dautoévaluation et les informations fournies par les experts sont généralement supérieures ou égales à 0,70 pour la latitude décisionnelle, et nettement moins élevées pour les contraintes professionnelles (0,35) (Frese et Zapf, 1988). Les fortes variations entre professions que lon constate dans les échelles dévaluation de la latitude décisionnelle (40 à 45%) confirment aussi la validité objective de cette méthode et correspondent assez bien aux 21% de variation pour le revenu et aux 25% pour leffort physique, qui sont des facteurs connus pour varier considérablement dune profession à lautre (Karasek et Theorell, 1990). La variance interprofessionnelle nest cependant que de 7% pour les contraintes psychologiques et de 4% pour le soutien social, ce qui laisse la place à une large composante individuelle dans lautoévaluation de ces paramètres.
Il serait souhaitable de disposer de stratégies dévaluation plus objectives. Certaines méthodes dappréciation objective bien connues sont compatibles avec le modèle «exigences/autonomie» (pour la latitude décisionnelle, voir Volpert et coll., 1983). Cependant, les observations des experts posent aussi des problèmes: elles sont onéreuses et longues à réaliser et ne procurent manifestement pas de meilleurs résultats pour lévaluation des interactions sociales. Le concept même dévaluation par un expert comporte également des biais théoriques, car il est beaucoup plus facile de mesurer le travail observable et répétitif dun ouvrier sur une chaîne de montage que les multiples activités dun cadre de direction ou dun spécialiste de haut niveau. Ainsi, lobjectivité des mesures psychosociales est inversement proportionnelle au pouvoir de décision de lindividu.
Les relations entre la tension professionnelle et les pathologies cardiaques constituent le plus large fondement empirique du modèle. Schnall, Landsbergis et Baker (1994), Landsbergis et coll. (1993), ainsi que Kristensen (1995), ont publié des analyses exhaustives sur ce point. Larticle de Schnall, Landsbergis et Baker (1994) (mis à jour par Landsbergis, dans une communication personnelle, automne 1995) indique en résumé que sur 22 études, 16 ont confirmé une relation entre la tension professionnelle et la mortalité cardio-vasculaire, et cela selon des méthodologies très différentes: 7 études de cohortes (sur 11), 2 études transversales (sur 3), 4 études cas-témoins (sur 4) et 3 études faisant appel à des indices symptomatologiques (sur 3). La plupart des études négatives ont porté sur des populations plus âgées (sujets de plus de 55 ans le plus souvent, parfois retraités depuis longtemps) et reposaient essentiellement sur des données professionnelles combinées qui réduisent certes au minimum les biais dautoévaluation, mais nont quune faible valeur statistique. Lhypothèse de la tension professionnelle, pour la prédiction des maladies cardio-vasculaires, semble mieux confirmée pour les ouvriers que pour les employés de bureau (Marmot et Theorell, 1988). La mesure traditionnelle des facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires telles quhypercholestérolémie, tabagisme et même hypertension artérielle na révélé à ce jour que des effets non systématiques ou mineurs liés à la tension professionnelle. Les méthodes plus perfectionnées (mesures tensionnelles ambulatoires) donnent cependant des résultats nettement positifs (Theorell et Karasek, 1996).
Les données concernant les troubles psychologiques ont été passées en revue par Karasek et Theorell (1990). La plupart des études confirment une relation avec la tension professionnelle. Dans un certain nombre de pays, elles ont porté sur des populations à représentativité générale ou nationale. Même si certaines études incluent lanalyse du contexte professionnel par un observateur objectif et sil existe également des études longitudinales, les recherches sont fréquemment limitées par un protocole transversal et par des questionnaires dautoévaluation de la tension professionnelle et psychologique, ce qui est difficile à éviter. Certains auteurs estiment que la tendance personnelle à un affectif négatif accentue le rapport entre le travail et la tension mentale (Brief et coll., 1988), mais cela ne sapplique pas nécessairement à certains résultats incontestables sur labsentéisme (North et coll., 1996; Vahtera, Uutela et Pentti, 1996). Dans certaines études, les relations sont très étroites et elles reposent parfois sur un système de liens qui réduit au minimum les biais potentiels de lautoévaluation (au risque dune diminution de la valeur statistique). Ces études confirment les relations plus ou moins marquées qui existent pour toute une série daboutissements de la tension psychologique, à savoir les formes modérément sévères de dépression, dépuisement, dabus de substances toxiques et dinsatisfaction personnelle ou professionnelle. On note aussi des différences dans les affects négatifs selon les paramètres du modèle «exigences/autonomie» que lon considère. Lépuisement, la course contre la montre ou simplement limpression de stress dépendent plus étroitement des contraintes psychologiques et sont plus marqués dans les postes de direction et les fonctions de haut niveau. Les symptômes de tension plus graves tels que la dépression, la sous-estimation de soi et les maladies somatiques semblent plus étroitement liés à une faible latitude décisionnelle, ce problème étant plus visible encore chez les travailleurs occupant des postes subalternes.
Les preuves de lutilité du modèle «exigences/autonomie» sont multiples dans dautres domaines (Karasek et Theorell, 1990). Bongers et coll. (1993) et dautres chercheurs (Leino et Hänninen, 1995; Faucett et Rempel, 1994) ont analysé les prédictions au niveau des maladies professionnelles de lappareil locomoteur, dans le cadre de 27 études. Ce travail confirme le pouvoir prédictif du modèle «exigences/autonomie», notamment pour les affections intéressant les extrémités supérieures. Des études réalisées par Fenster et coll. (1995), ainsi que par Brandt et Nielsen (1992), ont aussi mis en évidence des relations entre les problèmes de grossesse et la tension professionnelle.
Le modèle «exigences/autonomie/soutien social» a suscité de nombreuses recherches ces dernières années. Il a contribué à prouver en particulier limportance des paramètres sociaux et psychologiques dans la structure des emplois daujourdhui en tant que causes possibles des maladies et des situations sociales les plus éprouvantes de notre société industrielle. Les données empi-riques ont largement confirmé la relation quil avait mise en évidence entre des conditions professionnelles défavorables (notamment une faible latitude décisionnelle) et les cardiopathies ischémiques.
Il reste cependant difficile de déterminer avec précision ceux des aspects des contraintes psychologiques ou de la latitude décisionnelle qui revêtent le plus dimportance dans ce modèle et pour quelles catégories de travailleurs. Seule une explication plus approfondie que celle quoffre le modèle quant aux effets physiologiques et microcomportementaux des contraintes psychologiques, de la latitude décisionnelle et du soutien social permettrait de répondre à ces questions. Il sera aussi nécessaire de tester parallèlement la version dynamique du modèle incluant les hypothèses sur la dimension actif/passif. Les futures recherches sur le modèle «exigences/autonomie» gagneraient en utilité si elles se fondaient sur un ensemble élargi dhypothèses bien structurées, développées à partir dune intégration avec dautres domaines de lintellect ainsi quil a été indiqué plus haut (Karasek et Theorell, 1990). Les hypothèses sur la dimension actif/passif, notamment, ont été trop peu explorées dans la recherche sur leurs conséquences pour la santé.
Dautres progrès sont également nécessaires, en particulier sous la forme de nouvelles approches méthodologiques des contraintes psychologiques. De même, il serait bon de procéder à de nouvelles études longitudinales, de trouver les moyens déliminer la subjectivité des autoévaluations et de concevoir de nouvelles technologies de suivi physiologique. A un niveau plus général, il faudrait aussi que le modèle intègre plus clairement les facteurs professionnels macrosociaux tels que linfluence du travailleur sur les décisions de la collectivité et de lentreprise ou le soutien quil en reçoit, les difficultés de communication et les problèmes dinsécurité de lemploi et du revenu. Les liens avec la notion de classe sociale, la validité du modèle pour les femmes et la structure des relations entre le travail et la famille devraient être étudiés plus en détail. De nouveaux protocoles devront être mis au point pour létude des groupes sociaux qui occupent des emplois précaires et subissent les niveaux de stress les plus élevés. Cet aspect est dautant plus important que la mondialisation de léconomie transforme la nature des relations professionnelles. Avec les contraintes qui en découlent, de nouvelles «macromesures» sont à concevoir pour tester la diminution de la maîtrise locale et lintensification des activités professionnelles, ce qui ne peut que confirmer toute lutilité pour lavenir de la version de base du modèle «exigences/autonomie».
Plusieurs définitions ont été formulées depuis que cette notion a été évoquée et décrite pour la première fois par Hans Selye (1960), mais pas une na vraiment réussi à rendre ce que la plupart des chercheurs entendent comme étant lessence même du concept de stress.
Cette absence de consensus sur une définition commune et généralement acceptable du stress a sans doute plusieurs explications. Lune delles est peut-être que ce concept est si répandu et a été utilisé dans des situations et des contextes si différents et par tant de chercheurs, de professionnels et de profanes quil est devenu impossible de saccorder sur une définition commune. Une autre explication est peut-être aussi quil nexiste en fait aucune base empirique qui permettrait de retenir une définition à laquelle tout le monde souscrirait. Le concept de stress est peut-être à ce point diversifié quil ne peut appréhender à lui seul lensemble du phénomène. Une chose est sûre, cest que pour analyser les effets du stress sur la santé, cette notion doit inclure plusieurs composantes. La définition de Selye portait sur la réaction physiologique de lutte ou de fuite face à une menace ou à un défi émanant de lenvironnement. Cette définition était donc limitée à la réponse physiologique individuelle. Dans les années soixante, on sest tout particulièrement intéressé aux événements dits de lexistence, cest-à-dire aux principales expériences «stressantes» qui surviennent dans la vie dune personne. Holmes et Rahe (1967) ont pu démontrer quune accumulation dévénements de ce genre était préjudiciable à la santé. Ces effets ont surtout été mis en évidence par des études rétrospectives, mais il a été plus difficile den confirmer les résultats de façon prospective (Rahe, 1988).
Au cours des années soixante-dix, un autre concept a été introduit dans lapproche théorique, celui de la vulnérabilité ou de la résistance de lindividu exposé à des stimuli stressants. Cassel (1976) a émis lhypothèse que la résistance de lhôte était un facteur clé de la manifestation du stress ou de ses effets sur la santé. Le fait que cette résistance nait pas été prise en considération dans bon nombre détudes est peut-être à lorigine des nombreux résultats incohérents et contradictoires obtenus quant aux effets du stress sur la santé. Selon Cassel, deux facteurs étaient essentiels pour déterminer le degré de résistance de lhôte: sa capacité dadaptation et ses appuis sociaux.
La définition à laquelle on est parvenu aujourdhui va bien au-delà des réactions physiologiques au stress de Selye. Elle inclut en effet les répercussions de lenvironnement social (événements de lexistence, par exemple) et la capacité de résistance ou la vulnérabilité de lindividu exposé à ces événements.
Dans le modèle «stress-maladie» proposé par Kagan et Levi (1971), plusieurs distinctions sont faites entre différentes composantes (voir figure 34.4), à savoir:
Il est important de noter que, contrairement à ce que pensait Selye, les effets somatiques des facteurs de stress empruntent plusieurs voies physiologiques. En effet, outre la réaction sympathico-médullosurrénale initialement décrite, on a pu identifier le rôle de laxe sympathico-corticosurrénal, qui pourrait être tout aussi important. On a également observé que la régulation neurohormonale parasympathique digestive a un effet compensateur qui atténue les effets nocifs du stress. Pour quun facteur de stress provoque ce type de réaction, il faut quil soit soumis à une influence négative du programme psychobiologique ou, en dautres termes, quil existe une propension individuelle à réagir aux facteurs de stress. Cette propension individuelle est déterminée par des caractéristiques génétiques, mais aussi par lexpérience et lacquis de la petite enfance.
Si les réactions physiologiques de stress sont sévères et suffisamment durables, elles peuvent finir par entraîner des états chroniques ou par être des précurseurs de maladies. Un exemple de précurseur de ce type est lhypertension qui est souvent liée au stress et qui peut conduire à une affection somatique telle quun accident vasculaire cérébral ou une cardiopathie.
Un autre aspect important du modèle est lanticipation, à chaque stade, des effets des variables interférentes, ce qui augmente encore la complexité du modèle. Cette complexité est illustrée par les boucles de rétroaction à toutes les étapes et pour tous les facteurs du modèle en direction de chaque autre étape ou facteur. Le modèle est donc complexe, mais nen est-il pas ainsi de la nature?
Les données empiriques sur lexactitude de ce modèle restent insuffisantes et peu explicites; toutefois, lapplication du modèle interactif aux recherches sur le stress permettra dapprofondir le sujet. Grâce aux essais pratiques du modèle, nous serons peut-être en mesure de mieux prédire la maladie.
Notre groupe de lInstitut Karolinska de Stockholm a axé ses dernières recherches sur les facteurs qui renforcent la résistance de lhôte. Nous sommes partis de lhypothèse que lun de ces puissants facteurs était linfluence bénéfique quun soutien et des réseaux sociaux efficaces peuvent avoir sur la santé.
Nos premières recherches sur les effets des réseaux sociaux ont porté sur lensemble de la population suédoise étudiée à un niveau «macroscopique». En collaboration avec le Bureau central suédois des statistiques, nous avons pu évaluer les effets des interactions sociales autoévaluées sur lévolution de la santé, en loccurrence sur la survie (Orth-Gomér et Johnson, 1987).
Un échantillon aléatoire de la population suédoise adulte, constitué de 17 433 hommes et femmes, a répondu à un questionnaire portant sur leurs liens et réseaux sociaux. Ce questionnaire figurait dans deux des enquêtes conduites chaque année en Suède sur les conditions de vie et destinées à évaluer et à quantifier le bien-être de la nation, sur les plans matériel, social et psychologique. Sur la base de ce questionnaire, nous avons mis au point un indice global dinteractions sociales incluant le nombre de membres du réseau et la fréquence des contacts avec chaque membre. Sept sources de contacts ont été identifiées par une analyse factorielle: parents, fratrie, famille nucléaire (conjoint et enfants), parents proches, collègues, voisins, parents éloignés et amis. Les contacts avec chaque source ont été calculés et additionnés pour obtenir un indice global variant entre 0 et 106.
En confrontant les enquêtes sur les conditions de vie et le registre national des décès, nous avons pu étudier les effets de lindice dinteractions sociales sur la mortalité. En subdivisant la population étudiée en tertiles en fonction de lindice obtenu, nous avons constaté que le risque de mortalité était systématiquement plus élevé chez les hommes et les femmes du tertile inférieur que chez ceux des tertiles moyen et supérieur.
Le risque de décès est apparu quatre à cinq fois plus élevé dans le tertile inférieur que dans les autres tertiles, mais de nombreux autres facteurs peuvent expliquer cette relation, entre autres laccroissement du risque de mortalité en fonction de lâge. De même, le nombre de contacts sociaux diminue à mesure que lon vieillit. Lorsquune personne est malade et handicapée, le risque de mortalité saccroît et il est probable que létendue de son réseau social diminue. La morbidité et la mortalité sont aussi plus élevées dans les classes sociales inférieures, où les réseaux sociaux sont plus limités et les contacts moins nombreux. Ainsi, dans toute analyse, faut-il, entre autres facteurs, tenir compte au minimum des risques de décès. Même lorsque ceux-ci ont été pris en considération, on a constaté une augmentation statistiquement significative du risque (40%), liée au rétrécissement du réseau social chez les personnes situées dans le tiers inférieur de la population. Il est intéressant de noter que les personnes se trouvant dans le tertile supérieur ne bénéficiaient pas deffets favorables sur la santé supérieurs à ceux du tertile moyen. Il est possible que des contacts très nombreux jouent à la fois un rôle générateur de tension et un rôle protecteur vis-à-vis des effets préjudiciables pour la santé.
Ainsi, sans même en savoir plus sur les facteurs de stress vécus par ces hommes et ces femmes, on peut conclure que les réseaux sociaux exercent un effet favorable sur la santé.
Ce paramètre ne peut cependant expliquer à lui seul les effets observés sur la santé. Il est probable que la façon dont un réseau fonctionne et le type de soutien apporté par ses membres sont plus importants que le nombre de personnes qui en font partie. Une interaction entre différents facteurs de stress est également possible. Ainsi, les effets du stress professionnel saggravent en labsence de soutien social et de relations sociales au travail (Karasek et Theorell, 1990).
Pour analyser les problèmes dinteractions, des recherches ont été conduites en utilisant différentes mesures pour évaluer à la fois les aspects qualitatifs et quantitatifs du soutien social. Plusieurs résultats intéressants illustrent les effets sur la santé que lon peut associer à lappui social. Par exemple, dans une étude portant sur les cardiopathies (infarctus du myocarde et mort subite) dans une population de 776 hommes de 50 ans nés à Göteborg, choisis aléatoirement dans la population et en bonne santé lors de lexamen initial, le tabagisme et labsence de soutien social sont apparus comme les principaux prédicteurs de maladie (Orth-Gomér, Rosengren et Wilhelmsen, 1993). Lhypertension, lhyperlipidémie, le taux de fibrinogène et la sédentarité constituaient dautres facteurs de risque.
La même étude a montré que les événements stressants nétaient nocifs que chez les hommes qui ne bénéficiaient daucun soutien, notamment de lappui affectif dune épouse, de parents proches ou damis. Chez les hommes qui navaient eu aucun soutien et qui avaient subi plusieurs événements graves, la mortalité était cinq fois plus élevée que chez ceux qui avaient été très entourés (Rosengren et coll., 1993).
Un autre exemple deffets interactifs est fourni par une étude portant sur des sujets cardiaques chez qui lon a analysé certains facteurs psychosociaux tels que lintégration sociale ou lisolement ainsi que les indicateurs myocardiques de pronostic défavorable. Ces sujets ont été suivis sur une période de dix ans. Le type de personnalité et de comportement, notamment le schéma comportemental de type A, a également été évalué.
Le type comportemental par lui-même navait aucun effet sur le pronostic: 24% des hommes de type A sont décédés, contre 22% pour le type B. En revanche, létude des phénomènes interactifs et de lisolement social a révélé un tout autre profil.
Il avait été demandé aux hommes participant à létude de noter dans un journal toute activité effectuée le soir et durant la fin de semaine, au cours dune semaine normale. Ces activités ont été subdivisées en trois catégories selon quelles impliquaient un effort physique ou une relaxation, quelles étaient effectuées à domicile ou non, quelles étaient de type récréatif ou menées avec dautres personnes. Parmi ces catégories, cest labsence dactivité récréative sociale qui constituait le principal prédicteur de mortalité. Les hommes qui ne participaient jamais à ce type dactivité (considérés comme socialement isolés dans létude) avaient un risque de mortalité denviron trois fois supérieur à ceux qui étaient socialement actifs. De plus, les hommes de type A qui étaient socialement isolés présentaient un risque de mortalité encore plus élevé que ceux des autres catégories (Orth-Gomér, Undén et Edwards, 1988).
Ces études montrent quil est nécessaire de considérer plusieurs aspects de lenvironnement psychosocial, les facteurs individuels et, bien évidemment, les mécanismes physiologiques de stress. Ces résultats démontrent également que le soutien de lentourage est un facteur important dans les problèmes de santé liés au stress.
La théorie de ladéquation personne-environnement (PE) offre un cadre conceptuel pour évaluer et prédire comment les caractéristiques du travailleur et du milieu de travail se combinent pour déterminer le bien-être et, à la lumière de ces informations, comment élaborer un modèle permettant didentifier les possibilités dintervention préventive. Plusieurs formules dadéquation PE ont été proposées dont les plus connues sont celles de Dawis et Lofquist (1984), French, Rodgers et Cobb (1974), Levi (1972), McGrath (1976) et Pervin (1967). La théorie de French, Rodgers et Cobb, illustrée par la figure 34.5, peut être utilisée pour analyser les éléments conceptuels de la théorie de ladéquation personne-environnement et leurs implications pour la recherche et son application.
Ladéquation peut être mauvaise par rapport aux besoins de lindividu (adéquation besoins-apports) ou aux exigences du poste (adéquation exigences-capacités) . La notion dadéquation entre les besoins et les apports se réfère à la manière dont les moyens et opportunités du cadre professionnel répondent aux besoins du travailleur (désir de mettre à profit ses compétences et ses capacités, par exemple). La notion dadéquation entre les exigences professionnelles et les capacités recouvre la manière dont les compétences et les capacités du travailleur lui permettent de répondre aux impératifs de lemploi. Ces deux types dadéquation peuvent même se chevaucher. Ainsi, une surcharge de travail peut entraîner une réponse incomplète aux exigences de lemployeur et compromettre également le besoin de lemployé den satisfaire dautres.
Les caractéristiques de la personne (P) incluent ses besoins et ses capacités. Les caractéristiques de lenvironnement (E) englobent les apports et les possibilités de réponse aux besoins du travailleur ainsi que les exigences qui sollicitent ses capacités. Pour déterminer si P est égal, supérieur ou inférieur à E, la théorie exige que P et E soient quantifiés au moyen dunités de mesure comparables. Dans les conditions idéales, P et E devraient être mesurés sur des échelles à intervalles identiques, comportant un point zéro réel. Ainsi, on pourrait évaluer ladéquation PE pour la charge de travail dune opératrice de saisie en mesurant à la fois le nombre de frappes par minute exigé par lemploi (E) et la vitesse de frappe de lopératrice (P). A défaut, les chercheurs utilisent souvent des échelles de type Likert, ce qui est moins satisfaisant. Par exemple, on pourrait évaluer le désir de maîtriser le rythme de travail (P), ainsi que le degré de maîtrise permis par la technologie mise en uvre (E), en utilisant une échelle sur laquelle le 1 correspond à labsence totale ou quasi totale de maîtrise, et le 5 à une maîtrise totale.
On entend par adéquation subjective la perception de P et de E par le travailleur, tandis que ladéquation objective se réfère à des évaluations qui sont en théorie exemptes de biais subjectifs et derreurs. Dans la pratique, il existe toujours des erreurs de mesure, de sorte quil est impossible dobtenir une image véritablement objective. Aussi, nombreux sont les auteurs qui préfèrent établir une distinction entre ladéquation subjective et ladéquation objective pour les besoins de leurs travaux en considérant comme objectives les mesures qui sont pratiquement, mais non totalement, exemptes de sources de biais et derreurs. Pour une dactylographe, par exemple, on peut évaluer ladéquation objective PE en recherchant ladéquation entre la vitesse de frappe à la minute exigée par lemploi occupé (Eo) et les capacités de la personne, évaluées par un test objectif mesurant la vitesse de frappe (Po). Ladéquation PE subjective pourrait être appréciée en demandant à lemployée destimer sa vitesse de frappe par minute (Ps), ainsi que la vitesse exigée par lemploi (Es).
Etant donné les difficultés de la mesure objective, la plupart des tests relevant de la théorie de ladéquation PE nont utilisé que des mesures subjectives de P et de E (à lexception du cas de figure présenté par Chatman, 1991). Ces mesures ont couvert toute une série de paramètres, dont ladéquation aux responsabilités associées au travail et au bien-être des autres, à la complexité de lemploi, aux surcharges quantitatives et à lambiguïté des rôles.
La figure 34.5 montre comment ladéquation objective influence ladéquation subjective qui, à son tour, a des effets directs sur le bien-être. Le bien-être est altéré par des réactions appelées tensions, qui constituent des facteurs de risque de maladies ultérieures. Ces tensions peuvent inclure des réactions émotionnelles (dépression, anxiété), physiologiques (cholestérol sérique, tension artérielle), cognitives (mauvaise image de soi, reproches envers soi-même ou envers les autres) ou comportementales (agression, changement de mode de vie, utilisation abusive de médicaments ou dalcool).
Daprès ce modèle, le niveau dadéquation objective et ses variations par suite dune intervention prévue ou de tout autre événement ne sont pas toujours perçus avec exactitude par le salarié, de sorte que des écarts apparaissent entre ladéquation objective et ladéquation subjective. Ainsi, un salarié peut ressentir une bonne ou une mauvaise adéquation alors que ce nest objectivement pas le cas.
La mauvaise perception de lintéressé peut provenir de deux sources. La première est lentreprise qui, à dessein ou non, peut fournir des informations inadaptées sur lenvironnement et le salarié (Schlenker, 1980). La seconde est le salarié lui-même qui peut ignorer les informations disponibles ou se défendre en déformant les informations objectives sur les exigences de lemploi ou sur ses capacités et ses besoins. Taylor (1991) cite un exemple de ce type.
French, Rodgers et Cobb (1974) utilisent la notion de «défense» pour désigner les processus par lesquels le salarié déforme les composantes de ladéquation subjective, Ps et Es, sans transformer les composantes homologues de ladéquation objective, Po et Eo. Par extension, lentreprise peut également sengager dans des processus défensifs tels que loccultation, le déni ou lexagération, afin de modifier la perception qua le salarié de son adéquation subjective, sans transformer parallèlement ladéquation objective.
Le concept dadaptation est en revanche réservé aux réponses et aux processus qui visent à modifier et surtout à améliorer ladéquation objective. Le salarié peut tenter de sadapter en améliorant ses facultés objectives (Po) ou en modifiant les contraintes et les ressources objectives liées à lemploi (Eo), par exemple en changeant dactivités ou de responsabilités. Par extension, lentreprise peut également appliquer des stratégies dadaptation pour améliorer ladéquation PE objective. Ainsi, pour agir sur Eo et Po, une entreprise peut modifier les stratégies de sélection et de promotion, la formation et les définitions de postes.
Ces distinctions entre ladaptation et la défense, dune part, et ladéquation objective et subjective, de lautre, peuvent conduire à toute une série de questions pratiques et scientifiques sur les conséquences de ladaptation et de lattitude de défense, et sur les méthodes permettant de distinguer les effets de ladaptation des effets de la défense sur ladéquation PE. En partant de la base théorique, les réponses rationnelles à ces questions appellent des évaluations rationnelles de ladéquation PE tant objective que subjective.
Ladéquation PE peut avoir des relations non linéaires avec la tension psychologique. La figure 34.6 illustre ce phénomène par une courbe en U. Le niveau minimal de tension psychologique sur la courbe est atteint lorsque les caractéristiques du salarié coïncident avec celles de lemploi (P = E). La tension augmente lorsque les compétences ou les besoins du salarié sont inférieurs respectivement aux exigences ou aux possibilités offertes par lemploi (P < E) ou les surpassent (P > E). Dans une étude sur une population de salariés couvrant 23 professions différentes, Caplan et coll. (1980) estiment quil existe une relation en U entre ladéquation PE sur le plan de la complexité du travail et les symptômes dépressifs.
Une série dapproches utilisées pour mesurer ladéquation PE démontre le pouvoir prédictif du modèle sur le plan du bien-être et des résultats professionnels. Ainsi, une modélisation statistique précise a révélé que ladéquation PE permettait de rendre mieux compte de la satisfaction professionnelle que la seule mesure de P ou de E (variance plus élevée de 6%) (Edwards et Harrison, 1993). Une série de sept études mesurant ladéquation PE chez des comptables a fait apparaître que les corrélations entre P et E étaient supérieures en présence de résultats élevés (r = 0,47 en moyenne contre 0,26 pour les personnes à résultats médiocres; Caldwell et OReilly, 1990). P a été évalué daprès les connaissances, compétences et aptitudes de la personne et E daprès les connaissances, compétences et aptitudes requises par lemploi. Une mauvaise adéquation PE entre les résultats obtenus pour les comptables et ceux de lentreprise a aussi permis de prédire une rotation importante du personnel (Chatman, 1991).
La connaissance des nécessités, des capacités et des limites humaines fournit un schéma directeur pour concevoir des conditions psychosociales propres à réduire le stress des salariés et à améliorer leur état de santé (Frankenhaeuser, 1989). Les recherches sur le cerveau et le comportement ont permis de déterminer les conditions dans lesquelles les résultats professionnels sont satisfaisants, et dautres qui entraînent leur détérioration. Lorsque lafflux des stimulations du monde extérieur tombe au-dessous dun certain niveau critique et que les exigences du poste sont trop faibles, les individus ont tendance à relâcher leur attention, à sennuyer et à ne plus prendre dinitiatives. En revanche, lorsque les stimuli et les exigences sont excessifs, les individus perdent leur capacité dintégrer les messages, ce qui saccompagne dune fragmentation des pensées et dune altération de la faculté de jugement. Cette relation en U inversé entre la charge de travail et la fonction cérébrale représente un principe biologique fondamental qui comporte de nombreuses applications dans la vie professionnelle. Pour ce qui est de lefficacité par rapport à la charge de travail, cela signifie que le fonctionnement mental optimal se situe à mi-chemin de léchelle dévaluation des contraintes professionnelles. Dans cette zone médiane, le niveau de défi est adéquat et le cerveau humain fonctionne efficacement. Lemplacement de la zone optimale varie selon les personnes, mais le plus important est quune grande partie de la population passe sa vie en dehors de cette zone optimale qui permettrait un développement personnel confinant aux potentialités maximales. Les capacités de ces personnes sont constamment sous-estimées ou exagérément sollicitées.
Il convient détablir une distinction entre la surcharge quantitative qui implique un excédent de travail sur une période donnée et un déficit qualitatif lié à des tâches trop répétitives, peu variées et peu stimulantes (Levi, Frankenhaeuser et Gardell, 1986).
Les recherches ont permis de définir les critères dun «travail satisfaisant» (Frankenhaeuser et Johansson, 1986; Karasek et Theorell, 1990). Selon ces critères, les salariés devraient être en mesure: a) dexercer une influence et un contrôle sur leur travail; b) de replacer leur contribution dans un contexte plus large; c) davoir un sentiment dintégration et dappartenance sur leur lieu de travail; et d) de développer leurs aptitudes personnelles et leurs compétences professionnelles grâce à la formation permanente.
Tout salarié est soumis à diverses contraintes professionnelles dont la nature et lintensité sont évaluées par le cerveau. Ce processus dévaluation implique une mesure des exigences et de laptitude à y faire face. Toute situation perçue comme une menace ou un défi exigeant un effort important saccompagne de la transmission de signaux entre le cerveau et la glande surrénale qui répond par une sécrétion dadrénaline et de noradrénaline. Ces hormones de stress entretiennent la vigilance mentale et la forme physique. Lorsque la situation provoque des sensations dincertitude et de désarroi, les messages cérébraux atteignent aussi le cortex surrénal qui sécrète le cortisol, une hormone qui joue un rôle important dans les défenses immunitaires de lorganisme (Frankenhaeuser, 1986).
Grâce au développement des techniques biochimiques qui permettent de déceler des quantités infimes dhormones dans le sang, les urines et la salive, les recherches sur le travail font une place de plus en plus importante aux hormones de stress. A court terme, une élévation des hormones de stress est souvent bénéfique et rarement nocive. A long terme cependant, il peut en résulter des effets préjudiciables (Henry et Stephens, 1977; Steptoe, 1981). Des élévations fréquentes ou durables des concentrations dhormones de stress au cours des activités quotidiennes peuvent entraîner des modifications structurelles des vaisseaux sanguins qui, à leur tour, peuvent déclencher une maladie cardio-vasculaire. En dautres termes, la présence régulière de concentrations élevées dhormones de stress doit être considérée comme un signal dalarme indiquant que la personne est soumise à une tension excessive.
Les techniques biomédicales denregistrement permettent de surveiller les réponses de lorganisme au cours du travail, sans gêner les activités. Ces techniques ambulatoires permettent de trouver la cause dune élévation de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque ou de la tension musculaire. Il sagit dinformations essentielles qui, associées au dosage des hormones de stress, ont aidé à identifier les facteurs nocifs ou protecteurs liés au contenu des tâches et à lorganisation du travail. Ainsi, la recherche des facteurs préjudiciables ou bénéfiques dans lenvironnement professionnel peut utiliser lintéressé lui-même comme échelle de mesure. Cest lun des moyens grâce auxquels létude du stress humain et de ladaptation peut permettre de définir des interventions et des techniques de prévention adaptées au lieu de travail (Frankenhaeuser et coll., 1989; Frankenhaeuser, 1991).
Les données épidémiologiques et expérimentales confirment que lautonomie et le pouvoir de décision sont dimportants facteurs «amortisseurs» qui aident les individus à travailler dur tout en appréciant leur emploi et en restant en bonne santé (Karasek et Theorell, 1990). Lautonomie permet de moduler le stress de deux manières soit en augmentant la satisfaction professionnelle et en réduisant, de ce fait, les réponses corporelles au stress, soit en encourageant un rôle actif et participatif. Une activité dans laquelle la personne peut exercer pleinement ses compétences renforce lestime de soi. Bien quils soient exigeants et prenants, les emplois de ce type peuvent aider à développer les compétences qui permettront de faire face à des charges de travail importantes.
Les concentrations dhormones de stress varient en fonction des interactions entre les réponses émotionnelles positives ou négatives provoquées par la situation. Lorsque les contraintes sont vécues comme un défi positif et gérable, la sécrétion dadrénaline est généralement élevée, tandis que le système de production du cortisol est au repos. Lorsque les sentiments négatifs et lincertitude prédominent, les taux de cortisol et dadrénaline augmentent. Il en résulte que la charge totale pour lorganisme, le «prix du travail», sera plus faible pour une activité exigeante, mais agréable, que pour un emploi moins exigeant mais fastidieux. Il semble que les faibles taux de cortisol qui caractérisent les situations maîtrisables expliquent les effets positifs de lautonomie sur la santé. Ce mécanisme neuroendocrinien pourrait étayer les résultats épidémiologiques des enquêtes conduites dans plusieurs pays, selon lesquelles les contraintes professionnelles élevées et les surcharges de travail ont surtout des conséquences néfastes sur la santé lorsquelles sont associées à une marge de décision réduite (Frankenhaeuser, 1991; Karasek et Theorell, 1990; Levi, Frankenhaeuser et Gardell, 1986).
Afin dévaluer la charge de travail respective des hommes et des femmes, il faut modifier la notion de travail pour prendre en compte la charge de travail totale, soit lensemble des contraintes liées au travail rémunéré et non rémunéré. Cette notion inclut toutes les formes dactivité productive, cest-à-dire «toute action productrice de biens et de services utilisés et valorisés par dautres personnes» (Kahn, 1991). Ainsi, la charge totale de travail dune personne inclut le travail normal et les heures supplémentaires, de même que les tâches domestiques, léducation des enfants, la charge de parents âgés ou malades et les activités bénévoles associatives ou syndicales. Selon cette définition, les femmes actives ont une charge de travail supérieure à celle des hommes, à tout âge et quelle que soit leur profession (Frankenhaeuser, 1993a, 1993b et 1996; Kahn, 1991).
Si la répartition des tâches domestiques entre hommes et femmes na pas changé, la situation professionnelle des femmes sest radicalement transformée et leur charge de travail sest alourdie, avec peu doccasions de repos en fin de journée (Frankenhaeuser et coll., 1989). Tant que les relations causales entre la charge de travail, le stress et la santé nauront pas été mieux étudiées, il faudra considérer les réactions de stress prolongées, observées notamment chez les femmes qui occupent des postes de direction, comme des signaux avertisseurs de risques éventuels à long terme pour la santé (Frankenhaeuser, Lundberg et Chesney, 1991).
La structure des horaires de travail et la durée du travail constituent un aspect essentiel de la situation professionnelle telle quelle est effectivement vécue. La plupart des salariés estiment être rémunérés pour les heures de travail accomplies plutôt que pour les efforts déployés; autrement dit, la transaction entre le salarié et son employeur est un échange de temps contre de largent. Aussi, la qualité du temps échangé représente-t-elle une partie très importante de léquation. Le temps qui permet à lintéressé de dormir, davoir des relations familiales et amicales et de participer à la vie sociale temps dont on pourrait dire quil a une valeur élevée peut avoir un plus grand prix et exiger une compensation financière supplémentaire par rapport aux jours de travail ordinaires où la plupart des amis, des parents et des enfants sont eux-mêmes au travail ou à lécole. Léquilibre de la transaction peut aussi être modifié en rendant plus agréable le temps consacré au travail, cest-à-dire en améliorant les conditions demploi. Le temps passé dans les transports nest pas non plus disponible pour les loisirs, de sorte que ce temps doit aussi être considéré comme une période «grise» (Knauth et coll., 1983), qui a un «coût» pour le salarié. Les mesures visant par exemple à réduire la semaine de travail et, par conséquent, le nombre de déplacements hebdomadaires, ou lintroduction dhoraires souples qui diminuent la durée des transports en permettant déviter les heures de pointe, sont aussi de nature à modifier léquilibre.
Comme la fait remarquer Kogi (1991), il existe, dans lindustrie comme dans le secteur des services, une tendance générale à assouplir les horaires de travail. Diverses raisons expliquent cette tendance, parmi lesquelles les coûts élevés du matériel, la demande des consommateurs qui souhaitent des services vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la législation qui réduit la semaine de travail et (dans certains pays comme les Etats-Unis et lAustralie) la pression fiscale qui incite les employeurs à avoir le moins de salariés possible. Pour de nombreux salariés, les horaires traditionnels «9 heures-17 heures» ou «8 heures-16 heures», du lundi au vendredi, appartiennent au passé soit en raison des nouveaux systèmes de travail, soit du fait des très nombreuses heures supplémentaires exigées.
Kogi souligne que si les avantages de la flexibilité sont évidents pour lemployeur, dans la mesure où ils permettent dallonger les heures douverture, de répondre à la demande du marché et davoir une gestion plus souple, les aspects positifs sont peut-être moins avérés pour les salariés. A moins que le système ne permette à ceux-ci de choisir leurs horaires de travail, il sensuit souvent des perturbations du rythme biologique et de la situation familiale. Le travail posté prolongé peut aussi entraîner une fatigue qui risque de compromettre la sécurité et la productivité et dentraîner une exposition accrue aux risques chimiques.
La biologie humaine est programmée pour assurer un état de veille au cours de la journée et le sommeil pendant la nuit. Tout horaire qui se prolonge le soir tard ou toute la nuit, en raison dun raccourcissement de la semaine de travail, dheures supplémentaires obligatoires ou du travail posté entraîne des perturbations de lhorloge biologique (Monk et Folkard, 1992). Ces troubles peuvent être évalués daprès les rythmes circadiens qui incluent des fluctuations régulières, sur vingt-quatre heures, des signes vitaux, de la composition du sang et de lurine, ainsi que de lhumeur et des performances (Aschoff, 1981). Le paramètre le plus fréquemment utilisé dans les études sur le travail posté est la température corporelle qui, dans les conditions normales, suit un rythme régulier, avec un pic vers 20 heures et un minimum vers 5 heures du matin, la différence étant denviron 0,7 °C entre les deux valeurs. En cas de modification brutale des horaires habituels, lamplitude du rythme diminue et lajustement aux nouveaux horaires est lent à se mettre en place. Tant que ce processus dadaptation nest pas terminé, le sommeil est perturbé et lhumeur et lefficacité diurnes sen ressentent. Ces symptômes, qui peuvent être considérés comme équivalents à ceux dun décalage horaire, durent parfois très longtemps (Knauth et Rutenfranz, 1976).
Des horaires de travail irréguliers peuvent aussi conduire à une fragilisation de la santé. Bien quil soit difficile de mesurer cet effet avec précision, il apparaît quen dehors des troubles du sommeil, les affections digestives (y compris les ulcères gastro-duodénaux) et les maladies cardio-vasculaires sont plus fréquentes chez les personnes effectuant (ou ayant effectué) un travail posté que chez les personnes qui travaillent de jour (Scott et LaDou, 1990). Certaines observations préliminaires tendent à indiquer une fréquence accrue de symptômes psychiatriques (Cole, Loving et Kripke, 1990).
Les personnes qui ont des horaires décalés sont aux prises non seulement avec la biologie humaine, mais aussi avec la société. Alors que le sommeil nocturne du plus grand nombre est protégé par la stricte exclusion du bruit et du téléphone, le coucher tardif ainsi que le sommeil et le repos diurnes, indispensables aux personnes qui ont des horaires décalés, sont mal tolérés par la société. Elles ne peuvent pas participer aux événements sociaux organisés en soirée et en fin de semaine, doù des sentiments daliénation.
Cest sur le plan familial que les perturbations sociales dues aux horaires décalés peuvent être les plus préjudiciables. Pour un travailleur, les rôles de parent, de garde, de compagnon et de partenaire sexuel peuvent aussi être sévèrement compromis par ce type dhoraires, et entraîner une mésentente conjugale et des problèmes avec les enfants (Colligan et Rosa, 1990). Les tentatives de lintéressé pour corriger ou éviter ces difficultés sociales peuvent entraîner, de surcroît, une diminution du temps de sommeil et, par suite, une baisse de la vigilance, de la sécurité et de la productivité.
Puisque les problèmes liés aux horaires de travail irréguliers ont des aspects multiples, il doit en être de même pour les solutions à rechercher. Les premiers points à résoudre concernent:
La sélection et la formation des salariés passent nécessairement par lidentification et le soutien des personnes risquant de connaître des difficultés dues à des horaires de travail décalés ou prolongés (personnes âgées ou ayant un grand besoin de sommeil, ou devant assumer de lourdes tâches domestiques ou effectuer de longs trajets). Ces personnes doivent aussi bénéficier dinformations sur les rythmes circadiens et sur lhygiène du sommeil, ainsi que de conseils en matière familiale (Monk et Folkard, 1992). La formation est un outil très puissant pour aider les personnes en question à faire face à la situation et les rassurer sur les causes de leurs difficultés. Le choix de lhoraire le mieux adapté devrait commencer par une prise de décision sur la nécessité réelle dhoraires décalés. Dans certains cas, le travail de nuit peut être réalisé dans de meilleures conditions à un autre moment de la journée (Knauth et Rutenfranz, 1982). Il faut également prendre en compte lhoraire le mieux adapté au travail dont il sagit, en gardant à lesprit la nature de lactivité et les caractéristiques démographiques des salariés en cause. Lamélioration du cadre de travail peut passer par une modification de léclairage ou linstallation dune cafétéria bien adaptée, par exemple.
Le choix dun horaire peut conduire à dimportantes perturbations biologiques, familiales et sociales pour lindividu. Les décisions doivent être prises en connaissance de cause, sur la base dune étude des exigences du travail et des caractéristiques démographiques des salariés. Tout changement dhoraire doit être précédé dune étude détaillée et dune consultation avec les intéressés et doit faire lobjet de réévaluations ultérieures.
Cet article est consacré aux relations existant entre les caractéristiques matérielles du lieu de travail et létat de santé du personnel. La conception du lieu de travail inclut toute une série déléments matériels qui constituent le cadre de travail, peuvent être observés et enregistrés de manière objective, puis modifiés par des interventions architecturales, des transformations internes ou une nouvelle conception du site. Pour les besoins de cet exposé, nous considérerons que létat de santé recouvre les multiples facettes du bien-être physique, mental et social des salariés (OMS, 1984). Nous examinerons donc toute une série daspects tels que la satisfaction au travail et le moral, la cohésion de léquipe de travail, la réduction du stress, la prévention des maladies et des accidents et les éléments environnementaux favorables à la santé.
Nous passerons en revue ci-après les observations empiriques qui démontrent les relations existant entre la conception du lieu de travail et la santé du personnel. Il nous a paru utile de décrire plus en détail certaines répercussions spécifiques. Dun point de vue écologique, les lieux de travail fonctionnent comme des systèmes complexes englobant de multiples conditions denvironnement social et physique qui se répercutent sur le bien-être des salariés (Levi, 1992; Moos, 1986; Stokols, 1992). Ainsi, les répercussions de lenvironnement sur la santé sont souvent de type cumulatif et impliquent parfois des interactions complexes entre lenvironnement sociophysique, les ressources individuelles et le tempérament (Oldham et Fried, 1987; Smith, 1987; Stellman et Henifin, 1983). De plus, les relations durables entre la personne et son environnement peuvent avoir une influence plus profonde sur létat de santé que nimporte quelle facette du poste de travail. Il en est ainsi du degré de maîtrise sur lactivité exercée, de la reconnaissance sociale de ce travail et de sa compatibilité avec les besoins et les capacités spécifiques du salarié, le tout formant un ensemble de facteurs perçus par lintéressé (Caplan, 1983; Karasek et Theorell, 1990; Parkes, 1989; Repetti, 1993; Sauter, Hurrell et Cooper, 1989). Les résultats des recherches présentées ici doivent être interprétés en tenant compte de ces réserves.
Les rapports entre la conception du cadre de travail et létat de santé des travailleurs peuvent être analysés à plusieurs niveaux:
Les recherches antérieures étaient principalement axées sur les deux premiers niveaux et ont prêté moins dattention aux deux derniers.
Lespace de travail va du bureau ou du poste de travail jusquà la limite matérielle ou théorique de cet espace. On a pu remarquer que plusieurs caractéristiques de lespace de travail pouvaient agir sur le bien-être du personnel. Différentes études ont montré que la délimitation physique du bureau ou du poste de travail, par exemple, influençait favorablement la sensation despace «privé» perçue par le travailleur, doù une appréciation positive du cadre de travail et une satisfaction professionnelle globale (Brill, Margulis et Konar, 1984; Hedge, 1986; Marans et Yan, 1989; Oldham, 1988; Sundstrom, 1986; Wineman, 1986). Il est apparu également que les espaces de travail ouverts étaient contraires à un bon climat social dans les groupes de travail (Moos, 1986) et entraînaient une incidence accrue des céphalées (Hedge, 1986). Il faut souligner cependant que la délimitation de lespace de travail peut avoir des répercussions sur la santé qui varient selon le type dactivité (tâches confidentielles ou non, travail en équipe ou isolé, voir Brill, Margulis et Konar, 1984), le statut professionnel (Sundstrom, 1986), la densité sociale adjacente à la zone de travail (Oldham et Fried, 1987) et le besoin dintimité et de tranquillité du salarié (Oldham, 1988).
Différentes études ont montré que la présence de fenêtres dans lespace de travail immédiat (notamment avec vue sur un cadre naturel ou un paysage), déléments naturels intérieurs (plantes, images de paysages sauvages) et dun décor personnalisé entraînait une plus grande satisfaction dans lemploi et sur le lieu de travail, ainsi quun moindre niveau de stress (Brill, Margulis et Konar, 1984; Goodrich, 1986; Kaplan et Kaplan, 1989; Steele, 1986; Sundstrom, 1986). Certaines études ont aussi prouvé que les salariés étaient plus satisfaits de leur milieu de travail et que leur stress était moindre lorsquils pouvaient régler eux-mêmes les conditions sonores, léclairage et la ventilation au niveau même de leur poste (Becker, 1990; Hedge, 1991; Vischer, 1989). Plusieurs programmes de recherche ont aussi mis en évidence les avantages que présentent pour la santé un mobilier et des équipements réglables et ergonomiques, en particulier une diminution de la tension oculaire, des lésions dhypersollicitation et des lombalgies (Dainoff et Dainoff, 1986; Grandjean, 1987; Smith, 1987).
La qualité de cet environnement est conditionnée par le périmètre immédiat du poste de travail. Elle revêt une importance extrême et influe sur le confort et le bien-être des personnes travaillant dans la même zone (ensemble de bureaux situés sur un même étage, par exemple). On peut citer comme paramètres de lenvironnement le bruit, la protection des conversations, la densité sociale, léclairage et la qualité de lair. Plusieurs études ont montré que les répercussions préjudiciables des nuisances sonores constantes et du manque de protection des communications se traduisent par un haut niveau de stress physiologique et psychologique et par une faible satisfaction dans lemploi (Brill, Margulis et Konar, 1984; Canter, 1983; Klitzman et Stellman, 1989; Stellman et Henifin, 1983; Sundstrom, 1986; Sutton et Rafaeli, 1987). Il est aussi apparu quune forte densité sociale à proximité immédiate du poste de travail créait des niveaux de stress élevés et entraînait une diminution de la satisfaction dans lemploi (Oldham, 1988; Oldham et Fried, 1987; Oldham et Rotchford, 1983).
