Lexpression relations de travail ou relations professionnelles désigne le système dans lequel les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, ainsi que le gouvernement par voie directe ou indirecte, échangent leurs points de vue et conjuguent leurs efforts pour fixer les règles de base de la conduite des relations de travail. Cette expression désigne aussi un champ de recherche voué à létude de ces relations. Il sagit dun legs de la révolution industrielle, dont les excès ont conduit à lémergence de syndicats pour représenter les travailleurs et au développement de régimes collectifs de relations professionnelles. Tout système de relations de travail ou de relations professionnelles est à limage des interactions entre ses principaux acteurs: lEtat, lemployeur (ou des employeurs ou une association demployeurs), les syndicats et les travailleurs (qui peuvent adhérer ou non aux syndicats et à dautres organismes se proposant de les représenter). Les expressions «relations de travail» et «relations professionnelles» sont également employées à propos de diverses formes de participation des travailleurs; elles peuvent aussi englober la relation individuelle demploi entre un employeur et un travailleur aux termes dun contrat de travail écrit ou tacite, bien que cette relation soit habituellement qualifiée de «relation demploi». Lusage de ces expressions varie considérablement selon les époques et les endroits et reflète en partie lévolution qui caractérise ce domaine. Toutefois, on convient généralement quelles comprennent la négociation collective, diverses formes de participation des travailleurs (comme les comités dentreprise et les comités dhygiène et de sécurité) et les mécanismes de règlement des différends collectifs et individuels. La grande diversité des systèmes de relations professionnelles dans le monde suppose dassortir les analyses comparatives et les classifications de certaines mises en garde au sujet des risques de généralisation et danalogies trompeuses. Traditionnellement, on distingue quatre types de gestion en milieu de travail: dictatoriale, paternaliste, institutionnelle, participative; ce chapitre traite principalement des deux derniers types.
Tout système de relations professionnelles met en jeu des intérêts à la fois privés et publics. LEtat en est également partie prenante, mais son rôle va de linterventionnisme à la passivité selon les pays. La nature des rapports entre le monde syndical, le patronat et le gouvernement en matière de sécurité et de santé est révélatrice de la situation globale des relations professionnelles dans un pays, une branche dactivité, et vice versa. Un système de relations professionnelles sous-développé tend à lautoritarisme, lemployeur dictant des règles sans la participation directe ou indirecte des salariés qui se bornent à accepter un emploi aux conditions offertes.
Tout système de relations professionnelles comporte à la fois des valeurs de société (liberté syndicale, sens de la solidarité au sein du groupe, recherche du profit maximum) et diverses techniques (méthodes de négociation, organisation du travail, consultation et règlement des différends). Par tradition, les systèmes de relations professionnelles sont classés par modèles nationaux, mais la validité de cette façon de voir sestompe devant la diversité de plus en plus marquée des pratiques dans les pays et la montée en puissance dune économie mondiale, aiguillonnée par la concurrence internationale. Certains pays sont connus pour avoir des modèles de relations professionnelles de type coopératif (Allemagne, Belgique), tandis que dautres ont des modèles qualifiés de conflictuels (Bangladesh, Canada, Etats-Unis). Divers systèmes ont également fait lobjet dune distinction sur la base de leur régime centralisé de négociation collective (par exemple, les pays nordiques, bien quils tendent à sen éloigner, comme on le voit en Suède), la négociation par branche sectorielle ou industrielle (Allemagne), ou la négociation par entreprise ou par établissement (Etats-Unis, Japon). Dans les pays qui sont passés dune économie planifiée à une économie de marché, les systèmes de relations professionnelles sont en période de transition. Par ailleurs, de plus en plus détudes analytiques portent sur la typologie des relations individuelles demploi en tant quindicateurs des types de systèmes de relations professionnelles.
Même les descriptions classiques des systèmes de relations professionnelles ne sont pas du tout figées, car ces systèmes évoluent et sadaptent aux nouvelles situations, quelles soient dordre économique ou politique. La mondialisation de léconomie de marché, laffaiblissement de lEtat en tant que réelle force agissante et le déclin du pouvoir syndical dans bon nombre de pays industrialisés constituent autant de sérieux défis lancés aux systèmes traditionnels de relations professionnelles. Le progrès technologique a modifié le contenu des tâches et lorganisation du travail; ces changements, en retour, influent profondément sur la capacité dépanouissement des régimes collectifs de relations professionnelles et sur leur orientation. Le schéma traditionnel horaires de travail communs pour tous les salariés dans un même lieu cède graduellement la place à des horaires plus variés et à lexécution décentralisée des tâches en divers endroits, y compris à domicile, avec moins de surveillance directe de la part de lemployeur. Les relations demploi dites «atypiques» méritent de moins en moins ce qualificatif puisque les effectifs de la main-duvre précaire ou occasionnelle continuent de grossir. Par ricochet, cette situation exerce une pression sur les systèmes établis de relations professionnelles.
Des formes nouvelles de représentation et de participation des salariés sont en train de donner une dimension supplémentaire au tableau des relations professionnelles dans un certain nombre de pays. Tout système de relations professionnelles établit les règles de base, formelles ou non, qui déterminent la nature des régimes collectifs de relations professionnelles, ainsi que le cadre de la relation demploi individuelle entre un travailleur et son employeur. Du côté patronal, de nouveaux acteurs viennent compliquer la situation, notamment les bureaux de placement temporaire ou agences dintérim et les sous-traitants fournisseurs de main-duvre qui peuvent avoir des responsabilités envers des travailleurs sans exercer pour autant de contrôle sur les conditions dexécution du travail, ou sans avoir la possibilité dassurer la formation à la sécurité. De plus, les employeurs des secteurs public et privé sont régis par une réglementation distincte dans la plupart des pays; il existe souvent des écarts considérables entre ces deux secteurs pour ce qui est des droits et de la protection des salariés. En outre, le secteur privé est exposé à la concurrence internationale, qui ninflue pas directement sur les relations professionnelles dans le secteur public.
Enfin, lidéologie néolibérale, qui privilégie la conclusion de contrats demploi individuel au détriment des conventions collectives, constitue une autre menace pour les systèmes traditionnels de relations professionnelles. Ces systèmes sont nés de lémergence de la représentation collective des travailleurs, le passé ayant démontré quisolés, ceux-ci sont en position de faiblesse par rapport à lemployeur. Labandon de toute représentation collective risquerait de rétablir une notion largement répandue au XIXe siècle selon laquelle chaque personne est libre daccepter un travail dangereux, et que cest là une question de libre arbitre. La mondialisation croissante de léconomie, le rythme accéléré des changements technologiques et, partant, lappel à une flexibilité accrue des institutions de relations professionnelles lancent à ces dernières de nouveaux défis dont dépendent leur survie et leur prospérité. En fonction de leurs traditions et de leurs institutions actuelles, les parties à un système de relations de travail peuvent réagir très différemment à des pressions identiques, exactement comme les gestionnaires peuvent choisir une stratégie établie en fonction des coûts ou, plutôt, une stratégie axée sur la valeur ajoutée pour affronter une concurrence accrue (Locke, Kochan et Piore, 1995). Le degré de participation des travailleurs ou le rôle de la négociation collective dans un système de relations professionnelles influe sans aucun doute sur lapproche des gestionnaires face aux problèmes de sécurité et de santé dans lentreprise.
Par ailleurs, une autre constante demeure, celle de la dépendance économique du travailleur individuel par rapport à lemployeur; cette réalité qui sous-tend leur relation comporte de graves conséquences potentielles en matière de sécurité et de santé. On considère que lemployeur a lobligation générale de garantir un milieu de travail sûr et salubre, de former son personnel et de lui fournir léquipement nécessaire pour quil puisse effectuer son travail en sécurité. Réciproquement, il incombe au travailleur de se conformer aux règles de sécurité et de santé et déviter de se blesser ou de blesser autrui dans laccomplissement de ses fonctions. Tout manquement à ces obligations ou à dautres prescriptions peut aboutir à des conflits, dont le règlement repose sur le système de relations professionnelles. Les mécanismes de règlement des différends comprennent les règles qui régissent non seulement les arrêts de travail (grèves, ralentissements de travail ou grèves perlées, grèves du zèle, etc.) et les lock-out, mais encore les mesures disciplinaires et le licenciement des salariés. De plus, dans de nombreux pays, les employeurs sont tenus de cotiser à divers organismes de prévention, dassurer la surveillance de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail, de déclarer les accidents du travail et les maladies professionnelles et, indirectement, dindemniser les travailleurs victimes dun accident du travail ou dune maladie professionnelle.
La gestion des ressources humaines est définie comme «la science théorique et pratique qui traite de la nature de la relation demploi et de la totalité des décisions, actions et enjeux qui ont trait à cette relation» (Ferris, Rosen et Barnum, 1995; voir figure 21.1). Elle englobe les politiques et les pratiques formulées par lemployeur qui envisagent lutilisation et ladministration du personnel comme une ressource commerciale dans la stratégie globale de lentreprise visant à améliorer la productivité et la compétitivité. Cette expression est fréquemment employée pour désigner une conception de ladministration du personnel qui met laccent sur la participation des salariés, normalement dans une organisation non syndiquée (mais pas toujours), afin dencourager les travailleurs à améliorer leur productivité. Cette discipline, qui a vu le jour à lépoque de la première guerre mondiale, sest constituée à partir de la convergence des théories scientifiques sur la gestion, des travaux portant sur lassistance sociale et la psychologie du travail; elle a considérablement évolué depuis lors. Actuellement, elle met en valeur les techniques dorganisation du travail, les méthodes de recrutement et de sélection du personnel, lévaluation du rendement, la formation, le perfectionnement professionnel et lorganisation des carrières, ainsi que la participation directe du personnel et la communication. La gestion des ressources humaines est présentée comme une solution de rechange au «fordisme», le type classique de la production à la chaîne où les ingénieurs sont chargés de lorganisation du travail et où les tâches assignées aux travailleurs sont fractionnées et étroitement délimitées. Les formes courantes de participation du personnel comprennent des systèmes dincitation à linitiative et aux suggestions, des enquêtes sur les attitudes, des programmes de valorisation du travail, le travail en équipe et dautres formes de responsabilisation du même ordre, des programmes de qualité de la vie au travail, des cercles de qualité et des groupes de travail spéciaux. Le cas échéant, une autre caractéristique de la gestion des ressources humaines consiste à lier, individuellement ou collectivement, le salaire au rendement. Signalons que lun des trois objectifs définis par le Comité mixte OIT/OMS de la santé au travail est «ladoption de systèmes dorganisation du travail et de cultures dentreprise susceptibles de contribuer à la sécurité et à la santé au travail et de promouvoir un climat social positif et le bon fonctionnement de lentreprise» (BIT, 1995b). Cest ce que lon appelle la recherche dune «culture de la sécurité» dans lentreprise.
Lexemple dun programme de gestion de la sécurité au travail illustre certaines théories de la gestion des ressources humaines sur le plan de la sécurité et de la santé des travailleurs. Comme lont expliqué Reber, Wallin et Duhon (1993), cette approche a beaucoup contribué à la diminution des absences dues aux accidents. Elle consiste à déterminer quels sont les comportements sûrs et les comportements dangereux, à enseigner aux salariés à les reconnaître et à encourager ceux-ci à observer les règles de sécurité en leur fixant des objectifs et en les informant des résultats. Le programme fait largement appel à une technique de formation consistant à montrer aux travailleurs les méthodes sûres et correctes par des montages vidéo ou des démonstrations. Ils ont alors la possibilité de sexercer afin de changer de comportement et sont régulièrement informés des résultats. De plus, certaines entreprises décernent des prix et des récompenses aux salariés qui adoptent un comportement respectueux de la sécurité et y participent activement (au lieu de se contenter davoir moins daccidents). La consultation du personnel est aussi un élément important du programme.
Les répercussions de la gestion des ressources humaines sur la pratique des relations professionnelles continuent de prêter à controverse. Cest particulièrement vrai des programmes de participation du personnel qui sont perçus par les syndicats comme une menace. Dans certains cas, des stratégies de gestion des ressources humaines sont menées parallèlement à la négociation collective; dans dautres, la gestion des ressources humaines sinscrit dans une perspective visant à supplanter ou à entraver les activités des organisations indépendantes qui défendent les intérêts des travailleurs. Des partisans de la gestion des ressources humaines soutiennent que, depuis les années soixante-dix, la fonction de gestion du personnel dans la gestion des ressources humaines a évolué; autrefois simple soutien des relations professionnelles, elle occupe maintenant une place de premier plan qui revêt une importance cruciale pour lefficacité dune organisation (Ferris, Rosen et Barnum, 1995). La gestion des ressources humaines étant un outil à la disposition de la direction pour mener sa politique de personnel plutôt quun élément de rapprochement entre lemployeur et les représentants choisis par les salariés, elle noccupe pas une place prépondérante dans le présent chapitre.
Les articles de ce chapitre décrivent les principales parties à un système de relations professionnelles et les principes fondamentaux qui en charpentent linteraction: la liberté syndicale et le droit de représentation. Le corollaire naturel de la liberté syndicale est le droit de mener des négociations collectives, phénomène quil faut distinguer des arrangements concernant la consultation et la participation des travailleurs non syndiqués. La négociation collective a lieu entre les représentants choisis par les travailleurs et ceux de lemployeur; elle aboutit à une convention conclue dun commun accord et liant les deux parties et peut porter sur une gamme étendue de sujets. Dautres formes de participation des travailleurs, les organismes consultatifs au niveau national, les comités dentreprise et les délégués à la sécurité et à la santé dans lentreprise sont également des éléments importants de certains systèmes de relations professionnelles; ils sont donc étudiés dans ce chapitre. La consultation peut prendre diverses formes et se dérouler à différents niveaux: national, régional, branche dactivité, entreprise. Les représentants du personnel qui siègent aux organismes consultatifs peuvent avoir été choisis ou non par les travailleurs, et rien noblige lEtat ou lemployeur à donner suite aux souhaits exprimés par ces représentants ou à se plier aux résultats de la consultation. Dans certains pays, la négociation collective et la consultation coexistent, mais elles ne peuvent alors fonctionner convenablement que si lon a pris soin den harmoniser les dispositifs. Dans les deux cas, le droit à linformation en matière de sécurité et de santé et le droit à la formation revêtent une importance cruciale. Enfin, ce chapitre tient compte du fait que, dans tout système de relations professionnelles, des différends peuvent survenir, quils soient individuels ou collectifs. Les questions de sécurité et de santé peuvent mener à un conflit en matière de relations professionnelles et entraîner des arrêts de travail. Après une analyse du rôle de linspection du travail dans les relations professionnelles, le chapitre se termine par la description des modes de règlement des différends en matière de relations professionnelles, dont larbitrage, la médiation ou le recours aux tribunaux ordinaires ou aux juridictions du travail.
On identifie habituellement trois acteurs en tant que parties à un système de relations professionnelles: lEtat, les employeurs et les représentants des travailleurs. Il faut maintenant y ajouter les forces qui dépassent ces catégories: les accords dintégration économique régionaux, multilatéraux et autres passés par les Etats et les multinationales en tant quemployeurs qui nont pas une identité nationale, mais peuvent être considérées comme des institutions du marché du travail. Limpact de ces phénomènes sur les relations professionnelles étant encore mal connu à bien des égards, lanalyse portera surtout sur les acteurs traditionnels, en gardant à lesprit les limites dune telle démarche dans une société de plus en plus mondialisée. En outre, il faudrait affiner lanalyse du rôle de la relation demploi individuel dans les systèmes de relations professionnelles et limpact des nouvelles formes de travail.
Depuis toujours, lEtat a exercé une action sur lensemble des relations professionnelles, fût-ce indirectement. Source de la législation, il influence inévitablement lapparition et le développement de tout système de relations professionnelles. Les lois peuvent entraver ou faciliter, directement ou indirectement, la création dorganisations représentant les travailleurs et les employeurs. La législation établit aussi un niveau minimal de protection des travailleurs et fixe «les règles du jeu». Par exemple, elle peut accorder une protection plus ou moins grande aux délégués à la sécurité et à la santé, ou aux salariés qui refusent dexécuter un travail quils ont des motifs valables de considérer comme trop dangereux.
Par lorientation quil imprime à son administration du travail, lEtat pèse aussi sur le fonctionnement du système de relations professionnelles. Sil fait appliquer efficacement la loi grâce à linspection du travail, la négociation collective peut prendre le relais au point où sarrête le droit. En revanche, si linfrastructure étatique permettant de faire valoir des droits ou contribuant au règlement des différends entre employeurs et travailleurs est faible, les parties devront elles-mêmes créer dautres institutions ou mettre au point dautres arrangements.
Lattention que lEtat porte à la mise en place dun mécanisme judiciaire ou autre de règlement des différends peut également influer sur la tournure des relations professionnelles. La simplicité dapplication des droits reconnus aux travailleurs, aux employeurs et à leurs organisations respectives peut se révéler tout aussi importante que les droits proprement dits. En effet, la décision dun gouvernement de créer des juridictions spécialisées ou des instances administratives pour trancher les différends collectifs ou individuels peut signaler la priorité accordée à ces questions dans la société.
Dans de nombreux pays, lEtat joue un rôle direct dans les relations professionnelles. Dans les pays qui ne respectent pas les principes de la liberté syndicale, ce rôle risque de se résumer à dominer purement et simplement les organisations demployeurs et de travailleurs ou à singérer dans leurs activités. LEtat peut tenter dinvalider les conventions collectives quand il y voit un obstacle à ses objectifs de politique économique. Il faut toutefois admettre quen règle générale le rôle de lEtat dans les pays industriels tend à promouvoir des relations professionnelles ordonnées en établissant le cadre législatif indispensable, y compris un minimum de protection pour les travailleurs et des services mis à la disposition des parties en matière dinformation, de conseil et de règlement des différends. Cela peut aller de la simple acceptation des institutions de relations professionnelles et des parties prenantes à lincitation active de ces institutions. Dans quelques pays, lEtat participe activement au système de relations professionnelles, y compris aux négociations tripartites à léchelle nationale. Depuis plusieurs décennies en Belgique et, plus récemment, en Irlande, les représentants gouvernementaux siègent avec ceux des milieux patronaux et syndicaux pour conclure un contrat ou pacte national portant sur une vaste gamme denjeux sociaux et de problèmes liés au travail. Autre exemple: le système de relations professionnelles en Argentine et au Mexique compte depuis longtemps un mécanisme tripartite de fixation du salaire minimum. Lintérêt de lEtat à agir de la sorte réside dans sa volonté dorienter léconomie nationale dans un certain sens et de maintenir la paix sociale pendant la durée du pacte; ces accords bi- ou tripartites créent le «dialogue social» tel quil est pratiqué en Australie (jusquen 1994), en Autriche, en Belgique, en Irlande et aux Pays-Bas, par exemple. Les avantages et les inconvénients de ce que lon appelle lesprit «corporatiste» ou «néocorporatiste» en matière de relations professionnelles ont été largement débattus au fil des ans. Elle-même dotée dune structure tripartite, lOrganisation internationale du Travail prône de longue date une coopération tripartite soutenue, où les «partenaires sociaux» jouent un rôle important dans lélaboration des politiques gouvernementales sur de nombreux sujets.
Dans certains pays, lidée même de voir lEtat intervenir comme négociateur dans des négociations du secteur privé est impensable; tel est le cas en Allemagne ou aux Etats-Unis. Abstraction faite de sa fonction législative, lEtat se limite, en général, dans ce type de systèmes, à aider les parties à conclure une entente, par exemple en offrant des services volontaires de médiation. Actif ou passif, lEtat nen demeure pas moins un partenaire incontournable dans tout système de relations professionnelles. De plus, chaque fois quil est lui-même lemployeur ou quil sagit dune entreprise publique, lEtat participe bien entendu directement aux relations professionnelles avec les salariés et leurs représentants. Dans ce contexte, la motivation de lEtat ressortit à son rôle de prestataire de services publics ou dacteur de la scène économique.
Enfin, limpact des accords dintégration économique régionaux sur les politiques de lEtat se ressent également dans le domaine des relations professionnelles. Les Etats membres de lUnion européenne ont adapté leurs pratiques aux directives concernant la consultation des travailleurs et de leurs représentants, notamment les directives en matière de sécurité et de santé. Des accords commerciaux multilatéraux, comme laccord de coopération dans le domaine du travail conclu dans le cadre de lAccord de libre-échange nord-américain (Canada, Etats-Unis, Mexique) (ALENA), ou les accords relatifs à la mise en uvre du Marché commun du cône sud (Argentine, Brésil, Chili, Paraguay, et Uruguay auxquels se joindra bientôt la Bolivie) (MERCOSUR), contiennent aussi parfois des clauses ou des dispositifs relatifs aux droits des travailleurs qui, avec le temps, peuvent avoir des répercussions indirectes sur les systèmes de relations professionnelles des signataires.
LOrganisation internationale des employeurs (OIE), dont le siège est à Genève, regroupait, en 1996, 118 organisations centrales nationales demployeurs de 116 pays. La structure particulière des organisations affiliées peut différer dun pays à un autre, mais pour pouvoir adhérer à lOIE, elles doivent toutes satisfaire à certaines conditions: être lorganisation la plus représentative des employeurs (des employeurs exclusivement) de leur pays, être une organisation libre, entièrement indépendante, sans contrôle ou ingérence extérieurs daucune sorte; soutenir et défendre le principe de la libre entreprise. On trouve parmi les membres de lOIE des fédérations et des confédérations patronales, des chambres de commerce et dindustrie, des conseils, des associations. Les organisations régionales ou sectorielles ne peuvent en faire directement partie, pas plus que des entreprises particulières, quelles que soient leur taille ou leur importance. LOIE peut se présenter ainsi en porte-parole de lensemble des employeurs, et non de tel ou tel secteur ou de telle ou telle entreprise. La principale activité de lOIE, au demeurant, est de défendre les positions patronales sur les problèmes du travail et les questions sociales au niveau international, cest-à-dire principalement au sein de lOIT institution des Nations Unies chargée de ces questions où elle a un statut consultatif. LOIE a également le statut consultatif (catégorie I) auprès du Conseil économique et social des Nations Unies, où elle intervient lors de lexamen de problèmes qui intéressent les employeurs. LOIE est lune des deux organisations que les entreprises ont constituées pour représenter leurs intérêts au niveau international. Lautre, dont le siège est à Paris, est la Chambre de commerce internationale, qui se préoccupe principalement des questions économiques. De structure très différente, les deux organisations se complètent. Leur coopération est régie par un accord qui définit leurs compétences respectives; elle est favorisée par les bonnes relations quentretiennent leurs représentants et, dans certains cas, par la présence en leur sein des mêmes organisations. Bien des questions chevauchent les mandats de lune et de lautre; elles sont traitées de façon pragmatique, sans nulle friction. Sur dautres sujets, les entreprises multinationales, par exemple, les deux organisations agissent de concert. par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de BIT, 1994) |
Les employeurs au sens de fournisseurs de travail font habituellement lobjet dune distinction dans les systèmes de relations professionnelles en fonction de leur appartenance au secteur privé ou au secteur public. Dun point de vue historique, le syndicalisme et la négociation collective ont dabord pris leur essor dans le secteur privé, mais ces dernières années, le phénomène sest répandu aussi dans de nombreux milieux du secteur public. La situation des entreprises appartenant à lEtat dont le nombre diminue de toute façon dans le monde entier en tant quemployeur varie selon les pays (ces entreprises continuent à jouer un rôle clé en Chine, en Inde, au Viet Nam et dans de nombreux pays africains). En Europe centrale et orientale, lune des gageures du postcommunisme a résidé dans la constitution dorganisations indépendantes demployeurs.
La situation dans le secteur privé se résume comme suit:
Les employeurs ont des intérêts communs à défendre, des causes précises à faire avancer. Les buts quils poursuivent en constituant des organisations déterminent le caractère de celles-ci: chambres de commerce ou dindustrie, associations économiques, organisations patronales (pour les problèmes du travail et les questions sociales) [...] Pour ce qui touche au domaine social droit du travail, négociation collective, salaires et conditions de travail, sécurité et santé au travail, mise en valeur des ressources humaines, les employeurs se regroupent, pour coordonner leur action, dans des organisations de type patronal de nature toujours volontaire [...] (BIT, 1994a).
Certaines organisations demployeurs ont été constituées initialement en réponse à la pression exercée par les syndicats en vue de négocier, mais dautres sinscrivent dans le droit-fil des guildes médiévales ou autres, fondées pour défendre des intérêts commerciaux particuliers. Les organisations demployeurs sont définies comme des associations patronales structurées dont la mission est de défendre et de représenter les employeurs affiliés, de les conseiller et den renforcer la position au sein de la société en général en ce qui concerne les questions de relations professionnelles, par opposition aux questions économiques [...] Contrairement aux syndicats qui sont composés dindividus, les organisations demployeurs sont composées dentreprises (Oechslin, 1995).
Comme la constaté Oechslin, trois fonctions principales (avec un certain chevauchement) sont en général communes à toutes les organisations demployeurs: la défense et la promotion des intérêts de leurs membres, la représentation dans la structure politique et la prestation de services à leurs membres. La première fonction se traduit en grande partie par des pressions exercées sur le gouvernement pour le convaincre dadopter des politiques favorables aux intérêts des employeurs et par des actions visant à influencer lopinion publique, surtout au moyen de campagnes dans les médias. La fonction de représentation peut sexercer dans la structure politique ou les institutions chargées des relations professionnelles. La représentation politique est présente dans les systèmes où la consultation des groupements dintérêts économiques est prévue par la loi (par exemple, en Suisse), où des conseils économiques et sociaux assurent la représentation patronale (par exemple, en France, dans les pays francophones dAfrique et aux Pays-Bas), et où il y a participation à des forums tripartites tels que la Conférence internationale du Travail et dautres activités de lOIT. De plus, les organisations demployeurs peuvent exercer une influence considérable au niveau régional (en particulier dans lUnion européenne).
Le mode de représentation dans le système de relations professionnelles dépend étroitement du niveau de la négociation collective dans un pays donné. Ce facteur détermine aussi en grande partie la structure de lorganisation patronale. Si la négociation est centralisée au niveau national, cela transparaîtra dans la structure interne et le mode de fonctionnement de lorganisation patronale (banque centrale de données statistiques et économiques, création dun système dassurance mutuelle en cas de grève, fort sens de la discipline au sein du groupe, etc.). Même dans les pays où la négociation a lieu au niveau de lentreprise (comme aux Etats-Unis ou au Japon), lorganisation patronale peut procurer à ses membres de linformation, des lignes directrices et des conseils. Bien entendu, la négociation sectorielle (comme en Allemagne où, cependant, certains employeurs se sont récemment dissociés de leurs associations) ou multisectorielle (comme en France ou en Italie) influe aussi sur la structure des organisations patronales.
Quant à la troisième fonction, «il nest pas toujours facile de tracer une ligne de démarcation entre les activités de soutien des fonctions susmentionnées et celles qui sont entreprises dans lintérêt des membres», fait observer Oechslin (1995). La recherche illustre parfaitement cette situation, car elle peut servir à des fins multiples. Dans le domaine de la sécurité et de la santé, les employeurs appartenant aux diverses branches dactivité peuvent utilement partager des données et de linformation. Souvent, des concepts nouveaux ou des réactions à des développements novateurs dans le monde du travail sont le produit dune vaste réflexion au sein des organisations patronales. Ces groupes offrent aussi à leurs membres de la formation sur de nombreux sujets concernant le management et mènent une action sur le plan social, par exemple en favorisant la création dhabitations pour les travailleurs ou en soutenant les activités communautaires. Dans certains pays, les organisations patronales aident leurs membres en cas de saisine des tribunaux du travail.
La structure des organisations demployeurs dépend non seulement du niveau de la négociation, mais encore de létendue du pays, du système politique et, parfois, des traditions religieuses. Dans les pays en développement, le défi principal réside dans lintégration des membres qui forment un groupe très hétérogène pouvant comprendre des petites et moyennes entreprises, des sociétés dEtat et des filiales de multinationales. La force dune organisation patronale correspond aux ressources que ses membres sont disposés à lui consacrer, quil sagisse de cotisations et de contributions, ou de savoir-faire et de temps.
La taille dune entreprise est un facteur déterminant de lapproche en matière de relations professionnelles, lemployeur dont la main-duvre est peu nombreuse étant plus susceptible de recourir à des moyens informels pour traiter avec ses travailleurs. Les petites et moyennes entreprises, dont les définitions varient, se trouvent parfois au-dessous du seuil légal qui commande la participation des travailleurs. Quand la négociation collective se situe au niveau de lentreprise, il y a beaucoup plus de chances den constater lapplication concrète dans les grandes entreprises; quand elle se déroule aux niveaux sectoriel ou national, ses effets se feront généralement sentir là où, historiquement, les grandes entreprises dominent le marché du secteur privé.
