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Chapitre 20 - Le développement, la technologie et le commerce

LA SANTÉ AU TRAVAIL ET LE DÉVELOPPEMENT

Jerry Jeyaratnam

Cet article est consacré aux problèmes que la santé au travail pose à l’heure actuelle dans les pays en développement et ailleurs aussi. Les questions générales d’ordre technique communes au monde développé et au monde en développement (le plomb et les pesticides, par exemple) ne seront pas évoquées dans cet article puisqu’elles sont traitées dans une autre partie de l’Encyclopédie. En revanche, nous aborderons ici, dans le présent chapitre, certains problèmes de santé au travail qui commencent à apparaître dans les pays d’Europe orientale.

On estime que, d’ici à l’an 2000, huit travailleurs sur dix dans le monde vivront dans les pays en développement; il importe donc de réfléchir aux besoins prioritaires de ces pays en matière de santé au travail. Il s’agit d’abord pour eux de pouvoir offrir à l’ensemble de leur population un système adéquat de soins de santé. Ces besoins rejoignent la définition de la santé au travail donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui envisage la santé du travailleur dans son ensemble et ne se limite pas aux seules maladies professionnelles. Comme le montre la figure 20.1, le travailleur peut être victime de maladies telles que la malaria, qui affectent la collectivité et peuvent se manifester aussi parmi la population active, ainsi que de maladies liées au travail dont les causes sont multiples. Dans ces derniers cas, le travail peut constituer un facteur déterminant ou aggravant de l’état de santé du patient. Citons, par exemple, les maladies cardio-vasculaires et psychosomatiques, ainsi que les cancers. Enfin, les maladies professionnelles proprement dites, telles que le saturnisme, la silicose ou la surdité due au bruit sont, elles, causées essentiellement par l’exposition sur le lieu de travail.

Figure 20.1 Types de maladie pouvant affecter les travailleurs

Figure 20.1

Pour l’OMS, la relation entre le travail et la santé va dans les deux sens, comme le montre la figure 20.2. Le travail peut avoir un effet négatif ou positif sur la santé, alors que l’état de santé du travailleur, lui, se répercute sur son travail et sa productivité.

Figure 20.2 Relations entre le travail et la santé

Figure 20.2

La contribution fournie par un travailleur en bonne santé a un effet positif sur la productivité, la qualité des produits, la motivation au travail et la satisfaction professionnelle et, par là même, la qualité générale de vie des individus et de la société, ce qui fait de la santé au travail un objectif important de la politique nationale de développement. Pour atteindre cet objectif, l’OMS a proposé la Stratégie mondiale pour la santé au travail pour tous (OMS, 1995), dont les dix objectifs prioritaires sont de:

La santé au travail et le développement national

La santé au travail et le développement national étant étroitement liés, il est bon d’envisager la première dans le contexte du second. Toute nation souhaite atteindre un haut niveau de développement, mais ce sont les pays moins avancés qui visent, voire revendiquent, une croissance rapide. La plupart du temps, ce sont les avantages économiques du développement qui sont le plus recherchés. Cependant, on entend en général par développement véritable un phénomène plus vaste qui englobe une amélioration de la qualité de la vie, ce qui touche à certains aspects du développement économique et renforce l’estime de soi et la liberté de choix individuelle. Nous en examinerons les conséquences sur la santé de la population active.

Tandis que le produit intérieur brut (PIB) mondial est resté quasiment inchangé de 1965 à 1989, celui des pays en développement a pratiquement décuplé. Mais cette croissance économique rapide doit être replacée dans une situation de pauvreté générale. Le monde en développement, qui représente les trois quarts de la population du globe, n’est à l’origine que de 15% du produit intérieur brut mondial. En Asie, tous les pays, à l’exception du Japon, sont classés parmi les pays en développement malgré les disparités importantes qui existent entre eux. Ainsi, des pays et territoires tels que la Chine, la République de Corée, Hong-kong, Singapour et Taiwan (Chine) sont classés actuellement parmi les nouveaux pays industriels (NPI). Bien qu’arbitraire, ce classement implique une transition entre le statut de pays en développement et celui de pays industriel. Il faut reconnaître qu’aucun critère précis ne définit les NPI, encore qu’ils partagent des caractéristiques économiques importantes — c’était du moins le cas avant la crise: persistance de taux de croissance élevés, réduction des inégalités de revenus, rôle actif du gouvernement, faible taux d’imposition, sous-développement de l’Etat-providence, fort taux d’épargne et économie tournée vers l’exportation.

La santé et le développement

Il existe un lien étroit entre la santé, le développement et l’environnement. Ainsi, un développement tous azimuts, incontrôlé et tendant à la seule expansion économique, peut avoir des effets négatifs sur la santé. Toutefois, il existe en général une forte corrélation entre le niveau économique d’un pays et la santé de ses habitants, cette dernière étant mesurée à l’aune de l’espérance de vie.

S’il est clair néanmoins que le développement favorise la santé, on ne se rend pas suffisamment compte que cette dernière est, en fait, la force qui génère le développement. La santé ne saurait être assimilée à un produit de consommation. Investir dans la santé, c’est accroître le capital humain d’une société. Contrairement aux infrastructures, dont la valeur diminue au fil du temps, les dépenses de santé peuvent rapporter de gros dividendes sociaux pour toute une génération et, parfois même, pour la génération suivante. Toute atteinte à la santé d’un travailleur risque de nuire à l’exécution de ses tâches, ce qui est particulièrement crucial pour les nations engagées dans la course au développement. On juge, par exemple, que de piètres conditions de santé au travail et une diminution de la capacité de travail peuvent entraîner un manque à gagner représentant 10 à 20% du produit national brut (PNB). La Banque mondiale, pour sa part, estime que des programmes de sécurité et de santé au travail pourraient permettre d’économiser deux tiers des années de vie corrigées du facteur invalidité (AVCI) liées au travail. C’est pourquoi la mise en place de services de santé au travail ne doit pas être considérée par la nation comme une dépense superflue, mais au contraire indispensable pour promouvoir l’économie et le développement. Des études ont montré qu’il existe une corrélation positive entre un bon niveau de santé au travail et un fort PNB par habitant (OMS, 1995). Les pays qui consacrent le plus de ressources à la sécurité et à la santé au travail sont aussi ceux qui ont les niveaux de productivité les plus élevés et les économies les plus solides. A l’échelle mondiale, on estime que chaque travailleur apporte l’équivalent de 9 160 dollars E.-U. par an au produit intérieur. On le voit, le travailleur est le moteur de l’économie nationale, et ce moteur doit être entretenu pour demeurer en bon état de marche.

Le développement entraîne de nombreux changements dans le tissu social et, notamment, dans la structure de l’emploi et l’évolution des secteurs productifs. Au cours des premières phases du développement, l’agriculture participe fortement à la richesse nationale et fournit la majeure partie de la main-d’œuvre. Avec le développement, le rôle de l’agriculture commence à décliner au profit de l’industrie manufacturière. Ensuite, celle-ci est supplantée par le secteur des services qui devient la source de revenu la plus importante, comme dans les économies avancées des pays industriels. C’est une tendance que l’on constate lorsqu’on compare les NPI à ceux du groupe de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Ces derniers pourraient être classés parmi les pays à revenu moyen du monde en développement, alors que les NPI appartiennent aux deux mondes — développé et en développement. Singapour, membre de l’ANASE, est également un NPI. Les nations de l’ANASE, bien qu’elles tirent approximativement un quart de leur PIB de l’agriculture, doivent près de la moitié de celui-ci à l’industrie et aux activités manufacturières. Les NPI, pour leur part, Hong-kong et Singapour en particulier, obtiennent environ deux tiers de leur PIB du secteur des services, et très peu, sinon rien, de l’agriculture. Il est donc important de bien comprendre cette évolution structurelle puisque les services chargés de la santé au travail doivent répondre aux besoins de la population active de chaque pays selon son niveau de développement (Jeyaratnam et Chia, 1994).

Outre cette transition qui intervient sur les lieux de travail, le développement s’accompagne aussi d’un changement des types de maladies. Ceux-ci évoluent de pair avec un allongement de l’espérance de vie, cette dernière indiquant un PIB en hausse. On observe, avec l’un ou l’autre de ces phénomènes, une importante diminution des décès par maladies infectieuses, tandis que le nombre de décès dus à des maladies cardio-vasculaires et aux cancers augmente.

La santé au travail et le développement

La santé de la population active est un élément essentiel du développement national. Mais, en même temps, il convient de déceler les pièges et les dangers qu’il recèle et de s’en prémunir de façon adéquate. Les dommages que le développement est susceptible de causer à la santé humaine et à l’environnement ne sauraient être négligés. La planification du développement peut contribuer à prévenir les maux qui lui sont inhérents.

L’absence de structures légales et institutionnelles adéquates

Les pays développés se sont dotés d’infrastructures légales et administratives au rythme de leurs progrès techniques et économiques. En revanche, les pays en développement ont accès aux technologies avancées des pays développés alors qu’ils n’ont pas mis en place d’infrastructures pour maîtriser les effets négatifs que ce progrès peut avoir sur la population active et sur l’environnement. Il existe ainsi un décalage entre le niveau technologique et le développement social et administratif.

En outre, même lorsqu’il existe des mécanismes de contrôle, il arrive qu’ils soient ignorés pour des raisons économiques ou politiques, voire les deux; la catastrophe de Bhopal, en Inde, en est un bon exemple: pour des raisons politiques et autres, on n’a pas tenu compte de l’avis d’un des responsables de la compagnie. Bien souvent, les pays en développement adoptent les normes et la législation des pays développés alors qu’ils n’ont pas le personnel qualifié pour en assurer l’application. De plus, ces normes sont souvent inadaptées à leurs besoins, ne tenant pas compte des différences de statut nutritionnel, de prédisposition génétique, de niveaux d’exposition et d’horaire de travail.

Dans le domaine de la gestion des déchets, la plupart des pays en développement ne disposent pas d’un système approprié ou d’une autorité réglementaire pour en assurer une élimination correcte. En valeur absolue et par rapport aux pays développés, ils ne produisent qu’une faible quantité de déchets, mais ils les éliminent pour la plupart sous forme liquide, polluant ainsi gravement les rivières, ruisseaux et points d’eau. Les déchets solides sont déposés dans des décharges sauvages, sans contrôle adéquat. De plus, les pays en développement sont souvent les destinataires des déchets dangereux du monde développé.

Or, si l’on ne prend pas des mesures de sauvegarde pour éliminer les déchets dangereux, les effets de la pollution de l’environnement se feront sentir sur plusieurs générations. Il est bien connu que le plomb, le mercure et le cadmium rejetés par l’industrie contaminent les sources d’eau en Chine, en Inde et en Thaïlande.

L’absence de planification de l’implantation des zones industrielles et résidentielles

Dans la plupart des pays, la planification des zones industrielles est du ressort du gouvernement. Faute d’une réglementation convenable, on a tendance à construire des logements dans le périmètre de ces zones, car les industries constituent une source d’emplois pour la population locale. Ce fut notamment le cas à Bhopal, dont nous venons de parler, et dans le complexe industriel de Ulsan/Onsan en République de Corée. La concentration d’investissements industriels dans ce dernier a entraîné un afflux rapide de population à Ulsan City. En 1962, elle était peuplée de 100 000 personnes; en l’espace de 30 ans, elle en comptait 600 000. En 1962, 500 ménages vivaient dans le périmètre du complexe industriel; en 1992, on en dénombrait 6 000. Les habitants du quartier se plaignaient de problèmes de santé très variés imputables à la pollution industrielle (OMS, 1992).

Conséquence de ces densités élevées de population autour des complexes industriels, les risques de pollution, d’accumulation de déchets dangereux, d’incendie et d’accident se sont fortement multipliés. En outre, la santé et l’avenir des enfants vivant aux alentours de ces zones sont réellement mis en péril.

L’absence d’une culture de la sécurité parmi les travailleurs et l’encadrement

Les travailleurs des pays en développement n’ont souvent reçu qu’une formation insuffisante à l’utilisation des nouvelles technologies et des procédés industriels. Nombre d’entre eux proviennent d’un milieu rural où le rythme de travail et les risques professionnels sont radicalement différents. Leur niveau d’instruction est souvent beaucoup moins élevé que dans les pays développés. Ils ignorent donc et les risques pour leur santé et les méthodes de travail susceptibles de les prévenir. L’incendie de l’usine de jouets de Bangkok, en Thaïlande, évoqué au chapitre «Les incendies», en constitue une bonne illustration. Aucune précaution correcte en matière de prévention des incendies n’avait été prise. Les issues de secours étaient fermées à clé. Les substances inflammables étaient mal entreposées, rendant impossible l’accès aux sorties existantes. C’est ainsi que s’est produit le pire sinistre de l’histoire industrielle avec 187 morts et 80 disparus (Jeyaratnam et Chia, 1994).

Les accidents sont souvent chose courante du fait de l’absence d’engagement de la direction en faveur de la sécurité et de la santé des travailleurs. L’une des raisons en est le manque de personnel qualifié pour assurer l’entretien et la maintenance des machines et matériels. Il faut aussi citer la pénurie de devises et les restrictions à l’importation qui entravent l’approvisionnement en pièces de rechange. Par ailleurs, du fait d’un fort taux de rotation du personnel et de la grande quantité de main-d’œuvre disponible, les employeurs n’ont guère intérêt à consacrer beaucoup d’argent à la formation et à l’éducation des travailleurs.

Le transfert des industries dangereuses

Les industries dangereuses et les technologies indésirables dans les pays développés sont souvent délocalisées dans les pays en développement. Il est avantageux de transférer une production entière vers un pays où la réglementation sur l’environnement et la santé est peu contraignante et, donc, moins coûteuse à appliquer. Ainsi, les entreprises du complexe industriel d’Ulsan/Onsan, en République de Corée, se conformaient aux dispositions de la législation coréenne locale sur le contrôle des émissions, moins rigoureuses que dans leur pays d’origine. La conséquence directe en est un transfert des industries potentiellement polluantes vers la République de Corée.

Une forte proportion de petites industries

La proportion de petites industries et celle des personnes qu’elles emploient est plus élevée dans les pays en développement que dans les pays développés. Il est plus difficile dans ces pays de faire respecter les règlements de sécurité et de santé au travail.

Un niveau de santé et une qualité de soins médiocres

Avec le développement économique et industriel, de nouveaux risques pour la santé apparaissent avec, en toile de fond, un mauvais état de santé de la population et un système de soins de santé primaires qui est loin d’être suffisant. Les ressources restreintes consacrées aux soins médicaux en seront d’autant obérées.

L’état de santé des travailleurs est souvent moins bon dans les pays en développement que dans les pays développés. Les carences nutritionnelles sont fréquentes, tout comme les maladies parasitaires ou infectieuses. Elles peuvent accroître la prédisposition du travailleur à contracter des maladies professionnelles. L’effet combiné des facteurs professionnels et non professionnels sur la santé du travailleur est un autre élément important dont il convient de tenir compte. Les travailleurs souffrant d’anémies nutritionnelles sont souvent très sensibles à de très faibles niveaux d’exposition au plomb inorganique. Des anémies importantes s’accompagnent fréquemment de taux de plomb dans le sang d’environ 20 µg/dl. On relève un autre exemple parmi les travailleurs souffrant d’anémies congénitales telles que la thalassémie, dont le taux de porteurs dans certains pays est élevé. Il a été signalé que ces porteurs sont très sensibles au plomb inorganique, et que le retour de l’hémoglobine à la normale prend plus de temps que chez les non-porteurs.

Cela montre à quel point la ligne de démarcation est étroite entre les maladies professionnelles traditionnelles, les maladies liées au travail et celles dont souffre l’ensemble de la population. Dans le monde en développement, le souci premier des Etats devrait être, sur le plan de la santé, de veiller à ce que l’état général de tout travailleur soit bon. Afin d’atteindre cet objectif, les autorités sanitaires du pays devraient s’occuper de mettre sur pied un programme destiné à doter de services de santé toute la population active.

Il faut aussi admettre que le monde du travail est déterminant pour la sécurité du milieu. Dans cette optique, il conviendrait de réviser la législation afin qu’elle s’applique à tous les lieux de travail, et non aux seuls ateliers de fabrication. Elle ne doit pas avoir pour unique objectif d’assurer que les lieux de travail répondent aux critères de sécurité et de santé, mais elle doit également veiller à ce que les travailleurs reçoivent régulièrement des soins de santé.

Le rôle essentiel dans la santé au travail qu’ont à jouer deux secteurs importants, celui du travail et celui de la santé, s’imposerait alors comme une évidence. Cette reconnaissance de l’intersectorialité de la santé est un élément capital du succès d’un tel programme. Pour instaurer une coopération satisfaisante de ces deux secteurs, il faut créer un organe de coordination.

Enfin, il est crucial de prévoir par voie législative la fourniture de services de santé au travail et d’assurer la sécurité sur les lieux de travail. Encore une fois, nombre de pays asiatiques ont admis cette nécessité et possèdent aujourd’hui une telle législation, bien que sa mise en application puisse encore laisser à désirer.

Conclusion

Dans les pays en développement, l’industrialisation est un élément nécessaire de la croissance économique et du développement. Bien qu’elle soit susceptible d’entraîner des conséquences négatives sur la santé, le développement économique qui l’accompagne peut avoir de nombreux effets positifs dans ce domaine. Le but est de réduire le plus possible les effets néfastes de l’industrialisation sur la santé et l’environnement et d’en maximiser les effets bénéfiques. Dans les pays développés, l’expérience des conséquences négatives de la révolution industrielle a conduit à régulariser le rythme du développement. En général, ces pays l’ont fait avec succès et ils ont eu le temps de mettre en place toute l’infrastructure nécessaire pour maîtriser à la fois les problèmes de santé et d’environnement.

Aujourd’hui, les pays en développement qui, du fait de la concurrence internationale, ne peuvent s’offrir le luxe de régulariser la cadence de leur industrialisation ont un défi à relever: tirer les leçons des erreurs et de l’expérience du monde développé. Les pays développés doivent, pour leur part, aider les pays moins avancés sans profiter indûment de leur main-d’œuvre ou de leur manque de moyens financiers et de l’absence de mécanismes de réglementation car, à l’échelle mondiale, la pollution de l’environnement et les problèmes de santé ne connaissent pas de frontières politiques ou géographiques.

LES PAYS INDUSTRIELS ET LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ AU TRAVAIL

Toshiteru Okubo

Vue d’ensemble

L’activité économique, exprimée en produit national brut (PNB) par habitant, présente des différences sensibles dans les pays en développement et dans les pays industriels. Selon un classement établi par la Banque mondiale, le PNB du pays en tête de liste est approximativement 50 fois celui du dernier. Les Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont à l’origine de près de 20% du PNB total du monde.

Les Etats membres de l’OCDE consomment près de la moitié des ressources énergétiques mondiales. Les émissions de dioxyde de carbone des trois premiers pays représentent 50% de l’ensemble du fardeau que supporte le globe; ces pays sont responsables des graves problèmes de pollution dans le monde. Cependant, depuis les deux crises pétrolières de 1973 et 1978, les pays industriels ont déployé des efforts importants pour économiser l’énergie en remplaçant les anciens procédés par d’autres, plus efficaces. Pendant cette même période, les industries lourdes — qui consomment beaucoup d’énergie, comportent nombre de travaux pénibles et exposent les travailleurs à des risques ou à des dangers — se sont déplacées vers des pays moins industriels. Par conséquent, la consommation d’énergie des pays en développement va augmenter au cours de la prochaine décennie, et l’on peut craindre que des problèmes liés à la pollution de l’environnement, ainsi qu’à la sécurité et à la santé sur les lieux de travail, ne s’aggravent.

Au cours de leur industrialisation, de nombreux pays ont observé un vieillissement de leur population. Dans les principaux pays industriels, les personnes âgées de 65 ans et plus représentent 10 à 15% de la population totale, pourcentage nettement plus élevé que dans les pays en développement.

Une telle disparité reflète de plus faibles taux de natalité et de mortalité dans les pays industriels. Ainsi, le taux de natalité y est inférieur à 2%, tandis que les taux les plus élevés, soit plus de 5%, sont enregistrés en Afrique et au Moyen-Orient, 3% ou plus étant un taux courant dans de nombreux pays en développement. L’accroissement de la proportion de travailleuses, qui représente 35 à 50% de la main-d’œuvre des pays industriels (elle est généralement inférieure à 30% dans ceux qui le sont moins), peut être rapproché du fait qu’elles ont moins d’enfants.