Les répercussions des systèmes déclairage et de ventilation sur la santé ont également été étudiées. Lune des études a indiqué que léclairage fluorescent indirect à diffuseur dirigé vers le haut était mieux supporté et provoquait une moindre tension oculaire que léclairage fluorescent traditionnel dirigé vers le bas (Hedge, 1991). Il est également apparu que léclairage naturel influençait favorablement le niveau de satisfaction dans lemploi (Brill, Margulis et Konar, 1984; Goodrich, 1986; Vischer et Mees, 1991). Une autre étude a montré que les salariés exposés à des systèmes de climatisation présentaient plus fréquemment des troubles des voies respiratoires supérieures et des symptômes physiques que ceux dont le bâtiment était équipé dun système de ventilation naturelle ou mécanique (air non refroidi et non humidifié) (Burge et coll., 1987; Hedge, 1991).
Certaines caractéristiques de lenvironnement ambiant amélio-reraient le climat social et la cohésion des équipes de travail. Il en est ainsi lorsque des espaces sont réservés aux différentes équipes, à côté des bureaux et des postes de travail individuels (Becker, 1990; Brill, Margulis et Konar, 1984; Steele, 1986; Stone et Luchetti, 1985) et que des symboles dappartenance à lentreprise et aux équipes de travail sont affichés dans les halls, couloirs, salles de conférences, salles de repos et autres locaux à usage collectif (Becker, 1990; Danko, Eshelman et Hedge, 1990; Ornstein, 1990; Steele, 1986).
Il sagit ici des caractéristiques physiques intérieures des locaux de travail qui sont propres à lensemble dun bâtiment, mais qui nintéressent pas directement lespace de travail individuel ou son périmètre immédiat. Ainsi, le renforcement de la structure et de la résistance au feu des bâtiments et laménagement des cages descalier, des couloirs et des unités de production dans le dessein de prévenir les accidents constituent des mesures essentielles pour protéger la santé et assurer la sécurité sur le lieu de travail (Archea et Connell, 1986; Danko, Eshelman et Hedge, 1990). Les aménagements qui tiennent compte de la nécessité de rapprocher des unités amenées à collaborer régulièrement permettent daméliorer la coordination et la cohésion des équipes (Becker, 1990; Brill, Margulis et Konar, 1984; Sundstrom et Altman, 1989). Linstallation dun gymnase sur le lieu de travail est une bonne politique pour améliorer lhygiène de vie des salariés et les aider à gérer leur stress (ODonnell et Harris, 1994). Enfin, la mise en place de pancartes et de panneaux indicateurs lisibles, linstallation de salles de repos et de restauration agréables et lorganisation de crèches sont autant de mesures propres à améliorer la satisfaction dans lemploi et la gestion du stress (Becker, 1990; Brill, Margulis et Konar, 1984; Danko, Eshelman et Hedge, 1990; Steele, 1986; Stellman et Henifin, 1983; Vischer, 1989).
Lenvironnement extérieur du lieu de travail peut aussi avoir des effets sur la santé du personnel. Lune des études réalisées à ce sujet montre une relation entre la présence despaces de détente aménagés à lextérieur et un faible niveau de stress professionnel (Kaplan et Kaplan, 1989). Dautres chercheurs suggèrent que lemplacement géographique et lagencement du site peuvent être favorables au bien-être mental et physique du personnel si laccès aux aires de stationnement, aux transports publics, aux restaurants et aux magasins est facile, si lair est de bonne qualité et si les salariés sont protégés contre les risques de violences et dagressions (Danko, Eshelman et Hedge, 1990; Michelson, 1985; Vischer et Mees, 1991). Les effets de mesures de ce type sur la santé nont cependant pas encore été évalués sur la base des données empiriques.
Les études préliminaires sur les rapports entre lenvironnement et létat de santé du personnel révèlent certaines limites et indiquent plusieurs thèmes de recherches futures. Les premiers travaux avaient mis en lumière les effets que certains facteurs caractéristiques avaient sur la santé (délimitation de lespace de travail, mobilier, éclairage), mais avaient négligé les interactions entre les facteurs physiques, interpersonnels et organisationnels au niveau du bien-être. Les avantages dune amélioration de lenvironnement peuvent cependant être modulés par le climat social et par lorganisation de lentreprise (structures participatives ou non participatives, par exemple) (Becker, 1990; Parkes, 1989; Klitzman et Stellman, 1989; Sommer, 1983; Steele, 1986). Les interactions qui existent entre la conception du lieu de travail, les caractéristiques personnelles, les conditions sociales de lemploi et létat de santé du personnel devraient faire lobjet détudes complémentaires (Levi, 1992; Moos, 1986; Stokols, 1992). Les recherches futures devront aussi clarifier les définitions opérationnelles de certaines conceptions particulières (bureaux paysagers, par exemple) qui ont varié considérablement dune étude à lautre (Brill, Margulis et Konar, 1984; Marans et Yan, 1989; Wineman, 1986).
Il est apparu également que les facteurs personnels tels que le statut professionnel, le genre et le type de personnalité conditionnent les répercussions, sur la santé, de la conception du lieu de travail (Burge et coll., 1987; Oldham, 1988; Hedge, 1986; Sundstrom, 1986). Or, il est souvent difficile de distinguer les répercussions des caractéristiques environnementales des facteurs individuels (différences qui peuvent être liées, par exemple, à la délimitation de lespace de travail, à la qualité du mobilier et au statut professionnel) en raison des corrélations écologiques qui existent entre ces variables (Klitzman et Stellman, 1989). Il serait utile que les études futures faisant appel à des techniques expérimentales et des stratégies déchantillonnage permettent dévaluer les principaux retentissements interactifs des facteurs personnels et environnementaux sur la santé du personnel. Ces recherches devront également permettre délaborer des critères de conception spécialisés et des paramètres ergonomiques afin daméliorer létat de santé des groupes vulnérables (personnes handicapées, sujets âgés et femmes seules ayant des enfants à charge) (Michelson, 1985; Ornstein, 1990; Steinfeld, 1986).
Il faut souligner également que les premières recherches consacrées aux effets de la conception du lieu de travail sur la santé reposaient essentiellement sur des méthodes fondées sur lévaluation de la perception du cadre de travail et de létat de santé par les salariés eux-mêmes, doù certaines limites dans linterprétation des données (variance méthodologique courante) (Klitzman et Stellman, 1989; Oldham et Rotchford, 1983). La plupart de ces études faisaient appel à des protocoles transversaux et non longitudinaux, alors que ces derniers intègrent des évaluations comparatives portant sur des groupes actifs et des groupes témoins. Les études futures devraient se concentrer à la fois sur des recherches expérimentales en grandeur réelle et sur des stratégies multiméthodes. Elles devraient associer des techniques denquête à des observations et des enregistrements plus objectifs des conditions denvironnement, à des examens médicaux et, enfin, à des mesures physiologiques.
Il faut ajouter enfin que les études préliminaires se sont beaucoup moins attachées aux conséquences de lagencement des bâtiments, des aménagements extérieurs et de lorganisation du lieu de travail quaux caractéristiques ambiantes les plus immédiates de lespace de travail. Les recherches futures devront aussi analyser en détail leffet de facteurs denvironnement moins immédiats.
Le tableau 34.1 récapitule les effets possibles, sur la santé, des différents aspects de lenvironnement analysés dans les recherches citées plus haut. Ce tableau présente, regroupées en quatre niveaux, les caractéristiques du cadre de travail qui sont apparues empiriquement associées à une amélioration de la santé mentale, physique et sociale (niveaux 1 et 2 particulièrement) ou qui ont été identifiées comme déventuels points daction pour améliorer le bien-être des salariés (certains des aspects mentionnés pour les niveaux 3 et 4).
Niveaux de conception de l’environnement |
Caractéristiques de l’environnement du poste de travail |
Répercussions émotionnelles, sociales et physiques |
Espace de travail immédiat |
Délimitation physique de l’espace de travail |
Protection de la sphère privée et satisfaction au travail |
Environnement de l’espace de travail |
Protection des conversations et insonorisation |
Diminution du stress physiologique et émotionnel |
Agencement des bâtiments |
Proximité des unités amenées à collaborer |
Amélioration de la coordination et de la cohésion |
Aménagements extérieurs et organisation du site |
Zones de détente extérieures |
Augmentation de la cohésion, réduction du stress |
Lintégration de ces éléments dans la conception du cadre de travail devrait en principe être combinée à des mesures dorganisation et de gestion des locaux visant à maximiser les effets bénéfiques pour la santé. Parmi ces mesures, on peut citer:
Les efforts dorganisation visant à améliorer le bien-être du personnel pourraient être plus efficaces en combinant des politiques complémentaires de conception de lenvironnement et de gestion des installations, plutôt quen comptant exclusivement sur lune ou lautre de ces solutions.
Lobjet de cet article est de montrer linfluence des paramètres ergonomiques sur les aspects psychosociaux du travail, lappréciation du cadre de travail, la santé et le bien-être du personnel. La principale hypothèse concernant lenvironnement matériel, les contraintes de lemploi et les facteurs techniques suppose quune mauvaise conception du cadre de travail et des activités peut être à lorigine de perceptions négatives, dun stress psychologique et de problèmes de santé (Smith et Sainfort, 1989; Cooper et Marshall, 1976).
Lergonomie industrielle est une science qui consiste à adapter le cadre de travail et les activités professionnelles aux capacités, aux aspirations et aux besoins des personnes. Lergonomie aborde le cadre de travail physique, la conception des outils et des procédés techniques, la conception du poste de travail, les exigences liées à lemploi, ainsi que les contraintes physiologiques et biomécaniques imposées à lorganisme. Son objectif est de renforcer ladéquation entre le salarié, son cadre de travail, ses outils et les impératifs professionnels. Lorsque ladéquation est mauvaise, il peut en découler des problèmes de stress et de santé. Les nombreuses relations qui existent entre les exigences du travail et la détresse psychologique sont abordées ailleurs dans ce chapitre ainsi que par Smith et Sainfort (1989) qui définissent la théorie de léquilibre entre le stress professionnel et la conception de lemploi. Léquilibre est obtenu en faisant intervenir différents aspects de la conception du travail pour contrebalancer les facteurs de stress. Le concept déquilibre est important dans lanalyse des considérations ergonomiques et des problèmes de santé. Ainsi, linconfort et les troubles dus à de mauvaises conditions ergonomiques peuvent rendre lindividu plus vulnérable au stress professionnel et aux troubles psychologiques, ou intensifier les effets somatiques du stress professionnel.
Selon Smith et Sainfort (1989), parmi les différentes sources de stress professionnel, on peut citer:
Smith (1987), Cooper et Marshall (1976) ont étudié les caractéristiques du lieu de travail qui peuvent être des sources de stress psychique. Ils ont cité la charge de travail inadaptée, les pressions excessives, les environnements hostiles, lambiguïté des rôles, labsence de tâches intéressantes, les surcharges cognitives, les mauvaises relations hiérarchiques, labsence de maîtrise sur les tâches ou labsence de pouvoir de décision, les mauvaises relations avec les autres salariés et le manque de soutien de lentourage, quil sagisse de la hiérarchie, des collègues ou de la famille.
Des conditions ergonomiques défavorables peuvent être à lorigine de troubles visuels, musculaires et psychologiques tels que fatigue oculaire, algie ou tension oculaire, céphalées, fatigue extrême, douleurs musculaires, pathologie dhypersollicitation, dorsalgies, tension psychologique, anxiété et dépression. Ces phénomènes sont parfois passagers et disparaissent lorsque la personne change demploi, peut se reposer en cours de journée ou bénéficie dune amélioration du cadre de travail. Lorsque les conditions ergonomiques sont systématiquement mauvaises, ces phénomènes peuvent devenir permanents. Les troubles visuels et musculaires ainsi que les douleurs diverses peuvent être sources dangoisse. Il peut en résulter un stress psychique ou une exacerbation des effets stressants dautres éléments défavorables. Les troubles visuels et locomoteurs peuvent conduire à des pertes fonctionnelles ou à des handicaps qui seront sources danxiété, de dépression, de colère ou de mélancolie. Il existe une relation synergique entre les troubles dus à linadéquation ergonomique; il se crée alors un cercle vicieux dans lequel linconfort visuel ou musculaire augmente le stress psychique, ce qui accroît la sensibilité à la douleur oculaire et musculaire, et accentue encore le stress.
Smith et Sainfort (1989) ont défini cinq éléments du système de travail, qui sont importants pour la conception des emplois et qui sont liés aux causes et à la maîtrise du stress: 1) la personne; 2) lenvironnement physique de travail; 3) les tâches; 4) la technologie; et 5) lorganisation du travail. Nous examinerons ci-après tous ces éléments, à lexception des facteurs liés à la personne.
Lenvironnement physique donne lieu à des sollicitations sensorielles qui influent sur les capacités visuelles, auditives et tactiles de lindividu. Il sagit de facteurs tels que la qualité, la température et lhumidité de lair. Le bruit est lun des premiers facteurs ergonomiques responsables du stress (Cohen et Spacapan, 1983). Lorsque les conditions physiques entraînent une mauvaise adéquation aux besoins et capacités du personnel, il en résulte une fatigue générale et sensorielle, ainsi quune frustration professionnelle. Ces phénomènes peuvent conduire à un stress psychique (Grandjean, 1968).
Différents facteurs techniques peuvent perturber les salariés: commandes et affichages inadéquats, mauvaises réponses des commandes, affichage de médiocre qualité sensorielle, caractéristiques de fonctionnement difficiles à comprendre, équipement gênant le travailleur et pannes (Sanders et McCormick, 1993; Smith et coll., 1992a). Les recherches ont montré quen cas de problèmes de ce type, les salariés font davantage état de stress physique et psychique (Smith et Sainfort, 1989; Sauter, Dainoff et Smith, 1990).
Deux facteurs ergonomiques particulièrement critiques inhérents aux tâches ont été associés au stress professionnel: la charge de travail et la pression (Cooper et Smith, 1985). Un travail excessif ou insuffisant est générateur de stress, de même que les heures supplémentaires non souhaitées. Lorsque le travail doit se faire sous la pression des délais, pour respecter un calendrier ou pour faire face à une charge de travail constamment élevée par exemple, il en résulte également un stress sévère. Dautres facteurs critiques ont été liés au stress: travail rythmé par la machine, manque de contenu cognitif des tâches et absence de possibilité de contrôle des opérations. Dun point de vue ergonomique, les charges de travail devraient être définies par des méthodes scientifiques telles que létude des temps et des mouvements (BIT, 1996) et ne devraient pas dépendre dautres critères tels que le rendement des investissements ou les capacités technologiques.
Trois facteurs ergonomiques liés à lorganisation du travail peuvent être à lorigine dun stress psychique: le travail posté, les emplois rythmés par la machine ou le travail à la chaîne et les heures supplémentaires non souhaitées (Smith, 1987). On a constaté que le travail posté perturbait le rythme biologique et les fonctions physiologiques élémentaires (Tepas et Monk, 1987; Monk et Tepas, 1985). Les tâches rythmées par la machine et le travail à la chaîne à faible contenu cognitif, à cycles courts et nautorisant aucune maîtrise des opérations sont des sources de stress (Sauter, Hurrell et Cooper, 1989). Les heures supplémentaires non souhaitées peuvent entraîner une fatigue et des réactions psychologiques négatives telles que colère et troubles de lhumeur (Smith, 1987). Les travaux rythmés par la machine, les heures supplémentaires non souhaitées et la conscience du manque dautonomie ont aussi été associés à un syndrome psychogène de masse (Colligan, 1985).
Il y a fort longtemps que létude du travail et de la santé sintéresse aux concepts dautonomie et de contrôle des tâches. La notion dautonomie, cest-à-dire le degré dinitiative dont les travailleurs disposent dans leur travail, est celle qui est la plus étroitement liée aux théories qui cherchent à résoudre la difficulté de concevoir le travail de façon quil soit intrinsèquement motivant, satisfaisant et générateur dun bien-être physique et mental. Dans pratiquement toutes ces théories, cette notion dautonomie joue un rôle clé. Le terme «contrôle» (défini ci-après) a généralement une acceptation plus large que celui dautonomie. On pourrait en fait considérer que lautonomie est un aspect particulier du concept plus général de contrôle. Cest ce terme, parce quil est plus global, que nous utiliserons dans la suite de cet article.
Tout au long des années quatre-vingt, la notion de contrôle a été au cur de la théorie prédominante du stress professionnel (voir, par exemple, létude bibliographique publiée sur ce sujet par Ganster et Schaubroeck, 1991b). Cette théorie, généralement connue sous le nom de «modèle exigences/autonomie» ou encore de «latitude décisionnelle», de Karasek (1979) (voir larticle ci-avant de cet auteur), a suscité de nombreuses études épidémiologiques à grande échelle qui sinterrogeaient sur les effets conjugués du contrôle et de toute une série de contraintes professionnelles sur la santé du travailleur. En dépit de certaines controverses sur la manière exacte dont ce contrôle pouvait entrer en ligne de compte dans les problèmes de santé, les épidémiologistes et les psychologues dentreprise ont fini par considérer quil sagissait là dun paramètre essentiel quil importait de prendre en considération dans toute étude des facteurs psychosociaux du stress au travail. Par exemple, cette préoccupation quant aux effets préjudiciables que pouvait avoir un pouvoir de contrôle trop limité du travailleur a pris une telle ampleur, que lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)), aux Etats-Unis, a organisé en 1987 un séminaire réunissant des spécialistes de lépidémiologie, de la psychophysiologie et de la psychologie du travail et des organisations pour étudier tout ce qui avait été écrit sur linfluence de ce pouvoir de contrôle sur la santé et le bien-être des salariés. A la suite de ce séminaire, un ouvrage exhaustif a été publié par Sauter, Hurrell et Cooper (1989), qui analyse lensemble des recherches sur la question. Le fait que soit ainsi reconnu très largement le rôle du pouvoir de contrôle dans le bien-être des travailleurs a également influencé la politique de certains gouvernements. Cest ainsi quen Suède la loi sur le milieu de travail (Ministry of Labour, 1987) dispose que «les emplois doivent être organisés de telle manière que le salarié lui-même puisse influer sur ses conditions de travail». Dans la suite du présent article, nous avons résumé les travaux de recherche sur le pouvoir de contrôle au travail de façon que le spécialiste de la sécurité et de la santé au travail puisse y trouver:
Tout dabord, quentend-on exactement par cette notion de contrôle? Dans son acception la plus large, il sagit de la capacité qua le travailleur dinfluer réellement sur ce qui se passe dans le cadre de son travail. Il convient en outre de considérer cette capacité dagir sur son travail à la lumière des objectifs personnels de lintéressé. Elle concerne en effet la possibilité quil a davoir une influence sur des questions qui ont trait à ses objectifs personnels. Laccent ainsi mis sur la possibilité dagir permet de distinguer cette notion du concept de prévisibilité qui lui est apparenté. La prévisibilité se réfère, par exemple, à la possibilité qua lintéressé danticiper ce qui va lui être demandé, mais elle nimplique pas quil puisse modifier cette demande. Labsence de prévisibilité est en soi une source de stress, notamment en cas de forte ambiguïté quant aux méthodes à adopter pour être efficaces ou même aux perspectives davenir que peut offrir lentreprise. Il convient également détablir une distinction entre la notion de contrôle sur les tâches et le concept plus global de la complexité du poste. Les premières études sur le contrôle y incluaient dautres aspects tels que le niveau de compétence et lexistence dinteractions sociales. Dans notre discussion, nous avons séparé le contrôle de ces autres aspects de la complexité du poste.
Il est intéressant dexaminer les mécanismes grâce auxquels les travailleurs sont susceptibles dexercer ce contrôle, ainsi que les domaines où il peut lêtre. Lun des moyens dont dispose le travailleur est de prendre des décisions, en tant quindividu, sur le choix des tâches à accomplir, leur chronologie ou les normes et procédures à appliquer, pour ne citer que quelques exemples. Le travailleur peut jouir également dun certain pouvoir de contrôle collectif par le biais dune représentation ou dune action conjointe avec ses collègues de travail. En ce qui concerne les domaines où sexerce ce contrôle, on citera des questions telles que les cadences, limportance des échanges avec les collègues et le moment auquel elles ont lieu, les conditions matérielles du travail (éclairage, bruit et espace privé), le calendrier des congés ou même lorganisation du travail en général. Enfin, il y a lieu détablir également une distinction entre contrôle objectif et contrôle subjectif. Cest ainsi quun salarié peut, sans en être conscient, avoir la possibilité de choisir son rythme de travail ou, à linverse, simaginer avoir une influence sur la façon dont le travail est organisé alors quen réalité il nen a pratiquement aucune.
Comment un spécialiste de la sécurité et de la santé au travail peut-il évaluer le niveau de contrôle propre à une situation donnée? Selon les études publiées sur la question, cette évaluation se fait essentiellement selon deux méthodes. La première consiste à déterminer ce contrôle en fonction de la profession. Tout travailleur exerçant une profession donnée est considéré comme ayant le même degré de contrôle, étant entendu que celui-ci est fonction de la nature même de la profession exercée. Cette approche a pour inconvénient de faire abstraction de la façon dont le travailleur se comporte dans un milieu de travail particulier où son pouvoir de décision peut dépendre autant de la politique et des pratiques de lemployeur que de son statut dans la profession. La deuxième méthode, qui est la plus courante, consiste à interroger les travailleurs sur la perception subjective quils ont de ce pouvoir de contrôle. Il existe aujourdhui un certain nombre de protocoles dévaluation valables sur le plan psychométrique et faciles à mettre en uvre. Léchelle mise au point par le NIOSH, par exemple (McLaney et Hurrell, 1988), comporte 16 questions et donne des moyens dévaluation du contrôle en ce qui concerne les tâches, les décisions, les ressources et lenvironnement physique. Des échelles de ce genre sont faciles à intégrer dans une évaluation des problèmes de sécurité et de santé au travail.
Le contrôle est-il un facteur déterminant de la sécurité et de la santé du travailleur? Cette question a fait lobjet de nombreux travaux de recherche depuis 1985 au moins. Etant donné que dans la plupart des cas, il sagissait denquêtes de terrain non expérimentales dans lesquelles le contrôle navait pas fait lobjet de variations délibérées, les résultats de ces enquêtes ne font état que dune corrélation systématique entre le contrôle et certaines constatations en matière de sécurité et de santé. Ce manque de données expérimentales ne nous permet pas daffirmer quil existe une relation de cause à effet directe entre les deux, mais les corrélations observées montrent dans tous les cas que les travailleurs qui ont peu de pouvoir de contrôle dans leur travail font plus souvent état de troubles physiques et psychologiques. Ces observations incitent donc fortement à penser quun bon moyen daméliorer la santé et le bien-être des travailleurs est daccroître le contrôle quils peuvent exercer sur leurs tâches. Une question plus controversée est celle de savoir dans quelle mesure un tel contrôle influe sur les autres sources psychosociales de stress et leurs éventuelles répercussions sur la santé. En dautres termes, un pouvoir de contrôle plus étendu peut-il contrebalancer les effets préjudiciables dautres contraintes professionnelles? Cest là une question qui mérite que lon sy attarde car, sil en est ainsi, on pourrait en conclure que les effets nocifs dune surcharge de travail, par exemple, pourraient être compensés en renforçant le pouvoir de contrôle du travailleur sans avoir à diminuer cette surcharge. Toutefois, les observations faites ne sont pas concordantes et lon compte autant dauteurs qui ont constaté lexistence dune telle interaction que ceux qui la contestent. On ne saurait donc considérer le pouvoir de contrôle comme une panacée capable de résoudre tous les problèmes provoqués par dautres facteurs de stress psychosociaux.
Les travaux des spécialistes de lorganisation du travail semblent indiquer que le fait daccroître le pouvoir de contrôle des travailleurs sur leurs tâches peut améliorer de façon significative leur état de santé et leur bien-être. Dautre part, il est aussi relativement facile de détecter les cas où ce contrôle est limité grâce à quelques enquêtes très simples. Comment le spécialiste peut-il intervenir? Il dispose dautant de moyens quil y a de domaines où ce contrôle peut sexercer. Cela peut aller de la participation du salarié aux décisions qui le concernent jusquà une redéfinition complète de son poste de travail. Lessentiel est que ce contrôle sexerce dans des domaines ayant un rapport avec les objectifs de lintéressé lui-même et quil corresponde aux exigences du poste. La meilleure façon de déterminer ces domaines est sans doute dimpliquer les salariés par des réunions conjointes de diagnostic et de recherche de solutions. Il convient de noter toutefois que, dans bien des cas, les modifications à apporter pour améliorer réellement le pouvoir de contrôle des travailleurs supposent souvent des changements fondamentaux dans les politiques et les styles de gestion. Accroître ce contrôle peut seffectuer de façon très simple, par exemple en posant un interrupteur qui permette au travailleur de contrôler la cadence dune machine, comme il peut nécessiter aussi une transformation totale des modes de participation du personnel aux décisions. Aussi, est-il indispensable généralement que les responsables de lorganisation du travail soient des partisans convaincus de toute mesure de nature à renforcer le contrôle des salariés sur leurs tâches.
Dans cet article, nous passerons en revue les raisons qui expliquent pourquoi certaines tâches sont rythmées par les machines. Nous présenterons également une classification de ce type de tâches et nous y évoquerons les répercussions quil peut avoir sur le bien-être du personnel ainsi que les solutions possibles pour en atténuer ou réduire les effets.
Le travail rythmé par la machine présente certains avantages pour lentreprise:
La figure 34.7 présente une classification de ce type de travaux.
Des recherches ont été effectuées aussi bien en laboratoire quen entreprise (études de cas et expérimentations contrôlées) et dans le cadre détudes épidémiologiques (Salvendy, 1981).
Burke et Salvendy (1981) ont analysé 85 études consacrées aux tâches rythmées par la machine et aux travaux accomplis en autonomie; 48% de ces tâches avaient été effectuées en laboratoire et 30% en milieu industriel; 14% étaient des revues de travaux de recherche, 4% des études associant des expériences en laboratoire et des enquêtes en entreprise et 4% des études théoriques. Sur les 103 variables examinées dans ces études, 41% concernaient la physiologie, 32% les performances et 27% la psychologie. Cette analyse a permis de tirer les conclusions pratiques suivantes sur ces deux systèmes dorganisation du travail:
Travail rythmé par la machine |
Rythme de travail autonome |
Type d’individus |
Type d’individus |
Moins intelligents |
Plus intelligents |
Timorés |
Sûrs d’eux |
Concrets |
Imaginatifs |
Directs |
Astucieux |
Dépendants d’un groupe |
Indépendants |
Une étude effectuée sur les travailleurs de lindustrie pendant une année entière, dans des conditions expérimentales contrôlées, a permis de recueillir plus de 50 millions de données qui ont montré que 45% des actifs préfèrent les travaux à rythme autonome, 45% préfèrent les travaux rythmés par la machine et 10% naiment aucun des deux systèmes (Salvendy, 1976).
Lincertitude est le facteur qui contribue le plus au stress. Elle peut être maîtrisée efficacement par un système permettant au travailleur de connaître sa performance (voir figure 34.8) (Salvendy et Knight, 1983).
Linformatique a permis de développer un nouveau moyen de contrôler le travail, à savoir la «surveillance électronique de la performance» (SEP). On entend par là le processus informatisé de collecte, de stockage, danalyse et de communication en continu dinformations sur le travail des salariés (Office of Technology Assessment (OTA), 1987). Bien quelle soit interdite dans de nombreux pays européens, la SEP est de plus en plus utilisée dans le monde, sous leffet des pressions considérables en faveur de laugmentation de la productivité quimpose la concurrence dans le cadre dune économie mondialisée.
La SEP a transformé lenvironnement psychosocial du travail. Cette application de la technologie informatique a dimportantes répercussions en termes de contrôle du travail, dexigences relatives au volume de travail, dévaluation de la performance, denregistrement des résultats, de gratifications, déquité et de confidentialité. Cest la raison pour laquelle les spécialistes de la santé au travail, les représentants des salariés, les organismes gouvernementaux et les médias ont exprimé leur inquiétude quant aux conséquences que peut avoir pour la santé le stress quimplique la surveillance électronique de la performance (OTA, 1987).
Les méthodes classiques de surveillance du travail font appel à lobservation directe des comportements, au contrôle déchantillons de travail, à lexamen des rapports individuels et à lanalyse des paramètres de performance (Larson et Callahan, 1990). Par le passé, les employeurs se sont toujours efforcés daméliorer ces méthodes de surveillance, si bien quen cela la SEP ne constitue pas une innovation. La nouveauté réside dans ce que la SEP est maintenant utilisée dans les bureaux et pour les activités de service où elle permet denregistrer les résultats des employés à la seconde près, ou à la frappe près, de sorte que la gestion du travail, que ce soit sous la forme de modifications, de notifications des résultats, dincitations salariales ou de mesures disciplinaires (Smith, 1988), peut intervenir à tout moment. En fait, le surveillant humain a été remplacé par un surveillant électronique.
On utilise la SEP dans les travaux de bureau tels que le traitement de texte et la saisie des données pour vérifier la vitesse de frappe et le taux derreurs. Les agents chargés de la réservation dans les compagnies aériennes et les préposés aux renseignements téléphoniques sont surveillés par des ordinateurs qui vérifient les délais de réponse auprès des clients et déterminent la fréquence des appels. Des secteurs plus traditionnels de léconomie font également appel à la SEP. Les sociétés de transport utilisent des ordinateurs pour contrôler la vitesse des chauffeurs et la consommation de carburant. Les fabricants de pneus surveillent par des systèmes électroniques la productivité de leur personnel. En résumé, la SEP est employée pour établir des normes de performance, surveiller le rendement des salariés, comparer les performances réelles à des normes prédéterminées et gérer en conséquence des programmes dincitation salariale (OTA, 1987).
Les partisans de la SEP font valoir que cette surveillance constante du travail par des moyens électroniques est indispensable si lon veut atteindre le rendement et la productivité élevés que nécessite le monde du travail actuel. Ils estiment que la SEP permet aux cadres dirigeants et aux agents de maîtrise de gérer et contrôler les ressources humaines, matérielles et financières. Plus précisément, la SEP permet:
Ils font également valoir quelle présente plusieurs avantages pour le travailleur. Elle lui permet dêtre régulièrement informé de ses performances et, le cas échéant, de prendre les mesures qui simposent. Elle répond également à son besoin dautoévaluation et réduit la marge dincertitude sur ses résultats.
Malgré les avantages que présente la SEP, on peut craindre quelle ne donne lieu à certaines pratiques abusives et ne constitue une atteinte au respect de la sphère privée des salariés (OTA, 1987). Il en est ainsi notamment lorsque le calendrier ou la fréquence des contrôles ne sont pas connus du personnel. Dans la mesure où la plupart des entreprises ne communiquent pas les données ainsi recueillies, il se pose aussi le problème de laccès des travailleurs à leurs relevés de performances, et celui de leur droit de contester ces résultats.
Les travailleurs ont eux aussi soulevé des objections sur la manière dont les systèmes de surveillance ont été mis en place (Smith, Carayon et Miezio, 1986; Westin, 1986). Dans certains lieux de travail, la surveillance est considérée comme une pratique déloyale lorsquelle sert à mesurer le rendement individuel et non celui dune équipe. Les travailleurs ont critiqué en particulier que lon utilise cette méthode pour imposer des normes de rendement qui se traduisent par des charges de travail excessives. La surveillance électronique peut aussi rendre le processus de travail plus impersonnel en remplaçant le surveillant humain par un surveillant électronique. De plus, la recherche de la productivité risque dinciter les travailleurs à se concurrencer plutôt quà coopérer.
Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour rendre compte des effets stressants éventuels de la SEP (Amick et Smith, 1992; Schleifer et Shell, 1992; Smith et coll., 1992b). La plupart de ces modèles indiquent que la SEP a un effet indirect sur le stress et la santé dans la mesure où elle intensifie les contraintes liées à la charge de travail, diminue le pouvoir de contrôle sur les tâches et réduit le soutien social. En fait, la SEP impose des modifications de lenvironnement psychosocial du travail, qui créent un déséquilibre entre les exigences du poste et la capacité du travailleur de sy adapter.
Limpact de la SEP sur lenvironnement psychosocial du travail se fait sentir à trois niveaux du système de travail: à linterface entreprise-technologie, à linterface poste-technologie et à linterface opérateur-technologie (Amick et Smith, 1992). Limportance de la transformation du système de travail et de ses conséquences en termes de stress est fonction des caractéristiques intrinsèques de la SEP, cest-à-dire de la nature des informations recueillies, de la méthode de collecte de ces informations et de lutilisation qui en est faite (Carayon, 1993). Ces caractéristiques peuvent elles-mêmes agir sur plusieurs caractéristiques des postes de travail et accroître les risques de stress.
On peut aussi considérer dun point de vue théorique que la SEP constitue un facteur de stress directement générateur de tension, indépendamment des autres facteurs de stress liés à la conception même du poste (Smith et coll., 1992b; Carayon, 1994). Ainsi, la SEP peut être une source de crainte et de tension dans la mesure où le travailleur se sent constamment surveillé par «Big Brother». Elle peut également être vécue par les travailleurs comme une intrusion qui menace gravement leur sphère privée.
En ce qui concerne les effets de stress que peut avoir la SEP, les données empiriques recueillies dans le cadre de certaines expériences en laboratoire montrent quelle peut provoquer des troubles de lhumeur (Aiello et Shao, 1993; Schleifer, Galinsky et Pan, 1995) et des réactions hyperventilatoires de stress (Schleifer et Ley, 1994). Les études sur le terrain ont également montré que la SEP modifie les facteurs de stress liés à la conception des postes (charge de travail, par exemple), ce qui déclenche en cascade une tension ou une anxiété et de la dépression (Smith, Carayon et Miezio, 1986; DiTecco et coll., 1992; Smith et coll., 1992b; Carayon, 1994). La SEP a également été associée à des troubles ostéoarticulaires et musculaires chez des employés des télécommunications et des opérateurs de saisie (Smith et coll., 1992b; Sauter et coll., 1993; Schleifer, Galinsky et Pan, 1995).
Le recours à la SEP dans le but dimposer des normes de performance est sans doute lun des aspects les plus stressants de cette méthode de contrôle du travail (Schleifer et Shell, 1992). Dans un tel cas, il y a lieu dadapter les normes de performance pour tenir compte de ce facteur de stress (Schleifer et Shell, 1992); une certaine marge de tolérance sera ajoutée à la durée normale du cycle, comme on a coutume de le faire pour les pauses ou les retards de la machine. En particulier, pour les travailleurs qui ont du mal à respecter les normes de rendement, une tolérance de ce genre permettrait doptimiser la charge de travail tout en améliorant le bien-être du travailleur, les avantages de la SEP sur le plan de la productivité compensant le stress provoqué par cette méthode de contrôle.
En dehors même des solutions à trouver pour atténuer ou prévenir les effets stressants de la SEP, une question plus fondamentale se pose qui est celle de savoir si une approche tayloriste de ce genre est vraiment utile dans le monde daujourdhui. De plus en plus souvent, les entreprises ont recours à des méthodes sociotechniques dorganisation du travail, à des pratiques de gestion fondées sur la notion de «qualité totale», à la création de groupes de travail participatifs et à une évaluation collective plutôt quindividuelle de la performance. Il se pourrait donc que la surveillance électronique individualisée et en continu nait pas sa place dans les systèmes de travail à haute performance. A cet égard, il est intéressant de noter que les pays qui ont interdit la SEP (la Suède et lAllemagne, par exemple) sont justement ceux qui ont été les premiers à adopter les principes et les pratiques associés aux systèmes de travail à haute performance.
On entend par rôles lensemble des comportements que lentreprise attend de ses salariés. Pour comprendre lévolution des rôles dans lentreprise, il est très utile de se placer du point de vue dun nouvel arrivant. Lors de sa première journée de travail, il est confronté à une masse considérable dinformations destinées à lui faire connaître ce que lentreprise attend de lui. Une partie de ces informations est présentée de manière précise par une description des tâches donnée par écrit et lors dentretiens réguliers avec le supérieur hiérarchique. Hackman (1992) estime que les travailleurs reçoivent aussi toute une série de communications non formelles (stimuli ponctuels) , destinées à préciser leur rôle dans lentreprise. Ainsi, le jeune collaborateur trop loquace lors dune réunion de service sattirera-t-il peut-être les regards réprobateurs de ses collègues plus anciens. Ces signes sont subtils, mais en disent long sur ce que lon attend du nouveau venu.
En principe, la définition des rôles devrait être telle que chacun comprenne clairement celui qui lui incombe. Malheureusement, il nen va pas souvent ainsi et les salariés connaissent lincertitude due à lambiguïté des rôles. Selon Breaugh et Colihan (1994), il est fréquent que les travailleurs ne sachent pas très bien comment aborder leur travail, à quel moment effectuer certaines tâches et quils ne connaissent pas les critères dévaluation du travail. Dans certains cas, il est simplement difficile de fournir au salarié une image parfaitement claire de son rôle. Par exemple, quand un poste est relativement nouveau et quil continue à «évoluer» au sein de lentreprise. En outre, le travailleur dispose dune très grande souplesse dans la façon deffectuer son travail, ce qui est notamment le cas pour les activités très complexes. Dans bien des situations cependant, lambiguïté des rôles est simplement due à une mauvaise communication entre les supérieurs hiérarchiques et leurs collaborateurs ou entre les membres de léquipe de travail.
Toutefois, il peut arriver quen clarifiant le rôle dun salarié on lui impose une surcharge de responsabilités. En dautres termes, les responsabilités sont trop nombreuses pour être assumées dans un délai raisonnable. Ce phénomène peut avoir différentes causes. Dans certaines professions, cette surcharge est la norme. Il en est ainsi des médecins en formation, ce qui a principalement pour but de les préparer aux exigences de la pratique médicale. Dans dautres cas, il sagit de circonstances temporaires. Ainsi, lorsquun salarié quitte une entreprise, le rôle des autres membres du personnel risque dêtre temporairement alourdi pour compenser cette absence. Dans dautres cas, les entreprises nont pas anticipé les contraintes liées aux différentes fonctions; il arrive aussi que certains rôles évoluent dans le temps ou quun salarié prenne volontairement trop de responsabilités.
Quelles sont les conséquences pour les travailleurs dune définition insuffisante de la clarté ou de la surcharge des rôles? Des années de recherches sur lambiguïté des rôles ont montré quil sagit dun état nocif associé à des répercussions psychologiques, physiques et comportementales négatives (Jackson et Schuler, 1985). Ainsi, les salariés qui ont le sentiment dune ambiguïté dans leur travail sont généralement insatisfaits, se montrent anxieux et nerveux, et ont tendance à faire état de nombreux troubles somatiques, à sabsenter du travail et même à donner leur démission. Le corrélat le plus fréquent de la surcharge des rôles semble être lépuisement physique et émotionnel. Les recherches épidémiologiques ont également montré que les individus surmenés (ce surmenage étant reflété par leurs horaires de travail) présentent un risque accru de cardiopathie coronarienne. Lorsquon considère les effets aussi bien de lambiguïté que de la surcharge des rôles, il faut garder à lesprit que la plupart des études sont transversales (cest-à-dire quelles mesurent les facteurs de stress et leurs effets à un moment donné) et quelles analysent les répercussions sur la base dautoévaluations. On ne saurait donc en tirer des conclusions définitives sur la relation de cause à effet.
Sachant les effets négatifs que peuvent avoir lambiguïté et la surcharge des rôles, il est important pour une entreprise de réduire au minimum et, si possible, déliminer ces facteurs de stress. Puisque lambiguïté des rôles tient souvent à une mauvaise communication, il est nécessaire de faire en sorte dexpliquer plus efficacement les fonctions confiées. Dans un ouvrage, French et Bell (1990) décrivent les mesures à prendre à cette fin telles que la représentation graphique des responsabilités, lanalyse des rôles et la négociation des rôles (un exemple de représentation graphique des responsabilités est donné dans larticle de Schaubroeck et coll., 1993). Chacune de ces méthodes a pour objet dexpliciter et de définir clairement les obligations découlant du rôle de chacun. Elles permettent également de donner aux salariés la possibilité de participer à la définition de leur propre rôle.
Lorsque les rôles sont ainsi explicités, cette clarification peut aussi révéler que les responsabilités qui en découlent ne sont pas équitablement réparties entre les salariés. Les mesures énumérées ci-dessus peuvent donc éviter en outre la surcharge des rôles. Enfin, les entreprises doivent se tenir à jour en ce qui concerne les responsabilités de chacun par un contrôle régulier des descriptions des tâches et par des analyses de postes (Levine, 1983). Il peut être utile également dinciter les salariés à ne pas accepter plus de responsabilités quils ne peuvent assumer. Dans certains cas, il appartient au salarié à qui lon veut imposer de trop lourdes tâches, de se montrer plus ferme au moment de négocier son rôle dans lentreprise.
Rappelons enfin que lambiguïté et la surcharge des rôles sont des notions subjectives et que les efforts visant à réduire ces facteurs de stress doivent prendre en compte les différences individuelles. Si certains travailleurs apprécient le défi représenté par ces facteurs de stress, dautres ne le supportent pas. Dans ce cas, les entreprises ont tout intérêt, aussi bien du point de vue moral, juridique que financier, de faire en sorte que ces facteurs restent à des niveaux maîtrisables.
Pendant longtemps, le harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes au travail a été ignoré, nié, excusé, voire implicitement admis, et ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui en ont porté le blâme (MacKinnon, 1978). Les victimes du harcèlement sexuel sont presque toujours des femmes et le problème sest posé à partir du moment où elles ont commencé à travailler hors de chez elles.
Bien que le harcèlement sexuel puisse se produire en dehors du lieu de travail, nous nous limiterons ici au cadre purement professionnel.
Le harcèlement sexuel nest pas un flirt innocent ni lexpression dune attirance mutuelle entre hommes et femmes; il sagit au contraire dun facteur de stress qui représente une menace pour lintégrité et la sécurité physique et psychique de la femme, et cela dans un contexte sur lequel lintéressée a peu de prise en raison des représailles dont elle peut être victime et du risque de perdre ses moyens dexistence. Comme dautres facteurs de stress au travail, le harcèlement sexuel peut avoir des conséquences parfois très graves pour la santé des travailleuses et, en tant que tel, il constitue donc bien un problème de sécurité et de santé au travail (Bernstein, 1994).
Aux Etats-Unis, le harcèlement sexuel est principalement considéré comme un cas de conduite individuelle inconvenante auquel on est en droit de répondre par un blâme et des sanctions juridiques à lencontre de celui qui en est la cause. Au sein de la Communauté européenne, il est vu plutôt comme un problème collectif de sécurité et de santé (Bernstein, 1994).
Du fait de la diversité de ses manifestations, les avis divergent sur la qualification du harcèlement sexuel, même lorsque la loi en donne une définition. Pourtant, il comporte un certain nombre de caractéristiques qui sont communément acceptées par les personnes qui travaillent sur ces questions:
Lorsquil sadresse à une femme en particulier, il peut impliquer des commentaires licencieux et des tentatives de séduction, des «propositions», des demandes de rendez-vous, des attouchements, des exigences à caractère sexuel sous la menace de représailles ou de chantage, voire des agressions physiques ou un viol. Lorsquil sagit plutôt dun climat dhostilité générale, ce qui est la situation la plus fréquente, il peut prendre la forme de plaisanteries, de moqueries ou dautres commentaires graveleux, menaçants et humiliants pour les femmes, daffiches pornographiques ou suggestives, de gestes obscènes, etc. On peut y ajouter également ce que lon est convenu dappeler un «harcèlement sexiste», cest-à-dire des remarques portant atteinte à la dignité des femmes en général.
Les femmes peuvent ne pas interpréter des attitudes ou des remarques de ce type comme étant du harcèlement parce quelles les considèrent comme un comportement «normal» de la part des hommes (Gutek, 1985). En général, ce sont les femmes (surtout lorsquelles en ont été les victimes) qui le plus souvent dénonceront ce type de situation, alors que les hommes sont enclins à banaliser la chose, à mettre en doute les dires de lintéressée ou à laccuser dêtre responsable du harcèlement (Fitzgerald et Ormerod, 1993). Les incidents impliquant un supérieur hiérarchique sont plus fréquemment qualifiés de harcèlement sexuel que ceux qui mettent en cause un collègue (Fitzgerald et Ormerod, 1993). Cette tendance est révélatrice de linégalité qui caractérise les rapports de force entre celui qui se rend coupable de harcèlement et la salariée qui en est la victime (MacKinnon, 1978). Par exemple, la remarque quun supérieur hiérarchique considère comme flatteuse peut être perçue comme menaçante par la femme qui en est lobjet si elle a des raisons de craindre quelle ne débouche sur des avances à caractère sexuel, lesquelles, si lintéressée les refuse, peuvent conduire à des représailles, à de mauvaises appréciations de son travail ou même à son renvoi.
Même lorsque le harcèlement est le fait de collègues, la situation peut être difficile à vivre et se révéler très stressante pour les femmes. Il en est ainsi en particulier lorsquune équipe est majoritairement masculine, que lambiance ny est pas bonne et que le chef déquipe est un homme (Gutek, 1985; Fitzgerald et Ormerod, 1993).
Il nexiste pas de statistiques nationales sur le harcèlement sexuel et il est difficile de connaître exactement limportance du phénomène. Aux Etats-Unis, on a estimé que la moitié des femmes subissent une forme ou une autre de harcèlement sexuel au cours de leur vie active (Fitzgerald et Ormerod, 1993). Cette proportion concorde avec les résultats détudes conduites en Europe (Bustelo, 1992), sous réserve de certaines variations dun pays à lautre (Kauppinen-Toropainen et Gruber, 1993). Cette importance est également difficile à déterminer parce que les femmes ne désignent pas toujours comme tel ce genre de situations et que tous les cas ne sont pas rapportés. Souvent, les femmes appréhendent les reproches, les humiliations, craignent de nêtre pas crues, ou pensent que les choses ne changeront pas et que le fait de dénoncer le harcèlement peut leur valoir déventuelles représailles (Fitzgerald et Ormerod, 1993). Elles préféreront essayer daffronter la situation, ou quitter leur emploi même si cela signifie des difficultés financières, une interruption de leur carrière et de mauvaises références professionnelles (Koss et coll., 1994).
Le harcèlement sexuel réduit la satisfaction au travail et augmente linstabilité du personnel, ce qui coûte cher à lentreprise (Gutek, 1985; Fitzgerald et Ormerod, 1993; Kauppinen-Toropainen et Gruber, 1993). Comme les autres facteurs de stress au travail, il peut avoir des effets sur la santé parfois très sérieux. Lorsquil sagit dun cas de harcèlement très grave tel que le viol ou la tentative de viol, la femme qui en est la victime est fortement traumatisée. Même sil ne va pas jusque-là, il peut être à lorigine de problèmes psychologiques, de réactions de crainte, de culpabilité, de honte, de dépression, de nervosité et de perte de confiance en soi. Les victimes peuvent aussi présenter des symptômes physiques tels que douleurs gastriques, céphalées ou nausées, ou des problèmes comportementaux tels que troubles du sommeil ou de lalimentation, des problèmes sexuels ou des difficultés relationnelles (Swanson et coll., 1997).
Aussi bien lapproche volontariste adoptée par les pouvoirs publics aux Etats-Unis que celle, plus empirique, qui prévaut en Europe face au harcèlement sexuel sont riches en enseignements (Bernstein, 1994). En Europe, on essaiera de surmonter le pro-blème par les techniques de résolution des conflits où des tiers sont priés dintervenir pour faire cesser le harcèlement. Aux Etats-Unis, le harcèlement sexuel est un délit puni par la loi qui peut donner lieu à des dommages et intérêts fixés par le tribunal, mais le plaignant a souvent du mal à obtenir gain de cause. Il faut aussi que les victimes de harcèlement sexuel aient la possibilité de faire appel à une assistance judiciaire lorsque cela est nécessaire et quon les aide à se rendre compte que ce ne sont pas elles qui sont à blâmer.