En tant que groupes dintérêts, les organisations patronales comme les syndicats sont aux prises avec leurs propres problèmes pour ce qui est du leadership, de la prise de décisions interne et de la participation des membres. Toutefois, les employeurs ayant tendance à être individualistes, il est encore plus difficile pour les organisations patronales de maintenir la discipline parmi leurs adhérents. Comme le signale van Waarden (1995), «en général, les associations patronales comptent des ratios de densité élevés [...] Pourtant, les employeurs ont beaucoup plus de mal à se plier aux décisions et aux règlements pris par leurs associations parce que cela empiète sur la sacro-sainte liberté dentreprise». Les tendances constatées dans la structure des organisations patronales correspondent dans une large mesure à celles du marché du travail pour ou contre la centralisation, pour ou contre la réglementation de la concurrence. Van Waarden poursuit: «quand bien même la pression en faveur dune flexibilité accrue se maintiendrait dans laprès-fordisme, cela ne rendrait pas pour autant les associations patronales superflues ou moins influentes [...] Elles continueront de jouer un rôle important en coulisses pour la coordination des politiques relatives au marché du travail, comme conseillères des entreprises ou des associations sectorielles qui pratiquent la négociation collective». Elles peuvent aussi assurer une fonction de solidarité; par lentremise des associations patronales, les petits employeurs ont accès à des services de conseils ou à des services juridiques qui seraient, sinon, hors de leurs moyens.
Dans le secteur public, les employeurs ne se considèrent comme tels que depuis peu. A lorigine, les gouvernements estimaient que la syndicalisation des fonctionnaires était incompatible avec le service de lEtat souverain. Par la suite, ils ont opposé un refus aux appels à la négociation collective, sous le prétexte que le pouvoir législatif, et non ladministration publique, était le véritable trésorier-payeur et quil était donc impossible à ladministration de conclure une convention. Cependant, ces arguments nont pas empêché des grèves (souvent illégales) de fonctionnaires dans bien des pays; ils ont été peu à peu abandonnés. En 1978, la Conférence internationale du Travail a adopté la convention (no 151) et la recommandation (no 159) sur les relations de travail dans la fonction publique, portant sur le droit des fonctionnaires de sorganiser et sur les procédures de détermination de leurs conditions demploi. La négociation collective dans le secteur public est à présent entrée dans les murs dans de nombreux pays développés (Australie, France, Royaume-Uni), ainsi que dans plusieurs pays en développement (par exemple, dans de nombreux pays francophones dAfrique et des pays dAmérique latine).
Le niveau de représentation de lemployeur dans le secteur public dépend en grande partie du système politique du pays. Dans certains pays, la représentation est centralisée (comme en France), tandis que dans dautres elle correspond aux divers paliers de gouvernement (comme aux Etats-Unis où lune des parties à la négociation peut être le gouvernement fédéral, un Etat fédéré ou une municipalité). LAllemagne présente un cas intéressant: les milliers de collectivités locales ont formé un front commun représenté par un seul agent négociateur chargé de traiter avec les syndicats du secteur public dans tout le pays.
Les employeurs du secteur public faisant partie de lEtat, ils ne sont pas assujettis aux lois exigeant lenregistrement des organisations patronales. La désignation de lagent négociateur dans le secteur public varie considérablement dun pays à un autre; ce peut être une commission de la fonction publique, le ministère du Travail, le ministère des Finances ou nimporte quel autre organe gouvernemental. Les positions adoptées par un employeur du secteur public pour traiter avec ses employés tendent à saligner sur lorientation politique du parti au pouvoir. Cela peut aller dune prise de position donnée dans la négociation au refus catégorique daccorder aux fonctionnaires le droit de se syndiquer. Bien que la fonction publique devienne un employeur beaucoup moins important dans de nombreux pays, on constate malgré tout une ouverture croissante de la part des gouvernements pour entreprendre des négociations et des consultations avec les représentants des salariés.
Selon la définition classique, un syndicat est «une association permanente de salariés ayant pour but de maintenir ou daméliorer leurs conditions demploi» (Webb et Webb, 1920). Les origines du syndicalisme sont aussi anciennes que les premières tentatives daction collective concertée au début de la révolution industrielle. Toutefois, le syndicalisme moderne a vu le jour vers la fin du XIXe siècle lorsque les gouvernements ont commencé à reconnaître lexistence légale des syndicats (auparavant, ceux-ci étaient perçus comme des coalitions illégales entravant la liberté du commerce, ou comme des groupes politiques hors la loi). Les syndicats incarnent la conviction que les travailleurs ne peuvent améliorer leur situation quen unissant leurs forces. Les droits syndicaux sont nés de luttes économiques et politiques dans lesquelles des sacrifices individuels ont été consentis dans limmédiat au profit de gains collectifs à long terme. Les syndicats ont souvent une action importante dans la politique nationale et influent sur lévolution du monde du travail aux niveaux régional et international. Pourtant, leurs rangs se sont clairsemés ces dernières années dans plusieurs pays (en Amérique du Nord et dans certains pays européens), et leur rôle est contesté par plusieurs observateurs (voir figure 21.2). Toutefois, il ne sagit pas dune tendance uniforme dans le monde entier: les effectifs syndicaux augmentent dans la fonction publique de nombreux pays et on assiste à un renouveau du syndicalisme dans des endroits où les syndicats étaient inexistants ou les activités syndicales sévèrement restreintes (par exemple, en Corée, aux Philippines, dans plusieurs pays dEurope centrale et orientale). Lépanouissement des institutions démocratiques va de pair avec lexercice des libertés syndicales, comme le montrent à lévidence le Chili et la Pologne dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Dans plusieurs pays, on peut également constater un mouvement de réforme interne et de réorientation du monde syndical pour diversifier les effectifs et attirer un plus grand nombre de personnes, notamment les femmes. Seul le temps dira si ces efforts et dautres facteurs seront suffisants pour faire contrepoids aux tendances à la «décollectivisation», qualifiée aussi d«atomisation» des relations professionnelles, qui accompagne la mondialisation croissante de léconomie et la poussée de lindividualisme idéologique.
Dans les systèmes contemporains de relations professionnelles, les fonctions remplies par les syndicats et les organisations demployeurs sont, pour lessentiel, les suivantes: défense et promotion des intérêts des membres; représentation politique; prestations de services aux membres. La fonction de représentation des syndicats comporte un autre aspect, le contrôle de leur légitimité qui dépend en partie de leur capacité à maintenir la discipline dans leurs rangs, par exemple lorsquil sagit de déclencher une grève ou dy mettre fin. Pour les syndicats, le défi permanent consiste à renforcer leur représentativité, cest-à-dire le nombre de leurs membres exprimé en pourcentage de la main-duvre recensée dans le secteur structuré. Les membres des syndicats sont des individus dont les cotisations, appelées contributions dans certains systèmes, alimentent les activités syndicales (les «syndicats maison», financés par les employeurs, et les syndicats financés par les gouvernements, comme cétait le cas dans les anciens pays communistes, ne sont pas pris en compte ici, car seules les organisations de travailleurs indépendantes sont de véritables syndicats). En règle générale, laffiliation est une question de choix personnel et volontaire, bien que certains syndicats qui ont réussi à négocier des clauses dexclusivité ou de sécurité syndicale soient tenus pour les représentants de tous les travailleurs visés par une convention collective donnée (par exemple, dans les pays où les syndicats sont reconnus comme les représentants des travailleurs au sein dune unité de négociation définie). Les syndicats eux-mêmes peuvent saffilier à des fédérations ou confédérations au niveau dune branche dactivité ou aux niveaux national, régional ou international.
Les syndicats sont structurés selon divers schémas: par métier ou occupation, par branche dactivité, parfois même par entreprise ou selon quils rassemblent des cols blancs ou des cols bleus. Il existe aussi des syndicats interprofessionnels qui groupent indifféremment les travailleurs de plusieurs métiers ou branches dactivité. Même dans les pays où les fusions de syndicats industriels et de syndicats interprofessionnels sont à lordre du jour, la situation des travailleurs agricoles ou ruraux favorise souvent la mise sur pied de structures spéciales pour ce secteur. En outre, un syndicat est souvent divisé en unités territoriales et en sous-unités régionales et, parfois, locales. Dans certains pays, le mouvement ouvrier a été le théâtre de scissions autour de lignes idéologiques (politique de parti), voire de convictions religieuses, que lon retrouve ensuite dans la structure même du syndicat et chez ses adhérents. Le personnel de la fonction publique tend, pour sa part, à préférer une représentation syndicale distincte des salariés du secteur privé, mais cette règle connaît des exceptions.
Les syndicats peuvent avoir le même statut juridique que les autres associations, mais sont parfois assujettis à des règles spéciales. Dans un grand nombre de pays, les syndicats sont tenus de senregistrer et de donner certains renseignements de base aux autorités (nom, adresse, identité des dirigeants, etc.). Dans certains pays, ces exigences vont au-delà des simples formalités administratives et constituent une ingérence; dans les cas extrêmes de négation des principes de la liberté syndicale, les syndicats ont besoin de lautorisation du gouvernement pour exercer leurs activités. En tant que représentants des travailleurs, les syndicats sont habilités à contracter des obligations au nom de leurs membres. Certains pays (dont les Etats-Unis) exigent préalablement la reconnaissance des syndicats par lemployeur pour toute négociation collective.
La représentation syndicale varie grandement dun pays à un autre et à lintérieur dun même pays. Dans certains pays dEurope occidentale, par exemple, elle est très élevée dans le secteur public, mais assez faible dans le secteur privé, surtout dans le tertiaire. Les taux de syndicalisation des cols bleus dans cette partie du monde sont variés: élevés en Autriche et en Suède, bas en France où, pourtant, le pouvoir politique des syndicats est bien supérieur à ce que le nombre de leurs adhérents laisserait penser. Il existe une certaine corrélation positive entre la négociation centralisée et la syndicalisation, mais elle nest pas absolue.
En tant quassociations volontaires, les syndicats établissent leurs propres règles, dhabitude sous la forme dun acte constitutif et de statuts. Dans une structure syndicale démocratique, les membres choisissent leurs dirigeants syndicaux par scrutin direct ou par lentremise de délégués à une assemblée générale. Les règles qui régissent ladministration interne dun petit syndicat très décentralisé au sein dun groupe professionnel donné seront généralement très différentes de celles qui prévalent dans un grand syndicat centralisé interprofessionnel ou de branche. Le syndicat doit répartir les tâches entre ses dirigeants, les délégués syndicaux rémunérés et les autres, et coordonner le travail. Les ressources financières dont dispose un syndicat varient aussi en fonction de son effectif et de la facilité de perception des cotisations. Linstauration dun système de prélèvement des cotisations syndicales à la source et de versement direct au syndicat simplifie grandement ce problème. Dans la majeure partie de lEurope centrale et orientale, les syndicats qui étaient dominés et financés par lEtat sont en train de se transformer et dêtre rejoints par de nouvelles organisations indépendantes; tous luttent pour prendre leur place et fonctionner avec succès dans la nouvelle structure économique. Les salaires extrêmement bas (et, partant, les faibles cotisations syndicales) qui sont versés dans cette partie du monde et dans les pays en développement où les syndicats sont encadrés par les gouvernements font quil est difficile dy bâtir un mouvement syndical fort et indépendant.
En plus de leur importante fonction de négociation collective, les syndicats mènent une action politique qui, dans de nombreux pays, constitue lune de leurs principales activités. Elle peut prendre la forme dune représentation directe, un certain nombre de sièges leur étant réservés au parlement (par exemple, au Sénégal) ou dans des organismes tripartites qui participent à lélaboration de la politique économique et sociale nationale (par exemple, en Autriche, en France et aux Pays-Bas), ou encore dans des organes consultatifs tripartites en matière de travail et daffaires sociales (par exemple, dans de nombreux pays dAmérique latine et dans certains pays dAfrique et dAsie). Dans lUnion européenne, les fédérations syndicales ont une nette influence sur lélaboration de la politique sociale. Cependant, les syndicats font évoluer les choses en exerçant leur pouvoir (au besoin appuyé par la menace de grèves) et en faisant pression sur les décideurs politiques au niveau national. Les syndicats ont, certes, réussi à obtenir une protection accrue de la loi pour tous les travailleurs dans le monde entier; pourtant, daucuns pensent quil sagit là dune victoire à la Pyrrhus qui saperait, à long terme, leur raison dêtre. Souvent, les objectifs et les enjeux de laction syndicale sur le plan politique dépassent de loin les seuls intérêts du mouvement syndical; ce type de situation a été parfaitement illustré par la lutte contre lapartheid en Afrique du Sud et par la solidarité internationale exprimée par des syndicats dans lensemble du monde, non seulement en paroles mais aussi en actes concrets (par exemple, en organisant avec laide des dockers le boycottage du charbon importé dAfrique du Sud). Il va de soi que le caractère offensif ou défensif de laction syndicale sur le plan politique dépend largement de lorientation prosyndicale ou antisyndicale du gouvernement en place. Il dépend aussi des relations des syndicats avec les partis politiques; certains syndicats, notamment en Afrique, ont pris part à la lutte pour lindépendance de leur pays et entretiennent des liens très étroits avec le parti politique au pouvoir. Dans certains pays, le mouvement syndical entretient traditionnellement des rapports privilégiés avec un parti politique (Australie, Royaume-Uni), tandis quailleurs les alliances se font et se défont au fil du temps. Quoi quil en soit, le pouvoir des syndicats dépasse souvent ce que le nombre de leurs adhérents pourrait laisser supposer, surtout quand ils représentent les travailleurs de la fonction publique ou dun secteur économique clé comme les transports ou les mines.
Outre le syndicalisme proprement dit, on a assisté à lémergence de nombreux autres types de participation des travailleurs visant à assurer une représentation directe ou indirecte des salariés. Ils coexistent parfois avec les syndicats; dautres fois, ils constituent le seul mode de participation ouvert aux travailleurs. Les fonctions et les pouvoirs des représentants des travailleurs aux termes de ces arrangements sont décrits dans larticle «Les formes de participation des travailleurs» du présent chapitre.
La troisième fonction principale des syndicats fournir des services à leurs membres sexerce essentiellement sur le lieu de travail. Un délégué datelier dans une entreprise se trouve sur place pour veiller à ce que les droits reconnus aux travailleurs en vertu de la convention collective et de la loi soient effectivement respectés et, si ce nest pas le cas, pour prendre les mesures qui simposent. Le travail du délégué syndical est de défendre les intérêts des travailleurs face à la direction, ce qui justifie sa fonction de représentation. Cela peut consister à présenter une réclamation individuelle en matière disciplinaire ou au sujet dun licenciement, ou à coopérer avec la direction aux travaux dun comité mixte de sécurité et de santé. Hors du lieu de travail, de nombreux syndicats offrent dautres types davantages, notamment des modalités préférentielles de crédit et la participation à des programmes sociaux. La salle de réunion du syndicat peut également servir à des manifestations culturelles, voire à des cérémonies familiales réunissant un grand nombre dinvités. La vaste gamme des services quun syndicat peut offrir à ses membres reflète sa créativité, les ressources dont il dispose, ainsi que son milieu culturel.
Visser fait observer ce qui suit:
Le pouvoir des syndicats dépend de divers facteurs internes et externes. Nous pouvons établir une distinction entre le pouvoir organisationnel (quelles sources internes de pouvoir les syndicats peuvent-ils mobiliser?), le pouvoir institutionnel (sur quelles sources externes de soutien les syndicats peuvent-ils compter?) et le pouvoir économique (quelles forces du marché font le jeu des syndicats?) (Visser, 1995).
Selon Visser, les facteurs qui contribuent à une forte structure syndicale sont la mobilisation dun nombre important et stable dadhérents bien formés qui paient leurs cotisations (cet effectif correspondant à la composition du marché du travail, pourrait-on ajouter), la capacité déviter la fragmentation de lorganisation et les dissensions dordre politique ou idéologique, ainsi que la mise sur pied dune structure organisationnelle garantissant une présence dans lentreprise tout en centralisant le contrôle des fonds et la prise de décisions. Ce modèle, qui a jusquici bien réussi au niveau national, peut-il sadapter à la mondialisation croissante de léconomie? Cest le défi que les syndicats ont à relever.
Le mouvement syndical international sur le plan mondial, par opposition aux niveaux régional et national, est formé dassociations internationales de fédérations nationales de syndicats. A lheure actuelle, il existe trois internationales syndicales qui sont animées par des tendances idéologiques distinctes: la Confédération internationale des syndicats libres (CISL); la Fédération syndicale mondiale (FSM); la Confédération mondiale du travail (CMT), relativement petite et, à lorigine, chrétienne. La plus importante, la CISL, comptait, en 1995, 174 syndicats affiliés dans 124 pays et représentait 116 millions de syndiqués. Ces groupes font du lobbying auprès des organisations intergouvernementales sur des questions de politique économique et sociale et militent en faveur dune protection des droits syndicaux fondamentaux dans le monde entier. On peut les qualifier de force politique qui appuie le mouvement syndical international. La force du mouvement syndical international réside dans les associations internationales de syndicats organisés habituellement autour dun métier, dune branche dactivité ou dun secteur de lactivité économique. Appelés Secrétariats professionnels internationaux (SPI) ou Unions internationales de syndicats (UIS), ils peuvent être indépendants, affiliés ou contrôlés par les organisations internationales. Traditionnellement, ils sont organisés par secteur, mais aussi, dans certains cas, par catégorie professionnelle (par exemple, les cols blancs) ou par employeur (du secteur public ou du secteur privé). Cest ainsi quen 1995 il y avait en fonction 13 SPI dont les vues étaient alignées sur celles de la CISL et qui étaient répartis dans les secteurs suivants: bâtiment et bois; chimie, mines; énergie; activités commerciales, professionnelles, techniques et de bureau; enseignement; spectacles; alimentation, agriculture, restauration; industries graphiques; journalisme; métallurgie; postes et télécommunications; fonction publique; textile, confection et travail du cuir; transports. Les SPI se concentrent surtout sur des enjeux particuliers aux branches dactivité conflits de travail et salaires et, aussi, application des dispositions en matière de sécurité et de santé. Ils assurent, à leurs syndicats affiliés, des services dinformation, déducation et de formation. Ils contribuent également à coordonner la solidarité internationale entre syndicats de différents pays et ils représentent les intérêts des travailleurs dans divers forums régionaux et internationaux. Laction des SPI est illustrée par la réponse syndicale internationale à la catastrophe de Bhopal, en Inde (fuite de méthylisocyanate, qui a fait des milliers de victimes le 3 décembre 1984. A la demande des syndicats nationaux indiens qui lui sont affiliés, la CISL et la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de lénergie, des mines et des industries diverses ont envoyé une mission denquête à Bhopal pour étudier les causes et les effets de ce dégagement accidentel de gaz. Cette mission a permis détablir un rapport contenant des recommandations pour prévenir ce genre de catastrophe et une liste de principes de sécurité; ce rapport a été utilisé par les syndicalistes de pays industriels comme de pays en développement et a servi à lélaboration de programmes de base visant à améliorer la sécurité et la santé au travail. Source: Rice, 1995. |
La consultation et la participation ne peuvent se révéler efficaces que dans un milieu où le droit des employeurs et des travailleurs de sassocier librement et le droit de leurs organisations respectives de pouvoir représenter efficacement les intérêts de leurs adhérents jouissent dune reconnaissance et dun respect adéquats. Très concrètement, on peut donc voir dans le droit de sorganiser un préalable fondamental de toute stratégie efficace en matière de sécurité et de santé au travail, aussi bien à léchelon national et international que sur le lieu de travail. Cela étant, il convient dexaminer plus attentivement les normes internationales du travail en matière de liberté syndicale, tout en ayant à lesprit la manière dont elles sappliquent à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et à lindemnisation et la réadaptation des victimes. Les normes en matière de liberté syndicale appellent une reconnaissance appropriée, en droit et en pratique, du droit des travailleurs et des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier, et la reconnaissance correspondante du droit de ces organisations, dès quelles sont constituées, de formuler et de mettre en uvre librement leurs programmes daction.
Les droits dassociation et de représentation soulignent aussi la nécessité dune coopération tripartite (gouvernements, employeurs et travailleurs) dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail. Pareille coopération est préconisée dans les activités normatives de lOIT, par exemple:
Le «droit dassociation en vue de tous objets non contraires à la loi aussi bien pour les salariés que pour les employeurs» faisait partie des méthodes et principes stipulés à larticle 41 de la première Constitution de lOIT (art. 427, 2) du Traité de Versailles). A présent, ce principe est expressément reconnu dans le Préambule de la Constitution comme lun des préalables fondamentaux de la justice sociale, elle-même considérée comme le préalable fondamental dune paix universelle et durable. Une reconnaissance expresse est également accordée à ce principe et à celui du tripartisme au paragraphe I de la Déclaration de Philadelphie, annexée à la Constitution en 1946. Cette confirmation constitutionnelle de limportance du respect des principes de la liberté syndicale contribue à asseoir lun des fondements juridiques du pouvoir de la Commission dinvestigation et de conciliation en matière de liberté syndicale et du Comité de la liberté syndicale du Conseil dadministration du BIT douvrir une information concernant les allégations de violation des principes de la liberté syndicale.
Dès 1921, la Conférence internationale du Travail adoptait la convention (no 11) sur le droit dassociation (agriculture), laquelle dispose que les Etats la ratifiant sengagent «à assurer à toutes les personnes occupées dans lagriculture les mêmes droits dassociation et de coalition quaux travailleurs de lindustrie». Cependant, cette convention est muette au sujet des droits à accorder aux travailleurs de lindustrie avec lesquels les personnes occupées dans lagriculture doivent être traitées sur un pied dégalité! Les tentatives amorcées dans les années vingt en vue dadopter un instrument plus général portant sur la liberté syndicale se heurtèrent à lintransigeance des employeurs et des gouvernements, qui exigeaient que le droit de constituer des syndicats et de sy affilier fût obligatoirement assorti du droit corrélatif de ne pas sy affilier. La question a été rouverte tout de suite après la seconde guerre mondiale et réglée par ladoption de la convention (no 84) sur le droit dassociation (territoires non métropolitains), 1947, de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit dorganisation et de négociation collective, 1949.
Les conventions nos 87 et 98 figurent parmi les plus importantes et les plus ratifiées de toutes les conventions internationales du travail: au 31 décembre 1997, la convention no 87 avait été ratifiée par 121 Etats, la convention no 98 par 137. Ensemble, ces deux conventions énoncent ce que lon peut considérer à juste titre comme les quatre éléments clés de la notion de liberté syndicale. Elles sont tenues pour le point de référence de la protection internationale de la liberté syndicale, comme le dénotent par exemple larticle 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et larticle 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans la structure de lOIT, elles forment lassise des principes de la liberté syndicale élaborés et appliqués par la Commission dinvestigation et de conciliation en matière de liberté syndicale et le Comité de la liberté syndicale du Conseil dadministration du BIT, bien que, dun point de vue technique, la compétence de ces organes dérive de la Constitution de lOrganisation plutôt que des conventions. Elles sont aussi au cur des délibérations de la Commission dexperts pour lapplication des conventions et recommandations et de la Commission de lapplication des normes de la Conférence internationale du Travail sur lapplication des conventions et des recommandations.
Il faut comprendre quen dépit de leur rôle de pivot les conventions nos 87 et 98 ne sont nullement les seuls instruments normatifs qui aient été adoptés sous les auspices de lOIT dans le domaine de la liberté syndicale. Au contraire, depuis 1970, la Conférence internationale du Travail a adopté quatre autres conventions et quatre autres recommandations qui traitent de manière plus approfondie des divers aspects des principes de la liberté syndicale ou de leur application dans certains contextes précis:
Les éléments fondamentaux des principes de la liberté syndicale énoncés aux conventions nos 87 et 98 sont les suivants:
Toutes les garanties données par la convention no 87 sont subordonnées à la condition énoncée à larticle 8, 1): «dans lexercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus [...] de respecter la légalité». Cette disposition est elle-même subordonnée à la condition suivante: «la législation nationale ne devra pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention» (art. 8, 2)).
Il convient également de signaler quen vertu de larticle 9, 1) de la convention no 87 il est permis, mais pas obligatoire, de déterminer la mesure dans laquelle les garanties prévues par cette convention sappliqueront aux forces armées et à la police. Larticle 5, 1) de la convention no 98 est identique, tandis que larticle 6 dispose que: «la présente convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires publics et ne pourra, en aucune manière, être interprétée comme portant préjudice à leurs droits ou à leur statut».
Le droit des travailleurs et des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier est la clé de voûte de toutes les autres garanties inscrites dans les conventions nos 87 et 98 et les principes de la liberté syndicale. Ce droit nest assujetti quà la réserve énoncée à larticle 9, 1) de la convention no 87. Autrement dit, il nest pas permis de priver quelque groupe de travailleurs que ce soit, hormis les membres des forces armées ou de la police, du droit de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier. Il sensuit que le refus ou la limitation du droit des fonctionnaires, des travailleurs agricoles, des enseignants, etc., de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier est incompatible avec les dispositions de larticle 2.
Toutefois, le règlement dun syndicat ou dune organisation patronale peut limiter les catégories de travailleurs ou demployeurs habilités à saffilier. Limportant est que cette limitation résulte du libre choix des membres de lorganisation et ne soit pas imposée de lextérieur.
Le droit dassociation prévu à larticle 2 nest assorti daucun droit corrélatif de ne pas sassocier. On se souviendra que les tentatives faites antérieurement visant à adopter une convention générale sur la liberté syndicale ont échoué en raison de lintransigeance des délégués employeurs et de certains délégués gouvernementaux qui exigeaient que le droit de sassocier comportât automatiquement son corollaire, à savoir le droit de ne pas sassocier. Cette question a été soulevée à nouveau lors des débats sur les conventions nos 87 et 98. A cette occasion, un compromis a permis à la Conférence internationale du Travail dadopter une résolution déclarant que la mesure dans laquelle les dispositifs de sécurité syndicale (notamment les arrangements en matière de monopole syndical dembauche («closed shop»), de versement dune cotisation de solidarité pour les travailleurs non syndiqués («agency shop») ou de prélèvement des cotisations à la source sont permis ou sappliquent relève de la pratique et de la réglementation de chaque Etat. Autrement dit, les conventions ne sauraient être interprétées comme autorisant ou comme interdisant le monopole dembauche et les autres clauses de sécurité syndicale, bien que ces mesures soient tenues pour inacceptables quand elles sont imposées par le pouvoir législatif, et non adoptées dun commun accord par les parties (BIT, 1994b; 1995a).
La question la plus délicate concernant larticle 2 est la suivante: jusquà quel point confirme-t-il la notion de pluralisme syndical? En dautres termes, le pouvoir législatif peut-il, sans contrevenir à larticle 2, limiter directement ou indirectement le droit des travailleurs (ou des employeurs) de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier en appliquant des critères administratifs ou législatifs?
Cette question soulève deux ensembles dintérêts contradictoires. Dune part, larticle 2 vise indiscutablement à protéger le droit des travailleurs et des employeurs de choisir lorganisation à laquelle ils souhaitent saffilier et de ne pas saffilier aux organisations dont ils ne partagent pas les vues politiques, confessionnelles ou autres. Dautre part, les gouvernements (et en vérité les syndicats) peuvent soutenir que la multiplication excessive des syndicats et des organisations patronales à laquelle lexercice illimité du libre choix risque daboutir nest pas propice à lépanouissement dorganisations libres et efficaces, ni à létablissement et au maintien de procédures de relations professionnelles ordonnées. Le problème se posait de manière particulièrement aiguë à lépoque de la guerre froide, lorsque les gouvernements cherchaient souvent à restreindre, pour des motifs idéologiques, le choix des syndicats auxquels les travailleurs pouvaient adhérer. Cette question demeure très délicate dans de nombreux pays en développement où les gouvernements, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, veulent empêcher ce quils jugent comme une prolifération excessive des syndicats, en imposant des restrictions quant au nombre ou à limportance de ceux qui peuvent exercer leur activité dans un milieu de travail donné ou dans un secteur précis de léconomie. Les organes de contrôle de lOIT tendent à adopter une attitude assez restrictive: ils autorisent le monopole syndical quand il résulte du libre choix des travailleurs dans le pays en question et admettent ladoption de critères «raisonnables» denregistrement, mais ils désapprouvent fermement tout monopole imposé par voie légale et tous critères «déraisonnables» denregistrement. Ce faisant, les organes de contrôle de lOIT se sont exposés à dinnombrables critiques, en particulier de la part de gouvernements de pays en développement qui les accusent dadopter une approche eurocentriste pour lapplication de la convention; ce reproche renvoie au fait que les préoccupations typiquement européennes en matière de droits de la personne sont réputées incompatibles avec les coutumes de nombreuses cultures non européennes où lintérêt général de la collectivité lemporte sur celui des individus.