Un meilleur accès à un niveau d’instruction plus élevé va de pair avec une plus forte proportion de travailleurs qualifiés. Il s’agit là d’une autre différence significative entre pays industriels et pays en développement. Dans ces derniers, la proportion de travailleurs qualifiés n’a jamais dépassé les 5%, en fort contraste avec les pays nordiques, où le chiffre varie de 20 à 30%. Les autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord se situent entre les deux, les travailleurs qualifiés constituant plus de 10% de la population active. L’industrialisation dépend essentiellement de la recherche et du développement, activités qui comportent un haut niveau de stress ou de tension, alors qu’une grande partie du travail dans les pays en développement se caractérise par des risques physiques.

La sécurité et la santé au travail: un bilan

La croissance économique et les changements structurels observés dans nombre de pays en voie d’industrialisation se sont accompagnés d’une diminution de l’exposition à des produits chimiques dangereux, à la fois du point de vue du niveau d’exposition et du nombre de travailleurs exposés. Par conséquent, les cas d’intoxication aiguë ou de maladies professionnelles classiques sont en régression. Cependant, des troubles différés ou chroniques liés à une exposition remontant à plusieurs années (pneumoconioses et cancers professionnels, par exemple) apparaissent encore, même dans les pays industriels.

Par ailleurs, les innovations techniques ont entraîné l’utilisation de nombreux produits chimiques récents. En décembre 1982, pour prévenir les risques présentés par ces nouveaux produits, l’OCDE a adopté une recommandation internationale relative à l’ensemble minimal de données préalables à la commercialisation.

Parallèlement, la vie dans l’entreprise et dans la collectivité s’est avérée plus stressante que jamais. La proportion de travailleurs souffrant de problèmes liés ou conduisant à l’abus d’alcool, de drogues ou de médicaments et à l’absentéisme s’est accrue dans de nombreux pays industriels.

Dans ces mêmes pays, le nombre des accidents du travail a été en diminuant, du fait des progrès réalisés grâce aux moyens techniques de prévention mis en œuvre et à l’introduction massive de processus et de matériels automatisés. La réduction du nombre absolu de travailleurs affectés à des travaux dangereux, conséquence du développement de l’industrie légère au détriment de l’industrie lourde, y a également contribué. Le nombre de personnes tuées dans des accidents du travail au Japon a diminué, passant de 3 725 en 1975 à 2 348 en 1995. Cependant, l’analyse de cette tendance dans le temps montre que le taux de diminution a ralenti au cours des dix dernières années. La fréquence des accidents du travail au Japon (accidents mortels compris) est tombée de 4,77 par million d’heures travaillées en 1975 à 1,88 en 1995; une baisse un peu plus lente a été constatée entre 1989 et 1995. Cette stabilisation de la tendance à la réduction des accidents du travail a également été constatée dans d’autres pays industriels; c’est ainsi que les Etats-Unis n’ont enregistré aucune baisse dans la fréquence des accidents du travail depuis plus de 40 ans. Ce phénomène résulte en partie d’un déplacement des accidents classiques, que l’on peut éviter grâce à diverses mesures de sécurité, vers de nouveaux types d’accidents provoqués par l’introduction de machines automatisées.

La convention (no 161) de l’OIT sur les services de santé au travail, 1985, a défini des normes importantes en la matière. Même si son champ d’application inclut à la fois les pays en développement et les pays développés, les principes qu’elle reflète reposent sur des programmes en vigueur dans les pays industriels et sur l’expérience que ceux-ci ont acquise.

Les grandes lignes du système de services de santé au travail d’un pays donné sont généralement tracées par la législation. Il en existe deux types principaux. Le premier est en vigueur aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où la législation ne prescrit que les normes à observer. La réalisation des objectifs est laissée à l’employeur, le gouvernement fournissant sur demande l’information et l’assistance technique. La vérification du respect de ces normes relève de l’administration.

Le second est représenté par la législation française, qui ne définit pas uniquement les objectifs, mais détaille également les procédures pour les atteindre. Elle oblige les employeurs à offrir à leurs salariés des services de médecine du travail faisant appel à des médecins spécialisés dans cette discipline, et exige l’établissement d’institutions pouvant assurer de tels services. Elle précise le nombre de travailleurs que doit surveiller un médecin du travail: dans les établissements ne présentant pas de risques particuliers, un médecin peut être chargé de surveiller la santé de plus de 3 000 travailleurs, ce nombre étant moins élevé pour ceux qui sont exposés à des risques déterminés.

Dans les pays industriels, les spécialistes de la santé au travail étendent leurs domaines d’intervention. Les médecins sont devenus plus spécialisés que jamais en médecine préventive et en gestion de la santé. En outre, le personnel infirmier d’entreprise, les hygiénistes du travail, les physiothérapeutes et les psychologues y jouent un rôle important. Les hygiénistes du travail sont nombreux aux Etats-Unis, tandis que les spécialistes des mesures en milieu de travail sont bien plus courants au Japon. Les physiothérapeutes du travail sont plus spécifiques aux pays nordiques. Aussi existe-t-il certaines différences quant à la nature et à la répartition des spécialistes selon les régions.

Les établissements dont les effectifs dépassent plusieurs milliers de travailleurs disposent en général d’un service indépendant de santé au travail. L’emploi de spécialistes, outre les médecins du travail, et la mise à disposition des installations indispensables à un service de santé au travail complet ne sont dans l’ensemble possibles que lorsque les effectifs dépassent ce seuil. Il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de fournir des services de santé au travail dans les petits établissements, particulièrement ceux qui ne comptent que quelques personnes. De nombreux pays, même industriels, n’ont pas encore créé de façon systématique des organismes de santé au travail destinés aux établissements de petite taille. La France et certains autres pays européens possèdent une législation comportant des exigences minimales quant aux installations et aux services devant être fournis par un service médical du travail, et les entreprises ne possédant pas leur propre service doivent conclure un accord avec un service interentreprises pour assurer la surveillance de la santé de leurs salariés.

Dans certains pays industriels, le contenu des programmes de santé au travail a une connotation plus préventive que curative, approche qui fait souvent l’objet d’un débat. En général, les pays possédant pour l’ensemble de la population un système de santé suffisamment développé ont tendance à limiter le champ d’application du programme de santé au travail et considèrent les soins comme une discipline relevant de la médecine de proximité.

L’opportunité de bilans de santé périodiques pour le travailleur ordinaire constitue un autre sujet de débat. Malgré la thèse soutenue par certains, selon laquelle des bilans de santé complets ne se sont pas révélés bénéfiques, le Japon fait partie des pays dans lesquels l’obligation de proposer de tels examens aux travailleurs a été imposée aux employeurs. Un suivi complet, englobant des actions de formation continue et de promotion de la santé, est fortement recommandé dans ces programmes, et la tenue de dossiers contenant toutes les données relatives à un individu est considérée comme indispensable pour en atteindre l’objectif. L’évaluation de ces programmes nécessite un suivi de longue haleine.

Des systèmes d’assurance couvrant les soins médicaux et l’indemnisation des travailleurs victimes d’accidents du travail ou de maladies liés au travail existent dans presque tous les pays industriels. Cependant, il y a de grandes disparités entre ces systèmes quant à leur gestion, leur champ d’application, le paiement des indemnités, le type de prestations, l’engagement en faveur de la prévention et la disponibilité de moyens techniques. Aux Etats-Unis, le système est indépendant dans chaque Etat, et les compagnies d’assurances privées y sont très actives, alors qu’en France, le système est géré par l’Etat et fait partie intégrante de la médecine du travail. Les spécialistes qui travaillent pour le système d’assurance sont souvent appelés à jouer un rôle important d’assistance technique en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

De nombreux pays proposent des enseignements de troisième cycle, ainsi que des cours de formation en médecine du travail aux internes. Le doctorat est généralement le diplôme universitaire le plus élevé dans ce domaine, mais il existe aussi des systèmes de qualification des spécialistes.

Aux Etats-Unis, les écoles de santé publique exercent une influence considérable sur l’éducation et la formation d’experts de la santé au travail. Vingt-deux écoles sur les 24 agréées que compte le pays ont proposé des programmes de santé au travail en 1992: 13 offraient des programmes de médecine du travail, et 19 des programmes d’hygiène industrielle. Les cours de santé au travail dispensés par ces établissements ne conduisent pas nécessairement à l’obtention d’un diplôme universitaire, mais ils sont étroitement liés à l’agrément de spécialistes, dans la mesure où ils font partie des qualifications requises pour être admis aux examens permettant de devenir membre diplômé de l’un des conseils de spécialistes de la santé au travail.

Le programme de ressources pédagogiques (Educational Resource Program (ERC)), fondé par l’Institut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)), a apporté son soutien à des programmes d’internat dans ces écoles. L’ERC a désigné 15 écoles comme centres régionaux de formation des spécialistes de la santé au travail.

Il est souvent difficile d’organiser l’enseignement et la formation à la santé au travail pour des médecins et autres spécialistes de la santé qui dispensent déjà des soins de santé primaires à la population. Toute une gamme de méthodes d’enseignement à distance a été mise au point dans certains pays, dont un cours par correspondance au Royaume-Uni et un cours par téléphone en Nouvelle-Zélande, qui ont tous deux fait l’objet d’évaluations positives.

Les facteurs ayant une influence sur la sécurité et la santé au travail

La prévention aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire devrait constituer un objectif de base des programmes de sécurité et de santé au travail. La prévention primaire par l’hygiène industrielle a largement contribué à réduire les risques de maladies professionnelles. Cependant, une fois atteint un niveau suffisamment inférieur au seuil admissible, cette approche devient moins efficace, particulièrement si l’on procède à une analyse coûts-avantages.

L’étape suivante de la prévention primaire comporte une surveillance biologique se concentrant sur les différences d’exposition individuelle. A ce niveau, les prédispositions de chacun ont également leur importance. La détermination de l’aptitude au travail et l’affectation d’un nombre raisonnable de travailleurs à des opérations spécifiques retiennent de plus en plus l’attention. L’ergonomie et différentes techniques de santé mentale visant à réduire le stress professionnel constituent à ce stade un autre apport indispensable.

La prévention des risques sur le lieu de travail a progressivement fait place à la promotion de la santé avec, pour objectif final, une gestion autonome. L’éducation sanitaire dispensée à cet effet est considérée comme un domaine essentiel relevant de la compétence de spécialistes. Le gouvernement japonais a lancé un programme de promotion de la santé nommé «Plan de promotion de la santé globale», dont les éléments principaux sont la formation de spécialistes et un soutien financier à divers programmes sur les lieux de travail.

Dans la plupart des pays industriels, le rôle des syndicats n’est pas négligeable dans les efforts entrepris en faveur de la sécurité et de la santé au travail, du niveau central à la base. Dans de nombreux pays européens, les délégués syndicaux sont invités officiellement à faire partie de commissions chargées de décider des orientations administratives fondamentales des programmes. Le mode d’engagement syndical au Japon et aux Etats-Unis est indirect, le ministère ou le département du Travail exerçant le pouvoir administratif.

De nombreux pays industriels possèdent une main-d’œuvre d’origine étrangère, en situation régulière ou non. Ces travailleurs immigrés posent de nombreux problèmes, dont la langue, les barrières ethniques et culturelles, le niveau d’instruction et une santé précaire.

Les associations professionnelles s’engagent aussi en faveur de la santé au travail en soutenant la formation et l’éducation et en assurant l’information. Certaines associations universitaires délivrent des certificats de spécialisation et œuvrent également en faveur de la coopération internationale.

Les perspectives d’avenir

Hormis dans certains pays européens, la protection des travailleurs par des services spécialisés de santé au travail n’est pas encore satisfaisante. Tant que l’offre de ces services demeurera facultative, de nombreux travailleurs n’en bénéficieront pas, en particulier dans les petites entreprises. En France et dans certains pays nordiques qui garantissent une bonne protection, les systèmes d’assurance contribuent largement à la mise à disposition de moyens financiers ou d’assistance technique. L’offre de tels services aux petits établissements peut appeler un certain engagement de l’assurance sociale.

Les progrès des services de santé au travail, notamment ceux des grandes sociétés, sont en général plus rapides que ceux de la médecine de proximité, ce qui tend à creuser le fossé entre les services rendus par ces deux branches de la médecine. Les travailleurs bénéficiant de bons soins durant leurs années d’activité connaissent fréquemment des problèmes de santé après leur retraite. Parfois, l’écart entre les prestations des grandes et des petites entreprises ne peut être ignoré: c’est le cas notamment au Japon, où de nombreux salariés âgés continuent de travailler dans de petites entreprises après leur départ à la retraite obligatoire d’une grande société. L’instauration d’une continuité des services entre ces différents systèmes est un problème qui devra inévitablement être abordé dans un avenir proche.

La complexité croissante du système industriel rend plus difficile la lutte contre la pollution de l’environnement. Une activité antipollution intensive dans une usine peut tout simplement entraîner un déplacement de la source de pollution vers une autre industrie ou usine. Elle peut aussi conduire à la délocalisation de l’usine dans un autre pays, c’est-à-dire à l’exportation de sa pollution vers un pays en développement. Le besoin d’intégration entre la santé au travail et la salubrité de l’environnement se fait sentir avec une acuité croissante.

Etudes de cas de mutations technologiques

Pour assurer un milieu de travail sûr et salubre, il convient d’infléchir les pressions exercées par la production sur les nouvelles technologies mises en œuvre dans les usines et de répondre au besoin de formation permanente des travailleurs. Les trois exemples suivants nous viennent des Etats-Unis. Les mutations technologiques concernent tous les travailleurs du monde.

Production contre sécurité

Les pressions à la production peuvent gravement compromettre la sécurité et la santé si la direction ne s’attache pas à analyser les conséquences que peuvent avoir des décisions visant à accroître la productivité. L’exemple qui suit est tiré d’un accident survenu en 1994 dans une petite usine sidérurgique des Etats-Unis.

Aux environs de quatre heures du matin, plusieurs ouvriers s’apprêtaient à couler de l’acier fondu provenant d’un four à arc électrique. Le marché de l’acier était favorable et l’entreprise en vendait autant qu’elle pouvait en produire. Les travailleurs effectuaient de nombreuses heures supplémentaires et l’usine tournait à plein rendement. Il avait été prévu d’arrêter l’exploitation du four afin d’en remplacer le revêtement réfractaire que l’usure avait rendu dangereusement mince. Des points chauds étaient déjà apparus dans sa coque, mais la compagnie voulait encore en tirer deux ou trois fournées.

Dès le début du travail, le revêtement se mit à fondre et se fissura. De l’acier en fusion et des scories s’en échappèrent, faisant rapidement fondre une conduite d’eau qui alimentait le système de refroidissement. L’eau transformée en vapeur explosa avec une très grande violence. Deux ouvriers se trouvaient à proximité et furent gravement brûlés. L’un d’eux mourut trois jours plus tard.

L’utilisation du four au-delà de la durée de vie de son revêtement réfractaire a été l’une des causes évidentes de l’accident. En outre, les fours électriques sont généralement conçus de telle façon que les principales conduites de refroidissement de l’eau se situent toujours au-dessus du niveau de l’acier en fusion et des scories, afin précisément d’éviter ce type d’accidents. Or, ce four avait été transformé peu de temps auparavant pour augmenter sa capacité; le niveau de la matière en fusion avait été élevé, mais les ingénieurs n’avaient pas modifié la conduite d’eau. Une simple coulée d’acier en fusion et de scories aurait été certes grave mais, sans ce problème de conduite d’eau, n’aurait pas causé d’explosion de vapeur et provoqué de blessures aussi graves. Ces deux facteurs sont imputables à une volonté d’augmenter la productivité sans tenir compte des impératifs de sécurité.

La formation

La formation des travailleurs devrait aller au-delà d’une simple série de règles de sécurité. Une meilleure formation à la sécurité fait comprendre les procédés, les matériels et les risques potentiels. Il faut que les travailleurs comprennent la raison de chaque règle de sécurité et puissent réagir à des situations imprévues.

L’importance d’une formation complète est illustrée par un accident survenu en 1986 dans une usine sidérurgique nord-américaine. Deux travailleurs entrèrent dans la chambre à combustion d’un four afin d’ôter un échafaudage qui avait servi à regarnir cette chambre de nouvelles briques réfractaires. Ils suivaient une «analyse de sécurité», qui indiquait chaque étape de l’opération. Hélas, l’analyse était incorrecte: la chambre avait été réaménagée deux ans plus tôt; on y avait en effet introduit un système soufflant de l’argon à travers le métal en fusion, afin de l’agiter plus efficacement. L’analyse de sécurité n’avait jamais été mise à jour afin d’intégrer le nouveau système.

Une autre équipe reconnecta le système à l’argon peu avant que les deux travailleurs ne pénètrent dans la chambre de combustion. Les soupapes fuyaient et les conduites n’avaient pas été déconnectées. Le contrôle atmosphérique devant être effectué avant l’entrée en espace confiné n’avait pas été fait correctement et, de plus, les deux travailleurs intéressés n’y avaient pas assisté.

Les deux travailleurs décédèrent par manque d’oxygène. Un troisième travailleur pénétra dans la chambre de combustion pour leur porter secours, mais fut lui-même asphyxié. Sa vie fut sauvée par un quatrième travailleur, qui coupa le bout d’un tuyau d’air comprimé et le jeta dans la chambre, fournissant ainsi de l’oxygène à la victime privée de connaissance.

L’oubli de mettre à jour l’analyse de sécurité est l’une des causes évidentes de l’accident. Une formation complète aux procédés, matériels et risques aurait permis aux ouvriers d’identifier les carences de l’analyse et de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’ils pouvaient pénétrer dans la chambre en toute sécurité.

Mutations technologiques

L’importance de l’analyse des technologies nouvelles ou modifiées est illustrée par un accident ayant eu lieu en 1978 dans une usine nord-américaine de produits chimiques. L’entreprise faisait réagir du toluène et d’autres composés organiques dans un récipient fermé. La réaction était entretenue par la chaleur, apportée au récipient au moyen d’une spirale de chauffe contenant de l’eau chaude en circulation. Le département d’ingénierie de l’usine décida de remplacer l’eau par du nitrate de sodium fondu, afin d’accélérer la réaction. Cependant, la spirale avait été réparée à l’aide d’enduits qui fondaient à une température inférieure à celle du nitrate de sodium. Celui-ci commença donc à se répandre dans le récipient, où il réagit avec les composés organiques, formant des nitrates organiques instables.

L’explosion qui s’ensuivit blessa plusieurs travailleurs, détruisit le réacteur et endommagea le bâtiment. Toutefois, les conséquences auraient pu être bien pires si l’accident ne s’était produit tard dans la nuit, alors qu’aucun travailleur ne se trouvait à proximité du réacteur. En outre, des éclats brûlants pénétrèrent dans une unité de traitement contenant de grandes quantités de diéthyléther. Heureusement, aucun de ces conteneurs ou conduites ne fut touché. Une explosion intervenant pendant le travail de l’équipe de jour, ou libérant un nuage de vapeur de diéthyléther, aurait pu causer de nombreux décès.

Michael J. Wright

LES PETITES ENTREPRISES ET LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ AU TRAVAIL

Bill Glass

De tout temps, les petites entreprises ont représenté un mode de production très répandu. L’activité artisanale à domicile, où les membres d’une famille travaillent ensemble en se partageant les tâches, existe aujourd’hui encore dans les villes comme dans les campagnes. En fait, dans tous les pays, la majorité des travailleurs, rémunérés ou non, travaillent dans des entreprises qui peuvent être qualifiées de petites.

Avant de déterminer les problèmes de santé qui leur sont propres, il est nécessaire de définir ce que recouvre l’expression «petite entreprise». De l’avis général, elle emploie au maximum 50 personnes et se situe dans des endroits très divers: domicile, exploitation agricole ou forestière, petit bureau, fabrique, mine ou carrière, jardin ou bateau de pêche. La définition est fondée sur le nombre de travailleurs, et non sur leur activité ou sur le fait qu’ils soient rémunérés ou non. Le foyer est très clairement une petite entreprise.

Les caractéristiques communes aux petites entreprises

Les petites entreprises présentent les caractéristiques communes suivantes (voir tableau 20.1):

Tableau 20.1 Les caractéristiques des petites entreprises et leurs conséquences

Manque de capitaux

  • mauvaises conditions environnementales
  • matières premières à bas prix
  • entretien insuffisant du matériel
  • protection individuelle insuffisante

Syndicalisation inexistante ou limitée

  • faibles taux de rémunération
  • horaires de travail chargés
  • non-respect des sentences arbitrales
  • exploitation du travail des enfants

Services d’inspection médiocres

  • mauvaises conditions environnementales
  • haut niveau de risques
  • taux élevés d’accidents et de maladies

En conséquence, les conditions de travail, qui reflètent généralement le capital disponible, y sont inévitablement moins bonnes que dans les entreprises plus importantes: les matières premières sont achetées à bas prix, l’entretien des machines est réduit, et les travailleurs reçoivent rarement des équipements de protection individuelle.

