Les codes de déontologie répondent à de nombreux besoins. Au niveau de la profession elle-même, ils établissent les normes au regard desquelles celle-ci peut être tenue pour responsable de la conduite de ses membres. De plus, comme la société délègue très souvent ce contrôle aux organisations professionnelles, les professions ont élaboré des codes pour donner une base à cette autoréglementation (Soskolne, 1989). Au niveau de chacun des membres de la profession, les codes de déontologie peuvent servir de guide de bonnes pratiques à ceux qui rencontrent un problème dordre moral quant à la conduite professionnelle à suivre dans une situation donnée. Lorsquun membre de la profession est confronté à ce type de difficulté, il peut trouver dans ces codes lorientation ou le conseil dont il a besoin.
Lexistence dun code fournit à la profession la base nécessaire au programme dactivité en matière déthique professionnelle qui lui permettra dinculquer à ses membres des normes déontologiques (Gellermann, Frankel et Ladenson, 1990; Hall, 1993). Il reste toujours possible de modifier ce code à linitiative des membres de la profession sexprimant à loccasion des réunions, ateliers ou conférences des organisations professionnelles. Ce débat permanent sur les questions et les problèmes que rencontrent leurs membres est un bon moyen pour la profession de sassurer que son code de déontologie reste au diapason de lévolution des valeurs sociales. Les professions dont la survie dépend du soutien de lopinion publique sont ainsi mieux outillées pour maintenir leur réputation de fiabilité et dutilité (Glick et Shamoo, 1993).
Les codes de déontologie peuvent aussi être une aide lorsquun membre de la profession est accusé davoir commis une faute professionnelle ou quil fait même lobjet de poursuites judiciaires. Sil peut prouver quil a respecté le code de déontologie de la profession, il est probable que lon considérera quil a exercé sa profession conformément aux normes applicables en la matière. Si, dans lexercice de la profession, il porte préjudice à quelquun, il risquera moins dêtre déclaré fautif sil peut prouver quil sest conformé à ces normes. Toutefois, au nom du principe de la confiance (Pellegrino, Veatch et Langan, 1991), le public est en droit dattendre la meilleure décision professionnelle possible pour lintérêt général. Cest au nom de ce même principe que, dans le cas de la relation médecin-patient, le patient est en droit dattendre que le médecin agisse au mieux de ses intérêts. Toutefois, il peut surgir un dilemme dordre moral lorsque le bien commun est menacé, alors quindividuellement le patient est traité au mieux de ses intérêts. En pareil cas, cest normalement le bien commun qui prime sur celui de lindividu. De toute manière, les codes de déontologie ne remplacent pas les dispositions juridiques sur la responsabilité civile au sujet de laquelle le gouvernement a promulgué des lois destinées à protéger lintérêt public (Cohen, 1982).
Les codes de déontologie impliquent la notion de force obligatoire, cest-à-dire le pouvoir den imposer lapplication par différentes formes de sanction. En fait, les notions de responsabilité et dautoréglementation auxquelles il a été fait allusion ci-dessus supposent que lorganisation professionnelle peut elle-même exercer un certain contrôle sur ses membres (au minimum, par la pression des confrères; au maximum, par le retrait de lautorisation dexercer la profession). Cest la raison pour laquelle certaines organisations préfèrent éviter ces connotations souvent prêtées aux codes de déontologie et optent plutôt pour des «principes directeurs», qui mettent laccent sur lidée dorientation et de conseil, de préférence à celle dapplication obligatoire. Dautres groupements professionnels ont voulu éviter toutes les connotations associées à la notion de code ou de principes directeurs et ont préféré élaborer des «déclarations déthique» à lintention des organisations qui les composent (Jowell, 1986). Dans lensemble de ce chapitre, le terme code est entendu dans le sens de «principes directeurs».
Il convient de souligner demblée que pas plus les codes de déontologie que les principes directeurs nont force de loi au sens strict. Par essence, les codes et les principes directeurs visent uniquement à orienter les membres de la profession soit collectivement, soit individuellement, dans les rapports quils entretiennent avec leurs clients (y compris les patients et les sujets de recherche), leurs confrères et collègues (y compris les étudiants) et le public (y compris les groupes qui ont des intérêts dans la profession). Par ailleurs, les codes de déontologie visent à améliorer la qualité du travail professionnel et, par là, le prestige de la profession elle-même. Dune façon générale, les codes qui régissent la relation entre le médecin et son patient prévoient que les intérêts du patient lemportent sur tout autre. Le médecin se voit donc clairement attribuer le rôle de «défenseur du malade». Lexception à cette règle est peut-être le cas des maladies infectieuses où les droits du malade peuvent passer au deuxième plan derrière les impératifs de santé publique. En revanche, on peut affirmer, dune manière générale, que les codes de déontologie portant sur la recherche scientifique exigent que lintérêt général passe avant lintérêt de lindividu ou avant tout autre. Là encore, il peut y avoir des exceptions comme cest le cas lorsquun chercheur découvre que lun de ses sujets de recherche est un enfant maltraité, auquel cas il aura lobligation den informer les services de la protection de lenfance.
Le processus selon lequel un code est élaboré a des répercussions sur la façon dont il sera appliqué. Si lon associe les membres de la profession et ceux qui se préparent à y entrer à lélaboration, à la révision et à la modification du code de déontologie de cette profession, il est probable quun plus grand nombre de personnes se réclameront du texte adopté. Plus ce sentiment dappropriation sera général, plus nombreux seront les membres de la profession à respecter ce code.
Pour être utile, un code de déontologie doit être rédigé dans des termes facilement compréhensibles. Les codes peuvent être de longueur variable; certains sont très courts, alors que dautres sont plus détaillés. Plus un code est exhaustif, plus il a des chances dêtre précis. Sa facilité de compréhension dépend à la fois de son contenu et de sa structure. On peut, par exemple, commencer par une brève présentation des principes sur lesquels il se fonde, suivie de déclarations plus développées énonçant, sous forme dobjectifs ou de prescriptions, les dispositions qui constituent le code lui-même. Celles-ci pourront être accompagnées dun commentaire explicatif, notant parfois certains aspects particuliers et les illustrant par quelques exemples utiles. Il reste que les principes et leur(s) interprétation(s) dépendent, dans une large mesure, des valeurs reconnues comme inhérentes aux objectifs que poursuit la profession. Même si ces valeurs sont universelles, la ou les interprétations qui leur sont données, de même que les pratiques qui en découlent aux niveaux local et régional, peuvent être différentes. Cest pourquoi, si une déclaration des valeurs essentielles de la profession est un ancrage nécessaire pour ses déclarations déthique et devrait figurer en préface de ses principes directeurs (Gellermann, Frankel et Ladenson, 1990), un commentaire plus détaillé, ainsi que des données factuelles tirées des études de cas sont, elles aussi, nécessaires pour montrer quil a été tenu compte des différences régionales.