La prévention est la clé du combat contre le harcèlement sexuel. Des directives dans ce sens ont été émises par la Commission européenne sous la forme dun code de pratiques (Rubenstein et DeVries, 1993). Elles préconisent, notamment: des politiques très claires et largement diffusées en la matière; une formation spéciale à lintention des chefs dentreprise et des agents de maîtrise; la désignation dun médiateur (ombudsman) chargé de traiter ces problèmes; des procédures officielles pour la soumission des plaintes et des alternatives à ces procédures; et des sanctions disciplinaires pour tous ceux qui ne respecteraient pas ces règles. Bernstein (1994) estime quil devrait être possible dinstaurer un système dautoréglementation sous contrôle.
Enfin, la question du harcèlement sexuel devrait pouvoir être ouvertement discutée sur le lieu de travail, en tant que préoccupation légitime qui intéresse aussi bien les hommes que les femmes. Les syndicats ont un rôle essentiel à jouer en contribuant à porter ce problème sur la place publique. Mais la véritable solution réside finalement dans légalité sociale et économique entre les hommes et les femmes et dans la pleine intégration des uns comme des autres dans tous les métiers et tous les lieux de travail.
La nature, la fréquence, les prédicteurs et les séquelles possibles de la violence au travail sont devenus un sujet de préoccupation pour les chefs dentreprise, les responsables des ressources humaines et les spécialistes du monde du travail. Les meurtres spectaculaires perpétrés sur les lieux de travail sont, en effet, de plus en plus nombreux. Or, on ne peut aborder la question de la violence au travail sans sinterroger notamment sur la nature de cette violence, sa fréquence, ses prédicteurs, ses séquelles et les mesures de prévention à envisager pour y faire face.
Définition et prévalence de la violence au travail sont intimement liées.
Etant donné la relative nouveauté du problème, il nexiste encore aucune définition uniforme de ce phénomène, ce qui, à divers égards, est un problème en soi. Premièrement, tant que lon na pas de définition uniforme, il est impossible de comparer les estimations faites dans différentes études et sur plusieurs sites de la fréquence de ce type de violence. Deuxièmement, de la nature de cette violence dépendront les stratégies de prévention et dintervention à envisager. Par exemple, des coups de feu portés contre quelquun sur un lieu de travail peuvent être aussi bien le prolongement dun conflit familial que la traduction violente de facteurs de stress et de conflits dordre professionnel. Même si, dans les deux cas, ces actes de violence concernent des salariés, le pouvoir dintervention de lentreprise sera plus limité et ses interventions seront dune autre nature dans le premier cas que dans le second où ces coups de feu sont en relation directe avec des facteurs de stress et des conflits dordre professionnel.
Selon certaines statistiques américaines, il semble que les meurtres perpétrés sur les lieux de travail sont la forme dhomicide dont le nombre a augmenté le plus aux Etats-Unis (Anfuso, 1994). Dans certains Etats (lEtat de New York, par exemple), le meurtre est la principale cause de décès sur le lieu de travail. Ces statistiques expliquent lattention accordée depuis peu au phénomène de la violence au travail. Toutefois, on constate que les études les plus récentes portent surtout sur les actes de violence les plus spectaculaires (meurtres, coups de feu), qui sont pourtant les moins fréquents. Les agressions verbales et psychologiques à légard de supérieurs hiérarchiques, de subordonnés et de collègues, quant à elles beaucoup plus courantes, sont moins souvent étudiées. Preuve de létroite relation entre les questions de définition et de prévalence, il semble bien que la plupart du temps ce sont des cas dagression qui sont étudiés et non de violence au travail.
Si on considère les travaux effectués pour tenter danalyser les prédicteurs de la violence au travail, on constate que la plupart dentre eux sefforcent détablir un profil type du salarié susceptible dêtre violent ou grossier (Mantell et Albrecht, 1994; Slora, Joy et Terris, 1991). La plupart de ces études font état des caractéristiques dominantes suivantes: homme de race blanche, âgé de 20 à 35 ans, solitaire, ayant tendance à lalcoolisme et fasciné par les armes. Outre le problème des nombreux résultats faussement positifs auxquels elle peut aboutir, cette méthode a linconvénient de nidentifier que les individus prédisposés aux formes de violence les plus extrêmes, et dignorer tous ceux qui sont impliqués dans la plupart des incidents moins violents qui se produisent sur le lieu de travail et qui sont, pourtant, les plus nombreux.
Au-delà des caractéristiques dites «démographiques», il semble que certains facteurs personnels qui sont source de violence hors du travail se manifestent aussi sur le lieu de travail. Ainsi, labus dalcool, les antécédents personnels ou familiaux dagressivité et une faible estime de soi peuvent être à lorigine de la violence au travail.
Plus récemment, on a essayé de déterminer les contextes professionnels qui semblent les plus propices à la violence au travail (conditions matérielles et facteurs psychosociaux). Bien que lon nen soit quau tout début des études sur ces facteurs psychosociaux, il semble que la précarité de lemploi, un sentiment dinjustice quant à la façon dont les règles de lentreprise sont conçues et appliquées, la rigueur de lencadrement et des contrôles et les systèmes de surveillance électronique sont souvent à lorigine dactes agressifs et de violence sur le lieu de travail (House of Representatives, 1992; Fox et Levin, 1994).
Cox et Leather (1994) ont, pour leur part, analysé les facteurs propices aux actes dagression et à la violence en général pour tenter de comprendre les facteurs matériels qui peuvent provoquer la violence au travail. Selon eux, la violence pourrait être associée à un sentiment de gêne et de promiscuité, ainsi quà la chaleur et au bruit. Ces hypothèses demandent à être confirmées par des observations empiriques plus précises.
Daprès les recherches effectuées à ce jour, on peut distinguer les victimes directes et les victimes indirectes de la violence au travail qui, les unes comme les autres, méritent attention. Des employés de banque ou de magasin victimes dune attaque à main armée, ou des salariés agressés à leur travail par un collègue ou un ancien collègue sont des victimes directes de la violence au travail. Toutefois, et dans la logique des études sur le comportement humain selon lesquelles celui-ci sapprend à partir de lobservation dautrui, les témoins dun acte de violence survenu sur le lieu de travail en sont aussi les victimes, même si elles ne le sont quindirectement. Lun et lautre groupe vont en souffrir certainement et il convient donc dapprofondir les recherches pour mieux comprendre comment, et dans quelle mesure, ces actes dagression et de violence au travail affectent respectivement les victimes directes et indirectes.
La plupart des travaux qui ont été consacrés à la prévention de la violence au travail insistent sur limportance des critères de la sélection préalable, cest-à-dire la manière de détecter les individus qui pourraient être violents, afin de les écarter demblée au moment du recrutement (Mantell et Albrecht, 1994). On peut sinterroger cependant sur lutilité de telles méthodes et sur leur valeur éthique et juridique. Du point de vue scientifique, il nest pas certain non plus que lon puisse identifier avec une précision suffisante (cest-à-dire sans un nombre inacceptable derreurs) les salariés susceptibles dêtre violents. De toute évidence, cest sur les problèmes que pose le lieu de travail et sur la définition des postes que lon devrait axer la prévention. Comme le soulignent Fox et Levin (1994), le moyen de prévention le plus efficace est sans doute de veiller à ce que les politiques et les procédures appliquées par lentreprise soient considérées comme équitables par ses salariés.
La recherche sur la question de la violence au travail nen est quà ses débuts, mais cest un phénomène dont on se préoccupe de plus en plus, ce qui laisse espérer que lon pourra bientôt mieux le comprendre, le prévoir et le maîtriser.
Compressions deffectifs, licenciements, redéfinitions de postes, restructurations, «dégraissages», fusions, retraites anticipées et reclassements à lextérieur sont des mesures qui, depuis une vingtaine dannées, sont devenues pratique courante dans tous les pays du monde. Chaque fois que des entreprises connaissent des difficultés, elles suppriment des postes ou, si elles les maintiennent, cest au prix de sérieux aménagements. En une seule année (1992-93), on a compté 2 000 suppressions demplois chez Eastman Kodak, 13 000 chez Siemens, 27 000 chez Daimler-Benz, 40 000 chez Philips et 65 000 chez IBM (The Economist , 1993). Ces suppressions de postes ont eu lieu aussi bien dans les entreprises réalisant des bénéfices que dans celles qui étaient déficitaires. Cette tendance à supprimer des emplois et à réaménager les postes va probablement continuer même après que léconomie mondiale aura retrouvé sa croissance.
Pourquoi cette généralisation des restructurations demplois? Il ny a pas de réponse à cette question qui soit simple et valable pour toutes les entreprises et toutes les situations. La perte dune part de marché, le renforcement de la concurrence nationale et internationale, laccroissement du coût du travail, le vieillissement des unités de production et des techniques et les erreurs de gestion sont quelques-uns des facteurs qui sont souvent à lorigine de telles décisions et contraignent lemployeur à modifier les termes du contrat tacite qui le lie aux salariés.
Lépoque où le salarié pouvait compter sur la stabilité de son emploi ou avait la possibilité doccuper toute une série de postes au gré de promotions successives au sein de la même entreprise, est aujourdhui révolue. De même, le contrat tacite traditionnel qui liait lemployeur au salarié a perdu de sa force maintenant que des millions de salariés et de cadres ont été mis à pied. Par le passé, le Japon sétait fait une renommée en garantissant des emplois à vie aux salariés alors que ceux-ci, en particulier dans les grandes entreprises, ne sauraient aujourdhui se prévaloir dune telle assurance. Les Japonais, comme tous les autres travailleurs, doivent faire face à une insécurité croissante de lemploi et à des perspectives davenir pour le moins incertaines.
Maslow (1954), Herzberg, Mausner et Snyderman (1959), ainsi que Super (1957) estiment que tout individu a besoin de sécurité et de stabilité. Or, il éprouve ce sentiment de sécurité lorsquil bénéficie dun emploi permanent ou lorsquil jouit dune certaine emprise sur les tâches quil accomplit. Malheureusement, les études empiriques portant sur ce besoin de sécurité des salariés sont rares (Kuhnert, 1991; Kuhnert, Sims et Lahey, 1989).
En revanche, vu les préoccupations dont font lobjet les compressions de personnel, les licenciements et les fusions, nombreux sont les chercheurs qui sintéressent aujourdhui à la notion dinsécurité de lemploi. La nature, les causes et les conséquences de linsécurité de lemploi ont été étudiées par Greenhalgh et Rosenblatt (1984) qui proposent de cette notion la définition suivante: «un sentiment dimpuissance à maintenir la continuité souhaitée dans le cadre dune situation professionnelle menacée». Pour ces auteurs, linsécurité de lemploi fait partie de lenvironnement de lintéressé. Dans les travaux consacrés au stress, linsécurité de lemploi est considérée comme un facteur stressant que lindividu interprète comme une menace et contre laquelle il réagit. Cette interprétation et cette réaction peuvent le conduire à diminuer les efforts quil consacre à son travail, à une dégradation de son état physique, à une perte de confiance en soi, à rechercher un autre emploi, à tenter de sadapter pour faire face à la menace, ou à rechercher laide de ses collègues pour atténuer son sentiment dinsécurité.
La théorie de Lazarus sur le stress psychique (Lazarus, 1966; Lazarus et Folkman, 1984) est fondée sur le concept dévaluation cognitive. Quelle que soit la gravité réelle du danger auquel elle doit faire face, le stress ressenti dépend de la manière dont la personne évalue la situation qui la menace (linsécurité de lemploi en loccurrence).
De même que les recherches sur la sécurité de lemploi sont rares, il nexiste hélas que très peu détudes valables sur linsécurité de lemploi. Qui plus est, la plupart de ces travaux font appel à des méthodes de mesure unidimensionnelles. Seuls quelques chercheurs se sont placés à plusieurs niveaux pour étudier les facteurs de stress en général ou linsécurité de lemploi en particulier. Sans doute linsuffisance des ressources disponibles nest-elle pas étrangère à cette réalité. Mais du fait des problèmes créés par ces évaluations unidimensionnelles, la notion na été comprise que partiellement. Les chercheurs disposent de quatre méthodes de mesure de linsécurité de lemploi: ce quen disent les intéressés, lévaluation de la performance, les paramètres psychophysiologiques et les paramètres biochimiques. Rien ne prouve toutefois que ces quatre méthodes permettent dévaluer à leur juste mesure tous les aspects des conséquences de linsécurité de lemploi (Baum, Grunberg et Singer, 1982). Chaque démarche a ses limites dont il convient dêtre conscient.
Mis à part ces problèmes de mesurage de linsécurité de lemploi, il faut noter que ces travaux portent pour la plupart sur les suppressions demploi imminentes ou effectives. Or, comme lont souligné Greenhalgh et Rosenblatt (1984) et, après eux, Roskies et Louis-Guérin (1990), il conviendrait de sintéresser davantage à «la préoccupation que suscite toute détérioration significative des termes et des conditions demploi». Cette détérioration se reflétera immanquablement dans les attitudes et le comportement de lintéressé.
Brenner (1987) a étudié les rapports quil peut y avoir entre insécurité de lemploi, chômage et mortalité. Selon lui, cest lincertitude ou la menace dinstabilité qui, plus que le chômage lui-même, constitue la véritable cause de la mortalité. La seule menace, pour un salarié, de devenir chômeur ou de perdre le contrôle de ses activités professionnelles peut suffire à provoquer des problèmes psychologiques.
Dans une étude portant sur 1 291 personnes occupant des postes de direction, Roskies et Louis-Guérin (1990) ont analysé lattitude de ces salariés menacés de licenciement par comparaison avec des salariés de même niveau de responsabilité travaillant pour des sociétés solides et en expansion. Rares étaient ceux qui se préoccupaient de léventualité dune perte demploi imminente. En revanche, un grand nombre de ces cadres sinquiétaient beaucoup plus de la détérioration des conditions de travail et de linsécurité de leur avenir à long terme.
Daprès Roskies, Louis-Guérin et Fournier (1993), linsécurité de lemploi serait un facteur de stress psychique majeur. Dans leur étude portant sur le secteur de laéronautique, ces auteurs ont montré que la personnalité (si elle est positive ou négative) joue un grand rôle dans leffet que peut avoir linsécurité de lemploi sur la santé mentale.
Les entreprises ont plusieurs moyens déviter les compressions de personnel, les licenciements et les «dégraissages». Il importe dabord que la direction fasse preuve de compréhension et montre clairement quelle est consciente des difficultés liées à la perte de lemploi et à lincertitude de lavenir professionnel. Elle peut opter pour dautres solutions telles quune réduction de la durée du travail, des baisses générales de salaire, des propositions intéressantes de retraite anticipée, de recyclage ou de départ volontaire (Wexley et Silverman, 1993).
La mondialisation de léconomie a élevé le niveau de qualification exigé. Pour certains, cette exigence peut ouvrir de nouvelles possibilités de carrière, mais pour dautres, elle peut accentuer leur sentiment dinsécurité. Il est difficile de savoir comment chacun réagira. Toutefois, les responsables des entreprises doivent savoir mesurer les conséquences que peut avoir cette insécurité de lemploi. Ils doivent en être conscients et y faire face. Le fait de mieux comprendre la notion dinsécurité de lemploi et ses répercussions négatives éventuelles sur la performance, le comportement et les attitudes des travailleurs est un pas dans la bonne direction.
Des recherches plus rigoureuses seront certainement nécessaires pour mieux comprendre toutes les conséquences de linsécurité de lemploi chez certains salariés. Mieux informés, les responsables des entreprises devront être plus ouverts aux besoins des salariés face à linsécurité de lemploi. Revoir la façon dont le travail est organisé et exécuté devrait se substituer plus souvent aux méthodes traditionnelles de définition de postes. Il incombe à ces responsables:
Sachant que linsécurité de lemploi est aujourdhui une éventualité qui menace de nombreux salariés, mais pas tous, les chefs dentreprise se doivent de concevoir et dappliquer des politiques qui prennent en compte cette éventualité. Lignorer coûterait trop cher à toute entreprise. Savoir gérer efficacement le sentiment dinsécurité des travailleurs quant à leur emploi et leurs conditions de travail fait désormais partie intégrante dune bonne gestion du personnel.
On entend par «chômage» la situation des gens qui souhaitent travailler, mais ne parviennent pas à échanger leurs qualifications et leur travail contre une rémunération. Ce terme désigne aussi bien lexpérience personnelle de lindividu qui ne réussit pas à trouver un travail rémunérateur, que celle dun groupe social, dune région géographique ou dun pays donné. Le phénomène collectif de chômage est souvent exprimé sous la forme dun taux de chômage, cest-à-dire le nombre de demandeurs demploi par rapport à la population active totale, qui elle-même comprend à la fois les salariés et les chômeurs. Les personnes qui souhaitent trouver un travail rémunéré, mais ont renoncé à leurs efforts de recherche ne sont pas classées parmi les chômeurs, car elles ne sont plus considérées comme faisant partie de la population active.
LOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) établit régulièrement des statistiques sur le chômage dans 25 pays du monde (OCDE, 1995). Il sagit en particulier des pays développés dEurope, de lAmérique du Nord, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de lAustralie. En 1994, le taux global de chômage dans ces pays était de 8,1% (soit 34,3 millions de personnes) et, dans les pays développés de lEurope centrale et occidentale, de 9,9% (11 millions de personnes). Ce chiffre sélevait à 13,7% (9,2 millions) dans les pays du Sud de lEurope et à 6,1% (8 millions) aux Etats-Unis. Sur les 25 pays étudiés, 6 seulement pouvaient faire état dun taux de chômage inférieur à 5% (Autriche, Islande, Japon, Mexique, Luxembourg et Suisse). Le rapport ne prévoyait quune légère diminution globale du chômage pour 1995 et 1996 (moins de 0,5%). Ces chiffres montrent que des millions dindividus continueront de souffrir des effets néfastes du chômage (Reich, 1991).
Nombre dindividus se retrouvent au chômage à un moment ou à un autre de leur vie. Selon la structure de léconomie ou selon quelle se trouve en période de croissance ou de récession, le chômage frappera les jeunes qui ont quitté lécole, ceux qui sortent du lycée, dune école de commerce ou de luniversité, et qui ont du mal à trouver un premier emploi, les femmes qui recherchent du travail après avoir élevé leurs enfants, les anciens militaires ou les personnes dun certain âge qui souhaitent compléter leur retraite. Néanmoins, quel que soit le moment, la majorité des chômeurs, cest-à-dire de 50 à 65%, est formée de salariés ayant perdu leur emploi à la suite dun licenciement économique. Cest chez ce type de chômeurs que lon relève plus particulièrement les problèmes de santé liés au chômage, ne serait-ce que parce quils sont les plus nombreux. Le chômage est également un problème grave pour les minorités et pour les jeunes, car son taux est souvent de deux à trois fois supérieur à celui de la population dans son ensemble (Department of Labour (DOL), 1995).
Le chômage provient pour lessentiel des changements démographiques, économiques et technologiques. Dune façon générale, les restructurations économiques, quelles soient locales ou nationales, donnent lieu au moins provisoirement à des périodes de chômage élevé. La tendance à la mondialisation des marchés, associée à un progrès technique accéléré, se traduit par une intensification de la concurrence économique. Il en résulte aussi une délocalisation des industries et des services vers des pays qui offrent des conditions économiques plus avantageuses sur le plan de la fiscalité, des coûts de main-duvre, de la docilité du personnel et de la législation sur lenvironnement. Ces changements ne peuvent quaccentuer le problème du chômage dans les régions en récession.
La plupart des gens dépendent du revenu quils tirent de leur travail pour faire face aux nécessités de la vie, que ce soit pour elles-mêmes ou pour leur famille, et pour conserver le niveau de vie auquel ils sont habitués. Sils perdent leur emploi, leur revenu diminue considérablement. La durée moyenne du chômage, aux Etats-Unis par exemple, varie entre seize et vingt semaines, avec une durée médiane de huit à dix semaines (DOL, 1995). Si la période de chômage qui fait suite à la perte demploi se prolonge, alors que le chômeur est arrivé en fin de droits, il doit faire face à de graves difficultés financières. Il sensuit une cascade dévénements stressants tels que saisie de la voiture, expulsion du domicile, perte de la couverture médicale et restrictions alimentaires. Les innombrables travaux qui lui ont été consacrés en Europe comme aux Etats-Unis montrent que le chômage entraîne inévitablement des problèmes économiques (Fryer et Payne, 1986), et que ces difficultés financières ont par elles-mêmes des effets négatifs sur dautres plans, notamment sur celui de la santé mentale (Kessler, Turner et House, 1988).
Les preuves sont nombreuses selon lesquelles la perte de lemploi et le chômage ont de graves effets sur la santé mentale (Fryer et Payne, 1986). Les plus courantes sont lanxiété, les symptômes somatiques et de dépression (Dooley, Catalano et Wilson, 1994; Hamilton et coll., 1990; Kessler, House et Turner, 1987; Warr, Jackson et Banks, 1988). Certaines observations montrent également que le chômage double, si ce nest plus, le risque de dépression avec manifestations cliniques (Dooley, Catalano et Wilson, 1994). Outre ces effets bien connus, le chômage peut provoquer dautres problèmes (Catalano, 1991) dont le suicide (Brenner, 1976), les problèmes conjugaux et les divorces (Stack, 1981; Liem et Liem, 1988), les mauvais traitements infligés aux enfants (Steinberg, Catalano et Dooley, 1981), lalcoolisme (Dooley, Catalano et Hough, 1992; Catalano et coll., 1993a), la violence au travail (Catalano et coll., 1993b), les actes délictueux (Allan et Steffensmeier, 1989) et les accidents de la route (Leigh et Waldon, 1991). Certaines données, provenant pour la plupart des intéressés eux-mêmes, indiquent que le chômage peut provoquer des maladies (Kessler, House et Turner, 1987).
Les effets négatifs du chômage ne se limitent pas aux périodes pendant lesquelles le travailleur licencié est sans travail. La plupart du temps, si les intéressés retrouvent un travail, ce nouvel emploi est souvent beaucoup moins intéressant que celui quils ont perdu. Même quatre ans plus tard, leur revenu reste nettement inférieur à celui de leurs anciens collègues qui nont pas été licenciés (Ruhm, 1991).
Dans la mesure où les mises à pied et le chômage sont dus à des phénomènes sociaux et économiques, cest par des politiques économiques et sociales globales quon doit remédier à leurs répercussions sociales (Blinder, 1987). Par ailleurs, divers programmes peuvent être mis en uvre au niveau local. Un bon nombre dobservations montrent que détresse et dépression disparaissent dès que le chômeur retrouve un travail et son comportement psychosocial redevient normal (Kessler, Turner et House, 1989; Vinokur, Caplan et Williams, 1987). Aussi, les programmes daide aux travailleurs victimes de compressions de personnel ou aux primodemandeurs demploi devraient-ils viser avant tout à faciliter lembauche ou la réembauche. Toute une série de programmes de ce genre ont été mis en uvre avec succès. Dans ce contexte, les programmes communautaires spéciaux destinés à favoriser la création dactivités elles-mêmes génératrices demplois méritent dêtre signalés (Last et coll., 1995), de même que les programmes axés sur le recyclage (Wolf, Pufahl et Casey, 1995).
Parmi les différents programmes de recherche demploi, les plus fréquents sont ceux qui sont organisés sous la forme de clubs de chômeurs qui permettent dintensifier la recherche (Azrin et Beasalel, 1982), ou dateliers qui sefforcent dune manière plus générale de développer les qualifications et de faciliter la transition entre le chômage et la réinsertion (Caplan et coll., 1989). Les analyses de rentabilité ont démontré la valeur de ces programmes (Meyer, 1995; Vinokur et coll., 1991). Il savère également que ce type de mesures est de nature à éviter les pertes de moral et peut-être même les dépressions (Price, van Ryn et Vinokur, 1992).
Lorsque les licenciements ont pour causes des compressions de personnel, les entreprises peuvent aussi limiter le nombre des travailleurs mis à pied en faisant participer les salariés aux décisions relatives à la gestion du programme de licenciement (Kozlowski et coll., 1993; London, 1995; Price, 1990). Les salariés peuvent décider de réunir leurs ressources pour racheter lentreprise, évitant ainsi les licenciements, de réduire leurs horaires de travail pour étaler les «dégraissages», daccepter des baisses de salaire pour limiter les suppressions de postes, des stages de recyclage ou des mutations, ou encore de participer à des programmes de reclassement externe. Les entreprises peuvent contribuer au succès de ces mesures en les proposant en temps utile aux salariés menacés de licenciement. Comme on la vu plus haut, le chômage a des effets négatifs tant sur le plan personnel que social. Une combinaison judicieuse de politiques gouvernementales globales, de stratégies bien adaptées au niveau de lentreprise et de la branche ainsi que de programmes locaux peut certainement contribuer à atténuer les conséquences souvent très graves dun problème qui va continuer à affecter des millions dindividus dans les années à venir.
Lune des transformations sociales les plus remarquables de notre siècle a été lémergence dune économie japonaise puissante des ruines de la seconde guerre mondiale. A la base de cette ascension vers la compétitivité mondiale, on trouve essentiellement le parti pris de qualité adopté par ce pays et sa volonté de prouver que les articles japonais ne sont pas de la pacotille, comme on avait lhabitude de le penser jusqualors. Sinspirant des enseignements novateurs de Deming (1993), Juran (1988) et autres, les chefs dentreprise et les ingénieurs japonais ont adopté des méthodes qui ont fini par déboucher sur un système global de gestion fondé sur la notion essentielle de qualité. Ce système constitue une évolution fondamentale dans la façon de penser. Traditionnellement, on considérait quil fallait trouver un équilibre entre la qualité et le coût de cette qualité. Deming et Juran ont, au contraire, prôné lidée quune meilleure qualité coûtait finalement moins cher et quun système de production qui améliorerait les méthodes de travail permettrait datteindre ces deux objectifs à la fois. Les chefs dentreprise japonais se sont ralliés à cette philosophie du management, les ingénieurs ont appris et mis en pratique le contrôle statistique de la qualité, les travailleurs ont été formés et ont participé à lamélioration des méthodes et le résultat a été spectaculaire (Ishikawa, 1985; Imai, 1986).
A partir des années quatre-vingt, alarmés par lérosion de leurs marchés et soucieux délargir leur part du marché mondial, les chefs dentreprise européens et américains se sont mis à rechercher des moyens de rétablir leur position concurrentielle. Au cours des 15 années qui ont suivi, les entreprises ont commencé à comprendre les principes de base de la gestion de la qualité et à les appliquer, dabord à la production industrielle, et ensuite dans le secteur des services. Bien quil y ait toutes sortes de dénominations, celle qui est la plus couramment utilisée pour désigner ce mode de gestion est lexpression «management de la qualité totale» (Total Quality Management (TQM)), sauf dans le secteur des soins de santé où on le désigne plus souvent sous les termes d«amélioration constante de la qualité» (Continuous Quality Improvement (CQI)). Plus récemment, lexpression «reconfiguration» (Business Process Reengineering (BPR)) est également apparue, mais il sagit plutôt dans ce cas de mettre laccent sur lamélioration de certaines techniques particulières damélioration du processus et non dun système ou dune philosophie de gestion globale.
Le TQM a de nombreuses variantes, mais ce quil faut en retenir, cest surtout quil sagit dun système comprenant à la fois une philosophie de la gestion et un ensemble doutils capables daméliorer lefficacité des méthodes de travail. Normalement le TQM suppose lapplication des grands principes suivants (Feigenbaum, 1991; Mann, 1989; Senge, 1991):
Dune façon générale, les entreprises qui se décident à opter avec succès pour le TQM constatent quelles doivent apporter des changements sur trois fronts.
Le premier est celui de la transformation . Il sagit notamment de définir et de propager une certaine vision de lavenir de lentreprise, de faire passer lentreprise dun style de gestion hiérarchique à une gestion fondée sur la participation des salariés, de prôner la collaboration plutôt que la compétition et daxer lactivité de lentreprise sur la satisfaction du client. Lintégration des processus est la base même du TQM et le moyen daméliorer la performance à tous les niveaux. Chacun des salariés doit connaître la vision et lobjectif de lentreprise et savoir où se situe son travail dans ce «système». Sans cette conscience de la place quil y occupe, la formation donnée pour appliquer les méthodes du TQM risque dêtre inefficace. De même, si aucun changement nintervient dans la culture dentreprise, surtout au niveau des cadres moyens, on risque léchec. Heilpern (1989) notait à ce propos: «Nous en sommes arrivés à la conclusion que les principaux obstacles à lamélioration de la qualité ne sont pas dordre technique, mais relèvent du comportement». Contrairement aux anciens programmes dits du «cercle de qualité», où lamélioration était censée se répercuter «par convection» vers le haut, le TQM nécessite dêtre conduit par la direction au plus haut niveau et lassurance que les cadres moyens faciliteront la participation des salariés (Hill, 1991).
Le deuxième élément de base nécessaire au succès du TQM est la planification stratégique . Pour réaliser la «vision» de lentreprise et atteindre ses objectifs, une stratégie de la qualité doit être élaborée et mise en uvre. Une entreprise ayant pratiqué cette planification la définie ainsi: «un plan axé sur le client en vue dune application des principes de la qualité aux grands objectifs commerciaux de lentreprise et dune amélioration permanente des méthodes de travail» (Yarborough, 1994). Cest à la haute direction quil incombe la responsabilité qui est en fait une obligation à légard de son personnel, de ces actionnaires et autres bénéficiaires dassocier sa philosophie de la qualité à des objectifs réalistes et réalisables. Cest ce que Deming (1993) a appelé la «constance dans les objectifs» dont le manque est une source dinsécurité pour le personnel. Lobjectif majeur de la planification stratégique est dharmoniser les activités de tous les acteurs dans lentreprise de façon quelle soit en mesure datteindre ses principaux objectifs et de réagir avec souplesse à lévolution des circonstances. Cette gestion par objectifs exige de toute évidence une participation de lensemble des cadres et des salariés à tous les niveaux de lentreprise (Shiba, Graham et Walden, 1994).
Ce nest quune fois ces deux changements réalisés que lon pourra espérer réussir le troisième élément de cette politique de gestion à savoir l amélioration constante de la qualité . Dans le domaine de la qualité, les améliorations et, par là, la satisfaction du client et le renforcement de la position concurrentielle, dépendent essentiellement de la capacité qua lentreprise daméliorer ses méthodes dans tous les aspects des processus de production. Souvent, les programmes de TQM y parviennent par un effort accru dans la formation et par laffectation des travailleurs (qui y consentent) à des équipes spécialement chargées du problème de la qualité. Lidée à la base du TQM est que la personne la mieux placée pour savoir comment améliorer la façon deffectuer un travail est sans doute celle qui lexécute au moment considéré. Donner à ces travailleurs le pouvoir dapporter certains changements utiles à leurs tâches fait partie de la transformation culturelle qui sous-tend le TQM; les doter des connaissances, des compétences et des outils nécessaires pour le faire relève de lamélioration constante de la qualité.
La collecte de données statistiques fait partie des mesures normales et indispensables que les travailleurs doivent prendre individuellement, ou dans le cadre de leurs équipes, pour savoir comment améliorer les méthodes de travail. Deming, ainsi que dautres auteurs, ont mis au point leurs techniques à partir des premiers travaux effectués sur ce point par Shewhart dans les années vingt (Schmidt et Finnigan, 1992). Les outils les plus utiles du TQM sont notamment: a) la courbe de Pareto qui permet de déterminer les problèmes qui se posent le plus souvent et quil faut donc essayer de résoudre en priorité; b) le tableau de contrôle statistique, outil analytique qui permet de vérifier la variabilité dun procédé non amélioré; c) les organigrammes, pour contrôler avec précision comment une activité se déroule à un moment donné. Loutil le plus courant et le plus important est certainement le diagramme dIshikawa (ou diagramme «à chevrons»), dont on attribue linvention à Kaoru Ishikawa (1985). Cet outil est un moyen simple, mais efficace, qui permet aux membres dune équipe didentifier collectivement les causes dun problème à résoudre et, par conséquent, de trouver le moyen daméliorer le processus existant.
Sil est appliqué de façon efficace, le TQM peut avoir une grande importance pour les travailleurs et pour leur santé à beaucoup dégards, ne serait-ce quindirectement. Toute entreprise qui améliore la qualité de ses produits renforce ses chances de survie et de succès sur le plan économique et, par là, celles de ses salariés. De plus, cette entreprise aura vraisemblablement pour principes de respecter lindividu. En effet, les experts du TQM utilisent souvent lexpression «valeurs partagées», et ce principe doit se traduire aussi bien dans le comportement de la direction que dans celui du personnel. Ces valeurs font dailleurs lobjet, dans lentreprise, de déclarations ou de vux où lon retrouve très souvent une terminologie teintée daffectivité telle que les mots de «confiance», «respect mutuel», «communication ouverte» où «importance de notre diversité» (Howard, 1990).
Il est tentant par conséquent de supposer que sur les lieux de travail où laccent est mis sur la qualité, les relations professionnelles seront plus amicales, les processus de production moins dangereux et lambiance moins tendue. La logique même de la gestion de la qualité est de mettre de la qualité dans un produit ou dans un service et non de détecter leurs défauts a posteriori. Un mot résume cette politique: la prévention (Widfeldt et Widfeldt, 1992). Cette logique est donc parfaitement compatible avec celle de la santé publique qui, elle aussi, met laccent sur la prévention en matière de santé des travailleurs. Cest ce que montre Williams (1993) par lexemple hypothétique suivant: «Si la qualité et la conception des moulages dans les fonderies étaient améliorées, les travailleurs seraient moins exposés... aux vibrations, car les moulages nécessiteraient moins de finitions.» La satisfaction des employeurs devant les progrès constatés en matière de santé au travail ou devant les résultats très positifs des sondages effectués sur le climat de lentreprise, ou encore les récompenses décernées pour la sécurité et la santé, grâce aux méthodes du TQM confirment cette supposition. Williams fait aussi état de deux études de cas effectuées au Royaume-Uni qui mentionnent ce genre de témoignages demployeurs (Williams, 1993).
Malheureusement, on ne dispose pas aujourdhui détudes formelles qui viendraient étayer cette affirmation. Ce quil faudrait, cest tout un ensemble détudes étayées qui montrent quels sont les effets du TQM sur la santé, y compris déventuels effets négatifs, et qui établissent un lien de cause à effet entre des facteurs mesurables de la philosophie de gestion de lentreprise et la pratique du TQM. Etant donné le nombre dentreprises dans le monde qui lappliquent, il devrait être possible, grâce à ce genre de recherche, de préciser si le TQM est bien un outil utile dans larsenal de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Cest avec moins dhésitation quon est tenté daffirmer que le TQM peut influer directement sur la santé des travailleurs lorsque les efforts damélioration de la qualité sont axés sur la sécurité et la santé. Sans doute, et comme toute autre activité dans une entreprise, la protection de la santé au travail et dans lenvironnement implique toute une série de mesures liées entre elles, auxquelles il est facile dappliquer les outils damélioration des processus. Lorsquil sagit de décerner le prix Baldridge, qui est la récompense la plus prestigieuse qui puisse être accordée aux entreprises des Etats-Unis, lun des critères pris en compte sont les améliorations réalisées par lentreprise en matière de sécurité et de santé au travail. Yarborough a cité lexemple dune entreprise dont la direction avait ainsi demandé aux employés de son service de santé au travail et dhygiène du milieu de se conformer aux exigences du TQM comme tous les autres départements de lentreprise et comment ces deux éléments avaient été intégrés dans son plan de stratégie de la qualité (Yarborough, 1994). Le directeur général dun service public américain, qui fut la première entreprise non japonaise à remporter le prix Deming très convoité au Japon, a déclaré que la plus haute priorité avait été accordée à laspect sécurité dans leurs efforts en faveur du TQM: «De tous les grands indicateurs de la qualité de lentreprise, le seul qui concerne sa clientèle interne est celui de la sécurité du personnel.» En définissant la sécurité comme un processus soumis à un souci damélioration constante, et en sefforçant de détecter le taux dabsentéisme dû à des lésions professionnelles comme indicateur de la qualité, ce service public a réussi à réduire de moitié son taux daccidents, qui est ainsi descendu au niveau le plus bas quil ait connu depuis sa création (Hudiberg, 1991).
Pour résumer, le TQM est un système de gestion complet ancré dans la philosophie même de lentreprise et qui souligne limportance de la dimension humaine du travail. Il sappuie sur un puissant arsenal de techniques où les données tirées des processus mis en uvre servent à contrôler, analyser et améliorer ces processus en permanence.
Pour Selye (1974), le fait de devoir vivre avec dautres personnes est lun des aspects les plus stressants de lexistence. On considère que les bonnes relations entre membres dun groupe de travail sont un élément majeur de la santé dun individu et dune entreprise (Cooper et Payne, 1988), en particulier en ce qui concerne la relation employeur-travailleur. On dit que les relations de travail sont mauvaises lorsquelles se caractérisent par un «manque de confiance, un manque de solidarité et un manque de volonté pour résoudre les problèmes au sein de lentreprise» (Cooper et Payne, 1988). Le manque de confiance est dautant plus grand que lambiguïté des rôles est forte, ce qui se traduit par une mauvaise communication entre les gens et une tension psychologique qui, elle-même, se traduit par une faible satisfaction professionnelle, un certain malaise et un sentiment de crainte à légard des supérieurs et des collègues (Kahn et coll., 1964; French et Caplan, 1973).
Des relations interpersonnelles solidaires limitent au contraire les risques de rivalités, dintrigues et de concurrence stérile (Cooper et Payne, 1991). McLean (1979) estime que lorsque le groupe est solidaire, quil a confiance dans son supérieur hiérarchique et lapprécie, le stress au travail diminue et létat de santé des intéressés est meilleur. En revanche, ce stress augmente considérablement si le supérieur na pas la considération voulue pour son personnel (McLean, 1979). Une surveillance étroite de la performance et un strict contrôle du rendement sont également des facteurs de stress. De nombreuses études prouvent à cet égard quun style de direction caractérisé par une absence de véritables consultations et de communication, par des contraintes injustifiées sur le personnel et par une faible autonomie dans le travail crée un climat délétère, suscite des réactions de fuite (dans lalcoolisme et le tabagisme, par exemple) (Caplan et coll., 1975), et accroît les risques de maladies cardio-vasculaires (Karasek, 1979) ou dautres manifestations liées au stress. En revanche, le fait pour les salariés de pouvoir participer davantage aux décisions concernant leur travail se traduit par un meilleur rendement, une stabilisation du personnel et une amélioration de son bien-être psychique et physique. Un style de gestion plus participatif devrait aussi permettre aux salariés de prendre part à lamélioration de la sécurité dans lentreprise et, notamment, de remédier dans ce domaine à lapathie des travailleurs manuels qui constitue une cause importante et reconnue daccidents (Robens, 1972; Sutherland et Cooper, 1986).
Cest à Lewin que lon doit les premiers travaux sur les liens entre le style de gestion et le stress (voir, par exemple, Lewin, Lippitt et White, 1939); ces auteurs ont mis en évidence les effets stressants et non productifs dun style de gestion autoritaire. Plus récemment, Karasek (1979) a montré limportance quil y avait à ce que les employeurs offrent aux travailleurs une plus grande autonomie dans le travail et optent pour un style de direction de type participatif. Dans une étude prospective sur six ans, il a montré que lautonomie dans le travail (cest-à-dire la liberté dutiliser son jugement personnel) et la souplesse dans les horaires de travail étaient des indicateurs importants dans le calcul des risques de maladies cardiaques. Plus les possibilités de participation et dautonomie sont limitées, plus on augmente les risques de dépression, dépuisement, de maladie et de pharmacodépendance. Limpression de navoir aucune prise sur lorganisation de son travail et labsence de toute consultation sont souvent citées comme facteurs de risque chez les travailleurs de lindustrie sidérurgique (Kelly et Cooper, 1981), chez les travailleurs du pétrole et du gaz sur les plates-formes de forage en mer du Nord (Sutherland et Cooper, 1986) et chez de nombreux autres travailleurs manuels (Cooper et Smith, 1985). Toutefois Gowler et Legge (1975) font observer quun style de gestion participatif peut créer, lui aussi, des situations de stress du fait, par exemple, dune opposition entre pouvoir théorique et pouvoir réel, dune incertitude due à lérosion du pouvoir officiel et de la contradiction entre la participation préconisée et les normes de productivité imposées ou encore dun refus des subordonnés de participer.
Outre les nombreuses recherches qui ont plutôt mis laccent sur les effets respectifs dun style de gestion autoritaire ou participatif sur le rendement et la santé du personnel, dautres façons de concevoir la gestion du personnel ont été étudiées (Jennings, Cox et Cooper, 1994). Cest ainsi que Levinson (1978) sest penché sur les effets dune gestion «abrupte». Les employeurs de ce type visent avant tout le résultat; ils sont agressifs et intelligents (comme les personnalités du type A), mais fonctionnent moins bien sur le plan affectif. Quick et Quick (1984) précisent à cet égard que le besoin de perfection, lhypertrophie du moi, la condescendance et lesprit critique dun chef difficile créent un sentiment dinaptitude chez ses subordonnés. Comme le suggère Levinson, une personnalité abrupte est déjà difficile à supporter chez un collègue, mais chez un supérieur, elle peut avoir des effets dévastateurs sur les relations interpersonnelles en général et pour ses subordonnés en particulier.
De plus, certains auteurs estiment quon ne peut réellement comprendre leffet que peut avoir le style de gestion et la personnalité dun chef sur la sécurité et la santé des salariés quen prenant en compte la nature des tâches et les pouvoirs quil détient. Par exemple, Fiedler (1967) avec sa théorie de la contingence, considère quil existe huit grands types de situations selon la façon dont se combinent les dichotomies suivantes: a) la nature des relations entre le chef et le subordonné; b) la structure hiérarchique imposée par le travail; et c) le pouvoir du chef. Ces huit combinaisons peuvent être organisées en un continuum avec, à une extrémité (situation no 1), un chef qui a de bonnes relations avec son personnel, assume une activité hautement structurée et possède une forte autorité, et à lautre (situation no 8), un chef qui a de mauvaises relations avec son personnel, assume un rôle faiblement structuré et a très peu dautorité. Du point de vue du stress, ces huit situations constituent une suite qui va dun stress faible à un stress élevé. Fiedler a également étudié deux types de chefs: celui qui tend à noter négativement la plupart des caractéristiques du travailleur quil aime le moins, et celui qui voit de nombreuses qualités même chez les membres du personnel quil naime pas. A partir de là, Fiedler prévoit quelle peut être la performance de ce chef. Daprès lui, le premier (celui qui a du mal à voir des aspects positifs chez les subalternes quil naime pas) sera plus efficace dans les situations 1 et 8, où le niveau de stress est très bas pour la première et très élevé pour la deuxième. De son côté, le chef qui est capable de voir des côtés positifs même chez les collaborateurs quil naime pas sera plus efficace dans les situations intermédiaires où lon peut sattendre à ce que le stress soit modéré. Dune façon générale, les études effectuées ultérieurement (Strube et Garcia, par exemple, 1981) ont confirmé les idées de Fiedler.
Daprès dautres théories sur lautorité, les patrons ou les chefs dont la priorité est la tâche à accomplir créent du stress. Seltzer, Numerof et Bass (1989) ont constaté que les chefs intellectuellement très stimulants augmentaient le stress et lépuisement professionnel de leurs subordonnés, et Misumi (1985), que les chefs qui attachaient beaucoup dimportance à ce qui était produit provoquaient des symptômes physiologiques de stress. Pour sa part, Bass (1992) a tiré dune série dexpériences en laboratoire la conclusion quun style de gestion axé sur la production suscitait des niveaux élevés danxiété et dhostilité. En revanche, selon les théories de lautorité dite «transformatrice» et charismatique (Burns, 1978), les chefs qui ont ce type dautorité ont des subordonnés généralement plus sûrs deux-mêmes et plus intéressés par leur travail et ils diminuent le stress que peuvent éprouver ces subordonnés.
En somme, les chefs qui ont de la considération pour leur personnel et préfèrent un style de gestion participatif, qui sont moins obnubilés par la production ou le travail à faire et qui accordent à leurs subordonnés une certaine autonomie, sont ceux qui ont le plus de chances de voir diminuer la fréquence des maladies et des accidents du travail dans leur entreprise.
La plupart des articles du présent chapitre étudient les aspects du travail qui ont un lien direct avec le salarié. Dans cet article, on traitera plutôt deffets plus indirects, à savoir des caractéristiques propres aux entreprises en général qui peuvent influer sur la santé et le bien-être des travailleurs. La question est de savoir dans quelle mesure la façon dont certaines entreprises organisent les divers milieux de travail est favorable à la santé de leur personnel ou si, au contraire, leurs salariés y courent davantage un risque de stress. La plupart des modèles théoriques danalyse du stress professionnel prennent en compte un certain nombre de variables structurelles telles que la taille de lentreprise, labsence de participation aux décisions et la formalisation (Beehr et Newman, 1978; Kahn et Byosiere, 1992).
La structure organisationnelle est la façon dont les rôles et les fonctions sont officiellement répartis au sein dune entreprise en vue de coordonner les diverses fonctions ou sous-systèmes pour atteindre de façon efficace ses objectifs (Porras et Robertson, 1992). Cette structure représente donc un ensemble coordonné de sous-systèmes qui permet la réalisation des objectifs et la mission de lentreprise, et qui détermine la division du travail, les relations hiérarchiques, les circuits officiels de la communication, les rôles de chaque sous-système et les relations entre ces sous-systèmes. La structure de lentreprise peut donc être considérée comme un ensemble de mécanismes formels destinés à renforcer la compréhension des événements, leur prévisibilité et leur contrôle, trois impératifs que Sutton et Kahn (1987) estiment être les meilleurs antidotes contre le stress que suscite la vie au sein dune organisation de ce genre.
Lune des premières caractéristiques de lentreprise quon ait étudiée en tant que facteur de risque, est sa taille. Contrairement aux études sur les risques dexposition professionnelle à des substances dangereuses, selon lesquelles les grosses entreprises ou les grands établissements sont plus sûrs parce que moins dangereux et mieux équipés pour faire face à des dangers éventuels (Emmett, 1991), on a dabord cru que les grandes entreprises présentaient un plus grand risque de stress professionnel pour leur personnel. Il semblait en effet quelles avaient tendance à bureaucratiser leur structure pour gérer leur surcroît de complexité. Une structure bureaucratique de ce genre se caractérise en général par une division du travail par spécialisation fonctionnelle, une stricte hiérarchisation du pouvoir, une réglementation précisant les droits et les devoirs de chacun, un traitement impersonnel des travailleurs et un système de procédures pour traiter toutes les situations dans le travail (Bennis, 1969). A première vue, on pourrait penser que la plupart de ces méthodes bureaucratiques devraient contribuer à la prévisibilité et à la compréhension des événements dans le milieu de travail et diminuer, par là même, le stress professionnel. Mais il apparaît également quelles risquent aussi de réduire la maîtrise que les salariés ont sur les événements survenant dans le milieu de travail du fait de la rigidité de la hiérarchie.
Etant donné ces caractéristiques de la structure bureaucratique, il nest pas surprenant que la taille de lentreprise nait pas été considérée en soi comme un facteur général de risque (Kahn et Byosiere, 1992). Létude de Payne et Pugh (1976) offre cependant quelques données selon lesquelles la taille de lentreprise augmenterait indirectement le risque de stress. Ils démontrent en effet que les grandes entreprises souffrent dun manque de communication; les postes et les tâches tendent à se parcelliser et la coordination y est souvent insuffisante. Doù une diminution de la compréhension et de la prévisibilité des événements dans le travail et donc, de lemprise que lon peut en avoir, autant déléments qui concourent à une aggravation du stress (Tetrick et LaRocco, 1987).