Si larticle 2 de la convention no 87 protège le droit fondamental des employeurs et des travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de sy affilier, larticle 3 peut être considéré comme son corollaire logique, qui protège le libre fonctionnement des organisations dès quelles sont constituées.
Larticle 3, 1) précise clairement le droit délaborer, dadopter et dappliquer les statuts et règlements administratifs des organisations et de tenir des élections. Cependant, les organes de contrôle ont accepté quil soit permis aux autorités publiques dimposer des conditions minimales visant la teneur ou ladministration des statuts et règlements «dans le but de protéger les droits des membres en assurant une bonne gestion et en prévenant des complications juridiques qui pourraient surgir en cas dobscurité ou dimprécisions des statuts et des règlements» (BIT, 1994b). Toutefois, si lapplication de ces conditions est trop compliquée ou restrictive, il est probable que celles-ci seront déclarées incompatibles avec les exigences de larticle 3.
Depuis des années, les organes de contrôle ont constamment affirmé que «le droit de grève est un corollaire indissociable du droit dassociation syndicale protégé par la convention no 87» (BIT, 1994b):
La Commission [dexperts] est davis que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux. Ces droits se rapportent non seulement à lobtention de meilleures conditions de travail ou aux revendications collectives dordre professionnel, mais englobent également la recherche de solutions aux questions de politique économique et sociale et aux problèmes qui se posent à lentreprise et qui intéressent directement les travailleurs.
Cest lun des aspects les plus controversés de toute la jurisprudence concernant la liberté syndicale; ces dernières années surtout, il a fait lobjet de critiques vigoureuses de la part des membres employeurs et gouvernementaux de la Commission de lapplication des normes à la Conférence internationale du Travail (voir, par exemple, Conférence internationale du Travail, 80e session, 1993: Compte rendu des travaux, no 25, pp. 10-12 et pp. 58-64; Conférence internationale du Travail, 81e session, 1994: Compte rendu des travaux, no 25, pp. 92-94 et pp. 179-180). Cest pourtant un point solidement ancré dans la jurisprudence sur la liberté syndicale. Ce droit est clairement reconnu à larticle 8, 1) d) du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et a été approuvé par la Commission dexperts dans son Etude densemble de 1994 sur la liberté syndicale et la négociation collective (BIT, 1994b).
Toutefois, il faut bien comprendre que le droit de grève, tel quil est reconnu par les organes de contrôle, nest pas inconditionnel. Tout dabord, il ne sapplique pas aux groupes de travailleurs pour lesquels il est permis de limiter les garanties énoncées à la convention no 87, à savoir les membres des forces armées et de la police. Par ailleurs, il a été décidé que le droit de grève peut être légitimement refusé aux «fonctionnaires publics agissant comme organes de la puissance publique» et aux travailleurs assurant des services essentiels, cest-à-dire ceux «dont linterruption mettrait en danger, dans lensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne». Cependant, toute restriction visant le droit de grève des travailleurs de ces deux catégories doit être assortie de garanties compensatoires, «par exemple de procédures de conciliation et de médiation, aboutissant en cas dimpasse à un mécanisme darbitrage recueillant la confiance des intéressés. Il est impératif que ces derniers puissent participer à la définition et à la mise en uvre de la procédure, qui devrait par ailleurs présenter des garanties suffisantes dimpartialité et de rapidité; les décisions arbitrales devraient avoir un caractère obligatoire pour les deux parties et, une fois rendues, pouvoir être exécutées rapidement et complètement» (BIT, 1994b).
Il est également permis de restreindre temporairement lexercice du droit de grève «dans une situation de crise nationale aiguë». Sur un plan plus général, il est possible dimposer dautres conditions préalables comme la tenue dun vote sur le déclenchement dune grève, lépuisement des procédures de conciliation et ainsi de suite, qui restreignent lexercice du droit de grève. Toutefois, toutes ces restrictions doivent être «raisonnables» et ne pas restreindre considérablement les possibilités daction des organisations syndicales.
Le droit de grève est souvent qualifié dultime carte de la négociation collective. Si larticle 3 est interprété de manière à le protéger, il semble alors raisonnable de présumer que cet article doit aussi protéger la négociation collective proprement dite. Les organes de contrôle ont effectivement adopté ce point de vue à plusieurs reprises, mais en général ils ont préféré fonder leur jurisprudence concernant la négociation collective sur larticle 4 de la convention no 98 (pour une analyse plus détaillée de la jurisprudence de lOIT sur le droit de grève, voir Hodges-Aeberhard et Odero de Dios, 1987; Ben-Israel, 1988).
Lautonomie des organisations demployeurs et de travailleurs est également traitée aux articles 4 à 7 de la convention no 87 et à larticle 2 de la convention no 98. Larticle 4 dispose que ces organisations «ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative». Cela ne signifie pas quil ne soit pas possible dannuler leur enregistrement ou de les dissoudre, par exemple lorsquelles commettent des fautes graves en matière de relations professionnelles ou lorsquelles ne sont pas gérées conformément à leurs statuts; cela signifie que, le cas échéant, toute sanction de cet ordre doit être imposée par un tribunal dûment constitué ou par tout autre organe approprié, et non par décision administrative.
Larticle 5 protège le droit des organisations de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de sy affilier, et le droit de toute organisation, fédération ou confédération de saffilier à des organisations internationales de travailleurs et demployeurs. De plus, selon larticle 6, les garanties énoncées aux articles 2, 3 et 4 sappliquent aux fédérations et aux confédérations de la même façon quelles visent les organisations du premier niveau, et larticle 7 prévoit que lacquisition de la personnalité juridique par les organisations demployeurs ou de travailleurs ne peut être subordonnée «à des conditions de nature à mettre en cause lapplication des dispositions des articles 2, 3 et 4».
Enfin, larticle 2, 1) de la convention no 98 dispose que «les organisations de travailleurs et demployeurs doivent bénéficier dune protection adéquate contre tous actes dingérence des unes à légard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration». En pratique, il paraît peu probable que des syndicats veuillent ou puissent effectivement entraver le fonctionnement interne des organisations demployeurs. En revanche, il est tout à fait concevable que, dans certaines circonstances, des employeurs ou leurs organisations cherchent à simmiscer dans les affaires internes dorganisations de travailleurs par exemple, en les finançant partiellement ou intégralement. Cette éventualité est expressément évoquée à larticle 2, 2):
Sont notamment assimilées à des actes dingérence au sens du présent article des mesures tendant à provoquer la création dorganisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation demployeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens, financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle dun employeur ou dune organisation demployeurs.
Pour que les garanties énoncées aux conventions nos 87 et 98 sappliquent concrètement, il convient que les personnes qui exercent leur droit de constituer des organisations de travailleurs et de sy affilier soient protégées de toutes formes de discrimination ou de représailles et quelles nen soient pas victimes à la suite de leur décision. Cette logique est reconnue à larticle 1, 1) de la convention no 98, lequel dispose en effet que «les travailleurs doivent bénéficier dune protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière demploi». Larticle 1, 2) précise:
Une telle protection doit notamment sappliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de:
a) subordonner lemploi dun travailleur à la condition quil ne saffilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie dun syndicat;
b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de lemployeur, durant les heures de travail.
Les actes de discrimination antisyndicale commis à ces fins comprennent le refus dembauche et le licenciement, ainsi que dautres mesures: «transfert, mutation, rétrogradation, privations ou restrictions de tous ordres (rémunération, avantages sociaux, formation professionnelle)», qui peuvent causer un très grave préjudice au travailleur qui en est victime (voir aussi les articles 5 a), b) et c) de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, ainsi que BIT, 1994b, paragr. 212).
Ainsi, il doit non seulement exister une protection complète contre toute discrimination antisyndicale au sens de la convention no 98, mais, en vertu de larticle 3, il faut aussi disposer de moyens efficaces pour appliquer ces garanties:
Les normes législatives sont insuffisantes si elles ne saccompagnent pas de procédures efficaces et rapides, et de sanctions suffisamment dissuasives pour en assurer lapplication. [...] Lobligation faite à lemployeur de prouver que la mesure alléguée comme antisyndicale était liée à des questions autres que syndicales, ou létablissement dune présomption en faveur des travailleurs constituent des moyens complémentaires pour assurer une protection efficace du droit syndical garanti par la convention. Une législation qui permet, en pratique, à lemployeur de mettre fin à lemploi dun travailleur à condition de payer lindemnité prévue par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié [...] nest pas suffisante au regard de larticle 1 de la convention. La législation devrait également prévoir un mécanisme efficace de mise en uvre des moyens de réparation, la réintégration du travailleur licencié avec dédommagement rétroactif constituant le remède le plus approprié aux actes de discrimination antisyndicale (BIT, 1994b).
La garantie énoncée à larticle 4 de la convention no 98 est interprétée comme protégeant à la fois le droit dengager une négociation collective et lautonomie des parties à la négociation. Autrement dit, le fait de refuser à des employeurs et à des travailleurs le droit dentreprendre une négociation collective sils le désirent est incompatible avec larticle 4; toutefois, il nest pas contraire à la convention de refuser ce droit aux membres des forces armées et de la police, car «la convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires commis à ladministration de lEtat». Non seulement les parties doivent être libres dengager une négociation collective si elles le veulent, mais encore, il faut leur permettre de mener la négociation comme elles le jugent bon et de parvenir à une entente quelles auront elles-mêmes négociée sans ingérence des autorités publiques sous réserve de certains critères liés à «des raisons impérieuses dintérêt national économique» (BIT, 1994b) et de conditions raisonnables quant à la forme, à lenregistrement, etc.
Toutefois, larticle 4 nest pas interprété comme protégeant le droit des syndicats dêtre reconnus aux fins de la négociation collective. Les organes de contrôle ont souligné à maintes reprises que pareille reconnaissance était souhaitable, mais ils se sont abstenus de passer à létape suivante: ils nont pas déclaré que le refus de reconnaître un syndicat ou labsence dun mécanisme pouvant obliger lemployeur à reconnaître le syndicat auquel les salariés sont affiliés constituaient des violations de larticle 4 (BIT, 1994b, 1995a). Ils ont motivé cette interprétation en indiquant que la reconnaissance obligatoire amputerait la négociation collective du caractère volontaire prévu à larticle 4 (BIT, 1995a). On peut répliquer à cela que le droit apparent de pratiquer la négociation collective est inévitablement compromis si les employeurs sont libres de refuser dy participer, nonobstant leur droit de négocier sils le désirent. Par ailleurs, lidée de permettre aux employeurs de refuser de reconnaître les syndicats dont leurs salariés sont membres semble assez difficile à concilier avec le devoir de «promouvoir» la négociation collective qui est manifestement lobjet principal de larticle 4 (Creighton, 1994).
Les normes internationales du travail relatives à la sécurité et à la santé au travail consacrent le concept de participation bi- ou tripartite dans trois contextes principaux: 1) formulation et mise en uvre dune politique nationale; 2) consultation entre employeurs et travailleurs sur le lieu de travail; 3) participation conjointe des employeurs et des travailleurs à la formulation et à la mise en uvre dune politique sur le lieu de travail. La participation effective des employeurs et (surtout) des travailleurs dans ces trois contextes dépend donc absolument dune reconnaissance adéquate de leurs droits dassociation et de représentation.
Le respect du droit de constituer des organisations et de sy affilier est manifestement un préalable fondamental des trois formes de participation conjointe. La consultation et la participation au niveau gouvernemental sont possibles uniquement sil existe des organisations puissantes et efficaces pouvant être considérées comme représentatives des intérêts de leurs membres. Cela est indispensable à la fois pour faciliter la communication et pour amener le gouvernement à prendre au sérieux les opinions exprimées par les représentants des employeurs et des travailleurs. A fortiori, la consultation et la participation dans lentreprise ne constituent une proposition réaliste que si les travailleurs ont le droit de former des organisations et de saffilier à celles qui sont en mesure de représenter leurs intérêts dans les discussions avec les employeurs et leurs organisations, de fournir des ressources pour soutenir les représentants des travailleurs, dintervenir utilement dans les échanges avec les services publics dinspection du travail, etc. Théoriquement, les représentants des travailleurs devraient pouvoir exercer leurs fonctions dans lentreprise sans quil soit nécessaire dentretenir des liens avec une organisation de niveau supérieur, mais les rapports de force dans la plupart des entreprises sont tels que les représentants des travailleurs ont peu de chances de pouvoir exercer leurs fonctions avec efficacité sans le soutien dune telle organisation. En tout état de cause, il faut au moins que les travailleurs puissent se faire représenter et faire valoir leurs intérêts de cette façon sils le souhaitent.
Le libre fonctionnement des organisations demployeurs et de travailleurs est également un préalable fondamental à toute participation significative, et ce, à tous les niveaux. Par exemple, il est indispensable que les organisations de travailleurs aient le droit de formuler et de mettre en uvre, sans ingérence extérieure, leurs politiques en matière de sécurité et de santé au travail, aux fins de la consultation avec le gouvernement concernant: 1) les questions telles que la réglementation des matières et des procédés dangereux; 2) la formulation de la politique législative relative à la réparation des accidents du travail ou à la réadaptation des travailleurs accidentés. Cette autonomie est dautant plus importante dans lentreprise que les organisations de travailleurs ont besoin détablir et de maintenir la capacité de défendre les intérêts de leurs membres dans les discussions avec les employeurs en matière de sécurité et de santé au travail, notamment sur les points suivants: droits daccès aux lieux de travail pour les dirigeants syndicaux ou les spécialistes de la sécurité et de la santé; recours aux autorités publiques et à leur aide dans les situations dangereuses; dans certaines circonstances, lancement dune action syndicale afin de protéger la sécurité et la santé de leurs membres.
Pour être efficace, le libre fonctionnement requiert aussi que les membres et les dirigeants des syndicats bénéficient dune protection suffisante contre toute forme de discrimination ou de représailles motivée par leur affiliation syndicale ou leurs activités syndicales, ou parce quils seraient à lorigine de poursuites judiciaires en matière de sécurité et de santé au travail ou quils y auraient participé. Autrement dit, les garanties contre la discrimination énoncées à larticle 1 de la convention no 98 sont tout aussi pertinentes dans le cas de lactivité syndicale relative à la sécurité et à la santé au travail que pour toutes les autres formes dactivité syndicale comme la négociation collective, le recrutement, etc.
Le droit dengager une négociation collective en toute indépendance est aussi un élément capital de la participation effective des travailleurs en matière de sécurité et de santé au travail. Les garanties énoncées à larticle 4 de la convention no 98 sont importantes dans ce contexte. Toutefois, il convient de répéter quelles ne sétendent pas au droit à la reconnaissance aux fins de la négociation. Dun autre côté, des dispositions comme celles contenues à larticle 19 de la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, peuvent être perçues comme imposant quasiment la reconnaissance syndicale dans les questions relatives à la sécurité et à la santé au travail:
Des dispositions devront être prises au niveau de lentreprise aux termes desquelles:
En pratique, il serait très difficile dappliquer ces dispositions sans accorder une certaine reconnaissance officielle au rôle des organisations de travailleurs. Par conséquent, cette situation met une fois de plus en relief limportance dune reconnaissance adéquate des droits dassociation et de représentation, comme condition préalable de la mise au point et de lapplication de stratégies efficaces en matière de sécurité et de santé au travail, tant au niveau national quà celui de lentreprise.
La négociation collective est le processus par lequel les travailleurs, en tant que groupe, négocient avec leur employeur; elle peut avoir lieu à divers niveaux (entreprise, branche dactivité ou niveau national). Traditionnellement, cette négociation porte sur les salaires, les avantages sociaux, les conditions de travail et un traitement équitable. Elle peut aussi avoir trait à des questions qui ne touchent pas directement les travailleurs occupés dans lentreprise, comme dans le cas de laugmentation des pensions des travailleurs retraités. Il est plus rare que la négociation collective déborde vraiment le cadre du milieu de travail et porte, par exemple, sur la protection de lenvironnement.
Dans une très petite entreprise, les travailleurs en tant que groupe peuvent négocier collectivement avec leur employeur. Ce genre de négociation collective officieuse existe depuis des siècles. Néanmoins, de nos jours, la négociation collective est surtout le fait dorganisations de travailleurs ou de syndicats.
La convention (no 154) de lOIT sur la négociation collective, 1981, en donne une définition très générale à larticle 2:
[...] le terme [...] sapplique à toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur, un groupe demployeurs ou une ou plusieurs organisations demployeurs, dune part, et une ou plusieurs organisations de travailleurs, dautre part, en vue de:
a) fixer les conditions de travail et demploi; et/ou
b) régler les relations entre les employeurs et les travailleurs; et/ou
c) régler les relations entre les employeurs ou leurs organisations et une ou plusieurs organisations de travailleurs.
La négociation collective permet de faire progresser le niveau de vie et daméliorer les conditions de travail, doù son importance. Même si la sécurité et la santé au travail sont régies par la législation nationale de presque tous les pays, la négociation collective constitue souvent le mécanisme dapplication pratique de ces lois sur les lieux de travail. Ainsi, la législation peut prescrire létablissement de comités dhygiène et de sécurité ou de comités dentreprise, mais laisser à lemployeur et à lorganisation de travailleurs le soin den négocier les modalités dapplication.
Malheureusement, la négociation collective est contestée par des employeurs autoritaires et des gouvernements répressifs, et ce, dans des pays développés comme dans des pays en développement. Elle existe rarement dans le secteur non structuré ou dans les petites entreprises traditionnelles. Par conséquent, la majorité des travailleurs dans le monde ne jouit pas des avantages dune réelle négociation collective dans un cadre où les droits des travailleurs sont garantis par la loi.
Il existe une longue tradition daction collective des organisations de travailleurs en faveur de la sécurité et de la santé au travail. En 1775, le chirurgien anglais Percival Pott a dressé le premier constat connu de cancer professionnel le cancer de la peau chez les ramoneurs de Londres (Lehman, 1977). Deux ans plus tard, la guilde des ramoneurs danois ordonnait que lon permette aux apprentis de prendre un bain tous les jours: cest là la première intervention connue dune organisation de travailleurs pour prévenir le cancer professionnel.
Toutefois, la sécurité et la santé furent rarement au cur des premières luttes ouvrières, du moins dune manière explicite. Les travailleurs exerçant des métiers dangereux étaient accablés de problèmes plus pressants, comme les salaires de famine, la durée exténuante du travail et les pouvoirs arbitraires des propriétaires dusines et de mines. Le nombre des accidents et des décès témoignait bien des dangers quotidiens qui guettaient les travailleurs, mais la santé au travail nétait pas un concept très bien compris. Les organisations de travailleurs étaient faibles et constamment en butte aux attaques des propriétaires et des gouvernements. A lépoque, elles avaient pour seul souci de chercher à survivre. En conséquence, les revendications des travailleurs au XIXe siècle ont rarement pris la forme de campagnes pour des conditions de travail plus sûres (Corn, 1978).
Malgré tout, il est parfois arrivé que la sécurité et la santé viennent se greffer sur dautres revendications lors des premières luttes ouvrières. Au XIXe siècle, vers la fin des années vingt, les ouvriers du textile aux Etats-Unis ont commencé à se mobiliser pour obtenir une réduction de la durée du travail. La main-duvre était surtout composée de femmes, comme les dirigeantes des syndicats embryonnaires qui allaient devenir les associations ouvrières féministes de la Nouvelle-Angleterre. Elles avaient fait de la journée de 10 heures pour laquelle elles militaient une question de bien-être général. Mais, lors de leurs dépositions devant lAssemblée législative du Massachusetts, des travailleurs dénoncèrent aussi les effets de journées de 12 à 14 heures de travail, dans des filatures mal aérées, et firent état dune «terrible maladie insidieuse» quils attribuaient à la poussière de coton et à la mauvaise ventilation; ces témoignages figurent maintenant parmi les premiers constats de byssinose. Les travailleurs, hommes et femmes, nobtinrent pas vraiment gain de cause, que ce soit auprès des propriétaires dusines ou du législateur (Foner, 1977).
Dautres actions syndicales engagées à lépoque portaient davantage sur les effets des risques professionnels, plutôt que sur leur prévention. Au XIXe siècle, de nombreux syndicats ont créé des programmes dassistance sociale à lintention de leurs membres, notamment sous forme de prestations versées aux invalides du travail ou aux survivants. Au Canada et aux Etats-Unis, les syndicats de mineurs sont allés plus loin en ouvrant des hôpitaux, des cliniques et même des cimetières pour leurs membres (Derickson, 1988). Pendant que les syndicats tentaient de négocier de meilleures conditions de travail avec les employeurs, en Amérique du Nord, la plupart des mouvements de revendication en faveur de la sécurité et de la santé au travail avaient lieu dans les mines et sadressaient au pouvoir législatif des Etats ou des provinces (Fox, 1990).
En Europe, la situation a commencé à changer vers la fin du XIXe siècle, avec lapparition dorganisations de travailleurs plus puissantes. En 1903, les syndicats français et allemands de peintres lancèrent une campagne contre les risques de la peinture au plomb. En 1911, le syndicat allemand des ouvriers de fabriques établit un programme énergique dhygiène du travail, avec publication de documents à vocation pédagogique sur les risques chimiques; sa campagne pour ladoption de mesures de prévention du cancer du poumon provoqué par les chromates se solda par des changements dans les méthodes de production. Au Royaume-Uni, les syndicats allèrent en justice pour représenter leurs membres qui demandaient réparation et luttèrent pour lamélioration de la législation et de la réglementation. Leurs interventions mirent en évidence linteraction entre la négociation collective en faveur de la sécurité et de la santé et le système dinspection du travail dans les usines. En 1905, par exemple, les syndicats déposèrent 268 plaintes auprès de linspection du travail britannique (Teleky, 1948). Dès 1942, la Confédération patronale suédoise (SAF) et la Confédération suédoise des syndicats (LO) ont conclu un accord national sur le milieu de travail, relatif aux services locaux de sécurité et dhygiène. Cet accord a été revu et élargi à plusieurs reprises; cest ainsi quen 1976 la Fédération des salariés de lindustrie et des services (PTK) sest associée aux deux premières parties à lorigine de cet accord (Joint Industrial Safety Council of Sweden, 1988).
LAmérique du Nord restait à la traîne. Certains grands employeurs ont officiellement institué des programmes internes de sécurité au tournant du siècle (voir Brody, 1960, pour une description de ces programmes dans la sidérurgie, ou encore le complaisant Year Book of the American Iron and Steel Institute for 1914 (AISI, 1915)). Ces programmes étaient très paternalistes et misaient davantage sur la discipline que sur léducation; ils partaient souvent du principe que les travailleurs étaient eux-mêmes responsables des accidents du travail. Des catastrophes, comme le grand incendie à la Triangle Shirtwaist Company où 146 personnes perdirent la vie à New York en 1911, conduisirent les syndicats à faire campagne pour améliorer la situation et aboutirent à ladoption dune législation plus efficace en matière de protection contre les incendies. Il fallut toutefois attendre larrivée de syndicats puissants dans les années trente et quarante pour voir la sécurité et la santé figurer au nombre des grandes revendications ouvrières. Ainsi, en 1942, la constitution adoptée par le Syndicat unifié des travailleurs de la sidérurgie dAmérique (USWA) lors de sa fondation prévoyait que chaque section locale devait établir un comité de sécurité et dhygiène. Vers le milieu des années cinquante, des comités paritaires de sécurité et dhygiène avaient été créés dans la plupart des mines et des manufactures syndiquées et dans de nombreuses autres entreprises du bâtiment et des services; la majorité des conventions collectives comprenaient une section sur la sécurité et lhygiène.
La convention entre la Bethlehem Steel Corporation et lUSWA est un exemple caractéristique daccord conclu dans une grande entreprise syndiquée de lindustrie manufacturière aux Etats-Unis. Les conventions collectives de la sidérurgie contiennent depuis plus de cinquante ans des dispositions sur la sécurité et la santé. Bon nombre des dispositions négociées par le passé accordaient aux travailleurs et au syndicat des droits qui ont ensuite été garantis par la législation. Malgré cela, elles demeurent inscrites dans le texte de la convention: elles protègent ainsi les travailleurs contre toute modification de la législation et permettent au syndicat de soumettre toute infraction à un arbitrage impartial, au lieu daller en justice. La convention conclue avec la Bethlehem Steel Corporation est entrée en vigueur le 1er août 1993 et doit prendre fin le 1er août 1999. Elle concerne 17 000 travailleurs répartis dans six établissements; le document compte 275 pages, dont 17 sont consacrées à la sécurité et à la santé. Larticle 1 du chapitre sur la sécurité et la santé engage lentreprise et le syndicat à coopérer en vue déliminer les accidents et les risques pour la santé. Lentreprise est tenue de garantir la sécurité et la salubrité des lieux de travail, de se conformer à la législation fédérale et à celle des Etats, de fournir gratuitement aux travailleurs léquipement de protection nécessaire; elle doit également informer le syndicat sur la sécurité des produits chimiques et les travailleurs sur les risques des substances toxiques et les moyens de prévention technique. Pour comprendre les risques potentiels, le service central de sécurité et de santé du syndicat a droit à toute information «pertinente et essentielle» dont dispose lentreprise. Cette dernière doit surveiller latmosphère des lieux de travail et les autres facteurs environnementaux à la demande du coprésident syndical du comité de sécurité et de santé de létablissement. Larticle 2 institue des comités paritaires de sécurité et de santé dans létablissement et au niveau national, en établit le règlement, impose la formation de leurs membres, garantit à ces personnes laccès à toutes les parties de létablissement pour faciliter leurs travaux et fixe les modalités de leur rémunération dans lexercice de leurs fonctions. Larticle prévoit aussi le règlement des différends relatifs à léquipement de protection, oblige lentreprise à informer le syndicat de tous les accidents potentiellement invalidants, institue un système denquête paritaire sur les accidents, oblige lentreprise à rassembler certaines données statistiques sur la sécurité et la santé et à les transmettre au syndicat, et établit un vaste programme de formation à la prévention à lintention de tous les salariés. Larticle 3 autorise les travailleurs à se retirer dune situation de travail comportant des risques supérieurs à ceux qui sont «inhérents à lexploitation», et prévoit un mécanisme darbitrage pour régler tout litige portant sur le refus de travailler dans ces circonstances. En vertu de cet article, un travailleur ne peut faire lobjet daucune mesure disciplinaire pour avoir agi de bonne foi et en fonction de faits concrets objectifs, même si une enquête ultérieure révèle quen réalité le risque nexistait pas. Larticle 4 précise que le rôle du comité est consultatif et que, dans lexercice de leurs fonctions officielles, les membres du comité et les dirigeants du syndicat ne sauraient être tenus pour responsables des accidents ou des maladies. Larticle 5 précise que lalcoolisme et la toxicomanie sont des états pathologiques qui se soignent et instaure un programme de réadaptation. Larticle 6 établit un grand programme de prévention des émanations de monoxyde de carbone qui constituent un grave danger au cours de la première transformation du fer et de lacier. Larticle 7 prescrit la remise de bons aux travailleurs pour lachat de chaussures de sécurité. Larticle 8 dispose que lentreprise préservera le caractère confidentiel des dossiers médicaux, sauf dans certaines circonstances limitées. Il précise en outre que les travailleurs peuvent consulter leur dossier médical et le communiquer au syndicat ou à leur médecin traitant. Les médecins de lentreprise sont tenus pour leur part dinformer les travailleurs de toute constatation médicale grave. Larticle 9 instaure un programme de surveillance médicale. Larticle 10 établit un programme denquête et de prévention des risques liés aux terminaux à écran de visualisation. Larticle 11 prévoit la nomination, dans chaque établissement, de délégués à la sécurité; ces délégués sont choisis par le syndicat, mais payés par lentreprise. De plus, une annexe de la convention impose à lentreprise et au syndicat de réviser, dans chaque établissement, le programme de sécurité du matériel roulant sur rails (ce type de matériel sur rails fixes est en effet la cause première des décès par traumatisme dans la sidérurgie américaine). |
On considère généralement la négociation collective comme un processus formel qui se déroule à intervalles réguliers et qui se conclut par une convention écrite entre lorganisation de travailleurs et lemployeur (ou les employeurs). De telles négociations supposent une série de demandes ou de propositions, suivies de contre-propositions et de longues délibérations qui débouchent éventuellement sur la signature dune convention collective, dun protocole dentente, de déclarations conjointes ou de codes de bonnes pratiques établis dun commun accord.