Ce commentaire devrait contenir des données factuelles qui fassent état de situations réelles dans lesquelles se sont posés des problèmes ou des difficultés dordre éthique ou pourrait être suivi ou complété par de telles données. Ces données factuelles pourront être analysées du point de vue de léthique professionnelle soit sous une forme neutre (anonyme), soit avec indication des parties concernées (à condition évidemment que celles-ci acceptent dêtre nommément désignées) (voir, par exemple, Soskolne, 1991). Le but de ces études de cas nest pas de rechercher une rétribution quelconque, mais plutôt de fournir des exemples à des fins pédagogiques. Ces situations tirées de la vie courante ne peuvent que favoriser lapprentissage.
Cest à partir de cette compréhension de son code de déontologie quil devient possible pour une profession délaborer des normes plus détaillées de pratique professionnelle. Ces normes portent sur des aspects plus précis du comportement professionnel et, notamment, sur toute une série dactivités allant des relations interpersonnelles à la façon de conduire des recherches et den diffuser les résultats. Ces normes de pratique professionnelle vont finalement constituer un corps de règles déthique qui va marquer chacun des profils de qualification et y ajouter des considérations particulières qui dépassent la simple déclaration de principes déthique.
Quelle que soit la profession considérée, la nécessité délaborer un code de déontologie lui est presque invariablement inspirée par des problèmes ayant un impact direct sur celle-ci. Aussi ces codes sont-ils en général étroitement axés sur les préoccupations propres à cette profession. Ils ne sauraient ignorer pour autant des problèmes sociaux plus généraux (Fawcett, 1993). En fait, dans une analyse récente de plusieurs codes, Summers et coll. (1995) ont montré que les codes actuellement en vigueur font rarement mention de directives relatives à certaines questions sociales telles que les effets sur lenvironnement ou la solution des conflits. Lorsquon sait linfluence considérable quont certaines professions, il est sûr que, si leurs codes de déontologie prenaient en considération des questions sociales plus générales, plusieurs des domaines de lactivité humaine qui, pour le moment, échappent aux efforts déployés en faveur du bien commun de lhumanité bénéficieraient largement de la conjonction de ces efforts et de lémulation provoquée par des codes ainsi conçus. Cet effort concerté contribuerait sûrement à limiter certains des dangers qui menacent lhumanité, tels que le militarisme ou la destruction de lenvironnement.
Il existe actuellement deux écoles de pensée pour la formation à la déontologie: lune sintéresse plutôt aux principes et lautre aux cas despèce, doù le nom de casuistique qui lui est souvent donné. Lauteur du présent article a pour opinion, dont il reste à démontrer la validité, quun équilibre entre ces deux approches est indispensable si lon veut que la formation à la déontologie appliquée soit valable (Soskolne, 1991-92). Il nen reste pas moins que létude de cas concrets analysés sous langle de léthique a un rôle essentiel à jouer dans le processus de formation. Ces cas concrets fournissent le contexte indispensable à lapplication des principes.
Maintenant que luniversité est reconnue comme un lieu privilégié pour faire prendre conscience aux étudiants des valeurs, des principes et des normes dexercice de la profession, lidéal serait que, dans chaque code, soit inclus un programme-type de formation à lintention de tous ceux qui se destinent à cette profession. La nécessité dune telle approche est illustrée par une enquête qui montre les contradictions et les insuffisances des cours de déontologie prévus actuellement dans les programmes de formation universitaire aux Etats-Unis (Swazey, Anderson et Seashore, 1993).
Dans les cultures occidentales, la profession médicale a lavantage davoir engagé le débat sur les questions de déontologie dès lépoque de Socrate (470 à 399 avant J.-C.), de Platon (427 à 347 avant J.-C.) et dAristote (384 à 322 avant J.-C.) (Johnson, 1965). Depuis lors, des codes ont été élaborés et périodiquement révisés afin de répondre aux nouveaux problèmes apparus notamment avec lévolution des valeurs humaines et, plus récemment, avec le progrès technique (Déclaration dHelsinki, 1975); Ad hoc Committee on Medical Ethics, 1984; Russel et Westrin, 1992). Depuis les années soixante, dautres professions se sont mises à élaborer des codes de déontologie pour leurs propres organisations professionnelles. En fait, à partir des années quatre-vingt, lélaboration de codes de déontologie est devenue une véritable petite industrie. LAssociation américaine pour le progrès de la science (American Association for the Advancement of Science (AAAS)) a beaucoup contribué à ce mouvement. Sous légide de son Committee on Scientific Freedom and Responsibility, lAAAS sest lancée dans lélaboration dun projet pilote de déontologie destiné à dégager et à étudier les caractéristiques et les activités qui, dans les professions scientifiques et techniques, devraient être prises en compte par ces codes. Le rapport qui a été établi à lissue de ce projet a incité ensuite de nombreuses professions à sintéresser à la mise au point et à la révision de leurs codes de déontologie (Chalk, Frankel et Chafer, 1980).
Il y a longtemps déjà que les professions médicales et paramédicales débattent des difficultés dordre éthique inhérentes à la nature même des objectifs de leur profession. Les codes de déontologie quelles ont élaborés portent essentiellement sur la relation médecin-patient et sur la question du secret médical. Plus récemment, sans doute en raison du développement de la recherche appliquée dans les domaines de la santé, les codes de déontologie ont élargi leur champ dapplication aux questions relevant des rapports entre chercheurs et patients. Comme certaines recherches ont trait à des populations tout entières, les codes de déontologie sintéressent aussi aux rapports entre les chercheurs et ces populations. Lexpérience acquise dans dautres professions telles que la sociologie, lanthropologie ou la statistique leur a été fort utile à cet égard.