Ces diverses observations sur la taille de lentreprise ont conduit à penser que les deux aspects structurels de lentreprise qui présentent le plus de risques pour le personnel sont la formalisation et la centralisation. On entend par formalisation les procédures et règlements écrits qui régissent les activités des travailleurs et, par centralisation, la concentration étroite du pouvoir de décision aux échelons hiérarchiques supérieurs. Pines (1982) fait remarquer que ce nest pas la formalisation au sein de la bureaucratie qui est source de stress professionnel ou dépuisement, mais plutôt les tracasseries administratives inutiles, la paperasserie et les problèmes de communication qui peuvent en découler. Si les règlements manquent de précision, ils peuvent être la source dambiguïtés ou de contradictions susceptibles dentraîner des conflits ou une mauvaise compréhension des mesures à prendre dans certaines situations. Si, au contraire, ils sont trop détaillés, les salariés risquent de se sentir gênés dans leur capacité datteindre leurs objectifs, spécialement lorsque lentreprise traite avec des clients. Lorsque la communication est mauvaise, le personnel peut avoir un sentiment disolement et daliénation parce quil ne peut ni prévoir ni comprendre les événements qui surviennent dans le cadre de son travail.
Bien que ces divers aspects du milieu de travail soient aujourdhui acceptés comme constituant des facteurs de risque, les données empiriques dont on dispose sur la formalisation et la centralisation sont loin dêtre convergentes. Au moins deux causes peuvent expliquer ces divergences. Premièrement, la plupart de ces travaux partent de lhypothèse dune structure unique ayant le même niveau de formalisation et de centralisation dans toute lentreprise. Hall (1969) était davis que lentreprise pouvait être étudiée comme un tout, mais il a montré toutefois que le degré de formalisation, de même que le pouvoir de décision, pouvaient être très différents selon les services de cette entreprise. Cest pourquoi, si lon considère un phénomène individuel comme lest le stress au travail, on aura sans doute avantage à analyser la structure de chacun des services de lentreprise plutôt que celle de lentreprise dans son ensemble. Deuxièmement, certaines données semblent indiquer quil peut y avoir des différences individuelles dans les réactions aux variables structurelles. Par exemple, Marino et White (1985) ont constaté que la relation entre la formalisation et le stress professionnel était positive lorsque les individus ont un statut leur conférant un certain locus de contrôle dans leur travail, alors quelle était négative chez ceux qui estiment avoir peu de maîtrise sur les divers éléments de leur environnement. Le manque de participation, par ailleurs, nétait pas compensé par lexis-tence de ce locus de contrôle et se traduisait par des niveaux de stress plus élevés. Il semble également que certaines différences culturelles influent sur les réactions des individus aux variables structurelles, ce qui pourrait savérer important pour les entreprises multinationales dont les activités débordent les frontières nationales (Peterson et coll., 1995). Ces différences culturelles peuvent également expliquer la difficulté dadopter les systèmes et les procédures organisationnels venant de létranger.
Même si lon manque encore de données empiriques tendant à montrer que les variables structurelles seraient des facteurs de risques psychosociaux, il est recommandé aux entreprises de modifier leur organisation en faveur de structures plus horizontales, comportant moins déchelons hiérarchiques et moins de circuits de communication, plus décentralisées, laissant un plus grand pouvoir de décision aux échelons inférieurs et plus intégrées, avec moins de tâches spécialisées (Newman et Beehr, 1979). Ces recommandations confirment celles des théoriciens de lorganisation pour qui la structure bureaucratique traditionnelle nest pas la plus efficace ni la plus saine. (Bennis, 1969). Cela est plus vrai encore lorsquon songe aux progrès technologiques qui, dans les domaines de la production et de la communication, caractérisent le milieu de travail postindustriel (Hirschhorn, 1991).
Au cours des vingt dernières années, les restructurations sont allées bon train afin de faire face aux menaces de la mondialisation et dune concurrence internationale accrue, en particulier en Amérique du Nord et en Europe occidentale (Whitaker, 1992). En 1988, Straw, Sandelands et Dutton considéraient que les entreprises réagissent aux menaces de leur environnement en restreignant linformation et en resserrant les contrôles. La possibilité de prévoir, de comprendre et de contrôler les événements du milieu de travail sen trouve alors réduite, ce qui intensifie le stress chez les salariés. On peut donc penser que tout changement structurel qui prévient les effets de ce genre est bénéfique aussi bien pour la santé et le bien-être des salariés que pour la prospérité de lentreprise.
Lutilisation dune structure matricielle est un des moyens dont disposent les entreprises pour aménager leur organisation interne face à linstabilité grandissante de leur environnement externe. Pour Baber (1983), la structure matricielle idéale est celle qui comporte deux ou plusieurs systèmes hiérarchiques qui sentrecroisent, où les objectifs de lentreprise sont atteints grâce à des groupes de travail interfonctionnels et temporaires chargés deffectuer une certaine tâche, tandis que les services organiques habituels continuent à assurer les activités de routine concernant le personnel et le perfectionnement professionnel. Cette structure matricielle permet à lentreprise davoir la souplesse voulue pour réagir à linstabilité du milieu extérieur, à condition que le personnel ait la polyvalence nécessaire grâce à la diversification de ses compétences et quil soit capable dapprendre rapidement.
Bien quon ne dispose pas encore de données empiriques prouvant les effets de ce type de structure, plusieurs auteurs estiment que la structure matricielle risque daccroître le stress chez le personnel. Cest ainsi que Quick et Quick (1984) signalent que lorsquil existe plusieurs lignes hiérarchiques (agents de maîtrise et cadres fonctionnels) dans les organisations matricielles, les risques de conflits de rôles augmentent. De même, Hirschhorn (1991) estime que dans les entreprises de lère postindustrielle, les travailleurs sont souvent amenés à remettre en question leurs compétences, ce qui les oblige à suivre de nouvelles formations. Ils doivent être capables dadmettre leur provisoire incompétence, ce qui peut accroître leur stress. Ces nouvelles structures telles que lorganisation matricielle ne sont donc pas dépourvues de facteurs de risque.
Les efforts faits pour modifier ou restructurer les entreprises, quelle que soit la structure particulière quelles ont décidé dadopter peuvent être, eux aussi, des sources de stress dans la mesure où elles portent atteinte à la sécurité et à la stabilité du système, créent des conflits de responsabilités, de rôle et de statuts, et mettent en lumière des problèmes à résoudre (Golemblewski, 1982). On peut cependant compenser ces sources de stress par une organisation de nature à latténuer, notamment en développant la prise de responsabilités à tous les niveaux ainsi que la participation aux décisions, en ouvrant davantage la communication et en dispensant au personnel une formation à la dynamique de groupe et au règlement des conflits (Golemblewski, 1982; Porras et Robertson, 1992).
Sil est vrai, daprès les travaux de recherche, que lon peut associer certains facteurs de risque professionnels à des types particuliers de structures de lentreprise, leffet de ces aspects globaux de lorganisation nest quindirect. La structure de lentreprise peut fournir un cadre permettant daugmenter la capacité de prévoir, de comprendre et de contrôler les événements qui se déroulent au travail; toutefois, à leffet quelle peut avoir sur la santé et le bien-être du personnel se mêlent dautres considérations plus immédiates telles que les rôles réciproques et les relations interpersonnelles. Si lon veut que la structure dune entreprise soit bonne à la fois pour le personnel et pour lentreprise elle-même, elle doit prévoir de la souplesse dans son organisation et pour les salariés, ainsi que des systèmes sociotechniques qui concilient les exigences techniques et la structure sociale en son sein.
Le cadre dans lequel les gens sont appelés à travailler au sein dune entreprise comporte de nombreuses caractéristiques (autorité, structure, gratifications, communication, etc.) que lon a regroupées sous les concepts généraux de climat et de culture dentreprise. Par climat, on entend la façon dont les pratiques de lentreprise sont perçues par ceux qui y travaillent (Rousseau, 1988). Les études du climat sintéressent à la plupart des concepts les plus fondamentaux de la recherche sur lorganisation des entreprises. Les aspects les plus courants du climat sont la communication (que lon décrira comme ouverte ou fermée, par exemple), les conflits (constructifs ou dysfonctionnels), lautorité (dans la mesure où elle implique soutien ou focalisation) et limportance donnée à la reconnaissance et aux gratifications (information en retour positive ou négative, préférence pour un système de récompenses ou de sanctions, par exemple). Lorsquon les étudie ensemble, on constate que ces caractéristiques organiques sont toutes intimement liées (autorité et gratifications, par exemple). Le climat caractérise les pratiques suivies à différents niveaux de lentreprise (le climat de lunité de travail ou le climat général, par exemple). Les études du climat varient en fonction des activités sur lesquelles elles portent (la sécurité ou le service, par exemple). En fait, le climat est essentiellement une description du cadre de travail par ceux qui y sont directement plongés.
Le rapport entre le climat de lentreprise et le bien-être du salarié (satisfaction, stress au travail, tension, etc.) a été très souvent étudié. Etant donné que les mesures du climat sont un résumé des principales caractéristiques organiques de lentreprise telles que vécues par les travailleurs, on peut dire que toute étude de la perception quont les salariés de leur cadre de travail est une étude du climat. Ces études lient les caractéristiques du climat (autorité, communication ouverte, participation et règlement des conflits, en particulier) à la satisfaction du personnel (ou, inversement, à lintensité du stress) (Schneider, 1985). Les climats stressants se caractérisent par une faible participation aux décisions, le recours à des sanctions et à une information en retour négative (plutôt quà des récompenses et à une information en retour positive), par la fuite devant les conflits ou la confrontation (plutôt que la solution des problèmes), et par des relations peu solidaires au sein du groupe et avec le chef. Les climats caractérisés par une certaine solidarité collective sont bons pour la santé mentale des salariés, car on relève alors des taux danxiété et de dépression plus faibles (Repetti, 1987). Lorsque les membres du personnel qui doivent travailler en relation les uns avec les autres ont tous une perception négative de certaines caractéristiques de leur entreprise, on constate généralement quil règne une mauvaise ambiance générale et que des maladies psychogènes apparaissent (Colligan, Pennebaker et Murphy, 1982). Les études du climat qui sintéressent plus particulièrement à des aspects donnés de lorganisation de lentreprise, tels que la sécurité, par exemple, montrent quun manque de transparence dans la communication sur les questions de sécurité, des récompenses trop rares pour ceux qui signalent des risques professionnels et tout autre élément négatif du climat se traduisent par une augmentation de la fréquence des accidents du travail et des maladies professionnelles (Zohar, 1980).
Puisque le climat de lentreprise se manifeste à plusieurs niveaux et quil recouvre toutes sortes de pratiques, lévaluation des facteurs de risque pour le personnel doit envisager systématiquement léventail des relations dans son ensemble (au niveau de lunité de travail, du service ou de lentreprise tout entière) et des activités de lentreprise (sécurité, communication ou système de gratifications, par exemple) qui concernent les salariés. Les facteurs de risque liés au climat peuvent en effet différer dun service à lautre.
La culture dentreprise recouvre lensemble des valeurs, des normes et des comportements que partagent les membres de son personnel. Les chercheurs en dénombrent cinq types principaux à savoir: les principes de base (les convictions inconscientes à partir desquelles les membres du personnel forment leurs interprétations en ce qui concerne, par exemple, le temps de travail, ou le caractère hostile ou stable du milieu de travail), les valeurs de lentreprise (la préférence donnée à certains objectifs plutôt quà dautres, tels le service ou le profit), les normes de conduite (les modèles de comportements considérés comme indiqués ou inappropriés, tels les codes vestimentaires ou le travail en équipe), les modes de comportement habituels (tels la réaction devant de bons résultats ou lhabitude de renvoyer les décisions aux échelons supérieurs de la hiérarchie) et, enfin, les signes (les symboles et objets utilisés par lentreprise pour exprimer des messages culturels, tels que les ordres de mission ou les logos). Les aspects de cette culture les plus subjectifs (les principes de base, les valeurs et les normes) reflètent la façon dont le personnel conçoit et interprète son cadre de travail. Ces traits subjectifs donnent une signification aux comportements et aux signes qui ont cours dans lentreprise. La culture dentreprise, comme son climat, peuvent exister à de nombreux niveaux, tels que:
Les cultures peuvent être fortes (communes à lensemble du personnel), faibles (limitées à quelques salariés) ou transitoires (lorsquune culture se substitue progressivement à une autre).
Contrairement au concept du climat, celui de la culture dentreprise est moins souvent étudié en tant que facteur de bien-être des salariés ou de risques professionnels. Cette lacune tient à la fois au fait que la notion de culture dentreprise est une notion relativement récente dans les études sur les entreprises, ainsi que dans les débats idéologiques concernant la nature de cette culture, sa mesure (quantitative ou qualitative) et à la nécessité détudes transversales à son propos (Rousseau, 1990). Daprès les recherches quantitatives effectuées jusquà présent sur la culture dentreprise et, notamment, sur les normes et les valeurs de comportement, il apparaît que les pratiques donnant la préférence au travail déquipe se traduisent plus souvent par une plus grande satisfaction des salariés et par des tensions moins fortes que celles qui privilégient le contrôle et les méthodes bureaucratiques (Rousseau, 1989). En outre, plus les valeurs du travailleur correspondent à celles de lentreprise, plus la satisfaction est grande et le stress limité (OReilly et Chatman, 1991). Les cultures dentreprise affaiblies ou brisées par des conflits de rôles ou par un désaccord au sein du personnel sont des sources de stress et de crises dans les identités professionnelles (Meyerson, 1990). Les ruptures ou la désintégration des cultures dentreprise provoquées par les crises économiques ou politiques se répercutent sur le moral des salariés tant sur le plan psychologique que physique, notamment lorsquelles impliquent des compressions deffectifs, des fermetures dusines ou autres séquelles des restructurations (Hirsch, 1987). La valeur de certaines formes de culture dentreprise (hiérarchiques ou de type «militaire», par exemple) dans le cadre dune société moderne a été mise en cause par plusieurs auteurs (Hirschhorn, 1984; Rousseau, 1989) qui se sont intéressés au stress et aux divers effets de ces formes de culture sur la santé des travailleurs dans certains métiers (les techniciens des centrales nucléaires ou les contrôleurs de la navigation aérienne, par exemple) et aux risques qui peuvent en résulter pour la population.
Pour évaluer les facteurs de risque à la lumière des informations dont on dispose sur la culture dentreprise, il est nécessaire dexaminer dabord dans quelle mesure les membres de lentreprise partagent ou non les mêmes valeurs, normes et principes fondamentaux. Les différences de fonctions, dorigine, de niveaux dinstruction du personnel créent des sous-cultures au sein de lentreprise, si bien que les facteurs de risque liés à la culture peuvent varier au sein dun même établissement. Etant donné que les cultures dentreprise ont tendance à être stables et à résister aux changements, lhistoire de lentreprise peut contribuer à cette évaluation des facteurs de risque aussi bien en ce qui concerne les aspects stables et permanents de cette culture que le stress ou lagitation nés de changements (Hirsch, 1987).
Climat et culture dentreprise se recoupent dans une certaine mesure, étant donné que les schémas de comportement par lesquels on tend à définir la culture dentreprise correspondent dans une large mesure à lobjet des recherches sur son climat. Toutefois, les membres dune entreprise peuvent en décrire le climat de la même manière, mais en tirer une interprétation différente du fait de leurs diversités culturelles et sous-culturelles (Rosen, Greenlagh et Anderson, 1981). Par exemple, certains considéreront une gestion très structurée et une faible participation aux décisions comme des aspects négatifs et autoritaristes, alors quelles seront, pour dautres, des aspects positifs et légitimes. Linfluence sociale que reflète linterprétation que donnent les membres du personnel des caractéristiques et des activités de lentreprise est fonction des aspects sociaux qui font la culture de lentreprise. On aura donc avantage, lorsquon étudie limpact de lentreprise sur le bien-être de ses salariés, à évaluer simultanément climat et culture.
Il existe dans le monde de multiples formes de rémunération par lesquelles les entreprises et les administrations payent les travailleurs pour leur contribution physique et mentale. La rémunération est la contrepartie en argent des efforts de lindividu à qui elle sert, dans la plupart des sociétés, à assurer sa subsistance et celle de sa famille. Echanger son travail contre de largent est une pratique ancestrale.
Pour ce qui est du stress, les types de rémunération qui peuvent être néfastes pour la santé sont les systèmes qui incitent les travailleurs à travailler plus ou plus longuement. Certes, il peut y avoir stress professionnel dans nimporte quel cadre de travail où la rémunération nest pourtant pas liée à des incitations de ce genre. Mais cest généralement dans le cadre de ces systèmes que lon relève des niveaux de performance physique et mentale nettement au-dessus de la normale et susceptibles de provoquer des lésions corporelles ou un stress mental dangereux.
Le mesurage de la performance est utilisé sous une forme ou sous une autre par la plupart des entreprises et il est essentiel pour la mise en uvre des programmes dincitation. De tels mesurages (normes de référence) peuvent être fixés pour la quantité produite, la qualité de la production, les délais dexécution ou pour toute autre évaluation de la productivité. Voici ce quen disait Lord Kelvin en 1883: «Il marrive souvent de dire que lorsquon peut mesurer ce dont on parle et lexprimer en chiffres, on en sait quelque chose; mais lorsquon ne peut ni le mesurer, ni lexprimer sous forme chiffrée, la connaissance que lon en a est maigre et insuffisante; ce peut être le début de cette connaissance, mais lon na guère progressé, ni sur le plan conceptuel, ni sur le plan scientifique, et cela quel que soit le sujet considéré.»
Le mesurage de la performance devrait être étroitement lié aux objectifs fondamentaux de lentreprise. Un système de mesurage mal conçu ne peut favoriser la réalisation des objectifs. Les critiques les plus courantes émises à lencontre des mesurages de la performance sont en général que leurs objectifs ne sont pas clairs, quils manquent de précision, quils ne correspondent pas à la stratégie de lentreprise (quand ils ne lui sont pas contraires), quils sont injustes ou peu cohérents, et quils risquent dêtre surtout utilisés pour «punir» les gens. Pourtant, ces mesures constituent des repères indispensables: «Si lon ne sait pas où lon est, on ne peut arriver là où on va.» Ce qui est sûr, cest que les travailleurs, à tous les niveaux dune entreprise, optent de préférence pour les comportements pour lesquels ils vont être payés et pour lesquels ils savent quils vont être récompensés. Ce qui est mesuré et récompensé est fait.
Les mesures de la performance doivent être équitables et uniformes si lon veut limiter le stress du personnel. Il existe plusieurs méthodes qui vont de la simple évaluation de bon sens (estimation) jusquaux techniques scientifiques de mesurage du travail. Dans le cadre des méthodes appliquées pour mesurer la performance, on considère que la performance optimale (100%) est le niveau qui correspond à «une bonne journée de travail». Ce qui veut dire leffort et la qualification dont doit faire preuve un travailleur moyen ayant reçu la formation voulue, pour travailler sans fatigue inutile tout en produisant un travail de qualité acceptable pendant la durée de son poste. Une performance de 100% ne signifie pas une performance maximale; il sagit de leffort et de la qualification moyens ou normaux dun groupe de travailleurs. A titre de comparaison, 70% est généralement considéré comme le niveau de performance minimale acceptable et 120% comme le niveau deffort et de qualification que le travailleur moyen devrait pouvoir atteindre si on lui offre une incitation dau moins 20% au-dessus du salaire de base. Bien que plusieurs systèmes dincitation prennent 120% comme valeur de référence, ce pourcentage peut varier. Les normes recommandées pour les systèmes de rémunération au rendement prévoient la possibilité pour les travailleurs de gagner de 20 à 35% de plus que le salaire de base sils ont un niveau de qualification normal et sils peuvent fournir un effort intense et soutenu.
Même si laxiome «toute peine mérite salaire» peut séduire, lidée de mesurer le travail pour établir une échelle de rendement risque de poser des problèmes de stress. Les mesurages de la performance sont établis par référence aux résultats normaux ou moyens dun groupe de travailleurs donné (cest-à-dire que ces normes sont fixées daprès le rendement dun groupe et non dun individu). Cest dire que, par définition, une grande partie de ceux qui effectuent la même tâche tomberont au-dessous de la moyenne (au-dessous du repère de 100%), entraînant un déséquilibre exigence/ressources qui peut déclencher un stress physique ou mental. Les travailleurs qui ne parviennent pas à assurer un niveau de performance suffisant souffriront probablement de stress par surcharge de travail et à cause des remarques négatives de leur supérieur et de la menace de perdre leur emploi si leur performance continue à se situer au-dessous de ce niveau de référence de 100%.
Sous une forme ou une autre, les incitations à la performance ont toujours existé. Cest ainsi que saint Paul, dans le Nouveau Testament (II Timothée 2,6) déclarait déjà: «Cest au paysan qui a travaillé dur que revient la plus grande part de la récolte.» A lheure actuelle, la plupart des entreprises sefforcent daméliorer la productivité et la qualité pour conserver ou améliorer leur position concurrentielle. Le plus souvent, les travailleurs ne consentent pas à travailler davantage sans une forme ou une autre dencouragement. A condition dêtre bien conçus et bien appliqués, les programmes dincitations financières peuvent y contribuer. Avant dinstaurer un programme de ce genre, une échelle de la performance doit être établie. Les divers plans dincitation actuels rentrent dans lune des catégories suivantes: les incitations financières directes, les incitations financières indirectes et les incitations immatérielles.
Les programmes dincitations financières directes peuvent être appliqués individuellement ou collectivement. Les programmes individuels calculent la récompense de chaque salarié en fonction de sa performance évaluée par rapport à une norme et à une donnée de base. Les régimes collectifs sappliquent à deux ou plusieurs personnes qui travaillent en équipe et dont les tâches sont normalement interdépendantes. La prime reçue par chaque travailleur sera calculée à partir de son salaire de base et de la performance du groupe pendant la période considérée.
La motivation à maintenir des niveaux de production élevés est en général plus forte avec les incitations individuelles, car elles permettent aux travailleurs très performants de gagner davantage. Toutefois, maintenant que les entreprises sorientent vers la gestion participative, la responsabilisation collective et le travail en équipe, ce sont généralement les systèmes dincitation collectifs qui donnent globalement les meilleurs résultats. Leffort du groupe améliore plus lensemble du système que les optimisations individuelles. Lintéressement aux profits, qui est une incitation collective par laquelle les équipes se mobilisent en vue dune amélioration permanente en offrant une partie (normalement 50% de tous les gains de productivité qui dépassent la norme de référence) au groupe considéré, est une forme dincitation directe et collective qui convient tout particulièrement aux entreprises qui recherchent lamélioration constante.
Les programmes dincitations financières indirectes sont généralement moins efficaces que les précédents, mais leur grand avantage est quils nexigent pas autant de précision dans le mesurage de la performance. Toutes les politiques de lentreprise qui ont une influence positive sur le moral du personnel se traduisent par une augmentation de la productivité et apportent un certain avantage financier aux salariés sont considérées comme des programmes dincitation indirecte. Il convient de noter que, dans ces programmes, il nexiste pas de véritable lien entre la production du salarié et lincitation financière. On peut citer à titre dexemple de ce type dincitations les niveaux de salaire de base relativement élevés, les prestations sociales généreuses, les gratifications et primes de fin dannée et la participation aux bénéfices.
Les incitations immatérielles sont des récompenses qui nont pas de conséquences financières pour les salariés (ou très peu), mais qui peuvent, lorsquelles correspondent aux vux du personnel, améliorer la productivité. Cest le cas des programmes denrichissement des tâches (on ajoute de lintérêt ou une satisfaction intrinsèque aux tâches à effectuer), des initiatives délargissement des tâches (on ajoute des tâches de façon que le travailleur puisse réaliser une pièce tout entière ou un produit «complet»), des plans de suggestions à caractère non financier, des groupes de participation et des congés supplémentaires sans réduction de salaire.
De quelque nature quelles soient, les incitations à la performance font aujourdhui partie intégrante de beaucoup de systèmes de rémunération. Dune façon générale, il importe dévaluer avec soin ces systèmes afin de faire en sorte que les travailleurs ne dépassent pas les limites ergonomiques de la sécurité ou du stress mental. Cette remarque est particulièrement importante pour les systèmes individuels dincitations financières directes. Le problème est moins grave pour les systèmes collectifs, quils soient directs, indirects ou immatériels.
Ces incitations sont à recommander dans la mesure où elles améliorent la productivité et donnent aux salariés le moyen dobtenir un revenu supplémentaire ou divers autres avantages. Lintéressement des salariés aux bénéfices est actuellement lune des meilleures formes dincitation pour toute entreprise qui fonctionne selon un système de travail en groupe ou en équipe et qui souhaite offrir à ses salariés des primes et obtenir des améliorations sans risquer que le système dincitations ne soit lui-même une source de stress préjudiciable à la santé.
La fréquence du recours à une main-duvre dappoint et le traitement qui lui est réservé diffèrent énormément selon les pays. Par main-duvre dappoint, on entend les travailleurs par intérim engagés par le biais dagences de travail temporaire, les travailleurs temporaires engagés directement, les travailleurs à temps partiel que ce soit par choix ou parce quils ne peuvent trouver mieux et les travailleurs indépendants. Les différences de définition de ces diverses catégories de travailleurs rendent difficiles les comparaisons internationales.
Daprès Overman (1993), il y aurait moitié plus dagences de travail temporaire en Europe occidentale quaux Etats-Unis où les travailleurs intérimaires ne constituent que 1% de la main-duvre. Il ny a que très peu dagences de travail temporaire en Italie et en Espagne.
Bien que ces diverses catégories de personnel auxiliaire varient considérablement, dans tous les pays dEurope, la majorité des travailleurs à temps partiel sont des femmes occupées à des emplois à bas salaire. Aux Etats-Unis également, il sagit le plus souvent de femmes jeunes appartenant à des minorités ethniques. La protection que la loi offre à ce type de main-duvre en ce qui concerne les conditions de travail, la santé au travail et les divers avantages sociaux diffère dun pays à lautre. Au Chili, aux Etats-Unis, à Hong-kong, au Mexique, en République de Corée et au Royaume-Uni, la réglementation est relativement souple, alors quelle est beaucoup plus stricte en Allemagne, en Argentine, en France et au Japon (Overman, 1993). Une législation renforcée prévoyant une meilleure protection de ce type de main-duvre dappoint contribuerait certainement à réduire le stress professionnel chez ces travailleurs, mais des contraintes juridiques de ce genre risquent globalement, en raison de laugmentation du coût des avantages ainsi imposés, de pousser les employeurs à diminuer leurs recrutements.
Le partage des emplois peut être une alternative à la main-duvre auxiliaire. Il peut prendre trois formes: deux personnes assument lensemble des responsabilités dun emploi à temps plein; deux personnes occupent un seul poste à temps plein et sen répartissent les responsabilités, généralement par projet ou par groupes de clients; ou encore, deux salariés effectuent des tâches distinctes et sans lien entre elles, mais qui sont couplées sous un même poste (Mattis, 1990). Les études réalisées sur le sujet indiquent que, la plupart du temps, ces emplois partagés, de même que les emplois auxiliaires, reviennent aux femmes. Toutefois, contrairement au travail auxiliaire, les postes partagés sont régis par la législation sur les salaires et la durée du travail et il peut sagir demplois non manuels, voire de postes dencadrement. Au sein de lUnion européenne, cest en Grande-Bretagne que le partage des emplois est le plus couramment pratiqué et cest dans le secteur public quil a été introduit pour la première fois (Lewis, Izraeli et Hootsmans, 1992). Ce nest quau début des années quatre-vingt-dix que le gouvernement des Etats-Unis a mis en uvre un programme demplois partagés denvergure nationale pour ses agents de ladministration fédérale, alors que les administrations de bon nombre dEtats avaient créé des réseaux demplois partagés dès 1983 (Lee, 1983). Le partage des emplois est vu comme un bon moyen de concilier responsabilités professionnelles et responsabilités familiales.
Il existe toute une terminologie pour rendre lidée dun lieu de travail variable ou dun travail effectué chez soi: télétravail, entreprise domiciliaire, travail indépendant du lieu, travail à distance, etc. Dans le cadre du présent article, nous entendons par là «tout travail qui seffectue dans un ou plusieurs lieux prédéterminés, tels que le domicile ou un lieu de travail satellite situé hors du bureau traditionnel et pour lequel certaines communications sont maintenues avec lemployeur grâce à la télématique (ordinateurs, téléphone et télécopieur)» (Pitt-Catsouphes et Marchetta, 1991).
LINK Resources, Inc., entreprise privée de télétravail qui opère dans le monde entier, a estimé quil y avait 7,6 millions de télétravailleurs en 1993 aux Etats-Unis sur les plus de 41,1 millions de foyers où se pratique le travail à domicile. Au total, 81% de ces télétravailleurs travaillaient à temps partiel pour des employeurs occupant moins de 100 personnes dans des secteurs très divers et dans de nombreuses régions différentes. Cinquante-trois pour cent dentre eux étaient des hommes, contrairement à la main-duvre auxiliaire ou aux emplois partagés où les femmes sont majoritaires. Une enquête effectuée auprès de 50 entreprises américaines a montré, elle aussi, que les télétravailleurs étaient en majorité des hommes ayant négocié une certaine flexibilité dans les modalités de leur travail, notamment sagissant de postes de cadres (production et personnel), dactivités centrées sur la clientèle ou demplois exigeant des déplacements fréquents (Mattis, 1990). En 1992, on comptait au Canada 1,5 million de foyers où une personne au moins dirigeait une affaire à partir de son domicile.
Lewis, Izraeli et Hootsman (1992) ont fait observer que contrairement aux premières prévisions, le télétravail ne sest pas beaucoup répandu en Europe, sauf peut-être au Royaume-Uni et en Allemagne où il est relativement fréquent dans certaines professions libérales, telles quinformaticien, comptable ou agent dassurances.
En revanche, certains travaux à domicile, tant aux Etats-Unis quen Europe, sont rémunérés à la pièce et impliquent des délais dexécution très courts. Alors que les télétravailleurs sont généralement des hommes, les travaux à domicile mal payés, à la pièce et sans avantages sociaux, sont le plus souvent le lot des femmes (Hall, 1990).
Les chercheurs qui se sont intéressés à ces questions ont surtout essayé de définir: a) le genre de personnes à qui le travail à domicile convient le mieux; b) le genre de travail qui se pratique le plus facilement à domicile; c) les procédures grâce auxquelles le travail à domicile peut être une bonne solution pour tous les intéressés; et d) les raisons qui militent en faveur dun appui organique de lemployeur (Hall, 1990; Christensen, 1992).
La façon denvisager les problèmes et les programmes de prévoyance sociale est très différente selon la culture et les valeurs des pays considérés. Ferber, OFarrell et Allen (1991) ont étudié certaines de ces différences pour les Etats-Unis, le Canada et lEurope occidentale.
Les propositions de réforme de laide sociale aux Etats-Unis envisagent une refonte complète du système traditionnel daide publique pour faire en sorte que les bénéficiaires travaillent en échange des prestations versées. On estime que cette réforme coûtera entre 15 et 20 milliards de dollars échelonnés sur cinq ans, mais quelle entraînera des économies considérables à long terme. Les coûts de gestion de laide sociale aux Etats-Unis pour des programmes tels que les coupons alimentaires, lassurance médicale Medicaid et laide aux familles avec enfants à charge, a progressé de 19% entre 1987 et 1991, ce qui correspond à laugmentation du nombre de prestataires.
Le Canada a instauré un programme de «travail partagé» comme alternative aux licenciements et pour éviter la dépendance à légard de lassistance publique. Le programme de la Commission de lemploi et de limmigration du Canada (CEIC) permet aux employeurs de faire face aux compressions deffectifs par une diminution de la durée hebdomadaire de travail de un à trois jours avec diminution correspondante du salaire. Pour les jours où ils ne travaillent pas, la CEIC permet aux travailleurs de toucher les prestations normales dassurance chômage, de façon à compenser la perte de salaire et atténuer les difficultés du licenciement. Ces prestations sont versées pendant 26 semaines avec une prolongation possible de 12 semaines. Les travailleurs licenciés peuvent utiliser le système de lemploi partagé pour acquérir une formation et, dans le cadre de sa stratégie pour lemploi, le gouvernement fédéral canadien peut rembourser à lemployeur la plus grande partie de ces frais directs de formation.
Lampleur de laide accordée aux travailleurs pour la garde de leurs enfants est fonction des fondements sociologiques de la culture du pays (Scharlach, Lowe et Schneider, 1991). Les cultures qui:
consacreront davantage de ressources à cet aspect de laide sociale. Les comparaisons internationales sont donc difficiles, dabord en raison de ces quatre facteurs et, ensuite, parce que la qualité de laide en matière de garde denfants est fonction des besoins des enfants et de leur famille dans le contexte culturel qui leur est propre.
Dans lUnion européenne, cest en France que le programme daide à la garde des enfants est le plus complet. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni se sont attaqués beaucoup plus tard au problème. En 1989, on ne comptait que 3% des employeurs britanniques à proposer des services de garde denfants à leurs salariés. Lamb et coll. (1992) ont effectué des études de cas sur la question pour la Suède, les Pays-Bas, lItalie, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, Israël, le Japon, la République populaire de Chine, le Cameroun, lAfrique de lEst et le Brésil. Aux Etats-Unis, près de 3 500 entreprises sur les 17 millions dentreprises privées que compte le pays offrent une certaine aide à leurs salariés pour la garde de leurs enfants. Près de 1 100 dentre elles prennent en charge une partie du coût, 1 000 autres offrent une information et une aide au placement des enfants, mais elles sont moins de 350 à avoir créé des garderies sur place ou à proximité (Bureau of National Affairs, 1991).
Selon une étude réalisée aux Etats-Unis, 44% des hommes et 76% des femmes ayant des enfants de moins de six ans avaient dû sabsenter de leur travail au cours des trois mois précédant létude, pour des raisons familiales. Daprès les auteurs, cet absentéisme avait coûté aux entreprises concernées plus de 4 millions de dollars en salaires et prestations sociales (voir létude de Galinsky et Hughes dans Fernández, 1990). Une étude effectuée en 1981 par le General Accounting Office (organisme daudit des dépenses publiques américaines), aux Etats-Unis, montre que les entreprises américaines ont perdu plus de 700 millions de dollars par an faute dune politique adéquate en matière de congé parental.
Il ne faudra que trente ans (à partir de lannée 1994 où ce texte a été rédigé) pour que la proportion des personnes âgées passe de 7 à 14% de la population au Japon, alors quil a fallu plus de cent quinze ans en France et quatre-vingt-dix ans en Suède pour arriver au même pourcentage. Avant la fin du XXe siècle, une personne sur quatre dans de nombreux Etats membres de lUnion européenne avait plus de soixante ans. Pourtant, il ny a pas si longtemps encore, il nexistait au Japon pratiquement pas détablissements pour personnes âgées et la question de la garde de ces personnes commence à se poser en Grande-Bretagne et dans les autres pays dEurope (Lewis, Izraeli et Hootsmans, 1992). Aux Etats-Unis, on compte près de 5 millions de personnes âgées ayant besoin dune aide pour les tâches courantes afin de pouvoir rester chez elles et 30 millions ont actuellement 65 ans ou plus. Ce sont les proches parents qui fournissent plus de 80% de laide dont ces personnes ont besoin (Scharlach, Lowe et Schneider, 1991).
Plusieurs études montrent que les salariés qui ont la responsabilité de personnes âgées souffrent en général dun plus grand stress que les autres (Scharlach, Lowe et Schneider, 1991). Il sagit dun stress affectif, auquel sajoutent une fatigue physique et des problèmes financiers. Fort heureusement, de nombreuses entreprises multinationales ont commencé à se rendre compte que les situations familiales difficiles pouvaient entraîner de labsentéisme, une diminution de la productivité et une baisse de moral, si bien quelles offrent désormais à leurs salariés certains «avantages sociaux à la carte», entre lesquels ils peuvent choisir ceux qui leur seront les plus utiles: horaires souples, congés payés pour «maladie dans la famille», services dinformation sur les aides familiales ou compte de prélèvement sur salaire pour personne à charge permettant aux salariés de payer les soins apportés à une personne âgée ou les frais de garde par une retenue sur leur salaire avant imposition.
Lauteur tient à remercier Charles Anderson du Personnel Resources and Development Center (United States Office of Personnel Management), Tony Kiers de CALL (Canadian Work and Family Service) et Ellen Bankert et Bradley Googins du Center on Work and Family de lUniversité de Boston de laide quils lui ont apportée pour trouver et obtenir bon nombre des références citées dans le présent article.
On entend par intégration dans lentreprise le processus par lequel une personne extérieure à celle-ci devient un membre à part entière de son personnel. Alors que les premières études concernant cette intégration portaient essentiellement sur des indicateurs dadaptation, tels que la satisfaction au travail ou le rendement, les recherches plus récentes sintéressent davantage aux relations qui existent entre intégration et stress professionnel.
Larrivée dans une nouvelle entreprise est en soi une expérience stressante. Le nouveau venu est confronté à une myriade de facteurs de stress: ambiguïté des rôles, conflits entre les rôles, conflits entre les exigences du travail et celles de la vie privée, politique interne de lentreprise, contraintes temporelles, surcharge de travail. Ces facteurs de stress peuvent engendrer des symptômes de détresse psychologique. Selon certaines études réalisées dans les années quatre-vingt, il semble néanmoins quune bonne intégration peut atténuer le lien entre facteurs de stress et tension.
Deux grands thèmes se dégagent des travaux de recherche actuels sur la question de lintégration dans lentreprise:
Linformation que le nouveau venu acquiert au stade de son intégration dans lentreprise permet dalléger lénorme incertitude qui accompagne ses efforts de maîtrise des nouvelles fonctions, tâches et relations interpersonnelles. Cette information est souvent fournie par des programmes officiels dorientation. A défaut, ou en complément de tels programmes, lintégration a lieu de manière informelle. De récents travaux montrent que les nouveaux venus qui recherchent activement cette information sadaptent plus facilement (Morrison, 1993). Par ailleurs, ceux qui sous-estiment les facteurs de stress de leur nouvel emploi manifestent des symptômes de stress plus prononcés (Nelson et Sutton, 1991).
Le soutien des supérieurs hiérarchiques au cours du processus dintégration est particulièrement important. On constate dans ce cas moins de stress né despérances déçues (Fisher, 1985) et moins de symptômes de détresse psychologique (Nelson et Quick, 1991). Ce type dappui peut aider les nouveaux salariés à faire face aux facteurs de stress dau moins trois manières. Premièrement, en leur offrant un soutien concret (des horaires souples, par exemple) permettant datténuer un facteur de stress précis. Deuxièmement, en leur apportant un soutien psychologique qui leur permettra daffronter plus efficacement le stress. Troisièmement, en leur expliquant comment fonctionne leur nouvel environnement (Louis, 1980). Il dépend deux, par exemple, de présenter la situation de telle manière quelle paraisse stressante ou non stressante.
En résumé, les efforts dintégration qui contribuent à donner au nouveau salarié toute linformation dont il a besoin et à lui apporter le soutien de ses supérieurs peuvent éviter quun facteur de stress ne se transforme en souffrance psychologique.
Lintégration dans lentreprise est un processus dynamique, interactif et fondé sur la communication et qui se déroule sur une certaine durée. De cette complexité naît la nécessité dévaluer les efforts dintégration déployés par lentreprise. Deux grandes méthodes ont été proposées à cet effet. La première consiste à établir des modèles dintégration par étapes (Feldman, 1976; Nelson, 1987). Ces modèles conçoivent lintégration comme un processus progressif à plusieurs étapes dont chacune comporte des variables de base. La seconde recense les différentes stratégies que les entreprises mettent en uvre pour aider les nouveaux venus à sintégrer (Van Maanen et Schein, 1979).
Dans les deux cas, on part du principe quil existe certains signes dune intégration réussie, à savoir, notamment: la performance, la satisfaction au travail, le dévouement à lentreprise, linvestissement dans le travail, le désir de rester dans lentreprise, etc. Si le processus dintégration est un modérateur du stress, les symptômes de détresse psychologique, en particulier sils sont faibles, devraient figurer parmi les indicateurs du succès de lintégration.
Le rapport entre intégration et stress nayant été considéré que depuis peu, rares sont les études traitant des effets de lintégration professionnelle sur la santé. Il est prouvé pourtant que le processus dintégration peut être lié à des symptômes de détresse psychologique. Les nouveaux venus dans lentreprise qui ont trouvé utiles les échanges avec leurs supérieurs et avec dautres nouveaux arrivants ne manifestent que peu de symptômes de ce genre, comme la dépression ou lincapacité de se concentrer (Nelson et Quick, 1991); quant à ceux qui ont une bonne connaissance des facteurs de stress inhérents à leur nouvel emploi, ils ne font mention que de symptômes légers, tant psychologiques (irritabilité, par exemple) que somatiques (nausées et maux de tête).
Lintégration dans lentreprise étant source de stress, les conséquences quelle peut avoir sur la santé sont des variables quil y a lieu détudier. Des études sont à mener sur léventail des ces conséquences en combinant les données subjectives recueillies auprès des intéressés et les mesures objectives.
Les études faites de nos jours sur lintégration dans lentreprise tendent à y voir un processus générateur de stress qui, sil nest pas convenablement géré, peut engendrer des symptômes de détresse psychologique et des troubles somatiques. Les entreprises disposent dau moins trois axes dintervention pour faciliter cette transition et faire en sorte quelle ait des résultats positifs.
Premièrement, les entreprises devraient veiller à ce que les nouveaux arrivants aient une vue réaliste des facteurs de stress quils risquent de rencontrer dans leur nouvel emploi. Elles peuvent, par exemple, leur donner demblée un aperçu objectif du poste qui précise les facteurs de stress les plus fréquents et les moyens dy faire face (Wanous, 1992). Sachant à quoi sattendre, le nouveau salarié sera alors en mesure délaborer à lavance ses propres stratégies dadaptation et supportera plus facilement le choc de la réalité de ces facteurs de stress.
Deuxièmement, les entreprises devraient mettre à la disposition des nouveaux venus diverses sources dinformation pouvant leur être utiles, sous la forme de brochures, de programmes informatiques interactifs ou de lignes directes dappel à laide (ou les trois à la fois). Le flottement qui accompagne larrivée dans une nouvelle entreprise peut être considérable et le fait de multiplier les sources dinformation est un bon moyen datténuer cette incertitude. Les nouveaux venus devraient aussi être encouragés à rechercher eux-mêmes tous les moyens possibles dinformation.
Troisièmement, les programmes dintégration dans lentreprise devraient explicitement prévoir comment apporter un soutien moral au nouveau salarié. Le supérieur hiérarchique est un acteur clé en la matière et peut jouer un rôle décisif par sa disponibilité affective et psychologique (Hirshhorn, 1990). On peut aussi envisager la désignation dun mentor, ou des activités menées conjointement avec des collègues plus anciens et plus expérimentés, ainsi que des contacts avec des collègues eux aussi récemment arrivés dans lentreprise.
Lévolution dans la profession peut être envisagée comme une suite détapes successives. Les chercheurs abordent souvent lanalyse du développement professionnel en sinspirant du modèle des phases de la vie de Levinson (Levinson, 1986), selon lequel tout individu se développe en passant par une succession détapes spécifiques, séparées entre elles par des périodes de transition. A chacun de ces stades peut saccomplir une activité nouvelle et essentielle, ainsi que ladaptation psychologique correspondante (Ornstein, Cron et Slocum, 1989). Cest ainsi que les phases de la carrière peuvent être (et sont généralement) définies chronologiquement en fonction de lâge. Les tranches dâge correspondant à chaque stade varient passablement dune étude à lautre, mais on situe dordinaire la première phase entre 20 et 34 ans, la phase intermédiaire entre 35 et 50 ans et la dernière phase entre 50 et 65 ans.
Dans le modèle établi par Super (Super, 1957; Ornstein, Cron et Slocum, 1989), le développement professionnel comporte quatre stades qui se définissent à partir de la tâche psychologique qui est qualitativement propre à chaque stade. Ces stades peuvent correspondre soit à lâge de lintéressé, soit à son ancienneté dans le poste ou dans la profession. Une même personne peut repasser plusieurs fois par ces différents stades au cours de sa carrière. Cest ainsi que daprès un inventaire des préoccupations de carrière de ladulte (Career Concerns Inventory Adult Form), le stade réel de la carrière peut être défini au niveau individuel ou au niveau collectif. Cet instrument permet dévaluer la conscience qua lindividu des diverses tâches auxquelles il/elle sest attelé(e) au cours dune carrière, et des préoccupations qui sy rattachent (Super, Zelkowitz et Thompson, 1981). Si lon emploie, pour mesurer ces phases, le critère de temps dans la fonction, et non celui de lâge, les deux premières années sont considérées comme une période dessai. La phase dimplantation, qui dure de deux à dix ans, est une période de progression et de croissance. Puis, au-delà de dix ans, vient la période de stabilisation, cest-à-dire de maintien des acquis obtenus. La phase du déclin débute avec lémergence, chez le travailleur, dune image de soi qui est indépendante de la carrière.
Les fondements théoriques de la définition des stades professionnels variant dune étude à lautre, tout comme les types de mesures appliquées, il est évident que les résultats concernant la corrélation entre la santé et lemploi au long dune carrière vont eux aussi varier.
La plupart des études qui considèrent la phase de la carrière comme un médiateur entre les caractéristiques de lemploi, dune part, et la santé ou le bien-être des travailleurs, dautre part, portent sur des variables telles que le dévouement à lentreprise et son lien avec la satisfaction professionnelle ou avec certaines manifestations comportementales comme la performance, la mobilité professionnelle et labsentéisme (Cohen, 1991). Elles sintéressent également aux rapports qui existent entre les caractéristiques de lemploi et la tension nerveuse. Cet effet se traduit statistiquement par le fait quen moyenne la relation entre les mesures des caractéristiques du poste et celles du bien-être varient dun stade de la carrière à lautre.
En général, lénergie investie dans le travail tend à augmenter entre les premiers et les derniers stades de la carrière, avec toutefois une baisse chez les cadres de sexe masculin en milieu de carrière. Cest au début de leur carrière que les travailleurs ressentent le plus le besoin de quitter lentreprise et de rechercher des possibilités de mutation (Morrow et McElroy, 1987). Parmi les personnels hospitaliers, la plus forte corrélation entre le degré de bien-être et lattachement affectif à la carrière et à létablissement a été relevée chez les infirmières et les infirmiers. La fidélité à lentreprise (qui est fonction du nombre dautres possibilités entrevues et de limportance des sacrifices consentis) et le sentiment de lui devoir quelque chose (la loyauté) augmentent à mesure quon passe dun stade de la carrière à lautre (Reilly et Orsak, 1991).
Une méta-analyse a été effectuée à partir de 41 échantillons de salariés sur la relation entre le dévouement à lentreprise et le sentiment de bien-être. Les différents échantillons avaient été divisés en fonction des stades de développement professionnel, eux-mêmes mesurés en fonction de deux facteurs: lâge et lancienneté. Lâge, en tant quindicateur de stade de développement professionnel, sest révélé déterminant quant à la fréquence des changements demploi et des intentions de changement, tandis que lancienneté dans lentreprise était corrélée à la performance et à labsentéisme. A un faible attachement à lentreprise correspondait une forte mobilité professionnelle, surtout en début de carrière, ainsi quun taux dabsentéisme élevé et une faible performance en fin de carrière (Cohen, 1991).