Une syndicalisation inexistante ou insuffisante entraîne des taux de rémunération inférieurs, des horaires de travail plus longs et le non-respect des dispositions fixées par sentences arbitrales. Le travail est souvent plus intensif, et les enfants et les personnes âgées courent davantage le risque d’être exploités.

Des services d’inspection médiocres entraînent de mauvaises conditions de travail, des risques professionnels accrus et des taux plus élevés d’accidents et de maladies.

Ces caractéristiques propres aux petites entreprises les placent à la limite de la survie économique: elles se créent et disparaissent tout aussi vite.

Ces désavantages manifestes sont contrebalancés par la flexibilité du mode de production des petites entreprises. Elles sont capables de réagir rapidement aux changements et, face aux défis technologiques, trouvent souvent des solutions empreintes d’imagination et de souplesse. Sur le plan social, le propriétaire gère l’affaire tout en y travaillant, et ses relations avec les salariés ont un caractère plus personnel.

Ce ne sont pas là des idées préconçues. Ainsi, selon une étude américaine, les travailleurs des petits ateliers de tôlerie étaient régulièrement exposés à des solvants, à des pigments métalliques, à des peintures, à des émanations et poussières de polyester, ainsi qu’au bruit et aux vibrations (Jaycock et Levin, 1984). Une autre enquête américaine a montré que, dans les petites entreprises, les expositions de courte durée à des produits chimiques multiples étaient courantes (Kendrick, Discher et Holaday, 1968).

Une étude finlandaise menée sur cette question dans 100 petites entreprises a révélé que l’exposition de courte durée à des produits chimiques y était fréquente et que la durée d’exposition augmentait pendant la phase de croissance de l’entreprise (Vihina et Nurminen, 1983). Cette situation s’accompagnait de plusieurs expositions à différents produits chimiques, ainsi que de fréquentes expositions à des concentrations maximales. L’étude a conclu à la complexité de l’exposition aux produits chimiques dans les petites entreprises.

L’illustration peut-être la plus spectaculaire du rôle de la taille de l’entreprise sur le risque professionnel pour la santé a été présentée au Second atelier international sur le benzène, qui a eu lieu à Vienne, en 1980. La plupart des représentants de l’industrie pétrolière ont estimé que le benzène présentait peu de risques professionnels pour la santé, leurs usines employant des techniques sophistiquées de médecine et d’hygiène pour surveiller et éliminer toute exposition potentielle. En revanche, lors d’une intervention sur l’industrie de la chaussure — activité à caractère essentiellement artisanal exercée à domicile —, un délégué turc a expliqué que des hommes, des femmes et des enfants étaient exposés à de fortes concentrations d’un «solvant sans étiquette», le benzène, à l’origine d’anémies et de leucémies (Aksoy et coll., 1974). La différence d’exposition dans les deux situations était une conséquence directe de la taille du lieu de travail et du fait que les ouvriers de l’industrie de la chaussure engagés dans des opérations artisanales à domicile étaient plus exposés au risque que ceux des grandes entreprises pétrolières.

Deux chercheurs canadiens ont recensé les principales difficultés rencontrées par les petites entreprises: leurs dirigeants ne sont pas conscients des risques pour la santé; le coût par travailleur des mesures liées à la réduction de ces risques y est relativement plus élevé; l’existence d’un climat concurrentiel instable ne permet guère à ces entreprises de mettre en pratique les normes et règlements de sécurité (Lees et Zajac, 1981).

Ainsi, une grande partie de l’expérience vécue et des preuves rassemblées montrent que le personnel des petites entreprises constitue une population défavorisée du point de vue de la sécurité et de la santé. Rantanen (1993) a cherché à effectuer un examen critique des sources d’information disponibles pour le compte du Groupe de travail interrégional de l’OMS sur la protection et la promotion de la santé des travailleurs des petites entreprises; il a constaté que les données quantitatives fiables sur les maladies et les accidents chez ces travailleurs sont malheureusement rares.

Malgré cela, l’expérience montre que les traits caractéristiques des petites entreprises entraînent une plus grande probabilité de troubles de l’appareil locomoteur, de blessures, de brûlures, de piqûres, d’amputations et de fractures, d’intoxications dues à l’inhalation de solvants et autres produits chimiques et, dans le secteur rural, d’intoxications par les pesticides.

La satisfaction des besoins des travailleurs des petites entreprises en matière de santé

Il est difficile de satisfaire les besoins de sécurité et de santé de la main-d’œuvre des petites entreprises; en effet:

En résumé, les travailleurs des petites entreprises présentent certaines caractéristiques qui les rendent vulnérables aux problèmes de santé et qui compliquent la fourniture de soins médicaux. Ces caractéristiques sont les suivantes:

Quelles sont les solutions?

Il en existe à plusieurs niveaux: international, national, régional, local et professionnel. Elles sont d’ordre politique, pédagogique, pratique et financier.

Une approche conceptuelle, visant tout particulièrement la santé au travail dans les pays en développement, a été mise au point au Sommet de Colombo (Colombo Statement on Occupational Health in Developing Countries, 1986). Ces principes, tels qu’ils s’appliquent aux petites industries, quelle que soit leur localisation, sont exposés ci-après:

  1. Des politiques nationales doivent être formulées pour améliorer la sécurité et la santé de tout le personnel des petites entreprises, en mettant surtout l’accent sur l’éducation et la formation des dirigeants, des agents de maîtrise et des ouvriers, ainsi que sur les moyens de les informer afin qu’ils soient en mesure de protéger la sécurité et la santé de tous les travailleurs.
  2. Les services de santé au travail destinés aux petites industries doivent être intégrés aux systèmes qui assurent les soins de santé primaires.
  3. Une formation adéquate du personnel chargé de la santé au travail est nécessaire. Elle devrait être adaptée au type de travail effectué et inclure la formation des travailleurs et des spécialistes des services de soins primaires, ainsi que des inspecteurs et infirmiers de santé publique mentionnés ci-dessus.
  4. Des systèmes de communication adéquats sont nécessaires pour assurer la libre circulation de l’information sur la sécurité et la santé au travail parmi les travailleurs, la direction et le personnel chargé de la santé au travail à tous les niveaux.
  5. Des soins de santé au travail devraient être dispensés aux petits groupes isolés par le personnel des soins de santé primaires ou leur équivalent. Dans le secteur rural, il arrive que ces personnes dispensent des soins de médecine générale à temps partiel, auxquels on peut ajouter un élément de santé au travail. Dans les petites entreprises urbaines, une telle situation est moins probable, et il faudra donc faire appel à des membres du personnel choisis par leurs collègues.
  6. Ce personnel de santé au travail rural et urbain, qui demande une formation et un contrôle initiaux et continus, devrait être lié aux services médicaux existants. L’«agent de liaison sanitaire» devrait être un professionnel de la santé employé à plein temps et justifiant d’une formation minimale de trois ans. Il est un lien indispensable au bon fonctionnement du service (voir figure 20.3).
  7. Figure 20.3 Modèles de soins destinés aux travailleurs des petites entreprises

    Figure 20.3

  8. L’hygiène du travail qui mesure, estime et contrôle les risques professionnels, constitue un élément essentiel de la santé au travail. Il conviendrait de mettre en place des services et des techniques appropriés d’hygiène du travail tant au niveau central que dans les régions éloignées.

Malgré l’énoncé de ces principes, très peu de progrès ont été réalisés. Cette absence de progrès est due au fait que les besoins des petites entreprises et de ceux qui y travaillent ne bénéficient pas d’un degré élevé de priorité dans la planification des services de santé de la plupart des pays. Les raisons en sont notamment:

Les réponses à ce problème se situent à l’échelon international, national et local.

Au niveau international

L’économie mondiale présente malheureusement des aspects négatifs liés aux transferts de technologie des pays développés vers les pays en développement et aux procédés dangereux qui les accompagnent. Le dumping social en est un autre: afin d’être concurrentiels sur le marché mondial, certains pays réduisent les salaires, bafouent les normes de sécurité, allongent la durée du travail, abaissent l’âge d’admission à l’emploi et instituent une forme d’esclavage moderne. Il est urgent que de nouveaux instruments de l’OIT et de l’OMS (conventions et recommandations) interdisant ces pratiques soient élaborés.

Au niveau national

Une législation d’ensemble sur la sécurité et la santé au travail s’impose et doit être soutenue par la volonté de la mettre en application et de la faire respecter. Cette législation doit être étayée par une promotion réelle et généralisée de la santé.

Au niveau local

Plusieurs modèles d’organisation de services de sécurité et de santé au travail se sont révélés efficaces et, sous réserve de modifications appropriées, peuvent s’adapter à la plupart des situations locales. Ainsi:

Quelle que soit la forme d’organisation retenue, les fonctions essentielles devraient inclure (Glass, 1982):

Conclusion

Les petites entreprises constituent un mode de production répandu, fondamental et essentiel. Pourtant, ceux qui y travaillent ne sont souvent pas protégés par la législation et la réglementation sur la sécurité et la santé et manquent de services adéquats dans ce domaine. Conséquence des caractéristiques propres aux petites entreprises, leurs travailleurs sont davantage exposés aux risques professionnels.

Les tendances actuelles de l’économie mondiale ont pour effet d’accroître l’étendue et le niveau de l’exploitation des travailleurs occupés dans les petites entreprises et, par là même, les risques d’exposition aux produits chimiques dangereux. Des mesures appropriées ont été conçues, aux niveaux international, national et local, pour réduire ces risques et améliorer la santé et le bien-être de ceux qui travaillent dans les petites entreprises.

LE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE ET LE CHOIX TECHNOLOGIQUE

Joseph LaDou

Une période de transition rapide

La migration des industries des pays développés vers les pays en développement s’explique souvent par le faible coût de la main-d’œuvre. Les sociétés installent aussi des filiales à l’étranger afin de réduire leurs coûts de transport en produisant là où se trouvent leurs débouchés, contourner les barrières commerciales et éviter les fluctuations sur les marchés des changes. Certaines d’entre elles émigrent vers les nations en développement afin d’échapper à la réglementation sur le travail et l’environnement qui s’applique chez eux. Pour de nombreux pays, un tel investissement constitue la première source de création d’emplois.

Les sociétés et les investisseurs étrangers ont été à l’origine de plus de 60% de tout l’investissement industriel dans les pays en développement durant la dernière décennie. Dans le même temps, un marché financier mondial a commencé à voir le jour. En dix ans, les prêts bancaires internationaux provenant des grands pays développés ont augmenté, passant de 4 à 44% du produit intérieur brut (PIB). Entre 1986 et 1990, les investissements à l’étranger de l’Allemagne de l’Ouest, des Etats-Unis, de la France, du Japon et du Royaume-Uni sont passés à un taux annuel de 27%. L’investissement transfrontalier est à présent estimé à 1 700 milliards de dollars E.-U. (LaDou et Levy, 1995). Il existe quelque 35 000 entreprises transnationales, avec 147 000 filiales à l’étranger, qui assurent la plus grande part des investissements dans les pays en développement. Les ventes annuelles totales des 350 entreprises transnationales les plus importantes sont égales à un tiers du PIB combiné du monde industriel et dépassent de loin celui des pays en développement.

La plupart des investissements dans les pays en développement sont destinés à l’Asie. Entre 1986 et 1990, l’Asie de l’Est et du Sud-Est a reçu 14 milliards de dollars E.-U., l’Amérique latine 9 milliards et l’Afrique 3 milliards. L’Europe centrale est maintenant entrée en compétition ouverte pour obtenir sa part de l’investissement mondial. L’Egypte, l’Inde, le Nicaragua, l’Ouzbékistan et le Viet Nam ont libéralisé leur législation sur la propriété afin d’attirer les investisseurs étrangers.

Les sociétés et les investissements japonais sont présents dans presque tous les pays. Avec un territoire limité et une forte densité de population, le Japon a un besoin pressant d’exporter ses industries productrices de déchets. Les pays européens ont installé leurs industries dangereuses et dépassées du point de vue écologique en Afrique et au Moyen-Orient, et commencent à présent à les exporter en Europe centrale. Les sociétés d’Europe occidentale sont les plus gros investisseurs au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, à Singapour et à Sri Lanka.

La Chine et l’Inde, les pays les plus peuplés du monde, ont connu des retournements politiques spectaculaires au cours des dernières années et ont par la suite accueilli des industries de nombreux pays. Les entreprises américaines dominent en Chine, en Indonésie, aux Philippines, en Thaïlande, ainsi qu’à Hong-kong et Taiwan (Chine). Il était prévu que les sociétés américaines investissent l milliard de dollars à Singapour en 1995, soit 31% de plus qu’en 1994.

Les raisons des pays industriels

Dans les pays développés, l’industrie crée des emplois, paie des impôts qui financent les services publics et est soumise aux lois sur l’environnement et la santé au travail. Quand les pays industriels adoptent des lois limitant les risques écologiques liés à de nombreuses activités industrielles, les coûts de production augmentent et érodent les avantages compétitifs. Pour éluder cette difficulté, les industriels déplacent un bon nombre de leurs activités dangereuses vers les nouveaux pays industriels. Ils y sont bien accueillis, car la création d’infrastructures dépend du développement de l’industrie par les étrangers.

Lorsque l’industrie migre vers les pays en développement, les sociétés ne profitent pas seulement de salaires plus bas, mais également des faibles taux d’imposition d’Etats qui engagent peu de dépenses pour des réalisations telles que le réseau d’égouts, les usines de traitement des eaux, les écoles et les transports en commun. Lorsque des sociétés installent des usines dans les pays en développement, leur charge fiscale représente une infime fraction de celle qu’elles supporteraient dans la plupart des pays développés.

Une illustration de cette transition

L’Université de Californie, l’Université Johns Hopkins et l’Université du Massachusetts ont étudié la santé des travailleurs américains dans l’industrie des semi-conducteurs. Ces études montrent que, chez les femmes, les risques de fausse couche sont en progression. Les chercheurs font remarquer que les compagnies licencient leurs travailleurs et ferment les usines si rapidement que ces études seront probablement les dernières à être effectuées à une échelle suffisante pour tirer des conclusions fiables concernant des travailleurs américains.

Une diminution prévisible des études portant sur la santé au travail

La migration des sociétés américaines et japonaises de semi-conducteurs vers l’Asie du Sud-Est est démontrée de façon spectaculaire en Malaisie, nouveau pays industriel. Depuis le milieu des années soixante-dix, ce pays est devenu le troisième producteur et le premier exportateur mondial de semi-conducteurs. Il est très peu probable que les sociétés étrangères continuent à financer la recherche sur la santé professionnelle et environnementale dans un pays lointain et pour des travailleurs étrangers. Les économies réalisées par la fabrication des semi-conducteurs à l’étranger vont croître, car ces sociétés pourront, tout comme le font leurs rivales internationales, négliger les problèmes de santé et de sécurité. Le taux de fausses couches chez les femmes travaillant dans le secteur des semi-conducteurs sera ignoré par les pouvoirs publics et par l’industrie des nouveaux pays industriels. Les ouvrières n’auront, pour la plupart, pas conscience d’un lien de causalité entre leur travail et les fausses couches.

Le déclin de la santé au travail et de la salubrité de l’environnement dans les pays en développement

Les pays en développement disposent rarement de règlements applicables en matière de travail et d’environnement. Accaparés par des problèmes écrasants comme le chômage, la malnutrition et les maladies infectieuses, ils négligent souvent les risques dus à l’environnement. Les nouveaux pays industriels ont hâte d’engranger les bénéfices financiers que leur apportent les sociétés et les investisseurs étrangers. Pourtant, ces bénéfices s’accompagnent de problèmes sociaux et écologiques.

Les résultats positifs sur le plan économique et social de l’activité industrielle des pays en développement vont de pair avec une sérieuse dégradation de l’environnement. Les principales villes de ces pays sont désormais victimes de la pollution atmosphérique, de l’absence de traitement des eaux usées et d’épuration de l’eau, et de l’augmentation de la quantité de déchets dangereux enterrés ou abandonnés sur le sol ou encore déversés dans les rivières et les océans. De nombreux pays ne se sont pas dotés de règlements en matière d’environnement, et ceux qui l’ont fait ne se soucient guère de les faire appliquer.

La main-d’œuvre des pays en développement est habituée à travailler dans de petits établissements industriels. Généralement, plus l’entreprise est petite, plus le taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles est élevé. Ces lieux de travail se caractérisent par des bâtiments et autres structures dangereux, des machines vétustes, une mauvaise ventilation, un bruit excessif, ainsi que par des travailleurs ayant un faible niveau d’instruction, de qualifications et de formation, et des employeurs aux ressources financières limitées. Vêtements de protection, masques, gants, casques antibruit et lunettes de sécurité sont rarement mis à disposition. Les services d’inspection officiels chargés de faire appliquer les règles de prévention n’ont bien souvent pas accès à ces entreprises qui, dans bien des cas, fonctionnent dans la clandestinité et ne sont même pas inscrites dans les registres du fisc.

Le public voit généralement dans les industries «offshore» de grandes multinationales. En fait, plutôt que ces géants de l’industrie, il s’agit souvent d’une multitude de petites sociétés appartenant à des intérêts étrangers et gérées ou contrôlées par des dirigeants locaux. La capacité de la plupart des gouvernements étrangers à réglementer l’industrie, voire à contrôler le passage de biens et de matériels est extrêmement limitée. Les industries migrantes se conforment généralement aux normes du pays d’accueil en matière d’environnement et de sécurité et de santé au travail. Par conséquent, les taux de mortalité des travailleurs sont nettement plus élevés dans les nouveaux pays industriels que dans les pays développés, et les accidents du travail se produisent à des taux identiques à ceux qu’ont connu les pays développés pendant les premières années de la révolution industrielle. A cet égard, la révolution industrielle est de nouveau à l’œuvre, mais le nombre de travailleurs et de pays touchés est bien plus élevé.

La quasi-totalité de la croissance démographique mondiale a lieu dans les pays en développement. Actuellement, la population active de ces pays atteint environ 1,76 milliard de personnes, mais elle va augmenter et dépassera les 3,1 milliards en 2025: il faudra alors créer 38 à 40 millions de nouveaux emplois par an (Kennedy, 1993). Dans ces conditions, il est peu probable que les salariés se mettent à demander de meilleures conditions de travail.

La migration des maladies professionnelles et des accidents du travail vers les pays en développement

L’incidence des maladies professionnelles n’a jamais été aussi élevée qu’à l’heure actuelle. L’Organisation des Nations Unies estime à 6 millions le nombre de cas de maladies professionnelles chaque année dans le monde. Ces maladies sont plus fréquentes dans les pays en développement par rapport au nombre de travailleurs exposés et, surtout, elles sont plus graves. Chez les mineurs, les travailleurs du bâtiment et de l’industrie de l’amiante de certains de ces pays, l’amiante est la principale cause d’invalidité, de morbidité et, selon certaines statistiques, de mortalité. Malgré les risques professionnels et écologiques que présentent les produits en amiante, les industriels cherchent à en promouvoir l’utilisation dans les pays en développement, où la demande de matériaux de construction à bon marché l’emporte sur le souci de la santé.

La fonte et l’affinage du plomb migrent des pays développés vers les pays en développement. De même, le recyclage des produits du plomb se fait de plus en plus dans des pays pauvres qui, souvent, ne sont pas en mesure de traiter les risques professionnels et écologiques occasionnés par ce produit. Les nations développées possèdent peu de fonderies de plomb à l’heure actuelle, cette activité ayant été délocalisée dans les nouveaux pays industriels. De nombreuses opérations de cette industrie dans le monde en développement sont encore effectuées au moyen de techniques qui n’ont pas changé depuis un siècle. Lorsque les pays développés se targuent de leurs réussites dans le recyclage du plomb, ils oublient de dire que celui-ci s’effectue presque invariablement dans les pays en développement qui le réexpédient dans les pays avancés sous forme de produits finis.

Les gouvernements et les industries des pays en développement acceptent d’employer des matériaux dangereux en sachant que des niveaux d’exposition raisonnables ont peu de chances de faire l’objet d’une législation ou d’une mise en application. L’essence au plomb, la peinture, l’encre et les colorants, les piles et bon nombre de produits contenant du plomb sont fabriqués dans les pays en développement, en général par des sociétés étrangères qui les écoulent ensuite dans le monde entier.

Dans les pays en développement, où la majorité de la population travaille dans l’agriculture, les pesticides sont souvent appliqués à la main. Trois millions d’intoxications par pesticides se produisent chaque année en Asie du Sud-Est (Jeyaratnam, 1992). L’essentiel de la production de pesticides des pays en développement est effectué par des sociétés étrangères ou à capitaux étrangers. L’utilisation des pesticides est en rapide expansion dans les pays en développement à mesure qu’ils prennent conscience des avantages des produits chimiques pour l’agriculture et acquièrent la capacité de les produire.