Nombre de professions qui soccupent de santé au travail ont, elles aussi, engagé un débat sur des questions de déontologie. Il sagit notamment de lhygiène du travail (Yoder, 1982; LaDou, 1986); de lépidémiologie (Beauchamp et coll., 1991; IEA Workshop on Ethics, Health Policy and Epidemiology, 1990; Chemical Manufacturers Associations Epidemiology Task Group, 1991; Conseil des organisations internationales des sciences médicales 1992; 1993); de la médecine et de ses nombreuses spécialisations, dont la médecine du travail (Coye, 1982; American Medical Association, 1986; Commission internationale de la santé au travail (CIST), 1992; Standing Committee of Doctors of the EEC, 1980); des soins infirmiers; de la toxicologie; de la statistique (International Statistical Institute, 1986); de la psychologie; de lingénierie et de lanalyse des risques.
Sagissant des aspects spécifiquement liés au travail des services de santé (Guidotti et coll., 1989), de la médecine (Samuels, 1992) et de lhygiène et de la sécurité (LaDou, 1986), ainsi que de la santé au travail et de lhygiène de lenvironnement (Rest, 1995), les chapitres pertinents des codes de déontologie ont fait lobjet de résumés analytiques qui répondent utilement à la nécessité de poursuivre le débat sur ces aspects précis, en vue de réviser les codes en vigueur.
Les codes récents qui comportent des chapitres dûment détaillés sur léthique montrent combien il est important dintégrer léthique dans lexercice quotidien de ces professions. Ils rappellent au praticien que, dans tous les aspects de sa vie professionnelle, toutes les décisions quil est amené à prendre et tous les conseils quil peut donner ont des conséquences qui ont elles-mêmes des implications dordre moral.
Les travaux effectués récemment sur la question de la faute professionnelle dans le domaine scientifique devraient, eux aussi, trouver place dans les textes plus nouveaux (Dale, 1993; Grandjean et Andersen, 1993; Office of the Assistant Secretary for Health, 1992; Price, 1993; Reed, 1989; Sharphorn, 1993; Soskolne, 1993a et 1993b; Soskolne et Macfarlane, 1996; Teich et Frankel, 1992). Lun des objectifs fondamentaux de la science étant de rechercher la vérité par lobjectivité, le plagiat et la fabrication, ou la falsification de données, sont contraires à la déontologie scientifique. Or, à mesure que se développe lentreprise scientifique et que croît le nombre de personnes qui sy consacrent, le public est de plus en plus souvent alerté sur des fautes professionnelles de ce genre. Pourtant, il faut reconnaître que, même dans le contexte dune concurrence de plus en plus vive et de conflits dintérêts toujours possibles, les scientifiques, dans leur grande majorité, ont à cur de respecter les principes de la vérité et de lobjectivité. Il reste difficile cependant dévaluer la fréquence des fautes professionnelles dans ce domaine (Goldberg et Greenberg, 1993; Greenberg et Martell, 1992; Frankel, 1992).
Le préjudice quune faute professionnelle peut causer à une activité scientifique donnée est un sujet de préoccupation. Mais, il en est un autre, qui est celui de voir le public perdre confiance envers la communauté scientifique et ne plus vouloir soutenir ses projets, ce qui serait particulièrement désastreux tant pour la science que pour la société. Il est donc essentiel de former tous les scientifiques et, notamment, les étudiants des disciplines scientifiques à la déontologie scientifique et de leur en rappeler périodiquement les principes.
Plusieurs études de cas donnent de bons exemples de ce qui peut constituer une faute professionnelle (Broad et Wade, 1982; Office of Research Integrity, 1993; Price, 1993; Needleman, Geiger et Frank, 1985; Soskolne et Macfarlane, 1996; Swazey, Anderson et Seashore, 1993; Soskolne, 1991). Les facteurs déterminants des dilemmes éthiques sont nombreux, mais une enquête effectuée auprès danalystes des risques dans le New Jersey (Goldberg et Greenberg, 1993) donne à penser que les deux causes les plus fréquentes sont «le stress au travail» et «le stress causé par les implications économiques du résultat». Les auteurs de cette étude ont constaté que les causes qui peuvent être à lorigine dune faute professionnelle sont notamment «les conflits dintérêts, la présence de concurrents sans scrupules et libres de tout contrôle et, dune façon générale, labsence de principes moraux individuels ou collectifs». Même si certains codes de déontologie insistent sur la nécessité de lhonnêteté et de lobjectivité scientifiques, les pressions qui sexercent sur les scientifiques pour quils obtiennent des résultats sont tellement fortes, alors que le poids de la morale ne cesse de diminuer dans notre société, quil est aujourdhui impératif que la formation, à quelque niveau que ce soit, comprenne un enseignement de la philosophie et des valeurs de léthique professionnelle. Aux Etats-Unis, les services de santé publique exigent déjà des universités qui sollicitent des crédits pour la recherche quelles mettent en place des procédures pour traiter et notifier les fautes professionnelles commises dans le domaine scientifique (Reed, 1989). En outre, pour bénéficier de fonds fédéraux, les programmes denseignement universitaire dans les disciplines de la santé publique doivent comporter une formation à la déontologie (Office of the Assistant Secretary for Health, 1992).
Les codes de déontologie revêtent, en général, la forme dexposés narratifs portant sur tout un ensemble de pratiques normatives. Celles-ci sont liées aux règles morales et déontologiques dun groupe, que ce soit une organisation, une association ou une société professionnelle, ayant en commun un ensemble de compétences mises au service de la population.
Ces différents codes se fondent sur ce que lon est convenu dappeler la règle dor, qui prescrit de faire aux autres ce que lon voudrait quils vous fassent, de faire de son mieux et dalerter autrui sur toute faute professionnelle.
La plupart des organisations professionnelles ont établi leurs codes de déontologie à partir dune approche descendante, cest-à-dire du sommet vers la base, daprès laquelle ce sont les représentants élus de la profession qui se chargent de cette tâche. Or, on la mentionné plus haut (voir la rubrique «Lélaboration, la révision et la modification des codes»), les codes de déontologie sont généralement mieux respectés lorsquils sont élaborés à partir dune approche ascendante, cest-à-dire de la base vers le sommet, car le fait dassocier au processus les membres de la profession donne à ceux-ci un sentiment dappropriation qui les incite davantage à se conformer au code qui en résulte. Lidée selon laquelle ceux qui détiennent le pouvoir au sein de la profession devraient avoir une influence prépondérante sur la détermination de ce qui constitue un comportement professionnel correct risque de retirer au code une grande partie de sa crédibilité. En revanche, plus la version finale du code reflétera les normes acceptées par la communauté considérée, plus il aura de chances dêtre respecté.