On constate que lattitude à légard du travail, par exemple la satisfaction et le comportement dans lemploi, dépend dans une large mesure du stade de la carrière où se situe lintéressé (Stumpf et Rabinowitz, 1981). Chez les fonctionnaires, le stade dévolution professionnelle mesuré par lancienneté influe sur la relation entre la satisfaction dans lemploi et la performance, cette relation étant plus forte au cours de la première phase de la carrière. Cette constatation est dailleurs confirmée par une étude réalisée auprès de personnels commerciaux. Chez les universitaires, le rapport entre satisfaction et performance serait négatif au cours des deux premières années de leur carrière.
La plupart des études relatives aux stades de lévolution professionnelle ont porté sur des hommes. Même dans les premières études réalisées dans les années soixante-dix, où le sexe des enquêtés nest pas précisé, il est évident que lensemble des sujets étaient de sexe masculin. Ornstein et Lynn (1990) ont voulu voir dans quelle mesure les résultats obtenus à partir des modèles de Levinson et Super différaient, sagissant des attitudes et des intentions liées à la carrière chez les femmes professionnelles. Les résultats tendent à montrer lexistence dune relation entre les stades de la carrière, déterminés par lâge, et lattachement à lentreprise, lintention de la quitter, et le désir de promotion; ces résultats corroborent dans lensemble ceux des travaux effectués sur des échantillons masculins (Ornstein, Cron et Slocum, 1989). Aucune de ces études toutefois ne vient confirmer la valeur prédictive des stades du développement professionnel lorsquils sont définis sur la base de facteurs psychologiques.
Dune façon générale, les études sur le stress nont pas pris en compte lâge et, par conséquent, le stade dans litinéraire professionnel, ou elles ont considéré ce facteur comme un facteur de confusion dont il convenait de contrôler les effets. Hurrell, McLaney et Murphy (1990) ont opposé les effets du stress en milieu de carrière à ceux de début et de fin de carrière, en prenant lâge comme critère de classement demployés des postes américains. Aucune corrélation na été établie entre des soucis pour la santé et des facteurs de stress professionnel en milieu de carrière; par contre, la pression du travail et la sous-utilisation des compétences constituaient des facteurs de prédiction en début et en fin de carrière. La pression du travail a pu, par ailleurs, être associée à lapparition de troubles somatiques dans le groupe dâge de début et de fin de carrière. La sous-utilisation des compétences a été plus fortement corrélée aux indicateurs de satisfaction professionnelle et aux troubles somatiques chez les travailleurs en milieu de carrière. Le soutien social influait davantage sur la santé psychique que physique, et cet effet était plus accentué en milieu de carrière quau début ou à la fin. Les données provenant dune étude transversale, les auteurs ont fait observer quune explication des résultats par cohorte serait aussi possible (Hurrell, McLaney et Murphy, 1990).
Lorsque les travailleurs hommes et femmes adultes étaient groupés en fonction de lâge, ce sont les individus plus âgés qui évoquaient le plus souvent la surcharge de travail et les responsabilités comme facteurs de stress professionnel, là où les plus jeunes citaient le manque de stimulation, limprécision des rôles et les facteurs de stress issus de lenvironnement physique (Osipow, Doty et Spokane, 1985). Ce sont les sujets les plus âgés qui faisaient le moins état de symptômes de tension, ce qui peut sexpliquer notamment par le fait que, face au stress, ils savent mieux mobiliser leurs facultés de raisonnement et leurs aptitudes à se protéger et à se changer les idées, toutes capacités évidemment acquises au cours de leur carrière; il se peut aussi que se soit opérée une sélection sur la base des symptômes manifestés ou encore une autosélection poussant certaines personnes à quitter un emploi qui leur impose à la longue un stress excessif.
Des études menées à partir déchantillons composés de cadres supérieurs finlandais et américains de sexe masculin indiquent que le rapport entre les exigences et le degré dautocontrôle liés au poste, dune part, et certaines manifestations psychosomatiques, dautre part, varie avec le stade de lévolution professionnelle (déterminé par lâge) quont atteint les sujets observés (Hurrell et Lindström, 1992, Lindström et Hurrell, 1992). Chez les cadres américains, les niveaux dexigences et dautonomie liés au travail ont un effet sensible sur les symptômes signalés en milieu de carrière, mais pas au début ni à la fin; chez leurs homologues finlandais, par contre, les longues semaines de travail et le peu de contrôle quils peuvent librement exercer sur leur travail accroissent les symptômes de stress en début de carrière, mais non aux stades ultérieurs. La disparité des résultats entre les deux groupes provient peut-être des différences que présentaient les deux échantillons étudiés. Les cadres finlandais, choisis dans le secteur du bâtiment, par exemple, faisaient déjà face à une importante charge de travail en début de carrière, tandis que les américains ceux-ci uvrant dans le secteur public avaient une charge de travail plus lourde en milieu de carrière.
Pour résumer les résultats de la recherche sur les effets médiateurs des différentes phases de la carrière, on peut caractériser la première phase comme étant une période où le dévouement à lentreprise est médiocre, doù une plus grande instabilité ainsi que des facteurs de stress professionnels liés à limpression dêtre en mauvaise santé et à des troubles somatiques. Dans la phase intermédiaire, les résultats sont contradictoires: le lien entre la satisfaction au travail et la productivité est parfois positif, parfois négatif. Chez certains groupes professionnels, les exigences de lemploi et la faible marge dautocontrôle sont à mettre en rapport avec la fréquence relativement élevée des symptômes déclarés. Pour ce qui est de la dernière phase, les conclusions portant sur le lien entre facteurs de stress et manifestations du stress ne sont pas homogènes. Certains indices portent à croire quune plus grande faculté dadaptation entraîne une diminution des signes de tension associés au travail en fin de carrière.
Il pourrait être bénéfique dintroduire dans les entreprises certaines interventions pratiques, telles quune orientation professionnelle offerte en début de carrière, de manière à faciliter ladaptation aux exigences précises de chaque étape de la carrière. De même, des interventions de ce type devraient permettre datténuer limpression davoir atteint un certain palier professionnel et, au lieu de le vivre comme une période de frustration, den faire loccasion de relever de nouveaux défis ou de réviser les objectifs quon sest fixés dans lexistence (Weiner, Remer et Remer, 1992). Des examens médicaux par cohorte dâge, pratiqués par des services de santé au travail, montrent que les problèmes dordre professionnel susceptibles de réduire la capacité opérationnelle de lindividu saccentuent et changent de nature avec lâge. En début et en milieu de carrière, il sagit de sadapter au surcroît de travail, mais vers la fin de la phase intermédiaire et au cours de la dernière phase, sajoute progressivement une détérioration de létat psychologique et de la santé physique, doù lopportunité dinterventions précoces et personnalisées dans lentreprise (Lindström, Kaihilahti et Torstila, 1988). Il est donc conseillé de prendre en compte, tant dans la recherche quen termes de modalités dinterventions pratiques, les schémas de mobilité et de rotation, ainsi que le rôle joué par la profession (et la situation à lintérieur de cette profession) dans lévolution de la carrière.
Le schéma de comportement de type A correspond à un ensemble dattitudes observables ou à un style de vie caractérisé par un très haut degré dhostilité, de compétitivité, de hâte, dimpatience, de nervosité, dagressivité (parfois sévèrement réprimée), un débit de parole impétueux et un état permanent de qui-vive accompagné dune certaine tension musculaire. Les individus chez qui le type A est très marqué luttent constamment contre des contraintes de temps et le défi des responsabilités (Jenkins, 1979). Le comportement de type A ne constitue ni un facteur de stress externe, ni une réaction à une tension ou à un malaise. Il sagit plutôt dun mode dadaptation. A lautre extrémité de ce continuum bipolaire, les individus de type B sont plus détendus, plus coopératifs, suivent un rythme plus régulier dans leurs activités et semblent plus satisfaits de leur vie quotidienne et des membres de leur entourage.
Le continuum des comportements de type A à B a été conçu et ainsi baptisé en 1959 par deux cardiologues, les docteurs Meyer Friedman et Ray H. Rosenman. Pour eux, le type A était typique de ceux de leurs jeunes patients qui étaient atteints de cardiopathie ischémique (CPI).
Lintensité et la fréquence des comportements de type A augmentent au fur et à mesure que les sociétés deviennent plus industrialisées, plus compétitives et plus pressées. Le comportement de type A se rencontre davantage en milieu urbain quen milieu rural, chez les cadres et les commerciaux que chez les techniciens, les ouvriers qualifiés ou les artistes, et chez les femmes daffaires plus que chez les femmes au foyer.
Le type A a été étudié dans le cadre de la psychologie de la personnalité et de la psychologie sociale, de la psychologie organisationnelle et industrielle, de la physiopsychologie, des maladies cardio-vasculaires et de la santé au travail.
Les travaux de recherche en psychologie de la personnalité et en psychologie sociale ont largement contribué à faire du schéma de comportement de type A une base conceptuelle importante. Les personnes qui se placent très haut sur léchelle de mesure du type A se comportent de la façon prévue par la théorie du type A. Très impatientes et très agressives en société, elles consacrent davantage de temps au travail quaux loisirs. Elles réagissent plus vivement dans une situation de frustration.
Les travaux de recherche qui intègrent le concept du type A dans la psychologie organisationnelle et industrielle comparent parfois différentes professions entre elles, aussi bien que les types de réactions des travailleurs face au stress. Dans des conditions équivalentes de stress externe, les salariés du type A ont tendance à manifester davantage de tension physique et nerveuse que ceux du type B. Ils choisissent aussi généralement des emplois très exigeants (Journal of Social Behavior and Personality , 1990).
Rosenman et coll. (1975) ont les premiers signalé chez les individus de type A une nette augmentation de la tension artérielle, du cholestérol sérique et des catécholamines, ce que maints autres chercheurs ont confirmé depuis. Lessentiel de ces conclusions enseigne que les personnes de type A et celles de type B présentent dordinaire des niveaux chroniques ou de base à peu près identiques pour ces variables physiologiques, mais que les contraintes de lenvironnement, les obstacles ou les frustrations engendrent des réactions bien plus prononcées chez les premières. Les résultats publiés ne sont guère uniformes, sans doute du fait quun même obstacle peut ne pas déclencher les mêmes réponses physiologiques chez des hommes ou des femmes de milieux différents. Les études que lon continue à publier sur le sujet avancent en majorité des conclusions positives (Contrada et Krantz, 1988).
Lévolution de la recherche sur les comportements de type A et B en tant que facteurs de risque de cardiopathie ischémique a suivi un parcours assez habituel: un mince filet, puis un afflux de résultats positifs; un mince filet, puis un afflux de résultats négatifs; puis les intenses controverses que lon connaît actuellement (Review Panel on Coronary-prone Behavior and Coronary Heart Disease, 1981). Une revue générale des travaux contemporains produit encore aujourdhui un assortiment constant de corrélations positives ou, au contraire, de corrélations nulles entre le comportement de type A et la CPI. La teneur générale de ces conclusions est que le comportement de type A est plus susceptible dêtre associé à la CPI:
Le schéma de type A nest pas éliminé comme facteur de risque de CPI, mais il conviendrait à lavenir de létudier en sachant quil peut nêtre associé à un risque accru de CPI que dans certains sous-groupes et contextes sociaux spécifiques. Certains travaux incriminent lhostilité comme étant probablement la composante la plus préjudiciable du comportement de type A.
On a récemment étudié le type A comme facteur de risque de lésions et de maladies bénignes ou moyennement graves, autant dans les milieux professionnels que chez les étudiants. Il est légitime de supposer que les personnes pressées et agressives subiront davantage daccidents du travail, du sport et de la circulation. Cette hypothèse a été vérifiée empiriquement (Elander, West et French, 1993). Il est moins compréhensible, sur le plan théorique, que certains troubles aigus, mais bénins, affectant divers systèmes physiologiques, se rencontrent plus souvent chez les individus de type A que chez les individus de type B, mais cest pourtant bien ce quont établi plusieurs études (Suls et Sanders, 1988). Pour certains groupes au moins, on a constaté que le type A était associé à un risque plus élevé de troubles affectifs modérés. Il serait opportun de vérifier, dans les travaux ultérieurs, la validité de ces associations et de rechercher les mécanismes physiques et psychologiques qui les sous-tendent.
Les schémas de comportement de type A et B ont été évalués par le biais dentretiens directifs (ED). Ce sont des entrevues cliniques soigneusement organisées, au cours desquelles on pose près de 25 questions dont on fait varier le rythme, la difficulté ou le caractère plus ou moins personnel. Lenquêteur doit recevoir une formation spéciale avant dêtre habilité à mener lentretien et interpréter ses résultats. En général, les ED sont enregistrés mécaniquement afin dêtre éventuellement réécoutés ensuite par dautres juges dans un souci de fiabilité. Si lon compare plusieurs évaluations des comportements de type A, il semble que lED soit un outil plus valide que les questionnaires dauto-appréciation pour les études cardio-vasculaires et psychophysiologiques; toutefois, le degré de sa validité na pas encore été bien déterminé dans les études psychologiques et professionnelles, car il est beaucoup moins employé dans ces contextes.
Linstrument dautoévaluation le plus courant est lenquête de Jenkins JAS (Jenkins Activity Survey) sur les activités; cest un questionnaire dautoappréciation comportant des questions à choix multiples dont les résultats sont notés par ordinateur. Sa validité a été vérifiée par rapport à lED et aux critères de CPI actuelle et à venir, et a été confirmée. Le formulaire C, qui est une version à 52 items de la JAS, publiée en 1979 par la Psychological Corporation, est le plus largement utilisé. Il est traduit dans la plupart des langues européennes et asiatiques. La JAS contient quatre types dappréciations: une échelle dindices généraux du comportement de type A et des échelles obtenues par analyse factorielle pour la rapidité et limpatience, limplication personnelle dans le travail et la compétitivité immodérée. Une version abrégée de léchelle du type A (13 questions) a servi dans les études épidémiologiques de lOrganisation mondiale de la santé (OMS).
Léchelle de type A de Framingham (Framingham Type A Scale (FTAS)) est un questionnaire en dix points qui sest révélé un bon instrument de prédiction de CPI, tant pour les hommes que pour les femmes, dans le cadre de létude coronarienne de Framingham (Framingham Heart Study), aux Etats-Unis. On y a également eu recours dans dautres pays à loccasion de recherches sur les problèmes cardio-vasculaires et psychologiques. Lanalyse factorielle divise cette échelle en deux facteurs, lun étant lié aux autres mesures du comportement de type A, et lautre à lappréciation des tendances névrotiques et de lirritabilité.
Léchelle de notation de Bortner (Bortner Rating Scale (BRS)) englobe 14 items dont chacun se présente sous la forme déchelle analogique. Des études subséquentes ont effectué une analyse par item sur léchelle de Bortner et obtenu une cohérence interne et une prévisibilité supérieures en ramenant léchelle à 7 ou 12 points. Cette échelle a été largement utilisée dans les traductions exécutées pour dautres pays. Dautres échelles dappréciation des traits de type A ont été mises au point dans divers pays, mais nétaient destinées, pour la plupart, à nêtre appliquées quauprès des populations dans la langue desquelles elles étaient rédigées.
Depuis deux décennies au moins, on sefforce de trouver des moyens spécifiques daider les personnalités de type A prononcé à évoluer vers une conduite de type B. Linitiative la plus importante a sans doute été le projet de prévention des maladies coronariennes récurrentes (Recurrent Coronary Prevention Project), réalisé dans la région de San Francisco dans les années quatre-vingt. Grâce à un suivi répété sur plusieurs années, on a pu relever des changements chez bon nombre dindividus, ainsi quune diminution de la fréquence des infarctus du myocarde chez les personnes dont on cherchait à atténuer les comportements de type A, par opposition à celles qui recevaient exclusivement des conseils en matière de prophylaxie cardio-vasculaire (Thoresen et Powell, 1992).
Il est problématique de mener à bien une intervention vouée à modifier des comportements de type A, car ce mode de fonctionnement peut être très gratifiant, notamment sur le plan de lavancement professionnel ou des avantages matériels. Le programme lui-même doit être soigneusement conçu, selon des principes psychologiques éprouvés et il semble que lintervention de groupe produise de meilleurs résultats que les conseils individuels.
La notion de détermination relève dune théorie existentielle de la personnalité. Elle renvoie à lidée fondamentale quune personne se fait de sa place dans le monde, qui se manifeste tout à la fois par une attitude dengagement et de maîtrise, et une volonté de relever les défis que lon trouve sur son chemin (Kobasa, 1979; Kobasa, Maddi et Kahn, 1982). Lattitude dengagement pousse à simpliquer, dans tout ce que lon fait, ou dans les situations que lon rencontre, au lieu den ressentir primordialement laliénation. Les individus qui simpliquent ont un sens général de direction, de but à atteindre, qui les pousse à se rapprocher des personnes, des événements et des choses constituant leur environnement, et de leur trouver un sens. Limpression de maîtrise procède dune tendance à penser, ressentir et agir comme si lon était capable dinfluencer, plutôt que de subir, les innombrables aléas de la vie. Ceux qui ont limpression de diriger leur vie ne croient pas naïvement être en mesure de maîtriser tous les événements et toutes leurs conséquences, mais ils sestiment plus aptes à jouer un rôle utile dans le monde de par leur imagination, leurs connaissances, leurs compétences et leurs décisions. Lacceptation des défis correspondrait à une perception de la vie où la norme réside dans le changement plutôt que dans la stabilité, et où le changement est une incitation enrichissante au développement personnel, et non une menace à la sécurité. Ceux qui ne craignent pas daller au-devant des obstacles sont donc loin dêtre des aventuriers ou des casse-cou, mais plutôt des individus ouverts à la nouveauté et capables de tolérer une certaine dose dambiguïté; ils sadaptent donc facilement aux changements.
La prémisse soutenant lexistence dun trait de détermination, née dun mouvement de réaction et du souhait de redresser le biais pessimiste caractéristique des premières études sur le stress qui mettaient laccent sur la vulnérabilité de lindividu face au stress, prédit que les sujets manifestant nettement les trois tendances connexes (investissement de soi, affrontement et maîtrise des difficultés) seront plus susceptibles de rester en bonne santé dans une situation de stress que les personnes moins résolues. Les personnalités dotées de ce trait perçoivent les vicissitudes de lexis-tence et y réagissent avec des moyens qui leur permettent den prévenir ou den minimiser le stress, lequel peut occasionner des affections mentales ou physiques.
Les premiers résultats étayant cette conceptualisation de la détermination proviennent détudes rétrospectives et longitudinales menées dans le Midwest américain sur un grand échantillon de cadres supérieurs et moyens de sexe masculin, employés de lAmerican Telephone and Telegraph (ATT), au moment de la cession de cette compagnie de téléphone. On a suivi ces cadres pendant cinq ans, en leur proposant chaque année un questionnaire portant sur toute une série de thèmes personnels: moments stressants vécus dans la vie professionnelle et personnelle; modifications intervenues dans létat de santé; traits de personnalité; aspects professionnels divers; soutien social disponible; et habitudes en matière de santé. Les résultats ont principalement établi que, dans des situations très stressantes, les cadres supérieurs les plus déterminés risquent beaucoup moins de tomber malades que les autres. Ce que confirmaient des autodéclarations de symptômes et de troubles physiques, validées par les dossiers médicaux des sujets, y compris leur bilan annuel de santé. Les premiers travaux ont également prouvé: a) lefficacité de la qualité de détermination lorsque celle-ci va de pair avec un bon soutien social, dune part, et la pratique dexercices physiques visant à préserver la santé, tant du corps que de lesprit, dautre part; et b) labsence de lien entre la détermination, dune part, et la fréquence et la gravité des événements stressants de la vie, lâge, léducation, la situation familiale et le niveau hiérarchique du poste professionnel, dautre part. Enfin, lensemble des données recueillies suite à cette première étude sur la détermination a généré dautres travaux qui ont montré quon pouvait étendre ces conclusions à plusieurs groupes professionnels, notamment le personnel exécutant des compagnies de téléphone, les juristes et les officiers de larmée américaine (Kobasa, 1982).
Par la suite, la notion de détermination a été employée par de nombreux chercheurs sintéressant à divers contextes, professionnels ou autres, et appliquant tout un ensemble de méthodes de recherche, des expériences contrôlées aux enquêtes in situ plus qualitatives (voir Maddi, 1990; Orr et Westman, 1990; Ouellette, 1993, pour une revue de ces travaux). Ces études sont en majorité favorables à la définition originelle de la détermination et lont même élargie; toutefois, un certain nombre dentre elles ont parfois infirmé leffet médiateur de la détermination et contesté la validité des instruments métrologiques (Funk et Houston, 1987; Hull, Van Treuren et Virnelli, 1987).
Soulignant laptitude des individus à bien réagir à des facteurs de stress importants, les chercheurs ont confirmé le rôle positif de la détermination dans de nombreux groupes dont, parmi les échantillons étudiés aux Etats-Unis, les chauffeurs dautobus, les militaires intervenant en cas de catastrophes aériennes, le personnel infirmier opérant dans diverses conjonctures, les enseignants, les stagiaires de diverses professions, les personnes atteintes dune maladie chronique et les immigrants dorigine asiatique. Dautres études se sont penchées sur des hommes daffaires japonais et sur des jeunes recrues de la défense israélienne. Dans ces deux groupes, on observe un lien entre la présence de ce trait et de moindres symptômes physiques ou psychiques et, plus rarement, une interaction sensible entre le niveau de stress et la détermination, celle-ci renforçant le rôle tampon de la personnalité. De plus, les résultats mettent en lumière les effets de la détermination sur des variables autres que la santé, sur lefficacité et la satisfaction professionnelles en particulier, mais aussi sur le syndrome dépuisement dû au stress professionnel (appelé en anglais «burnout»). Une vaste batterie de travaux, réalisés pour la plupart auprès détudiants duniversités américaines, confirme lhypothèse des mécanismes par lesquels ce trait protégerait la santé. Ces travaux éclairent en outre linfluence de la détermination sur la manière dont les sujets jaugent le stress quils doivent affronter (Wiebe et Williams, 1992). Dans une perspective de validation, un petit nombre détudes ont également apporté des éléments confirmatifs concernant les corrélats psychosomatiques de la détermination, dune part, et le lien entre la détermination et divers comportements préventifs en matière de santé, dautre part.
Pour lessentiel, les conclusions empiriques établissant lexis-tence dun lien entre la qualité individuelle de détermination et la santé sont fondées sur des données obtenues à partir de questionnaires dautoappréciation. Le questionnaire composite, utilisé dans le test prospectif original de la détermination, et un certain nombre de versions abrégées qui en sont dérivées sont les outils psychométriques figurant le plus fréquemment dans les publications subséquentes. Sinsérant dans le champ de la définition très large de la détermination que nous avons formulée au début du présent article, le questionnaire composite contient des éléments de plusieurs instruments courants dans les méthodes dexploration de la personnalité, tels que léchelle des sentiments de contrôle interne/externe de Rotter (Rotter, Seeman et Liverant, 1962), les barèmes dobjectifs de vie de Hahn (1966), le test aliénation/engagement de Maddi (Maddi, Kobasa et Hoover, 1979), ainsi que linventaire de Jackson sur la personnalité (1974). Plus récemment, les efforts délaboration de nouveaux questionnaires ont donné naissance à lenquête sur les opinions personnelles, ou ce que Maddi (1990) appelle le «test de détermination de la troisième génération». Ce nouveau questionnaire répond à un grand nombre de critiques relatives à linstrument originel de mesure, quant à la prépondérance des éléments négatifs ou à linstabilité des structures du trait de détermination, par exemple. De plus, des études conduites aux Etats-Unis et au Royaume-Uni auprès dactifs adultes fournissent des résultats prometteurs pour ce qui a trait à la fiabilité et à la validité de la mesure de ce trait. Pour autant, toutes les difficultés nont pas été aplanies. Ainsi, certains travaux concluent au peu de fiabilité interne sagissant de la composante «affrontement des obstacles», censée caractériser la détermination. Une autre conclusion va au-delà de la question métrologique pour soulever un problème conceptuel: la détermination devrait-elle être considérée comme un phénomène dune cohérence invariable, ou plutôt comme un concept pluridimensionnel renfermant des éléments distincts, lesquels pourraient être liés à la santé indépendamment les uns des autres, dans certaines situations stressantes? Les auteurs sattelant à létude de ce trait devront sefforcer à lavenir de conserver la richesse tant conceptuelle quhumaine de la notion de détermination, tout en en précisant ses caractéristiques empiriques.
Si Maddi et Kobasa (1984) décrivent les expériences familiales et enfantines qui sont favorables à la formation dune personnalité déterminée, ils entreprennent également, à linstar dun grand nombre dautres chercheurs, de formuler des interventions propres à renforcer la résistance des adultes au stress. Dans la perspective existentielle, la personnalité est envisagée comme une organisation en construction permanente, et les circonstances sociales qui entourent lindividu y compris son cadre de travail peuvent être propices ou, au contraire, préjudiciables au maintien de lesprit de détermination. Cest à Maddi (1987, 1990) que lon doit la description, mais aussi la justification la plus poussée des stratégies dintervention destinées à affermir la détermination. Cet auteur détaille un ensemble de méthodes compensatoires de concentration, de reconstruction situationnelle et de développement personnel quil a appliquées avec succès au cours de séances dirigées en petits groupes dans le but de consolider lattitude de détermination et de réduire les effets délétères, tant physiques que psychiques, du stress dans le travail.
La mésestime de soi a été analysée de longue date en tant que déterminant de troubles psychologiques et physiologiques (Beck, 1967; Rosenberg, 1965; Scherwitz, Berton et Leventhal, 1978). Au début des années quatre-vingt, les spécialistes en recherche organisationnelle ont examiné le rôle de lestime de soi dans le rapport entre les facteurs de stress dorigine professionnelle et la performance individuelle, témoignant de lintérêt croissant voué aux dispositions aptes à protéger du stress ou, à lopposé, à accroître la vulnérabilité aux facteurs de stress.
On peut définir lestime de soi comme «la résultante favorable de lautoappréciation de chaque personnalité» (Brockner, 1988). Pour Brockner (1983, 1988), les personnes qui se dévalorisent sont généralement plus sensibles que les autres aux événements survenant dans leur existence. Il a étudié (1988) les nombreux éléments susceptibles dexpliquer, par cette «plasticité supposée», plusieurs occurrences qui relèvent du domaine du travail. Létude la plus importante conçue à partir de cette hypothèse évalue leffet de lestime de soi dans linteraction entre facteurs de stress se rapportant aux rôles professionnels (conflits et ambiguïté de rôles), dune part, et santé et affectivité, dautre part. Les conflits de rôles (cest-à-dire les antagonismes entre les différents rôles qui peuvent incomber à une personne) et lambiguïté (définition imprécise) procèdent en grande partie de circonstances qui sont extérieures à lindividu et, de ce fait, suivant lhypothèse de la plasticité, les personnes jouissant dune très bonne estime delles-mêmes y seraient moins sensibles.
A loccasion dune étude réalisée auprès de 206 infirmiers(ères) dans un grand centre hospitalier du sud-ouest des Etats-Unis, Mossholder, Bedeian et Armenakis (1981) ont constaté que lauto-évaluation du flou des rôles rattachés au travail avait une incidence négative sur la satisfaction professionnelle déclarée par les personnes manquant destime de soi. Pierce et coll. (1993), appliquant un outil de mesure de lestime de soi développé dans le contexte de lentreprise pour éprouver lhypothèse de la plasticité auprès de 186 travailleurs dune compagnie de services publics américaine, ont trouvé une corrélation négative entre lambiguïté et les conflits des rôles et la satisfaction professionnelle, sagissant uniquement des sujets à faible estime de soi. Des interactions semblables ont été décrites entre lestime de soi mesurée dans le cadre professionnel et les rôles trop chargés, le soutien de lentourage et celui des supérieurs hiérarchiques.
Les études précitées prenaient lestime de soi comme variable subrogative (ou mesure indirecte) de lappréciation par le travailleur lui-même de sa compétence professionnelle. Ganster et Schaubroeck (1991a) ont supposé, par contre, que lestime de soi agit sur les effets des facteurs de stress inhérents au rôle par le fait que ceux qui se mésestiment ne se croient pas capables dinfluencer leur environnement social et sefforcent donc moins de sadapter à ces facteurs. Etudiant 157 sapeurs-pompiers américains, ils ont constaté que le conflit des rôles nétait positivement corrélé à des autodéclarations de troubles somatiques que chez ceux dentre eux qui avaient été évalués comme ayant une faible estime de soi, mais nont pas observé pareille interaction avec lambiguïté du rôle.
Dans une analyse séparée de données que Mossholder, Bedeian et Armenakis (1981) avaient obtenues antérieurement à partir dun échantillon dinfirmiers(ères), ces chercheurs (1982) ont remarqué que la corrélation négative des rapports entre collègues et les sentiments de tension déclarés était bien plus nette chez les sujets à ES faible que chez les autres. De même, les sujets à ES faible rapportant un niveau élevé déchanges avec les collègues tendaient moins à souhaiter quitter létablissement que les sujets à forte ES dans la même situation.
Plusieurs mesures de lestime de soi apparaissent dans la littérature spécialisée. La plus courante est sans doute linventaire à dix items mis au point par Rosenberg (1965). Cet instrument a été utilisé dans létude de Ganster et Schaubroeck (1991a). Mossholder, Bedeian et Armenakis (1981, 1982) ont employé léchelle de confiance en soi tirée de la liste dadjectifs de Gough et Heilbrun (1965). La mesure de lestime de soi au travail adoptée par Pierce et coll. (1993) était un instrument à dix items préparé par ces mêmes chercheurs en 1989.
Lensemble de ces travaux indiquent que létat de santé et la satisfaction déclarés par les sujets à faible ES pourraient être améliorés par le biais dinterventions visant soit à réduire les facteurs de stress associés au rôle professionnel, soit à relever lestime de soi des sujets. A loccasion dune expérience aléatoire menée in situ, qui visait à réduire les conflits et le flou des rôles dans une perspective de développement de lentreprise, les interventions destinées à clarifier les rôles (entretiens en tête-à-tête entre supérieur et subordonné pour préciser le rôle du subordonné et réajuster les attentes incompatibles), lorsquelles sont assorties dun effort de mise en organigramme des responsabilités (délimitant et négociant les rôles des différents services), se sont avérées fructueuses (Schaubroeck et coll., 1993). Toutefois, selon toute vraisemblance, peu dentreprises pourront ou voudront se lancer dans une action dune telle envergure, à moins quelles ne connaissent des difficultés relatives aux rôles professionnels et au stress particulièrement aiguës.
Brockner (1988) a proposé plusieurs moyens par lesquels les entreprises peuvent aider les travailleurs à conforter leur estime de soi. Les pratiques de supervision sont lun des domaines les plus importants dans lesquels elles peuvent chercher à apporter des améliorations. Les évaluations du personnel qui, lorsquelles sont présentées au travailleur, insistent sur des comportements plutôt que sur des traits personnels qui offrent une information détaillée avec des résumés dévaluation et qui proposent un effort commun détablissement de programmes damélioration durable, auront sans doute moins deffets adverses sur lestime de soi des travailleurs et pourraient même la rehausser chez certains, en leur faisant découvrir des moyens daméliorer leurs résultats. Le renforcement positif des bonnes performances est également essentiel. Les démarches de formation telles que les modèles de maîtrise (Wood et Bandura, 1989) favorisent également chez le travailleur lémergence dune perception valorisante de son efficacité personnelle pour chaque nouvelle tâche. Cest sur cette perception que repose lestime de soi dans le monde du travail.
Le locus de contrôle (LC) se rapporte à un trait de personnalité dans lequel se manifeste la croyance fondamentale que ce qui arrive dans la vie résulte des propres actions du sujet (attribution de causalité interne) ou, au contraire, dinfluences extérieures (attribution de causalité externe). Les personnalités qui attribuent de préférence une causalité interne aux événements pensent pouvoir exercer un certain contrôle à la fois sur les événements et le tissu contextuel de leur vie, et sur les renforceurs qui y sont associés, cest-à-dire sur les résultats dont ils perçoivent quils viennent récompenser leurs comportements et attitudes. A linverse, les personnalités penchant pour une causalité externe croient ne guère pouvoir influencer les événements et circonstances de leur vie et attribuent les phénomènes de renforcement au hasard ou à dautres personnes plus puissantes.
Le concept du locus de contrôle découle de la théorie de lapprentissage social énoncée par Rotter (1954). Pour mesurer le LC, Rotter (1966) a conçu une échelle interne-externe (I-E), quont préférée de nombreux travaux de recherche. Toutefois, certains chercheurs ont critiqué lunidimensionnalité de cet instrument; dautres ont proposé un LC à deux dimensions (contrôle personnel et contrôle social, par exemple), là où dautres encore en distinguent trois (lefficacité personnelle, lidéologie de contrôle et le contrôle politique). Les échelles mises au point plus récemment pour mesurer le LC sont pluridimensionnelles, ou évaluent les tendances caractérisant lattribution causale dans des domaines particuliers comme la santé ou le travail (Hurrell et Murphy, 1991).
Dans le corpus des travaux publiés sur la question, lun des résultats les plus constamment observés est lassociation entre un LC externe et des troubles physiques et psychiques (Ganster et Fusilier, 1989). Plusieurs études réalisées en entreprise convergent vers les mêmes conclusions: lincidence des déclarations dinsatisfaction professionnelle, de stress et dimages de soi défavorables est plus élevée chez les travailleurs conditionnés par un LC externe que chez ceux chez qui linternalité prédomine (Kasl, 1989). Selon des études récentes, le LC affecte le lien entre les facteurs de stress liés au rôle (ambiguïté et conflits de rôles) et les symptômes de détresse psychique (Cvetanovski et Jex, 1994; Spector et OConnell, 1994).
Toutefois, il est difficile, pour plusieurs raisons, dinterpréter lassociation observée entre les postulats de LC et les problèmes de santé (Kasl, 1989). Premièrement, il peut y avoir un chevauchement conceptuel entre les évaluations de la santé et celles du LC. Deuxièmement, le lien peut être dû à la présence dun facteur ayant trait à une autre dimension, telle que laffectivité négative. Létude de Spector et OConnell (1994), par exemple, fait ressortir une plus forte corrélation entre les postulats de LC et laffectivité négative quavec le sentiment dautonomie au travail, mais ne rapproche pas les postulats de LC des indices de santé physique. Troisièmement, le sens de la causalité nest pas évident; il est possible que lexpérience professionnelle modifie les convictions liées aux LC. Enfin, certains nont pas pu conclure à une interaction entre LC et facteurs de stress, ni entre LC et problèmes de santé (Hurrell et Murphy, 1991).
La mesure dans laquelle le LC agit sur les mécanismes qui associent facteurs de stress professionnels et santé na pas été suffisamment explorée. On a notamment avancé que les sujets à disposition interne recourent à un comportement dadaptation plus efficace, plus directement axé sur le problème donné. Il se peut que les sujets influencés par un LC externe déploient moins couramment des stratégies de résolution de problèmes parce quils estiment que les événements les concernant échappent à leur contrôle. Certains travaux indiquent que, à linverse de ces derniers, les individus répondant à un LC interne adoptent des comportements adaptifs qui sont plus axés sur les tâches et moins sur les émotions (Hurrell et Murphy, 1991). Pour dautres chercheurs, les sujets mus par un sentiment de contrôle interne ont tendance à mobiliser leurs capacités de résolution de problèmes et à ne pas refouler leurs émotions dans des situations éventuellement modifiables, tandis que les autres manifestent le schéma inverse. Il est important de souligner que nombre de facteurs de stress dorigine professionnelle ne sont pas directement maîtrisables par les travailleurs et que, de fait, les efforts visant à modifier ces paramètres risquent en définitive daccentuer les symptômes de stress (Hurrell et Murphy, 1991).
Le soutien social, autre facteur dinfluence dans le rapport entre stress et santé, peut également intervenir dans les mécanismes impliquant le LC, les facteurs de stress et la santé. Fusilier, Ganster et Mays (1987) ont établi que le LC et le soutien social déterminaient conjointement la façon dont les travailleurs réagissent aux causes de stress de leur environnement professionnel; Cummins (1989) conclut que le soutien social amortit les effets du stress au travail, mais seulement pour les individus enclins à linternalité et uniquement dans les cas où ce soutien est en rapport avec le travail.
Pour fascinant et fécond sur le plan de la recherche que soit le thème de lattribution de la causalité, il nen présente pas moins de sérieux problèmes méthodologiques liés aux enquêtes. Ainsi, certains auteurs ne souscrivent pas à limmuabilité, les apparentant à un trait de caractère, des postulats commandés par le LC, car les individus attribueraient davantage de poids aux circonstances externes en vieillissant et après avoir vécu certaines expériences, comme le chômage. De plus, il se pourrait que lappréciation du LC concerne dans bien des cas lidée que se fait le travailleur de limpact quil peut avoir sur les circonstances de son travail, plutôt quelle ne détermine une caractéristique durable de sa personnalité. Dautres études encore font entrevoir que les échelles de LC peuvent mesurer non seulement lidée que lon se fait de la marge de contrôle dont on dispose, mais aussi la tendance à recourir à des manuvres défensives et à manifester de lanxiété ou une prédisposition au comportement de type A (Hurrell et Murphy, 1991).
Enfin, peu de travaux ont analysé linfluence du LC sur le choix du métier et sur la réciprocité des interactions entre LC et perception subjective de lemploi. En ce qui concerne le choix du métier, les différences quantitatives par profession peuvent être mises au compte du rôle du LC dès le départ sur le type demploi choisi (Hurrell et Murphy, 1991). Par ailleurs, ces différences peuvent refléter lempreinte que laisse lenvironnement de travail sur le sujet, tout comme cet environnement serait éventuellement capable de susciter le développement de comportements de type A. On pourrait aussi expliquer les différences de LC par métier par un effet de «flux», cest-à-dire de mouvement des travailleurs embrassant ou quittant telle carrière pour cause dinsatisfaction professionnelle, de problèmes de santé ou de désir davancement.
Pour conclure, la recherche ne présente pas une image claire du rôle du LC dans les rapports entre facteurs de stress dorigine professionnelle et santé. Même lorsque les études aboutissent à des conclusions relativement convergentes, linterprétation de la relation est brouillée par des variables incontrôlées (Kasl, 1989). La stabilité du concept de LC mérite dêtre éprouvée plus avant. Il conviendrait également de centrer la recherche à venir sur lidentification des mécanismes ou des processus par lesquels le LC influe sur les perceptions du travailleur, ou sur sa santé mentale et physique. Les composantes de ces mécanismes devront refléter linteraction du LC avec dautres traits de la personnalité du travailleur, ainsi que linteraction des attributions de causalité avec les facteurs inhérents au milieu de travail, y compris dans ses effets réciproques. Les travaux ultérieurs devraient produire des résultats moins ambigus sils comportent une mesure des caractéristiques individuelles apparentées (telles que le comportement de type A ou lanxiété) et sils utilisent des mesures du LC spécifiques au contexte étudié (par exemple, le travail).
On a défini ladaptation comme «lensemble des efforts visant à réduire les effets adverses du stress sur le bien-être de lindividu» (Edwards, 1988). De même que le vécu du stress proprement dit, la mise en place de ladaptation (ou «coping») est un processus complexe et dynamique. Lindividu la déclenche face à une situation anxiogène, jugée menaçante ou dangereuse (cest-à-dire lorsquil ressent un stress). Le «coping» est une variable différentielle, qui module le rapport stress-effets du stress.
Les stratégies dadaptation rassemblent des combinaisons de pensées, de croyances et de comportements assimilables à des traits de caractère, motivées par le stress et pouvant être exprimées indépendamment du facteur de stress. Ce sont des variables tempéramentales, qui ne changent guère avec le temps ni avec les circonstances; elles sont influencées par les traits de la personnalité, mais en sont distinctes, suivant le degré de généralité ou dabstraction. Comme types de stratégies, exprimés globalement, on peut citer la «maîtrise-atténuation» (Miller, 1979) et la «répression-sensibilisation» (Houston et Hodges, 1970). Les différences individuelles que sont la personnalité, lâge, lexpérience, le sexe, la capacité intellectuelle, le style cognitif ont une incidence sur la façon dont un individu réagit au stress. Les modes dadaptation sont le résultat tant des expériences que des apprentissages antérieurs.
Shanan (1967) est lun des premiers à avoir ouvert la perspective sur ce quil appelait le «type de recours adaptif». Cet «ensemble de réponses» était caractérisé par quatre éléments: la disponibilité dune énergie toute concentrée sur les sources possibles du problème; une différenciation sans ambiguïté des occurrences internes et externes à la personne; la confrontation plutôt que lévitement des difficultés externes; et larbitrage entre les exigences de lextérieur et les besoins de lindividu. Antonovsky (1987) a également signalé que, pour être efficace, lindividu doit avoir des raisons de faire face, avoir bien déterminé la nature et lampleur du problème ainsi que le contexte réel dans lequel il se pose et, enfin, avoir choisi la meilleure solution au problème.
La classification la plus courante des modes dadaptation (Lazarus et Folkman, 1984) comprend les réponses axées sur le problème (avec recherche dinformation et effort de résolution du problème) et les réponses axées sur les émotions (qui impliquent lexpression et la modulation des émotions). Ces deux aspects sont parfois complétés par un troisième, les réponses axées sur lappréciation (et dont les éléments peuvent être le refus, lacceptation, la comparaison sociale, la redéfinition ainsi que lanalyse logique).
Moos et Billings (1982) font la distinction entre les modes dadaptation suivants:
Greenglass (1993) a récemment défini un mode dadaptation dénommé «coping» social, qui intègre des facteurs sociaux et interpersonnels en même temps que des facteurs cognitifs. Ses travaux mettent en évidence des rapports très étroits entre diverses formes de soutien social et diverses formes dadaptation (axées, par exemple, sur le problème ou sur les émotions). Cet auteur constate que les femmes, généralement plus aptes dans les relations interpersonnelles, font davantage appel à un «coping» social.
On peut également rapprocher une autre conceptualisation du mode dadaptation, le «coping» préventif, à tout un ensemble de travaux autrefois classés séparément, qui sont centrés sur le choix dhabitudes de vie saines (Roskies, 1991). Selon Wong et Reker (1984), le «coping» préventif vise à favoriser le bien-être personnel et à réduire léventualité de problèmes à venir. Parmi les modes de «coping» préventif, on relève la pratique dexercices physiques et la relaxation, de même que lacquisition dune bonne hygiène de sommeil et dalimentation, la propension à planifier, gérer son temps et à tirer parti du soutien de lentourage.
Un autre mode dadaptation, décrit comme un aspect général de la personnalité (Watson et Clark, 1984), comporte les notions daffectivité négative (AN) et daffectivité positive (AP). Les personnes dotées dune AN accentuée privilégient les aspects dépréciatifs lorsquelles se jugent elles-mêmes, lorsquelles jaugent les autres et leur environnement en général et connaissent davantage dangoisse. Les personnes à AP insistent, au contraire, sur les aspects positifs lorsquelles sautoévaluent et lorsquelles jugent les autres et le monde en général. Elles rapportent moins de détresse psychologique.
Ces deux traits de caractère peuvent agir sur la perception qua lindividu du nombre et de limportance des facteurs éventuels de stress qui lentourent, aussi bien que sur ses façons de réagir (à savoir, lidée quil a des ressources dont il dispose et les stratégies de recours quil déploie effectivement). Ainsi, ceux dont laffectivité est fortement négative diront quils ont moins de ressources à leur disposition et tendront à mobiliser des moyens inefficaces (défaitistes): réagir en exprimant leurs émotions, en évitant les problèmes et en se désengageant, par exemple; ils seront moins enclins à poursuivre des stratégies efficaces, telles que laction délibérée ou la reconstruction cognitive. Les individus dotés dune affectivité fortement positive se fieront davantage à leurs propres capacités pour faire face et adopteront un mode de «coping» plus fructueux.
La notion du sentiment de cohérence (SC) développée par Antonovsky (1979; 1987) recoupe largement celle de lAP. Pour cet auteur, le SC est une tendance générale à trouver le monde signifiant et compréhensible. Cette orientation permet à la personne de sattacher demblée à la situation donnée, puis dagir sur le problème et sur les émotions liées au problème. Les personnes dont le SC prévaut sont motivées et possèdent les capacités cognitives voulues pour adopter des conduites propres à résoudre le problème. Elles sont en outre plus susceptibles de saisir la valeur des émotions, de ressentir des émotions particulières et de les ajuster et daccepter la responsabilité de leur condition plutôt que de charger les autres ou de projeter sur eux leurs attitudes. Nombreux sont les travaux réalisés depuis qui confirment la thèse dAntonovsky.
Les modes dadaptation peuvent être décrits en fonction des dimensions de complexité et de souplesse (Lazarus et Folkman, 1984). Les personnes qui empruntent diverses stratégies ont un mode dadaptation complexe; celles qui nusent que dune stratégie ont un mode dadaptation unique. Celles qui recourent à la même stratégie dans toutes les circonstances ont un mode dadaptation rigide; celles qui font appel à plusieurs stratégies dans la même situation ou dans des situations différentes ont un mode dadaptation souple. On a prouvé que le mode souple était plus efficace que le mode rigide.On évalue en général les types de réaction soit à laide de questionnaires dautoappréciation, soit en demandant aux individus (leur laissant toute liberté de répondre) comment ils ont fait face à un facteur de stress donné. Le questionnaire mis au point par Lazarus et Folkman (1984) («Ways of Coping Checklist») (Liste des réponses adaptatives) est loutil le plus couramment employé pour mesurer les réponses centrées sur le problème et sur les émotions. Dewe, dans ses travaux sur le «coping» (1989), sest souvent servi par ailleurs des descriptions que les individus donnent de leurs propres initiatives de recours.
Tout un ensemble dinterventions pratiques peuvent être mises en uvre en ce qui concerne les manières de faire face. Le plus souvent, elles consistent en séances de sensibilisation et de formation au cours desquelles les sujets/participants se voient présenter diverses informations avec en parallèle, parfois, des exercices dautoévaluation qui leur permettent danalyser leurs stratégies de «coping» favorites, ainsi que dautres façons de réagir, et leur éventuel intérêt. Linformation est généralement bien reçue par les bénéficiaires, mais son utilité à les aider à faire face aux véritables facteurs de stress de la vie reste à prouver. De fait, les quelques études qui ont examiné des stratégies individuelles dadaptation (Shinn et coll., 1984; Ganster et coll., 1982) concluent à la modeste valeur de cette intervention sur le plan pratique, en particulier lorsquun suivi a été effectué (Murphy, 1988).
Matteson et Ivancevich (1987) font part dune étude intégrant les questions de stratégies dadaptation dans le cadre dun programme plus complet de formation à la gestion du stress. Trois aptitudes doivent être améliorées: capacités de «coping» cognitives, interpersonnelles et de résolution de problèmes. On différencie les aptitudes axées sur les problèmes de celles qui sont axées sur les émotions. Les premières ont trait à la résolution de problèmes, à la gestion du temps, aux compétences sociales et de communication, à laffirmation de la personnalité, à ladaptation des modes de vie et aux actions visant directement à modifier les pressions quexerce le milieu. Les aptitudes axées sur les émotions doivent soulager lanxiété et favoriser la pondération des émotions. Elles concernent en particulier le refus, lexpression des sentiments et la relaxation.
Le présent article a été rédigé avec laide, notamment, de la Faculty of Administrative Studies, York University.