Des pesticides tels que le DDT et le dibromochloropropane (DBCP), qui sont interdits dans la plupart des nations développées, sont largement vendus et utilisés sans restriction dans les pays en développement. Lorsqu’un pesticide est retiré du marché d’un pays développé en raison des risques qu’il présente pour la santé des travailleurs, il trouve souvent un débouché sur les marchés non réglementés des pays en développement.

L’industrie chimique est l’une des branches dont la croissance est la plus rapide dans l’économie mondialisée qui se dessine. Les entreprises chimiques des pays développés sont partout présentes. Nombreuses sont les entreprises chimiques de petite taille qui migrent vers les pays en développement, faisant de l’industrie chimique l’un des grands responsables de la pollution de l’environnement. La croissance de la population et l’industrialisation des régions les plus pauvres du monde entraînent une demande accrue de pesticides, d’engrais chimiques et de produits chimiques industriels. Ce problème est encore aggravé par la fabrication en quantités croissantes, dans les nouveaux pays industriels, de produits chimiques interdits dans les pays développés. Le DDT en est un exemple indiscutable. Sa production mondiale atteint des niveaux records; pourtant, depuis les années soixante-dix, il est illégal de le produire ou de l’utiliser dans la plupart des pays développés.

Le transfert des coûts aux pays en développement

Forts de leur expérience quant aux coûts des programmes de sécurité au travail et de protection de l’environnement, les pays développés sont en train d’imposer un lourd fardeau financier aux nouveaux pays industriels. Il est rare que les accidents, tels celui de Bhopal, et leur coût, tout comme la lutte contre les dommages causés à l’environnement et les effets sur la santé publique soient évoqués avec franchise dans les pays en développement. Les conséquences de la mondialisation de l’industrie pourraient devenir la source de vastes conflits internationaux lorsque les réalités économiques à long terme de la migration industrielle s’imposeront avec toute la force de l’évidence.

Le dilemme des pays en développement

Les pays en développement sont rarement enclins à adopter les normes relatives à l’environnement du monde développé. Dans certains cas, les opposants estiment qu’il s’agit d’un sujet relevant de la souveraineté nationale, qui autorise chaque nation à mettre au point ses propres normes. Ailleurs prévaut depuis longtemps un ressentiment contre toute influence étrangère, particulièrement de la part des nations qui ont déjà élevé leur niveau de vie grâce à des activités industrielles actuellement en cours de réglementation. La position des pays en développement est que, après avoir atteint le niveau de vie des pays développés, ils adopteront des politiques de réglementation plus strictes. D’autre part, lorsque les pays développés sont invités à fournir aux pays en développement des industries dont la technologie n’attente pas à l’environnement, leur intérêt pour la migration industrielle retombe très nettement.

Une intervention internationale s’impose

Les organisations internationales doivent jouer un rôle plus important dans l’approbation et la coordination des transferts de technologie. Il faut mettre fin à la pratique honteuse qui consiste à exporter des technologies obsolètes et dangereuses vers les pays en développement lorsque ces procédés ne satisfont plus aux normes des pays développés sur l’environnement. Des accords internationaux doivent se substituer aux incitations perverses qui menacent l’environnement mondial.

De nombreux efforts ont été faits pour soumettre le comportement de l’industrie à un certain contrôle. Les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Code de conduite pour les sociétés transnationales de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation internationale du Travail (OIT) tentent de mettre en place un cadre déontologique en la matière. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination a été adoptée en mars 1994. Bien qu’elle interdise à la plupart des déchets de traverser les frontières, elle a aussi institutionnalisé un commerce des déchets recyclables, ce qui reflète la nécessité d’un compromis politique.

A l’heure actuelle, certains organismes internationaux de crédit effectuent des évaluations de l’impact sur l’environnement lorsque le pays d’accueil n’est pas à même d’accomplir cette tâche. L’évaluation de l’impact local potentiel de certaines installations industrielles dangereuses au moins devrait être obligatoire, et des normes de sécurité et de santé au travail pourraient être exigées lors de l’évaluation des installations industrielles.

L’Organisation internationale de normalisation (ISO) a entrepris de développer des normes facultatives, les séries ISO 14000, qui deviendront probablement les normes internationales en matière de gestion de l’environnement. Elles portent sur les systèmes de gestion et les audits de l’environnement, les étiquettes et déclarations environnementales, l’évaluation de la performance environnementale, l’analyse du cycle de vie des substances et les aspects environnementaux des normes de produit (Casto et Ellison, 1996).

De nombreux pays ont fixé des niveaux recommandés d’exposition pour les travailleurs qui ne peuvent être dépassés sans une action réglementaire ou législative. Mais, dans les pays en développement, les normes d’exposition sont souvent inexistantes, inappliquées, ou trop laxistes pour être utiles. Des normes internationales peuvent être mises au point et devraient l’être. Les pays en développement, et particulièrement les sociétés étrangères qui y exercent des activités manufacturières, peuvent se voir attribuer un délai raisonnable pour se conformer aux normes appliquées dans la plupart du monde développé. Sinon, certains travailleurs de ces pays vont payer de façon excessive le prix de l’industrialisation.

Conclusion

En matière de sécurité et de santé au travail, le plus logique, sur le plan international, serait de concevoir un système international d’assurance pour la réparation des accidents du travail. Les travailleurs ont droit, dans tous les pays, aux prestations de base pour la réparation des lésions professionnelles prévues par la législation nationale. Les incitations prévues par le système de réparation et destinées aux employeurs, afin qu’ils assurent la sécurité et la salubrité des lieux de travail, devraient profiter aux travailleurs de tous les pays, quels que soient les propriétaires de l’entreprise.

Il faut établir un système législatif international pour traiter les problèmes d’environnement, ainsi qu’un mécanisme d’application suffisamment fort pour décourager même les pollueurs les plus endurcis. En 1972, les Etats membres de l’OCDE sont convenus d’axer leurs politiques d’environnement sur le principe du «pollueur payeur». Il s’agissait d’encourager les industries à prendre en compte les coûts liés à l’environnement et à les répercuter sur les prix des produits. Par extension, la responsabilité sans faute pourrait être inscrite dans les législations de tous les pays, à la fois pour les dommages matériels et la responsabilité civile. Ainsi, la personne qui produit des déchets serait tenue, par un système international de responsabilité sans faute, d’assumer leur gestion, depuis leur production jusqu’à leur élimination.

Au contraire des pays développés, les pays en développement n’ont pas d’importantes associations écologistes financièrement prospères. Pour qu’un tel système fonctionne, il faudra former du personnel et obtenir le soutien de gouvernements qui, jusqu’à tout récemment, mettaient si fort l’accent sur l’expansion industrielle qu’ils ignoraient complètement la protection de l’environnement.

LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE

Howard Frumkin

Les économistes ont longtemps considéré le libre-échange comme un idéal. En 1821, David Ricardo affirmait que chaque pays devrait exporter la production pour laquelle il est le plus apte (loi des avantages comparés). Bien qu’il n’ait tenu compte que d’un seul facteur de production, le travail, les théoriciens qui lui ont succédé se sont penchés sur les ratios des facteurs de production et ont étendu le cadre de l’analyse ricardienne au capital, aux ressources naturelles et à d’autres facteurs. La plupart des économistes modernes pensent que les barrières commerciales — tarifs préférentiels, subventions à l’exportation et contingents d’importation  — sont économiquement inefficientes, car elles faussent les facteurs de décision des producteurs et des consommateurs, et coûtent de l’argent aux pays. Ils affirment que, dans des marchés nationaux restreints, les petites entreprises prolifèrent pour desservir des marchés peu importants, au mépris des économies d’échelle, et que les producteurs ont moins intérêt à innover et à être compétitifs. Les partisans du libre-échange pensent que les arguments en faveur des barrières commerciales, bien qu’ils invoquent souvent «l’intérêt national», sont généralement des revendications déguisées pour le compte d’intérêts particuliers.

Cependant, plusieurs arguments économiques militent contre le libre-échange. L’un d’eux repose sur les défaillances du marché intérieur. Si un marché intérieur — le marché du travail, par exemple — ne fonctionne pas correctement, le fait de s’éloigner du libre-échange peut aider à le rétablir ou à générer des gains compensatoires dans d’autres secteurs de l’économie nationale. Un deuxième argument consiste à dire que la thèse fondamentale de la théorie du libre-échange, l’immobilité du capital, n’est plus correcte et que, par conséquent, le libre-échange peut désavantager certains pays. Daly et Cobb (1994) écrivent:

La libre circulation des capitaux et des marchandises (et non plus seulement de ces dernières) signifie que l’investissement est déterminé par la rentabilité absolue et non par les avantages comparatifs. L’absence d’une libre circulation de la main-d’œuvre implique que les possibilités d’emploi diminuent pour les travailleurs du pays dans lequel on n’investit pas. Ce raisonnement dresse un tableau plus exact du monde dans lequel nous vivons que ne le fait le principe des avantages comparatifs, quelle qu’ait été sa validité à l’époque de Ricardo.

Au sein d’une zone de libre-échange, les prix des biens échangés tendent à se niveler. Selon le théorème de l’égalisation des prix des facteurs de production, cela est également vrai des facteurs de production, dont les salaires, les coûts d’adaptation aux normes réglementaires et, peut-être, les facteurs externes tels que la pollution atmosphérique. Un troisième argument peut donc être avancé contre le libre-échange: il peut exercer une pression vers le bas sur les salaires, la santé, la sécurité et les pratiques en matière d’environnement, ainsi que sur d’autres facteurs de production, jusqu’au niveau le plus bas de tous les pays concernés par l’échange. Tous ces arguments impliquent de sérieuses préoccupations pour la sécurité et la santé au travail.

Depuis la seconde guerre mondiale, l’industrie s’internationalise de plus en plus. Les communications et les transports ont progressé rapidement. L’information et le capital sont toujours plus mobiles. Les sociétés multinationales sont devenues un élément prépondérant de l’économie mondiale. Dans ce processus, les modes de production changent, les usines sont délocalisées et l’emploi est déstabilisé. Contrairement au capital, le travail est relativement immobile, tant géographiquement qu’en termes de qualifications. C’est pourquoi la délocalisation de l’industrie a exercé des pressions considérables sur les travailleurs.

Cela étant, le libre-échange n’a cessé de progresser. Huit cycles de négociations commerciales multilatérales ont eu lieu depuis 1947, sous les auspices de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Le plus récent, le Cycle de l’Uruguay, a abouti, en 1994, à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les Etats membres du GATT (désormais l’OMC) sont d’accord sur trois principes généraux: ils renoncent aux subventions à l’exportation (excepté pour l’agriculture), aux contingents unilatéraux d’importation (sauf lorsque les importations menacent de provoquer «une désorganisation du marché»); enfin, toute nouvelle imposition ou augmentation d’un droit de douane doit être compensée par une réduction d’autres droits pour dédommager les partenaires commerciaux. L’OMC n’élimine pas les tarifs douaniers, elle les limite et les réglemente. Plus de 130 Etats, dont de nombreux pays en développement ou en «transition», sont membres de l’OMC. Il est prévu que le nombre total de ses membres dépasse 150.

Depuis les années quatre-vingt, d’autres pas en direction du libre-échange ont été franchis, sur un plan régional, par des accords commerciaux préférentiels. D’après ces accords, les pays conviennent de supprimer les droits de douane entre eux, tout en maintenant des barrières tarifaires vis-à-vis du reste du monde. Ces accords se présentent sous la forme d’unions douanières, de marchés communs ou de zones de libre-échange; ce sont notamment l’Union européenne (UE) et les trois pays d’Amérique du Nord (ALENA). Des alliances économiques moins structurées favorisent également le commerce entre leurs membres. Ce sont: le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et le Marché commun du Sud (MERCOSUR).

La sécurité et la santé au travail dans les accords de libre-échange

Les accords de libre-échange sont destinés à promouvoir le commerce et le développement économique et la plupart n’abordent que de façon indirecte les questions sociales, telles que la sécurité et la santé des travailleurs, si toutefois ils le font. Cependant, toute une série de problèmes concernant la sécurité et la santé au travail peuvent apparaître dans le contexte des accords de libre-échange.

La délocalisation, le chômage et la migration des travailleurs

Les accords de libre-échange s’inscrivent dans de grandes tendances économiques et sociales qu’ils peuvent à leur tour influencer. Prenons l’exemple d’un libre-échange entre deux pays ayant des niveaux de développement, des échelles de salaires et des possibilités d’emploi différents. Dans cette situation, les entreprises risquent d’être délocalisées, de chasser des travailleurs de leur emploi et de créer du chômage dans le pays d’origine. Ces nouveaux chômeurs risquent alors de migrer vers des régions offrant de meilleures possibilités d’emploi, spécialement si, comme en Europe, les barrières à l’émigration ont également été levées. Le chômage, la crainte du chômage, la migration, ainsi que le stress et l’éclatement du tissu social qui les accompagnent ont des répercussions profondes sur la santé des travailleurs et de leurs familles. Certains gouvernements ont tenté, avec un succès mitigé, d’atténuer ces effets par des programmes sociaux, comprenant une formation de reconversion professionnelle, une aide à l’installation, etc.

Les normes de sécurité et de santé au travail

Les Etats membres d’un accord de libre-échange peuvent avoir des normes de sécurité et de santé au travail différentes. Les coûts de production dans les pays dont les normes sont moins contraignantes sont donc moins élevés, ce qui constitue pour eux un atout commercial important. Il peut s’ensuivre une pression politique, dans les pays plus protecteurs, pour qu’ils abaissent leurs normes et, dans les pays moins protecteurs, pour qu’ils n’élèvent pas les leurs, afin de préserver leurs avantages commerciaux. Les défenseurs de la sécurité et de la santé au travail y voient l’une des conséquences les plus néfastes du libre-échange.

Autre conséquence tout aussi préoccupante: un pays soucieux de respecter ses critères de santé au travail peut décider d’interdire l’importation de certains matériaux ou machines dangereux. Considérant cette politique comme une barrière commerciale, ses partenaires commerciaux risquent alors de l’accuser de pratiques commerciales déloyales. C’est ce qui s’est produit en 1989, dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (Etats-Unis-Canada-Mexique (ALENA)). Les Etats-Unis ont décidé de supprimer peu à peu leurs importations d’amiante, provoquant ainsi la réaction du Canada qui les a accusés de pratiques déloyales. De tels conflits risquent de miner les normes de sécurité et de santé du pays où elles sont les plus rigoureuses.

D’un autre côté, le libre-échange peut également fournir une occasion d’améliorer les normes, en les établissant d’un commun accord, en partageant les informations techniques qui les fondent et en les alignant sur les plus élevées. Il en va ainsi des normes de sécurité et de santé comme d’autres aspects connexes de la législation du travail, tels que les lois sur le travail des enfants, le salaire minimum et la négociation collective. Le problème de la souveraineté nationale est l’un des obstacles majeurs à cette harmonisation, et certains pays ont beaucoup hésité à négocier un abandon de quelque contrôle que ce soit sur leurs normes du travail.

Les modalités d’application

Des problèmes identiques se posent pour l’application des règlements. Même si deux partenaires commerciaux ont des normes comparables en matière de sécurité et de santé au travail, l’un peut les appliquer moins scrupuleusement que l’autre, ce qui abaisse ses coûts de production et lui assure un avantage compétitif. Les solutions comportent une procédure de règlement des conflits permettant aux Etats de faire appel contre une pratique commerciale qu’ils jugent déloyale, ainsi que des efforts conjoints pour harmoniser les modalités d’application.

La communication des risques

Celle-ci repose sur un large éventail de pratiques: formation des travailleurs, mise à disposition de renseignements écrits sur les risques et les mesures de protection, étiquetage des conteneurs et accès des travailleurs aux dossiers médicaux et aux registres d’exposition. Ces pratiques sont largement reconnues comme des éléments déterminants du succès des programmes de sécurité et de santé au travail. Or, le libre-échange et le commerce international ont, de deux façons au moins, un impact sur la communication des risques.

Premièrement, si des produits chimiques ou des procédés dangereux franchissent les frontières nationales, les travailleurs du pays d’accueil encourent un risque. Le pays d’accueil peut ne pas disposer des moyens appropriés de communication sur les risques. Dans le commerce d’import-export, les notices d’information, le matériel de formation et les étiquettes de mise en garde doivent être fournis dans la langue du pays d’accueil et rédigés de manière à ce que les travailleurs exposés puissent en prendre facilement connaissance.

Deuxièmement, devoir répondre à différentes exigences en matière de communication des risques représente des frais supplémentaires pour les sociétés qui opèrent dans plusieurs pays. Des obligations uniformes, telles qu’un format unique pour les fiches de données de sécurité sur les produits chimiques, seraient utiles à cet égard et il conviendrait de les promouvoir dans les relations de libre-échange.

La formation et la mise en valeur des ressources humaines

Lorsque les partenaires commerciaux n’ont pas les mêmes niveaux de développement économique, ils diffèrent le plus souvent aussi sur le plan de leurs ressources humaines. Les pays les moins riches manquent d’hygiénistes industriels, d’ingénieurs de sécurité, de médecins et de personnel infirmier du travail, de formateurs qualifiés et autres spécialistes. Même lorsque deux nations se situent à des niveaux de développement comparables, elles peuvent ne pas avoir la même approche technique de la sécurité et de la santé au travail. Les accords de libre-échange offrent une occasion de concilier ces divergences. Des structures parallèles peuvent permettre aux professionnels de la sécurité et de la santé au travail des Etats partenaires de se rencontrer, de comparer leurs pratiques et de convenir de procédures communes si besoin est. De même, lorsqu’un pays manque de spécialistes par rapport à l’un ou à plusieurs de ses partenaires commerciaux, ceux-ci peuvent coopérer en proposant une formation, des cours de brève durée et autres moyens de mise en valeur des ressources humaines. Ces efforts sont nécessaires si l’on veut harmoniser de façon effective les pratiques de santé au travail.

La collecte de données

La collecte de données constitue l’un des aspects importants de la coordination des efforts destinés à protéger la sécurité et la santé des travailleurs. A cet égard, aux termes d’un accord de libre-échange, plusieurs formes de collecte de données peuvent être envisagées. Il s’agit tout d’abord d’informations sur les pratiques de chaque pays en matière de santé au travail et, en particulier, sur ses moyens d’appliquer les normes en milieu de travail. Ces informations permettent de surveiller les progrès accomplis vers l’harmonisation et de révéler les violations susceptibles de constituer des pratiques commerciales déloyales. Il faut donc rassembler des données sur l’exposition professionnelle des travailleurs non seulement pour les raisons susmentionnées, mais aussi parce qu’elles font partie des pratiques de routine en matière de santé au travail. Les données sur l’exposition doivent être recueillies selon de bonnes méthodes d’hygiène industrielle; si les pays membres utilisent les mêmes procédés de mesure, il sera possible de les comparer. De même, les données sur la morbidité et la mortalité sont des éléments essentiels de bons programmes de sécurité et de santé au travail. Si les Etats parties à un accord de libre-échange emploient des méthodes cohérentes pour recueillir ces informations, ils peuvent alors comparer leurs effets sur la santé, identifier les secteurs posant des problèmes et cibler les interventions. Cela peut s’avérer difficile, car les données sur la sécurité et la santé proviennent souvent de statistiques sur la réparation des lésions professionnelles, et les régimes varient considérablement d’un pays à un autre.

La prévention

Enfin, le libre-échange offre une occasion d’harmoniser les démarches en matière de prévention, de mettre en œuvre une assistance technique entre les pays membres et d’échanger des solutions. De telles initiatives peuvent relever du secteur privé, lorsqu’une société présente dans plusieurs pays introduit une méthode de prévention ou une technologie de part et d’autre des frontières. Des sociétés spécialisées dans les services de santé au travail peuvent elles-mêmes fonctionner à l’échelle internationale, stimulées par un accord de libre-échange, et diffuser les méthodes de prévention parmi les Etats membres. Les syndicats des parties à un accord de libre-échange peuvent eux aussi collaborer. Par exemple, le Bureau technique des syndicats européens pour la santé et la sécurité, à Bruxelles, a été créé par le Parlement européen avec le soutien des principaux syndicats. De telles initiatives peuvent aider les pays membres à aligner leurs activités de prévention sur la norme la plus élevée. L’harmonisation des mesures préventives peut également avoir lieu au niveau gouvernemental, par une collaboration au développement technologique, à la formation et à d’autres activités. Une amélioration de la prévention dans chacun des pays membres sera, en définitive, la meilleure conséquence du libre-échange sur la sécurité et la santé au travail.