Les codes établis par les organisations internationales ont incontestablement le pouvoir dinciter certains groupes régionaux de personnes à prendre en considération les questions et les déclarations qui figurent dans ces codes. Cest ainsi que des régions où lon ne sest pas encore préoccupé délaborer des codes pourront être encouragées à le faire. En fait, à condition que les codes internationaux se limitent à cette fonction dincitation, linteraction permanente ainsi créée pourrait contribuer à une mise à jour systématique des codes internationaux, si bien que le code international peut finir par refléter des préoccupations qui dépassent le strict cadre national. Il importe cependant de veiller à respecter celles des normes culturelles régionales qui ne sont pas contraires à des déclarations sur les droits humains, par exemple. Il sensuit que les responsables de lélaboration des codes de déontologie doivent être attentifs aux différences culturelles et éviter que leurs travaux naboutissent à uniformiser les comportements humains; la diversité culturelle doit, au contraire, être encouragée.
Nous avons noté précédemment que les codes doivent comporter un certain degré dautoréglementation si lon veut que la notion de responsabilité ait un sens. Cela signifie que certaines procédures doivent être mises en place pour examiner les allégations de faute professionnelle (ou de négligence), de quelque nature quelle soit, et pour rectifier les actes considérés comme professionnellement incorrects (Price, 1993; Dale, 1993; Grandjean et Andersen, 1993). De plus, il convient que certains moyens soient prévus pour réparer les dommages qui pourraient résulter de cette faute professionnelle.
Les procédures applicables aux enquêtes concernant des allégations de faute professionnelle doivent être établies à lavance. La règle selon laquelle toute personne est présumée innocente tant quil na pas été démontré quelle est coupable doit être manifeste, et chacun doit pouvoir constater quelle est réellement appliquée. Cependant, comme la confiance du public repose sur la capacité de la profession de sautoréglementer, ces enquêtes doivent être menées avec toute la diligence possible, en veillant à tout moment à la régularité de la procédure (Sharphorn, 1993; Soskolne, 1993a et 1993b).
La menace dun retrait de lautorisation dexercer est lun des moyens de pression dont dispose la profession pour inciter ses membres à respecter dans toute la mesure du possible son code de déontologie. Toutefois, de nombreuses professions ne disposent pas de ce moyen, car leurs membres sont des individus qui paient une cotisation et possèdent un certain nombre de qualifications mais qui, daprès les règles fixées par les organes de la profession au niveau régional, nont pas besoin dune autorisation dexercer pour appartenir à la profession. La possibilité de retirer lautorisation dexercer comme sanction des fautes professionnelles nexiste donc pas dans de nombreuses professions, le seul recours en pareil cas étant la pression exercée par les confrères.
Notre but dans le présent article nest pas de décrire tout ce que devrait contenir un code de déontologie, mais bien de présenter le processus par lequel on peut létablir. Notre intention est de susciter de la sorte un débat général sur les codes de déontologie (en tant que partie intégrante dun programme plus général en la matière) et dattirer lattention du lecteur sur certaines questions dactualité qui nécessitent dêtre approfondies, afin dintroduire dans des codes révisés les solutions qui auront été trouvées.
Comme lont noté Guidotti et coll. (1989), certaines questions navaient pas été prises en considération lorsquont été rédigés les codes. Il en est ainsi, par exemple, des avantages du libre accès à des informations exactes, ou du principe selon lequel le risque ne devrait pas être assumé par le travailleur lorsquil existe une présomption bien établie, même en labsence de preuve confirmée. La question de lexactitude des informations et de la vérité implicite va de pair avec les questions de lintégrité scientifique (selon le terme utilisé en Amérique du Nord) ou de la malhonnêteté scientifique (selon le terme utilisé au Danemark) (Andersen et coll., 1992; Grandjean et Andersen, 1993). De toute évidence, il est important, chaque fois que cela est possible, dencourager la poursuite de la vérité considérée comme lobjectif premier de toute entreprise scientifique, notamment en faisant figurer ce principe dans les codes de déontologie, dans les études de cas et, dune façon générale, dans tous les programmes de formation à léthique professionnelle (Hall, 1993).
Avec le progrès technique, on est capable de mesurer des paramètres biologiques avec de plus en plus de précision. Les marqueurs biologiques, par exemple, sont un domaine qui ouvre la boîte de Pandore de tout un ensemble de questions déthique, avec toutes les tensions dordre moral qui en résultent, auxquelles les codes de déontologie nont pas encore apporté de réponse. Plusieurs de ces questions sont mentionnées par Ashford (1986) et Grandjean (1991). Etant donné que les codes en vigueur ont été élaborés avant que ces technologies soient disponibles à une échelle commerciale, les codes de déontologie rendraient un grand service à tous ceux quintéresse la santé au travail en donnant, par une mise à jour de leurs dispositions, quelques orientations sur les nouveaux problèmes quelles posent. A cette fin, lexplication de questions aussi délicates que le droit des travailleurs de travailler malgré une forte probabilité de risques identifiés par des essais au marqueur biologique, nécessite des discussions approfondies dans le cadre dateliers et de conférences spécialement convoqués à cet effet. Les informations réunies par les études de cas peuvent certainement contribuer à cet effort dexplication. Les études utilisant des marqueurs biologiques ont des répercussions dune telle importance que leurs implications, ainsi que celles dautres découvertes technologiques éventuelles, devraient être prises en considération dans le cadre de lexamen permanent, par la profession, de son code de déontologie.
Puisque des questions telles que celle des marqueurs biologiques peuvent être difficiles à résoudre, il serait peut-être bon que des professions apparentées, qui soccupent de questions analogues, conjuguent leurs efforts et établissent des mécanismes déchange dinformations afin de contribuer à la solution des problèmes difficiles, mais combien stimulants, que ces questions risquent de poser sur le plan de léthique. En particulier, la question du moment auquel une technologie de pointe doit être introduite, alors que les considérations dordre éthique qui y sont liées nont pas encore été étudiées, nécessiterait, elle aussi, dêtre reconnue et étudiée par des commissions permanentes déthique dans les professions de la sécurité et de la santé au travail. Dautres groupes directement intéressés devraient être associés à ces débats, notamment les représentants de la communauté faisant lobjet de ces études.