Vers le milieu des années soixante-dix, les intervenants de la santé publique et les épidémiologistes en particulier ont «découvert» la notion de soutien social, ou soutien de lentourage, à loccasion des études menées sur les relations causales entre stress, mortalité et morbidité (Cassel, 1976; Cobb, 1976). La dernière décennie a vu lessor de la littérature croisant les notions de soutien social et celles des facteurs de stress lié au travail. En revanche, le concept de soutien social était déjà bien intégré dans la pratique de la psychologie clinique. La thérapeutique de Rogers (1942), fondée sur une attitude de considération inconditionnelle à légard du patient, est essentiellement une démarche de soutien social. Lindeman (1944), pionnier de lanalyse de laccommodation au chagrin causé par un deuil, a permis de mettre en avant le rôle essentiel du soutien pour tempérer ce type de crise. Le modèle de psychiatrie communautaire préventive de Caplan (1964) fait ressortir limportance des groupes communautaires et des groupes de soutien.
Cherchant à comprendre pourquoi certaines personnes semblent mieux que dautres résister au stress, Cassel (1976) a adapté la notion de soutien social au domaine de la santé publique pour expliquer les différences observables dans les maladies apparemment liées au stress. Lidée du soutien social comme variable intervenant dans lapparition dune maladie était logique puisque, selon lui, tant les personnes que les animaux soumis à un stress semblent subir moins de désagréments lorsquils sont en compagnie de proches que les individus isolés. Le soutien social pourrait donc jouer un rôle de tampon en mettant lindividu à labri des effets du stress.
Cobb (1976) a élargi le concept, arguant que la simple présence dune autre personne ne constitue pas un soutien social. Il postule quun échange d«information» est nécessaire et classe cet échange en trois catégories:
Daprès ce même auteur, les individus qui traversent des crises graves sans soutien de lentourage risquent dix fois plus de souffrir dune dépression. Et de conclure que les relations affectives ou le soutien social constituent dune manière ou dune autre un rempart contre les effets du stress. Le soutien social exerce son effet tout au long de la vie, accompagnant ou non des expériences telles que le chômage, la maladie grave ou le deuil. Cobb estime que le vaste ensemble détudes, déchantillons, de méthodes et de résultats existants constitue une preuve convaincante de ce que ce soutien est un facteur commun datténuation du stress, mais quil nest pas en soi une panacée pour en éviter les effets.
Le soutien social étaierait ainsi la capacité de faire face (manipulation de lenvironnement extérieur) et faciliterait ladaptation (changement opéré en soi-même pour mieux faire coïncider ladéquation personne-environnement). Lauteur note toutefois que la plupart des travaux portent sur des facteurs de stress aigus et ne permettent pas de généraliser leffet protecteur du soutien social face aux situations de stress chronique ou traumatique.
Dans les années qui ont suivi la publication de ces premiers travaux, les chercheurs se sont éloignés dun concept unitaire du soutien social et se sont attachés à identifier les composantes tant du stress social que du soutien social.
Hirsh (1980) définit cinq composantes possibles du soutien social:
House (1981) part dun autre cadre conceptuel pour étudier le soutien social dans le contexte du stress lié au travail:
House estime que le soutien affectif est la forme la plus importante du soutien social. Au travail, le soutien du supérieur hiérarchique est primordial, précédant, par ses effets, celui des collègues. La structure et lorganisation de lentreprise, ainsi que les postes spécifiques quelle offre, peuvent soit favoriser, soit entraver les possibilités de soutien. House constate que la spécialisation et la fragmentation poussées du travail accentuent lisolement des divers rôles et réduisent les possibilités de soutien.
Létude de Pines (1983) sur le syndrome dépuisement professionnel, lequel est abordé ailleurs dans ce chapitre, montre que le fait de pouvoir jouir dun soutien social au travail est négativement corrélé à la dépression dépuisement. Lauteur distingue six aspects du soutien social qui modifient la réaction dépuisement: lécoute, lencouragement, loffre de conseils, loffre de compagnie et loffre dune aide concrète.
Les paragraphes qui précèdent sur les divers modèles proposés par les chercheurs ne laissent guère entrevoir, bien que lon ait tenté de préciser ce concept, dhomogénéité dans la conceptualisation des éléments spécifiques du phénomène; on peut cependant observer de nombreux recoupements entre les modèles.
Si la documentation sur le stress et le soutien social est fort abondante, les mécanismes qui régissent les interactions entre stress et soutien social font encore lobjet de très nombreuses questions. Lune dentre elles, en suspens depuis longtemps, concerne limmédiateté ou, à linverse, la médiation de leffet du soutien social sur la santé.
Le soutien social peut exercer un effet direct ou essentiel en faisant fonction de barrière contre les effets du stress. Un réseau de soutien social peut fournir linformation ou léchange didées qui manquent pour faire face, ou les ressources dont lindividu a besoin pour minimiser le stress. Lappartenance à un groupe peut aussi imprégner lopinion quun individu a de lui-même, ce qui lui permettra dacquérir une certaine confiance en soi, un sentiment de maîtrise, de compétence et, donc, limpression de pouvoir agir sur lenvironnement. Cette thèse correspond aux théories du contrôle personnel comme modérateur des effets du stress, émise par Bandura (1986). Il semble y avoir un seuil minimal de contacts sociaux nécessaires à la santé au-delà duquel le soutien social est moins important. Si le soutien social a des répercussions directes ou essentielles, il devient possible de créer un indice permettant de le mesurer (Cohen et Syme, 1985; Gottlieb, 1983).
Toutefois, selon Cohen et Syme (1985), le caractère immédiat de cet effet devrait plutôt être compris dans lautre sens: ce serait lisolement, ou labsence de soutien social, qui provoquerait les troubles de santé, et non le soutien social qui renforcerait la santé. Cest là une question non encore élucidée. Gottlieb pose par ailleurs le problème des événements occasionnant une perte du réseau social même, comme cela peut se produire lors de catastrophes, daccidents graves, ou lorsquon perd son travail. Un tel effet na pas encore été quantifié.
Dans lhypothèse de leffet tampon, le soutien social intervient entre les facteurs de stress et la réponse au stress pour en diminuer les effets. Par cet intermédiaire, on peut changer lidée que lon se fait du facteur de stress, ce qui émousse son impact ou permet de mobiliser les facultés dadaptation. Le soutien des autres peut revêtir la forme dune aide tangible en cas de crise, ou amener des suggestions qui vont faciliter la réaction dadaptation. Enfin, le soutien social peut être un facteur modérateur du stress, qui va calmer le système neuroendocrinien, de sorte que lindividu sera moins affecté par le facteur stressant.
Pines (1983) fait remarquer que la valeur agissante du soutien social peut résider dans le fait de partager une réalité sociale. Pour Gottlieb, le soutien social pourrait compenser les reproches que lon se fait à soi-même et dissiper lidée que lindividu est lui-même responsable de ses difficultés. Dans ses interactions avec son entourage, il peut donner libre cours à ses préoccupations et commencer de se reconstituer une identité sociale valable.
Jusquici, la recherche a eu tendance à traiter le soutien social comme un facteur donné et statique. Si lon a soulevé la question de son évolution avec le temps, les précisions sur le sujet sont insuffisantes (Gottlieb, 1983; Cohen et Syme, 1985). Le soutien social est, de toute évidence, un phénomène fluide, comme le sont les facteurs de stress sur lesquels il retentit. Il varie tout au long des phases de la vie. Il peut aussi se transformer dans le court terme du déroulement dun événement stressant particulier (Wilcox, 1981).
Une telle variabilité entraîne vraisemblablement des fonctionnements différents du soutien social au cours des étapes développementales ou des diverses phases dune crise. Au début de la crise, par exemple, laide apportée sous forme dinformation peut être plus précieuse que laide concrète. La source du soutien, son intensité et la durée de son efficacité seront également fluctuantes. La relation de réciprocité entre stress et soutien social doit être reconnue. Certains facteurs de stress eux-mêmes ont un impact direct sur la disponibilité de soutien. Le décès du conjoint, par exemple, réduit dordinaire le réseau de soutien, et peut être porteur de lourdes conséquences pour le survivant (Goldberg, Van Natta et Comstock, 1985).
Le soutien social néquivaut pas à un coup de baguette magique adoucissant leffet du stress. Dans certaines conditions, il peut même exacerber celui-ci, ou le provoquer. Wilcox (1981) indique que les individus dont le réseau familial est relativement dense ont plus de mal à gérer un divorce, leur famille ayant tendance à rejeter le divorce comme solution aux problèmes conjugaux. Les travaux menés sur la toxicomanie et la violence domestique illustrent parfois les éventuels méfaits des réseaux sociaux. En effet, Pines et Aronson (1981) lont noté, une grande partie des interventions psychothérapeutiques sont consacrées à affranchir lindividu des relations nocives quil entretient, à lui inculquer des compétences relationnelles et à laider à se remettre dune expérience dexclusion sociale.
Nombreuses sont les études qui manient diverses mesures du contenu fonctionnel du soutien social. Ces mesures sont dune fiabilité et dune validité très variables. Toujours sous langle méthodologique, le fait que ces analyses dépendent en grande partie dautodéclarations émanant des sujets eux-mêmes représente une faiblesse: les réponses sont nécessairement subjectives et lon pourra se demander si cest lévénement proprement dit ou le degré de soutien social qui est important, ou plutôt la perception subjective du soutien et de ses répercussions. Si cest la perception qui est critique, il se peut alors quune troisième variable (le type de personnalité, par exemple) influence à la fois le stress et le soutien social (Turner, 1983). Un troisième facteur, comme lâge ou la situation socio-économique, peut entraîner une modification du soutien social et de la variable observée, selon Dooley (1985). Solomon (1986) apporte des éléments confirmatifs dans ce sens dans une étude consacrée à des femmes forcées, par des contraintes matérielles, de dépendre damis ou de parents; dès quelles en sont financièrement capables, ces femmes mettent fin à ce type de dépendance. Thoits (1982) sinquiète de la causalité inverse, car il se pourrait que certaines catégories de problèmes repoussent les amis et affaiblissent la solidarité. Des études réalisées par Peters-Golden (1982) et Maher (1982) sur les personnes atteintes dun cancer et leur soutien social semblent avérer cette proposition.
Les travaux sur les associations entre le soutien social et le stress au travail indiquent que la capacité de faire face aux situations est liée à la bonne utilisation des systèmes de soutien (Cohen et Ahearn, 1980). Les stratégies dadaptation fructueuses mettent en évidence limportance du recours à un soutien social, organisé ou informel, face au stress du travail. Par exemple, on conseille aux personnes qui viennent dêtre licenciées de rechercher activement un appui dordre informatif, affectif et concret. Or, les évaluations de lefficacité de telles interventions sont relativement peu nombreuses. Il semble toutefois que le soutien structuré ne soit efficace quà court terme et quil faille disposer dun soutien informel pour être en mesure de réagir à plus long terme. Le soutien structuré offert par lentreprise risque parfois dentraîner des résultats indésirables, car la colère ressentie en cas de licenciement ou de faillite, par exemple, peut se reporter sur les prestataires de laide psychosociale eux-mêmes. Dautre part, compter trop longtemps sur le soutien social peut créer un sentiment de dépendance et laffaiblissement de lestime de soi.
Dans certains métiers, comme celui de marin ou de sapeur-pompier, ou de technicien sur une plate-forme pétrolière, par exemple, le réseau de soutien social est consistant, durable et très défini, analogue, dune certaine manière, à un tissu familial. Etant donné la nécessité de travailler en petits groupes et de fournir des efforts en commun, il est naturel que se développe parmi les travailleurs un sentiment particulier de cohésion et de solidarité. Le caractère parfois dangereux des tâches exige de ceux-ci quils fassent preuve de respect et de confiance mutuels. Lorsque des personnes sont amenées à compter les unes sur les autres pour leur survie et pour leur bien-être, des liens solides et une forte interdépendance peuvent se forger entre elles.
Afin de mieux cerner la variable de soutien social, les recherches à venir devront se concentrer sur la nature de ce soutien durant les périodes de travail normales, mais aussi en période de réduction deffectifs ou de grands changements structurels. Ainsi, lorsquun salarié est promu à un poste de supervision, il doit en principe prendre des distances par rapport aux autres membres de son équipe. Cela affecte-t-il le niveau déchanges sociaux quotidiens dont il bénéficie ou dont il a besoin? La source de soutien doit-elle être déplacée vers les autres cadres, la famille ou ailleurs? Ceux qui ont des postes de responsabilité subissent-ils des facteurs de stress différents au travail? Requièrent-ils dautres formes, dautres sources ou dautres objectifs de soutien?
Si lobjet des interventions de groupe modifie également les fonctions de soutien social ou la nature du réseau, cela aura-t-il un effet préventif par rapport aux futurs événements stressants?
Quel sera leffet de la présence de plus en plus importante de femmes dans ces métiers? La nature et la fonction du soutien pour tous les travailleurs en sera-t-elle changée, ou faudra-t-il envisager des soutiens de type ou de niveau différent pour chaque sexe?
Le milieu de travail offre une occasion unique détudier lécheveau complexe du soutien social. Sous-culture fermée, il présente à la recherche un cadre expérimental naturel, se prêtant à létude du rôle du soutien social, des réseaux sociaux et de leurs interactions avec le stress aigu, chronique et traumatique.
Les facteurs de stress au travail touchent-ils les hommes et les femmes de la même manière? Ce nest que récemment que la recherche sur le stress et la santé professionnelle sest intéressée à la question. De fait, lévocation dune éventuelle spécificité propre au genre napparaît même pas dans lindex de la première édition du Handbook of Stress (Goldberger et Breznitz, 1982), pas plus que dans les principaux ouvrages de référence que sont Job Stress and Blue Collar Work (Cooper et Smith, 1985) et Job Control and Worker Health (Sauter, Hurrell et Cooper, 1989). Une revue des variables actives et des interactions relevées en 1992 dans la littérature consacrée au stress dorigine professionnelle ignore également la question des différences par sexe (Holt, 1993). Lhistoire de la psychologie de la sécurité et de la santé au travail, laquelle reproduit les stéréotypes sexuels très présents dans notre culture, explique en partie ces omissions. Hors le domaine de la santé génésique, létude des maladies et lésions corporelles a généralement concerné les hommes et les variations liées à leur travail. Lorsque la recherche se penchait sur les questions de santé psychologique, elle sattachait alors aux femmes et aux variations dans leurs rôles sociaux.
De ce fait, et jusquà une date récente, les «indices disponibles» des effets du travail sur la santé physique sappliquent quasi exclusivement aux hommes (Hall, 1992). Ainsi, leffort didentification des corrélats des maladies coronariennes na porté que sur les hommes et sur divers aspects de leur travail; les chercheurs ne se sont même pas renseignés sur leffet du statut marital ou parental de leurs sujets masculins (Rosenman et coll., 1975). De même, peu détudes des rapports entre stress professionnel et pathologie masculine prennent en compte ces dimensions maritales et parentales (Caplan et coll., 1975).
A linverse, les préoccupations relatives à la santé génésique, la fécondité et la grossesse convergeaient essentiellement sur les femmes. Il nest donc guère surprenant que «lexamen des effets de lexposition à certaines conditions du milieu de travail sur la fonction reproductrice portent bien davantage sur les femmes que sur les hommes» (Walsh et Kelleher, 1987). En matière de détresse psychique, les tentatives de définition des corrélats psychosociaux, notamment les facteurs de stress liés à larbitrage dun équilibre travail-famille, se focalisent majoritairement sur les femmes.
En confirmant lidée de «sphères séparées» pour les hommes et les femmes, ces conceptualisations et les paradigmes qui en découlent ont bloqué lanalyse des différences selon le sexe et, partant, empêché de contrôler effectivement linfluence du sexe du sujet. Lintense ségrégation professionnelle hommes-femmes (Bergman, 1986; Reskin et Hartmann, 1986) oppose également un obstacle à létude du rôle du sexe en tant que variable active. Si tous les hommes ont des «emplois dhommes» et toutes les femmes des «emplois de femmes», il nest guère judicieux de rechercher linfluence du sexe sur le rapport stress-maladie: les conditions de travail et le sexe seraient confondus. Ce nest que lorsque les femmes prennent des emplois traditionnellement masculins et que certains hommes prennent des emplois «féminins» que la question prend un sens.
On peut traiter leffet du sexe du sujet de trois manières: le neutraliser, lignorer ou lanalyser (Hall, 1991). La plupart des enquêtes sur la santé ont écarté cette caractéristique ou se sont limitées à lun des sexes, doù la carence dinformations que nous mentionnions plus haut et laccumulation de travaux qui confirment les hypothèses stéréotypées quant au rôle du sexe dans le rapport stress-santé. Selon ces hypothèses, les femmes sont essentiellement différentes des hommes selon des paramètres qui les rendraient moins résistantes au travail, dune part, et les hommes sont relativement peu affectés par leur vécu hors du travail, dautre part.
Malgré ces débuts, la situation est en train de changer. Témoin la publication en 1987 de Gender and Stress (Barnett, Biener et Baruch, 1987), premier ouvrage publié dédié précisément au rapport entre le sexe et chacun des aspects de la réaction au stress. La deuxième édition du Handbook of Stress (Barnett, 1982) consacre un chapitre aux effets de lappartenance à lun et à lautre sexe. De fait, les études actuelles adoptent de plus en plus la troisième méthode évoquée plus haut, qui consiste à analyser les effets du stress selon le sexe. Les tenants de cette démarche, pourtant fort prometteuse, doivent pourtant éviter certains écueils. Sur le plan pratique, elle implique lanalyse de données ayant trait aux hommes et aux femmes et lévaluation tant des principaux effets que des interactions liées à la sexospécificité. Parmi les principaux effets, lun des plus importants est que si lon contrôle les autres prédicteurs du modèle, les hommes et les femmes diffèrent dans la mesure de la variable dépendante. Les analyses des effets dinteractions concernent la réactivité différentielle: le rapport entre un facteur de stress donné et une variable dépendante relative à la santé diffère-t-il chez les femmes et chez les hommes?
Le principal intérêt de ce type de démarche est quelle permet de remettre en cause les stéréotypes rattachés aux femmes et aux hommes. La principale embûche en est que lon peut toujours en tirer des conclusions erronées sur les différences hommes-femmes. Ce paramètre est confondu avec de nombreuses autres variables sociales: il faut donc tenir compte de celles-ci avant de procéder à des déductions relatives au genre. Par exemple, les échantillons dhommes et de femmes pourvus dun emploi seront sans aucun doute différents quant à tout un ensemble de variables, liées ou non au travail, qui pourraient vraisemblablement influer sur la santé. Les plus importants dentre ces facteurs contextuels sont le prestige professionnel, le salaire, le temps de travail (temps plein ou partiel), la situation de famille, le niveau dinstruction, la situation professionnelle du conjoint, la charge globale de travail, et la présence de personnes à charge enfants ou personnes âgées. Par ailleurs, certaines données permettent denvisager lexistence de différences sexuelles relativement à la personnalité, la cognition, le comportement et à dautres variables sociales liées à létat de santé: recherche de sensations; efficacité personnelle (sentiment de compétence); locus de contrôle externe; stratégies dadaptation axées sur les émotions ou sur les problèmes à résoudre; recours aux ressources sociales et au soutien de lentourage; facteurs de risques acquis tels que le tabagisme et labus dalcool; comportements préventifs tels que la pratique dexercices physiques, un régime alimentaire équilibré, des habitudes dhygiène prophylactique; fait de subir précocement une intervention médicale; et pouvoir social (Walsh, Sorensen et Leonard, 1995). Plus on arrive à maîtriser ces variables contextuelles, mieux on comprend leffet de la spécificité du genre sur certains mécanismes, notamment si cest cette variable ou si ce sont dautres variables adventices qui sont opérantes.
A titre dillustration, létude de Karasek (1990) montrant que des changements intervenant dans la situation professionnelle demployés de bureau risquent moins dêtre assortis deffets négatifs sur la santé sils impliquent une plus grande marge dautocontrôle du travail. Il sest avéré que cette conclusion était valable pour les hommes, mais non pour les femmes. Selon dautres analyses ultérieures, lautocontrôle du travail et le sexe du travailleur étaient confondus. Sagissant des femmes lun des «groupes les moins agressifs [ou puissants] du marché du travail» (Karasek, 1990), les changements de situation professionnelle des cadres entraînaient souvent un rétrécissement de la marge dautocontrôle, alors que chez les hommes, lévolution était généralement contraire. Cest donc le pouvoir, et non le sexe du sujet, qui explique cet effet dinteraction. De telles analyses nous incitent à affiner la délimitation de la variable active. Les hommes et les femmes réagissent-ils différemment au stress du travail du fait de caractères innés (cest-à-dire biologiques), ou parce que leurs expériences sociales sont différentes?
Quoique peu détudes aient examiné les effets adventices de la spécificité du genre, la plupart indiquent quune fois neutralisés les facteurs dinterférence, la relation entre les conditions de travail et les effets sur la santé physique et mentale nest pas sous la dépendance du sexe du sujet (Lowe et Northcott, 1988, retracent lune de ces études). En dautres termes, la différence innée de réactivité nest pas prouvée.
Les conclusions tirées de létude dun échantillon aléatoire dhommes et de femmes travaillant à temps plein et dont le conjoint travaille également, renvoient au même constat en ce qui concerne la détresse psychologique. Dans une série danalyses transversales et longitudinales, on a procédé à une enquête à deux niveaux pour tenir compte des variables individuelles telles que lâge, le niveau dinstruction, le prestige professionnel et la qualité de la relation maritale, ainsi que des variables tenant au couple telles que la situation parentale, le nombre dannées de mariage et le revenu du ménage (Barnett et coll., 1993; Barnett et coll., 1995; Barnett, Brennan et Marshall, 1994). Les vécus professionnels satisfaisants étaient liés à un faible niveau de mal-être; labsence de liberté dans lutilisation des compétences personnelles et lexcès de travail étaient liés à un niveau élevé de souffrance psychologique; les expériences vécues en tant que conjoint ou parent atténuaient le rapport entre les expériences professionnelles et la souffrance; enfin, les changements intervenant dans la durée en matière dutilisation discrétionnaire des compétences et de surcharge de travail étaient également liés à une évolution correspondante de la souffrance psychologique. Dans aucun de ces cas, leffet de la spécificité du genre nétait significatif: lintensité de ces relations nétait pas affectée par lappartenance à lun ou à lautre sexe.
Une exception importante doit être notée: celle des nominations symboliques (voir, par exemple, Yoder, 1991). S«il est indéniable quil y ait un avantage énorme à faire partie dune minorité dhommes dans nimporte quelle profession féminine» (Kadushin, 1976), linverse nest pas vrai. Les femmes qui sont minoritaires dans un milieu de travail masculin sen trouvent nettement désavantagées. Une telle différence se comprend aisément lorsquon pense au statut et aux pouvoirs respectifs des hommes et des femmes dans notre culture.
Dans lensemble, les études des manifestations physiques du stress ne révèlent pas non plus deffets dinteraction sensibles liés au genre. Il semble notamment que les caractéristiques de lactivité professionnelle constituent des déterminants de la sécurité plus importants que ne le sont les attributs des travailleurs; il semble aussi que les femmes qui occupent des professions traditionnellement masculines subissent le même type daccidents que leurs homologues masculins et selon une fréquence sensiblement identique. Dailleurs, cest souvent parce que les dispositifs de protection sont mal conçus, et non à cause dune incapacité inhérente aux femmes, que celles qui exercent des métiers majoritairement masculins sont davantage sujettes à des accidents (Walsh, Sorensen et Leonard, 1995).
Deux mises en garde semblent simposer ici. En premier lieu, aucune étude ne tient compte de toutes les covariables liées au sexe. De ce fait, toute conclusion sur les effets de la spécificité du genre ne peut être que provisoire. En second lieu, étant donné que les modes de contrôle des variables changent dune étude à lautre, les comparaisons sont délicates.
La progression des effectifs féminins sur le marché du travail, y compris dans des emplois semblables à ceux des hommes, accroît tant les occasions que la nécessité dévaluer leffet des différences hommes-femmes sur le rapport entre les facteurs de stress et la maladie. Les études à venir devront en outre pousser plus loin la conceptualisation de la notion de stress, ainsi que son mesurage, afin de tenir compte des facteurs de stress professionnel pertinents pour les femmes; étendre lévaluation des effets dinteraction aux études autrefois cantonnées à des populations soit dhommes, soit de femmes, par exemple les études sur la fonction génésique et sur le stress dorigine non professionnelle; et examiner les effets dinteraction de la race et de la classe sociale, ainsi que les effets combinés de linteraction genre et race, et genre et classe sociale.
Dimportants changements se produisent dans la population active de nombreux pays parmi les plus industrialisés, du fait de la place grandissante quy occupent les minorités ethniques. Pourtant, la recherche sur le stress en milieu professionnel a peu intégré cette nouveauté. Lévolution démographique de la population active mondiale indique clairement que ces populations ne sauraient plus être ignorées. Nous abordons brièvement dans cet article quelques-uns des principaux aspects du stress au travail se rapportant aux minorités ethniques, des Etats-Unis en particulier. Mais lessentiel des conclusions devrait pouvoir être rapporté à dautres pays.
La plupart des études sur le stress professionnel excluent les minorités ethniques ou en incluent trop peu pour permettre des comparaisons ou des généralisations significatives, ou encore ne fournissent pas suffisamment dinformations sur léchantillon utilisé pour quon en déduise le taux de participation des divers groupes ethniques ou raciaux. Ces travaux font rarement la distinction entre les minorités ethniques, les considérant comme un groupe homogène, ce qui tend à estomper les différences dordre démographique, culturel, linguistique, et socio-économique qui ont été établies tant entre les groupes quà lintérieur de chacun deux (Olmedo et Parron, 1981).
Outre quelles ne se soucient guère des questions dethnicité, la grande majorité des études névaluent pas non plus les différences de classe ou de genre, ni les interactions classe, race et genre. On sait peu de chose, par ailleurs, sur la valeur transculturelle de la masse des méthodes dévaluation employées. Les instruments auxquels elles recourent ne sont pas toujours traduits convenablement et léquivalence entre la version publiée en anglais standard et les versions vernaculaires nest pas forcément démontrée. Même lorsquune certaine équivalence semble être établie entre divers groupes ethniques ou culturels, on ne sait pas exactement si tous les symptômes inclus dans léchelle sont obtenus de façon fiable, en dautres termes, si la phénoménologie dun trouble est la même pour tous les groupes (Roberts, Vernon et Rhoades, 1989).
Souvent, les outils dévaluation mesurent mal les conditions qui prévalent au sein des diverses populations de minorités ethniques; en conséquence, les résultats sont souvent suspects. Ainsi, de nombreuses échelles dappréciation du stress sappuient sur des modèles où le stress est lié à un changement non souhaité ou à un réajustement. Or, nombreux sont les membres de minorités ethniques qui vivent un stress résultant avant tout de situations pérennes, non souhaitées, telles que la pauvreté, la marginalité économique, des conditions de logement inadéquates, le chômage, la criminalité, la discrimination. Ces facteurs de stress chroniques ne sont généralement pas pris en compte dans la mesure du stress. Pour évaluer le stress chez les minorités ethniques et les groupes défavorisés, les modèles où le stress est conçu comme le résultat de lintrication de facteurs de stress chroniques et aigus, dune part, et dune série de déterminants internes et externes, dautre part, sont mieux indiqués (Watts-Jones, 1990).
Les préjugés et la discrimination constituent les premiers facteurs de stress dont sont victimes les minorités ethniques, en raison précisément de leur statut minoritaire (Martin, 1987; James, 1994). Il est certain que les membres de minorités se heurtent davantage, du fait de leur appartenance ethnique, à des préjugés et manifestations discriminatoires, par rapport au groupe dominant. Comparés aux Blancs, ils estiment subir plus de discrimination et disposer de moins de possibilités davancement (Galinsky, Bond et Friedman, 1993). Les travailleurs qui pensent être victimes de discrimination ou, du fait de leur appartenance ethnique, ne pas jouir dautant de débouchés professionnels sont plus susceptibles de souffrir du syndrome dépuisement professionnel; de moins se soucier de fournir des efforts et dobtenir de bons résultats; de ressentir moins de loyauté envers leur employeur; dêtre moins satisfaits de leur travail; de prendre moins dinitiatives; de moins chercher à contribuer au succès de leur employeur; et de prévoir plus tôt de quitter leur emploi (Galinsky, Bond et Friedman, 1993). Il existe une corrélation positive entre les préjugés et la discrimination ressentis, dune part, et les problèmes de santé autorapportés et lhypertension, de lautre (James, 1994).
Dans les travaux sur le stress en milieu de travail, on sest longuement appesanti sur la relation entre le soutien social et le stress, mais très peu sur sa pertinence en ce qui concerne les minorités ethniques. Les travaux disponibles sont généralement contradictoires. Par exemple, les travailleurs dorigine hispanique qui estiment bénéficier dun soutien social important sont moins tendus dans leur emploi et déclarent moins de problèmes de santé (Gutierres, Saenz et Green, 1994); les travailleurs de minorités ethniques qui ne peuvent compter sur un certain niveau de soutien affectif risquent davantage lépuisement professionnel, les ennuis de santé, les épisodes de stress au travail, le stress chronique et la frustration, cette association étant plus marquée chez les femmes et chez les cadres que pour le personnel dexécution (Ford, 1985). Cependant, James (1994), na pas décelé de relation significative entre le degré de soutien social et les soucis de santé dans un échantillon de travailleurs afro-américains.
Les modèles expérimentaux sur la satisfaction professionnelle sont généralement conçus à partir déchantillons de travailleurs blancs et appliqués à des échantillons de travailleurs blancs. Là où des minorités sont incluses, il sagit le plus souvent dAfro-Américains, et les effets éventuels de lethnicité sont souvent masqués (Tuch et Martin, 1991). Les travaux concernant les salariés afro-américains révèlent dordinaire des niveaux de satisfaction au travail nettement inférieurs à ceux des Blancs (Weaver, 1978, 1980; Staines et Quinn, 1979; Tuch et Martin, 1991). Approfondissant cette observation, Tuch et Martin (1991) ont constaté que les facteurs qui déterminent la satisfaction au travail sont en gros les mêmes, mais que les Afro-Américains sont moins susceptibles de se trouver dans des situations favorisant la satisfaction professionnelle. Plus précisément, les avantages annexes augmentent leur satisfaction, mais, par rapport aux Blancs, ils sont désavantagés à cet égard. Par ailleurs, le fait davoir un travail manuel et de vivre en milieu urbain pèse sur la satisfaction professionnelle des Afro-Américains, qui sont pourtant particulièrement surreprésentés dans ces secteurs. Pour Wright, King et Berg (1985), sagissant de leur échantillon de gestionnaires noirs, les facteurs tenant à lentreprise (tels que lautorité que confère un poste donné, les qualifications quil exige et le sentiment de pouvoir avancer dans lentreprise) étaient les meilleurs prédicteurs de satisfaction professionnelle, ce qui corrobore les travaux antérieurs réalisés avec des échantillons comportant en majorité des Blancs.
La probabilité doccuper un emploi où les conditions de travail sont dangereuses est plus grande pour les travailleurs des minorités ethniques que pour leurs homologues blancs. Bullard et Wright (1986-1987) ont observé cette tendance et noté que les différences démographiques en matière daccidents découlent probablement de disparités raciales et ethniques se manifestant sur le plan du revenu, du niveau dinstruction, du type demploi et dautres facteurs socio-économiques liés à lexposition aux risques. Lexplication la plus immédiate est pour eux que les accidents du travail dépendent essentiellement de la catégorie professionnelle et de la branche et que les minorités ethniques occupent en général des emplois à plus hauts risques.
Les travailleurs étrangers entrés illégalement aux Etats-Unis sont habituellement confrontés à un stress particulier et à un traitement inéquitable au travail. Ils doivent souvent endurer des conditions dangereuses, non conformes aux normes et accepter des salaires inférieurs au minimum par crainte dêtre dénoncés aux services de limmigration; leurs perspectives de trouver un meilleur emploi sont généralement restreintes. Nombre de règlements relatifs à la sécurité et à la santé, dinstructions dutilisation et de notices de mise en garde sont rédigés en anglais et beaucoup dimmigrants, clandestins ou autres, nont quune faible maîtrise de cette langue, écrite ou parlée (Sanchez, 1990).
Dans certains domaines de recherche, les travaux ont presque entièrement ignoré les minorités ethniques. Des centaines détudes, par exemple, ont été consacrées aux rapports entre comportement de type A et stress professionnel. Les hommes blancs représentent le groupe le plus fréquemment étudié; les hommes de minorités ethniques, ainsi que les femmes, en sont presque totalement exclus. Les données existantes telles que létude dAdams et coll. (1986), fondée sur un échantillon détudiants de première année universitaire, et celle de Gamble et Matteson (1992) portant sur des travailleurs noirs signalent la même corrélation positive entre les comportements de type A et le stress autorapporté que celles qui ont utilisé des échantillons de Blancs.
De même, les questions de latitude décisionnelle dans le travail et des exigences professionnelles, quoique essentielles dans la théorie du stress dorigine professionnelle, sont rarement traitées dans le cas des travailleurs issus de minorités ethniques. Les études disponibles indiqueraient pourtant que ce sont des aspects du problème tout aussi pertinents chez les sujets appartenant à des minorités ethniques. Par exemple, les infirmières auxiliaires afro-américaines disent avoir nettement moins de pouvoir décisionnel et occuper davantage de postes sans perspectives davenir (et où elles sont plus exposées aux risques) que leurs collègues blanches, ces différences nétant pas tributaires du niveau dinstruction (Marshall et Barnett, 1991); lexistence dune faible latitude décisionnelle face à des exigences importantes semble caractériser particulièrement les emplois situés au bas de léchelle socio-économique, lesquels sont généralement détenus par des travailleurs de minorités ethniques (Waitzman et Smith, 1994); et sur six critères relatifs à la définition du travail, la cote attribuée à leur emploi par les cadres moyens ou supérieurs blancs est uniformément supérieure à celle décernée par leurs collègues membres de minorités ethniques, et par leurs collègues féminines (Fernández, 1981).
Manifestement, la recherche en matière de stress professionnel et de santé laisse encore bien des dimensions à explorer quant à la situation particulière des minorités ethniques. La connaissance dans ce domaine ne progressera que lorsque les travailleurs issus de ces minorités seront intégrés, dune part, en tant quéchantillons dans les études et, dautre part, dans les procédures de mise au point et de validation des instruments denquête.
Lorsquun sujet est appelé à résoudre un problème ou à exécuter des tâches psychomotrices en laboratoire, on peut observer un certain nombre dadaptations physiologiques aiguës: accélération du rythme cardiaque et élévation de la tension artérielle; altération du débit cardiaque et des résistances vasculaires périphériques; augmentation de la tension musculaire et de lactivité électrodermique (glandes sudoripares); perturbations du rythme respiratoire; modifications de lactivité gastro-intestinale et de la fonction immunitaire. Les réactions neurohormonales qui ont été les mieux étudiées sont celles des catécholamines (adrénaline et noradrénaline) et du cortisol. La noradrénaline est le principal médiateur chimique émis par les nerfs de la branche sympathique du système nerveux autonome. Ladrénaline est sécrétée par la médullaire surrénale suite à la stimulation du sympathique, tandis que cest lactivation de la glande hypophysaire par des centres supérieurs dans le cerveau qui déclenche la production de cortisol depuis le cortex surrénal. Ces hormones sous-tendent lactivation du système nerveux autonome en temps de stress et sont responsables dautres modifications aiguës, telles que la stimulation des mécanismes de coagulation du sang ou de mobilisation des réserves énergétiques à partir du tissu adipeux. Selon toute vraisemblance, ces divers types de réponses se produisent également dans les cas de stress dorigine professionnelle, mais il conviendrait, pour pouvoir en attester, de procéder à des études systématiques où les conditions de travail sont simulées et à dautres où les sujets sont considérés dans le cadre normal de leur activité professionnelle.
Divers types de méthodes permettent de mesurer ces réactions physiologiques. On peut recourir à des techniques psychophysiologiques conventionnelles pour enregistrer la réponse du système nerveux autonome stimulé par la nécessité daccomplir des tâches exigeant un certain effort (Cacioppo et Tassinary, 1990). Le niveau des hormones liées au stress est décelable dans le sang, lurine ou, dans le cas du cortisol, dans la salive. Lactivité sympathique dans un contexte deffort a également été relevée à travers la décharge dun excédent de noradrénaline dans le sang à partir des terminaisons nerveuses et, directement, au moyen délectrodes miniaturisées inscrivant lactivité nerveuse sympathique. Lexécution dune tâche entraîne généralement une diminution de lactivité parasympathique ou vagale du système nerveux autonome, et ce phénomène peut être repéré, dans certaines circonstances, grâce aux variations du rythme cardiaque ou à une arythmie sinusale. Au cours de ces dernières années, lanalyse spectrale des signaux provenant du rythme cardiaque et de la tension artérielle a révélé des bandes de fréquence caractéristiques des activités sympathique et parasympathique. En mesurant la puissance de ces bandes de fréquence, on peut déterminer la situation homéostatique du système nerveux autonome, et celle-ci indique, lors de lexécution dune tâche, une prédominance progressive du sympathique par rapport au parasympathique.
Peu détudes des réponses physiologiques aiguës en laboratoire ont simulé les conditions de travail elles-mêmes. Diverses dimensions de leffort commandé par la réalisation dactivités professionnelles ont cependant été analysées. Par exemple, si un travail dont la vitesse dexécution est fixée par une source exogène sintensifie (soit par accélération de la cadence, soit par la complexification des problèmes à résoudre), il y a élévation du niveau dadrénaline, du rythme cardiaque et de la tension artérielle dune part et, dautre part, baisse de la variabilité du mouvement cardiaque et accroissement de la tension musculaire. En comparaison avec des tâches dont la périodicité est décidée par le travailleur lui-même et qui sont effectuées à la même allure, une activité «exorythmée» provoque des montées de la pression sanguine et de la fréquence cardiaque (Steptoe et coll., 1993). En général, par rapport à une situation où le contrôle est essentiellement externe, la possibilité de maîtriser individuellement les stimuli potentiellement stressants freine lexcitation autonome et neuroendocrine, même si la nécessité de maintenir soi-même le contrôle de la situation comporte son propre coût physiologique.
Frankenhaeuser (1991) a postulé que la sécrétion dadrénaline sélevait à loccasion dune stimulation mentale ou de lexécution dune tâche très prenante et quun sentiment de détresse ou de mécontentement induisait une hausse des niveaux de cortisol. En appliquant cette dynamique au stress professionnel, lauteur a émis lhypothèse suivante: les astreintes professionnelles peuvent générer une augmentation de leffort et donc de ladrénaline, tandis que labsence de latitude décisionnelle individuelle dans le travail serait une source fondamentale de frustration et, de ce fait, susceptible de stimuler la production de cortisol. Des travaux confrontant les niveaux de ces hormones manifestes chez des sujets effectuant leur travail habituel, puis au repos, signalent des taux dadrénaline plus importants dans un contexte de travail. La variation des quantités de noradrénaline est inconstante et peut dépendre de lampleur de lactivité physique exercée au travail ou dans les loisirs. On a également établi lexistence dune corrélation positive entre la sécrétion dadrénaline dans une situation de travail et lintensité des exigences professionnelles. Par contre, on na pu détecter délévation systématique du cortisol chez les sujets au travail et la preuve reste à faire que cette substance varie avec le pouvoir de contrôle individuel détenu au travail. Dans une étude des changements observés dans létat de santé daiguilleurs du ciel (Air Traffic Controller Health Change Study), seul un petit nombre de ces derniers accusaient uniformément des taux accrus de cortisol en présence dune augmentation réelle du volume de travail (Rose et Fogg, 1993).
De toutes les hormones liées au stress, ladrénaline est la seule pour laquelle on a pu prouver de manière concluante que sa sécrétion augmente en situation de travail et ce, proportionnellement à lintensité de la contrainte. Si lon en croit les preuves dont on dispose, il semblerait par ailleurs que les taux de prolactine augmentent et que ceux de testostérone sabaissent, en réponse au stress. Mais ces phénomènes nont guère été étudiés chez des travailleurs. On a aussi constaté des changements marqués de concentration de cholestérol dans le sang avec laugmentation de la charge de travail. Les résultats ne sont toutefois pas constants (Niaura, Stoney et Herbert, 1992).
Sagissant des paramètres cardio-vasculaires, la tension artérielle sest régulièrement révélée plus haute chez les hommes que chez les femmes, tant pendant le travail quaprès, ou sur des durées équivalentes consacrées aux loisirs. Ces effets ont été constatés quelle que soit la modalité de mesure de la tension réalisée par les sujets eux-mêmes ou grâce à des dispositifs automatiques portatifs (ou ambulatoires). La pression du sang sélève tout particulièrement aux moments où les exigences liées au travail sont accrues (Rose et Fogg, 1993). Certains travaux ont signalé le déclenchement du même mécanisme, par ailleurs, lorsque cest laffect qui est mobilisé, par exemple dans des études observant le personnel paramédical sur des scènes daccident. Précisons toutefois quil est souvent difficile de déterminer si les écarts de tension artérielle en situation professionnelle sont attribuables à des phénomènes psychologiques ou sils sont à mettre au compte de lactivité physique et des changements de posture qui y sont associés. Lélévation de la pression sanguine enregistrée au travail est notamment prononcée chez les sujets ayant signalé un grand stress professionnel, selon le modèle «exigences/autonomie» (Schnall et coll., 1990).
Il na pu être confirmé que le rythme cardiaque saccélérait à loccasion de lactivité professionnelle. Des pics sont néanmoins constatés lors dune interruption imprévue du travail causée, par exemple, par une défaillance des équipements. Les intervenants de lurgence, tels que les sapeurs-pompiers, présentent un rythme cardiaque extrêmement rapide en réponse au retentissement de la sonnerie dalerte dans leur caserne. Dun autre côté, un tissu adéquat de soutiens sociaux dans le milieu professionnel est associé à des fréquences de battement moindres. Les anomalies du rythme cardiaque peuvent être également provoquées par des situations professionnelles stressantes, mais la signification pathologique de telles réponses na pas été posée.
Les études portant sur le stress au travail font fréquemment mention des troubles gastro-intestinaux (voir «Les troubles gastro-intestinaux» ci-dessous). Il nest malheureusement pas évident dévaluer les systèmes physiologiques qui régissent les symptômes gastro-intestinaux dans le cadre dune situation de travail. Un stress psychique aigu a des effets variables sur lacidité gastrique, stimulant de fortes augmentations chez les uns, réduisant cette sécrétion chez les autres. Le travail posté semble être propice aux troubles gastro-intestinaux et on a rattaché cet effet à la perturbation des rythmes diurnes du contrôle, par le système nerveux central, de la sécrétion gastrique. Lusage de la radiotélémétrie chez des patients souffrant de colopathie spasmodique, pendant quils vaquaient à leurs occupations quotidiennes, a permis de relever certaines anomalies du péristaltisme de lintestin grêle. On a démontré que les problèmes de santé, y compris les dysfonctionnements gastro-intestinaux, évoluaient en fonction de la perception subjective du volume de travail, mais la question de savoir si ces manifestations procèdent de modifications physiologiques réelles, ou si elles correspondent à des qualités de vécu et de communication de ces troubles, na pas encore été tranchée.
Les spécialistes ne sentendent pas toujours sur lacception du terme stress; mais il y a bien consensus quant à lexistence dun lien entre le vécu du stress dorigine professionnelle et certains types de comportements, tels que labsentéisme, la pharmacodépendance, les troubles du sommeil, le tabagisme et la consommation de caféine (Kahn et Byosiere, 1992). Le présent article passe en revue les résultats des recherches étayant lexistence de ces interactions, mettant en évidence le rapport étiologique du stress issu du travail avec chacune de ces conduites. Des différences qualitatives distinguent ces dernières, suivant langle danalyse choisi. Par exemple, à lencontre dautres comportements dont on affirme généralement quau-delà dun certain seuil ils nuisent à la santé, labsentéisme, en dépit du préjudice causé à lentreprise, nest pas nécessairement dommageable pour le salarié qui sabsente. Cependant, la recherche dans ce domaine peut être problématique, ainsi que nous lindiquons ci-après.
Nous avons déjà fait allusion à la divergence de définitions concernant le stress relatif à lexercice de la profession. Considérons, par exemple, diverses conceptions du stress en tant quévénement vécu, dune part, et en tant que contrainte professionnelle de caractère chronique, de lautre. Ces deux approches, et le type dévaluation quelles impliquent, ont rarement été combinées en une même étude visant à prédire les manifestations comportementales qui nous intéressent ici. De même, lanalyse conjointe des stress dorigine familiale et dorigine professionnelle, dans le but de prédire la survenue de lune ou lautre de ces manifestations, a très peu été examinée. La plupart des travaux auxquels nous nous référons dans le présent article suivent une démarche transversale, partant dautodescriptions de comportement fournies par les salariés eux-mêmes. En outre, la majorité des recherches relatives aux comportements déterminés par le stress professionnel contournent lexamen des rôles interagissants, médiateurs ou modérateurs, de facteurs de prédisposition dordre caractériel tels que les comportements corollaires aux personnalités de type A ou la qualité personnelle de robustesse, et des paramètres circonstanciels tels que les degrés de latitude décisionnelle ou de soutien psychosocial dont peut bénéficier le travailleur. Les variables antécédentes, notamment la mesure objective du stress lié au travail, nont guère été incluses non plus dans les protocoles de recherche de ces travaux. Enfin, les recherches abordées ici reposent sur des méthodologies diverses. Ces nombreuses réserves expliquent quon aboutisse à des conclusions mitigées sur le rôle précurseur du stress professionnel dans telle ou telle manifestation comportementale.
Beehr (1995) a cherché à savoir pourquoi si peu détudes avaient été systématiquement consacrées à lexamen des rapports entre le stress professionnel et la pharmacodépendance. Selon lui, lexplication résiderait dans le fait que les chercheurs nont pas réussi à découvrir ce type dassociations. A ce facteur, on pourrait ajouter le biais bien connu de la réticence des éditeurs de revues spécialisées à publier des résultats de recherche négatifs. Pour mettre en lumière la difficulté dénoncer un verdict définitif sur lexistence dun lien entre stress et pharmacodépendance, considérons deux grands échantillons nationaux de salariés aux Etats-Unis. Le premier, constitué par French, Caplan et Van Harrison en 1982, na pu permettre de trouver une corrélation significative entre, dune part, des types de stress professionnel et, dautre part, le tabagisme, la toxicomanie ou labsorption de caféine au travail. Le deuxième, créé à loccasion dune étude antérieure menée par Mangione et Quinn en 1975, concluait, à linverse, à lexistence dune telle corrélation.
Lanalyse des effets du stress sur la conduite de lindividu est rendue plus problématique encore par le choix, courant, de regrouper les comportements par groupes de deux ou trois. En la matière, ce procédé est largement prédominant. Nous mentionnons plus loin les très étroites interdépendances entre stress, tabagisme et consommation de caféine. On pense également à la comorbidité des troubles liés au stress post-traumatique, à lalcoolisme et à la pharmacodépendance (Kofoed, Friedman et Peck, 1993). Cest là un trait typique de nombre détudes des manifestations comportementales qui forment le socle du présent article. Les spécialistes ont ainsi élaboré des schémas diagnostiques doubles ou triples, avec leurs pendants dapproches thérapeutiques globales, à volets multiples. Voilà pourquoi les troubles issus de stress post-traumatiques et la toxicomanie, entre autres, sont traités simultanément (Kofoed, Friedman et Peck, 1993).
La structure des diverses expressions comportementales du stress chez un même individu peut dépendre des données contextuelles et de facteurs génétiques et environnementaux. La littérature se rapportant aux effets du stress sur le comportement commence seulement à aborder les questions complexes que soulève lidentification de schémas spécifiques de troubles physio-pathologiques et neurobiologiques menant à différentes combinaisons de comportements.