Conclusion

Les accords de libre-échange sont essentiellement destinés à abaisser les barrières commerciales et la plupart n’abordent pas directement les questions sociales telles que la sécurité et la santé des travailleurs (voir encadré). En Europe, le libre-échange s’est développé sur plusieurs décennies en un processus qui a pris en compte les questions sociales à un niveau peu commun. Les organisations européennes responsables de la sécurité et de la santé au travail disposent de solides financements; tous les secteurs y sont représentés et elles peuvent adopter des directives contraignantes pour tous les Etats membres. De toute évidence, il s’agit de l’accord de libre-échange le plus avancé du monde dans le domaine de la santé des travailleurs. En Amérique du Nord, l’ALENA comporte une procédure détaillée de règlement des conflits qui s’étend aux questions de sécurité et de santé au travail, mais peu d’autres initiatives visent à améliorer les conditions de travail dans les trois Etats membres. Les autres alliances commerciales régionales ne comprennent aucune initiative concernant la sécurité et la santé au travail.

L’intégration économique dans le monde avance, du fait des progrès rapides des communications, des transports et des stratégies d’investissement des capitaux. Les accords de libre-échange régissent une partie, mais non l’intégralité, de cet accroissement du commerce entre les pays. Les modifications des modèles commerciaux et l’expansion des échanges internationaux ont des conséquences importantes pour la sécurité et la santé des travailleurs. Si l’on veut que les progrès du commerce s’accompagnent de progrès dans la protection des travailleurs, il faut absolument lier les questions de commerce à celles de sécurité et de santé au travail, que ce soit par des accords de libre-échange ou par d’autres moyens.

Etudes de cas

L’Organisation mondiale du commerce

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1995, est le fruit des négociations commerciales multilatérales du Cycle de l’Uruguay. Elle succède au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), accord commercial international datant de la fin des années quarante. L’OMC constitue le fondement légal et institutionnel du système mondial des échanges multilatéraux. Elle cherche à promouvoir la liberté du commerce international, non seulement des marchandises (comme c’était le cas du GATT), mais également des services et de la propriété intellectuelle. L’OMC a aussi pour objectif explicite de faire progresser le développement, en particulier celui des pays les moins avancés.

L’OMC a pour mandat de promouvoir les échanges; les problèmes connexes, par exemple la sécurité et la santé au travail, ne sont abordés que dans la mesure où ils risquent d’entraver le libre-échange. Deux accords méritent d’être cités. L’Accord sur l’application de mesures sanitaires et phytosanitaires traite de la sécurité alimentaire et des réglementations sur la santé animale et végétale. Il permet aux Etats de promulguer de telles réglementations, à condition qu’elles s’appuient sur des considérations scientifiques, qu’elles ne soient appliquées que dans la mesure où elles sont nécessaires pour protéger la vie ou la santé humaine, animale ou végétale, et qu’elles n’introduisent pas de discrimination arbitraire entre les Etats membres. Ceux-ci, qui sont encouragés à fonder leur réglementation sur les normes internationales, sont cependant autorisés à en fixer de plus strictes si elles se justifient sur le plan scientifique ou si elles sont fondées sur une évaluation appropriée du risque. L’Accord sur les obstacles techniques au commerce conforte ces principes. Il a pour objectif de veiller à ce que les réglementations et les normes techniques ne constituent pas des obstacles superflus au commerce. A cette fin, un code de pratique pour l’élaboration, l’adoption et l’application des normes s’accompagne de l’obligation d’appliquer ces normes équitablement, aux produits tant nationaux qu’importés.

Les deux accords évoqués portent surtout sur les réglementations en matière d’environnement, de qualité des produits alimentaires et des produits pharmaceutiques; il est toutefois concevable qu’ils puissent s’appliquer à la sécurité et à la santé au travail. Le compte rendu récapitulatif de la réunion de l’OMC à Marrakech, en 1995, prévoyait la création d’un groupe de travail sur les normes internationales du travail. Cependant, l’OMC a, jusqu’à présent, évité d’aborder la sécurité et la santé au travail, et plusieurs gouvernements d’Etats membres, en particulier ceux des pays en développement, ont soutenu que la compétence en matière de santé des travailleurs devait rester une prérogative nationale, indépendante des considérations relatives au commerce international. C’est pourquoi l’OMC n’a jusqu’ici joué aucun rôle pour promouvoir la sécurité et la santé au travail.

L’Europe

L’intégration économique en Europe se distingue par la précocité de ses origines, qui datent du Traité de Rome en 1957, et par l’importance que revêtent les questions sociales et politiques à côté des considérations d’ordre économique. En fait, l’intégration en Europe s’étend bien au-delà de l’abaissement des barrières douanières; elle inclut également la libre circulation des travailleurs (et, désormais, des personnes en général), la promulgation de lois et de réglementations transnationales contraignantes, et la création d’une administration transnationale disposant de moyens financiers substantiels. En conséquence, la sécurité et la santé au travail sont suivies avec beaucoup d’attention.

La Communauté économique européenne (CEE), ou Marché commun, a été créée par le Traité de Rome en 1957. Ce traité a entrepris de lever les barrières aux échanges entre les pays membres et a créé la structure organisationnelle de la CEE. La Commission des Communautés européennes est chargée de l’administration de la CEE, travail effectué par 23 directions générales (dont l’une, la DG V, est responsable de l’emploi, des relations professionnelles et des affaires sociales). Le Conseil des ministres est responsable des principales questions politiques, tandis que le Parlement européen a un rôle de codécision. La Cour de justice règle les litiges qui peuvent survenir dans l’application des traités. Le Comité consultatif pour la sécurité, l’hygiène et la protection de la santé sur le lieu du travail, créé par le Conseil en 1974 pour conseiller la Commission, comprend des représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements de chaque Etat membre; il est assisté par le personnel de la direction de la sécurité et de la santé de la DG V. Il examine les propositions de loi relatives à la santé au travail, prend l’initiative de travaux relatifs à des risques spécifiques et coordonne les efforts communs. Le Comité économique et social a un rôle consultatif.

En 1978, la Commission a présenté le premier programme d’action pour la santé et la sécurité, fortement soutenue par le Comité consultatif pour la sécurité, l’hygiène et la protection de la santé sur le lieu du travail. Il portait sur les substances dangereuses, la prévention des risques dus aux machines, la surveillance, les inspections et l’amélioration des comportements à l’égard de la sécurité et de la santé. Depuis lors, les programmes d’action successifs ont été orientés vers d’autres questions de santé sur le lieu de travail telles que l’ergonomie, les statistiques de la santé au travail, l’assistance aux petites entreprises et la formation. Ils ont encouragé la recherche de solutions en matière de santé au travail dans les Etats membres, en fournissant formation, assistance technique et documents d’information. Par exemple, en 1982, la Commission a réuni un groupe informel de hauts responsables de l’inspection du travail pour favoriser les échanges de personnel et d’information entre les 12 Etats, la comparaison entre les pratiques des Etats membres et l’amélioration de celles-ci. De telles initiatives montrent bien les répercussions positives que peut avoir l’intégration des économies nationales sur la sécurité et la santé au travail.

L’Acte unique européen de 1986 marque une étape essentielle vers l’intégration européenne et le développement de la zone européenne de libre-échange. Une date ferme, 1992, a été fixée pour l’établissement d’un marché unique, et des initiatives ont été lancées sur toute une série de questions sociales, y compris la santé au travail. L’unanimité entre les Etats membres n’est désormais plus nécessaire pour définir une politique; une «majorité qualifiée» peut suffire. Deux articles de l’Acte concernent particulièrement la santé au travail. L’article 100 A 3) vise à rapprocher les normes de produits dans les Etats membres, ce qui a des répercussions importantes en matière de sécurité. Cet article spécifie que les normes en matière de santé, de sécurité, de protection de l’environnement et de protection des consommateurs prennent pour base un «niveau de protection élevé». L’article 118 A 1) aborde directement la question de la sécurité et de la santé au travail, considérant que les Etats membres «s’attachent à promouvoir l’amélioration, notamment du milieu de travail, pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs, et se fixent pour objectif l’harmonisation, dans le progrès, des conditions existant dans ce domaine».

En 1989, deux événements importants ont consolidé le rôle accordé à la santé au travail dans le processus d’intégration européenne. La Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux a été adoptée par 11 des 12 Etats membres; l’une des dispositions soulignait «la nécessité d’une formation, d’une information, d’une consultation et d’une participation équilibrée des travailleurs en ce qui concerne les risques encourus et les mesures prises pour supprimer ou réduire ces risques».

En 1989 encore, le Conseil a adopté une directive qui est la première grande initiative politique prise dans le cadre de l’Acte unique. Elle définit l’approche de la Communauté européenne (désormais l’Union européenne) en matière de sécurité et de santé des travailleurs des secteurs public et privé de tous les Etats membres. Les employeurs sont tenus «d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail» et doivent:

  • évaluer les risques sur les lieux de travail;
  • intégrer des mesures préventives dans toutes les activités de l’entreprise;
  • informer les travailleurs et leurs représentants des risques et des mesures de prévention prises;
  • consulter les travailleurs et leurs représentants sur toutes les matières de sécurité et de santé;
  • donner aux travailleurs une formation en matière de sécurité et de santé;
  • désigner des travailleurs dotés de fonctions spécifiques en matière de sécurité et de santé;
  • assurer une surveillance appropriée de la santé;
  • protéger les groupes à risques particulièrement sensibles;
  • tenir des registres des accidents et des maladies.

La directive-cadre adopte une vision d’ensemble des facteurs ambiants qui affectent la santé au travail, y compris les questions relatives à la conception des tâches, au travail monotone ou au travail à la pièce. Elle appelle à une participation active des travailleurs aux programmes de sécurité et de santé, englobant le droit à des consultations préalables avec les employeurs sur les initiatives en matière de sécurité et de santé, les heures rémunérées pour accomplir les fonctions de sécurité et de santé, les rencontres avec des inspecteurs du travail et le refus de travailler en cas de «danger grave, immédiat et qui ne peut être évité» (dans la limite des lois nationales). Des directives complémentaires émises dans le sillage de la directive-cadre abordent l’utilisation des équipements de protection individuelle, la manutention de charges, le travail sur terminaux à écrans de visualisation et d’autres questions.

La directive-cadre se traduira-t-elle concrètement dans les politiques nationales? La question découle de l’adhésion explicite de l’Union européenne au principe de subsidiarité, selon lequel toute politique devrait être mise en application par les Etats membres plutôt que par l’Union européenne sauf si, «du fait de la dimension des effets de l’action proposée», une mise en œuvre centralisée serait plus efficace. Ce point entraînera des tensions entre le mandat des directives centrales et les actions souveraines des Etats membres.

Chaque Etat membre doit inscrire la directive-cadre (comme toutes les autres) dans le droit national, mettre en application des politiques qui lui soient conformes et les faire exécuter dans la pratique. Ce processus, qui laisse un pouvoir discrétionnaire aux Etats, peut entraîner un certain degré de non-conformité. Au dire de tous, l’Union européenne n’est pas bien armée pour veiller à ce que les Etats membres se conforment à ses directives en matière de sécurité et de santé au travail. Une surveillance plus étroite des pratiques de chaque pays et la volonté politique d’utiliser les solutions disponibles dans les cas de non-application (y compris le recours à la Cour de justice) seront nécessaires si l’Union européenne veut utiliser pleinement son potentiel de promotion de la santé au travail.

Une question se pose quant au sort des politiques nationales qui offrent une meilleure protection que ne le fait l’Union européenne. Etant donné que l’article 118 a) prescrit simplement un niveau minimum commun de protection sur le lieu de travail, la tendance risque d’être à un nivellement par le bas en réaction aux pressions économiques.

En 1994, le Conseil, sur une proposition de la Commission remontant à trois ans, a créé l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, sise à Bilbao (Espagne). L’objectif de l’Agence est de «fournir aux institutions de la Communauté, aux Etats membres et à tous ceux qui sont impliqués dans ce secteur les informations techniques, scientifiques et économiques utiles en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail». Elle s’attache surtout à donner des avis techniques et scientifiques à la Commission et à encourager l’échange d’informations, la formation, la collecte systématique de données et la recherche.

En 1995, la Commission a publié son programme d’action pour la période 1996-2000. Le suivi des initiatives législatives en constitue l’un des éléments importants; il s’agit de veiller à ce que les directives de la Communauté soient correctement transposées dans les lois nationales et d’en promulguer de nouvelles (agents physiques et chimiques, transport et équipements de travail). Le Comité de hauts responsables de l’inspection du travail a reçu le mandat d’harmoniser les méthodes d’inspection des lieux de travail et de surveiller l’application des lois nationales du travail. Cependant, un accent considérable a également été mis sur les mesures non législatives, principalement l’information et la persuasion. Une nouvelle initiative, Actions de sécurité pour l’Europe, sera chargée des problèmes de sécurité et de santé dans les petites et moyennes entreprises. Il s’agira d’identifier les initiatives réussies dans des entreprises modèles et de les utiliser comme exemples pour les autres.

En bref, l’intégration économique européenne et le libre-échange ont connu une évolution qui les place désormais au sein d’un vaste programme d’intégration sociale et politique, et des discussions de fond sur les questions sociales, dont la sécurité et la santé au travail, les ont accompagnés. Une administration élaborée comporte plusieurs éléments portant sur la sécurité et la santé sur les lieux de travail. L’élément de référence pour l’Union européenne est le droit communautaire et non les droits nationaux, contrairement aux autres accords de libre-échange. C’est là l’exemple le plus avancé au monde de promotion de la sécurité et de la santé au travail en tant que partie intégrante du libre-échange. Sa portée va s’étendre au-delà des pays de l’Union européenne; tout accord d’association, de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et les pays de l’Europe centrale et orientale devra aborder les questions de sécurité et de santé au travail, propageant ainsi cette tradition progressiste. Les problèmes qui persistent — harmonisation des souverainetés nationales et coordination des progrès, surveillance de l’application des directives communautaires, conciliation des différences entre les pays plus ou moins progressistes et partage d’expertise et de ressources techniques — continueront à lancer des défis à l’intégration européenne au cours des années à venir.

L’Amérique du Nord

Les trois nations nord-américaines entretiennent depuis de nombreuses décennies d’étroites relations commerciales. La première étape en direction d’un accord commercial régional a été l’Accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Canada de 1987, accord qui a abaissé les tarifs douaniers et levé d’autres restrictions com-merciales entre ces deux pays. Au début des années quatre-vingt-dix, pour préparer un accord commercial à l’échelle du continent, les autorités du travail américaines et mexicaines ont entrepris plusieurs actions communes, comme la formation d’inspecteurs du travail. En 1993, le Mexique, le Canada et les Etats-Unis ont ratifié l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui est entré en vigueur en 1994 et dont l’application complète devrait être réalisée en une dizaine d’années. L’ALENA vise à abolir la plupart des restrictions commerciales entre ces trois pays.

Le processus qui a donné naissance à l’ALENA diffère de l’expérience européenne sous plusieurs aspects. L’histoire de l’ALENA est plus courte et sa négociation a été plus rapide, en l’absence de toute tradition visant à y inclure les questions sociales. L’environnement et le travail ont été finalement codifiés dans deux accords additionnels adoptés en marge de l’ALENA proprement dit. Les groupes écologistes, qui ont joué un rôle actif dans les débats menant à l’ALENA, ont obtenu pour leur part un certain nombre de garanties dans l’accord additionnel sur l’environnement, mais les organisations des travailleurs ont adopté une approche différente. Les syndicats et leurs alliés, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada, se sont vigoureusement opposés à l’ALENA et ont plus milité pour s’opposer au traité dans son ensemble que pour obtenir des garanties spécifiques pour les travailleurs. En outre, les trois gouvernements éprouvaient une certaine réticence à renoncer à leur souveraineté sur leur législation du travail. C’est pourquoi, comparé à l’accord sur l’environnement ou à l’expérience européenne, l’accord additionnel de l’ALENA sur le travail est relativement restreint.

L’accord additionnel sur le travail définit, dans une annexe, «les principes directeurs que les parties s’engagent à promouvoir, dans le cadre du droit national de chaque partie, mais n’instaure pas de normes minimales communes». Ces principes incluent la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et leur réparation, la protection des travailleurs migrants et de leurs enfants, un renforcement des droits traditionnels des travailleurs tels que la liberté syndicale, le droit d’organisation, de négociation collective et de grève, et l’interdiction du travail forcé. Les objectifs énoncés dans cet accord sont l’amélioration des conditions de travail, l’encouragement des échanges d’informations, la collecte de données, les études conjointes, ainsi qu’une incitation à respecter la législation du travail de chaque Etat.

Les premiers articles établis de l’accord additionnel sur le travail recommandent à chaque pays de faire connaître ses propres lois sur le travail à l’échelon national et à les appliquer avec justice, équité et transparence. Ensuite, la commission de la coopération pour le travail instituée comprend un conseil des trois ministres du travail ou de leurs représentants, responsable des décisions politiques et de la promotion des activités menées en coopération, et un secrétariat dirigé par un directeur exécutif, chargé de préparer rapports et études et de fournir le soutien nécessaire au conseil. En outre, chaque nation est appelée à mettre en place un bureau administratif national qui assurera la liaison avec la commission et l’assistera dans ses travaux. Plusieurs procédures générales sont prévues et il est recommandé d’obtenir des avis spécialisés en collaboration avec le BIT. Cependant, l’accord décrit peu de procédures spécifiques permettant d’en réaliser les objectifs.

L’accord additionnel doit en grande partie son existence à la crainte généralement supposée que l’un des Etats membres, le Mexique, puisse, par des pratiques de travail laxistes, obtenir un avantage commercial déloyal; cela aurait exposé les travailleurs mexicains à de bas salaires et à des conditions de travail insalubres et transféré des emplois vers ce pays au détriment des travailleurs américains et canadiens. C’est pourquoi une grande partie de l’accord additionnel est consacrée aux procédures de règlement des différends. En cas de litige, la première étape doit être une consultation au niveau ministériel entre les gouvernements intéressés. Ensuite, la commission doit constituer un comité d’experts chargé de l’évaluation, en général trois personnes qualifiées «choisies pour leur objectivité, la fiabilité et la sûreté de leur jugement», afin d’examiner la question, pourvu que celle-ci soit d’ordre commercial et «régie par des législations du travail reconnues de part et d’autre». Le comité peut s’appuyer sur les informations fournies par la commission, par chaque Etat membre, par des organismes ou des personnes ayant les compétences appropriées, ou par le public. Le rapport du comité est distribué à chaque Etat membre.

Si le comité conclut qu’un Etat n’a peut-être pas appliqué ses normes du travail, une procédure formelle de règlement des différends peut alors être ouverte. Il est significatif que l’on ne puisse recourir à cette procédure que si le conflit se rapporte à la sécurité et au travail, au travail des enfants ou au salaire minimum. Dans un premier temps, les Etats intéressés tentent de trouver un accord. S’ils n’y parviennent pas, une commission d’arbitrage est convoquée à partir d’une liste d’experts établie et tenue à jour par le conseil. La commission présente ses conclusions sur les faits et sur le défaut éventuel d’application de la législation nationale, et formule ses recommandations sur des mesures de réparation. Si l’Etat concerné ne s’y conforme pas, la commission peut être convoquée à nouveau et lui infliger une amende. Si un Etat refuse de payer son amende, la pénalité ultime est la suspension des avantages de l’ALENA, généralement par l’imposition de tarifs douaniers dans le secteur où a eu lieu la violation, afin de recouvrer le montant de l’amende.

Dans l’ensemble, l’accord additionnel sur le travail, qui sert de cadre aux problèmes de santé et de sécurité au travail au sein de l’ALENA, est moins étendu que le traité européen. L’ALENA met l’accent sur le règlement des différends plutôt que sur une mise en commun de la recherche, de l’information, de la formation, du développement des technologies et autres initiatives de même nature. Du point de vue des représentants du monde du travail, la procédure de règlement des différends est lourde, lente et relativement inefficace. Plus encore, l’accord additionnel n’exprime aucun engagement commun vis-à-vis des droits fondamentaux des travailleurs. Très attaché au respect de la législation du travail de chaque pays, il ne contient aucune disposition susceptible d’améliorer ou d’harmoniser celles qui laissent à désirer. Sa portée est étroite et, bien que l’expérience à l’heure actuelle soit encore réduite, il est probable que l’approche européenne de la santé au travail, assez large pour englober des questions telles que le travail posté et le stress, ne sera pas suivie.

L’Asie et l’Amérique latine

Bien que l’Asie soit la région du monde dont la croissance économique a été la plus rapide — du moins avant la crise —, les négociations de libre-échange entre les pays n’ont pas évolué de façon significative. Ni l’ANASE, ni l’APEC n’ont abordé les problèmes de sécurité et de santé au travail dans leurs négociations sur les échanges. De même, les pactes commerciaux qui se développent en Amérique latine, tels que le MERCOSUR et le Pacte andin, n’ont lancé aucune initiative en matière de sécurité et de santé au travail.