Dans sa hâte à utiliser pour de telles études des moyens technologiques nouveaux dont les répercussions ne sont pas encore très bien connues (convaincu quil est des avantages de ces nouveaux moyens), le chercheur ne devrait pas oublier que ces études risquent parfois de faire plus de mal que de bien à ceux qui en font lobjet (cest ainsi quune personne peut craindre davantage la perte immédiate de son emploi que léventualité de mourir plus jeune que prévu, mais à une date encore éloignée dans le temps). La prudence est donc de rigueur avant dappliquer des technologies de ce genre. Cette application ne devrait être envisagée quaprès un ample débat par les groupes professionnels qui ont avantage à utiliser ces technologies, en concertation avec les divers groupes dintérêts concernés.
La question de la protection de la vie privée est un autre problème récurrent. Grâce à linformatique, il est aujourdhui possible de relier des fichiers établis dans un certain but à dautres, qui lont été à une autre fin. Les partisans de la défense de la vie privée sinquiètent de ce que ces fichiers peuvent être utilisés au détriment des individus. Bien que le droit de lindividu à la protection de sa vie privée ait prééminence sur le besoin collectif de la recherche, il est important dattirer lattention des défenseurs de ce principe sur le fait que les recherches qui se basent sur une population ne sintéressent pas aux données individuelles. On pourrait même aller jusquà démontrer que le bien commun serait mieux servi si lon autorisait des chercheurs, à condition quils possèdent les qualifications nécessaires et quils soient convenablement formés aux problèmes du traitement et de la confidentialité des données, à avoir accès à des données individuelles lorsquils font des recherches sur des populations.
Nous avons évoqué plus haut le problème que pose lextension des principes applicables à la relation médecin-patient à des recherches portant sur une collectivité (voir la partie intitulée «Bref historique des codes de déontologie de certaines professions»). Vineis et Soskolne (1993) ont montré que les principes de lautonomie, de la bienfaisance, de linnocuité et de la justice distributive ne sont pas faciles à appliquer à léchelon dune société. Par exemple, les informations disponibles sur la protection contre lexposition à des risques sont souvent trop fragmentaires pour permettre une certaine autonomie de décision; le bienfait dun acte est considéré du point de vue de la société plutôt que de lindividu; le principe déquité est souvent violé. Léthique exige un examen approfondi lorsquon cherche à définir ce qui est acceptable pour la société; il nest pas possible dappliquer directement aux individus les formules mathématiques simples utilisées pour évaluer le rapport risque-bénéfice. Il importe de développer et dintégrer les unes aux autres ces différentes notions.
En résumé, on peut dire que les codes de déontologie ont un rôle fondamental à jouer dans les professions. Ils pourraient également jouer un rôle important pour la sauvegarde du bien commun sils prenaient en considération des questions de société à caractère général. Leur élaboration doit se faire avec la participation des membres de la profession, ainsi que des tiers intéressés, dans le cadre dun programme global déthique professionnelle bénéficiant du soutien de chaque profession. Les codes de déontologie, et notamment les valeurs fondamentales de la profession, les commentaires associés aux codes et les résultats des études de cas, doivent faire lobjet dexamens et de révisions périodiques. Aujourdhui, plus que jamais, ces codes sont indispensables non seulement pour la crédibilité de la profession et à des fins dautoréglementation, mais également pour aider les praticiens à résoudre les problèmes dordre moral et éthique que leur posent la constante évolution des technologies et leurs conséquences sur les droits et les obligations des individus et des groupes intéressés. Cest dire la tâche stimulante, mais considérable, qui reste à accomplir.
Nous tenons à préciser demblée que nous ne sommes pas des experts en éthique et que nous navons pas la prétention de passer pour tels. Tout comme vous tous, nous sommes des scientifiques qui exerçons une activité scientifique et sommes à la recherche de la vérité. Dans le domaine qui nous occupe ici, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes que vous: distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, ce qui est bon de ce qui est mauvais et ce qui est objectif de ce qui est subjectif. En tant que chercheurs, nous nous heurtons à des questions difficiles en ce qui concerne les méthodes et les résultats. Et ceux dentre nous qui deviennent des administrateurs achoppent aux mêmes questions, en particulier lorsquil sagit de prendre des décisions dordre général pour élaborer des normes professionnelles permettant de protéger les travailleurs.
Pour la préparation du présent article, nous avons parcouru un certain nombre douvrages et de documents, à la recherche de réponses simples à des problèmes complexes. Nous ne nous sommes pas contentés des articles écrits par des professionnels de la sécurité et de la santé au travail, mais avons aussi étudié plusieurs manuels classiques en matière déthique.
Chez les professionnels de la santé au travail, nous nous sommes penchés sur un certain nombre darticles et de codes de déontologie émanant de différents groupes de recherche. Tous comportent des éléments qui intéressent la recherche sur la santé au travail. Mais ils se situent chacun dans une perspective très différente selon le type de recherche effectuée par leur auteur. Certains consacrent de nombreuses pages à ce quil faut faire ou ne pas faire. Dautres sont de portée plus générale.
Pour ce qui est des manuels, les théories sur léthique abondent, depuis bien avant Socrate jusquà aujourdhui. Les articles sur léthique, les codes de conduite et les dissertations sur les normes déthique ne manquent pas. Aux Etats-Unis, en tout cas, la plupart des écoles de médecine comptent parmi leur personnel des experts en éthique médicale, et presque toutes les universités qui ont un département de philosophie suffisamment important disposent de spécialistes en matière déthique au sein du corps enseignant. Cest une discipline à laquelle les gens peuvent consacrer toute une vie, ce qui en montre toute la complexité.
Avant dentrer dans le vif du sujet, il est important que nous essayions de préciser ce dont nous voulons parler. Quentend-on par éthique? En anglais, les termes «ethics» et «morals» sont utilisés de façon interchangeable. Comme le présent article est destiné à un lectorat diversifié, nous avons pensé quil était intéressant dinterroger certains professionnels des Centres américains de lutte contre la maladie (Centres for Disease Control and Prevention (CDC)), ayant langlais comme deuxième langue. Une dame ayant pour langues principales le slave, lallemand et le russe a répondu que des termes similaires existaient dans ces trois langues, et elle a précisé quen slave les termes éthique ou morale ne se suffisaient pas à eux-mêmes, comme en anglais. Par exemple, a-t-elle expliqué, en slave, on ne dirait pas de quelquun quil na pas de morale, mais quil fait montre dun comportement qui nest pas moral. De même, on ne dirait pas de quelquun quil na pas déthique, mais quil na pas de principes éthiques. Un Chinois a déclaré que, dans sa langue, il existait deux mots distincts pour la morale et pour léthique, mais quils étaient utilisés de façon interchangeable. Des personnes parlant espagnol, français et allemand ont indiqué que, dans leurs langues respectives, il existe un mot pour chacune de ces notions, mais quils sont utilisés indifféremment lun pour lautre.