Cependant, on peut aussi considérer que la négociation collective est un processus continu de règlement des problèmes au fur et à mesure quils se posent. Ce genre de négociation a lieu chaque fois quun délégué datelier rencontre un cadre pour régler un différend ou un grief, chaque fois quun comité paritaire de sécurité et dhygiène se réunit pour discuter des problèmes qui se posent dans létablissement, chaque fois quune équipe paritaire patronale-syndicale étudie un nouveau programme dentreprise.
Cest cette souplesse qui est le gage de la pérennité de la négociation collective. Formelle ou non, la négociation repose toutefois sur une condition préalable: pour quelle aboutisse, les représentants respectifs des deux parties doivent être investis du pouvoir de négocier, de conclure un accord et de le faire respecter.
La négociation collective est parfois envisagée comme une épreuve de force au cours de laquelle un gain pour une partie équivaut à une perte pour lautre. Lemployeur verra, par exemple, dans une hausse salariale une menace pour ses profits et dans un accord de non-licenciement une entrave à sa liberté de manuvre. Si la négociation est assimilée à une épreuve de force, le pouvoir relatif ou pouvoir de marchandage des parties devient lélément déterminant le résultat. Pour lorganisation des travailleurs, ce pouvoir se traduit par la capacité darrêter la production au moyen dune grève, dorganiser le boycottage du produit ou du service de lemployeur, ou duser dautres moyens de pression, tout en sassurant de la loyauté de ses membres. Pour lemployeur, le pouvoir réside dans sa capacité de résister à ces pressions, de remplacer les grévistes dans les pays où cela est permis, ou de tenir bon jusquà ce que les travailleurs soient contraints de reprendre le travail aux conditions arrêtées par la direction.
Bien évidemment, dans la grande majorité des cas, les négociations collectives sont couronnées de succès et se terminent sans arrêt de travail. Néanmoins, cest précisément la crainte dun arrêt de travail qui incite les deux parties à parvenir à un règlement. Ce genre de négociation est parfois appelé négociation de positions: au départ, les parties exposent leurs points de vue respectifs, puis elles lâchent du lest et progressent jusquà ce quun compromis soit trouvé, selon le rapport des forces en présence.
Il existe un second modèle dans lequel la négociation collective est qualifiée de recherche mutuelle dune solution optimale (Fisher et Ury, 1981). On présume alors quun accord bien négocié permettra aux deux parties dy trouver avantage. Une augmentation de salaire, par exemple, sera compensée par une amélioration de la productivité. Un accord de non-licenciement pourra inciter les travailleurs à être plus efficaces puisque leur emploi ne sera pas menacé. Ce genre de négociation est dit «à la satisfaction des deux parties» ou «gagnant-gagnant». Limportant, cest que chaque partie comprenne les intérêts de lautre et trouve les solutions les plus avantageuses pour tous. La sécurité et la santé au travail sont souvent tenues pour un sujet idéal de négociation au profit mutuel des parties, car toutes deux ont intérêt à éviter les accidents du travail et les maladies professionnelles.
En pratique, les deux modèles ne sexcluent pas, chacun ayant son importance. Les négociateurs chevronnés chercheront toujours à comprendre leurs vis-à-vis et à trouver les points sur lesquels une convention intelligemment négociée pourrait bénéficier aux deux parties. Toutefois, il est peu probable quune partie sans pouvoir de marchandage puisse atteindre ses objectifs. Il restera toujours des domaines où les parties percevront différemment leurs intérêts et où le meilleur remède restera le maniement de la carotte et du bâton. La négociation de bonne foi réussit le mieux lorsque chaque partie craint le coup de bâton de lautre.
Le pouvoir de marchandage demeure important même dans les négociations sur la sécurité et la santé. Ainsi, une entreprise sera moins disposée à réduire son taux daccidents si elle peut en faire porter les coûts par la collectivité. Sil est possible de remplacer facilement et à bon compte les travailleurs accidentés, sans avoir à leur verser des indemnités substantielles, la direction peut être tentée de se dispenser daméliorer la sécurité, qui peut coûter cher. Cest particulièrement vrai dans le cas des maladies professionnelles à longue période de latence: linstallation de moyens de prévention technique est onéreuse, mais leur utilité ne se manifeste pas avant de nombreuses années. En conséquence, le syndicat aura vraisemblablement plus de succès si les travailleurs peuvent bloquer la production ou faire intervenir un inspecteur de lEtat lorsque les parties ne parviennent pas à se mettre daccord.
Les conventions internationales du travail de lOIT, quelles portent sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, sur le droit dorganisation et de négociation collective ou sur la sécurité et la santé au travail, reconnaissent le rôle des organisations de travailleurs. Ces instruments établissent un cadre international, mais seules la législation et la réglementation nationales garantissent dans la pratique les droits des travailleurs.
Naturellement, le fondement juridique, le niveau et même les modalités de la négociation collective varient selon les pays. La législation de la plupart des pays industriels comporte un système de réglementation de la négociation collective. Même dans lUnion européenne, la réglementation diffère grandement, passant dune approche minimaliste en Allemagne à un cadre beaucoup plus élaboré en France. La portée légale des conventions collectives nest pas non plus la même partout. Dans la plupart des pays, la loi oblige les parties à se conformer aux conventions collectives qui les lient. Par contre, au Royaume-Uni, les conventions sont considérées comme dépourvues de caractère obligatoire, et leur application dépend de la bonne foi des parties, renforcée par la menace dun arrêt de travail. Ces écarts devraient se réduire au fur et à mesure des progrès de lunification de lEurope.
Le niveau de la négociation est lui aussi très différent. Aux Etats-Unis, au Japon et dans la plupart des pays dAmérique latine, la négociation se fait dans chaque entreprise, bien que les syndicats essaient souvent de négocier des conventions «types» avec tous les grands employeurs dune branche. A lautre extrême, lAutriche, la Belgique et les pays nordiques ont tendance à centraliser fortement la négociation; la plupart des entreprises sont régies par une convention-cadre négociée entre des fédérations nationales représentant les syndicats et les employeurs. Les ententes sectorielles portant sur des branches dactivité ou des professions particulières sont courantes dans certains pays, notamment en Allemagne et en France.
Les pays francophones dAfrique tendent à suivre lexemple de la France et à négocier par branche dactivité. Cest aussi le cas dans certains pays anglophones en développement, tandis que dans dautres, plusieurs syndicats négocient au nom de différents groupes de travailleurs dune seule entreprise.
Le niveau de la négociation détermine en partie la portée de la convention collective. En France et en Allemagne par exemple, la convention collective vise habituellement quiconque entre dans la profession ou la branche dactivité où elle sapplique. Par contre, aux Etats-Unis et dans dautres pays où la négociation se déroule au niveau de lentreprise, la convention collective sapplique uniquement aux établissements qui ont reconnu le syndicat comme agent négociateur.
La mesure dans laquelle la loi nationale facilite ou entrave la syndicalisation et la négociation collective est un facteur encore plus important pour déterminer la portée de cette négociation. Dans certains pays, par exemple, les salariés du secteur public ne sont pas autorisés à négocier collectivement. Dans dautres, les syndicats du secteur public connaissent une croissance rapide. Il sensuit que le pourcentage des travailleurs régis par des conventions collectives varie énormément selon les pays: il culmine à près de 90% en Allemagne et dans les pays nordiques, et tombe à moins de 10% dans de nombreux pays en développement.
Le cadre juridique influe également sur la manière dont la négociation collective sapplique à la sécurité et à la santé au travail. Par exemple, la loi américaine sur la sécurité et la santé au travail confère aux organisations de travailleurs le droit à linformation sur les produits chimiques dangereux et autres risques dans létablissement, le droit daccompagner un inspecteur du travail et un droit limité de participation aux poursuites en justice intentées par le gouvernement contre un employeur pour infraction aux normes.
De nombreux pays vont plus loin. La plupart des pays industriels imposent aux entreprises de mettre sur pied des comités dhygiène et de sécurité. La province de lOntario, au Canada, exige la nomination de délégués à la sécurité et à la santé par les travailleurs dans la plupart des lieux de travail, ainsi que leur formation aux frais de lemployeur. La loi sur le milieu de travail adoptée par la Suède dispose que chaque section locale dun syndicat nomme des délégués à la sécurité. Ces délégués ont de larges droits à linformation et à la consultation, mais, surtout, ils sont habilités à suspendre lexécution de tout travail dangereux en attendant la décision de linspection du travail.
Ces lois renforcent la négociation collective en matière de sécurité et de santé au travail. Les comités paritaires obligatoires de sécurité fournissent un mécanisme à lusage de la négociation. La formation donne aux représentants syndicaux les connaissances dont ils ont besoin pour participer efficacement aux travaux des comités. Le droit dinterrompre tout travail dangereux incite les deux parties à éliminer les sources de danger.
En labsence dun mécanisme dapplication, les conventions collectives nont à lévidence quune valeur limitée. La grève est un des moyens dont disposent les organisations de travailleurs pour réagir à une violation présumée de la part de lemployeur; de son côté, lemployeur peut décréter un lock-out et priver les membres de lorganisation de travailleurs de leur emploi jusquà ce que le différend soit réglé. Cependant, la plupart des conventions collectives conclues dans les pays développés reposent sur des modalités dapplication moins conflictuelles. De fait, maintes conventions collectives interdisent tout simplement la grève ou le lock-out pendant toute la durée de leur validité (clauses de non-recours à la grève et obligation de paix sociale). Dautres conventions restreignent lexercice du droit de grève et de lock-out à des situations spécifiques; par exemple, les contrats négociés aux Etats-Unis entre le syndicat unifié des travailleurs de lautomobile et les grands constructeurs automobiles permettent le recours à la grève quand les conditions de travail ne sont pas sûres, mais non pour régler des questions concernant les salaires ou les avantages sociaux pendant la durée de la convention.
Larbitrage est un mécanisme dapplication courant dans les pays développés; les conflits sont renvoyés devant un arbitre impartial choisi dun commun accord par lemployeur et lorganisation de travailleurs. Dans certains cas, les conflits peuvent être tranchés par le système judiciaire tribunaux ordinaires, tribunaux spéciaux du travail ou commissions spéciales. Aux Etats-Unis, par exemple, tout litige concernant linterprétation de la convention est habituellement soumis à larbitrage. Cependant, si la partie déboutée refuse de se conformer à la décision de larbitre, la partie ayant obtenu gain de cause peut sadresser aux tribunaux pour la faire appliquer. Un organisme quasi judiciaire, la Commission nationale des relations professionnelles (National Labor Relations Board), connaît des plaintes relatives aux pratiques de travail déloyales, comme le refus de négocier de bonne foi de la part dune partie. Dans de nombreux autres pays, ce sont les tribunaux du travail qui remplissent ce rôle.
La négociation collective est un processus dynamique dans tous les systèmes de relations professionnelles où elle est pratiquée. En Europe, la situation évolue rapidement. Les pays nordiques se caractérisent par des conventions collectives globales sur le milieu de travail qui sont négociées au niveau national et intégrées dans des lois très élaborées. La syndicalisation est très forte; les conventions collectives et la loi prescrivent la création de comités dhygiène et de sécurité et la nomination de délégués à la sécurité dans la plupart des lieux de travail. Les autres pays européens ne disposent pas de mécanismes de négociation collective aussi pointus en matière de sécurité et de santé et le taux de syndicalisation ny est pas aussi élevé. Les Etats membres de lUnion européenne sont appelés à harmoniser leur législation nationale aux termes de lActe unique européen et de la directive-cadre concernant la sécurité et la santé (Hecker, 1993). Les syndicats cherchent à coordonner leurs efforts, principalement à travers la Confédération européenne des syndicats. Certains signes montrent quen définitive la négociation nationale sera remplacée, ou plus vraisemblablement complétée, par des conventions au niveau européen, quoique cette perspective suscite une forte résistance des employeurs. Le congé parental est le premier exemple de ce type de négociation à léchelle européenne. En matière de sécurité et de santé, le GMB, syndicat des employés municipaux, de la métallurgie et des industries diverses, au Royaume-Uni, a proposé la constitution dun ambitieux fonds paneuropéen du milieu de travail, qui sinscrirait dans la lignée des fonds de ce genre établis dans les pays nordiques.
En Europe centrale et orientale, ainsi que dans les anciens pays membres de lUnion soviétique, les choses changent encore plus rapidement. Sous le régime communiste, la réglementation en matière de sécurité et de santé était très étendue, mais rarement appliquée. Il existait certes des syndicats, mais ils étaient placés sous le contrôle du parti communiste. Dans les entreprises, les syndicats tenaient lieu de services de relations professionnelles contrôlés par la direction, sans aucune négociation bipartite. Les nouveaux syndicats indépendants ont précipité la chute du communisme; parfois, leurs revendications portaient sur les conditions de travail ou des mesures sanitaires aussi élémentaires que la fourniture de savon dans les douches pour les mineurs de charbon. Aujourdhui, les anciens syndicats ont disparu ou luttent pour se reconstituer. Quant aux nouveaux syndicats indépendants, ils sefforcent de se départir de leurs réflexes dorganisations politiques habituées à affronter le gouvernement pour devenir des organisations pratiquant la négociation collective et représentant leurs membres sur les lieux de travail. Les mauvaises conditions de travail qui, souvent, ne cessent de se dégrader vont demeurer une question importante.
Prônant la participation, le perfectionnement permanent et la formation continue des travailleurs, le système japonais encourage effectivement la sécurité et la santé, mais uniquement lorsque celles-ci font explicitement partie des objectifs de lentreprise. La plupart des syndicats japonais nexistent quau niveau de lentreprise; les négociations se déroulent dans un système de consultation permanente (Inohara, 1990). Des comités dhygiène et de sécurité sont établis en application de la loi de 1972 sur la sécurité et lhygiène du travail, telle que modifiée.
Les conventions collectives aux Etats-Unis comportent des dispositions assez détaillées sur la sécurité et la santé, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la sécurité et la santé sont des enjeux importants pour les syndicats nord-américains, comme cest le cas pour leurs homologues dans tous les pays industriels. Toutefois, la législation comporte de nombreuses lacunes par rapport à celle dautres pays, ce qui force les syndicats à négocier des droits et des protections qui sont déjà garantis par la loi ailleurs dans le monde. Par exemple, les comités paritaires dhygiène et de sécurité constituent un important mécanisme de négociation et de coopération au jour le jour entre les travailleurs et les employeurs, mais rien dans la loi des Etats-Unis sur la sécurité et lhygiène en matière demploi nexige la formation de tels comités. Par conséquent, les syndicats doivent négocier pour obtenir leur création, et comme le taux de syndicalisation est faible aux Etats-Unis, la majorité des travailleurs nont pas accès à ces comités. La protection juridique étant peu importante et peu claire, bon nombre de syndicats américains ont dû par ailleurs négocier dans leurs conventions des clauses interdisant toutes représailles contre les travailleurs qui refusent de travailler dans des conditions présentant des risques imminents et sérieux pour leur vie ou leur santé.
Au Canada, la législation diffère dune province à une autre, mais elle est généralement plus contraignante que celle des Etats-Unis. Les syndicats nont pas à négocier pour obtenir la création de comités dhygiène et de sécurité, mais ils peuvent le faire pour les élargir ou leur donner des pouvoirs accrus. La loi mexicaine impose aussi la constitution de comités dhygiène et de sécurité.
Dans les pays en développement, la situation varie. Les organisations de travailleurs du Brésil, de lInde et du Zimbabwe, entre autres, accordent de plus en plus dimportance à la sécurité et à la santé, en organisant des campagnes pour améliorer la législation et en recourant à la négociation collective. Ainsi, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) sest battu pour que le Code national du travail y compris les dispositions sur la sécurité et la santé sapplique aussi dans les zones franches dexportation (voir encadré). Dans bien des régions du monde, les syndicats sont très contrôlés, voire carrément interdits, et la grande majorité des travailleurs des pays en développement nappartient à aucune organisation et ne bénéficie pas de la négociation collective.
Afin de faire modifier la législation et daméliorer les conventions collectives, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU)) a lancé une campagne nationale en faveur des droits des victimes daccidents du travail, qui conjugue des mesures à prendre au niveau national et dans les entreprises. Depuis 1990, la législation du Zimbabwe prévoit létablissement de comités de sécurité, la nomination de délégués à la sécurité et à la santé au travail et de surveillants de la sécurité dans tous les lieux de travail. Le ZCTU insiste pour que les délégués soient élus par les travailleurs. Sa campagne nationale comporte trois revendications: 1. Travail en sécurité. Il sagit de déterminer les risques sur les lieux de travail au moyen denquêtes sur les accidents et de négocier pour obtenir de meilleures conditions. 2. Participation des travailleurs et des syndicats aux questions de santé des travailleurs. Les travailleurs doivent pouvoir élire leurs propres délégués à la sécurité et à la santé, obtenir des informations, par exemple des fiches de données de sécurité et des rapports dinspecteurs du travail, participer aux enquêtes et à létablissement de rapports sur les accidents et les lésions professionnelles (comme cest le cas en Suède). 3. Réparation et prestation de soins adéquats aux victimes daccidents de travail. Ce point sétend à la révision des barèmes dindemnisation. 4. Sécurité de lemploi pour les victimes daccidents du travail. Les représentants syndicaux ont négocié le droit des victimes daccidents du travail de retrouver un emploi et de bénéficier de mesures facilitant leur placement. Pour le ZCTU, le programme de formation visant à accroître la participation réelle des travailleurs à la sécurité et à la santé dans latelier est une étape cruciale dans la prévention des accidents. La formation des représentants des travailleurs a consisté en visites des lieux de travail et en préparation de rapports sur tous les risques identifiés; ces rapports sont dabord communiqués aux travailleurs avant dêtre remis à la direction aux fins de discussion. Une fois en fonction, les délégués syndicaux à la sécurité et à la santé participent aux inspections et veillent à ce que les accidents soient déclarés. Il sagit là dune mesure particulièrement importante dans des secteurs qui, sans cela, seraient inaccessibles, comme lagriculture. Le ZCTU exige également limposition de sanctions plus élevées aux employeurs reconnus coupables dinfractions à la législation relative à la sécurité et à la santé. par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Loewenson, 1992). |
Les organisations de travailleurs et la négociation collective devront relever des défis importants au cours des années à venir. Pratiquement, toute la négociation collective a lieu dans les entreprises, les branches dactivité ou encore au niveau national. Or, la mondialisation de léconomie ne cesse de progresser. En dehors de lEurope, les organisations de travailleurs nont pas encore mis au point des mécanismes efficaces de négociation transfrontalière. La négociation collective multinationale est un objectif prioritaire des fédérations internationales du travail. Le meilleur moyen de la promouvoir passe par des structures syndicales internationales plus fortes et plus efficaces, de solides clauses sociales dans les accords sur le commerce international et des instruments internationaux adaptés à la situation, comme ceux qua mis en place lOrganisation internationale du Travail. Par exemple, la Déclaration de principes tripartite de lOIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale contient des dispositions précises sur la négociation collective, ainsi que sur la sécurité et la santé au travail. De nombreux syndicats nouent des liens directs avec leurs homologues dautres pays pour coordonner leurs négociations et se prêter assistance. Les relations entre les syndicats de mineurs des Etats-Unis et ceux de la Colombie en sont un bon exemple (Zinn, 1995).
Les progrès technologiques et lévolution rapide de lorganisation du travail risquent de balayer les conventions collectives en vigueur. Les organisations de travailleurs cherchent à mettre en place une forme de négociation continue pour faire face aux changements qui affectent les lieux de travail. Elles ont pris conscience depuis longtemps des liens qui existent entre le milieu de travail et lenvironnement. Certains syndicats ont commencé à intégrer les enjeux de lenvironnement dans les conventions collectives et dans les programmes éducatifs quils organisent à lintention de leurs membres. Cest le cas, par exemple, du syndicat des industries manufacturières-sciences-finances (Manufacturing-Science-Finance (MSF)) au Royaume-Uni, qui propose un accord modèle sur lenvironnement.
Lun des buts fondamentaux des syndicats est de mettre les droits de lhomme et le bien-être à labri de la concurrence économique afin dempêcher une entreprise ou une nation dappauvrir ses travailleurs et de les forcer à travailler dans des conditions dangereuses pour sassurer un avantage concurrentiel. La négociation collective est primordiale pour la sécurité et la santé. Pourtant, les organisations de travailleurs, essentielles à la négociation collective, sont en butte à des attaques dans de nombreux pays, quils soient développés ou en développement. Seules leur pérennité et leur vitalité permettront à la plupart des travailleurs de jouir dun meilleur niveau de vie et de meilleures conditions de travail; sinon, ils senfonceront dans le cycle de la pauvreté, des accidents et des maladies.
La coopération entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement pour lélaboration et la mise en uvre de mesures de sécurité et de santé au travail, au niveau national ou régional, est chose courante dans un grand nombre de pays. Il est fréquent également que les groupes dintérêts et les spécialistes participent à ce processus. Cette coopération est très poussée et elle a été institutionnalisée dans plusieurs pays par la création dorganismes de consultation et de collaboration. Ces organismes sont en principe très bien acceptés par tous les acteurs du marché du travail pour lesquels la sécurité et la santé au travail constituent une préoccupation commune et qui attachent une grande importance au dialogue entre les partenaires sociaux, le gouvernement et les autres parties intéressées.
La forme des institutions qui ont été mises sur pied pour faciliter cette coopération varie considérablement. Une approche consiste à établir des organismes consultatifs ad hoc ou permanents pour conseiller le gouvernement sur les questions relatives à la politique de sécurité et de santé au travail. Techniquement, le gouvernement nest pas obligé de suivre les recommandations qui lui sont faites mais, en pratique, il lui est difficile de ne pas en tenir compte.
Une autre approche veut que les partenaires sociaux et les autres parties intéressées coopèrent activement avec le gouvernement au sein des institutions publiques chargées de mettre en uvre la politique de sécurité et de santé au travail. La participation des intervenants non gouvernementaux dans les institutions publiques responsables de ces questions passe normalement par la représentation des organisations demployeurs et de travailleurs et, dans certains cas, dautres parties, au conseil dadministration de linstitution; parfois, la participation sétend à la gestion et même à la réalisation des projets. Dans la plupart des cas, les représentants en question sont nommés par le gouvernement sur recommandation des parties représentées; dans dautres, les organisations de travailleurs et demployeurs ont le droit de nommer directement leurs représentants. Les organes au niveau national (ou de la région, de lEtat ou de la province) sont normalement dotés de structures ou de dispositifs intéressant la branche dactivité, lentreprise ou létablissement.
La constitution dorganismes consultatifs chargés de conseiller le gouvernement sur lélaboration des politiques et des normes est sans doute la forme la plus courante de coopération. On en trouve des exemples très divers de la version modeste nécessitant peu de ressources, aux approches plus institutionnalisées qui en appellent de plus considérables. Les Etats-Unis sont un bon exemple dun pays retenant une approche restrictive. Au niveau fédéral, la Commission consultative nationale de sécurité et dhygiène du travail (National Advisory Committee on Occupational Safety and Health), établie en vertu de la loi de 1970 sur la question, est le principal organe consultatif permanent. Cette commission comprend des représentants des employeurs et des salariés, des spécialistes de la sécurité et de lhygiène du travail, ainsi quun représentant de lintérêt général qui assure la présidence. La Commission est chargée de faire des recommandations au secrétaire au travail et au secrétaire à la santé et au bien-être. En pratique, toutefois, la Commission ne sest pas réunie souvent. Ses membres ne sont pas rémunérés et le secrétariat au travail finance, sur son budget, les services dune personne chargée du secrétariat général et, au besoin, dautres services de soutien. Les frais de fonctionnement de cette commission sont donc très modiques, bien que les contraintes budgétaires actuelles menacent même ces services de soutien. Un organe permanent similaire, le Conseil consultatif fédéral de la sécurité et de la santé au travail (Federal Advisory Council on Occupational Safety and Health), a été établi en juillet 1971, aux termes du décret-loi 11612; il a pour mission de conseiller le secrétaire au travail sur les sujets concernant la sécurité et la santé des travailleurs fédéraux.
La loi de 1970 sur la sécurité et lhygiène du travail prescrit aussi létablissement de comités consultatifs spéciaux pour aider à lélaboration des normes. Ces comités sont nommés par le secrétaire au travail et se composent de quinze membres au maximum, dont un ou plusieurs sont désignés par le secrétaire à la santé et au bien-être. Chaque comité doit comprendre un nombre égal de représentants des organisations de travailleurs et demployeurs. Le secrétaire au travail peut aussi nommer un ou plusieurs représentants des organismes responsables de la sécurité et de lhygiène dans les Etats fédérés, ainsi que des experts, par exemple des représentants des organisations professionnelles de techniciens ou de spécialistes de la sécurité et de la santé au travail, ou dorganisations nationales de normalisation. On recourt abondamment à ces comités qui demeurent parfois en exercice durant plusieurs années pour remplir leur mandat. Les réunions peuvent être fréquentes, selon la nature des travaux à accomplir. Bien que les membres de ces comités ne soient en principe pas rémunérés, le secrétaire au travail leur rembourse leurs frais de déplacement sur une base raisonnable et paie les services de soutien comme par le passé. Des comités ont ainsi été constitués pour élaborer des normes sur lagriculture, les poussières damiante, les substances cancérogènes, les émissions des fours à coke, les risques de contamination cutanée, létiquetage des produits dangereux, les contraintes thermiques, les installations des terminaux maritimes, le bruit, la sécurité et la santé des dockers, lemploi sur les chantiers navals, le montage des structures dacier, etc.
Dautres comités spéciaux du même type établis aux termes de lois analogues relèvent du secrétaire au travail. Cest notamment le cas des comités établis en application de la loi fédérale de 1977 sur la sécurité et la santé dans les mines. Malgré tout, les coûts liés à la constitution et au fonctionnement de ces comités restent plutôt modestes: frais administratifs réduits; infrastructure légère; participation bénévole des intervenants externes; dissolution du comité dès la fin de son mandat.
Dautres pays ont adopté des formes plus élaborées et institutionnalisées de consultation. Ainsi, aux Pays-Bas, le Conseil du milieu de travail est lorganisme supérieur établi en application de la loi de 1990 sur le même sujet. Sur demande ou de son propre chef, le Conseil donne des avis au ministère des Affaires sociales et de lEmploi et fait part de ses observations concernant les nouveaux projets de loi; il peut aussi proposer une nouvelle politique ou une nouvelle mesure législative. Il est également appelé à se prononcer sur loctroi des subventions et des bourses de recherche sur le milieu de travail, sur les autorisations dexemption, sur la formulation des directives gouvernementales et sur la politique de linspection du travail. Le Conseil comprend huit représentants des organisations centrales demployeurs, huit des organisations centrales de travailleurs et sept des organismes gouvernementaux. Seuls les représentants des employeurs et des travailleurs ont le droit de vote et la présidence du Conseil est confiée à une personne indépendante. Le Conseil se réunit tous les mois. Il a établi une quinzaine de comités de travail sur des sujets spécifiques; de plus, des groupes de travail ad hoc sont constitués au besoin sur des questions plus précises. Les experts externes jouent un rôle important au sein des comités et des groupes de travail; ces organes préparent des rapports et des documents qui sont examinés lors des réunions du Conseil et forment souvent la base des positions que celui-ci adoptera par la suite. Le Conseil présente des recommandations générales qui sont publiées. Le plus souvent, les parties essaient de parvenir à un consensus; les opinions dissidentes sont transmises au ministre des Affaires sociales et de lEmploi. Plus dune centaine de personnes participent aux travaux du Conseil et à ceux de ses organes affiliés; le Conseil mobilise dimportantes ressources administratives et financières.
Dautres organismes consultatifs de moindre envergure existent aux Pays-Bas et traitent de questions plus spécifiques de sécurité et de santé au travail. On peut notamment citer la Fondation pour le milieu de travail dans le bâtiment, la Fondation pour les soins de santé en agriculture, la Commission pour la prévention des catastrophes causées par les substances dangereuses et la Commission de linspection du travail et de la politique dapplication.