LA BONNE GESTION DES PRODUITS ET LA MIGRATION DES RISQUES INDUSTRIELS

Barry Castleman

Les entreprises multinationales dominent la production et la commercialisation des produits chimiques ou autres dont on sait qu’ils sont porteurs de risques pour la sécurité et la santé au travail. Ces entreprises possèdent une expérience de longue date, mais diverse, de la gestion de ces risques, certaines y ayant même consacré un personnel et des moyens importants. La tendance croissante aux accords de libre-échange laisse penser que la domination des multinationales va s’appesantir, alors que déclinera la part des industries publiques et privées opérant à l’intérieur des pays. Il convient donc de prendre en considération le rôle des entreprises multinationales, étant donné que leurs industries sont déployées dans le monde entier, en particulier dans les pays qui avaient, jusqu’ici, peu de ressources à consacrer à la protection des travailleurs et de l’environnement.

Le Conseil européen des fédérations de l’industrie chimique (CEFIC), dans le document CEFIC Guidelines on Transfer of Technology (Safety, Health and Environment Aspects), déclare que les transferts de technologie devraient atteindre un niveau de sécurité, de protection de la santé et de l’environnement équivalent à celui du fournisseur de la technologie en question, et «équivalent à celui qui est atteint par les installations du pays d’origine du fournisseur de la technologie» (CEFIC, 1991). Ces principes sembleraient s’appliquer particulièrement aux opérations des filiales à l’étranger des entreprises multinationales.

Deux poids, deux mesures

De nombreux exemples montrent que les entreprises multinationales n’ont pas été aussi vigilantes pour maîtriser les risques industriels dans les pays en développement que dans leur pays d’origine. Les cas les plus nombreux portent sur l’amiante et d’autres matériaux à très hauts risques, pour lesquels un contrôle réel représenterait une grande part des coûts de production et ferait chuter les ventes. Les cas décrits dans les années soixante-dix et le début des années quatre-vingt concernaient des sociétés ayant leur siège en Allemagne de l’Ouest, en Autriche, aux Etats-Unis, en Italie, au Japon, au Royaume-Uni et en Suisse (Castleman et Navarro, 1987).

L’exemple le mieux étudié de la politique de deux poids, deux mesures concerne l’usine de pesticides responsable de la mort et de troubles permanents de la santé de plusieurs milliers de personnes à Bhopal (Inde) en 1984. La comparaison entre l’usine de Bhopal et une usine similaire exploitée aux Etats-Unis a montré de nombreuses différences dans la conception et l’exploitation des deux usines, ainsi que dans l’audit des conditions de sécurité, la formation des travailleurs, l’affectation de travailleurs à des postes dangereux, l’entretien de l’usine et les responsabilités de la direction. On peut également mettre en cause la relative absence de réglementation et de responsabilité civile en Inde, par rapport aux Etats-Unis (Castleman et Purkayastha, 1985).

La catastrophe de Bhopal a attiré l’attention du monde entier sur les politiques et les pratiques des multinationales en matière de protection de la sécurité et de la santé de leurs travailleurs et de l’environnement. De nombreux géants de l’industrie ont soudain réalisé qu’ils encouraient des risques excessifs, mais qu’ils pouvaient réduire, et ont donc décidé de diminuer les quantités de gaz comprimés hautement toxiques qu’ils stockaient et transportaient. Ainsi, le transport de grosses bonbonnes de phosgène, alors courant aux Etats-Unis, a été abandonné. Ces changements sont dus en grande partie au fait qu’il est devenu quasiment impossible de s’assurer contre les conséquences des dégagements de produits chimiques dans la population. Mais, au-delà de considérations d’ordre purement économique, l’éthique et la moralité de la conduite des entreprises multinationales ont fait l’objet d’une attention sans précédent.

De toute évidence, une baisse des normes de protection des travailleurs et de l’environnement peut entraîner des économies, au moins à court terme, pour les propriétaires d’usines. La tentation d’augmenter ses profits en réduisant les coûts est particulièrement grande là où il n’existe pratiquement ni réglementation gouvernementale, ni prise de conscience du public, ni pression syndicale, ni responsabilité pour les dommages causés en cas d’incident. Le cas de Bhopal a montré que, lorsque les niveaux de profit sont faibles, une pression supplémentaire s’exerce sur la direction pour qu’elle réduise ses coûts d’exploitation par des méthodes dont le coût immédiat est faible, mais dont les risques à long terme peuvent être catastrophiques. La structure des entreprises multinationales semblait idéale, en outre, pour dégager les cadres supérieurs de toute responsabilité personnelle en cas de violation des normes locales à travers le monde.

D’après l’enquête du BIT Sécurité et hygiène du travail dans les entreprises multinationales, «si l’on compte les résultats obtenus en matière de santé et de sécurité par la société mère et par ses filiales, il apparaît, d’une manière générale, que les opérations du siège se trouvent dans une situation plus favorable que celles des filiales implantées dans des pays en développement» (BIT, 1984). Un rapport du Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales insiste sur l’examen des politiques des entreprises multinationales en matière de «santé et de sécurité au travail dans leurs opérations internationales». Le rapport conclut qu’il existe de nombreux exemples d’une politique de deux poids, deux mesures dans les initiatives de protection de la santé des travailleurs et de la population prises par les sociétés transnationales, bien plus laxistes dans les pays en développement que dans les pays d’origine de ces sociétés. Les exemples pointaient le doigt sur les industries du polychlorure de vinyle, des pesticides, des chromates, de l’acier, du chlore et de l’amiante (Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales, 1985).

Les plus importantes entreprises multinationales de la chimie ayant leur siège aux Etats-Unis et au Royaume-Uni se sont défendu d’appliquer des normes différentes, selon les pays, pour assurer la protection des personnes contre les risques industriels. Cependant, ces déclarations ont pris des formes diverses, certaines impliquant un engagement plus important que d’autres. De plus, les sceptiques sont nombreux qui voient un gouffre entre les déclarations officielles des sociétés et leur pratique de deux poids, deux mesures.

La bonne gestion des produits

On entend par bonne gestion des produits la responsabilité du vendeur dans la prévention des dommages causés par les produits qu’il met sur le marché, et ce pendant toute leur durée d’utilisation et d’élimination. Elle implique la responsabilité de s’assurer qu’une compagnie qui achète le produit chimique du vendeur ne l’utilise pas de façon dangereuse; une société américaine au moins, Dow Chemical, s’est depuis longtemps déclarée opposée à la vente de produits chimiques à de tels clients. En 1992, les sociétés membres de l’Association des industries chimiques (Chemical Manufacturers Association), aux Etats-Unis, ont adopté un code aux termes duquel elles se réservent le droit de suspendre leurs ventes à des clients qui ne remédieraient pas à «des pratiques incorrectes» d’utilisation de leurs produits chimiques.

Les exemples de la nécessité d’une bonne gestion des produits chez les producteurs de pesticides abondent. Le reconditionnement de pesticides dans des emballages de denrées alimentaires et l’utilisation de bidons de pesticides pour stocker l’eau potable causent de nombreux décès et maladies. Chez les petits agriculteurs, l’emploi et le stockage des pesticides et de leurs conteneurs trahit un manque général de formation que les industriels pourraient assurer.

En République dominicaine, la défoliation due à un abus de pesticides a fait surnommer la vallée Costanza la «vallée de la mort». Lorsque cette région a attiré l’attention des médias en 1991, Ciba-Geigy, une importante multinationale de la chimie, a introduit un programme destiné à inculquer aux petits agriculteurs des notions d’agronomie, de lutte antiparasitaire intégrée et de sécurité. On a reconnu qu’il fallait réduire l’utilisation de pesticides dans la vallée. La réaction de la population aux efforts de Ciba-Geigy pour «prouver les avantages économiques et sociaux d’un marché durable» a été qualifiée d’encourageante par la presse professionnelle. Ciba-Geigy mène des programmes similaires à destination des petits agriculteurs en Colombie, en Indonésie, au Mali, au Mozambique, au Nigéria, au Pakistan et aux Philippines. Le réseau d’action sur les pesticides (Pesticide Action Network) est sceptique quant aux versions commerciales de lutte antiparasitaire intégrée qui mettent l’accent sur le «meilleur mélange» de pesticides au lieu d’enseigner les techniques avec lesquelles l’utilisation des pesticides apparaît comme un dernier recours.

Un aspect important de la bonne gestion des produits est l’information dispensée aux travailleurs et aux gens qui utilisent le produit, par des étiquettes de mise en garde, des brochures et des programmes de formation des clients. Pour certains produits dangereux et les conteneurs dans lesquels ils sont vendus, la bonne gestion des produits implique la récupération de matériaux que les clients risqueraient autrement d’utiliser de façon impropre ou d’éliminer sous forme de déchets dangereux.

Les tribunaux américains encouragent vivement la bonne gestion des produits en reconnaissant l’existence d’une responsabilité pour les dommages causés par des produits dangereux et par la pollution. Les personnes ayant subi des dommages du fait de produits dont les dangers n’ont pas toujours été indiqués dans les mises en garde des fabricants ont été indemnisées de façon substantielle pour manque à gagner et pretium doloris et, dans certains cas, les dommages-intérêts accordés ont été très dissuasifs. Des fabricants ont préféré retirer du marché américain des produits dont l’expérimentation animale a démontré qu’ils étaient cause d’anomalies de la reproduction — plutôt que de risquer des procès de plusieurs millions de dollars intentés par des travailleurs qui utilisaient cet agent et dont les enfants souffraient de malformations congénitales. Ces mêmes produits ont parfois continué d’être commercialisés par les mêmes sociétés dans d’autres pays où ce type de responsabilité n’est pas reconnu.

La responsabilité et la réglementation ont donc imposé aux industriels de certains pays l’obligation de mettre au point des procédés et des produits moins toxiques. Mais, en l’absence de prise de conscience du public, de responsabilité et de réglementation, il est possible que ces technologies discréditées et dangereuses restent compétitives sur le plan économique et qu’il y ait même un marché pour d’autres plus anciennes, encore exploitables dans de nombreux pays. C’est pourquoi, malgré les progrès réalisés par les entreprises multinationales dans le développement de «technologies propres», on ne peut guère s’attendre à ce que ces améliorations soient rapidement transmises à l’Afrique, à l’Amérique latine, à l’Asie et à l’Europe centrale et orientale. Il est tout à fait possible que certaines des usines récemment construites dans ces régions soient dotées de matériel usagé importé. Cette situation constitue un défi éthique pour les entreprises multinationales qui possèdent du matériel en cours de remplacement en Europe et en Amérique du Nord.

Les progrès de la santé publique

Les nombreux progrès réalisés ces dernières années vont sans conteste contribuer à la protection de la santé publique et de l’environnement là où ils seront introduits. Les ingénieurs chimistes dont les recherches ont traditionnellement visé à maximiser le rendement, sans trop se soucier de la toxicité des produits et sous-produits, débattent actuellement de la mise au point de technologies moins toxiques dans des colloques sur la «chimie verte», ou l’«écologie industrielle» (Illman, 1994). En voici quelques exemples:

La promotion, sur le plan mondial, de technologies moins toxiques peut être menée à bien tant de façon individuelle par les entreprises multinationales que par des organismes collectifs. La Coopérative de l’industrie pour la protection de la couche d’ozone (Industry Cooperative for Ozone Layer Protection) est l’un des outils que les grandes firmes ont utilisé pour promouvoir des technologies préférables sur le plan de l’environnement. Par cette organisation et avec l’appui de la Banque mondiale, IBM a tenté d’aider des sociétés en Asie et en Amérique latine à passer au nettoyage et au séchage à l’eau des cartes de circuits imprimés et des composants de disques.

Le rôle des pouvoirs publics

De nombreux pays voient se développer leur industrie et, en étudiant les demandes de nouveaux projets industriels, les pouvoirs publics ont l’occasion et la responsabilité d’évaluer les risques pour la sécurité et la santé des technologies importées. Le pays d’accueil devrait chercher à s’assurer que les nouvelles opérations vont atteindre un haut niveau de performance. Le candidat présentant le projet s’engagerait sur des niveaux précis de dégagements polluants qui ne devraient pas être dépassés pendant l’exploitation de l’usine, ainsi que sur les limites d’exposition des travailleurs aux substances toxiques. Il devrait être prêt à payer pour que le gouvernement se procure le matériel de surveillance nécessaire, afin de s’assurer que ces limites sont respectées dans la pratique, et à permettre en tout temps l’accès immédiat des installations aux inspecteurs du travail.

Il conviendrait de demander aux candidats de décrire leur expérience de la technologie utilisée et des risques qu’elle comporte. Le gouvernement du pays d’accueil a de bonnes raisons de vouloir être informé des risques et du niveau de pollution qui existe dans des usines similaires exploitées par les candidats au projet, et il en a le droit. De même, il importe de connaître les lois, les règlements et les normes de protection de la santé publique qui sont respectées par les candidats dans les installations similaires d’autres pays.

La procédure d’examen de la candidature par le pays d’accueil devrait inclure une évaluation critique de l’affaire. Il faut se poser la question: «En avons-nous réellement besoin?»; si la réponse est affirmative, on devrait s’assurer que la technologie est conçue pour comporter le moins de risques possibles quant aux procédés et aux produits, quels que soient les besoins à satisfaire. Cette procédure s’accorde avec les politiques déclarées des plus grandes entreprises multinationales. L’accomplissement de leur devoir éthique par les pouvoirs publics et les sociétés est le meilleur moyen de s’assurer que les progrès technologiques liés à la santé publique se propagent rapidement dans le monde entier.

Les nouveaux grands projets dans les pays en développement impliquent généralement la participation des entreprises multinationales investissant à l’étranger. Les directives ci-jointes (voir tableau 20.2), publiées par Greenpeace et le Réseau du tiers monde (Third World Network) en Malaisie, indiquent de façon détaillée les informations que les pouvoirs publics peuvent exiger des investisseurs étrangers (Bruno, 1994). Dans la mesure où les informations sur la technologie et ses dangers ne sont pas fournies par les investisseurs étrangers potentiels, les gouvernements peuvent et doivent prendre des mesures pour les obtenir par leurs propres moyens.

Tableau 20.2 Informations à fournir par les investisseurs étrangers en vue d'une
étude environnementale

  1. L’investisseur étranger fournira une analyse d’impact sur l’environnement du projet soumis, comprenant:
    1. la liste de toutes les matières premières, intermédiaires, produits et déchets (accompagnée d’un diagramme des flux);
    2. la liste de toutes les normes de sécurité et de santé au travail et de celles relatives à l’environnement (rejets d’eaux usées, taux d’émission dans l’atmosphère de tout polluant atmosphérique, description détaillée et taux de production de déchets, solides ou autres, devant être éliminés sur site ou par incinération);
    3. le plan de maîtrise de tous les risques pour la sécurité et la santé au travail issus de l’exploitation de l’usine, du stockage et du transport de matières premières, produits et déchets potentiellement dangereux;
    4. la copie des directives internes de l’investisseur étranger pour la conduite des analyses d’impact sur l’environnement et sur la sécurité et la santé au travail pour les nouveaux projets;
    5. les fiches techniques de sécurité fournies par les fabricants de toutes les substances utilisées.
  2. L’investisseur étranger fournira des informations complètes sur la situation, l’ancienneté et les performances des établissements existants ou fermés au cours des cinq dernières années, dont il jouit de la propriété partielle ou totale, et dans lesquels des procédés et des produits similaires sont utilisés, comprenant:
    1. la liste de toutes les normes de sécurité et de santé au travail et de celles relatives à l’environnement, comprenant à la fois les obligations légales (normes, lois, règlements), les normes internes et les pratiques de la société en ce qui concerne la surveillance de tout type de risque professionnel et écologique;
    2. la description de tous les cas d’incapacité permanente et/ou totale subie ou présumée subie par les travailleurs, y compris les demandes de réparation de ces derniers;
    3. des explications sur toutes les amendes, pénalités, citations à comparaître, infractions, accords de réglementation et plaintes en dommages-intérêts concernant l’environnement et la sécurité et la santé au travail, ainsi que les risques ou les dommages issus de la commercialisation et du transport des produits de ces entreprises;
    4. la description du taux de participation de l’investisseur étranger au capital et à la technologie de chaque établissement et des informations similaires sur les autres actionnaires et fournisseurs de technologie;
    5. les noms et adresses des autorités de tutelle qui réglementent et surveillent les questions d’environnement et de sécurité et de santé au travail pour chaque établissement;
    6. l’exposé des cas où un impact quelconque d’un établissement sur l’environnement a donné lieu à une controverse au sein de la population locale ou avec les autorités de tutelle, et notamment une description des pratiques critiquées et de la réponse qui a été apportée dans chaque cas à ces critiques;
    7. la copie, accompagnée d’un récapitulatif, de tous les audits de l’entreprise concernant la sécurité et la santé au travail, ainsi que l’environnement, et les rapports d’inspection de chaque établissement, comportant ces audits et les rapports établis par les consultants;
    8. la copie des rapports de sécurité, d’évaluation et d’analyse des risques établis pour des technologies similaires par l’investisseur étranger et par ses consultants;
    9. la copie des documents relatifs à la libération de produits toxiques qui ont été soumis à des organes gouvernementaux (par exemple l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) ou des organismes analogues d’autres pays) au cours des cinq dernières années, pour tous les établissements;
    10. toute information jugée utile par l’investisseur étranger.
  3. L’investisseur étranger présentera une déclaration sur la politique de l’entreprise en matière de sécurité, de santé et de performance environnementale dans ses opérations dans le monde. Cet exposé doit mentionner la politique de la société à l’égard des lois, règlements, normes et directives, ainsi que ses pratiques dans les nouveaux projets industriels et les unités de production. L’investisseur étranger expliquera de quelle façon sa politique mondiale est mise en œuvre en décrivant le personnel responsable de celle-ci, ses pouvoirs et responsabilités, et sa position dans la structure de la société à l’étranger. Cette description comportera également les noms, adresses et numéros de téléphone des cadres supérieurs de la société responsables de ces fonctions. L’investisseur étranger précisera s’il applique les mêmes normes dans le monde entier en matière de protection des travailleurs et de l’environnement pour tous ses nouveaux projets et, dans le cas contraire, il en expliquera les raisons.
  4. L’investisseur étranger acceptera de fournir au pays en développement un accès immédiat à toutes les installations industrielles proposées, à tout moment de leur exploitation, pour lui permettre de procéder aux inspections, au contrôle de l’exposition des travailleurs aux risques, et au prélèvement d’échantillons des substances toxiques émises.
  5. L’investisseur étranger acceptera de fournir une formation complète à tous les salariés exposés aux risques professionnels potentiels, et notamment une formation sur les effets potentiels pour la santé de toutes les expositions et sur les mesures de contrôle les plus efficaces.
  6. L’investisseur étranger acceptera de fournir au pays en développement les équipements destinés à analyser l’exposition sur le lieu de travail et la production de substances polluantes, incluant toutes les obligations stipulées au point A 2) ci-dessus, pour toute la durée de vie du projet mais ne s’y limitant pas. L’investisseur étranger acceptera que le projet soumis assume les coûts pour le gouvernement du pays en développement de tous les contrôles médicaux et d’exposition pendant la durée de vie du projet.
  7. L’investisseur étranger acceptera que le projet soumis indemnise intégralement toute personne dont la santé, la capacité de gain ou la propriété subiront un dommage du fait des risques professionnels et d’impact sur l’environnement découlant du projet comme déterminé par le gouvernement du pays en développement.
  8. Lors de la commercialisation, l’investisseur étranger prendra des mesures de protection aussi restrictives que celles qui sont appliquées partout ailleurs dans le monde, afin de s’assurer que les travailleurs et la population ne subissent pas de dommages du fait de l’utilisation de ses produits.
  9. Si l’investisseur étranger découvre un risque important d’atteinte à la santé ou à l’environnement, posé par une substance qu’il produit ou vend dans le pays en développement, risque non connu ou divulgué à la date de la présente candidature, il acceptera de le notifier à l’agence gouvernementale de protection de l’environnement du pays en développement dès la connaissance de ce risque. Cela équivaut aux exigences de l’article 8 de la loi sur le contrôle des substances toxiques des Etats-Unis.
  10. J. L’investisseur étranger fournira les noms, titres, adresses, numéros de téléphone et de télécopie de ses cadres supérieurs chargés de la mise en œuvre de sa politique d’environnement, de sécurité et de santé au travail, de la conception et de l’exploitation de l’établissement, des inspections internes et de l’examen des performances de l’établissement, ainsi que de la bonne gestion des produits.

Source: Bruno, 1994.