Dans les manuels relatifs à la théorie de léthique que nous avons parcourus, les spécialistes établissent toutefois une distinction entre éthique et morale, que nous avons choisi daccepter par souci de clarté. Melden (1955) et Mothershead (1955), suggèrent dutiliser le mot éthique lorsquon se réfère à une série de principes ou de normes de conduite, et de préférer le mot morale pour se référer à la conduite dune personne ou dun groupe, cest-à-dire à son comportement. Cet usage est conforme aux réponses des membres des CDC.
Le professeur Melden déclare dans son ouvrage: «Nous connaissons bien ces règles de conduite. Toute société, toute religion, tout groupe professionnel ou communauté identifiable a ses principes, ses normes de conduite. En tant quindividus soucieux de se comporter en êtres responsables, nous nous référons normalement à un corps de principes pour guider notre conduite». Les exemples de tels principes sont partout autour de nous. La communauté judéo-chrétienne, par exemple, dispose au moins des dix commandements. Toute société a des lois aux niveaux local, national et international qui, à la fois, décrivent et imposent ce quelles considèrent comme un comportement acceptable ou inacceptable. Il y a aussi la méthode scientifique, le Code international déthique pour les professionnels de la santé au travail ou le code britannique intitulé Guidance on Ethics for Occupational Physicians (Royal College of Physicians of London, 1993), pour nen citer que quelques-uns. La liste en est longue. Ce que nous voulons dire ici, cest quil existe tout un choix de normes de conduite ou déthique, selon le terme que vous préférez. Il est grand temps que nous commencions à envisager de nous fixer nous-mêmes certaines normes à notre usage.
Pourquoi les professionnels de la santé ont-ils besoin de se fixer des normes pour effectuer leur travail? Comme laffirme le professeur Melden, nous avons tous le souci de nous comporter en êtres responsables. Tout travail scientifique valable exige de nous un sens très élevé de la responsabilité, ce qui conduit à promouvoir la sécurité et la santé. En revanche, aussi bonnes que soient les intentions du chercheur, lerreur scientifique peut entraîner la mort, la maladie, linvalidité ou lamputation dun membre, alors que le but recherché était de protéger les travailleurs. Finalement, ce sont toujours les travailleurs qui souffrent de lincertitude de la science.
Pourquoi y a-t-il des erreurs scientifiques? Vues dans notre perspective, les raisons de ces erreurs sont multiples.
Parfois, la science se trompe simplement parce que nos connaissances sont insuffisantes. Prenons, par exemple, les trois types de tragédies qui ont endeuillé tant de lieux de travail: lamiante, le benzène et la silice. A lorigine, nul ne connaissait le danger que présentaient ces substances. Avec le progrès des techniques, de lépidémiologie et de la médecine, lévidence est apparue au grand jour. Dans chacun de ces cas, les problèmes étaient là, mais les scientifiques ne possédaient pas ou, parfois, nutilisaient pas les moyens qui auraient permis de les déceler.
Parfois, la science se trompe parce quil ne sagit pas véritablement dune science. Chacun dentre nous a en tête des exemples de ce phénomène, soit quil lait constaté de ses propres yeux, soit quil lait lu dans les revues scientifiques. Cette science-là est dangereuse, car ce nest pas une véritable science, mais une opinion exprimée de telle manière quelle paraît scientifique et, par conséquent, basée sur des faits. Cest un problème qui peut être facilement résolu au moyen dun examen rigoureux par des confrères.
Parfois, la science se trompe parce que le chercheur a travaillé dans la précipitation en raison de délais irréalistes, par manque de fonds ou sous la pression dinfluences autres que celle de la pure analyse scientifique. Cest le cas classique de létude toxicologique sur le cancer au cours de laquelle on a mis un terme à la vie des animaux utilisés pour lexpérience après un délai inférieur à un tiers de leur vie normale, ce qui na pas laissé une période de latence suffisante pour que les expositions auxquelles ils avaient été soumis provoquent un cancer. Lexpérience na pas été poursuivie jusquà son terme et les résultats ont donc été fondés sur des données incomplètes.
Dernière raison et peut-être la pire de toutes: parfois, la science se trompe à cause de lappât du gain ou dune reconnaissance académique. Là encore, nous en avons tous vu des exemples dans les journaux ou les revues professionnelles. Dans certains cas, le profit du chercheur se situait sur le plan de la notoriété académique sans aucune considération financière. Dans dautres, cest le gain financier, immédiat ou futur, qui a influencé le résultat. Dans le premier des drames mentionnés plus haut, certains chercheurs qui avaient des intérêts financiers dans lamiante ont attendu plusieurs années avant de publier leurs résultats qui, en loccurrence, étaient positifs, alors que des milliers de travailleurs souffraient déjà ou étaient morts des maladies liées à une exposition non contrôlée à cette substance (Lemen et Bingham, 1994). Il nest pas rare que ceux qui financent la recherche finissent par en influencer les résultats.
Ce ne sont là que quelques-uns des cas où un code de déontologie pourrait être utile, encore quun code, aussi bien fait soit-il, narrêtera jamais les gens sans scrupules.
La santé au travail est une discipline complexe où il est difficile déviter des comportements contraires à la déontologie. Même lorsquon trouve le moyen de prévenir des maladies et des lésions professionnelles, il nest pas rare que la solution ainsi trouvée soit vue comme un manque à gagner ou que le problème soit tenu secret pour éviter les coûts quimpliquerait la mise en uvre de sa solution. Profit et complexité des solutions risquent donc dêtre à lorigine dabus ou de raccourcis dans le système. Quelles sont les principales difficultés à cet égard?
Souvent, les maladies professionnelles comportent des périodes dincubation ou de latence incroyablement longues, au point quil est difficile détablir les facteurs qui sont à leur origine. Par comparaison, pour de nombreuses maladies infectieuses, les diagnostics sont rapides et simples. Cest le cas, par exemple, dune campagne de vaccination bien administrée contre la rougeole en situation dépidémie. En pareil cas, lincubation est brève, le taux dinfection de près de 100% chez les individus vulnérables et le vaccin efficace à 95 ou 98%. Il est donc possible de stopper totalement lépidémie en quelques jours. La situation est très différente lorsquil sagit de lasbestose ou du syndrome du canal carpien, par exemple, qui ne frappent que certaines personnes et non dautres et dont les effets napparaissent souvent quaprès plusieurs mois ou plusieurs années.