Parmi les autres pays dotés dorganismes consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites chargés de faire des recommandations sur les politiques et les normes de sécurité et de santé au travail figurent le Canada (Comités spéciaux sur la réforme législative et létablissement des normes, au niveau fédéral; Forum pour laction en matière de santé et de sécurité au travail, en Alberta; Comité directeur mixte sur les substances dangereuses utilisées en milieu de travail, en Ontario; Comité consultatif pour la prévention des dorsalgies, à Terre-Neuve; Comité de sécurité et de santé au travail, à lîle du Prince-Edouard; Conseil consultatif sur la sécurité et la santé au travail, au Manitoba; Conseil de la sécurité et de la santé au travail, dans la Saskatchewan; Forum pour la sécurité dans la foresterie, en Colombie-Britannique). On peut aussi ajouter le Danemark (Conseil du milieu de travail); la France (Conseil central pour la prévention des risques professionnels et Commission nationale de lhygiène et de la sécurité du travail en agriculture); lItalie (Commission consultative permanente pour la prévention des accidents du travail et la santé au travail); lAllemagne (Conseil consultatif auprès de lInstitut fédéral de la sécurité et de la santé au travail); et lEspagne (Conseil général de lInstitut national pour la sécurité et la santé au travail).
Dans plusieurs pays, des organismes bipartites, tripartites ou multipartites collaborent aussi à lapplication de la politique. Il sagit habituellement dinstances publiques qui regroupent des représentants des employeurs et des travailleurs et, dans certains cas, dautres personnes ou groupes dintérêts, et qui élaborent la politique et la mettent en uvre. Normalement, ces organismes sont dune taille beaucoup plus importante que les comités, commissions ou conseils consultatifs et sont responsables de lapplication de la politique gouvernementale; ils gèrent souvent des budgets importants et disposent dun nombreux personnel.
La Commission de la sécurité et de la santé (Health and Safety Commission (HSC) du Royaume-Uni), établie aux termes de la loi de 1974 sur la sécurité et lhygiène au travail, est un bon exemple de ce genre dorganisme. Elle sassure que des mesures adéquates sont prises pour garantir la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs, protéger la population contre les risques professionnels, contrôler lentreposage et lutilisation des explosifs, des produits hautement inflammables et autres substances dangereuses, et limiter lémission de substances nocives ou sensibilisantes en milieu de travail. Cette commission relève du secrétariat dEtat à léducation et à lemploi, mais rend également compte à dautres secrétariats dEtat commerce et industrie, transports, environnement et agriculture. Elle est composée de 9 personnes, toutes nommées par le secrétaire dEtat à léducation et à lemploi: un président, 3 membres nommés après consultation de lorganisation demployeurs la plus représentative, 3 membres nommés après consultation de la principale centrale syndicale, et 2 membres nommés après consultation dassociations dautorités locales.
La commission est assistée de plusieurs organismes subsidiaires (voir figure 21.3), dont le plus important est la Direction de la sécurité et de la santé (Health and Safety Executive (HSE)), organe statutaire distinct dirigé par trois personnes nommées par la commission avec lapprobation du secrétaire dEtat à léducation et à lemploi. Cet organe est chargé de lexécution des tâches de la commission, notamment lapplication des normes établies en vertu de ladite loi de 1974 sur la santé et la sécurité et exerce dautres fonctions qui lui sont déléguées par la commission. Les autorités locales assument aussi des responsabilités relatives à lapplication de certains volets de la législation en matière de sécurité et de santé. De plus, plusieurs comités consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites, selon le cas, assistent la commission dans ses travaux. Ces comités sont organisés soit par sujet détude: substances toxiques, agents pathogènes virulents, substances dangereuses, modifications génétiques, santé au travail, émissions dans lenvironnement, installations nucléaires et rayonnements ionisants, soit par branche dactivité: agriculture, céramique, construction, enseignement, fonderies, santé, pétrole, papier et carton, imprimerie, transports ferroviaires, caoutchouc, coton et textiles. Les comités par sujet à caractère multipartite comptent de 12 à 18 membres et un président; ils comprennent souvent des experts ainsi que des représentants des organisations centrales de travailleurs et demployeurs, du gouvernement et dautres groupes dintérêts. Pour leur part, les comités par branche dactivité sont surtout bipartites et comprennent une dizaine de membres représentant en nombre égal les organisations centrales de travailleurs et demployeurs, la présidence étant assurée par un représentant du gouvernement. La HSC et le HSE disposent de ressources considérables. En 1993, ils employaient 4 538 personnes et avaient un budget de 211,8 millions de livres sterling.
On trouve au Canada dautres exemples dorganismes ayant vocation de collaboration. Au niveau fédéral, le Centre canadien dhygiène et de sécurité au travail est la principale source canadienne dinformation sur le sujet. Outre cette fonction dinformation, le Centre semploie à promouvoir la santé et la sécurité en milieu de travail, encourage létablissement de normes strictes en la matière et contribue à lélaboration de programmes et de politiques visant à réduire ou à éliminer les risques professionnels. Le Centre a été institué en application dune loi adoptée par le parlement en 1978; il est doté dun organe directeur tripartite qui en garantit limpartialité en matière de sécurité et de santé au travail et lobjectivité sur le plan de linformation. Cet organe directeur comprend un président et 12 gouverneurs, dont 4 représentent le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, 4 les syndicats, et 4 les employeurs. Le Centre dispose dimportantes ressources humaines et financières; en 1993, ses dépenses ont totalisé environ 8,3 millions de dollars canadiens.
Il existe aussi dans les provinces des organismes ayant vocation de collaboration. Au Québec, les deux plus importants sont la Commission de la santé et la sécurité au travail (CSST) et lInstitut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST). La CSST remplit deux fonctions. La première est délaborer et de mettre en uvre la politique de santé et de sécurité au travail, y compris létablissement et lapplication de normes, et dassurer les services suivants: soutien à la réalisation de programmes de prévention et à la concrétisation de mécanismes de participation et de services de santé; formation, information et recherche. La deuxième consiste à indemniser les victimes daccidents du travail et à gérer le fonds dassurance établi dans ce but, auquel les employeurs sont tenus de contribuer. La CSST, qui a été instituée en vertu dune loi adoptée en 1981 et qui a remplacé la Commission des accidents du travail fondée en 1931, est dotée dun conseil dadministration bipartite composé de 7 représentants des travailleurs, de 7 représentants des employeurs et dun président. Les représentants des employeurs et des travailleurs sont choisis sur les listes proposées par les organisations les plus représentatives des deux parties. La CSST gère dimposantes ressources humaines et financières; à la fin de 1992, elle comptait 3 013 employés permanents et 652 employés temporaires, et ses dépenses sélevaient à 2 151,7 millions de dollars canadiens.
LIRSST, fondé au Québec en 1980, a pour mandat de contribuer, par la recherche scientifique, à la détermination et à lélimination des risques sur les lieux de travail, ainsi quà la réadaptation des travailleurs victimes daccidents du travail. Le conseil dadministration de lInstitut est le même que celui de la CSST, bien quil sagisse dune institution indépendante. LInstitut compte aussi un conseil scientifique consultatif composé de 4 représentants des organisations de travailleurs, de 4 représentants des organisations demployeurs, de 6 représentants de la communauté scientifique et technique, et de son directeur général. En 1992, les dépenses de lInstitut, qui employait 126 personnes, étaient de 17,9 millions de dollars canadiens.
En Ontario, lAgence pour la santé et la sécurité au travail, fondée en 1990 aux termes dun amendement à la loi sur la santé et la sécurité au travail, est également chargée délaborer et de mettre en uvre la politique de prévention de cette province et den gérer les programmes. Son conseil dadministration bipartite comprend 18 personnes: les organisations de travailleurs et les organisations demployeurs y ont respectivement 9 représentants. Un représentant de chacune des deux parties assume la fonction de coprésident-directeur général. Lagence dispose dimportantes ressources: 64,9 millions de dollars canadiens en 1992.
La Suède avait une longue tradition dorganismes de collaboration dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, mais en 1992 elle a décidé de rejeter cette forme dorganisation au profit dorganismes consultatifs. Précisons que cette réforme ne se limitait pas à la sécurité et à la santé au travail, mais quelle visait aussi tous les organismes ayant vocation de collaboration dans lesquels les représentants des organisations de travailleurs et demployeurs avaient un pouvoir de décision au niveau national. Cest la principale organisation demployeurs qui a été à lorigine du changement en décidant unilatéralement de se retirer des institutions publiques ayant vocation de collaboration. Pour elle, les groupes de pression ne doivent exercer aucune responsabilité politique dans la gestion des institutions publiques et doivent laisser au parlement et au gouvernement ce rôle et cette responsabilité politiques. Elle estimait en outre que la fonction de toute organisation demployeurs est de représenter les intérêts de ses membres, intérêts qui peuvent être en contradiction avec ceux des institutions publiques dès lors que cette organisation est représentée aux conseils dadministration de ces institutions et que sa participation a pour effet daffaiblir la démocratie et nuit au développement des institutions publiques. Les organisations de travailleurs ne partageaient pas ce point de vue, mais le gouver-nement a conclu que, sans représentation de la principale organisation demployeurs, les organes à vocation de collaboration navaient plus de raison dêtre; il a donc décidé que les travailleurs, les employeurs et autres groupes de pression seraient représentés uniquement par des organismes consultatifs. Par conséquent, les anciens organismes soccupant de prévention, notamment la Commission nationale de la sécurité et de la santé au travail, lInstitut national de la santé au travail et le Fonds pour la vie active, qui étaient auparavant dotés dorganes de contrôle tripartites ou multipartites, ont été restructurés.
Bien que dans la plupart des pays, les organismes de collaboration soient plus rares que les organismes consultatifs, la suppression des institutions suédoises du premier type, tout au moins dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, semble être un cas isolé. Au Royaume-Uni, si certaines de ces institutions, notamment celles qui soccupaient de politique économique, de formation et demploi, ont été démantelées au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix par les gouvernements conservateurs successifs, la HSC na pas été touchée. Certains voient dans cette décision le fait que la sécurité et la santé au travail préoccupent autant les organisations demployeurs et de travailleurs que le gouvernement et les autres parties intéressées et que tous ont intérêt à sentendre sur lélaboration et lapplication de la politique y relative. Au Canada, des organismes ayant vocation de collaboration ont été créés au niveau fédéral et dans certaines provinces, précisément parce que lon a jugé cette approche plus propice à la conclusion dun accord entre les acteurs du marché du travail, et parce que lapplication des lois sur la sécurité et la santé au travail paraîtrait ainsi plus juste et plus impartiale aux intéressés.
Sur un plan plus général, il existe cependant deux organismes consultatifs nationaux qui soccupent aussi de sécurité et de santé au travail, mais dans le cadre de leurs vastes mandats respectifs: en effet, ils sont appelés à se prononcer sur toutes les grandes questions sociales et économiques dimportance nationale. Aux Pays-Bas, la Fondation du travail, instituée en mai 1945, est un organisme bipartite géré conjointement par un nombre égal de représentants des organisations centrales demployeurs et de travailleurs (y compris les agriculteurs) et joue un rôle consultatif important auprès du gouvernement. Historiquement, sa principale fonction est de soccuper des questions de politique salariale, mais elle fait également valoir son point de vue sur dautres conditions de travail. Le deuxième organisme consultatif national denvergure aux Pays-Bas est le Conseil économique et social, qui a été fondé en 1950 en vertu de la loi sur lorganisation de lindustrie. Ce conseil tripartite comprend 15 représentants des organisations centrales patronales, 15 représentants des centrales syndicales et 15 experts indépendants. Les représentants des employeurs et des travailleurs sont nommés par leurs organisations respectives, tandis que les experts indépendants le sont par lEtat. En procédant à ces nominations, lEtat sefforce de maintenir un juste équilibre entre les principaux partis politiques. Le Conseil est indépendant du gouvernement; il est financé par un impôt payé par les employeurs. Il dispose dun budget de plusieurs millions de dollars E.-U. et de son propre secrétariat général. Le Conseil se réunit normalement une fois par mois; il est assisté de plusieurs comités permanents et spéciaux, souvent à composition tripartite. Le gouvernement est légalement tenu de soumettre à lavis du Conseil tous les projets de loi portant sur des questions socio-économiques et sur la législation du travail, dont font partie les propositions relatives à la sécurité et à la santé au travail.
Ajoutons enfin quun certain nombre de pays exigent que des comités dhygiène et de sécurité soient constitués, ou quils puissent lêtre, dans les entreprises qui emploient plus dun certain nombre de salariés. Ces comités sont bipartites et comprennent des représentants des employeurs et des travailleurs. Ils ont normalement pour fonction détudier et de proposer les voies et moyens permettant de contribuer activement à la concrétisation des mesures visant à garantir les meilleures conditions de sécurité et de santé possibles dans létablissement; ce rôle peut comprendre la promotion et la surveillance des conditions de sécurité et de santé dans lentreprise afin de veiller, entre autres, au respect des lois et règlements en vigueur. Ces comités mixtes ont normalement un caractère consultatif. La loi impose la création de comités de sécurité et de santé en Allemagne, en Belgique, au Canada, en Espagne, en France et aux Pays-Bas, par exemple.
Lexpression participation des travailleurs est très large et englobe diverses formes de participation à la prise de décisions, habituellement au niveau de lentreprise. Elles sajoutent à dautres formes de participation dans la branche dactivité et au niveau national, par exemple au sein des organismes de coopération tripartites. Les modalités de la participation des travailleurs diffèrent grandement selon leurs fonctions et leurs pouvoirs, qui vont de la simple suggestion dun employé à la cogestion de certaines activités par les représentants des travailleurs et la direction. Les mécanismes utilisés pour stimuler la participation des salariés varient tellement quil est impossible de les passer ici tous en revue. Nous nous limiterons aux principales formes de participation qui ont suscité de lintérêt ces derniers temps, particulièrement dans le domaine de lorganisation du travail; on peut y ajouter lexemple historique de lautogestion telle quelle était pratiquée par les travailleurs dans lancienne Yougoslavie. Particulièrement pertinents de nos jours, les comités mixtes de sécurité et de santé sont examinés comme une forme particulière de participation des travailleurs dans le contexte plus large des relations professionnelles.
Lidée de la participation des travailleurs est née en Europe, où la négociation collective se déroule habituellement par branche ou par industrie; auparavant, cette situation laissait souvent un vide sur le plan de la représentation des travailleurs au niveau de lentreprise ou de létablissement, vide que les conseils dusine, les comités de travailleurs, les comités dentreprise, etc., ont comblé. De nombreux pays en développement ont également adopté des dispositions législatives en vue de se doter de comités dentreprise ou de structures similaires (Pakistan, Thaïlande, Zimbabwe, par exemple) pour promouvoir la coopération entre la direction et les travailleurs. Les relations entre ces comités et les syndicats et la négociation collective ont donné lieu à nombre de négociations et à un travail législatif important. Larticle 5 de la convention (no 135) de lOIT concernant la protection des représentants des travailleurs dans lentreprise et les facilités à leur accorder, 1971, reflète cette situation: «lorsquune entreprise compte à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus, des mesures appropriées devront être prises [...] pour garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats [...].»
Les travailleurs peuvent participer directement à la prise de décisions, ou indirectement par lentremise de leurs représentants syndicats ou représentants élus. A compter des années quatre-vingt, la participation directe des travailleurs sest développée, pour peu que lon comprenne la participation comme un moyen dinfluer sur le travail ou sur la façon dont il doit être exécuté. Ainsi, les travailleurs peuvent «participer» à des décisions concernant le travail même quand létablissement nest pas doté dun organe établi à cet effet, un cercle de qualité par exemple. En conséquence, un simple exercice denrichissement des tâches peut constituer une forme de promotion de la participation directe des travailleurs.
La participation directe peut intervenir sur le plan individuel par exemple, dans le cadre de programmes de suggestions ou denrichissement des tâches. Elle peut aussi se faire en groupe comme dans les cercles de qualité ou des groupes analogues restreints. Le travail en équipe constitue en soi une forme de participation directe de groupe. La participation directe peut être intégrée dans la prise de décisions concernant le travail de tous les jours, ou se faire en dehors du quotidien, notamment en cas dadhésion volontaire à un cercle de qualité qui se démarque de la structure de groupe utilisée habituellement. La participation directe peut aussi revêtir un caractère «consultatif» ou «délibératif». Dans une étude, la Fondation européenne pour lamélioration des conditions de vie et de travail sest penchée de manière relativement approfondie sur cette facette particulière de la participation directe (Regalia et Gill, 1996). La participation consultative encourage les travailleurs à sexprimer à titre individuel ou collectif, et elle leur en donne les moyens, mais il appartient à la direction daccepter ou de rejeter leurs propositions. La participation délibérative confie aux salariés certaines responsabilités traditionnelles de la direction, comme cest le cas pour le travail en équipe ou les groupes de travail semi-autonomes dans lesquels certains pouvoirs sont délégués aux travailleurs.
Lexpression comités dentreprise désigne des organes de représentation des travailleurs, dordinaire au niveau de létablissement, mais aussi à des niveaux supérieurs (société, groupe de sociétés, branche dactivité, Union européenne). La relation avec les syndicats est souvent définie par la loi ou précisée dans la convention collective, mais il arrive parfois que des tensions persistent entre ces institutions. Le recours aux comités dentreprise, parfois appelés conseils dentreprise, conseils dusine, comités de travailleurs, comités de coopération, etc., est très répandu; cest une pratique bien ancrée dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en France et aux Pays-Bas; sous limpulsion de la directive 94/45/CE de 1994 sur les comités dentreprise européens, on peut sattendre à ce quelle se développe encore au sein des grandes entreprises de cette région. Plusieurs pays dEurope centrale et orientale, dont la Hongrie et la Pologne, ont adopté des lois qui favorisent linstauration de comités dentreprise. Ces comités existent également dans certains pays dAfrique, dAmérique latine et dAsie; par exemple, la réforme du droit du travail entreprise en Afrique du Sud après labolition de lapartheid porte en partie sur linstauration dun régime particulier de comités dentreprise, parallèlement aux structures syndicales.
Cest lAllemagne qui offre le meilleur exemple des prérogatives qui peuvent être accordées aux comités dentreprise, bien quà certains égards il sagisse dun cas unique. Weiss (1992) décrit les comités dentreprise dans ce pays comme une forme de représentation institutionnalisée des intérêts des travailleurs dans un établissement. Le comité dentreprise jouit de droits à linformation, à la consultation (comme dans tous les pays) et à la cogestion (ce qui est beaucoup plus rare). La cogestion est la forme la plus poussée de participation; elle prévoit la participation aux dispositions sur la sécurité et la santé au travail et ladoption officielle dun plan visant à concilier les intérêts des parties et dun «plan social» dans léventualité dune modification importante dans létablissement, comme la fermeture dun atelier. Les droits de cogestion sétendent aussi aux directives concernant la sélection et lévaluation du personnel, la formation en cours demploi et les mesures touchant les travailleurs à titre individuel classification, mutation et licenciement, par exemple. Le comité dentreprise allemand est habilité à conclure des conventions à son niveau et à porter plainte sil estime que la convention nest pas respectée. Au nombre des questions relevant obligatoirement de la cogestion figurent notamment: la prévention des accidents et la protection de la santé, le règlement interne de lentreprise, lorganisation du temps de travail, la détermination des taux de rémunération au rendement, le mode de paiement et les principes généraux régissant les congés. Pour toutes ces questions, lemployeur ne peut agir sans le consentement du comité. Le comité dentreprise est également habilité à décider de saisir la commission darbitrage de létablissement de toute question visant à faire appliquer les dispositions prises. Comme lexplique Weiss (1992), le rôle du comité est de participer à lapplication des décisions après que lemployeur les a prises. Le droit de consultation permet au comité dinfluer sur les décisions de lemployeur, mais labsence de consultation na pas pour effet dinvalider celles-ci. Voici quelques-uns des sujets pour lesquels la consultation est obligatoire: la protection contre le licenciement; la protection contre les risques techniques; la formation; la préparation dun plan social.
Le comité dentreprise doit observer les principes de la coopération avec lemployeur et préserver la paix dans lentreprise (aucun arrêt de travail); il doit aussi coopérer avec les syndicats en place et avec lorganisation demployeurs compétente. Il doit mener ses activités en toute impartialité, sans discrimination fondée sur la race, la religion ou la croyance, la nationalité, lorigine, lactivité politique ou syndicale, le sexe ou lâge des salariés. Lemployeur fournit au comité dentreprise les installations et les moyens financiers nécessaires et est responsable de ses actions.
En Allemagne, les comités dentreprise sont élus par les travailleurs manuels et les employés dans des élections distinctes. Bien quil ny ait aucun lien juridique entre les représentants élus au comité dentreprise et les délégués syndicaux, en pratique il sagit souvent des mêmes personnes. En Allemagne et en Autriche, une représentation particulière est garantie aux travailleurs handicapés, aux jeunes travailleurs et aux stagiaires. Les membres du comité ne sont pas rémunérés, mais les dépenses quils sont appelés à faire dans lexercice de leurs fonctions leur sont remboursées. A lexpiration de leur mandat, les membres retrouvent le même niveau de rémunération et de classification et jouissent dune protection spéciale contre le licenciement. Ils doivent bénéficier du temps libre nécessaire aux activités du comité et aux cours de formation. Toutes ces garanties sont conformes à larticle 1 de la convention (no 135) de lOIT concernant les représentants des travailleurs, qui dispose quils «bénéficient dune protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des travailleurs [...]».
Dans de nombreux pays, les modèles de comités dentreprise sont moins ambitieux et ne confèrent que des droits à linformation et à la consultation. Létablissement dun comité dentreprise ou dun comité de travailleurs, surtout lorsque le syndicat est faiblement implanté dans les ateliers, offre au personnel une bonne occasion de se faire entendre sur le lieu de travail.
Les cercles de qualité et autres activités de groupe se sont rapidement implantés dans un grand nombre dentreprises de quelques pays dEurope occidentale (notamment en France et au Royaume-Uni) au début des années quatre-vingt, comme cela sétait produit un peu plus tôt aux Etats-Unis. Ils sinspirent des programmes de «qualité de la vie au travail» (QVT) ou d«humanisation du travail» qui ont été lancés au début des années soixante-dix. Ils se sont répandus beaucoup plus tard dans dautres pays occidentaux (Allemagne) et sont encore très peu nombreux, semble-t-il, dans les pays où les groupes de projet paritaires sont la formule la plus courante pour traiter de lorganisation du travail, comme en Suède. A lépoque, leur essor reposait sur la conviction que la capacité du Japon de fabriquer à bas coût des produits innovants de haute qualité était due à ses méthodes de gestion des ressources humaines; les cercles de qualité étaient lélément caractéristique le plus visible et le plus facilement transposable du modèle japonais. On sattend généralement à ce que les cercles de qualité produisent deux effets: dune part, améliorer la qualité et la productivité et, dautre part, susciter chez les travailleurs le sentiment de participer aux décisions, ce qui entraîne une plus grande satisfaction au travail et lamélioration des relations professionnelles. Le Japon a misé surtout sur le premier aspect, alors que lAmérique du Nord et lEurope ont privilégié le second. On constate également des différences structurelles: au Japon, les animateurs de ces cercles sont normalement nommés par la direction, mais en Allemagne, ils sont souvent élus. A lheure actuelle, les programmes de QVT semploient surtout à améliorer la productivité et la compétitivité (Ozaki, 1996).
Dans certains pays où ils ont été expérimentés à grande échelle dans les années quatre-vingt, notamment en France et au Royaume-Uni, les cercles de qualité nont pas donné les résultats escomptés et se sont révélés relativement inefficaces, doù une certaine désaffection à leur égard. De nombreux cercles ont disparu quelques années à peine après leur création; bien dautres existent encore sur le papier, mais sont en fait moribonds. Cet échec tient à plusieurs facteurs: les cercles tendaient à court-circuiter les voies hiérarchiques normales; la direction nexerçait aucun contrôle sur les membres; les cercles fixaient leurs propres objectifs sans tenir compte des priorités de la direction; le manque denthousiasme, voire lhostilité, des cadres intermédiaires; labsence dengagement durable de la part de la haute direction; le champ daction des cercles était restreint à des questions professionnelles dordre mineur.
La constatation de ces défauts a débouché sur lélaboration de la théorie du «management total de la qualité» (TQM). Certains principes du TQM ont une incidence sur la participation des travailleurs: tous sont tenus de participer au processus damélioration des activités de lentreprise, et la responsabilité de la qualité incombe aux personnes qui, de fait, contrôlent la qualité de ce quils font. Le TQM favorise donc lélargissement du champ de compétence professionnelle et lenrichissement des tâches qui conduisent aux groupes de travail semi-autonomes. Elle facilite aussi la coordination horizontale dans lentreprise, entre autres, par des équipes de projet spéciales, multifonctionnelles ou interdépartementales.
La constitution de groupes de projet paritaires pour étudier les meilleures façons dintroduire des changements technologiques et organisationnels en misant sur les efforts communs des cadres et des travailleurs est une caractéristique constante des relations professionnelles dans certains pays, comme la Suède. Un groupe de projet paritaire est normalement composé de membres de la direction, de délégués datelier et de travailleurs de base, qui sont aidés par des experts de lextérieur. La direction et le syndicat intéressés constituent souvent des groupes de projet paritaires distincts chargés de quatre sujets: nouvelle technologie, organisation du travail, formation et milieu de travail. Le modèle suédois est un exemple remarquable de la participation directe des travailleurs dans latelier, qui sinsère dans un système de relations professionnelles solidement établi. On retrouve également ce système dans dautres pays, notamment en Allemagne et au Japon.
Le travail de groupe en semi-autonomie et le travail en équipe sont deux formes de participation directe des travailleurs dun atelier aux décisions concernant le travail, et ce, à lintérieur de la sphère de production, contrairement au groupe de projet paritaire qui est une forme de participation hors de la sphère de production. La principale différence réside dans le degré dautonomie dont jouissent les membres de léquipe ou du groupe pour organiser leur travail. Le travail de groupe en semi-autonomie est un modèle très répandu en Scandinavie, quoique ces derniers temps, on revienne à une approche plus traditionnelle; il est également expérimenté ailleurs en Europe.
Les expériences de travail de groupe en semi-autonomie sont généralement sur le déclin, mais le travail en équipe se répand rapidement dans tous les pays occidentaux. Le degré dautonomie accordé à léquipe et sa structure varient considérablement dune entreprise à une autre. Dans de nombreux pays, le chef déquipe est habituellement nommé par la direction, mais dans quelques-uns (Allemagne), il est souvent élu par ses collègues. Bien souvent, la création des équipes modifie substantiellement le rôle des cadres qui voient leurs responsabilités grandir. Ils conseillent les membres de léquipe et facilitent la communication verticale et horizontale, mais ils perdent leur fonction de surveillance proprement dite. Les employeurs manifestent un intérêt grandissant pour le travail en équipe, parce quil stimule généralement lamélioration des compétences des travailleurs et élargit léventail des tâches que ces derniers sont capables daccomplir, permettant ainsi une plus grande souplesse dans les processus de production. Toutefois, cette formule est parfois critiquée par les travailleurs qui y voient un moyen de les amener à travailler plus «de leur propre chef», en substituant la pression de leurs collègues à celle exercée naguère par la direction.
Certains commentateurs considèrent les formes dactionnariat ouvrier et de représentation des salariés au conseil dadministration de lentreprise comme des manifestations de la participation des travailleurs. En Allemagne et dans les pays nordiques, entre autres, les travailleurs participent indirectement, cest-à-dire par leurs représentants, aux conseils de surveillance des sociétés. Les représentants des travailleurs sont intégrés dans la structure traditionnelle du conseil dadministration de la société, dans lequel ils sont en minorité (malgré leur nombre parfois élevé, comme cest le cas en Allemagne). Cette formule ne comporte pas nécessairement une participation à la direction active de lentreprise, mais les représentants des travailleurs ont le même statut que les autres membres du conseil. Autrement dit, ils doivent dabord et avant tout se soucier des intérêts de lentreprise et respecter le secret des délibérations comme les autres membres du conseil dadministration. Néanmoins, le fait de siéger au conseil peut donner accès à une meilleure information et plusieurs syndicats veulent obtenir le droit dêtre représentés dans les conseils dadministration des entreprises. Cest un phénomène que lon constate aujourdhui en Europe orientale et occidentale ainsi quen Amérique du Nord, mais qui demeure plutôt rare ailleurs.