Les risques industriels ne sont pas la seule raison pour laquelle les pays peuvent désirer effectuer des études d’impact sur l’environnement, et les projets industriels ne sont pas les seuls à justifier un tel examen. L’importation et l’utilisation massive de technologies grandes consommatrices d’énergie pour fabriquer des réfrigérateurs, des moteurs électriques et du matériel d’éclairage ont causé de sérieuses difficultés. Dans de nombreux pays, la production d’électricité pourrait difficilement suivre la demande, même si les économies d’énergie étaient un critère d’évaluation des nouvelles technologies et de la conception des immeubles à usage commercial. Le gaspillage de l’énergie entrave sérieusement le développement — il suffit de penser au coût de la construction et de l’exploitation d’une surcapacité de production, à la pollution et à l’effet de découragement de l’expansion, provoqué par une alimentation électrique défectueuse et des pannes de courant. Les économies d’énergie pourraient libérer d’immenses ressources pour subvenir à des besoins fondamentaux au lieu de servir à construire et exploiter des centrales électriques inutiles.

Conclusion

Les entreprises multinationales sont les mieux placées pour déterminer quels types de technologies seront transférés aux pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe centrale et orientale. Les grandes entreprises ont l’obligation morale de mettre rapidement en application des politiques mondiales libérées de la pratique des deux poids, deux mesures en matière de santé publique et d’environnement. La vie des générations présentes et futures dépendra essentiellement du rythme auquel des technologies améliorées et moins dangereuses se généraliseront.

Les pouvoirs publics, de leur côté, sont tenus moralement d’examiner de façon indépendante et critique les projets industriels et commerciaux. Le meilleur moyen de ce faire est d’analyser minutieusement les technologies et les sociétés intéressées. La crédibilité et l’efficacité de l’examen dépendront largement de sa transparence et de la participation de la population.

Les citations provenant d’entreprises sont issues de rapports publiés dans la presse spécialisée et de communications faites à l’auteur.

LES ASPECTS ÉCONOMIQUES DE LA SÉCURITÉ ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL

Alan Maynard

Les accidents et les maladies liés au travail font subir à la collectivité des pertes considérables, mais aucune société n’a les moyens de les prévenir tous. Les ressources étant rares, les investissements limités doivent être soigneusement ciblés, afin d’être les plus judicieux possibles. L’estimation du coût de la mauvaise santé au travail ne facilite pas, en elle-même, le ciblage des investissements. Une évaluation économique correcte peut être utile si elle est bien conçue et menée. Les résultats d’une telle évaluation peuvent être exploités, assortis d’une approche critique adéquate de la pratique des évaluations, afin de guider le choix des investissements, mais l’évaluation économique ne va pas et ne devrait pas déterminer les décisions d’investir. Celles-ci seront le reflet de valeurs économiques, politiques et sociales. Comme Fuchs (1974) l’exposait:

La plupart de nos grands problèmes de santé découlent des choix de valeur. Qui sommes-nous? Quel genre de vie voulons-nous mener? Quelle société voulons-nous bâtir pour nos enfants et nos petits-enfants? Quelle importance voulons-nous accorder à la liberté individuelle? A l’égalité? Au progrès matériel? Aux valeurs spirituelles? Quelle importance revêt à nos yeux notre propre santé? Et celle de notre prochain? Les réponses que nous apportons à ces questions, de même que les indications que nous fournit l’économie, vont et devraient moduler notre politique de santé.

Si elle réussit, une décision de réglementer l’industrie minière afin de réduire le nombre des travailleurs tués ou mutilés se traduira pour la population active par des avantages sur le plan de la santé qui, cependant, ont des coûts. En fait, l’augmentation des coûts liés à l’amélioration de la sécurité entraînera une hausse des prix et réduira les ventes sur les marchés mondiaux concurrentiels, ce qui peut amener les employeurs à s’écarter des règlements sans que les syndicats et leurs membres ne réagissent, préférant peut-être accepter des entorses à l’application des lois sur la sécurité et la santé si elles se traduisent par une amélioration de leurs revenus et des perspectives d’emploi.

Le but de l’analyse économique en matière de santé au travail est précisément de permettre d’évaluer le niveau «efficient» de l’investissement dans la sécurité. Ce niveau est atteint lorsque le coût d’une action supplémentaire modeste destinée à renforcer la sécurité (le coût marginal) est égal aux avantages retirés (le rendement marginal en termes d’amélioration de la santé et du bien-être résultant de la réduction des risques). Les aspects économiques de la sécurité et de la santé au travail sont un facteur essentiel dans la prise de décisions à tous les échelons — atelier, entreprise, industrie, société. Se comporter comme si tous les risques pour la santé des travailleurs sur le lieu de travail pouvaient être éliminés peut être inefficient. Les risques devraient être éliminés là où il est rentable de le faire, mais certains sont rares et il serait trop coûteux de les supprimer: il faut donc les tolérer. Lorsque des événements exceptionnels portent préjudice au bien-être des travailleurs, ils doivent être acceptés, à regret, au motif d’efficience économique. En matière de risques professionnels, il existe un niveau optimal au-delà duquel les coûts de leur réduction dépassent les avantages. Investir dans la sécurité au-delà de ce niveau générera des avantages sur le plan de la sécurité qui ne peuvent être acquis que si la société est prête à agir de façon inefficiente. C’est là une décision de politique sociale.

Les types d’analyse économique

L’analyse des coûts

L’analyse des coûts exige d’identifier, de quantifier et d’évaluer du point de vue des ressources les conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ces éléments donnent une idée de l’ampleur du problème, mais ne permettent pas aux décideurs de déterminer l’intervention la plus efficiente parmi toutes les mesures possibles que peuvent prendre les divers responsables de la réglementation du milieu de travail.

Une étude britannique illustre bien cette question des coûts que les accidents et les maladies liés au travail représentent pour l’économie (Davies et Teasdale, 1994). En 1990, 1,6 million d’accidents du travail ont été déclarés, et 2,2 millions de personnes ont présenté des problèmes de santé causés ou aggravés par le milieu de travail. En conséquence, 20 000 personnes se sont vues contraintes de quitter leur travail, et 30 millions de journées de travail ont été perdues. Le manque à gagner et les autres préjudices subis ont été estimés, pour les victimes et leurs familles, à 5,2 milliards de livres sterling. Pour les employeurs, la perte s’est située entre 4,4 et 9,4 milliards de livres sterling et, pour la société dans son ensemble, entre 10,9 et 16,3 milliards de livres sterling (voir tableau 20.3). Les auteurs de cette étude ont noté que, tandis que le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles déclarés avait diminué, leur coût estimé avait augmenté.

Tableau 20.3 Les coûts pour l'économie britannique des accidents du travail et des maladies liées
au travail, 1990 (en millions de £)

Coûts pour les victimes et leur famille

Coûts pour leurs employeurs

Coûts pour l’ensemble de la société

Perte de revenu

(Millions de £)

Coûts de production supplémentaires

(Millions de £)

Perte de production

(Millions de £)

Accidents

  376

Accidents

336

Accidents

1 365

Maladies

  579

Maladies

230

Maladies

1 908

 

Dommages et pertes subis lors d’accidents

Coûts en ressources: dommages subis lors d’accidents

 

 

Lésions

15-140

Lésions

15-140

 

 

Autres

2 152-6 499

Autres

2 152-6 499

 

 

Assurance

505

Assurés

430

 

 

 

 

Traitement médical

 

 

 

 

Accidents

58-244

 

 

 

 

Maladies

58-219

 

Administration/recrutement

Administration, etc.

 

 

Accidents

58-69

Accidents

132-143

 

 

Maladies

79-212

Maladies

163-296

 

 

Autres

307-712

Autres

382-787

Autres préjudices subis

 

Autres préjudices subis

Accidents

1 907

Responsabilité de l’employeur 

Accidents

1 907

Maladies

2 398

Assurance

750

Maladies

2 398

Total

5 260

Total

4 432-9 453

Total

10 968-16 336

Moins: indemnisation par l’assurance responsabilité civile de l’employeur

  650

 

 

 

 

Total net

4 610

 

 

 

 

Source: Davies et Teasdale, 1994.

Les coûts étaient supérieurs à ceux qui avaient été enregistrés dans des études précédentes en raison de la révision des techniques d’estimation des pertes des régimes de protection sociale et de meilleures sources d’information. L’élément central d’information dans ce type d’exercice d’estimation des coûts est l’épidémiologie des accidents et des maladies liés au travail. Comme dans tous les autres secteurs de l’analyse des coûts sociaux (par exemple, celui de l’alcool — voir McDonnell et Maynard, 1985), la mesure du nombre d’événements a tendance à être inexacte. Certains accidents ne sont pas signalés, mais on en ignore le nombre. Le lien entre la maladie et le lieu de travail peut paraître évident dans certains cas (comme dans celui des maladies liées à l’amiante), mais incertain dans d’autres (par exemple, les cardiopathies et les facteurs de risque professionnels). C’est pourquoi il est difficile d’identifier le nombre de cas véritablement liés au travail.

L’estimation des coûts des cas identifiés pose également certains problèmes. Si le stress au travail entraîne alcoolisme et licenciement, comment évaluer les effets de ces événements sur la famille? Si un accident du travail cause une souffrance à vie, comment l’évaluer? De nombreux coûts peuvent être identifiés, certains peuvent être mesurés, mais, souvent, une proportion considérable de coûts mesurés, voire quantifiés, ne peuvent être évalués.

Avant de consacrer trop d’efforts à l’estimation des coûts qu’entraînent les problèmes de santé liés au travail, il est essentiel que l’objectif poursuivi et l’importance d’une grande exactitude soient clairement établis. L’estimation des coûts des accidents du travail et des maladies professionnelles ne guide pas la décision d’investir pour prévenir ces événements, car elle ne renseigne pas les gestionnaires sur les coûts et les avantages qu’ils peuvent retirer en s’engageant un peu plus ou un peu moins dans cette activité de prévention. L’estimation des coûts des événements liés à une mauvaise santé due au travail permet d’identifier les pertes par catégories (l’individu, la famille et l’employeur) et les coûts pour la société. Cette tâche ne donne pas de renseignements sur l’activité de prévention. Les informations nécessaires à ces choix ne peuvent être obtenues que par une évaluation économique.

Les principes de l’évaluation économique

Il existe quatre types d’évaluation économique: l’analyse minimisation des coûts, l’analyse coûts-avantages, l’analyse coût-efficacité et l’analyse coût-utilité. Les caractéristiques de ces approches sont présentées dans le tableau 20.4.

Tableau 20.4 Les types d'évaluation économique

Analyse

Mesure des coûts

Mesure des effets: lesquels?

Mesure des effets: quelle unité?

Minimisation des coûts

£

Présumés identiques

Aucune

Coûts-avantages

£

Tous les effets produits par les différentes stratégies possibles

Livres sterling

Coût-efficacité

£

Variable unique spécifique commune obtenue à des degrés divers

Unités communes
(par exemple, années de vie)

Coût-utilité

£

Effets des thérapies concurrentes obtenus à différents niveaux

Années de vie pondérées par la qualité de vie (AVPQ) ou corrigées du facteur invalidité (AVCI)

L’analyse minimisation des coûts suppose que l’effet produit est identique dans chacune des options faisant l’objet de la comparaison. Soit deux interventions destinées à réduire les effets cancérogènes d’un procédé de production, dont l’ingénierie et les autres données montrent que les effets sont identiques en termes d’exposition et de diminution des cancers: l’analyse minimisation des coûts peut être utilisée pour calculer le coût des stratégies possibles afin d’identifier l’option la moins coûteuse.

De toute évidence, l’hypothèse des effets identiques est forte et il est peu probable qu’elle se rencontre dans la plupart des cas d’investissement; par exemple, les effets de différentes stratégies de sécurité sur la durée et la qualité de la vie des travailleurs seront inégaux. Dans ce cas, il est nécessaire d’utiliser d’autres méthodes d’évaluation.

La plus ambitieuse de ces méthodes est l’analyse coûts-avantages. L’analyste qui la pratique doit identifier, mesurer et évaluer, dans une unité monétaire commune, à la fois les coûts et les avantages des stratégies de prévention possibles. L’évaluation des coûts de ces investissements peut être malaisée. Cependant, ces problèmes peuvent paraître mineurs comparés à l’évaluation monétaire des avantages qu’entraînent ces investissements: quelle valeur donner à une lésion évitée ou à une vie sauvée? En raison de ces difficultés, l’analyse coûts-avantages n’a guère été utilisée dans le domaine des accidents et de la santé.

En revanche, une forme plus restreinte d’évaluation économique, l’analyse coût-efficacité, a été largement utilisée dans le secteur de la santé. Cette méthode a été développée par l’armée américaine, dont les analystes ont adopté la fameuse mesure des effets nommée «dénombrement des morts», et cherché alors à identifier le moyen le moins coûteux d’obtenir un nombre donné de cadavres ennemis (par exemple, quels étaient les coûts relatifs des barrages d’artillerie, du bombardement au napalm, des charges d’infanterie, des avances de blindés et autres «investissements» destinés à obtenir un effet voulu de mortalité chez l’ennemi).

Donc, l’analyse coût-efficacité consiste généralement en une simple mesure d’effets spécifiques à un secteur, après quoi il est possible de calculer ce que coûtera, par exemple, l’obtention de différents niveaux de réduction des accidents ou de la mortalité sur les lieux de travail.

L’analyse coût-efficacité trouve ses limites dans l’impossibilité d’étendre les mesures d’efficacité dans un secteur (comme la réduction de l’exposition à l’amiante) à tous les autres (par exemple, à celui de la réduction du taux d’électrocutions dans la distribution d’électricité). C’est pourquoi l’analyse coût-efficacité peut guider la prise de décisions dans un domaine particulier, mais ne peut fournir d’indications pour évaluer les coûts et les effets des choix d’investissement dans une large gamme de stratégies de prévention.

L’analyse coût-utilité a été conçue pour surmonter ce problème en utilisant une mesure d’efficacité générique, telle que les années de vie pondérées par la qualité de vie (AVPQ) ou les années de vie corrigées du facteur invalidité (AVCI) (Williams, 1974; Banque mondiale, 1993). Cette méthode peut être appliquée à l’identification des coûts/effets en années de vie pondérées par la qualité de vie des différentes stratégies possibles, et ces informations peuvent guider les stratégies d’investissement dans la prévention de façon plus complète.

L’utilisation des techniques d’évaluation économique en matière de soins médicaux est bien établie, encore qu’en médecine du travail elle soit plus limitée. Compte tenu de la difficulté de mesurer et d’évaluer tant les coûts que les avantages (par exemple, en années de vie pondérées par la qualité de vie), ces techniques sont utiles, mais non indispensables, pour guider les choix d’investissement dans la prévention. Il est surprenant qu’elles soient utilisées si rarement et que l’investissement soit alors choisi en quelque sorte au hasard plutôt que sur la base d’une évaluation précise dans un cadre analytique reconnu.

La pratique de l’évaluation économique

L’analyse économique est semblable à tous les autres domaines de l’activité scientifique dans la mesure où les principes et la pratique peuvent être différents. L’utilisation d’études sur les aspects économiques des accidents du travail et des maladies professionnelles passe donc nécessairement par un examen attentif des évaluations existantes. Il existe depuis longtemps des critères destinés à apprécier les qualités des évaluations économiques (Drummond, Stoddart et Torrance, 1987; Maynard, 1990). Un pionnier en la matière, Alan Williams, a formulé voilà plus de deux décennies (Williams, 1974) une liste de questions pertinentes:

Dans plusieurs domaines de l’évaluation économique, la pratique a tendance à être défectueuse. Ainsi, en ce qui concerne les dorsalgies, qui coûtent cher à la société au titre des maladies liées au travail, les différents traitements possibles et leurs effets prêtent à controverse. Dans le passé, on prescrivait le repos au lit, alors qu’aujourd’hui on préconise l’activité et l’exercice pour dissiper la tension musculaire qui provoque la douleur (Klaber Moffett et coll., 1995). Toute évaluation économique doit se fonder sur les connaissances des praticiens, souvent incertaines. Sans une évaluation soigneuse de la validité des connaissances de base, toute tentative pour définir les effets économiques des interventions possibles peut manquer d’objectivité et dérouter les décideurs, comme c’est le cas pour les soins médicaux (Freemantle et Maynard, 1994).

S’agissant des investissements destinés à prévenir les maladies et les accidents liés au travail, les évaluations économiques sont peu nombreuses. Tout comme dans le domaine des soins médicaux en général, les études dont on dispose sont souvent médiocres (Mason et Drummond, 1995). La prudence est donc de mise. Les évaluations économiques sont essentielles, mais, dans la pratique, elles souffrent de tels défauts que les utilisateurs de cette discipline doivent être en mesure d’évaluer de façon critique les connaissances de base disponibles avant d’engager les ressources limitées de la société.

UNE ÉTUDE DE CAS: L’INDUSTRIALISATION ET LES PROBLÈMES DE SANTÉ AU TRAVAIL EN CHINE

Zhi Su

Les agriculteurs chinois ont obtenu des succès remarquables dans l’industrialisation des campagnes et dans le développement des entreprises rurales situées dans les nouvelles cités industrielles (voir tableau 20.5). C’est ainsi que les populations rurales ont pu échapper rapidement à la pauvreté. Depuis les années soixante-dix, plus de cent millions d’agriculteurs ont rejoint les entreprises des nouvelles cités industrielles, nombre supérieur à l’effectif total des salariés des entreprises collectives appartenant à l’Etat ou aux municipalités. A l’heure actuelle, les entreprises de ces cités occupent un travailleur rural sur cinq. Au total, 30 à 60% du revenu net moyen total des ruraux proviennent de la valeur créée par ces entreprises. La valeur de la production des industries rurales a représenté 30,8% de la valeur totale de la production industrielle nationale en 1992. Il est prévu que, d’ici à l’an 2000, plus de 140 millions de travailleurs ruraux excédentaires, soit quelque 30% de la population rurale active, seront absorbés par les industries rurales (Chen, 1993; China Daily, 5 janv. 1993).

Tableau 20.5 Le développement des entreprises des nouvelles cités industrielles en Chine

 

1978

1991

Nombre d’entreprises (en millions)

  1,52

     19

Nombre de salariés (en millions)

28

     96

Actifs immobilisés (en milliards de YRMB)

22,96

   338,56

Valeur de la production globale (en milliards de YRMB)

49,5

1 162,1

Ce passage rapide de la main-d’œuvre agricole vers des emplois non agricoles des régions rurales a lourdement pesé sur les ressources des services de santé au travail. Une étude des besoins de services de santé au travail et des mesures à prendre dans les industries des nouvelles cités (Survey on Occupational Health Service Needs and Countermeasures in Township Industries — SOHSNCTI), menée conjointement par le ministère de la Santé publique et le ministère de l’Agriculture en 1990 sur un échantillon de 30 districts dans 13 provinces et de 2 municipalités, a montré que la plupart des entreprises rurales n’avaient pas fourni les services de base en matière de santé au travail (Ministry of Public Health, 1992). Evalué pour cinq activités de routine de la santé au travail, le taux de protection assuré aux entreprises rurales par les institutions locales de santé au travail, les dispensaires ou les centres de santé et de prévention des épidémies (CSPE) était très faible: de 1,37 à 35,64% seulement (voir tableau 20.6). Les services qui doivent faire appel à des techniques sophistiquées ou à un personnel bien formé en santé au travail sont particulièrement limités. Ainsi, l’inspection médicale du travail aux fins de prévention, l’examen physique des travailleurs exposés aux risques et la surveillance des lieux de travail étaient de toute évidence insuffisants.