Bon nombre détudes épidémiologiques, cliniques et physiopathologiques attestent dun lien entre la consommation de tabac et lapparition de problèmes cardio-vasculaires ou dautres maladies chroniques. Par conséquent, on se penche de plus en plus sur lenchaînement de phénomènes qui lient le stress, y compris le stress dorigine professionnelle, au tabagisme. Le tabac est censé apaiser le stress et les réactions affectives qui y sont associées. On a pourtant montré que cet apaisement était de courte durée (Parrott, 1995). Les altérations de lhumeur et de laffect ont tendance à survenir selon un cycle qui se reproduit entre chaque cigarette. Ces cycles ouvrent la voie, de la sorte, à un usage addictif de la cigarette (Parrott, 1995). Les fumeurs ne jouiraient donc que dun bref répit dans lanxiété ou lirritabilité qui suivent un stress.
Létiologie du tabagisme (de même que celle des autres comportements examinés ici) est multifactorielle. Ainsi, une étude concernant le tabagisme chez le personnel infirmier a constaté que celui-ci, qui constitue le groupe professionnel le plus important dans le secteur de la santé, fume proportionnellement plus que le reste de la population adulte (Adriaanse et coll., 1991), que cela est aussi vrai des infirmiers que des infirmières et sexplique par la combinaison du stress, de linsuffisance du soutien social et des espoirs déçus, qui marquent le processus de socialisation professionnelle propre à ce métier. Le tabagisme des infirmiers est perçu comme un problème de santé publique particulier, car ces personnels font souvent figure de modèles dans lesprit des patients et de leur famille.
Dans plusieurs études, les fumeurs qui se déclarent particulièrement enclins à fumer disent aussi connaître des niveaux de stress supérieurs à la moyenne juste avant de fumer, plutôt quun stress inférieur à la moyenne après avoir fumé (Parrott, 1995). Les programmes de réduction du stress et de lanxiété en milieu professionnel sont donc susceptibles de se répercuter sur lincitation à fumer. Les programmes antitabac sur les lieux de travail mettent toutefois en évidence lantagonisme qui oppose le souci de santé à celui de performance. Pour les pilotes davion par exemple, fumer dans la cabine de pilotage représente un risque pour la santé. En même temps, ceux dentre eux qui doivent sabstenir de fumer durant et avant les vols peuvent de ce fait accuser une moins bonne qualité de performance (Sommese et Patterson, 1995).
Le fait que les chercheurs font rarement la distinction entre la consommation dalcool et la tendance à lalcoolisme pose problème (Sadava, 1987). Une tendance alcoolique entraîne des effets délétères sur la santé et le rendement personnel. Son étiologie semble être associée à plusieurs facteurs parmi lesquels, selon la littérature sur la question, une incidence antérieure de dépression, un milieu familial peu favorable, un comportement impulsif, le fait dêtre une femme, la présence concomitante dautres toxicomanies et le stress (Sadava, 1987). La distinction entre le simple fait de boire de lalcool et celui den boire trop est importante en raison de la controverse actuelle autour des effets supposés bénéfiques de lalcool sur le cholestérol LDL (lipoprotéine de basse densité) et sur lincidence des maladies cardio-vasculaires. Un certain nombre de travaux ont en effet trouvé des relations en J ou en U entre lingestion dalcool et lincidence des maladies cardio-vasculaires (Pohorecky, 1991).
Lhypothèse selon laquelle les individus consomment trop dalcool au départ pour essayer datténuer le stress ou lanxiété quils ressentent est aujourdhui écartée. Selon les approches contemporaines, lalcoolisme est déterminé par des processus exposés dans un ou plusieurs modèles multifactoriels (Gorman, 1994). De récents travaux énumèrent ainsi les paramètres de risque: facteurs dordre socio-culturel (lalcool est-il facilement disponible, sa consommation tolérée, admise ou même encouragée?); socio-économique (le prix de lalcool); environnemental (la réglementation en matière de publicité et de vente dalcool a un impact sur la propension des consommateurs à boire); interpersonnel (habitudes familiales de consommation dalcool), et professionnel, y compris le stress lié au métier (Gorman, 1994). Le stress ne serait donc que lun des éléments dune constellation étiologique déterminant labus dalcool.
Sur le plan pratique, cette conception multifactorielle fait quon amoindrit le rôle du stress dans le diagnostic, la prévention et le traitement des toxicomanies en milieu de travail. Ainsi que le note Peyser dans son étude bibliographique sur le sujet (1982), lattention portée au stress dans les situations de travail est importante pour ce qui a trait à la formulation de mesures prophylactiques consacrées à la toxicomanie.
Malgré la profusion des recherches portant sur le stress et lalcool, les mécanismes qui relient ces derniers ne sont pas encore entièrement appréhendés; lhypothèse la plus couramment admise est que lalcool modifie lévaluation initiale des données stressantes par le sujet, en restreignant le champ dactivation des informations associées préalablement emmagasinées dans la mémoire à long terme (Petraitis, Flay et Miller, 1995).
Le fait de travailler dans une entreprise peut contribuer, et même favoriser, la consommation dalcool, voire lalcoolisme de trois manières différentes bien documentées par la recherche. Premièrement, par les normes fixées par lentreprise en ce qui concerne lalcool au travail, y compris la définition «officielle» quelle donne de lalcoolisme et les moyens de contrôle mis en place par ses responsables. Deuxièmement, par des conditions de travail astreignantes, telles quune surcharge continuelle de travail, ou un poste dans lequel la cadence est imposée par une machine, ou encore une faible latitude décisionnelle individuelle; ces facteurs peuvent entraîner une consommation excessive dalcool à titre de recours contre le stress. Troisièmement, les entreprises elles-mêmes peuvent encourager, implicitement ou explicitement, le développement de sous-cultures professionnelles «alcoolisantes», telles que celles que lon peut trouver chez les chauffeurs de poids lourds (Janes et Ames, 1993).
En général, le rôle que joue le stress dans la consommation dalcool diffère selon la catégorie socioprofessionnelle, la tranche dâge, lappartenance ethnique et plusieurs autres caractéristiques sociales. Ainsi, le stress prédisposerait les adolescents à la boisson, mais beaucoup moins les femmes, les personnes âgées et les étudiants qui boivent plutôt en compagnie (Pohorecky, 1991).
Selon le modèle de stress social à lorigine dune toxicomanie (Lindenberg, Reiskin et Gendrop, 1994), la propension dun salarié à consommer de la drogue est fonction du niveau de stress présent dans lenvironnement, du soutien social sur lequel il peut compter en cas de stress et de ses ressources individuelles, notamment dans ses rapports sociaux. Il semblerait que chez certaines minorités (dont les jeunes Amérindiens qui vivent dans des réserves, voir Oetting, Edwards et Beauvais, 1988), labus de substances toxiques est dû en partie au stress dacculturation. Mais ces groupes sociaux sont également en butte à des conditions sociales défavorables comme la pauvreté, les préjugés et le manque de débouchés économiques, sociaux ou éducatifs.
La caféine est la substance pharmacologiquement active la plus consommée au monde. Ses effets physiologiques chroniques chez ceux qui en absorbent régulièrement nont pas à ce jour été confirmés (Benowitz, 1990). On a longtemps supposé que sa consommation répétée créait une accoutumance physiologique (James, 1994). Ce produit accroît en principe le rendement et lendurance physiques au cours dune activité prolongée menée à une intensité submaximale (Nehlig et Debry, 1994). Ses effets physiologiques proviennent du blocage des récepteurs de ladénosine et de la production excédentaire de catécholamines (Nehlig et Debry, 1994).
Létude de la relation entre stress professionnel et consommation de caféine est obscurcie par la profonde imbrication des phénomènes de consommation de café et de tabagisme (Conway et coll., 1981). Une méta-analyse de six études épidémiologiques (Swanson, Lee et Hopp, 1994) indiquait que près de 86% des fumeurs buvaient du café, contre 77% seulement des non-fumeurs. Pour tenter dexpliquer lessentiel de cette étroite association, on a avancé les trois mécanismes suivants: 1) un effet de conditionnement; 2) une interaction réciproque, entre lexcitation que procure le café et lapaisement que procure la nicotine; et 3) leffet conjoint dune troisième variable sur les deux autres. Le stress, et particulièrement le stress issu du travail, est peut-être cette troisième variable opérant à la fois sur la prise de caféine et de nicotine (Swanson, Lee et Hopp, 1994).
Lère moderne de la recherche sur le sommeil a débuté dans les années cinquante, lorsquon a découvert que le sommeil était un état extrêmement actif plutôt que de passivité. Linsomnie, le plus fréquent des dysfonctionnements dans ce domaine, peut être passagère ou chronique. Le stress est vraisemblablement la cause la plus commune dinsomnies passagères (Gillin et Byerley, 1990). Linsomnie chronique, quant à elle, résulte généralement dun problème médical ou psychiatrique sous-jacent. Un à deux tiers des patients souffrant dinsomnie chronique présentent par ailleurs des troubles psychiatriques identifiables (Gillin et Byerley, 1990).
Selon Gillin et Byerley (1990), le mécanisme par lequel le stress agit sur le sommeil serait lié à certaines modifications intervenant à différents niveaux du système cérébral et de changements dans les fonctions biochimiques du corps qui viendraient perturber le cycle nycthémère. Certaines données laissent penser que les caractéristiques de la personnalité (comportements de type A, par exemple) peuvent exercer une action sur de telles relations (Koulack et Nesca, 1992). Une interaction réciproque peut unir stress et perturbations du sommeil; le stress provoque une insomnie passagère qui, à son tour, provoque le stress et accroît le risque de dépression et danxiété (Partinen, 1994).
Le stress chronique associé à un travail monotone, rythmé par la machine, mais exigeant une certaine vigilance conditions souvent réunies dans les industries employant des chaînes de production continue peut se manifester par des perturbations du sommeil qui finissent par diminuer la performance (Krueger, 1989). Daprès certaines données, il y aurait des effets synergiques entre le stress lié au travail, les rythmes circadiens et la baisse de la performance (Krueger, 1989). Les effets du manque de sommeil combiné à une surcharge de travail et à un niveau élevé de stimulation sur des composantes importantes de la performance ont été documentés dans différentes études sur la privation de sommeil chez de jeunes internes des hôpitaux (Spurgeon et Harrington, 1989).
Létude de Mattiasson et coll. (1990) donne des indications troublantes sur les rapports entre un stress professionnel chronique, les troubles du sommeil et laugmentation du cholestérol plasmatique. Dans cette étude, 715 travailleurs de sexe masculin dun chantier naval, exposés au stress dun risque de chômage, ont été systématiquement comparés avec 261 cas-témoins avant et après que napparaisse cette menace. Une corrélation positive a été observée entre les troubles du sommeil et lélévation du cholestérol total chez les salariés menacés, mais pas chez le groupe témoin. En loccurrence, la période dincertitude précédant les licenciements sest parfois prolongée jusquà un an après que les salariés eurent été prévenus pour la première fois des risques de licenciement. Le stress étudié était donc réel, sévère, et pouvait être considéré comme chronique.
Le fait de sabsenter du travail peut être considéré comme une stratégie dadaptation reflétant linteraction entre les exigences du poste et la marge de contrôle telles que les perçoit le travailleur, dune part, et son autoévaluation de son état de santé et du contexte familial, dautre part. Labsentéisme comporte plusieurs dimensions essentielles, dont la durée, le nombre dépisodes et les motifs de labsence. Dans un échantillon européen, près de 60% des heures perdues pour absentéisme étaient dus à des maladies (Ilgen, 1990). Dans la mesure où ces maladies impliquaient un stress lié au travail, on devrait pouvoir établir certaines relations entre ce stress et cette partie de labsentéisme censé résulter dune maladie. La plupart des études de labsentéisme concernent les travailleurs manuels et rares sont celles qui ont systématiquement pris en compte le stress (McKee, Markham et Scott, 1992). La méta-analyse de Jackson et Schuler sur les conséquences du stress lié aux caractéristiques des rôles professionnels (1985) fait état dune corrélation moyenne de 0,09 entre lambiguïté des rôles et labsentéisme, et de 0,01 entre le conflit des rôles et labsentéisme. Comme le montrent plusieurs études similaires, le stress nest que lune des variables qui entrent en ligne de compte en la matière et lon ne saurait donc sattendre à de fortes corrélations entre stress professionnel et absentéisme (Beehr, 1995).
Les diverses recherches effectuées sur labsentéisme tendent à prouver que la relation entre le stress professionnel et labsentéisme serait fonction des caractéristiques particulières du sujet, telles que la tendance à adopter un comportement dévitement en réponse au stress et à éprouver un épuisement affectif ou physique (Saxton, Phillips et Blakeney, 1991). Cest ainsi que létude que Kristensen (1991) a menée pendant toute une année sur un échantillon de plusieurs milliers de travailleurs des abattoirs au Danemark a montré que ceux qui disaient ressentir un très grand stress professionnel avaient des taux dabsentéisme particulièrement élevés et que la perception subjective quils avaient de leur santé était étroitement associée à un absentéisme pour maladie.
Plusieurs études privilégient en outre un certain déterminisme professionnel dans la relation entre le stress et labsentéisme (Baba et Harris, 1989). Ainsi, chez les cadres, le stress a tendance à être associé avec lincidence de labsentéisme, mais non pas avec les jours chômés pour cause de maladie, alors que ce nest pas le cas avec les ouvriers des premiers échelons de la hiérarchie (Cooper et Bramwell, 1992). La faible variance de labsentéisme consécutif au stress provient sans doute essentiellement du fait que la plupart des études convergent sur certains types de métiers (Baba et Harris, 1989). Plusieurs travaux rapportent que chez les ouvriers travaillant à des postes considérés comme stressants qui possèdent certaines caractéristiques du travail à la chaîne, à savoir un cycle dopérations très court et un plan de rémunération aux pièces le stress professionnel est un indice déterminant de labsentéisme non motivé (pour une revue récente de ces études, voir McKee, Markham et Scott (1992); il faut noter que, chez Baba et Harris (1989), la conclusion selon laquelle le stress professionnel est un élément prédictif puissant des absences non motivées nest pas confirmée).
La littérature en matière de stress et dabsentéisme étaie bien les réserves que nous évoquions dans lintroduction au présent article, quant au fait que la plupart des recherches sur les comportements dus au stress omettent de sappliquer systématiquement à la fois aux stress dorigine professionnelle et non professionnelle. A propos de labsentéisme des salariés, on a noté que le stress non professionnel contribuait davantage à la prédictibilité de labsence que le stress professionnel, ce qui renforcerait le postulat quune telle conduite relève plutôt, en définitive, de facteurs non liés au travail (Baba et Harris, 1989).
Le travail peut considérablement influencer létat de bien-être affectif de celui qui lexerce. En retour, le degré de satisfaction du travailleur a une incidence sur son comportement, les décisions quil prend et les relations quil entretient avec ses collègues, et déborde au-delà du milieu professionnel, dans les sphères familiale et sociale.
La recherche menée dans nombre de pays a mis en relief la nécessité de définir le concept suivant deux dimensions distinctes pouvant être envisagées indépendamment lune de lautre (Watson, Clark et Tellegen, 1988; Warr, 1994). La première de ces dimensions peut contenir la notion de plaisir ou de contentement, la seconde celle de stimulation. En se référant à la figure 34.9, on voit comment un degré particulier de plaisir ou de déplaisir peut être accompagné dun niveau de stimulation mentale qui sera faible ou élevé et comment celle-ci peut être agréable ou désagréable. Cest ce quillustrent les trois axes de bien-être affectif, qui sétendent du déplaisir au plaisir, de lanxiété à la sérénité et de la dépression à lenthousiasme.
La satisfaction au travail a souvent été appréciée selon un axe horizontal uniquement, depuis limpression dêtre insatisfait jusquà celle dêtre satisfait, correspondant aux gradations dune échelle de satisfaction; les employés expriment leur accord ou leur désaccord avec une série de propositions décrivant leur attitude par rapport à leur travail. Toutefois, les échelles de satisfaction ne tiennent pas compte des divers niveaux de stimulation mentale à laquelle le travailleur est soumis et sont, par conséquent, relativement insensibles. Des instruments de mesure complémentaires intégrant les deux autres axes représentés dans le schéma sont également requis.
Si les scores obtenus sur laxe horizontal sont bas et assortis dun niveau de stimulation élevé (cadran supérieur gauche), ils témoignent dun sentiment médiocre de contentement, qui se manifeste sous la forme danxiété et de tension; néanmoins, un faible niveau de contentement associé à un faible niveau de stimulation (cadran inférieur gauche) sexprime par divers états à tendance dépressive. A linverse, une impression marquée de contentement au travail allant de conserve avec dautres perceptions positives sera caractérisée soit par lenthousiasme et lénergie (3b), soit par un état de détente et de quiétude psychologiques (2b). Cette dernière distinction est parfois décrite en termes de satisfaction professionnelle motivante (3b) par opposition à un contentement résigné et apathique (2b).
Pour étudier limpact des facteurs organisationnels et psychosociaux sur le bien-être des travailleurs, il convient dexaminer lensemble des trois axes, essentiellement au moyen de questionnaires. La satisfaction professionnelle (de 1a à 1b) peut être analysée suivant deux procédés, parfois désignés comme «évaluation de la satisfaction globale» et «évaluation de la satisfaction par composante». La satisfaction globale décrit un sentiment général de contentement par rapport au travail dans son ensemble, tandis que la satisfaction vis-à-vis de composantes du travail relève de perceptions relatives à des aspects distincts de lactivité professionnelle. Les principaux aspects en question incluent les rémunérations, les conditions de travail, le supérieur hiérarchique et la nature de lactivité.
Les diverses formes de satisfaction professionnelle présentent des corrélations positives et il est parfois plus indiqué de tenter de jauger le degré de satisfaction générale que de procéder par composantes séparées. Lune des questions figurant le plus fréquemment dans les formulaires dévaluation est: «Dans lensemble, quel est votre degré de satisfaction par rapport au travail que vous effectuez?» Les personnes interrogées peuvent opter pour très insatisfait, assez insatisfait, moyennement satisfait, très satisfait ou extrêmement satisfait à laide dune notation allant de 1 à 5. Les enquêtes nationales révèlent dordinaire quenviron 90% des travailleurs sestiment relativement satisfaits; on devrait donc recourir à un instrument de mesure plus sensible si lon désire recueillir des scores mieux différenciés.
Lapproche employée couvre en général plusieurs items, rassemblés parfois en un éventail daspects de la satisfaction professionnelle. Ainsi, nombre de questionnaires dévaluation sattachent aux types déléments suivants: conditions physiques dans lesquelles seffectue le travail, latitude de déterminer soi-même sa méthode de travail, collègues, manière dont la qualité de la performance est reconnue, superviseur hiérarchique direct, importance des responsabilités octroyées, niveaux de rémunération, possibilités de mettre ses capacités en pratique, relations entre cadres et subordonnés, volume de travail, possibilités de promotion, équipement utilisé, style de gestion déployé par la direction, horaires de travail, diversité des tâches et stabilité de lemploi. Un score moyen de satisfaction peut être calculé pour lensemble des réponses à partir de ces items, chacune des réponses se voyant attribuer un score de 1 à 5 (voir le paragraphe précédent). Une autre procédure prévoit lattribution séparée de valeurs à des items indiquant la «satisfaction intrinsèque» (ayant trait au contenu du travail en soi), et des items dits de «satisfaction extrinsèque» (portant sur les éléments du contexte professionnel, tels que les collègues et les conditions de travail).
Les échelles dautoévaluation de valeurs situées sur les axes 2 et 3 nabordent souvent quune seule extrémité de la distribution possible. Par exemple, certaines échelles danxiété liées au travail sintéressent aux tensions et préoccupations que peut connaître le travailleur à son emploi (2a), mais ne sinforment pas, par ailleurs, déventuels sentiments positifs prévus sur cet axe (2b). Nous résumons ci-après, sur la base détudes réalisées dans différents milieux, lune des méthodes possibles (Watson, Clark et Tellegen, 1988; Warr, 1990).
Le continuum des axes 2 et 3 peut être exploré en demandant aux travailleurs: «Au cours de ces dernières semaines, combien de fois avez-vous ressenti chacun des états desprit suivants en raison de votre travail?», avec, comme réponses possibles, jamais, de temps à autre, une partie du temps, une bonne partie du temps, la plupart du temps, et tout le temps (correspondant à des scores allant de 1 à 6, jamais étant noté 1, et tout le temps 6). La gradation de létat danxiété à celui de sérénité comporte les humeurs suivantes: tendue, anxieuse, soucieuse, calme, bonne et détendue. Entre la dépression et lenthousiasme, on peut se sentir déprimé, triste, très malheureux, motivé, enthousiaste et optimiste. Dans chaque cas, la notation des trois premiers items doit être inversée, de sorte quun score élevé reflète toujours un état de grand bien-être et les items doivent être disposés au hasard dans le questionnaire. Un score total ou moyen peut être calculé pour chaque axe.
De manière plus générale, il convient de préciser que le bien-être affectif nest pas déterminé uniquement par lenvironnement habituel de lindividu. Quoique les particularités de la profession puissent conditionner sensiblement létat psycho-affectif, celui-ci dépend également de certains traits de la personnalité; le seuil de bien-être varie chez chacun, de même que les réactions aux caractéristiques dun métier donné.
Dans ce domaine, les différences de personnalité sont souvent décrites en fonction des dispositions affectives fondamentales de lindividu. Les traits de personnalité propres à une affectivité positivement orientée (cadran supérieur droit du diagramme) sexpriment en une vision généralement optimiste, des émotions qui tendent vers le plaisir et un comportement plutôt extraverti. A lopposé, un affect orienté négativement (cadran supérieur gauche du diagramme) dispose lindividu à éprouver des humeurs à tonalité douloureuse. Les individus dont laffect est très négatif sont enclins à se sentir nerveux, anxieux ou contrariés dans toutes sortes de situations, inclination que lon évalue parfois selon une échelle de la personnalité névrotique. Affects positifs et négatifs sont considérés comme des traits de personnalité demeurant donc relativement constants dune situation à une autre, tandis que le bien-être est plutôt un état émotionnel changeant, qui répond aux activités et conditions environnantes.
Lappréciation du bien-être identifie forcément et le trait (la disposition affective) et létat affectif (lhumeur du moment). Cette considération revêt de limportance si lon interprète les scores de lévaluation du bien-être sur une base individuelle, mais moins sil sagit détudier les moyennes obtenues auprès dun groupe de salariés. Dans les études longitudinales calculant des scores de groupe, les changements relevés dans limpression de bien-être sont directement attribuables à des modifications intervenues dans lenvironnement, puisque le seuil de bien-être initial de chaque individu est le même tout au long des diverses instances de mesure; dans des études transversales de groupes, la disposition affective moyenne apparaît en tant que facteur contextuel dans tous les cas.
Ajoutons que le bien-être affectif peut être analysé à deux niveaux. La perspective retenue peut converger vers un champ spécifique, comme la situation de travail: on traite alors, ainsi que la fait le présent article, du bien-être «lié au travail», qui sera mesuré selon des échelles désignant directement les sentiments de lindividu à son emploi. Une perspective plus large peut toutefois permettre déclairer dautres aspects intéressants du problème et exigera, en conséquence, un instrument de mesure adapté moins focalisé. Dans les deux cas, lanalyse devrait suivre les mêmes trois axes et des échelles dévaluation plus générales pourront être utilisées pour apprécier les sentiments généraux de satisfaction ou de peine dans lexistence (axe 1), danxiété indépendante du contexte (axe 2) et de dépression indépendante du contexte (axe 3).
Lorsquun être humain ou un animal est soumis à une situation psychologiquement stressante, une réponse générale est déclenchée qui comporte des phénomènes psychologiques aussi bien que somatiques (de lorganisme). Cest une réaction générale dalarme, dactivation ou davertissement qui mobilise tous les systèmes physiologiques: musculo-squelettique, neurovégétatif (ou autonome), hormonal et immunitaire.
Depuis les années soixante, nous savons comment le cerveau et, par son intermédiaire, les variables psychologiques, régulent et influencent tous les processus physiologiques par des voies directes ou indirectes. On pensait auparavant que des parties importantes de notre physiologie, à la fois quantitatives et qualitatives, étaient régulées «inconsciemment» ou sans lintervention du cerveau. Les nerfs assurant le fonctionnement de lintestin, des glandes et du système cardio-vasculaire étaient «autonomes» ou indépendants du système nerveux central (SNC); de même, les hormones et le système immunitaire échappaient au contrôle du SNC. Mais de fait, le système nerveux autonome est régulé par les structures limbiques du cerveau et peut être conditionné directement à travers des procédures dapprentissage classique ou instrumental. Le fait que le SNC commande les processus endocriniens est également bien établi.
Cest lévolution de la psycho-immunologie qui a, en dernier lieu, jeté bas la conception dun SNC isolé de maints processus physiologiques. On sait maintenant que le cerveau (et les phénomènes psychologiques) peut agir sur les processus immunitaires soit via le système endocrinien, soit par linnervation du tissu lymphoïde. Les globules blancs peuvent, eux aussi, être affectés par des molécules de signalisation à partir du tissu nerveux. On a pu observer une dépression de la fonction lymphocytaire chez lêtre humain à la suite dun deuil (Bartrop et coll., 1977). On a par ailleurs démontré que le conditionnement des réponses immunosuppressives chez lanimal (Cohen et coll., 1979) et certains processus psychologiques pouvaient avoir un retentissement sur la survie de lanimal (Riley, 1981); ces découvertes ont marqué un tournant dans lévolution de la psycho-immunologie.
Il est parfaitement acquis, aujourdhui, que la tension psychologique entraîne des modifications des niveaux des anticorps et de nombreux globules blancs dans le sang. Un bref moment de stress durant 30 minutes peut amener un afflux important des lymphocytes et des cellules tueuses naturelles (NK). Suite à des situations de stress de plus longue durée, des changements se produisent également dans dautres parties du système immunitaire. Des fluctuations du nombre de presque tous les types de globules blancs, des niveaux dimmunoglobulines et de leurs compléments ont été enregistrées; certains éléments importants de la réaction immunitaire globale, ainsi que la «cascade immunitaire», sont également affectés. Ces changements sont complexes et semblent être bidirectionnels on a noté aussi bien des augmentations que des diminutions et dépendre non seulement de la situation inductrice de stress, mais aussi de la capacité de faire face et des mécanismes de défense mobilisés par lindividu pour maîtriser cette situation. Cela est particulièrement manifeste lorsquon se penche sur les effets de situations réelles et prolongées de stress dans le cas, par exemple, de conditions de travail ou de vie difficiles («facteurs de stress de la vie»). Des relations hautement spécifiques entre les types de recours et de défenses, dune part, et divers sous-groupes de cellules immunitaires (nombre de lymphocytes, de leucocytes et de monocytes; totalité des cellules T et des cellules NK) de lautre, ont été décelées (Olff et coll., 1995).
La recherche de paramètres immunitaires pouvant être utilisés comme marqueurs dun stress soutenu et de longue durée na pas été que fructueuse. La complexité des mécanismes reliant immunoglobulines et facteurs de stress a été mise en évidence; on conçoit donc quil soit difficile didentifier des marqueurs simples. Les relations dont on a pu poser lexistence sont parfois positives, parfois négatives. En ce qui concerne les profils psychologiques, la matrice de corrélation à lintérieur dune même batterie psychologique présente des schémas différents, variant dun groupe professionnel à lautre (Endresen et coll., 1991). Au sein de chaque groupe, les schémas semblent stables sur une longue durée pouvant aller jusquà trois ans. On ignore si certains facteurs génétiques pèsent sur les liens très spécifiques qui existent entre les différentes façons de faire face au stress et les réponses immunitaires. Si tel était le cas, les manifestations de ces facteurs doivent être étroitement subordonnées à linteraction avec les facteurs de stress de la vie. On ignore également sil est possible de suivre le niveau de stress dun individu sur une période étendue, dès lors que lon connaît ses modalités dadaptation et de défense ainsi que son type de réponse immunitaire. On poursuit actuellement cette voie de recherche sur un échantillon extrêmement spécialisé composé, par exemple, dastronautes.
Il se peut que largument de base selon lequel les immunoglobulines peuvent servir de marqueurs valides de risque de santé soit fallacieux. Lhypothèse de départ était que de faibles niveaux dimmunoglobulines circulantes pouvaient signaler de faibles capacités de résistance et dimmunité. Toutefois, des valeurs basses ne signifient pas nécessairement que la capacité de résistance est faible, mais plutôt, peut-être, que lindividu na pas eu à réagir à des agents infectieux depuis un certain temps; de fait, un faible taux dimmunoglobulines peut, au contraire, annoncer un état de santé singulièrement robuste. La rareté des immunoglobulines chez les astronautes à leur retour sur la Terre, ou chez les individus postés dans lAntarctique, peut ne pas trahir un état de stress, mais simplement témoigner du peu de contact bactérien et viral auquel les environnements quils viennent de quitter les a exposés.
La littérature clinique abonde en anecdotes évoquant la possibilité que le stress psychologique ou les coups durs de lexistence peuvent retentir sur lévolution de maladies graves ou bénignes. Selon un certain nombre de spécialistes, les placebos et la «médecine douce» peuvent opérer par le biais de mécanismes psycho-immunologiques. Certains affirment quune capacité immunitaire diminuée, ou parfois au contraire renforcée, devrait causer une plus grande vulnérabilité aux infections chez les animaux et les êtres humains, ainsi que des problèmes inflammatoires comme larthrite rhumatoïde, en particulier. Des résultats détudes très démonstratifs ont établi que le stress psychologique agissait sur la réponse immunitaire quopposait un individu à diverses sortes dinoculation. Les étudiants soumis au stress des examens rapportent davantage de symptômes de maladies infectieuses pendant ces périodes, coïncidant avec un moindre contrôle immunitaire des cellules (Glaser et coll., 1992). Daucuns soutiennent, par ailleurs, que la psychothérapie et, en particulier, lentraînement à la gestion cognitive du stress, alliée à lentraînement physique, peuvent modifier le taux danticorps en réponse à une infection virale.
On a pu aboutir à des résultats positifs, mais en petit nombre par rapport à la formation des cancers. La controverse régnant autour de la relation supposée entre personnalité et prédisposition au cancer na pas été tranchée. Les travaux de recherche devraient être reproduits et étendus de manière à inclure la mesure des réactions immunitaires à dautres facteurs, tels ceux liés au mode de vie, qui peuvent relever de la psychologie, mais leffet cancer peut aussi être une conséquence directe du mode de vie.
Il a été abondamment prouvé que le stress aigu altère les fonctions immunitaires chez lêtre humain et que le stress chronique pourrait également y jouer un rôle. Mais dans quelle mesure ces altérations sont-elles des indicateurs valides et utiles de stress professionnel? Dans quelle mesure les modifications immunitaires lorsquelles surviennent représentent-elles un réel facteur de risque pour la santé? Au moment de la rédaction du présent article (1995), les spécialistes nétaient pas encore parvenus à un consensus à ce sujet.
Il est nécessaire de procéder à des études cliniques pertinentes et de poursuivre une recherche épidémiologique rigoureuse si lon doit progresser dans ce domaine. Mais ces types de travaux exigent davantage de fonds que nen ont les chercheurs aujourdhui et ils supposent en outre une certaine connaissance de la psychologie du stress que les immunologues ne possèdent pas forcément, ainsi quune connaissance approfondie des fonctionnements immunitaires que les psychologues nont pas nécessairement non plus.
La recherche scientifique tendant à démontrer que lexposition au stress en milieu professionnel accroît le risque de maladies cardio-vasculaires sest considérablement étendue dès le milieu des années quatre-vingt (Gardell, 1981; Karasek et Theorell, 1990; Johnson et Johansson, 1991). Les maladies cardio-vasculaires (MCV) demeurent la première cause de mortalité dans les sociétés industrielles et contribuent à faire grimper les coûts des soins médicaux. Parmi les MCV, on compte la maladie coronarienne (MC), lhypertension, la maladie vasculaire cérébrale et dautres affections du cur et du système circulatoire.
La plupart des manifestations de la maladie coronarienne proviennent en partie du rétrécissement des artères coronaires, dû lui-même à lathérosclérose. On sait de cette dernière quelle est déterminée par de nombreux facteurs individuels dont, entre autres, les antécédents familiaux, la consommation de graisses saturées, la tension artérielle, le tabagisme et lactivité physique. Hormis lhérédité, tous ces facteurs peuvent être influencés par lenvironnement professionnel. Des conditions de travail défavorables peuvent, par exemple, décourager le désir darrêter de fumer ou dadopter un mode de vie plus sain et, par conséquent, agir sur la MC par le biais deffets sur les facteurs de risque classiques.
La pression de lenvironnement professionnel a, par ailleurs, un retentissement direct sur le système neurohormonal, aussi bien que sur le métabolisme cardiaque. La combinaison de certains mécanismes physiologiques, généralement associés à des activités professionnelles contraignantes, peut accroître le risque dinfarctus du myocarde. Laugmentation des hormones de mobilisation énergétique, qui survient dans les périodes de stress aigu, est susceptible de fragiliser le tissu musculaire coronarien. Inversement, les hormones restauratrices dénergie, qui protègent le muscle cardiaque des effets indésirables provoqués par les hormones mobilisatrices, diminuent pendant les périodes de stress. Sous une contrainte émotionnelle et physique, le cur bat plus vite et plus fort sur une durée prolongée; le muscle cardiaque fait une consommation excessive doxygène et le risque dattaque cardiaque augmente. Le stress peut également perturber le rythme cardiaque et contribuer au développement dune tachyarythmie, trouble lié à la rapidité du rythme cardiaque. Lorsque la fonction cardiaque devient inefficace par suite dun rythme trop rapide, un risque mortel de fibrillation ventriculaire peut apparaître.
Selon les premières enquêtes épidémiologiques effectuées sur les conditions psychosociales du travail associées aux MCV, une pression professionnelle excessive aggravait le risque de MC. Ainsi, une étude prospective menée auprès demployés de banque belges signalait une incidence dinfarctus du myocarde sensiblement plus élevée chez les employés du secteur privé que chez leurs homologues du secteur public, y compris après ajustement pour tenir compte des autres facteurs de risques biomédicaux (Kornitzer et coll., 1982). Létude concluait à lexistence possible dune corrélation positive entre les conditions de travail plus contraignantes dans les banques privées et le risque dinfarctus du myocarde. Dautres travaux ont également révélé une plus forte incidence dinfarctus du myocarde chez les employés des échelons inférieurs de grandes compagnies (Pell et dAlonzo, 1963). Le stress psychosocial semblerait donc ne pas être le lot exclusif des hauts responsables, comme on le supposait auparavant.
Depuis le début des années quatre-vingt, de nombreuses enquêtes épidémiologiques ont examiné lhypothèse sous-tendant le modèle «exigences/autonomie», conçu par Karasek et autres (Karasek et Theorell, 1990; Johnson et Johansson, 1991). Ici, le postulat est que le stress lié à lemploi résulte de circonstances professionnelles conjuguant une forte exigence de performance à une faible marge de contrôle sur la manière dont le travail doit être exécuté. Selon le modèle, la notion de contrôle par rapport au travail peut être comprise comme la «latitude décisionnelle» dont jouit le travailleur, ou la mesure dans laquelle un poste ou une organisation de travail donnés permettent de prendre les décisions relatives aux tâches demandées. Le modèle «exigences/autonomie» prédit que les travailleurs devant faire face, dans la durée, à des exigences professionnelles élevées tout en ne disposant que dun médiocre pouvoir de contrôle, présenteront un risque plus élevé de stimulation, propre à déclencher des troubles physiologiques dans le système MCV et, éventuellement, à amplifier le risque de maladie cardiaque par athérosclérose et celui dinfarctus du myocarde.
Entre 1981 et 1993, la majorité des 36 études ayant considéré les effets de la combinaison «exigences élevées/faible contrôle» sur les maladies cardio-vasculaires ont établi des associations significatives et positives entre les deux phénomènes. Ces études, reposant sur diverses méthodologies, ont été réalisées en Suède, au Japon, aux Etats-Unis, en Finlande et en Australie. Une vaste gamme dindicateurs y était observée, notamment la morbidité et la mortalité des MCV, ainsi que les facteurs de risque de MC, soit la tension artérielle, le tabagisme, la masse ventriculaire gauche et les symptômes de MC. Plusieurs articles de synthèse ont rendu compte de ces recherches (Kristensen, 1989; Baker et coll., 1992; Schnall, Landsbergis et Baker, 1994; Theorell et Karasek, 1996). Leurs auteurs soulignent la qualité épidémiologique de ces travaux et remarquent en outre que les études les plus rigoureuses sur le plan méthodologique sont aussi celles qui tendent le plus à valider le modèle de Karasek et coll. De manière générale, la prise en compte des facteurs de risque courants des maladies cardio-vasculaires nélimine ni ne réduit nettement la robustesse de la relation entre des conditions de travail caractérisées par des exigences élevées et un contrôle faible, dune part, et le risque de maladies cardio-vasculaires, dautre part.
Il importe cependant de noter que la méthodologie déployée dans ces études varie considérablement. La démarcation la plus significative est celle que lon peut faire entre les travaux basés sur une description des conditions de travail fournie par les sujets eux-mêmes, et ceux qui utilisent une méthode de «score moyen» calculé à partir dun ensemble de réponses provenant dun échantillon nationalement représentatif des travailleurs classés par intitulés de poste. Les études recourant à des autodescriptions de poste indiquaient des risques relatifs élevés (2,0-4,0 contre 1,3-2,0) et faisaient apparaître une tension psychologique dorigine professionnelle relativement plus importante que dans le cas des études à base de données agrégées. Les variables se rapportant à limpression de contrôle dans le travail étaient associées de façon plus régulière à un risque élevé de MCV, quelle que soit la méthode de réponse.
Plus tard, une variable ayant trait au soutien psychosocial en milieu professionnel a été rajoutée à la formulation «exigences/autonomie»; dans le cas de salariés confrontés à des exigences élevées, mais disposant dun faible pouvoir de contrôle et de peu de possibilités de soutien, on assiste à un doublement du risque de morbidité et de mortalité par MCV, par rapport aux travailleurs connaissant des niveaux dexigences professionnelles modérés et disposant dune marge de contrôle satisfaisante et de bonnes possibilités de soutien (Johnson et Hall, 1994). Des recherches ont aussi été menées sur lexposition continue aux divers niveaux dexigences, de contrôle et de soutien tout au long de la «carrière psychosociale professionnelle». Des descriptions de toutes les professions exercées au cours de la carrière ont été demandées aux participants et des scores professionnels établis en vue de calculer lexposition à ces conditions, encourue sur toute la durée de la vie active. Lexposition totale aux conditions de travail et lincidence de mortalité cardio-vasculaire ont fait lobjet dune étude sur des travailleurs suédois et, même après la prise en compte de variables telles que lâge, le tabagisme, lactivité physique, la race, léducation et la classe sociale, une faible latitude décisionnelle moyenne sassortissait dun risque deux fois plus élevé de décès par accident cardio-vasculaire, sur une période de suivi de 14 ans (Johnson et coll., 1996).
Un modèle semblable à celui appelé «exigences/autonomie», développé et testé par Siegrist et coll., en 1990, repose sur les dimensions «deffort» et de «récompense sociale», lhypothèse étant quun effort important non suivi de récompense sociale conduit à une augmentation du risque de maladie cardio-vasculaire. Dans une enquête effectuée auprès de travailleurs de lindustrie, larticulation «effort important/récompense faible» prédisait un risque accru dinfarctus du myocarde, indépendamment dautres facteurs de risque biomédicaux.
Dautres aspects de lorganisation du travail, tel que le travail posté, sont également associés à une élévation du risque cardio-vasculaire. Kristensen (1989) et Theorell (1992) ont trouvé une relation entre le risque dinfarctus et la rotation constante entre horaires de travail diurnes et nocturnes.
La recherche ultérieure, dans ce domaine, devrait se concentrer sur la spécification des relations qui existent entre lexposition au stress en milieu professionnel et le risque de MCV, en fonction des différences de classe, de sexe et dappartenance ethnique.
Depuis plusieurs années, on saccorde à considérer la tension psychologique comme lun des facteurs contribuant aux affections ulcéreuses (qui comportent les lésions ulcérées de lestomac ou du duodénum). Chercheurs et professionnels de la santé ont entrevu plus récemment la possibilité dune relation entre le stress et dautres troubles gastro-intestinaux, tels que la dyspepsie non ulcéreuse (associée à des symptômes de douleur dans la partie supérieure de labdomen, de malaises et nausées persistants en labsence de cause organique identifiable) et le syndrome du côlon irritable (défini comme une modification du transit intestinal avec douleurs abdominales sans anomalies dordre physique). Le présent article examine la validité des données empiriques indiquant que le stress psychologique est un facteur de risque dans ces trois types daffections gastro-intestinales.
Il apparaît clairement que les individus ayant été soumis à un stress brutal, dans un contexte de traumatisme physique sévère, sont prédisposés au développement dulcères. Il est cependant moins évident de déterminer si les facteurs stressants de la vie, tels quune rétrogradation professionnelle, ou le décès dun proche, précipitent ou aggravent lulcère. Dans lesprit des profanes comme dans celui des spécialistes de la santé, ulcères et stress sont couramment associés suite, peut-être, à lhypothèse dinspiration psychanalytique émise par Alexander à ce sujet au début des années cinquante. Selon cet auteur, les personnes prédisposées à lulcère souffraient de conflits de dépendance dans leurs relations avec les autres; couplés à une tendance constitutionnelle à lhyperacidité gastrique chronique, ces conflits causeraient la formation dulcère. Cependant, la perspective psychanalytique na guère reçu de soutien empirique. En effet, les patients ulcéreux ne semblent pas être davantage en proie à des conflits de dépendance que les groupes témoins, quoiquils manifestent des niveaux danxiété, de soumission et de dépression plus élevés (Whitehead et Schuster, 1985). Les tendances névrotiques de certains patients ulcéreux sont généralement peu marquées et seul un petit nombre dentre eux paraîtrait présenter des signes psychopathologiques. Notons que les études des troubles de laffectivité chez les ulcéreux ont généralement porté sur des personnes ayant précisément recherché une prise en charge médicale; ces personnes ne sont donc pas nécessairement représentatives de lensemble des patients ulcéreux.
La corrélation entre stress et ulcère est issue de lhypothèse selon laquelle certaines personnes sont génétiquement prédisposées à lhyperacidité gastrique, surtout en période de stress. De fait, deux tiers environ des patients affligés dulcère duodénal ont des niveaux plus élevés de pepsinogène qui sont, par ailleurs, associés aux affections ulcéreuses. Les études de Brady et coll. (1958) sur des singes «décideurs» ont initialement conforté lidée quun mode de vie ou un métier stressants pouvaient contribuer à la pathogenèse des maladies gastro-intestinales. Ces chercheurs ont constaté que les singes devant actionner un levier pour éviter des chocs électriques douloureux (les singes «décideurs» qui contrôlaient le facteur de stress), développaient davantage dulcères gastriques que les singes recevant passivement le même nombre de chocs électriques de même intensité. Lanalogie avec le comportement énergique et combatif de lhomme daffaires simposait aisément, du moins pendant un certain temps. En effet, on a démontré que ces résultats étaient biaisés par la notion danxiété; dans le laboratoire de Brady, les singes anxieux se voyaient sans doute attribuer plus systématiquement le rôle de «décideurs» parce quils apprenaient plus vite à se servir du levier. Les tentatives menées par la suite pour reproduire les résultats de Brady et coll., utilisant une attribution aléatoire des sujets aux différentes conditions, échouèrent. De fait, certaines études ont montré que les animaux privés de moyens de contrôler les facteurs de stress dans leur environnement développent des ulcères (Weiss, 1971). Les êtres humains qui souffrent dulcères tendent également à être plus timides et plus inhibés, ce qui va à lencontre du stéréotype de lhomme daffaires battant et ulcéreux. Enfin, les expériences à partir danimaux sont dutilité limitée, étant axées sur la formation dulcères gastriques, alors que chez lhumain, la plupart des ulcères apparaissent au niveau du duodénum. Les animaux de laboratoire ne contractent que rarement des ulcères duodénaux en réponse au stress.
Les études expérimentales comparant les réactions physiologiques de patients ulcéreux à celles de sujets normaux soumis à des facteurs de stress en laboratoire nindiquent pas uniformément de réaction excessive chez les premiers. Le principe selon lequel le stress entraîne une augmentation des sécrétions acides, qui provoque à son tour lulcération, est problématique si lon considère que le stress psychologique produit habituellement une réponse du système nerveux sympathique. Le système nerveux sympathique inhibe, plutôt quil naugmente, la sécrétion gastrique qui est dépendante de linnervation splanchnique. Outre lhypersécrétion, dautres facteurs ont été avancés quant à létiologie du phénomène, à savoir la rapidité de la vidange gastrique, une sécrétion inadéquate de bicarbonate et de mucus et linfection. Le stress pourrait influencer certains de ces processus, quoique à ce stade les preuves fassent défaut.
Plusieurs études auraient avéré une progression des ulcères en temps de guerre, mais leurs résultats sont sujets à caution en raison des problèmes méthodologiques inhérents à ces travaux. On cite parfois une enquête portant sur les aiguilleurs du ciel pour prouver le rôle du stress psychologique dans la formation dulcères (Cobb et Rose, 1973). Bien que les contrôleurs de la navigation aérienne se soient révélés nettement plus susceptibles de rapporter des symptômes typiques de lulcère quun groupe témoin constitué de pilotes, lincidence dulcères confirmés parmi ces sujets ne dépassait guère lincidence de base dans lensemble de la population.
Les études fondées sur lexamen des épisodes critiques de la vie offrent, elles aussi, une image confuse de la relation entre stress et ulcère (Piper et Tennant, 1993). Nombre de recherches ont été poursuivies dans ce domaine, qui reposaient sur de petits échantillons et suivaient une approche soit transversale, soit rétrospective. La plupart dentre elles ne concluent pas à une survenue de crises plus fréquente chez les patients ulcéreux que chez les groupes témoins pris dans lensemble de la communauté, ou chez les patients présentant des pathologies nimpliquant pas de stress psychologique, telles que des lithiases vésiculaires ou rénales. Toutefois, les patients ulcéreux déclaraient davantage de facteurs stressants chroniques accompagnés de sentiments de menace à la personne ou de frustration par rapport à latteinte dun but ayant précédé lapparition ou la recrudescence des manifestations ulcéreuses. Dans le cas de deux études prospectives, le fait dêtre initialement soumis à un stress ou de vivre des problèmes dordre familial, jouait un rôle dans la formation ultérieure dulcères. Mais ces deux études utilisaient des échelles unidimensionnelles pour mesurer le stress. Dans les constatations dautres recherches, la guérison trop lente des lésions ulcéreuses ou les rechutes étaient associées à des niveaux plus élevés de tension; mais les indices de stress utilisés en loccurrence nont pas été validés et ont pu être confondus avec dautres facteurs liés à la personnalité.
En résumé, la preuve de leffet causal du stress dans lapparition ou laggravation de lulcère reste limitée. Il conviendrait deffectuer des enquêtes prospectives axées sur la survenue dévénements critiques, qui soient basées sur de vastes échantillons de population et utilisent des mesures validées du stress aigu et du stress chronique, ainsi que des indicateurs objectifs de lulcère. Au stade actuel de la recherche, la preuve de lexistence dune association entre stress psychologique et ulcère nest pas fermement établie.