Détenir des actions dune société à responsabilité limitée représente un autre mode de participation des travailleurs: ils parviennent parfois à réunir suffisamment de capital pour acheter une entreprise qui, autrement, serait contrainte de fermer ses portes. Cette situation sexplique ainsi: un travailleur qui sassocie financièrement à une société se donnera beaucoup de mal pour quelle réussisse. Ce type de participation comporte dimportantes variantes: la forme (droit au rendement des capitaux investis ou droits de contrôle); le degré (montant des dividendes et date de paiement); les raisons qui motivent cette participation financière. De toute manière, cette pratique a surtout cours en Europe et en Amérique du Nord. Cependant, si on tient les coopératives pour une variante de ce type de participation, la notion de travailleurs actionnaires est alors beaucoup plus répandue dans le monde. Il serait intéressant détudier si, et dans quelle mesure, lactionnariat ouvrier a une incidence sur la sécurité et la santé au travail.
Linstauration de comités dhygiène et de sécurité et la nomination de délégués constituent une forme particulière de participation des travailleurs (pour le modèle danois, voir encadré) prescrite par la législation de plusieurs pays (par exemple, en Belgique et dans plusieurs provinces canadiennes, au Danemark, en France, aux Pays-Bas et en Suède). Les petites entreprises dont la définition varie selon le pays en sont habituellement exemptes, mais à linstar des grandes entreprises et de leur propre chef, elles mettent souvent sur pied des comités dhygiène et de sécurité. De plus, dans nombre de cas, les conventions collectives prévoient la création et la désignation de délégués (Canada, Etats-Unis).
Le Danemark est un bon exemple de pays où de nombreuses institutions jouent un rôle en matière de sécurité et de santé au travail. Voici les principales caractéristiques des relations professionnelles dans ce pays. LA NÉGOCIATION COLLECTIVE: négociation de conventions par lesquelles les syndicats et les employeurs fixent les salaires, les conditions de travail, etc. Il convient de signaler les points suivants: les délégués datelier sont élus par les travailleurs aux termes des conventions collectives; ils jouissent dune protection légale contre le licenciement et assurent la liaison entre les travailleurs et la direction pour ce qui touche aux conditions de travail; la convention collective sur la coopération et les comités de coopération dispose que les travailleurs à titre individuel et les groupes de travailleurs reçoivent des informations en temps utile pour pouvoir faire connaître leur avis avant quune décision soit prise; elle prévoit létablissement de comités de coopération; un comité de coopération doit être mis sur pied dans toutes les entreprises employant plus de 35 travailleurs (25 dans la fonction publique). Il sagit de comités paritaires chargés de promouvoir la coopération dans les opérations quotidiennes. Ils doivent être consultés sur lintroduction de nouvelles technologies et sur lorganisation de la production; ils jouissent de certains droits de cogestion en ce qui concerne les conditions de travail, la formation et les données personnelles; la convention collective nationale sur les conflits du travail (de 1910) confère aux travailleurs le droit (rarement exercé) de cesser le travail pour des motifs dabsolue nécessité («vie, bien-être ou honneur»). Dautres conventions collectives contiennent des dispositions sur la formation et les syndicats se chargent aussi de la dispenser. LA LOI-CADRE: la loi sur le milieu de travail est linstrument qui permet aux entreprises de résoudre elles-mêmes les questions relatives à la sécurité et à la santé, sous légide des organisations patronales et syndicales, avec les conseils et sous le contrôle de linspection du travail (art. 1 b)). La législation établit un système complet, qui part de létablissement et remonte au niveau national, pour favoriser la participation des travailleurs: les délégués à la sécurité sont obligatoirement élus dans les entreprises qui emploient au moins 10 travailleurs; ils jouissent de la même protection contre le licenciement et les représailles que les délégués datelier et ils ont droit au remboursement des dépenses encourues dans lexercice de leurs fonctions officielles; le groupe de sécurité est formé du délégué à la sécurité et de lagent responsable du service. Ses attributions sont les suivantes:
Les membres du groupe de sécurité ont droit à la formation et à linformation nécessaires. Un comité de sécurité doit être constitué dans toute entreprise qui emploie au moins 20 travailleurs. Dans les entreprises comptant plus de deux groupes de sécurité, ce comité est formé de travailleurs élus parmi les délégués à la sécurité, de deux agents responsables de services et dun représentant de lemployeur. En voici les fonctions:
LE CONSEIL DU MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØRÅDET): les organisations demployeurs et de travailleurs participent à la définition et à lapplication des politiques de prévention au niveau national. Composition du Conseil: 11 représentants des organisations représentant les travailleurs manuels et non manuels, un représentant du personnel de maîtrise, 10 représentants des organisations demployeurs, plus un médecin du travail, un technicien et des représentants gouvernementaux sans droit de vote. Voici ses fonctions:
LE FONDS POUR LE MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØFONDET): est géré par un conseil tripartite. Sa mission première est linformation et la formation, mais il soccupe aussi du financement des programmes de recherche. LES CONSEILS DE SÉCURITÉ DES PROFESSIONS (BRANCHESIKKERHEDSRÅDENE): 12 conseils examinent les problèmes propres à leur profession ou à leur branche et conseillent les entreprises sur les mesures à prendre. Ils sont également consultés sur les projets de loi. Ils comptent un nombre égal de représentants des organisations demployeurs et des responsables de services dune part, et des organisations de travailleurs, dautre part. LES AUTORITÉS GOUVERNEMENTALES: en outre, le ministère du Travail, linspection du travail, et lInstitut danois du milieu de travail qui en dépend, offrent divers services et conseils dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail. Les conflits collectifs du travail sont entendus par les tribunaux du travail. par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Vogel, 1994) |
Souvent, les conventions collectives viennent renforcer les pouvoirs que la loi garantit et confère aux délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé. Les relations entre, dune part, ces comités et ces délégués et, dautre part, les syndicats et les comités dentreprise, leur élection ou leur nomination, leurs tâches, leurs fonctions et leur influence varient selon les pays. En tant que forme de participation des travailleurs dans le domaine spécialisé de la sécurité et de la santé, les comités et les délégués peuvent contribuer à lamélioration des conditions de travail et des relations professionnelles. Les critères les plus propices à leur succès sont les suivants: faire partie intégrante du programme de sécurité et de santé mis en place par la direction; obtenir des informations suffisantes; faire participer le personnel subalterne à leurs activités pour assurer la continuité; sappuyer sur un programme gouvernemental efficace en matière dinspection du travail. Quand les employeurs offrent des services de santé au travail ou disposent de spécialistes de la sécurité, une relation fructueuse avec ces intervenants peut aussi favoriser le succès des comités dhygiène et de sécurité. Une enquête menée dans des entreprises au Royaume-Uni a révélé que «les comités consultatifs paritaires, dont tous les représentants des salariés sont nommés par les syndicats, ont permis de réduire considérablement le nombre des accidents du travail, en comparaison avec celui des accidents du travail survenus dans des établissements où la direction décide seule des dispositions relatives à la sécurité et à la santé» (Reilly, Paci et Holl, 1995). Selon ces auteurs, les comités consultatifs paritaires jouent un rôle important même lorsque les représentants des salariés sont nommés dune autre façon. Toutefois, selon dautres études, les comités dhygiène et de sécurité ne comblent pas vraiment les attentes quils suscitent, et ce, pour de multiples raisons: manque de soutien de la part de la direction; participants mal informés ou insuffisamment formés; faible représentation des travailleurs, etc.
Les représentants des travailleurs peuvent être nommés par la direction (cest le cas dans de nombreuses entreprises non syndiquées), désignés par le syndicat (Royaume-Uni) ou élus directement par les travailleurs au niveau de lentreprise ou à un niveau supérieur (Danemark). Un système parallèle sera utilisé pour les représentants des travailleurs dans un comité mixte de sécurité et de santé qui, tout en étant bipartite, ne sera pas toujours paritaire. Les institutions générales de représentation des travailleurs sont souvent complétées par des structures spéciales de représentation en matière de sécurité et de santé (Espagne). Le mécanisme choisi correspond souvent aux autres institutions de relations professionnelles en place dans un pays: en France, par exemple, les salariés membres des comités dhygiène, de sécurité et des conditions de travail sont désignés par un collège constitué par les membres élus du comité dentreprise et les délégués du personnel; en Allemagne, les membres désignés par le conseil dentreprise sont choisis parmi ceux qui siègent aux comités dhygiène et de sécurité. Les comités dentreprise aux Pays-Bas peuvent déléguer leurs pouvoirs à un comité chargé de la sécurité, de la santé et du bien-être. Un lien solide, sinon une identification, entre les représentants syndicaux et les délégués à la sécurité et à la santé est habituellement jugé souhaitable (Irlande, Norvège, Québec (Canada), Suède), mais lorsque la syndicalisation est faible, on court le risque de priver de très nombreux travailleurs du droit de faire entendre leur voix sur ces questions. La théorie selon laquelle les comités dhygiène et de sécurité ont un effet dentraînement et peuvent stimuler une participation accrue des travailleurs dans dautres domaines reste donc encore à prouver.
Normalement, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé bénéficient des droits suivants: droit daccès à linformation sur la santé, la sécurité et lintroduction des nouvelles technologies; droit dêtre consultés sur ces questions; droit de participer à la surveillance des conditions de travail; droit daccompagner les inspecteurs (parfois appelé «droit de circulation»); droit de participer aux enquêtes après accident; droit de présenter des recommandations à la direction en vue daméliorer les conditions de travail. Dans certains pays, leurs pouvoirs sont plus étendus et comprennent le droit de codécision, celui de demander des inspections et des enquêtes sur les accidents, et celui détudier les rapports présentés au gouvernement par la direction. Et surtout, certains délégués des travailleurs ont le pouvoir dordonner larrêt dune opération présentant un risque imminent (intervention également appelée «red-tagging» ou «alerte rouge» en raison du panneau indicateur installé sur place), comme au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède. Dans certains cas, notamment en France et dans certaines provinces du Canada, ils participent directement à lapplication des règlements dhygiène et de sécurité. La consultation préalable du comité paritaire est parfois obligatoire avant quun employeur puisse apporter des modifications importantes aux conditions dhygiène, de sécurité ou de travail (en France et aux Pays-Bas). En Belgique, les services de santé interentreprises relèvent dun comité paritaire. En Italie, le rôle du comité englobe la promotion de la prévention; en Grèce, les comités peuvent, avec laccord de lemployeur, demander lopinion de spécialistes sur des questions dhygiène et de sécurité.
Dans lexercice de leurs fonctions, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé sont nécessairement protégés contre la discrimination ou les représailles. Ils ont au minimum droit à un peu de temps libre, sans perte de salaire, et aux moyens nécessaires (dont la définition est souvent controversée) pour exercer leurs fonctions. De plus, pendant quils sont en fonction, certains sont en particulier protégés contre toute mise à pied pour raisons économiques (compressions de personnel), ou bénéficient dune protection supplémentaire contre le licenciement (Belgique). Bien souvent, ils ont droit à une formation spécialisée (Danemark).
Linfluence que peuvent avoir les délégués des travailleurs et les comités paritaires dhygiène et de sécurité dépend évidemment non seulement des droits et des devoirs prescrits par la loi ou la convention collective, mais encore de la façon dont ils sont mis en pratique. Dautres facteurs interviennent, qui influent sur la participation des travailleurs en général. Les délégués et les comités paritaires ne remplacent ni une application effective des normes de sécurité et de santé par le gouvernement, ni ce que lon peut accomplir par la négociation collective. Toutefois, «la plupart des observateurs estiment quen la matière les comités [paritaires dhygiène et de sécurité dûment autorisés] offrent un cadre réglementaire plus efficace que linspection du travail ou les programmes fondés sur la responsabilité civile» (Kaufman et Kleiner, 1993). Quoi quil en soit, la tendance va nettement dans le sens dune participation accrue des travailleurs aux questions de sécurité et de santé, du moins dans la législation et les conventions collectives des grandes entreprises. Lorsquils fonctionnent bien, les comités paritaires dhygiène et de sécurité peuvent constituer un excellent outil didentification des problèmes et de sensibilisation aux risques et sont donc dotés du potentiel voulu pour réduire la fréquence des accidents du travail, des maladies professionnelles et des décès attribuables au milieu de travail. Leur efficacité dépend toutefois dun grand nombre de facteurs inhérents aux différents systèmes des relations professionnelles et de lapproche stratégique adoptée dans le milieu de travail à légard de la sécurité et de la santé.
Schregle (1994) fait observer ce qui suit:
En pratique, aucune de ces formes de participation des travailleurs na donné les résultats escomptés, et ce, pour de multiples raisons. En particulier, les syndicats et les employeurs nont généralement pas la même idée de la participation. Alors que les travailleurs désirent exercer une influence tangible et concrète sur les décisions de lemployeur, au sens dun partage du pouvoir, les employeurs se réclament catégoriquement des droits ou des prérogatives de la direction, qui dérivent du principe de la propriété privée, à savoir le droit de diriger lentreprise selon leurs propres critères et lexclusivité du pouvoir de décision; tout au plus reconnaissent-ils aux travailleurs le droit dexprimer leurs opinions sans lier la direction. Tout cela a pour effet de semer la confusion autour des notions de consultation, de participation des travailleurs, de participation des travailleurs à la gestion, de codécision, de cogestion, etc.
Il nen reste pas moins que sur la plupart des lieux de travail du monde, il y a très peu de véritable participation des travailleurs dans lentreprise. Le premier niveau de participation et, certes, le préalable à toute participation, est laccès à linformation, suivi de la consultation. En Europe, des recherches ont révélé des écarts considérables dans le degré dapplication de la directive du 12 juin 1989 sur la sécurité et la santé pour ce qui est de la participation des travailleurs; peut-être la participation connaîtra-t-elle un regain de vie sous limpulsion de la directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 sur les comités dentreprise européens. Dautres régions sont caractérisées par une forte non-participation, mais on nourrit toujours de grands espoirs dans le renforcement des mécanismes de participation des travailleurs dans lentreprise.
La manière traditionnelle denvisager la participation des travailleurs en tant que moteur dune plus grande coopération entre travailleurs et direction est loin dêtre satisfaisante sur le plan de la sécurité et de la santé. Que les relations professionnelles soient conflictuelles ou marquées par une volonté de coopération ne fait pas vraiment avancer le débat. Comme le signale Vogel (1994):
[...] de toute évidence, le problème de la participation des travailleurs ne se limite pas aux formes institutionnalisées de participation à lintérieur ou à lextérieur de lentreprise. Le fondement de la participation réside dans la reconnaissance des intérêts distincts en jeu, ce qui donne lieu à des interprétations spécifiques [...] La légitimité essentielle de la participation doit être trouvée en dehors de lentreprise, dans lexigence démocratique qui refuse dadmettre que lautodétermination des individus doive se limiter aux règles de la représentation politique, et dans lidée que la santé est un processus social réfléchi par lequel les individus et les collectivités développent leurs propres stratégies dépanouissement et de défense.
En définitive, les divers modèles de participation des travailleurs ont des fonctions différentes qui rendent difficile une analyse comparative de leurs retombées respectives. Toutefois, la portée de la négociation collective samenuisant, il faut sattendre à un recours accru à des dispositions prises sur linitiative de la direction en faveur de la participation des travailleurs.
La participation des travailleurs à lorganisation de la sécurité dans les établissements industriels peut être planifiée de bien des manières, suivant la législation et la pratique nationale. Cet article ne traite que des dispositions prises en vue de la consultation et de linformation et non des formes connexes de participation des travailleurs. Les autres aspects particuliers ayant un lien avec la consultation et linformation (par exemple, la participation aux inspections ou aux activités de formation, la demande dinspection) sont abordés dans dautres articles du présent chapitre.
Lidée que les employeurs et les travailleurs doivent travailler ensemble pour améliorer la sécurité et la santé au travail se fonde sur plusieurs principes:
Ces principes ont été énoncés dans la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, de lOIT. Larticle 20 de cette convention prévoit que «la coopération des employeurs et des travailleurs et/ou de leurs représentants dans lentreprise devra être un élément essentiel des dispositions prises en matière dorganisation et dans dautres domaines [...]» liés à la sécurité et à la santé au travail. En outre, le paragraphe 2, 1) de la recommandation de lOIT (no 129) sur les communications dans lentreprise, 1967, précise que:
[...] les employeurs et leurs organisations, de même que les travailleurs et leurs organisations devraient, dans leur intérêt commun, reconnaître limportance, dans les entreprises, dun climat de compréhension et de confiance réciproques, favorable à la fois à lefficacité de lentreprise et aux aspirations des travailleurs.
Ces textes partent de lidée que les employeurs et les travailleurs ont un intérêt commun à établir un système dautoréglementation dans la prévention des accidents du travail; de fait, ils sintéressent davantage à la sécurité quà la santé au travail, parce quil est plus simple de prouver que le travail est à lorigine des accidents et donc plus facile dobtenir réparation. Cest également pour cette raison que, dans de nombreux pays, les délégués à la sécurité ont été les premiers représentants des travailleurs sur les lieux de travail à voir leurs droits et leurs devoirs définis par la loi ou des conventions collectives. Aujourdhui, il nexiste probablement aucun autre sujet des relations professionnelles et de la gestion des ressources humaines à propos duquel les partenaires sociaux soient aussi désireux de collaborer. Cependant, dans certains pays, les syndicats nont pas investi suffisamment de ressources dans leurs initiatives sur la sécurité et la santé pour faire de cette question un enjeu important des négociations ou de la surveillance au jour le jour de lapplication des conventions.
Lobligation générale de lemployeur dinformer les travailleurs et/ou leurs représentants sur les questions de sécurité et de santé et de solliciter leur avis au moyen de consultations est énoncée à larticle 20 de la convention (no 174) de lOIT sur la prévention des accidents industriels majeurs, 1993. Cet article dispose que:
Dans une installation à risques daccident majeur, les travailleurs et leurs représentants doivent être consultés selon des procédures appropriées de coopération, afin détablir un système de travail sûr.
Plus précisément, les travailleurs et leurs représentants doivent:
a) être informés de manière suffisante et appropriée des dangers liés à cette installation et de leurs conséquences possibles; b) être informés de toutes exigences, instructions ou recommandations émanant de lautorité compétente; c) être consultés lors de lélaboration des documents suivants et y avoir accès: i) rapport de sécurité; ii) plans et procédures durgence; iii) rapports sur les accidents.
Ces droits de consultation et dinformation permettent donc aux travailleurs de «discuter avec lemployeur de tout danger potentiel quils considèrent susceptible de causer un accident majeur» (art. 20 f)).
De façon plus générale, la convention no 155 de lOIT fixe des règles qui concernent la sécurité et la santé des travailleurs et le milieu de travail, et contient des dispositions efficaces au niveau de lentreprise (quelles soient régies par la loi ou par la négociation collective, voire par des pratiques locales ou internes), comme larticle 19 c): «les représentants des travailleurs [ ] recevront une information suffisante concernant les mesures prises par lemployeur pour garantir la sécurité et la santé; ils pourront consulter leurs organisations représentatives à propos de cette information, à condition de ne pas divulguer de secrets commerciaux». Il est également précisé, à lalinéa e) du même article, que «les travailleurs ou leurs représentants [...] seront habilités [...] à examiner tous les aspects de la sécurité et de la santé liés à leur travail et seront consultés à leur sujet par lemployeur; à cette fin, il pourra être fait appel, par accord mutuel, à des conseillers techniques pris en dehors de lentreprise».
La recommandation 164 complète la convention no 155 et précise, au paragraphe 12, que des droits de consultation et dinformation en matière de sécurité et de santé devraient être accordés à divers organismes participants: délégués des travailleurs à la sécurité; comités ouvriers ou conjoints de sécurité et dhygiène; autres représentants des travailleurs. Ce texte énonce également des principes importants influant sur la nature et le contenu de linformation ou de la consultation. Ces pratiques devraient avant tout permettre à ces groupes spécialisés de représentation des travailleurs de «contribuer au processus de prise de décisions au niveau de lentreprise en ce qui concerne les questions de sécurité et de santé» (paragr. 12, 2) e)).
Il ne suffit pas de reconnaître ces droits et den parler de manière abstraite; les travailleurs et leurs représentants devraient, aux termes du paragraphe 12, 2):
«a) recevoir une information suffisante sur les questions de sécurité et dhygiène, avoir la possibilité dexaminer les facteurs qui affectent la sécurité et la santé des travailleurs et être encouragés à proposer des mesures dans ce domaine;
b) être consultés lorsque de nouvelles mesures importantes de sécurité et dhygiène sont envisagées et avant quelles ne soient exécutées, et sefforcer dobtenir ladhésion des travailleurs aux mesures en question;
c) être consultés sur tous changements envisagés quant aux procédés de travail, au contenu du travail ou à lorganisation du travail pouvant avoir des répercussions sur la sécurité ou la santé des travailleurs.»
Le principe selon lequel «les représentants des travailleurs [ ] devraient être informés et consultés préalablement par lemployeur sur les projets, mesures et décisions susceptibles davoir des conséquences nocives sur la santé des travailleurs [...]» (recommandation (no 156) de lOIT sur le milieu de travail (pollution de lair, bruit et vibrations), 1977, paragr, 21, 2)), traduit lidée dune «politique efficace de communication» énoncée en termes généraux au paragraphe 3 de la recommandation no 129, qui prescrit que «des informations soient diffusées et que des consultations aient lieu entre les parties intéressées avant que des décisions sur des questions dintérêt majeur soient prises par la direction». Pour rendre ces méthodes efficaces, il faut donc «prendre des mesures nécessaires pour former les personnes qui utiliseront ces méthodes de communication» (paragr. 6).
En relations professionnelles, la méthode participative dans le domaine de la sécurité et de la santé est corroborée par dautres textes de droit international. A cet égard, la directive 89/391/CEE offre un bon exemple de lintroduction de mesures visant à encourager lamélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs des Etats membres de lUnion européenne. Larticle 10 dispose que lemployeur a lobligation de prendre les mesures appropriées: 1) pour que les travailleurs et/ou leurs représentants reçoivent, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales, toutes les informations nécessaires concernant les risques pour la sécurité et la santé, les mesures de protection et de prévention (premiers secours, lutte contre lincendie, évacuation des travailleurs, risque de danger grave et immédiat); 2) pour que les employeurs des travailleurs des entreprises ou établissements extérieurs intervenant dans son entreprise ou son établissement reçoivent des informations adéquates concernant les points susmentionnés. De plus, «les travailleurs ou les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs» doivent avoir accès à lévaluation des risques et aux mesures de protection, aux rapports sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont ont été victimes des travailleurs, et à linformation provenant tant des activités de protection et de prévention que des services dinspection et organismes compétents pour la sécurité et la santé.
Larticle 11 de cette directive établit un lien entre consultation et participation. En réalité, les employeurs ont lobligation de consulter «les travailleurs et/ou leurs représentants et [de permettre] leur participation dans le cadre de toutes les questions touchant à la sécurité et à la santé au travail. Cela implique la consultation des travailleurs, le droit des travailleurs et/ou de leurs représentants de faire des propositions, la participation équilibrée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales». Larticle poursuit ainsi:
Les travailleurs ou les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs participent de façon équilibrée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ou sont consultés au préalable et en temps utile par lemployeur [...]
Ces droits ont pour objectif de couvrir tout le champ des mesures susceptibles dinfluer fortement sur la sécurité et la santé, comme la désignation des salariés chargés de pratiquer certaines interventions (premiers secours, lutte contre lincendie et évacuation des travailleurs), ainsi que la planification et lorganisation dune formation adéquate en matière de santé et de sécurité pendant toute la durée de la relation demploi (dès lembauche et y compris toute mutation, sans oublier lintroduction de nouvelles technologies et la mise en service de matériel nouveau).
Le choix est clair: non au conflit, oui à la participation aux relations professionnelles dans le domaine de la sécurité et de la santé. Tel est le sens de la directive 89/391/CEE, qui va au-delà de la simple logique du droit à linformation. Le système repose sur une véritable forme de consultation, puisque laction dinformer doit avoir lieu «au préalable et en temps utile» autrement dit, non seulement avant que les décisions soient prises par lemployeur, mais assez tôt pour permettre aux travailleurs et à leurs représentants de les commenter et de présenter des propositions.
La directive emploie également lexpression ambiguë «participation équilibrée», qui ouvre la porte à diverses interprétations. Cest une notion plus large (ou du moins différente) que celle de la consultation, mais pas au point de constituer une forme de partage du pouvoir de décision qui empêcherait les employeurs de prendre des mesures qui nauraient pas été approuvées au préalable par les travailleurs ou leurs représentants. De toute évidence, il sagit dune forme de participation qui dépasse la simple consultation (autrement, le titre de larticle 11 «consultation et participation» naurait aucun sens) sans aller nécessairement jusquà la prise de décisions conjointe. La notion reste dans le vague; elle englobe de multiples formes de participation des travailleurs, qui varient considérablement dun Etat membre à un autre dans lUnion européenne. Quoi quil en soit, la directive nimpose nullement lobligation dinstaurer une forme particulière de participation équilibrée.
Dans les textes de lOIT et des CE, linformation semble être un concept selon lequel la direction informe de sa décision lorganisation représentant les travailleurs, par écrit ou dans le cadre dune réunion, tandis que la consultation appelle la création de comités paritaires dans lesquels les représentants des travailleurs sont non seulement informés par la direction, mais peuvent également exprimer leur avis et attendre une justification de la décision en cas de divergence dopinions. Ces notions diffèrent assurément de la négociation (lorsquun accord à caractère obligatoire, au niveau de lentreprise ou interentreprises, est conclu à lissue de discussions dans un comité de négociation) et de la cogestion (lorsque les travailleurs ont un droit de veto et que les décisions exigent laccord des deux parties).
Dans le cas dentreprises ou groupes dentreprises de dimension communautaire, la directive 94/45/CE du Conseil de lUnion européenne du 22 septembre 1994 prévoit la création dun comité dentreprise européen ou dune procédure en matière dinformation et de consultation. Les informations «portent notamment sur des questions transnationales qui affectent considérablement les intérêts des travailleurs» (art. 6, 3)). Lavenir nous dira si cette disposition sera appliquée aux fins de la sécurité et de la santé.
La nature dynamique de la consultation est également soulignée dans larticle 11, 3) de la directive 89/391/CEE, selon laquelle les représentants de travailleurs exerçant une fonction spécifique dans ce domaine «ont le droit de demander à lemployeur quil prenne des mesures appropriées et de lui soumettre des propositions en ce sens, de façon à pallier tout risque pour les travailleurs et/ou à éliminer les sources de danger».
Dans ses dispositions relatives à la gestion du risque, la directive attribue indiscutablement des responsabilités précises aux employeurs, mais encourage aussi une plus grande participation des travailleurs et de leurs représentants aux consultations concernant les stratégies de la direction en matière de sécurité et de santé. Les employeurs doivent évaluer les risques et présenter leurs systèmes de prévention sous forme de plan ou de déclaration. Dans tous les cas, ils sont tenus de consulter les travailleurs et/ou leurs représentants ou de les faire participer à la conception, à la mise en uvre et à la surveillance de ces systèmes. Il est néanmoins indéniable quen conférant des droits de participation pertinents aux travailleurs cette directive adopte par la même occasion une approche «dauto-évaluation». Dautres directives des CE exigent, entre autres, la consignation des résultats des mesures et des examens, et affirment le droit daccès des travailleurs à ces dossiers.
La recommandation de lOIT no 164 prévoit, au paragraphe 15, 2):
Les employeurs devraient être tenus denregistrer les données relatives à la sécurité, à la santé des travailleurs et au milieu de travail jugées indispensables par lautorité ou les autorités compétentes et qui pourraient inclure les données concernant tous les accidents du travail et tous les cas datteintes à la santé survenant au cours du travail ou ayant un rapport avec celui-ci et donnant lieu à déclaration; les autorisations et les dérogations se rapportant à la législation ou aux prescriptions de sécurité et dhygiène ainsi que les conditions éventuelles mises à ces autorisations ou à ces dérogations; les certificats relatifs à la surveillance de la santé des travailleurs dans lentreprise; les données concernant lexposition à des substances et à des agents déterminés.
Dans le monde entier, on saccorde à reconnaître que les employeurs doivent établir des dossiers sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, par exemple, ou encore sur lutilisation ou lexistence dune surveillance biologique ou environnementale.