Tableau 20.6 Les services de santé au travail offerts aux entreprises rurales par les
dispensaires ou les CSPE

Domaines

Entreprises

Entreprises bénéficiant de services de santé au travail

%

Inspection de santé au travail aux fins de prévention

 7 716

   106

 1,37

Contrôle général d’hygiène industrielle

55 461

19 767

35,64

Surveillance des risques sur le lieu de travail

55 461

 2 164

 3,90

Examen physique des travailleurs

55 461

 1 494

 2,69

Aide à l’établissement de registres de santé au travail

55 461

16 050

28,94

Parallèlement, les problèmes de santé au travail dans les entreprises rurales ont eu tendance à s’aggraver. Tout d’abord, l’enquête indiquait que 82,7% des entreprises industrielles rurales comportaient au moins une catégorie de risque professionnel. Au total, 33,91% des ouvriers étaient exposés au minimum à un type de risque. D’après les concentrations de plomb, d’analogues du benzène, de chrome, de poussières de silice, de charbon ou d’amiante relevées sur 2 597 lieux de travail de 1 438 entreprises lors de prélèvements d’échantillons d’air, seuls 40,82% des entreprises respectaient les niveaux prescrits (voir tableau 20.7); les normes sur les poussières n’étaient observées que dans des proportions très faibles: 7,31% pour la silice, 28,57% pour les poussières de charbon; 0,00% pour l’amiante. S’agissant du bruit, le taux total de conformité dans 1 155 entreprises était de 32,96%. Un examen physique des travailleurs exposés à plus de sept risques a été effectué (voir tableau 20.8). La prévalence totale des maladies professionnelles causées uniquement par l’exposition à ces sept types de risques était de 4,36%, soit un pourcentage bien plus élevé que celui de l’ensemble des maladies professionnelles ouvrant droit à réparation dans les entreprises d’Etat. De plus, on soupçonnait 11,42% des travailleurs exposés de souffrir de maladies professionnelles. Or, les industries dangereuses continuent de se déplacer des villes vers les campagnes, et des entreprises d’Etat vers les entreprises rurales qui occupent surtout d’anciens travailleurs agricoles peu instruits. Les employeurs et les dirigeants eux-mêmes ont encore très peu d’instruction. Une enquête portant sur 29 000 entreprises rurales a montré que 78% des employeurs et des dirigeants n’avaient qu’une formation équivalente au niveau du premier cycle secondaire, voire du cycle primaire, et que certains d’entre eux étaient tout simplement analphabètes (voir tableau 20.9). Globalement, 60% des employeurs et des dirigeants ignoraient les prescriptions gouvernementales sur la santé au travail. D’après cette enquête, la prévalence des maladies professionnelles dans les industries rurales est appelée à augmenter pour atteindre un niveau maximum aux environs de l’an 2000.

Tableau 20.7 Nombre de cas et taux de maladies professionnelles détectables

Risques1

Entreprises

Lieux de travail contrôlés

Lieux de travail conformes aux normes

Taux de conformité (%)2

Plomb

177

250

184

73,60

Analogues du benzène

542

793

677

85,37

Chrome

56

64

61

95,31

Poussières de silice

589

1 338

98

7,31

Poussières de charbon

68

140

40

28,57

Poussières d’amiante

6

12

0

0,00

Total

1 438

2 597

1 060

40,82

1 Aucune trace de mercure n’a été mise en évidence dans l’échantillon retenu. 2 Le taux d’entreprises respectant la législation sur le bruit était de 32,96%; pour de plus amples informations, se reporter au texte.

Tableau 20.8 Nombre de cas et taux de maladies professionnelles détectables

Maladies professionnelles

Sujets examinés

Sujets sains

Sujets malades

Maladie suspectée

 

Nombre

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Silicose

 6 268

 6 010

95,88

 75

 1,20

  183

 2,92

Pneumoconiose des mineurs de houille

 1 653

 1 582

95,70

 18

 1,09

   53

 3,21

Asbestose

    87

    66

75,86

  3

 3,45

   18

20,69

Saturnisme chronique

 1 085

   800

73,73

 45

 4,15

  240

22,12

Intoxication par le benzène et ses analogues1

 3 071

 2 916

94,95

 16

 0,52

  139

 4,53

Intoxication chronique au chrome

   330

   293

88,79

 37

11,21

   —

   —

Atteinte auditive causée par le bruit

 6 453

 4 289

66,47

6332

 9,81

1 5313

23,73

Total

18 947

15 956

84,21

827

 4,36

2 164

11,42

1 Benzène, toluène et xylène, mesurés séparément. 2 Atteintes auditives dans les fréquences du son. 3 Atteintes auditives dans les hautes fréquences.

Tableau 20.9 La répartition des travaux dangereux et le niveau d'instruction des employeurs

Niveau d’instruction des employeurs

Nombre total d’entreprises
(1)

Entreprises comportant des travaux dangereux
(2)

Ouvriers
(3)

Travailleurs exposés
(4)

Entreprises dangereuses (%)
(2)/(1)

Travailleurs exposés (%)
(4)/(3)

Analphabète

   239

   214

    8 660

  3 626

89,54

41,87

Niveau primaire

 6 211

 5 159

  266 814

106 076

83,06

39,76

Niveau premier cycle secondaire

16 392

13 456

  978 638

338 450

82,09

34,58

Enseignement technique

   582

   486

   58 849

 18 107

83,51

30,77

Enseignement secondaire de deuxième cycle

 5 180

 4 324

  405 194

119 823

83,47

29,57

Niveau universitaire

   642

   544

   74 750

 21 840

84,74

29,22

Total

29 246

24 183

1 792 905

607 922

82,69

33,91

Le défi des migrations massives de main-d’œuvre

En 1992, la population active en Chine comptait 594,32 millions de personnes, dont 73,7% se classaient dans la catégorie des travailleurs ruraux (National Statistics Bureau, 1993). Un tiers des 440 millions de travailleurs ruraux du pays seraient en fait sans emploi (China Daily, 7 déc. 1993). Le fort excédent de travailleurs qui dépassent largement le potentiel d’emplois des industries rurales migre vers les zones urbaines. Les mouvements de masse des agriculteurs vers les villes ces dernières années, mouvements qui sont particulièrement importants depuis le début des années quatre-vingt-dix, ont posé aux autorités centrales et locales un défi considérable. Ainsi, au cours du premier semestre de 1991, 200 000 agriculteurs seulement avaient quitté leur foyer dans la province de Jiangxi, alors qu’ils furent plus de 3 millions à le faire en 1993, soit un cinquième des travailleurs ruraux de la province (China Daily, 21 mai 1994). Les statistiques gouvernementales prévoient que 250 millions de travailleurs ruraux arriveront sur le marché du travail urbain d’ici à la fin du siècle (China Daily, 25 nov. 1993). En outre, chaque année, environ 20 millions de jeunes atteignent l’âge légal d’admission à l’emploi dans l’ensemble du pays (National Statistics Bureau, 1993). Grâce à une urbanisation croissante et à une large ouverture sur l’extérieur qui attire les investisseurs étrangers, de nouvelles occasions d’emploi ont été créées pour les travailleurs ruraux migrants. Ceux-ci sont embauchés dans les villes pour des activités très diverses, notamment dans l’industrie, le génie civil, les transports, le commerce et les services, ainsi que dans la plupart des travaux dangereux ou à haut risque que les citadins répugnent à accomplir. Ces travailleurs ont la même formation que ceux des entreprises rurales et sont confrontés à des problèmes similaires en matière de santé au travail. En outre, du fait de leur mobilité, il est difficile de retrouver leur trace, et les employeurs pourraient facilement échapper à leurs responsabilités à l’égard de la santé de leur personnel. De plus, ces travailleurs occupent souvent plusieurs emplois dans lesquels les risques d’exposition à des produits toxiques peuvent se combiner, et il est difficile de leur assurer l’accès aux services de santé au travail. Ces conditions aggravent la situation.

Les problèmes de santé au travail dans les industries financées par des capitaux étrangers

Plus de 10 millions de travailleurs nationaux sont à l’heure actuelle employés, dans l’ensemble du pays, par plus de 70 000 entreprises à capitaux étrangers. Des politiques préférentielles destinées à encourager l’investissement étranger, la présence d’importantes ressources naturelles et une main-d’œuvre bon marché attirent toujours plus d’investisseurs. La commission de planification du conseil d’Etat a décidé d’alléger les procédures d’examen applicables aux candidats. Les autorités locales ont reçu plus de pouvoirs quant à l’approbation des projets d’investissement. Ceux qui sont inférieurs à 30 millions de dollars E.U. peuvent faire l’objet d’une décision des autorités locales, avec une inscription auprès de la commission de planification, et les entreprises étrangères sont encouragées à faire de telles offres (China Daily, 18 mai 1994). Bien entendu, les entreprises à capitaux étrangers présentent également un grand attrait pour de nombreux travailleurs chinois, principalement parce qu’elles proposent des salaires plus élevés.

L’encouragement des investissements étrangers s’est aussi accompagné d’un transfert des industries dangereuses vers ce pays. Le ministère de la Santé publique et les autres organismes apparentés se préoccupent depuis longtemps de la santé des travailleurs occupés dans ces secteurs. Certaines enquêtes locales ont mis en évidence l’ampleur du problème: hauts niveaux d’exposition aux risques professionnels; horaires de travail excessifs; mauvaises conditions de travail; problèmes propres au personnel féminin; absence de protection individuelle appropriée, d’examens médicaux et de formation en matière de santé et d’assurance maladie; licenciement des travailleurs victimes de maladies professionnelles, etc.

L’incidence des intoxications dues aux produits chimiques s’est accrue ces dernières années. D’après des informations de 1992 provenant de l’Institut pour la prévention et le traitement des maladies professionnelles de la province de Guangdong, deux accidents ayant entraîné une intoxication par les solvants se sont produits simultanément dans deux usines de jouets à capitaux étrangers situées dans la zone économique spéciale (ZES) de Zhuhai, affectant au total 23 travailleurs. Parmi eux, 4 sont décédés, victimes d’un empoisonnement au 1,2-dichloroéthane; 19 autres ont souffert d’une intoxication au benzène et à ses analogues (xylène et toluène). Ces travailleurs étaient employés dans ces usines depuis moins d’un an, quelques-uns depuis 20 jours seulement (Guangdong Provincial Occupational Disease Prevention and Treatment Hospital, 1992). La même année, deux autres accidents de ce type étaient signalés dans la ville de Dalian, dans la province de Liaoning; l’un d’eux avait affecté 42 travailleurs et l’autre 1 053 (Dalian City Occupational Disease Prevention and Treatment Institute, 1992b). Le tableau 20.10 renseigne sur les conditions sanitaires en entreprise dans trois ZES de la province de Guangdong et de la région de développement économique et technologique de Dalian, d’après une étude menée par les institutions locales de santé au travail (IST), les dispensaires ou les centres de santé et de prévention des épidémies (CSPE) (Dalian City Occupational Disease Prevention and Treatment Institute, 1992b).

Tableau 20.10 La santé au travail dans les entreprises à capitaux étrangers

Région

Nombre d’entreprises

Nombre de salariés

Entreprises comportant des risques professionnels (%)

Travailleurs exposés (%)

Entreprises possédant un OSST1 (%)

Entreprises assurant des examens de santé (%)

 

 

 

 

 

 

Périodiques

A l’embauche

Guangdong2

657

69 996

86,9

17,9

29,3

19,6

31,2

Dalian3

 72

16 895

84,7

26,9

19,4

 0,0

 0,0

1 Tout organe de sécurité et de santé au travail prévu: dispensaire, commission de sécurité et de santé au travail, etc. 2 Etude effectuée en 1992 dans trois zones économiques spéciales (ZES): Shenzhen, Zhuhai et Shantou. 3 Etude effectuée en 1991 dans la région de développement économique et technologique de Dalian.

Les employeurs des entreprises à capitaux étrangers, en particulier les petites industries manufacturières, ne tiennent pas compte de la réglementation protégeant les droits, la santé et la sécurité des travailleurs. Seuls 19,6 ou 31,2% des travailleurs de trois ZES de la province de Guangdong ont été soumis à un examen médical (voir tableau 20.10). La proportion d’entreprises ne prenant aucune disposition pour fournir des équipements de protection individuelle aux travailleurs exposés atteignait 49,2%, et seules 45,4% des entreprises attribuaient des primes de risque (China Daily, 26 nov. 1993). A Dalian, la situation était encore pire. Une autre enquête menée par le syndicat de la province de Guangdong en 1993 a révélé que plus de 61% des salariés travaillaient plus de six jours par semaine (China Daily, 26 nov. 1993).

Le personnel féminin souffre de conditions de travail encore plus éprouvantes, si l’on en croit un rapport publié par la Fédération des syndicats de Chine (FSC). Un sondage effectué par cette organisation en 1991 et 1992 dans 914 entreprises à capitaux étrangers a révélé que les femmes représentaient 50,4% des 160 000 salariés. La proportion de femmes a augmenté dans certains secteurs au cours des dernières années. De nombreuses entreprises étrangères n’avaient pas signé de contrats de travail avec leurs salariés et quelques-unes engageaient et licenciaient leur personnel féminin à volonté. Certains investisseurs étrangers n’employaient que des jeunes filles célibataires de 18 à 25 ans, qu’ils licenciaient lorsqu’elles se mariaient ou attendaient un enfant. En outre, de nombreuses femmes étaient souvent obligées de faire des heures supplémentaires non rémunérées. Dans une usine de jouets de Guangzhou, capitale de la province de Guangdong, le personnel, en majorité féminin, devait travailler 15 heures par jour, sans repos hebdomadaire ni congé annuel (China Daily, 6 juillet 1994). Cette situation n’est pas exceptionnelle. Aucun détail sur l’état de santé au travail du personnel des entreprises à capitaux étrangers n’a été divulgué à ce jour. Les informations ci-dessus permettent cependant de se faire une idée de la gravité du problème.

De nouveaux problèmes dans les entreprises d’Etat

Afin de satisfaire aux exigences d’une économie de marché, les entreprises d’Etat, en particulier les grandes et les moyennes, doivent transformer leurs mécanismes d’exploitation traditionnels pour mettre en place un système moderne définissant clairement les droits de propriété, ainsi que les droits et devoirs des entreprises, poussant dans le même temps les entreprises d’Etat vers le marché pour accroître leur vitalité et leur efficacité. Certaines petites entreprises d’Etat pourraient être louées ou vendues à des collectifs ou à des individus. Les réformes doivent toucher tous les aspects des affaires, y compris les programmes de santé au travail.

A l’heure actuelle, de nombreuses entreprises d’Etat perdent de l’argent. Selon certaines sources, environ un tiers d’entre elles sont déficitaires et ce, pour diverses raisons. Premièrement, elles sont soumises à de lourds impôts et prélèvements destinés à prendre en charge de nombreux retraités et fournir toutes sortes de prestations sociales aux travailleurs en activité. Deuxièmement, la fragilité du régime de sécurité sociale ne leur permet pas de se défaire d’un excédent de main-d’œuvre considérable, de 20 à 30% en moyenne. Troisièmement, elles opèrent selon un système de gestion qui était adapté à l’économie planifiée traditionnelle, mais qui est désormais dépassé. Enfin, elles ne bénéficient d’aucun avantage concurrentiel par rapport aux sociétés à capitaux étrangers (China Daily, 7 avril 1994).

Dans ces conditions, il est inévitable que la santé au travail dans les entreprises d’Etat ait tendance à décliner: 1) les moyens financiers consacrés aux programmes de santé ont été réduits dans certaines entreprises, et les institutions médicales et sanitaires des entreprises qui n’offraient auparavant des soins qu’à leurs seuls salariés s’ouvrent désormais à la population; 2) afin d’alléger les coûts des entreprises d’Etat, les liens qui les unissaient à certains services de santé sur les lieux de travail sont en train d’être rompus. Avant la mise en place du nouveau système de sécurité sociale, on aurait pu craindre que le financement des programmes de santé au travail des entreprises soit aussi touché; 3) de nombreuses technologies et machines ont été utilisées pendant des décennies, alors même qu’elles produisent des niveaux élevés d’émissions dangereuses; dépassées, elles ne peuvent être ni mises en conformité avec les normes ni remplacées rapidement. Plus de 30% des lieux de travail appartenant aux entreprises d’Etat ou aux collectivités urbaines ne satisfont pas aux normes nationales d’hygiène (MAC ou MAI); 4) l’application de la réglementation de la santé au travail s’est détériorée au cours des dernières années; naturellement, l’une des raisons en est l’incompatibilité entre l’ancien système de gestion de la santé au travail qui fonctionnait à l’époque de la planification centralisée et la nouvelle situation créée par la réforme des entreprises; 5) pour diminuer le coût de la main-d’œuvre et offrir davantage de possibilités d’emploi, l’embauche de travailleurs temporaires ou saisonniers est devenue un phénomène courant; la plupart sont des migrants en provenance de zones rurales qui vont accomplir des travaux dangereux dans les entreprises d’Etat. Nombre d’entre eux ne reçoivent même pas les équipements de protection individuelle les plus rudimentaires ou les éléments de formation à la sécurité de la part de leur employeur. Il y a là une menace pour la santé qui peut affecter toute la population active de la Chine.

Les difficultés rencontrées par le système de santé au travail

La protection qu’offrent les services de santé au travail n’est pas suffisante. Seuls 20% des travailleurs exposés à des risques — la plupart d’entre eux dans des entreprises d’Etat — font l’objet d’un examen de santé périodique. Cette insuffisance s’explique par les raisons suivantes.

Premièrement, la pénurie de ressources des services de santé au travail constitue l’un des principaux facteurs. Cette situation touche particulièrement les industries rurales, qui n’ont pas les moyens de proposer ces services. Selon les données de la SOHSNCTI, on comptait, sur un échantillon de 30 districts, 235 spécialistes de la santé au travail dans les CSPE de district. Ils devaient desservir 170 613 entreprises comptant 3 204 576 salariés dans ces régions (Ministry of Public Health, 1992). Chaque spécialiste de la santé au travail employé à temps plein était donc responsable en moyenne de 1 115 entreprises et de 20 945 salariés. Il ressort également de l’enquête de 1989 de la SOHSNCTI que les dépenses de santé des autorités de 30 districts représentaient 3,06% de leurs dépenses totales. Celles qui étaient consacrées à la prévention des maladies et à l’inspection de la santé ne représentaient au total que 8,36% de l’ensemble des dépenses de santé des autorités des districts. La part dépensée pour les seuls services de santé au travail était encore plus faible. Le manque de matériel de base de ces services est un grave problème dans les districts visés par l’enquête. Dans 28 districts sur 30, 13 catégories de matériels ne satisfaisaient qu’à 24% des exigences établies par les normes nationales (voir tableau 20.11).

Tableau 20.11 Les instruments courants de la santé au travail dans les CSPE de 28 régions
de la Chine, 1990

Appareil

Nombre d’instruments

Nombre d’instruments exigés par les normes

Pourcentage (%)

Echantillonneur d’air

 80

  140

 57,14

Echantillonneur individuel

 45

1 120

  4,02

Echantillonneur de poussières

 87

  224

 38,84

Détecteur de bruit

 38

   28

135,71

Détecteur de vibrations

  2

   56

  3,57

Détecteur de chaleur rayonnante

 31

   28

110,71

Spectrophotomètre
(Type 721)

 38

   28

135,71

Spectrophotomètre
(Type 751)

 10

   28

 35,71

Détecteur de mercure

 20

   28

 71,43

Chromatographe en phase gazeuse

 22

   28

 78,57

Balance (1/10 000g)

 31

   28

110,71

Electrocardiographe

 25

   28

 89,29

Appareil de mesure de la fonction pulmonaire (EFR)

  7

   28

 25,00

Total

436

1 820

 23,96

Deuxièmement, les installations des services de santé au travail sont peu utilisées. Ressources insuffisantes et sous-utilisation caractérisent aujourd’hui les services de santé au travail en Chine. Même à des niveaux plus élevés, par exemple dans les IST provinciales, les matériels sont loin d’être pleinement utilisés et ce, pour de multiples raisons. Traditionnellement, le financement et l’administration des services de santé au travail et de médecine préventive incombaient au gouvernement, qu’il s’agisse des salaires du personnel, des dépenses de matériels, des bâtiments et autres dépenses courantes. Tous les services de santé au travail assurés par les IST gouvernementales étaient gratuits. Avec l’industrialisation rapide et la réforme économique amorcée en 1979, les besoins de services de santé au travail se sont accrus, alors que le coût de ces services lui-même s’alourdissait rapidement, suivant la hausse de l’indice des prix. Cependant, le budget affecté par le gouvernement aux IST locales n’a pas augmenté en proportion de leurs besoins. Or, plus elles offrent de services, plus elles ont besoin de moyens financiers. Désireux de promouvoir le développement des services publics de santé et de répondre à des besoins sociaux croissants, le gouvernement central a choisi d’autoriser ces services à demander une contribution financière pour les prestations, et des dispositions ont été prises pour contrôler les prix des services de santé. Dans le passé, la législation était peu contraignante quant à l’offre de services de santé au travail aux entreprises; de ce fait, les IST ont du mal à subvenir à leurs propres besoins par les sommes récoltées au titre des services qu’elles rendent.

Les services de santé au travail: autres considérations et tendances politiques

Dans un pays en développement comme la Chine, qui connaît une modernisation rapide et compte un nombre énorme de travailleurs, veiller sur la santé au travail est sans aucun doute l’un des problèmes les plus cruciaux. Confronté à des défis considérables, ce pays s’ouvre aussi, avec de grands espoirs, aux immenses possibilités que portent en elles les réformes sociales actuelles. La scène internationale est riche de nombreuses expériences réussies dont on peut s’inspirer. Aujourd’hui, la Chine se tourne vers le reste du monde, se montrant ainsi toute prête à faire siennes les stratégies de gestion et les techniques appliquées ailleurs dans le domaine de la santé au travail.

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