Toutes les questions concernant la santé au travail ont un caractère multidisciplinaire. Lorsquun chimiste travaille avec dautres chimistes, ils parlent tous le même langage, ils sintéressent tous à la même chose et peuvent se partager le travail. En revanche, la santé au travail relève de plusieurs disciplines qui, souvent, supposent lintervention de chimistes, de physiciens, dhygiénistes du travail, dépidémiologistes, dingénieurs, de microbiologistes, de médecins, de spécialistes du comportement, de statisticiens, etc. Dans la triade épidémiologique (hôte, agents et milieu), lhôte est imprévisible, les agents sont multiples et le milieu est complexe. Il est donc indispensable que sinstaure une coopération entre les différentes disciplines concernées. Pour sattaquer à un problème, il faut réunir nombre de professionnels possédant une formation et des compétences totalement différentes, leur seul dénominateur commun étant leur souci de protéger le travailleur. De ce fait, toute évaluation collective devient plus difficile, car chaque spécialiste aborde le problème avec la nomenclature, le matériel et les méthodes qui lui sont propres.
En raison des longues périodes de latence qui caractérisent de nombreuses maladies ou affections dorigine professionnelle, ainsi que de la mobilité de la main-duvre, les professionnels de la santé au travail sont souvent contraints de combler eux-mêmes les lacunes de la collecte des données, car il leur est impossible de retrouver les très nombreux travailleurs qui ont contracté la maladie ou qui ont été exposés. Ils ont alors recours à des méthodes de modélisation ou de probabilités statistiques et doivent se résigner à certains compromis dans lexposé de leurs conclusions. Le risque derreur est grand, faute dinformations complètes.
Il est parfois difficile de rapporter une maladie au milieu de travail ou, ce qui est plus grave, den identifier la cause. Dans les maladies infectieuses, la triade épidémiologique est souvent moins complexe. Des membres des CDC ont étudié lapparition dune maladie sur un bateau de croisière. Lhôte était bien défini et facilement localisable. Il en était de même pour lagent et pour le mode de transmission, et les mesures à prendre étaient évidentes. Dans une maladie ou une lésion dorigine professionnelle, lhôte est bien défini, mais il est souvent difficile à localiser. Il existe de nombreux agents dans le milieu de travail entre lesquels se crée une synergie, ainsi que dautres facteurs qui ne sont pas directement en cause dans le problème de santé, mais qui jouent un rôle important dans sa solution. Des considérations telles que les intérêts et les préoccupations du personnel, de la direction et des organismes publics concernés figurent parmi ces autres facteurs.
Mais revenons à ce qui nous préoccupe tous ici, à savoir lélaboration dun code de déontologie, dun ensemble de principes ou de règles de conduite qui serviront à déterminer notre comportement dans un cadre aussi complexe.
Comme la affirmé très clairement le professeur Melden: «Qui plus est, nous ne pouvons nous reposer entièrement sur de tels principes, car il est tout simplement impossible détablir un corps de règles suffisamment complet pour anticiper toutes les occasions dans lesquelles il conviendra de prendre une décision dordre moral». Et il poursuit: «Il est aussi impossible détablir une série de principes moraux qui couvriraient toutes les éventualités morales imaginables, quil le serait détablir un ensemble de lois suffisamment complètes pour ne nécessiter aucune loi ultérieure». De même, le docteur Kenneth W. Goodman (1994) déclare: «Sil est essentiel de se rendre compte que science et éthique sont étroitement et parfois inextricablement liées, rien ne permet daffirmer quun code de déontologie formel puisse prévenir la totalité ou la plupart des désaccords relatifs à la nature des données, à leur choix, à leur traitement, etc.». Pour citer une fois encore le professeur Melden: «Pour être utiles, les principes moraux doivent avoir un caractère général; mais, en raison même de ce caractère général, leur utilité ne peut être que limitée».
Ce préalable posé, nous vous proposons de partir du principe que tout code de déontologie concernant la santé au travail devrait contenir les dispositions ci-après.
Nous avons tenté ici danalyser une question complexe et délicate pour laquelle il ny a pas de solution facile. La tâche que nous nous sommes fixée nen demeure pas moins juste et importante en raison de son objectif même, qui est de protéger les travailleurs sur les lieux de travail. Seuls nous ny parviendrons pas, pas plus que nous ny parviendrons in abstracto, car les problèmes auxquels nous nous attaquons ne sont pas des problèmes abstraits. Nous avons besoin les uns des autres, ainsi que dautres encore pour débusquer les instincts naturels qui nous font rechercher le profit personnel ou la notoriété et pour dépister toute subjectivité. Seul un tel effort peut contribuer à faire avancer nos connaissances et promouvoir le bien-être de lhumanité.
Depuis maintenant plusieurs dizaines dannées, des efforts considérables ont été consacrés à la définition et à létude des questions déthique qui se posent dans le contexte de lexpérimentation biomédicale. Deux questions majeures ont été mises en lumière à cet égard, à savoir le degré de risque des expériences par rapport à leurs avantages et la possibilité quont les sujets de recherche de donner un consentement libre et en pleine connaissance de cause à leur participation à ces recherches. Normalement, lexamen des protocoles de recherche effectué par un organisme indépendant tel que le Conseil de surveillance des institutions (Institutional Review Board (IRB)), aux Etats-Unis, suffit pour sassurer que ces deux questions ont reçu toute lattention quelles méritent. Aux Etats-Unis, en effet, les institutions qui se consacrent à la recherche biomédicale et qui reçoivent des fonds à cette fin des services de santé publique sont tenues de respecter des directives fédérales très strictes qui prévoient en particulier lobligation de soumettre leurs protocoles de recherche à une commission chargée danalyser les risques et les avantages potentiels de la recherche envisagée et de sassurer que les sujets de recherche ont eu la possibilité de donner leur consentement en toute connaissance de cause. Dans le monde entier, cest le système que les sociétés démocratiques appliquent généralement à toutes les recherches scientifiques portant sur des sujets de recherche humains (Brieger et coll., 1978).