Dans certains systèmes de relations professionnelles (Italie), la loi ne confère aux représentants des travailleurs aucun droit spécifique à linformation et à la consultation dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, bien que ces droits soient souvent inscrits dans les conventions collectives. La législation italienne accorde aux travailleurs le droit de contrôler eux-mêmes lapplication des normes relatives à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, ainsi que le droit deffectuer des études et dadopter des mesures appropriées pour garantir la sécurité et la santé au travail. Dans dautres systèmes (Royaume-Uni), pour que linformation sur les questions de santé et de sécurité soit divulguée comme le prévoit la loi, il faut dabord nommer des délégués à la sécurité. Pour cela, il faut quil existe une organisation syndicale reconnue dans lentreprise. Si lemployeur refuse le statut requis à une organisation syndicale reconnue ou lui retire sa reconnaissance, les droits de consultation et dinformation ne peuvent être exercés.
Ces cas nationaux posent la question de savoir dans quelle mesure la participation réelle des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé dépend de ladoption de dispositions légales. Un certain encadrement juridique paraît certes utile et semble donner les meilleurs résultats quand la législation prévoit lélection de représentants des travailleurs et leur confère des droits suffisamment forts pour leur permettre dexercer leurs fonctions indépendamment de la direction, tout en permettant une certaine diversité au niveau de lorganisation de la participation dans différents secteurs et sociétés.
En règle générale, les systèmes de relations professionnelles sappuient sur la loi qui impose dinformer et de consulter les représentants des travailleurs sur les affaires de sécurité et de santé. Lorsque des comités paritaires composés de membres de la direction et de représentants des travailleurs sont formés, ils sont investis de pouvoirs considérables. En France, par exemple, le Comité dhygiène, de sécurité et des conditions de travail peut proposer des mesures préventives; un employeur qui refuse de sy conformer doit justifier sa position. Pourtant, dans la pratique, les délégués à la sécurité semblent parfois plus efficaces que les comités paritaires parce quils dépendent moins de lexistence dune relation de coopération.
Grâce à diverses formes de participation représentative, les travailleurs bénéficient généralement des droits que leur reconnaissent les conventions et les recommandations internationales du travail susmentionnées (ainsi que les directives des CE, le cas échéant), en particulier dans les pays industrialisés régis par les principes de léconomie de marché. Les délégués à la sécurité ou les membres des comités dentreprise ont le droit dêtre informés et consultés par lemployeur au sujet de toutes les questions concernant les opérations de lentreprise et lamélioration des conditions de travail, y compris la sécurité et la santé. Ils ont le droit de consulter tous les documents pertinents que lemployeur est légalement tenu de conserver, ainsi que toutes les déclarations y relatives et les résultats de toutes les recherches. Au besoin, ils peuvent également en obtenir copie.
Certains aspects (comme le recours à des experts, le déclenchement dune inspection ou la participation à une inspection, et la protection contre les représailles) ont une forte incidence sur lefficacité des droits à linformation et à la consultation sur la sécurité et la santé, mais il existe en outre des facteurs généraux quil ne faut pas négliger. Premièrement, la taille de lentreprise: les dispositifs de contrôle sont moins efficaces dans les petites unités dont les syndicats et dautres formes de représentation des travailleurs sont pratiquement absents. De plus, ce sont les petits établissements qui sont les plus susceptibles de ne pas respecter les obligations légales.
Deuxièmement, quand les délégués à la sécurité font partie de lorganisation syndicale officielle du lieu de travail, les améliorations attendues ont plus de chances dêtre mises en uvre.
Troisièmement, les dispositions relatives à la consultation et à linformation sur la sécurité et la santé font ressortir le climat de conflit (Italie, Royaume-Uni) ou de coopération (Allemagne, Japon, pays nordiques) qui prévaut dans les relations professionnelles. Et, en général, la collaboration entre employeurs et travailleurs favorise la divulgation de linformation et la consultation.
Quatrièmement, il ne faut pas sous-estimer lesprit dinitiative de la direction. La consultation et linformation sont plus efficaces que les droits reconnus par la loi lorsquelles sont imprégnées dune culture dentreprise qui les favorise. Selon leur attitude à légard de la formation, leur engagement à diffuser linformation et leur empressement à répondre aux questions, les employeurs sont à même de créer un climat daffrontement ou de collaboration. Il est essentiel de pouvoir sappuyer sur la loi pour garantir aux représentants des travailleurs une totale indépendance afin quils aient les mains libres pour intervenir dans ce domaine, mais le succès des dispositions relatives à linformation et à la consultation repose en grande partie sur la volonté des deux parties.
Enfin, le succès de toute représentation des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail dépend essentiellement de la prise de conscience de la population en général. Cette forme particulière de participation exige que tous les travailleurs en comprennent la nécessité et y attachent limportance voulue. Les données dont on dispose montrent que les travailleurs considèrent la sécurité et la santé comme lune de leurs principales préoccupations professionnelles.
En règle générale, un délégué à la sécurité est réputé commettre un abus de confiance sil divulgue une information quelconque ayant trait aux procédés de production dun employeur ou à dautres secrets professionnels. En outre, il est tenu à la discrétion au sujet de toute information qui lui est confiée et dont lemployeur indique le caractère confidentiel. La convention no 155 de lOIT en tient dûment compte et dispose que les représentants des travailleurs dans lentreprise pourront consulter leurs organisations représentatives à propos de linformation relative à la sécurité et à la santé au travail, «à condition de ne pas divulguer de secrets commerciaux» (art. 19 c)).
Dans certains systèmes (Grèce), les représentants des travailleurs siégeant dans des comités dentreprise sont tenus de ne pas communiquer à des tiers les informations reçues qui revêtent une importance primordiale pour lentreprise et nuiraient à sa capacité de concurrence si elles venaient à être divulguées. Les représentants des travailleurs et lemployeur sont censés décider ensemble de ce qui peut être divulgué. Dans dautres systèmes (Luxembourg), lorsque les représentants des travailleurs sont en désaccord avec lemployeur quant à la classification confidentielle de linformation, ils peuvent en référer à linspection du travail, qui tranchera.
Dans certains pays, lobligation de garder le secret est uniquement implicite (en Italie, par exemple). Par ailleurs, en labsence de dispositions précises à cet égard (comme au Royaume-Uni), les représentants des travailleurs ne peuvent prétendre obtenir des renseignements relatifs à la santé dune personne (sauf si celle-ci donne son consentement), ni dinformation susceptible de nuire à la sécurité nationale ou à lentreprise de lemployeur. Enfin, lobligation de respecter la confidentialité (en Suède, par exemple) nempêche pas forcément les délégués à la sécurité de transmettre linformation reçue à lorgane exécutif de leur organisation syndicale qui, lui aussi, est légalement tenu de garder le secret.
Tout programme ou toute politique densemble concernant le développement des ressources humaines devrait comprendre un élément de formation, que ce soit dans lentreprise, dans la branche dactivité ou au niveau national. La formation pourra dautant plus facilement être mise en uvre que lon offrira un congé-éducation payé (voir encadré). Lorsque des dispositions à cet effet ne sont pas inscrites dans la législation nationale (comme elles le sont dans les Codes du travail de la France et de lEspagne, par exemple), les représentants des employeurs et des travailleurs devraient négocier lobtention dun congé pour recevoir une formation appropriée à la sécurité et à la santé au travail.
Objectif de la normePromouvoir léducation et la formation pendant les heures de travail, avec versement de prestations financières. ObligationsTout Etat signataire qui ratifie la convention doit formuler et appliquer une politique visant à promouvoir loctroi de congé-éducation payé à des fins de formation à tous les niveaux, déducation générale, sociale ou civique et déducation syndicale. Cette politique doit tenir compte du stade de développement et des besoins particuliers du pays et doit être coordonnée avec les politiques générales relatives à lemploi, à léducation, à la formation et à la durée du travail. Le congé-éducation payé ne doit pas être refusé aux travailleurs en raison de leur race, de leur couleur, de leur sexe, de leur religion, de leur opinion politique, de leur ascendance nationale ou de leur origine sociale. Le financement des arrangements relatifs au congé-éducation payé devra être assuré de façon régulière et adéquate. La période de congé-éducation devra être assimilée à une période de travail effectif pour déterminer les droits à des prestations sociales et les autres droits découlant de la relation de travail. par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de la convention internationale du travail no 140, 1974) |
Tout accord négocié devra préciser les questions qui feront lobjet de la formation et arrêter les dispositions administratives, financières et organisationnelles. La formation à la prévention devrait englober les points suivants:
Toute formation comprend deux éléments principaux: le contenu et les méthodes. Ces éléments seront déterminés en fonction des objectifs de la formation et des aspirations des participants et des formateurs. En loccurrence, la formation se proposera de contribuer à lamélioration de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail; son contenu sera donc axé sur les moyens pratiques datteindre cet objectif. Cette approche appelle une évaluation des problèmes de prévention qui se posent aux travailleurs, à savoir:
Cette approche méthodologique permet de traiter systématiquement les questions: chaque problème est décrit et on examine comment et par qui il a été détecté, les mesures prises, le résultat obtenu.
Elle permet didentifier les «bonnes» et les «mauvaises» pratiques de sécurité et de santé au travail, ce qui peut donner lieu, du moins en théorie, à une action commune de la part des employeurs et des travailleurs. Cette méthodologie ne porte des fruits quune fois satisfaite une forte demande dinformation: textes de loi, règlements et normes, renseignements techniques sur la prévention, élimination des risques ou solution des problèmes, notamment les mesures prises ou les accords conclus entre dautres syndicats et dautres employeurs, ainsi que les solutions et les stratégies de remplacement.
Toute activité de formation réussie nécessitera lutilisation de techniques actives dapprentissage fondées sur lexpérience, les qualifications, les connaissances, lattitude et les objectifs des participants. Lexpérience et les connaissances sont examinées, les attitudes analysées et les qualifications étoffées et perfectionnées grâce à un travail collectif. Les participants sont incités à mettre en pratique dans leur milieu de travail les connaissances acquises au cours de leur formation. Ainsi, résultats concrets et contenu pertinent demeurent au cur de lactivité de formation.
Le formateur et les stagiaires doivent se poser les questions suivantes quant aux méthodes dapprentissage et au contenu de la formation: quavons-nous appris qui puisse sappliquer à notre milieu de travail? La formation accroît-elle nos qualifications et nos connaissances? Nous aide-t-elle à travailler plus efficacement dans notre milieu de travail?
Le formateur devrait se poser ces questions au stade de la planification, de la mise en uvre et de lévaluation de tout programme de formation; la méthodologie encourage les participants à avoir les mêmes exigences au cours de leur formation.
Cette méthode, souvent désignée par lexpression «apprentissage par laction», fait largement appel à lexpérience, à lattitude, aux qualifications et aux connaissances des participants. Il faut toujours ramener les objectifs dune formation à des résultats concrets, et cette méthode devrait donc en faire partie intégrante. Ainsi, les activités énumérées au tableau 21.1 pourraient être intégrées dans des programmes de formation à la sécurité et à la santé.
Activité |
Compétences connexes |
Identifier les risques |
Analyse critique |
|
Echange d’information |
|
Examen de l’information |
Résoudre les problèmes |
Analyse critique |
|
Echange d’information |
|
Travail collectif |
|
Elaboration de stratégies |
Trouver l’information |
Utilisation des ressources |
|
Compétences en matière de recherche |
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Réutilisation de l’information |
Modeler les comportements |
Analyse critique |
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Réévaluation des attitudes |
|
Argumentation efficace et débat constructif |
La formation à la sécurité et à la santé au travail permet de sensibiliser les travailleurs et les employeurs aux enjeux dans ce domaine et peut servir de point de départ à une action commune et à un accord sur la façon de surmonter les problèmes. Concrètement parlant, de bonnes pratiques en matière de sécurité et de santé permettent non seulement daméliorer le milieu de travail et éventuellement la productivité, mais dencourager également les partenaires sociaux à avoir une attitude plus positive à légard des relations professionnelles.
Le rôle clé que joue linspection du travail dans lévolution des relations professionnelles est incontestable. De fait, lhistoire du droit du travail est calquée sur celle du système dinspection du travail. Avant la création des premiers de ces services, les lois du travail nétaient que de simples déclarations dintention qui nentraînaient aucune sanction en cas dinfraction. Le droit du travail est véritablement né au moment où un organe spécifique a été chargé de faire appliquer la réglementation et, partant, de donner effet à la loi en appliquant des sanctions.
Les premières tentatives nationales visant à établir un système dinspection du travail étaient axées sur la création dorganismes qui intervenaient, à titre gracieux et en réaction à la nature particulière du libéralisme économique, pour protéger les femmes et les enfants occupés dans lindustrie. Lexpérience révéla rapidement quil fallait instituer un organe de coercition véritablement habilité à protéger lensemble de la population active. La première loi instituant un corps dinspection officiel dans les fabriques a été adoptée au Royaume-Uni en 1878, au motif que les modalités relatives à la nomination dagents honoraires navaient pas été respectées et que, par conséquent, les mesures de protection navaient pas été appliquées. Cette première loi conférait aux inspecteurs des fabriques les pouvoirs suivants: accès sans restriction aux fabriques, liberté dinterroger les travailleurs et les employeurs, obtention de documents sur demande et pouvoir de régler les litiges et de constater les infractions.
Au cours des années suivantes, lévolution des diverses réglementations a eu pour effet de réaffirmer lautorité des inspecteurs en tant quagents de ladministration, en distinguant et en supprimant finalement leur fonction de juges. La notion dinspecteur, fonctionnaire rémunéré, mais aussi intervenant dans le système de relations professionnelles, a alors fait son apparition: par sa présence sur les lieux de travail, ce serviteur de lEtat incarne directement laction gouvernementale et lui donne un visage humain. A cette fin, linspection du travail a été convertie en un organe chargé de la mise au point et de lapplication de la législation; en fait, elle est devenue le pilier de la réforme sociale.
Cette double fonction (stricte surveillance et observation active des faits) caractérise les origines de lactivité dinspection au sein des institutions juridiques. Dune part, linspection du travail sappuie sur des textes de loi clairs et précis qui doivent être appliqués; dautre part, larticulation et lexercice correct de ses fonctions la conduisent à interpréter la lettre de la loi par laction directe. Non seulement linspecteur doit connaître la lettre de la loi, mais encore il doit en maîtriser lesprit. Il doit être sensible au monde du travail et posséder une connaissance approfondie tant des règlements que des procédés techniques et des méthodes de production. Linspection est donc un instrument de la politique du travail, mais aussi une institution créative axée sur le progrès qui est essentiel à lévolution même du droit du travail et des relations professionnelles.
Lévolution du monde du travail a eu pour effet dapprofondir et de renforcer le rôle de linspection du travail en tant quorgane de contrôle indépendant au cur du système des relations professionnelles. Parallèlement, les transformations du monde du travail ouvrent de nouvelles perspectives et créent de nouvelles formes de relations internes dans le microcosme complexe quest le lieu de travail. Lidée originelle dune relation paternaliste entre linspecteur et les personnes faisant lobjet de linspection a vite cédé le pas à une action plus participative de la part des représentants des employeurs et des travailleurs, linspecteur incitant les parties intéressées à prendre part à ses activités. Cest pourquoi la législation de nombreux pays a confié à linspecteur du travail le rôle de conciliateur dans les conflits collectifs.
En même temps que le rôle de linspecteur du travail mandaté par lEtat saffirmait, les percées du mouvement syndical et des organisations professionnelles suscitèrent chez les travailleurs un intérêt plus vif à légard de linspection du travail et les poussèrent à y participer activement. Après diverses tentatives des travailleurs pour obtenir leur intégration dans linspection (par exemple, en cherchant à créer des postes de travailleur-inspecteur comme il en existait dans les pays communistes), le statut indépendant et objectif de linspection du travail a fini par lemporter lorsquelle a été instituée en organe étatique formé de fonctionnaires. Néanmoins, les représentants des travailleurs et des employeurs nont pas perdu leur volonté de participation au contact de la nouvelle institution: linspection du travail est certes un organe indépendant, mais elle est devenue aussi un acteur qui occupe une place privilégiée dans le dialogue entre les deux parties.
Dans cette perspective, linspection du travail sest développée progressivement et parallèlement à lévolution économique et sociale. Par exemple, la tendance des Etats au protectionnisme durant le premier tiers du XXe siècle a entraîné des modifications importantes du droit du travail, un nombre considérable de diplômés ayant rejoint ceux qui avaient déjà été embauchés comme inspecteurs. Une des conséquences immédiates de ces développements a été la création dune véritable administration du travail. De même, lapparition de nouvelles formes dorganisation du travail et la pression des forces du marché sur la fonction publique à la fin du XXe siècle ont évidemment eu des répercussions sur linspection du travail dans nombre de pays.
Conçue à lorigine comme un corps de contrôleurs chargés de faire respecter la loi, linspection du travail a révisé ses propres activités au fil des années et sest transformée en un mécanisme utile et bien intégré, réceptif aux besoins technologiques des nouvelles formes de travail. De même, le droit du travail sest adapté aux nouveaux besoins de la production et des services et sest étendu à des règlements de caractère technique. Doù lapparition de sciences connexes comme la sociologie du travail, lergonomie, la sécurité et la santé au travail, léconomie du travail, etc. Ces nouvelles disciplines débordent le cadre purement juridique et linspecteur joue un rôle dynamique dans lapplication véritable de la réglementation sur le lieu de travail, non seulement en imposant des sanctions, mais aussi en conseillant les représentants des travailleurs et des employeurs.
Les Etats ont adopté deux modes dorganisation de linspection du travail: linspection générale (qui a vu le jour en Europe continentale) et linspection spécialisée (née au Royaume-Uni). Sans débattre de leurs avantages respectifs, ces deux systèmes ont chacun leur propre appellation qui témoigne de deux points de vue très différents. Selon le mode généraliste (ou unitaire), linspection est effectuée par une seule personne, aidée de diverses institutions techniques, car ses tenants partent de lhypothèse que lexpertise générale dun inspecteur unique a de meilleures chances de déboucher sur une solution logique et cohérente des divers problèmes liés au travail. Linspecteur généraliste est un arbitre (au sens de ce mot dans la Rome antique) qui, après consultation des organismes spécialisés pertinents, essaie de régler les difficultés et les problèmes que présente un lieu de travail précis. Il règle directement les conflits de travail. Pour sa part, linspection spécialisée agit directement par lentremise dun agent avant tout technicien chargé de résoudre des problèmes spécifiques dans un champ daction plus restreint. Parallèlement, les questions relevant des relations professionnelles proprement dites sont laissées à des mécanismes bipartites ou parfois tripartites (employeurs, syndicats, autres organismes gouvernementaux), qui tentent de régler les conflits par le dialogue.
Malgré leurs divergences, les deux tendances ont ceci de commun: généraliste ou spécialiste, linspecteur du travail demeure lincarnation vivante de la loi. Dans le système généraliste, la position centrale lui permet de déterminer les besoins immédiats et dapporter des modifications en conséquence. Le cas de lItalie illustre particulièrement bien cette situation: la loi habilite linspecteur du travail à prendre des mesures exécutoires pour compléter la réglementation générale ou pour lui substituer des règles plus spécifiques. Dans le cas de linspection spécialisée, linspecteur connaît à fond les problèmes et les normes techniques et peut donc évaluer les éventuels manquements aux obligations légales et à la prévention des risques, et proposer des solutions de rechange applicables sur-le-champ.
Outre ses fonctions de surveillance, linspecteur joue un rôle central et devient souvent le pilier des institutions sociales dans le domaine du travail. Non seulement il exerce un contrôle général des obligations légales concernant les conditions de travail et la protection des travailleurs, mais encore, dans nombre de pays, linspecteur du travail surveille lexécution dautres obligations services sociaux, emploi de travailleurs étrangers, formation professionnelle, sécurité sociale, etc. Pour être efficace, linspection du travail devrait être dotée des caractéristiques énoncées dans la convention (no 81) de lOIT sur linspection du travail, 1947: nombre suffisant dinspecteurs, indépendance, formation et ressources appropriées, et pouvoirs nécessaires pour procéder aux inspections et imposer des solutions afin de remédier aux défectuosités constatées.
Dans de nombreux pays, linspection du travail est également chargée de régler les conflits de travail, de participer à la négociation des conventions collectives à la demande des parties, de prendre part aux activités de collecte et danalyse des données socio-économiques, de rédiger des mémoires et, dans son domaine dexpertise technique, de conseiller les autorités du travail et de remplir dautres fonctions dordre purement administratif. Lélargissement et la multiplicité de leurs tâches découlent du fait que les inspecteurs sont considérés comme des experts en relations professionnelles ayant en outre des connaissances techniques spécifiques. Cela reflète également une vision particulière du cadre de lactivité de lentreprise, selon laquelle linspection du travail est tenue pour linstitution idéale aux fins de lévaluation et de la solution des problèmes qui se posent dans le monde du travail. Toutefois, ce caractère multidisciplinaire se heurte dans certains cas à lécueil de la dispersion. On peut se demander si les inspecteurs du travail, tenus dassumer de multiples responsabilités, ne courent pas le risque de favoriser les activités de nature économique ou autre, au détriment de celles qui devraient constituer lessentiel de leur mission.
La principale controverse au sujet de la délimitation des fonctions typiques et prioritaires de linspection du travail porte sur la fonction relative à la conciliation dans les conflits de travail. Le contrôle et la surveillance composent assurément la majeure partie de lactivité quotidienne dun inspecteur, mais, de toute évidence, le lieu de travail nen demeure pas moins le siège des conflits de travail, quils soient individuels ou collectifs. On peut se poser la question de savoir si toutes les activités de contrôle et dévaluation de linspection du travail ne constituent pas, jusquà un certain point, un traitement «palliatif» des conflits proprement dits. Prenons par exemple le cas de linspecteur qui demande lapplication des dispositions légales sur le bruit. Dans bien des cas, son intervention fait suite à une plainte déposée par les représentants des travailleurs qui considèrent que le nombre élevé de décibels nuit à leur rendement. En conseillant lemployeur, linspecteur propose une mesure visant à résoudre un conflit individuel né des relations de travail quotidiennes. Lemployeur peut adopter ou rejeter la solution proposée, sans préjudice de laction en justice qui pourrait être intentée contre lui. De même, linspecteur qui se rend sur un lieu de travail pour vérifier si un acte de discrimination antisyndicale a été commis entend diagnostiquer et, si possible, éliminer les divergences internes qui opposent en loccurrence les parties.
Dans quelle mesure la prévention des conflits diffère-t-elle de leur règlement dans les activités quotidiennes de linspecteur du travail? La réponse nest pas aisée. Limbrication de toutes les sphères qui composent le domaine des relations professionnelles fait que linspection du travail est non seulement lincarnation de la loi, mais encore une institution qui occupe une place névralgique dans le système des relations professionnelles. Un service dinspection qui examine lensemble du monde du travail sera en mesure de garantir de meilleures conditions de travail, un milieu de travail sûr et, par conséquent, de meilleures relations professionnelles.
Ces dernières années, la législation, les instruments internationaux et les études sur la sécurité et la santé au travail ont mis en lumière limportance de linformation, de la consultation et de la coopération entre les travailleurs et les employeurs. Prévenir les conflits plutôt que les régler, voilà le mot dordre. Daucuns prétendent que, dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, les travailleurs et les employeurs partagent des intérêts communs et que les conflits peuvent donc être évités plus facilement. Et pourtant, il continue den surgir.
La relation demploi est tributaire dintérêts et dobjectifs prioritaires divergents, ainsi que denjeux en évolution constante, y compris en matière de sécurité et de santé. Il ne manque donc pas doccasions de désaccord susceptibles de dégénérer en conflits de travail. A supposer que limportance de la sécurité et de la santé en général soit largement reconnue, la nécessité de prendre des mesures spécifiques ou leur mise en uvre constituent des motifs potentiels de discorde, surtout lorsquelles exigent un surcroît de temps ou dargent ou entraînent une baisse de la production. Lorsquon parle de sécurité et de santé, il y a peu dabsolus: ainsi, la notion de risque «acceptable» est relative. De nombreux enjeux appellent un débat pour trouver le juste milieu, en particulier compte tenu du fait quil faudra peut-être traiter des situations complexes avec une aide technique limitée et sans preuves scientifiques concluantes. De plus, les perceptions fluctuent continuellement au gré des nouvelles technologies, de la recherche médicale et scientifique, de lévolution des comportements sociaux, etc. Ce domaine comporte donc un fort potentiel de divergences dopinions et de conflits.
Le règlement équitable et efficace des conflits est essentiel dans tous les secteurs des relations professionnelles, mais peut-être davantage encore dans celui de la sécurité et de la santé. Les conflits peuvent être résolus à un stade précoce lorsquune des parties porte à la connaissance de lautre des faits pertinents, que ce soit conformément aux procédures établies ou en dehors de celles-ci. On peut également recourir à la procédure interne de plaintes, ce qui exige dhabitude la participation de différents échelons de la hiérarchie. La conciliation ou la médiation permettent parfois de régler le différend ou encore un tribunal ordinaire ou un arbitre peuvent imposer une solution. Dans le domaine de la sécurité et de la santé, linspecteur du travail a également un rôle important à jouer dans le règlement des conflits. Il arrive que certains litiges mènent à un arrêt de travail qui, dans le cas de la sécurité et de la santé, peut être tenu ou non pour une grève au sens de la loi.
La sécurité et la santé peuvent donner lieu à divers types de conflits. Bien que le classement par catégorie ne soit pas toujours évident, il importe souvent de définir le conflit avec précision pour déterminer les mécanismes de règlement qui seront appliqués. Les conflits sont soit individuels, soit collectifs, selon leur origine ou selon la personne habilitée à les déclencher. En règle générale, un conflit individuel concerne un seul travailleur, alors quun conflit collectif touche un groupe de travailleurs, habituellement représenté par un syndicat. Une distinction supplémentaire est souvent faite entre conflit de droits et conflit dintérêts. Un conflit de droits (également appelé conflit juridique) porte sur lapplication ou linterprétation de droits conférés par la loi ou par une disposition inscrite dans le contrat de travail ou la convention collective, tandis quun conflit dintérêts porte sur la création de droits et dobligations, ou sur la modification de ceux qui existent. Les conflits dintérêts surviennent principalement en rapport avec la négociation collective.
Si le caractère collectif ou individuel du différend détermine parfois la procédure de règlement, cest dhabitude linteraction entre les catégories qui importe: les conflits de droits collectifs, dintérêts collectifs et de droits individuels appellent dordinaire un traitement différent. Le présent article porte uniquement sur les deux premières catégories, mais il ne faut pas oublier que certaines étapes sont communes au règlement des conflits collectifs et à celui des plaintes individuelles.
Le conflit est qualifié de collectif ou dindividuel selon que la loi permet au syndicat de contester le point en litige. Dans un certain nombre de pays, le pouvoir de négocier en matière de santé et de sécurité ou autre nest dévolu quà un syndicat dûment enregistré auprès des autorités publiques ou reconnu comme représentant un pourcentage donné des travailleurs intéressés. Dans plusieurs pays, ces préalables sappliquent également au pouvoir de soulever des conflits de droits. Dans dautres, il faut que lemployeur accepte de son plein gré de négocier avec le syndicat pour que celui-ci puisse intervenir au nom des salariés.
Un syndicat peut être en mesure dengager la procédure de règlement de lun des droits lorsque des obligations en matière de santé et de sécurité touchant le milieu de travail dans son ensemble sont en question, notamment si lemployeur ne se conforme pas à des dispositions conventionnelles ou légales établissant un niveau de bruit maximum, ou exigeant des précautions particulières en ce qui concerne les machines, ou la fourniture déquipements de protection individuelle. Des conflits juridiques peuvent également survenir quand, par exemple, lemployeur sabstient de consulter le comité de sécurité ou de santé (ou le délégué à la sécurité) ou de transmettre des informations comme la loi ou la convention collective ly obligent. La convention étant par définition collective, tout manquement présumé est considéré dans certains pays comme un conflit collectif, en particulier quand cela concerne la mise en uvre de dispositions dapplication générale comme celles qui ont trait à la sécurité et à la santé, même si, en réalité, un seul travailleur est touché immédiatement et directement par linfraction de lemployeur. Un conflit occasionné par une violation des dispositions légales peut être qualifié de collectif lorsque le syndicat intervient au nom de tous les travailleurs intéressés et quil est autorisé à le faire en raison de cette violation.