Jusquà récemment, les spécialistes ont supposé quil existait un rapport entre le syndrome du côlon irritable (SCI) et le stress, en partie parce que le mécanisme physiologique de ce syndrome est inconnu et que de nombreux patients souffrant de SCI rendent eux-mêmes le stress responsable des changements observés au niveau de leur transit intestinal. Ainsi quon la souligné à propos des travaux sur lulcère, il est difficile dapprécier la valeur des évocations rétrospectives des facteurs de stress et des symptômes par les personnes souffrant de SCI. En sefforçant dexpliquer leurs malaises, les malades peuvent abusivement relier leurs symptômes à certains événements stressants de leur vie. Deux études prospectives ont récemment approfondi la question et aucune na trouvé dimpact significatif dévénements stressants sur les symptômes du SCI. Whitehead et coll. (1992) ont demandé à un échantillon dindividus souffrant de SCI de rapporter tous les trois mois les faits saillants de leur vie, ainsi que les symptômes de SCI quils ont ressentis. Seule 10% de la variance des symptômes intestinaux a pu être attribuée au stress. Suls, Wan et Blanchard (1994) ont demandé à des victimes de SCI denregistrer quotidiennement les facteurs de stress auxquels ils étaient soumis, ainsi que leurs symptômes, sur une période de vingt et un jours. Ces résultats nont pas été plus probants et ne confirment donc pas lexistence dun lien entre facteurs de stress quotidiens et accentuation de lincidence et de la sévérité de la symptomatologie du SCI. Les pressions et tensions de la vie ne semblent donc guère affecter les manifestations marquées de SCI.
La dyspepsie non ulcéreuse (DNU) cause des sensations de gonflement et de pesanteur, des éructations, des borborygmes, des nausées et des brûlures destomac. Dans une étude rétrospective, les personnes atteintes de DNU faisaient état de plus de moments critiques et de difficultés chroniques importantes dans leur vie par rapport aux membres de la collectivité ne souffrant pas de ce type de pathologie. Toutefois, dautres recherches nont pu établir de relation entre tension psychique et dyspepsie fonctionnelle. Par ailleurs, les cas de DNU sont également accompagnés dune psychopathologie plus nette, notamment de troubles liés à lanxiété. En labsence denquêtes prospectives sur le stress de la vie courante, il nest guère possible de tirer des conclusions valables à cet égard (Bass, 1986; Whitehead, 1992).
Malgré de nombreuses études sur la question, on na pu atteindre encore de verdict définitif sur la relation entre le stress et la formation dulcères. Actuellement, les gastro-entérologues privilégient surtout lhérédité des taux de pepsinogène, la sécrétion impropre de bicarbonate et de mucus, linfection à lHelicobacter pylori comme causes probables dulcère. Si le stress de la vie courante joue un rôle dans ces processus, il est probablement ténu. Même en faisant abstraction du fait que moins détudes ont porté sur le stress en tant que facteur causal dans le SCI et la DNU, les preuves de lexistence dune telle relation sont, là encore, insuffisantes. Dans le cas de ces trois affections, il est manifeste que le niveau danxiété est plus élevé chez les personnes qui en sont atteintes que dans lensemble de la population, ou du moins chez celles dentre elles qui vont consulter des professionnels de la santé de leur propre chef (Whitehead, 1992). Sagit-il là dun signe précurseur ou dune conséquence de la maladie gastro-intestinale? Cela na pas été déterminé de façon définitive, quoique la deuxième explication semble la plus probable. En pratique courante, les patients ulcéreux reçoivent un traitement pharmacologique et les soins psychothérapeutiques sont rarement recommandés. Des médicaments anxiolytiques sont aussi communément prescrits aux patients souffrant de SCI ou de DNU, sans doute parce que les origines physiologiques de ces troubles ne sont pas encore connues. Des techniques de gestion du stress ont été employées avec un certain succès auprès de victimes du SCI (Blanchard et coll., 1992), quoique ce même groupe de patients ait également bien réagi à des traitements placebo. Enfin, il se peut que les individus souffrant soit dulcère, soit de SCI, soit de DNU se sentent incompris de leur famille, de leurs amis ou de leur médecin qui imputent leur condition au stress.
La condition de stress, comprise comme une déviation physiologique ou psychologique par rapport au point déquilibre de lindividu, peut résulter dun grand nombre de facteurs stressants, cest-à-dire de stimuli susceptibles de produire un stress. Larticle consacré par Levi aux théories du stress professionnel offre une bonne vision densemble du problème et de ses causes dans lenvironnement professionnel.
Dès que lon aborde la question de lincidence du stress issu de lenvironnement professionnel sur lépidémiologie du cancer, on est immédiatement confronté à des contraintes évidentes: une revue de la littérature en la matière mène à une unique étude (Michaels et Zoloth, 1991) de la relation entre le stress professionnel en soi et le cancer chez les conducteurs dautobus en milieu urbain (par ailleurs, on ne trouve que peu détudes considérant la question de manière plus générale). Nous nexaminerons pas ici les résultats de cette étude, les auteurs nayant pris en compte ni les effets de la teneur pourtant importante en gaz déchappement dans lenvironnement des chauffeurs, ni ceux de leur éventuelle consommation de tabac. Enfin, on ne peut pas procéder à des extrapolations à partir de données portant sur dautres maladies, car les mécanismes en cause en sont extrêmement différents.
Il est néanmoins possible de décrire ce que lon sait des liens entre les facteurs stressants en général et le cancer et il est même raisonnable dappliquer ces constats à la situation du travail. Nous distinguons les relations entre le stress et deux phénomènes: celui de lincidence du cancer, dune part, et celui du pronostic du cancer, de lautre. Le terme incidence se réfère évidemment à la survenue du cancer. Cependant, signalons que lincidence est établie soit par le diagnostic clinique du médecin, soit par lautopsie. Etant donné la lenteur du développement de la tumeur la mutation maligne dune cellule peut être antérieure de un à vingt ans à la détection de la masse tumorale les études dincidence portent tant sur la naissance que sur la croissance de celle-ci. La seconde interrogation, celle de savoir si le stress peut avoir une influence sur le pronostic, ne peut trouver de réponse que dans le cadre détudes de patients chez lesquels le cancer a été diagnostiqué.
Nous avons différencié les études de cohortes et les études cas-témoins. Le présent article examine les études de cohortes dans lesquelles une variable dépendante, en loccurrence le stress, est mesurée sur un groupe de sujets sains et lincidence de cancer ou de mortalité due au cancer est déterminée au bout dun certain nombre dannées. Les études cas-témoins, qui comparent les cas de stress rapportés par des patients atteints de cancer (cas) soit avant, soit au moment du diagnostic, dune part, et les cas de stress rapportés par des sujets indemnes (cas-témoins), dautre part, ne présentent quun intérêt limité. Premièrement, on ne peut jamais garantir que le groupe témoin est parfaitement superposable au groupe de cas en raison de toutes les autres variables pouvant influencer la comparaison. Deuxièmement, le cancer entraîne des modifications physiques, psychologiques et comportementales, essentiellement négatives, qui peuvent biaiser les conclusions. Troisièmement, ces modifications ont tendance à provoquer une augmentation du nombre ou de la sévérité des faits stressants décrits dans les témoignages par rapport aux témoignages obtenus dans le groupe de contrôle, cela conduisant à des conclusions biaisées selon lesquelles les patients cancéreux vivraient davantage de moments stressants ou des stress plus sévères que nen vivraient les sujets indemnes (Watson et Pennebaker, 1989).
La plupart des études sur le stress et lincidence de cancer comparent des cas à des groupes témoins et aboutissent à un très large éventail de résultats. Parce que dans une mesure ou dans une autre ces études nont pas réussi à neutraliser le rôle de certains facteurs de confusion, il est difficile de sélectionner les plus fiables et nous ne les considérerons pas ici. Parmi celles qui ont observé des cohortes, certaines études concluent à une différence non significative dans lincidence de cancers chez les individus soumis à un stress plus ou moins important, tandis que dautres établissent une corrélation positive entre importance du stress et incidence de cancer. Les premières dépassent largement les secondes en nombre (Fox, 1995). Les résultats de plusieurs groupes soumis à des stress sont rapportés.
Cet aspect du problème offre un intérêt moindre en raison de la faible proportion de la population dâge actif qui est atteinte de cancer. Néanmoins, il convient de mentionner une divergence dans la littérature entre les travaux ayant démontré des différences de survie quant au niveau de stress déclaré avant le diagnostic et ceux qui nont pas constaté dassociation. On pourrait, au vu de ces résultats, rappeler les recherches parallèles ayant montré que, non seulement les patients atteints de cancer, mais également ceux qui souffrent dautres maladies, évoquent davantage des moments de stress passés que les gens bien portants du fait des modifications psychologiques enclenchées par la maladie et, qui plus est, de la conscience quils ont eux-mêmes dêtre malades. Sagissant du pronostic, différentes études ont indiqué des taux de survie plus élevés chez les individus qui jouissaient de soutiens sociaux suffisants, par opposition à ceux qui étaient moins favorisés sur ce plan. Il est possible que la disponibilité de soutiens sociaux réduise le stress et réciproquement. Cependant, si lon envisage en même temps lincidence et le pronostic, les études déjà menées ne font, au mieux, que suggérer lexistence dune telle relation (Fox, 1995).
Il pourrait être instructif de considérer les effets du stress dans le cadre dexpériences sur les animaux. Les résultats des études méthodologiquement satisfaisantes sont effectivement plus clairs, mais non déterminants. Il a été démontré que les animaux stressés porteurs de tumeurs dorigine virale subissaient une croissance tumorale plus rapide et mouraient plus vite que les animaux non stressés. Mais linverse est vrai des tumeurs non virales, cest-à-dire produites en laboratoire par des agents cancérogènes chimiques. Dans ces études, les animaux stressés développent moins de tumeurs et accusent des durées de survie prolongées après le début dun cancer, par rapport aux animaux non stressés (Justice, 1985). Or, dans les pays industriels, seules 3 à 4% des tumeurs malignes humaines sont virales. Les autres proviennent de stimuli chimiques ou physiques tabagisme, radiations, chimie industrielle, irradiation nucléaire (par le radon, entre autres), excès dexposition au soleil, etc. Ainsi, si lon extrapolait les résultats obtenus chez lanimal à lhumain, on pourrait être amené à conclure que le stress est favorable à la fois quant à lincidence du cancer et quant à la survie. Il semble bien entendu difficile de tirer de telles conclusions (Justice, 1985; Fox, 1981). Les résultats obtenus chez les animaux peuvent être utilisés pour générer des hypothèses afférentes aux données décrites chez lhumain, mais ne sauraient servir de fondement à la formulation de conclusions le concernant.
Compte tenu de la variété des facteurs de stress qui ont été examinés dans la littérature scientifique durée, sévérité, nature des paramètres et de la prépondérance des résultats suggérant peu ou pas deffets sur lincidence de développement ultérieur de cancers, il paraît raisonnable dinférer des résultats identiques pour ce qui est du stress lié à lactivité professionnelle. De même que pour le pronostic du cancer, trop peu détudes ont été entreprises pour permettre de tirer une quelconque conclusion, même à titre provisoire, concernant les facteurs de stress. Il est cependant possible quune certaine forme de solidarité sociale puisse en diminuer légèrement lincidence et, peut-être, augmenter les chances de survie.
Une part croissante de la littérature relative à la santé au travail incite à penser que des facteurs psychosociaux en milieu professionnel peuvent concourir au développement de syndromes musculo-squelettiques, tant dans la région lombaire que dans les membres supérieurs (Bongers et coll., 1993). Les facteurs psychosociaux dorigine professionnelle se rapportent aux aspects de la situation de travail (tels que les rôles, la pression, les relations professionnelles) susceptibles de contribuer au stress ressenti par lindividu (Lim et Carayon, 1994; BIT, 1996). Le présent article propose une synthèse des données et des mécanismes sous-jacents qui relient facteurs psychosociaux et problèmes musculo-squelettiques. Laccent est mis sur létude des affections des membres supérieurs parmi les employés de bureau. Lexamen des pistes de recherches ultérieures y est également tenté.
Entre 1985 et 1995, une abondante documentation a permis de démontrer une relation entre les facteurs psychosociaux et les problèmes musculo-squelettiques des membres supérieurs dans un environnement professionnel de bureau (voir Moon et Sauter, 1996, pour une revue complète de la littérature dans ce domaine). Aux Etats-Unis, cette relation a été suggérée en premier lieu dans des travaux exploratoires initiés par lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)) (Smith et coll., 1981). Selon les résultats obtenus, ceux des techniciens travaillant sur des terminaux à écrans de visualisation qui avaient fait état, dans la description de leurs conditions de travail, de moins dautonomie, dune définition insuffisante des rôles, mais, par contre, de plus de pressions et contraintes et de contrôle hiérarchique, signalaient par ailleurs davantage de problèmes musculo-squelettiques que ne lavaient fait leurs collègues travaillant sur écran de visualisation (Smith et coll., 1981).
Des études plus récentes appliquant des techniques dinférence statistique plus poussées accréditent plus nettement la possibilité dun effet direct des facteurs psychosociaux liés au travail sur les troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs, dans le cas des employés de bureau. Ainsi, Lim et Carayon (1994) ont employé des méthodes danalyse structurale afin dexaminer la relation entre facteurs psychosociaux professionnels, dune part, et troubles musculo-squelettiques au niveau des membres supérieurs, dautre part, chez un groupe de 129 employés de bureau. Leurs résultats indiquent que les facteurs psychosociaux tels que la pression issue du travail, le contrôle des tâches réalisées et lexistence de quotas de production étaient des facteurs prédictifs importants de loccurrence de troubles musculo-squelettiques au niveau des membres supérieurs, particulièrement dans les régions du cou et des épaules. Certains facteurs démographiques (âge, genre, ancienneté dans lemploi, total des heures quotidiennes dutilisation dun ordinateur) et dautres facteurs de variation (situations médicales autodéclarées, passe-temps et utilisation de lordinateur en dehors du contexte professionnel) étaient pris en compte et nont été reliés à aucun de ces problèmes.
Hales et coll. (1994) ont corroboré ce dernier constat grâce à une étude de lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)). Deux sortes de problèmes musculo-squelettiques ont été observés chez 533 employés des télécommunications provenant de trois métropoles différentes: 1) les symptômes musculo-squelettiques des membres supérieurs, déterminés uniquement par questionnaire; et 2) les problèmes musculo-squelettiques des membres supérieurs potentiellement liés au travail, déterminés par un examen physique, en sus du questionnaire. Au moyen danalyses de régression, létude fait apparaître que des facteurs tels que la pression causée par le travail, ou une faible latitude décisionnelle, étaient associés non seulement à une plus forte prévalence de symptômes musculo-squelettiques, mais également à des signes physiques de maladie plus nombreux. De même, dans les milieux industriels, Bongers et coll. (1993) ont observé certaines associations, mais essentiellement en ce qui concerne les lombalgies.
Quelques spécialistes ont proposé plusieurs types de mécanismes susceptibles de régir les rapports entre facteurs psychosociaux et problèmes musculo-squelettiques (Sauter et Swanson, 1996; Smith et Carayon, 1996; Lim, 1994; Bongers et coll., 1993). Ces mécanismes peuvent être regroupés en quatre catégories:
Frankenhaeuser et Gardell (1976) ont montré quil existait une plus grande stimulation du système nerveux autonome (élévation de la sécrétion de catécholamines, du rythme cardiaque et de la tension artérielle et musculaire notamment) chez les individus soumis à des conditions psychosociales stressantes sur le lieu de travail. Cest là une réponse psychophysiologique normale et adaptative qui prépare lindividu à laction. Cependant, une exposition prolongée au stress peut être préjudiciable tant à la fonction musculo-squelettique quà létat de santé général. Ainsi, la tension musculaire liée au stress peut accroître la charge statique des muscles et, de ce fait, accélérer la fatigue musculaire et la gêne qui y est associée (Westgaard et Bjorklund, 1987; Grandjean, 1986).
Les individus soumis à des stress peuvent modifier leur comportement de travail de telle façon quils intensifieront leffort musculo-squelettique. La tension psychologique peut, par exemple, entraîner une plus grande application de force dans lexécution de certaines tâches manuelles, taper sur un clavier, entre autres et, par la suite, être à lorigine dune usure accélérée du système musculo-squelettique.
Les facteurs psychosociaux peuvent influencer directement leffort physique (ergonomique) nécessaire à laccomplissement du travail. Une diminution du temps imparti à une tâche conduit probablement ainsi à une augmentation de la cadence de travail (plus de répétitions) et des efforts. A linverse, les travailleurs qui disposent dune plus large autonomie dans le contrôle de leurs activités tendent à ajuster celles-ci de manière à en réduire les éléments répétitifs (Lim et Carayon, 1994).
Selon Sauter et Swanson (1996), le lien entre les facteurs de stress biomécaniques (ergonomiques, par exemple) et le développement de troubles musculo-squelettiques passe par des processus perceptifs eux-mêmes influencés par des facteurs psychosociaux existant dans lenvironnement professionnel. Ainsi, les symptômes seraient plus manifestes aux postes ou dans des métiers ennuyeux et monotones quà des activités plus absorbantes qui mobilisent davantage lattention du travailleur (Pennebaker et Hall, 1982).
Des travaux complémentaires seraient nécessaires pour évaluer limportance relative de chacun de ces mécanismes, ainsi que leurs interactions possibles. Ladoption de perspectives longitudinales de préférence dans les plans de recherche, dune part, de meilleures méthodes didentification et disolement des facteurs dexposition psychosociale et physique, dautre part, et enfin, laffinement de la mesure des manifestations permettraient de mieux cerner les relations causales pouvant exister entre facteurs psychosociaux liés au travail et affections musculo-squelettiques.
Cependant, la masse déléments disponibles actuellement, tendant à prouver la relation entre facteurs psychosociaux et affections musculo-squelettiques, est impressionnante et laisse penser que les interventions dordre psychosocial jouent vraisemblablement un rôle important dans la prévention des problèmes musculo-squelettiques associés au travail. A cet égard, plusieurs publications (NIOSH, 1988; BIT, 1996) formulent des directives visant à optimaliser les conditions psychosociales en milieu professionnel. Ainsi que lont soutenu Bongers et coll. (1993), un effort particulier devrait être consenti pour ménager un environnement professionnel favorable, une charge de travail gérable et une autonomie suffisante pour les travailleurs. Les effets positifs de telles variables étaient tangibles dans une étude de cas exécutée par Westin (1990) à la société Federal Express Corporation, qui a montré quun programme comportant une réorganisation globale du travail, destinée à fournir à lemployé un environnement professionnel favorable en termes psychosociaux, une amélioration de la communication et une réduction des pressions liées au travail et aux délais de livraison, était associé à une diminution de lincidence des problèmes musculo-squelettiques.
La maladie mentale est lune des conséquences chroniques du stress professionnel dont les coûts sociaux et économiques sont considérables (Jenkins et Coney, 1992; Miller et Kelman, 1992). Deux disciplines, lépidémiologie psychiatrique et la sociologie de la santé mentale (Aneshensel, Rutter et Lachenbruch, 1991), étudient les effets des facteurs dordre psychosocial et organisationnel liés au travail, sur la santé psychique. Ces études peuvent être classées suivant quatre démarches théoriques et méthodologiques distinctes: 1) les études considérant une seule profession; 2) les études de grandes catégories professionnelles prises comme indicateurs de la stratification sociale; 3) les études comparatives entre catégories professionnelles; et 4) les études de facteurs de risque psychosociaux et organisationnels spécifiques. Nous nous proposons ici de passer en revue chacune de ces approches et den analyser les implications, tant sur le plan de la recherche que sur celui de la prévention.
Il existe de nombreuses études centrées sur une seule profession. La dépression a été lobjet de travaux effectués chez les secrétaires (Garrison et Eaton, 1992), les cadres et les responsables (Phelan et coll., 1991; Bromet et coll., 1990), les informaticiens (Mino et coll., 1993), les sapeurs-pompiers (Guidotti, 1992), les professeurs (Schonfeld, 1992) et les travailleurs des «maquiladoras», à savoir les manufactures de sous-traitance au Mexique (Guendelman et Silberg, 1993). Michaels et Zoloth (1991) ont établi un lien entre lalcoolisme et la toxicomanie, dune part, et les phénomènes de mortalité, dautre part, chez les chauffeurs dautobus, tandis que les travaux de Bromet et coll. (1990) concernant les cadres et les professions libérales révélaient un rapport analogue. Les symptômes danxiété et de dépression, caractéristiques des troubles psychiatriques, ont été retrouvés chez les travailleurs du textile, les infirmières, les professeurs, les travailleurs sociaux, les personnels des plates-formes pétrolières et les jeunes médecins (Brisson, Vezina et Vinet, 1992; Firth-Cozens, 1987; Fletcher, 1988; McGrath, Reid et Boore, 1989; Parkes, 1992). Labsence de groupes de comparaison rend difficile dapprécier la valeur de ce type détude.
Lutilisation du type de profession comme indicateur de stratification sociale procède dune longue tradition dans la recherche en santé mentale (Liberatos, Link et Kelsey, 1988). Des travailleurs manuels non qualifiés et des fonctionnaires situés au bas de léchelle hiérarchique ont accusé une forte prévalence daffections psychiatriques mineures en Angleterre (Rodgers, 1991; Stansfeld et Marmot, 1992). Des problèmes dalcoolisme ont été relevés chez les travailleurs suédois (Ojesjo, 1980), mais aussi, et de manière plus significative, chez les gestionnaires japonais (Kawakami et coll., 1992). Labsence dune différenciation conceptuelle entre les effets inhérents aux professions elles-mêmes et les facteurs relatifs au mode de vie associé aux diverses strates professionnelles constitue une sérieuse lacune dans ces études. Il est également avéré que la profession est un indicateur de stratification sociale distinct de la classe sociale elle-même, cette dernière dimension incluant les aspects de jouissance des biens acquis (Kohn et coll., 1990; Muntaner et coll., 1994). Toutefois, aucune étude empirique de la maladie mentale intégrant cette conceptualisation na été entreprise.
Le recensement des professions constitue une source dinformation immédiate permettant dexplorer les associations entre professions et maladies mentales (Eaton et coll., 1990). Les études des zones dobservation épidémiologiques (Epidemiological Catchment Area (ECA)) portant sur lensemble des catégories professionnelles signalent une forte prévalence de dépression à des postes professionnels, dassistance administrative et domestique (Roberts et Lee, 1993). Dans une autre recherche épidémiologique importante menée dans le comté dAlameda, on a relevé des incidences de dépression marquées chez les ouvriers (Kaplan et coll., 1991). Chez des travailleurs américains observés sur une durée de 12 mois, une prévalence élevée dalcoolisme a été constatée dans les métiers artisanaux (15,6%) et chez les manuvres (15,2%), sagissant des hommes, et dans lagriculture, la foresterie et la pêche (7,5%) et les métiers non qualifiés du secteur tertiaire (7,2%), chez les femmes (Harford et coll., 1992). Les taux dabus et de dépendance à lalcool obtenus par lECA signalent une prévalence accusée dans les métiers du transport, les travaux manuels ainsi que chez les manuvres (Roberts et Lee, 1993). Des taux dalcoolisme importants étaient également relevés chez les travailleurs du secteur des services, les chauffeurs et la main-duvre non qualifiée, à loccasion dune étude sur la population suédoise (Agren et Romelsjo, 1992). Sur une période de 12 mois, les abus ou la dépendance toxicophiles ressortant de létude de lECA étaient plus élevés parmi les agriculteurs (6%), les travailleurs manuels (4,7%), les opérateurs techniques, les transporteurs et les manuvres (3,3%) (Roberts et Lee, 1993). Lanalyse de lECA sur la prévalence combinée de tous les syndromes dabus ou de dépendance à des substances psychotropes (Anthony et coll., 1992) a indiqué des chiffres supérieurs chez les travailleurs du bâtiment, les charpentiers et dans tous les métiers de la construction, chez les serveurs et serveuses et les employés des entreprises de transports et de déménagements. Dans une autre analyse de lECA (Muntaner et coll., 1991), les risques de schizophrénie, définie selon le critère A du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-3), publié par lAssociation américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association (APA)) (1980), étaient plus élevés chez les employés de maison, les artistes et les travailleurs du bâtiment et des travaux publics (délires et hallucinations) comparativement aux indices trouvés dans les postes dencadrement.
Plusieurs études de lECA ont été effectuées dans des catégories professionnelles plus spécifiques. En outre, afin de caractériser plus précisément lenvironnement professionnel, ces études tiennent compte de facteurs socio-démographiques qui auraient introduit des biais dans les résultats. Une période dobservation de 12 mois a fait apparaître de forts taux de fréquence de dépression prononcée (supérieurs aux 3 à 5% retrouvés dans lensemble de la population (Robins et Regier, 1990)) chez des opérateurs de saisie de données et déquipements informatiques (13%), ainsi que chez les dactylos, les juristes, les enseignants détablissements spécialisés et les conseillers-psychothérapeutes (10%) (Eaton et coll., 1990). Après la prise en compte des facteurs socio-démographiques, les juristes, les enseignants et les conseillers-psychothérapeutes accusaient une incidence de dépression significativement plus élevée que celle de la population active (Eaton et coll., 1990). Selon Mandell et coll. (1992), qui ont procédé à une analyse détaillée de 104 professions, ce sont les ouvriers et autres travailleurs spécialisés du bâtiment et des travaux publics, les chauffeurs de poids lourds et les déménageurs qui présenteraient le plus grand nombre de cas dabus ou de dépendance alcoolique.
Les études comparatives entre catégories professionnelles souffrent du même défaut que les études de stratification sociale. Ainsi, lune des restrictions quil faut appliquer à lapproche par catégories professionnelles est que les facteurs de risque spécifiques passent obligatoirement inaperçus. De plus, les facteurs émanant du mode de vie associé à certaines catégories professionnelles permettent souvent dexpliquer les résultats obtenus.
De nombreuses études sur le stress au travail et les maladies mentales ont été conduites à laide déchelles issues du modèle «exigences/autonomie» de Karasek (Karasek et Theorell, 1990) ou de mesures dérivées du Dictionary of Occupational Titles (DOT) (Cain et Treiman, 1981). En dépit des différences méthodologiques et théoriques rattachées à ces systèmes, ceux-ci évaluent des dimensions psychosociales analogues (contrôles, complexité substantielle et exigences du travail) (Muntaner, Eaton et Garrison, 1993). Les exigences auxquelles sont soumis les employés de sexe masculin des centrales électriques ont été associées par Bromet et coll. (1988) à des troubles dépressifs marqués. On a constaté que les professions dans lesquelles les aspects de direction, de contrôle ou de planification étaient défaillants jouaient un rôle médiateur dans la relation entre le statut socio-économique et la dépression (Link, Dohrenwend et Skodol, 1993). Cependant, une étude de Guendelman et Silberg (1993) na pas trouvé de relation entre la faible marge de contrôle et la dépression. Le nombre deffets négatifs imputés au travail, labsence de gratification intrinsèque ou les facteurs de stress organisationnels, tels que des rôles professionnels conflictuels ou ambigus, ont également été corrélés à une dépressivité majeure (Phelan et coll., 1991). Labus prononcé dalcool et les problèmes qui sensuivent sont mis en rapport avec les heures supplémentaires et le manque de gratification chez les hommes et avec linsécurité de lemploi chez les femmes au Japon (Kawakami et coll., 1993), ainsi quavec des exigences de travail importantes et une faible latitude décisionnelle chez les Américains de sexe masculin (Bromet et coll., 1988). Chez ces derniers encore, les contraintes psychologiques ou physiques liées à une profession, ainsi que des marges de contrôle trop étroites dans le travail, sont des éléments qui vont déterminer lincidence dabus et de dépendance à lalcool, daprès Crum et coll. (1995). Selon une autre analyse de lECA, des exigences physiques contraignantes et un faible pouvoir discrétionnaire imposés à un poste de travail déterminent également la dépendance vis-à-vis des drogues (Muntaner et coll., 1995). La présence de schizophrénie, de psychoses paranoïaques, voire dhallucinations varie, selon trois études américaines, avec les niveaux de risques et defforts physiques imposés par le métier (Muntaner et coll., 1991; Link, Dohrenwend et Skodol, 1986; Muntaner, Eaton et Garrison, 1993). Les exigences physiques dune profession donnée ont également été associées à des maladies psychiatriques dans la population suédoise (Lundberg, 1991). Tous ces travaux peuvent être utiles dans une perspective prophylactique, parce que ce sont des facteurs de risque spécifiques et potentiellement modifiables qui sont à létude.
Les travaux à venir devraient porter sur les caractéristiques démographiques et sociologiques des travailleurs afin de se focaliser sur les professions elles-mêmes (Mandell et coll., 1992). Si la profession est considérée comme un indicateur de stratification sociale, il conviendrait de contrôler les variables telles que les facteurs de risque non liés au travail. On devrait également se pencher sur les effets que des conditions «non démocratiques» régnant dans certains milieux de travail et pendant de longues périodes ont sur les travailleurs (Johnson et Johansson, 1991). Une importante initiative pour la prévention des affections psychologiques liées au travail a mis en lumière la nécessité daméliorer les conditions de travail, les services, la recherche et la surveillance (Keita et Sauter, 1992; Sauter, Murphy et Hurrell, 1990).
Si certains chercheurs pensent que la redéfinition du travail peut favoriser tant la productivité que la santé des travailleurs (Karasek et Theorell, 1990), dautres avancent que loptimisation des profits de lentreprise, dune part, et la santé psychique des travailleurs, dautre part, sont des objectifs contradictoires (Phelan et coll., 1991; Muntaner et OCampo, 1993; Ralph, 1983).
Lépuisement est une forme de réponse prolongée à des facteurs chroniques de tension, dordre affectif et interpersonnel qui sont liés au travail. Lépuisement a été conceptualisé comme étant une expérience individuelle du stress, imbriquée dans un contexte de relations sociales complexes et intégrant aussi bien limage que le sujet a de lui-même que celle quil a des autres. En tant que tel, ce phénomène présente un intérêt particulier pour les professions sociales où: a) la relation entre prestataire et usager est primordiale pour laccomplissement du travail; et b) la prestation de services, de soins, de traitements ou denseignement peut constituer une expérience à forte connotation affective. Différentes professions réunissent ces critères, telles celles relevant des soins de santé physique et psychique, des services sociaux, de la justice pénale et de léducation. Quoique ces professions diffèrent selon la nature du contact quelles impliquent entre prestataire et bénéficiaire, elles sont assimilables en ce quelles comportent toujours une relation qui est centrée sur les difficultés (psychologiques, sociales ou physiques) actuelles vécues par les personnes qui consultent et par laquelle des soins ou des services sont dispensés dans un système structuré. Non seulement le travail du prestataire comportera vraisemblablement une forte charge affective, mais, en général, les solutions ne seront pas aisément accessibles, ce qui tendra à accentuer les éléments de frustration et dambiguïté perçus sous langle professionnel. Ceux qui travaillent de manière continue dans de telles circonstances sont plus vulnérables au syndrome dépuisement.
La définition opérationnelle (et létalonnage correspondant) la plus couramment utilisée dans les travaux sur ce syndrome est un modèle à trois composantes dans lequel lépuisement est conçu en termes dépuisement affectif, de dépersonnalisation et de rendement personnel diminué (Maslach, 1993; Maslach et Jackson, 1981-1986). Lépuisement affectif renvoie à des sentiments dusure et datténuation des ressources psychiques. La dépersonnalisation se réfère à une attitude négative, insensible ou excessivement détachée à légard des destinataires habituels des soins, de lattention ou des services. La diminution du rendement personnel procède du fléchissement de la conscience que lon a de ses propres compétences et du sentiment de réussite vécu dans le travail.
Cette conceptualisation pluridimensionnelle de lépuisement a des implications importantes, tant théoriques que pratiques. Elle permet une compréhension plus complète de cette forme particulière de stress professionnel en la resituant dans son contexte social et en identifiant la gamme des réactions psychologiques quelle peut occasionner chez les différents travailleurs sociaux. Ces réactions différentielles ne sont peut-être pas simplement une fonction de facteurs individuels (tels que la personnalité), mais pourraient refléter les impacts différentiels de facteurs situationnels sur les trois dimensions de lépuisement. Par exemple, certaines caractéristiques du travail influenceraient les sources de stress psychique (et, par là, lépuisement) et dautres les ressources permettant de sacquitter des tâches de manière satisfaisante et, donc, le sentiment personnel daccomplissement. La caractérisation pluridimensionnelle implique également que les interventions visant à juguler le phénomène dépuisement devraient être conçues et planifiées à partir de la ou des composantes spécifiques qui sont en jeu. En dautres termes, il peut être plus efficace denvisager les moyens de réduire les risques dasthénie mentale ou de prévenir les tendances à la dépersonnalisation, ou encore de renforcer les sentiments positifs liés à la conscience du travail accompli, plutôt que de procéder de manière plus diffuse.
Parallèlement à ce cadre social, la recherche empirique sur lépuisement psychique sest axée avant tout sur les facteurs et les situations professionnelles. Ainsi, certaines études ont inclus des variables telles que les dynamiques relationnelles sur le lieu de travail (clients, collègues, supérieurs) et à la maison (famille), la satisfaction professionnelle, les rôles conflictuels ou ambigus, les réactions de retrait par rapport au travail (renouvellement des personnels, absentéisme), les attentes, le volume de travail, le type de poste et la stabilité de lemploi, la politique institutionnelle, etc. Les facteurs personnels qui ont été étudiés relèvent plus souvent de la démographie (sexe, âge, état civil, etc.). De plus, on sest préoccupé de certaines variables liées à la personnalité, à la santé individuelle, aux relations avec la famille et les amis (tissu social et familial) et des valeurs, croyances et engagements personnels. En général, les facteurs professionnels sont plus nettement liés à lasthénie psychique que ne le sont les facteurs personnels. En termes dagents précipitant lapparition de ce syndrome, les trois composantes essentielles seraient les rôles conflictuels, le manque dautonomie et de latitude décisionnelle et labsence de formes de soutien social au travail. Les effets de lépuisement se manifestent le plus souvent sous diverses formes de retrait ou dinsatisfaction par rapport au travail, avec ce que cela suppose en termes de détérioration dans la qualité des soins ou des services prodigués aux clients ou aux patients. Lépuisement semble être corrélé avec différents indices autorapportés de dysfonctionnement individuel, notamment les problèmes de santé, la consommation accrue dalcool ou dautres substances toxiques et les conflits conjugaux et familiaux. Le degré relatif dépuisement ne varie guère en fonction du temps, ce qui éclairerait la nature chronique, plutôt quaiguë, du phénomène (voir Kleiber et Enzmann, 1990; Schaufeli, Maslach et Marek, 1993, pour des synthèses de travaux dans ce domaine).
Lun des objectifs de la recherche à venir concernerait les critères diagnostiques relatifs à lépuisement. Celui-ci a longtemps été décrit à partir de symptômes de dysphorie, tels que labattement, la fatigue, la perte destime de soi et la dépression. Néanmoins, la dépression est perçue comme étant indépendante de tout contexte, dune part, et susceptible de survenir dans toutes les situations, dautre part, alors que lépuisement semble lié au travail et à une situation spécifique. Dautres signes dépuisement psychique ont trait à lincapacité de se concentrer, à lirritabilité, au négativisme et à une diminution sensible de la performance professionnelle sur une période de plusieurs mois. On estime généralement que les symptômes dépuisement se manifestent aussi chez des personnes «normales» ne souffrant daucune séquelle dordre psychopathologique ni de maladie organique identifiable. Si lon entretient lidée de symptômes distinctifs de lépuisement psychique, il apparaît que celui-ci pourrait être diagnostiqué et traité à un niveau individuel.
Pourtant, étant donné les arguments en faveur dune étiologie situationnelle de lépuisement, on a privilégié les interventions sociales, plutôt que personnelles. Le soutien social, particulièrement celui quapportent les proches, semble être une parade efficace au danger de lépuisement. Par ailleurs, une formation adaptée, prévoyant une certaine préparation face aux difficultés et situations professionnelles stressantes, permet aux travailleurs concernés de raffermir le sentiment de leur propre efficacité et de la maîtrise de leur rôle professionnel. Le fait dêtre actif dans une communauté plus large ou un groupe daction peut également contrer les sentiments dimpuissance et de pessimisme que peut provoquer, chez le travailleur social, labsence de solution à long terme aux problèmes auxquels il est confronté. Accentuer les aspects positifs du métier, dune part, et trouver les façons de rendre plus signifiantes les tâches ordinaires, dautre part, sont autant de moyens de favoriser lacquisition de sentiments defficacité et de maîtrise personnelles.
On a de plus en plus tendance à concevoir le syndrome dépuisement psychique comme un processus dynamique, plutôt que comme une condition statique, ce qui entraîne des conséquences importantes quant à la formulation de modèles de développement et de mesures méthodologiques. Une réorientation de la recherche en ce sens a le mérite de permettre une analyse plus approfondie du phénomène de lépuisement et, sur le plan pratique, de doter les individus et les institutions de moyens plus efficaces pour résoudre les problèmes qui en découlent.
Lentreprise qui cherche à établir et à maintenir un niveau optimal de bien-être psychique, physique et social chez ses salariés doit poursuivre des politiques et concevoir des procédures faisant largement cas des principes de sécurité et de santé au travail. Dans ce cadre, les perspectives de santé mentale, liées aux besoins de lorganisation et de son personnel, tiendront une place importante et des moyens de gestion du stress seront mis en place. Les approches adoptées seront régulièrement révisées et évaluées.
Plusieurs options sont à considérer au regard de la prévention du stress. Elles pourraient correspondre à des niveaux dits primaires, secondaires ou tertiaires de prophylaxie et concerner différentes étapes du processus du stress (Cooper et Cartwright, 1994). La prévention primaire sattache à réduire ou à éliminer les facteurs ou les sources de stress, à promouvoir un environnement professionnel favorable et capable doffrir un certain soutien. La prévention secondaire consiste à prévoir une détection rapide, ainsi que la gestion de la dépression et de lanxiété, par le biais dincitations à la prise de conscience de soi et daméliorations des compétences en gestion du stress. La prévention tertiaire vise les processus de rééducation et de rétablissement des individus ayant souffert ou souffrant de troubles générés par le stress.
Les employeurs devront intégrer ces trois dimensions afin de mettre sur pied une politique organisationnelle exhaustive et efficace du stress (Cooper, Liukkonen et Cartwright, 1996).
La façon la plus efficace de combattre le stress est, en premier lieu, de léliminer à sa source. Pour cela, il faudra peut-être procéder à des changements dans la politique de gestion du personnel, adapter les modalités de communication, restructurer les postes ou attribuer une autonomie et des pouvoirs décisionnels plus larges à des niveaux hiérarchiques inférieurs. De toute évidence, le type daction requise par une entreprise donnée variera en fonction des facteurs de stress en cause; toute intervention demandera donc à être guidée par une série de diagnostics préalables ou évaluations du stress, pour identifier ces facteurs de stress et ceux quils affectent.
Les exercices dévaluation sont généralement menés sous la forme dun autoquestionnaire distribué aux salariés dune grande entreprise soit service par service, soit globalement. Outre quil vise à identifier les sources de stress au travail, ainsi que les individus les plus vulnérables à cet égard, le questionnaire apprécie dordinaire le niveau de satisfaction vécue par le salarié à son travail, sa façon de réagir, sa santé physique et psychique, relativement à ceux de catégories professionnelles et de branches similaires. Lévaluation du stress est un moyen extrêmement efficace de diriger les ressources de lorganisation là où elles sont le plus nécessaires. Lexercice permet également dobserver régulièrement le niveau de stress, ainsi que lévolution de la santé des salariés dans la durée et détablir un seuil de référence daprès lequel les interventions futures pourront être jaugées.
Certains instruments diagnostiques, tels que lOccupational Stress Indicator (Cooper, Sloan et Williams, 1988), ont été progressive-ment appliqués à cet effet par un nombre croissant dorganisations. Ces opérations sont gérées dordinaire par les départements des ressources humaines ou du personnel ou les services médicaux de lentreprise, avec consultation de psychologues. Dans les entreprises de taille plus réduite, il peut être possible de créer des groupes de discussion pour le personnel ou délaborer des questionnaires de suivi qui seront administrés de manière moins officielle. De telles discussions et de tels questionnaires devraient comporter les rubriques suivantes:
Une autre méthode consiste à demander aux salariés de tenir, pendant quelques semaines, un «journal du stress» dans lequel ils consignent les événements stressants quils ont vécus pendant la journée. La collecte de ce type dinformation auprès dun groupe ou de tout un service peut amener à reconnaître certaines sources universelles et permanentes de stress.
Une forme essentielle de prévention primaire est de susciter un climat de travail favorable, à léchelle de lentreprise, où le stress est reconnu comme un fait de la vie active moderne et non comme une preuve de faiblesse ou dincompétence. Les difficultés psychiques ne sont pas discriminatoires elles peuvent affecter quiconque, quel que soit lâge, le statut social ou la fonction de lindividu. De ce fait, les salariés ne devraient pas craindre dadmettre les difficultés quils peuvent éprouver.
Les entreprises doivent adopter une démarche explicite en vue, dune part, déliminer les stigmates souvent rattachés au fait de souffrir de problèmes affectifs et, dautre part, doptimaliser laccès du personnel à des mécanismes de soutien (Cooper et Williams, 1994). Les actions officielles à entreprendre consisteront notamment à:
Plus impérieuse encore est la nécessité, tant pour les responsables que pour les syndicats, de montrer un engagement ferme dans la lutte contre le stress et la promotion du bien-être psychologique en milieu de travail. Cet objectif suppose peut-être une plus grande ouverture en termes de communication dans lentreprise, ainsi quun démantèlement des normes culturelles organisationnelles qui, intrinsèquement, contribuent au stress des travailleurs (telles, par exemple, les normes implicites qui poussent les employés à prolonger excessivement leur journée de travail et les culpabilisent sils quittent leur travail «à lheure»). Les entreprises promouvant un climat professionnel positif pourront devancer la survenue de sources de stress supplémentaires ou induites par les changements proposés (restructurations, nouvelles technologies), notamment par le biais de formations spéciales ou en faisant collaborer les salariés au processus. Une communication ouverte et régulière et la participation soutenue des personnels jouent un rôle fondamental dans la réduction du stress en temps de réorganisation.
Les initiatives ressortissant de cette catégorie sont généralement centrées sur la formation et ménagent des activités de sensibilisation et des programmes de valorisation des compétences.
Les stages en matière de gestion du stress aident les individus à en reconnaître les symptômes, chez eux comme chez les autres, et à développer leurs capacités dadaptation et de résistance face aux situations de stress.
La forme et le contenu de ce type de formation peuvent varier considérablement, mais celle-ci prévoit souvent des techniques de relaxation simple, des conseils en matière dhygiène de vie et de planification individuelle, une formation à la gestion du temps, des stages et des exercices daffirmation de la personnalité et de résolution de problèmes. Le but de ces interventions est de permettre aux employés de reconnaître les effets psychologiques du stress et de se constituer un programme personnel de maîtrise du problème (Cooper, 1996).
Ce type daction peut être bénéfique aux personnels de tous les niveaux et entraîne notamment les cadres à détecter les manifestations de stress chez leurs subordonnés, à être attentifs à leur propre style de gestion et, donc, à son effet sur ceux quils dirigent. Ces efforts sont particulièrement fructueux lorsquils sont déployés à la suite dun exercice dévaluation du stress.
Avec la coopération des professionnels de la santé au travail, les entreprises peuvent, par ailleurs, introduire des initiatives qui encouragent directement des attitudes positives en matière de santé. Là encore, les activités de promotion de la santé peuvent revêtir des formes variées et comporter:
Les entreprises qui ne possèdent pas de service spécialement voué à la santé du personnel peuvent sadresser à des firmes extérieures qui offrent ce type de prestations. Daprès les informations recueillies auprès de ces agences spécialisées, bien établies aux Etats-Unis, les résultats obtenus sont frappants (Karasek et Theorell, 1990). Par exemple, le New York Telephone Companys Wellness Programme (programme de bonne santé de la compagnie de téléphone de New York), dont le but était daméliorer létat cardio-vasculaire des employés, a permis à la compagnie déconomiser en un an 2,7 millions de dollars en coûts dabsentéisme et de soins thérapeutiques.
La gestion du stress et les programmes dhygiène de vie peuvent contribuer, en particulier, à aider les individus à affronter les facteurs de stress environnementaux identifiés par lentreprise, mais non modifiables, tels que la sécurité de lemploi.
Une partie importante de la promotion de la santé sur le lieu de travail est dévolue, dune part, à la détection des problèmes de santé mentale dès que ceux-ci apparaissent et, dautre part, à leur prise en charge rapide à travers un traitement spécialisé. La majorité des individus qui contractent des troubles psychiques sont aptes à recouvrer la pleine santé et à retourner au travail. Il est généralement bien plus coûteux de mettre un salarié à la retraite anticipée pour des raisons médicales et de recruter et former son successeur que de consacrer un certain temps à aider ce salarié à récupérer ses capacités de travail. Deux aspects de prévention tertiaire peuvent être considérés:
Les entreprises peuvent fournir aux salariés qui connaissent des difficultés au travail ou sur le plan personnel un accès à des services de soutien psychologique confidentiels (Swanson et Murphy, 1991). Cette assistance peut être dispensée soit par des personnels spécialisés au sein de lentreprise, soit par lintermédiaire dentreprises extérieures, dans le cadre dun programme dassistance aux salariés (PAS).
Les PAS proposent des entretiens cliniques ainsi que des services dinformation et dorientation vers dautres structures ou traitements appropriés. Ces interventions sont confidentielles et mettent souvent à disposition une voie de contact permanent. Les frais sont généralement calculés par personne, en fonction du nombre total de salariés et du nombre dheures de consultation fournies par le programme.
Prodiguer une assistance psychothérapeutique requiert des compétences pointues et donc une formation poussée. Les intervenants thérapeutiques doivent avoir reçu une formation spéciale reconnue et pouvoir disposer dun lieu adéquat où mener leur activité en respectant les impératifs déontologiques de leur profession.
Le soutien thérapeutique est sans doute particulièrement efficace lorsquil répond à des situations de stress résultant de facteurs organisationnels internes, non modifiables (par exemple, perte demploi), ou de circonstances indépendantes du travail (par exemple, deuil, difficultés conjugales, etc.), mais tendant néanmoins à déborder sur la vie professionnelle. La fonction dorientation des salariés vers les recours les plus adaptés est également dune utilité appréciable.
Les salariés qui ont dû temporairement cesser le travail à la suite dun excès de contraintes psychiques doivent confronter un stress supplémentaire, celui de réintégrer leur poste. Lentreprise adoptera alors une ligne de conduite axée sur la facilitation de ce processus. Une entrevue de «réinsertion» permettra détablir dans quelle mesure lindividu est apte et satisfait de reprendre le travail, à tous les égards. Des entretiens devraient avoir lieu entre le travailleur, son supérieur et le médecin. Une fois accomplie la réintégration, partielle ou complète, une série de rencontres de suivi donneraient la possibilité dapprécier les progrès et le degré de réadaptation du travailleur. Le service de santé au travail de lentreprise jouera un rôle important à cet égard.
Les options indiquées ci-dessus ne devraient pas être mutuellement exclusives, mais éventuellement complémentaires. La formation à la gestion du stress, les activités de promotion de la santé et les conseils thérapeutiques contribuent à renforcer les ressources physiques et psychologiques des salariés et donc à modifier leur approche des situations stressantes et à gérer la souffrance ressentie (Berridge, Cooper et Highley, 1997). Toutefois, des sources persistantes de stress demeureront vraisemblablement que lindividu nestimera pas avoir la compétence ou la latitude daltérer (structure, style de gestion, culture de lorganisation, etc.). Les contraintes de cet ordre doivent être levées ou atténuées par une intervention à léchelle de lentreprise si lon souhaite venir à bout des impacts dysfonctionnels de long terme quelles auront sur la santé des travailleurs. Seule une évaluation de stress permettra de les identifier.