Les conflits dintérêts collectifs en matière de sécurité et de santé peuvent revêtir bien des formes. Ce type de conflit peut découler des négociations entre le syndicat et lemployeur au sujet de la création dun comité de sécurité et de santé ou des responsabilités de celui-ci, de lintroduction dune nouvelle technologie, des mesures spécifiques concernant les matières dangereuses, de la protection de lenvironnement, etc. Les négociations peuvent donner lieu à des déclarations de principe générales relatives à la sécurité et à la santé, à des améliorations spécifiques ou à des limites précises dexposition. Lorsque les parties se retrouvent dans une impasse en cours de négociation, le traitement des points de désaccord est considéré comme une extension de la liberté de négocier collectivement. La convention (no 154) de lOIT sur la négociation collective, 1981, a souligné limportance de concevoir des organes et des procédures de règlement des conflits de travail de telle manière quils contribuent à promouvoir la négociation collective (art. 5, 2) e)).
Lexpression procédure de règlement des réclamations désigne généralement une procédure interne prévue par la convention collective pour aplanir les différends concernant lapplication ou linterprétation de la convention collective (conflits de droits). Cependant, des procédures semblables sont souvent établies même en labsence dun syndicat ou dune convention collective, afin de régler les problèmes et les plaintes des travailleurs, car elles sont perçues comme un moyen plus équitable et moins coûteux de mettre fin aux conflits que le recours à la justice (McCabe, 1994). Normalement, la convention collective prévoit que la plainte sera examinée selon une procédure à plusieurs étapes en remontant la voie hiérarchique de lorganisation. Par exemple, un conflit sur la sécurité et la santé peut dabord être soumis au chef immédiat. Sil nest pas réglé à ce stade, le chef et le délégué à la sécurité et à la santé ont alors la possibilité dentreprendre une enquête, dont les conclusions sont remises à un cadre ou, peut-être, au comité de sécurité et de santé. Si aucune solution nest trouvée, un cadre supérieur peut alors intervenir. Il est possible quil faille épuiser plusieurs recours internes avant de faire appel à la procédure externe. La convention peut ensuite prévoir lintervention dune tierce partie, sous forme dinspection, de conciliation et darbitrage, sujets qui seront abordés plus en détail ci-après.
Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1967, la recommandation (no 130) sur lexamen des réclamations souligne limportance dune procédure de règlement dans le cas des conflits de droits, quils soient individuels ou collectifs. Il y est précisé que les organisations de travailleurs ou les représentants des travailleurs dans lentreprise devraient être associés aux employeurs pour établir et mettre en uvre des procédures dexamen des réclamations dans lentreprise. Ces procédures devraient être rapides, simples et ne comporter quun minimum de formalisme. Lorsque les procédures internes sont épuisées et quaucune solution acceptable pour les deux parties na été trouvée, la recommandation prévoit dautres mesures pour parvenir à un règlement final, dont lexamen conjoint du cas par les organisations de travailleurs et demployeurs, la conciliation ou larbitrage, et le recours à un tribunal du travail ou à une autre autorité judiciaire.
La convention collective ou la loi peuvent exiger que les conflits collectifs soient soumis à la conciliation ou à la médiation avant de recourir à dautres procédures de règlement. Même sans être forcées de recourir à la conciliation, les parties peuvent volontairement demander à un conciliateur, un médiateur ou à une autre tierce partie neutre de les aider à aplanir leurs divergences en vue darriver à un accord. Certains systèmes de relations professionnelles distinguent, du moins en théorie, la conciliation et la médiation. En pratique, la différence nest pas évidente et il est difficile de tracer une ligne de démarcation bien nette entre les deux. Le rôle du conciliateur est de rétablir la communication si les pourparlers ont été interrompus, daider les parties à trouver un terrain dentente pour parvenir à un règlement et, peut-être, détablir certains faits. Toutefois, le conciliateur ne fait aucune proposition formelle pour résoudre le conflit (bien quil se cantonne rarement, en pratique, à un rôle aussi passif). Le médiateur est tenu de proposer les conditions dun règlement, mais les deux parties demeurent libres daccepter ou de refuser ses propositions. Dans beaucoup de pays, il ny a pas de véritable distinction entre la conciliation et la médiation: médiateurs et conciliateurs semploient les uns comme les autres à aider les parties au litige à trouver une solution, en usant de la stratégie la plus appropriée en lespèce, tantôt passive, tantôt interventionniste.
La conciliation est lune des procédures les plus répandues et elle est tenue pour lune des plus efficaces en matière de règlement de conflits dintérêts. En cours de négociation collective, on peut envisager la conciliation comme un prolongement des négociations avec laide dune tierce partie neutre. Un nombre croissant de pays recourent aussi à la conciliation dès les premières étapes du règlement des conflits de droits. Le gouvernement peut offrir des services de conciliation ou constituer un organisme indépendant à cet effet. Dans certains pays, les inspecteurs du travail prennent part à la conciliation.
La recommandation (no 92) de lOIT sur la conciliation et larbitrage volontaires, 1951, préconise létablissement dorganismes de conciliation volontaire, gratuite et rapide, «en vue de contribuer à la prévention et au règlement des conflits de travail entre employeurs et travailleurs» (paragr. 1 et 3). La conciliation vise à garantir lexercice réel du droit de négocier collectivement, objectif repris à larticle 6,3 de la Charte sociale européenne, adoptée le 10 octobre 1961.
Larbitrage consiste en lintervention dune tierce partie neutre qui, bien que ne faisant pas partie de lappareil judiciaire établi, est autorisée à imposer une décision. Dans plusieurs pays, la quasi-totalité des conflits de droits se rapportant à lapplication ou à linterprétation de la convention collective sont réglés par voie darbitrage exécutoire, parfois après léchec de la conciliation obligatoire. Dans de nombreux pays, larbitrage est facultatif et volontaire, tandis quil est obligatoire dans dautres. Lorsque larbitrage est imposé afin de résoudre des conflits dintérêts, il se limite dhabitude à la fonction publique ou aux services essentiels. Ailleurs, toutefois, notamment dans certains pays en développement, larbitrage des conflits dintérêts est plus généralisé.
La question de larbitrage fait lobjet de la recommandation (no 92) de lOIT sur la conciliation et larbitrage volontaires, 1951. Comme dans le cas de la conciliation, cet instrument porte sur les conflits qui sont soumis volontairement à larbitrage et recommande aux parties de sabstenir de recourir à la grève ou au lock-out pendant la durée de larbitrage et daccepter la décision arbitrale. Le caractère volontaire de lacceptation des conclusions de larbitre est également souligné dans la Charte sociale européenne. Si lune des parties ou les autorités publiques peuvent engager la procédure darbitrage, celui-ci est alors réputé obligatoire. La Commission dexperts pour lapplication des conventions et recommandations de lOIT a déclaré que, dans le cas des conflits dintérêts, larbitrage obligatoire va en général à lencontre des principes énoncés dans la convention (no 98) de lOIT sur le droit dorganisation et de négociation collective, 1949, parce quil porte atteinte à lautonomie des parties à la négociation (BIT, 1994b). De plus, toute décision arbitrale définitive liant les parties intéressées risque dêtre considérée comme limitant de manière déraisonnable le droit de grève si le conflit na pas été soumis volontairement à larbitrage. La commission a indiqué que pareille interdiction limite considérablement les moyens dont disposent les syndicats pour promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres, ainsi que leur droit dorganiser leur activité et leur programme daction, et nest pas compatible avec larticle 3 de la convention (no 87) de lOIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (BIT, 1994b, paragr. 153).
Ladministration du travail assume dans la plupart des pays des responsabilités variées, dont lune des plus importantes consiste à inspecter les lieux de travail pour sassurer quils sont conformes à la législation sur lemploi, notamment en matière de sécurité et de santé. Il nest pas nécessaire quun conflit de travail éclate pour quun inspecteur intervienne. Toutefois, lorsquun conflit résulte dune infraction présumée à la loi ou à la convention, linspecteur peut jouer un rôle important dans la recherche dune solution.
Ladministration du travail remplit habituellement une fonction plus active dans les conflits portant sur la sécurité et la santé que dans les autres. Le rôle de linspecteur dans les conflits est parfois défini dans les conventions collectives ou dans la législation relative à la sécurité et à la santé, au droit du travail, à la réparation des accidents du travail ou à une branche dactivité. Dans certains pays, le délégué à la sécurité ou le comité dhygiène et de sécurité sont habilités à porter plainte contre lemployeur auprès de linspecteur du travail, dun autre fonctionnaire de ladministration du travail ou dun préposé à la sécurité et à la santé. Linspecteur peut être appelé à intervenir si une partie allègue que la réglementation en matière de prévention nest pas respectée. Ladministration du travail peut également être tenue dintervenir en raison de sa compétence en vertu des régimes dindemnisation des travailleurs.
Les inspecteurs peuvent être investis du pouvoir dordonner des améliorations, des interdictions ou des arrêts de travail, dimposer des amendes ou des sanctions, voire dentamer des poursuites. Le cas échéant, laction en justice sera intentée devant une instance civile ou pénale selon la nature de linfraction, la gravité des conséquences, la connaissance préalable des conséquences éventuelles, et la répétition de linfraction. Normalement, la décision dun inspecteur peut faire lobjet dun recours auprès de son supérieur hiérarchique, dun organe spécialisé dans le domaine du travail ou de la sécurité et de la santé, ou dun tribunal. Il peut exister des mécanismes distincts de recours administratif ou judiciaire pour les différentes branches dactivité (par exemple, les mines).
Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1947, la recommandation (no 81) sur linspection du travail encourage la collaboration entre les inspecteurs du travail et les représentants des travailleurs et des employeurs. En 1989, le Conseil des Communautés européennes a adopté la directive 89/391/CEE sur la sécurité et la santé des travailleurs, aux termes de laquelle les travailleurs et leurs représentants ont le droit de faire appel à lautorité compétente en la matière sils ne sont pas convaincus que les mesures prises par lemployeur garantiront la sécurité et la santé au travail. Conformément à la directive, les représentants des travailleurs doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations pendant les visites effectuées par lautorité compétente (art. 11, 6)).
Comme les conflits juridiques portent sur des droits ou des obligations qui existent déjà, leur règlement est régi par le principe général implicite selon lequel, en dernier ressort, ils relèvent de la compétence des tribunaux ou des arbitres et ne doivent pas être réglés par un recours à laction directe, comme la grève. Certains pays laissent aux tribunaux ordinaires le soin de trancher tous les conflits de droits, quils portent ou non sur les relations professionnelles. En revanche, dans beaucoup de pays, les tribunaux du travail ou certains tribunaux spécialisés sont saisis de conflits de droits. Ils connaissent des conflits de droits en général ou de certains types de conflits en particulier, par exemple les plaintes pour mesures disciplinaires ou pour licenciement injustifié. Ces organismes judiciaires spécialisés, compétents en matière de droit du travail, répondent à la nécessité de disposer de procédures rapides, peu onéreuses et sans formalités superflues. Les retards et les frais quentraîne le système judiciaire ordinaire sont jugés inacceptables lorsquil est question demploi, question dune importance capitale pour la vie dune personne et qui concerne souvent une relation qui doit être maintenue après le règlement du conflit. Il arrive que les tribunaux ordinaires et les tribunaux du travail se répartissent la juridiction en matière de conflits de droits collectifs. Par exemple, dans certains pays, le tribunal du travail peut uniquement trancher les conflits collectifs qui portent sur la violation présumée dune convention collective, les violations de la loi relevant des tribunaux ordinaires.
Les tribunaux du travail sont souvent composés des représentants des travailleurs et des employeurs et dun juge indépendant. Il existe aussi des tribunaux du travail formés uniquement de représentants des travailleurs et de représentants des employeurs. Par cette composition bi- ou tripartite, on veut sassurer que les membres du tribunal ont une bonne connaissance des relations professionnelles et que, par conséquent, les questions pertinentes seront examinées à fond et résolues en fonction des réalités du monde du travail. Ainsi, les décisions rendues par le tribunal inspireront dautant plus confiance et seront dautant plus convaincantes. Les représentants des travailleurs et des employeurs peuvent sexprimer à égalité pour trancher le conflit, ou encore agir uniquement à titre consultatif. Dans dautres pays, des juges sans lien avec les parties tranchent les conflits juridiques collectifs.
Dans quelques pays, les tribunaux du travail règlent les conflits collectifs portant sur le droit et sur les intérêts. Le principe évoqué à la section «Larbitrage» vaut aussi pour les tribunaux: la nature volontaire de la négociation collective est mise à mal dès que le recours à la voie judiciaire est imposé pour régler un conflit dintérêts.
Un arrêt de travail concerté peut être décidé pour toutes sortes de raisons. Le plus couramment, cette mesure est comprise comme un moyen de pression pour amener lemployeur à accepter certaines conditions, en cas dimpasse de la négociation collective. Larrêt de travail est tenu pour une grève dans la plupart des pays et considéré normalement comme un moyen légitime à la disposition des travailleurs et de leurs organisations pour promouvoir et protéger leurs intérêts.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adopté le 16 décembre 1966) reconnaît à larticle 8, 1) d)) que le droit de grève est un droit fondamental. La Charte sociale européenne, à larticle 6, 4)) associe le droit de grève au droit de négociation collective et déclare que les travailleurs et les employeurs disposent du droit daction collective dans les cas de conflits dintérêts, sous réserve des obligations dérivant de la convention collective. La Charte internationale américaine de garanties sociales (adoptée à Bogota le 30 avril 1948), article 27, reconnaît aux travailleurs le droit de faire grève; le droit de grève est donc un élément intrinsèque de la liberté syndicale, au même titre que le droit de négociation collective. La Commission dexperts pour lapplication des conventions et recommandations et le Comité de la liberté syndicale, qui relèvent du Conseil dadministration du BIT, reconnaissent que le droit de grève est inhérent aux principes généraux de la liberté syndicale énoncés dans la convention (no 87) de lOIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, bien quil ne soit pas expressément fait mention du droit de grève dans le texte de la convention. Selon la Commission dexperts, «linterdiction générale des grèves limite considérablement les possibilités quont les syndicats de promouvoir et de défendre les intérêts de leurs membres [...] et le droit quont les syndicats dorganiser leur activité» (BIT, 1994b, paragr. 147).
Dans certains pays, le droit de grève est reconnu au syndicat. Les grèves qui ne sont pas organisées ou autorisées par lui sont considérées comme «non officielles» et illégales. Dans dautres pays, au contraire, le droit de grève est un droit individuel bien quil soit généralement exercé par un groupe, auquel cas la distinction entre grève «officielle» et «non officielle» importe peu.
Même dans les pays où le droit de grève est reconnu en principe, certaines catégories de travailleurs ne peuvent sen prévaloir, par exemple les membres de la police ou des forces armées, ou encore les hauts fonctionnaires. Il arrive aussi que ce droit soit assujetti à certaines restrictions dordre procédural, par exemple lobligation de donner un préavis ou de tenir un vote sur la grève. Dans plusieurs pays, les parties doivent sabstenir de déclencher une grève ou dimposer un lock-out tant que la convention collective est en vigueur, cette interdiction étant absolue ou visant certaines questions réglementées dans la convention. Souvent, lobligation de «paix sociale» est expressément inscrite dans la législation ou dans les conventions collectives, ou reconnue implicitement par les décisions judiciaires. Dans beaucoup de pays, lexercice du droit de grève est rigoureusement limité, voire carrément interdit, dans les services essentiels. Cette restriction aux principes généraux de lOIT est permise à condition que soient tenus pour essentiels uniquement les services dont linterruption mettrait en danger, dans lensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité et la santé de la personne (BIT, 1994b, paragr. 159).
Dans le cas des conflits qui portent sur la sécurité et la santé, il faut établir une distinction entre ceux qui concernent la négociation de certains droits (par exemple, la définition des fonctions précises dun délégué à la sécurité aux fins de la mise en uvre dune politique générale en la matière) et ceux qui ont trait à des situations de danger imminent. La législation ou les conventions collectives accordent généralement aux travailleurs le droit darrêter le travail en cas de situation dangereuse ou quand ils croient quune telle situation existe. Ce droit sexerce souvent sous la forme dun droit individuel du travailleur ou des travailleurs directement exposés au risque. Il existe de multiples formules pour justifier un arrêt de travail. La conviction de bonne foi quil existe un danger peut suffire, ou bien il faudra peut-être en démontrer objectivement la réalité. Les avis divergent sur le point de savoir qui court un risque: le travailleur menacé dun danger imminent peut arrêter de travailler, ou encore ce droit peut avoir une portée plus étendue et comprendre le danger pour autrui. En général, les arrêts de travail collectifs par solidarité (grève de solidarité ou de sympathie) ne sont pas prévus dans la législation ou les conventions collectives (et peuvent donc être déclarés illégaux), bien quen fait ils existent. Il arrive aussi que le pouvoir dordonner larrêt des opérations soit dévolu aux délégués à la sécurité dans létablissement, qui peuvent les interrompre jusquà ce que ladministration du travail rende une décision finale.
La convention (no 155) de lOIT sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, dispose en son article 13 que les travailleurs devront être protégés contre toutes conséquences injustifiées sils sécartent du danger lorsquils ont un motif raisonnable de croire quil existe un risque imminent et sérieux pour leur sécurité ou leur santé. Larticle 8, 4) de la directive 89/391/CEE du Conseil des Communautés européennes comporte une disposition analogue en cas de «danger grave, immédiat et qui ne peut être évité». Souvent, le droit dinterrompre le travail en raison dun danger imminent est inscrit dans la législation sur la santé et la sécurité. Dans certains pays, ce droit trouve place dans la législation du travail, et larrêt de travail imposé pour des raisons de sécurité nest pas tenu pour une grève; partant, il nest pas nécessaire de suivre la procédure qui doit précéder une grève et lobligation de paix sociale nest pas transgressée. De même, lorsque lemployeur interdit laccès du lieu de travail pour se conformer à une ordonnance darrêt de travail ou lorsquil a un motif raisonnable de croire quil existe un risque imminent pour la sécurité ou la santé, cette action patronale nest généralement pas tenue pour un lock-out.
Un conflit individuel survient quand il y a désaccord entre un travailleur et son employeur sur un aspect de leur relation demploi. Un conflit individuel est un cas typique de «conflit de droits», puisquil porte sur lapplication des conditions énoncées dans la loi ou dans un accord en vigueur, quil sagisse dune convention collective ou dun contrat de travail individuel verbal ou écrit. Le montant du salaire versé ou le mode de paiement utilisé, lhoraire de travail, les conditions de travail, les congés, etc., sont des sujets possibles de litige. Dans le domaine de la sécurité et de la santé, le conflit individuel peut porter sur lutilisation de léquipement de protection individuelle, le paiement dune indemnité supplémentaire pour lexécution de tâches dangereuses, ou prime de risque (cette pratique est maintenant condamnée en faveur de lélimination des risques), le refus dexécuter un travail présentant un danger imminent et lobservation des règles de sécurité et de santé.
Un conflit individuel peut être déclaré par un travailleur qui fait valoir ses droits, réels ou présumés, ou qui conteste la mesure disciplinaire ou le licenciement imposé par lemployeur. Lorsque le litige est identique sur le fond aux plaintes déposées au nom dautres travailleurs individuels ou quil soulève une question de principe importante pour le syndicat, le conflit individuel peut aussi mener à une action collective et, quand lenjeu réside dans lobtention de nouveaux droits, le conflit individuel peut se transformer en conflit dintérêts. Par exemple, le travailleur qui refuse daccomplir un travail quil estime trop dangereux risque une sanction disciplinaire, voire le licenciement; si le syndicat juge que ledit travail expose les autres travailleurs à un danger constant, il sattaquera peut-être à cette situation en déclenchant une action collective, arrêt de travail compris (par exemple, une grève légale ou sauvage). Il est donc possible quun conflit individuel aboutisse à une action collective et devienne ainsi un conflit collectif. De même, le syndicat peut voir dans le litige une question de principe qui, sil ny est pas fait droit, le conduira à formuler de nouvelles exigences, ce qui se soldera par un conflit dintérêts lors de futures négociations.
Le règlement dun conflit individuel est en grande partie tributaire de trois facteurs: 1) la portée de la protection juridique accordée aux travailleurs dans le pays; 2) le fait que le travailleur soit protégé ou non par une convention collective; 3) la facilité avec laquelle le travailleur peut faire respecter ses droits en vertu de la loi ou aux termes dune convention collective.
Malgré tout, certains droits individuels sont universels dans la plupart des pays, quelles que soient la durée de lengagement ou la taille de lentreprise. Au nombre de ces droits figure normalement la protection des travailleurs contre les représailles lorsquils exercent une activité syndicale ou lorsquils dénoncent aux autorités une violation présumée de la loi par leur employeur; dans ce dernier cas, il sagit de la protection accordée à la personne «qui tire la sonnette dalarme» et divulgue certaines informations. Dans la plupart des pays, la loi confère à tous les travailleurs une protection contre la discrimination fondée sur la race ou le sexe (y compris la grossesse) et, dans bien des cas, la religion, lopinion politique, lascendance nationale ou lorigine sociale, létat matrimonial et les responsabilités familiales. Ces motifs énumérés dans la convention (no 158) de lOIT sur le licenciement, 1982, sont considérés comme ne constituant pas des motifs valables de licenciement; la convention en ajoute dautres: laffiliation syndicale ou la participation à des activités syndicales; le fait de solliciter, dexercer ou davoir exercé un mandat de représentation des travailleurs; le fait davoir déposé une plainte, ou participé à des procédures engagées contre un employeur en raison de violations alléguées de la législation, ou davoir présenté un recours devant les autorités administratives. De toute évidence, ces trois derniers motifs non admis sont particulièrement pertinents pour la protection des droits des travailleurs à la sécurité et à la santé. La Commission dexperts pour lapplication des conventions et recommandations de lOIT a mis en relief la gravité des mesures de représailles, notamment sous forme de licenciement, contre un travailleur qui aurait dénoncé la non-application, par son employeur, de règles en matière de sécurité et dhygiène du travail alors que lintégrité physique des travailleurs, leur santé, leur vie même pouvaient être mises en danger. Lorsque des droits fondamentaux ou lintégrité physique ou la vie des travailleurs sont en jeu, il serait souhaitable que les modalités de preuve (renversement de la charge de la preuve) et les mesures de réparation (réintégration) soient de nature à permettre aux travailleurs de dénoncer les pratiques illégales sans crainte de représailles (BIT, 1995c).
Cependant, pour ce qui est du maintien en emploi du travailleur, les deux déterminants principaux des droits de cette personne sont, dune part, le mécanisme dapplication de la loi dont elle dispose pour faire valoir ses droits et, dautre part, le type de contrat de travail aux termes duquel elle a été embauchée. En général, plus la durée de lengagement est longue, meilleure est la protection. Ainsi, un travailleur en période dessai (quelques mois dans la plupart des pays) sera peu protégé contre le licenciement, voire pas du tout. Il en va de même du travailleur occasionnel (embauché à la journée) et du travailleur saisonnier (engagé pour une période limitée, chaque année à la même époque). Le travailleur bénéficiant dun contrat de travail de durée déterminée sera protégé pendant la durée du contrat, mais en règle générale, sans droit de reconduction. Par comparaison, la situation des travailleurs embauchés aux termes dun contrat de travail de durée indéterminée est la plus sûre, mais ces travailleurs peuvent quand même être licenciés pour des raisons particulières ou, plus généralement, pour ce que lon qualifie de «faute grave». De plus, leurs postes peuvent être supprimés lors dune restructuration de lentreprise. Vu les pressions croissantes pour la flexibilité du marché du travail, la tendance la plus récente de la législation régissant les contrats de travail accorde plus de facilité aux employeurs désireux de «dégraisser leffectif» au cours dune restructuration. En outre, de nouvelles formes de relations de travail hors du cadre traditionnel employeur-salarié sont apparues; or, dans ces cas-là, le travailleur individuel sans statut risque dêtre peu protégé par la loi.
Un conflit individuel peut souvent découler du refus dun salarié dexécuter un travail qui, à son avis, présente un risque imminent; il doit avoir des motifs raisonnables de croire à lexistence de ce risque et agir de bonne foi. Aux Etats-Unis, le travailleur doit avoir des motifs raisonnables de croire que lexécution du travail constitue un danger imminent de mort ou de lésion corporelle grave. Dans certains pays, ce droit fait lobjet de la négociation collective; dans dautres, il découle de la loi ou des interprétations des tribunaux. Malheureusement, ce droit important nest pas encore universellement reconnu, bien quil soit énoncé en tant que principe fondamental à larticle 13 de la convention (no 155) de lOIT sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981. Même quand ce droit est inscrit dans la loi, les salariés qui lexercent peuvent redouter des représailles ou la perte de leur emploi, surtout sils ne sont pas soutenus par un syndicat ou des services dinspection du travail efficaces.
Le droit de refuser un travail dangereux est normalement assorti du devoir de signaler immédiatement cette situation à lemployeur et, parfois, dinformer le comité paritaire de sécurité. Tant que le problème nest pas réglé, lemployeur ne doit (ré)affecter à ce travail ni le travailleur qui a refusé de lexécuter ni une autre personne à sa place. Si lemployeur passe outre à cette interdiction et quun travailleur est victime dun accident, lemployeur peut être légalement passible de graves sanctions civiles et pénales (comme en France et au Venezuela). Au Canada, le travailleur qui refuse daccomplir un travail dangereux et le délégué à la sécurité ont le droit dêtre présents lorsque lemployeur entreprend une enquête sur place. Si le travailleur refuse toujours dexécuter le travail après que lemployeur a pris des mesures correctives, une inspection gouvernementale accélérée peut être effectuée. Lemployeur nest pas en droit dexiger que le salarié exécute ce travail, jusquà ce que lautorité gouvernementale rende sa décision à la suite de linspection. De plus, lemployeur est censé donner au travailleur une autre affectation, de manière à ce que ce dernier ne subisse pas de perte de salaire. Quiconque est désigné pour exécuter le travail à la place du salarié qui a refusé de laccomplir doit être mis au courant du refus de celui-ci.
La reconnaissance du droit de refuser un travail dangereux constitue une exception importante à la règle générale voulant que, dune part, lemployeur attribue le travail et lemployé lexécute et, dautre part, que lemployé nabandonne pas son poste et ne refuse pas de se conformer aux instructions de lemployeur. La justification conceptuelle du droit de refus réside dans lurgence de la situation et dans la présence dintérêts dordre public visant à sauver des vies (Bousiges, 1991; Renaud et Saint-Jacques, 1986).
La participation dun travailleur à une grève pour protester contre des conditions de travail dangereuses est une autre source de conflit individuel. Le sort du travailleur dépendra de la légalité de larrêt de travail et de la mesure dans laquelle le droit de grève est garanti en lespèce. Il ne sagit pas seulement de la situation du droit de grève en tant que droit collectif, mais aussi de la façon dont le système juridique interprète la décision de se retirer du travail. Dans bon nombre de pays, faire la grève constitue une rupture du contrat de travail par le salarié. Que cette rupture soit pardonnée ou non dépend du rapport de forces entre le syndicat et lemployeur et, éventuellement, le gouvernement. Le travailleur assuré dun solide droit de grève théorique, mais susceptible dêtre remplacé de façon temporaire ou permanente, hésitera à en faire usage par crainte de perdre son emploi. Dans dautres pays, la loi interdit explicitement le licenciement pour participation à une grève légale (Finlande, France).
Les moyens permettant de régler un conflit individuel sont généralement les mêmes que ceux dont on dispose pour régler les conflits collectifs. Cependant, les divers systèmes de relations professionnelles abordent chacun la question sous un angle différent. Dans certains pays (Allemagne, Israël, Lesotho et Namibie), les tribunaux du travail ont compétence pour résoudre les conflits collectifs et individuels. Les tribunaux du travail au Danemark et en Norvège connaissent uniquement des conflits collectifs, les plaintes des travailleurs individuels étant du ressort exclusif des tribunaux civils ordinaires. Dans dautres pays, notamment en France et au Royaume-Uni, des mécanismes spéciaux sont réservés au règlement des conflits entre les travailleurs individuels et leurs employeurs. Aux Etats-Unis, les individus ont le droit dintenter des poursuites pour discrimination illégale dans lemploi devant des organes distincts de ceux qui sont saisis de pratiques de travail déloyales. Cependant, en milieu de travail non syndiqué et malgré les critiques des praticiens du monde du travail, larbitrage des conflits individuels à linitiative de lemployeur est favorablement accueilli. En milieu de travail organisé, le syndicat peut donner suite au grief dun travailleur protégé par une convention collective qui, habituellement, renvoie le conflit à larbitrage volontaire. La capacité dun individu dobtenir gain de cause est souvent tributaire de laccès à des procédures équitables, rapides et dun coût abordable, ainsi que de lappui dun syndicat ou dun service dinspection du travail compétent sur lequel il peut compter.