Malgré les inconvénients que présente cette méthode et les débats dont elle a fait lobjet (voir, par exemple, le rapport intitulé Human Research Report de Maloney (1994), qui fait état des carences des commissions dexamen de ces protocoles pour ce qui est du consentement en toute connaissance de cause des sujets de recherche), elle compte de nombreux partisans lorsquelle est appliquée aux protocoles formels de recherche sur lhumain. Les lacunes de cette démarche apparaissent, cependant, lorsquil nexiste pas de protocoles formels ou lorsque les études ressemblent superficiellement à des expérimentations sur lhumain, mais ne tombent pas réellement dans la catégorie des recherches à caractère académique. Le lieu de travail est un bon exemple dune situation de ce genre. Certes, il existe des protocoles formels de recherche impliquant des travailleurs qui satisfont aux exigences de lexamen du degré de risque par rapport aux avantages, ainsi que du consentement en connaissance de cause. Néanmoins, lorsque les limites dune recherche formelle sestompent pour se confondre avec lobservation moins formelle des mesures générales de protection de la santé des travailleurs ou avec des considérations liées à la conduite quotidienne des affaires, les préoccupations dordre éthique concernant le degré de risque par rapport aux avantages et lassurance que le consentement a été donné en toute connaissance de cause risquent fort dêtre écartées.
Prenons, par exemple, létude de la Dan River Company sur lexposition à la poussière de coton que subissaient les travailleurs de son usine de Danville, en Virginie. Lorsque la norme relative à la poussière de coton mise au point par lAdministration de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration (OSHA)) est entrée en vigueur, après examen par la Cour suprême des Etats-Unis, la compagnie a demandé à lEtat de Virginie de lautoriser à déroger à cette norme afin de mener une étude destinée à examiner lhypothèse selon laquelle la byssinose serait causée par des micro-organismes contaminant le coton plutôt que par la poussière de coton elle-même. Cest ainsi que deux cents ouvriers de lusine de Danville devaient être exposés à différents niveaux de micro-organismes et à des niveaux de poussière de coton supérieurs à la norme. La Dan River Company a demandé à lOSHA des crédits pour ce projet de recherche (considéré techniquement comme létude dune dérogation à la norme et non comme une recherche sur des sujets humains), mais ce projet na jamais été officiellement examiné du point de vue de léthique, car lOSHA na pas dIRB. Lexamen technique effectué par un toxicologue de lOSHA a jeté de sérieux doutes sur lutilité scientifique de létude qui, en elle-même, posait un certain nombre de questions déthique dans la mesure où il est inacceptable quune étude, déjà discutable en soi, puisse, en plus, faire courir des risques à des êtres humains. En tout état de cause, même si cette étude avait été techniquement valable, il est peu probable quelle eût été approuvée par un IRB, car elle était «contraire à tous les critères fondamentaux relatifs à la protection des sujets dexpérience» (Levine, 1984). Elle présentait manifestement des risques pour les travailleurs pris comme sujets dexpérimentation sans aucun bénéfice personnel pour ceux-ci; cest la compagnie qui en aurait recueilli les principaux avantages financiers, alors que les bénéfices pour la société dans son ensemble restaient vagues et douteux. Le principe selon lequel il doit y avoir un équilibre entre les risques et les avantages était donc violé. La section locale du syndicat des travailleurs avait été informée de létude projetée et navait pas protesté, ce qui pouvait être interprété comme un consentement tacite. Pourtant, même sil y avait consentement, il pouvait bien ne pas avoir été entièrement volontaire en raison de la relation inégale et essentiellement coercitive existant entre lemployeur et les salariés. La Dan River Company étant lun des employeurs les plus importants de la région, le représentant syndical avait reconnu que, si aucune protestation ne sétait élevée contre létude, cétait essentiellement par crainte de la fermeture de lusine et des suppressions demplois qui en résulteraient. Il y avait donc aussi violation du principe du consentement donné librement et en pleine connaissance de cause.
Fort heureusement, dans le cas de la Dan River Company, létude envisagée fut abandonnée. Mais les questions quelle soulève demeurent et vont bien au-delà des limites de la recherche formelle. Comment équilibrer les avantages et les risques à mesure que lon connaît mieux tout ce qui menace la santé des travailleurs? Comment garantir dans un tel contexte quil y aura consentement donné librement et en pleine connaissance de cause? Dans la mesure où nimporte quel lieu de travail peut devenir le cadre dune expérimentation officieuse et non contrôlée sur lhumain, comment ces considérations déthique sappliquent-elles? On a souvent dit que les travailleurs pourraient bien être pour nos sociétés le fameux canari que les mineurs emmenaient avec eux pour tester la toxicité dun site de fouilles. Sur certains lieux de travail, ils peuvent en effet être exposés à tout moment à des substances toxiques, mais ce nest quà partir du moment où les effets nocifs sont constatés que lon se met à étudier officiellement les taux de toxicité. Cest ainsi que les travailleurs se voient transformés en «sujets dexpérimentation» de produits chimiques qui navaient pas été testés auparavant sur des êtres humains.
Certains commentateurs ont fait valoir que la structure économique de lemploi répond déjà aux préoccupations concernant le rapport risque/avantage et le consentement. Pour le premier, on pourrait dire que la société compense le risque professionnel par la «prime de risque», qui consiste en fait à augmenter directement les avantages accordés à ceux qui prennent ce risque. Pour ce qui est du second, dans la mesure où les risques sont connus, les mécanismes liés au droit de savoir fournissent au travailleur toutes les informations nécessaires pour que son consentement soit donné en connaissance de cause. Enfin, sachant les avantages quil peut retirer des risques quil assume, le travailleur a le choix de «se porter volontaire» ou non pour lexpérience envisagée. Néanmoins, cette «volonté» nécessite plus que de simples informations ou la possibilité de répondre «non». Elle suppose en outre labsence de toute contrainte ou pression indue. Une commission du type dun IRB verrait même dun il sceptique toute étude où les sujets seraient largement indemnisés sous la forme dune «prime de risque», par exemple; il y aurait lieu de craindre en effet quune forte incitation de ce genre ne diminue la capacité du travailleur de donner un consentement réellement libre. Comme dans le cas de la Dan River, et ainsi que le notait le Bureau du Congrès des Etats-Unis pour lévaluation des technologies (US Office of Technology Assessment):
[Ce consentement] risque dêtre fortement sujet à caution lorsquil est donné dans un environnement professionnel où des travailleurs ont le sentiment que de leur accord à participer à des recherches dépendent la sécurité de leur emploi ou leurs chances de promotion» (Office of Technology Assessment, 1983).
En pareil cas, le travailleur ne peut-il pas simplement choisir une profession moins dangereuse? En effet, la marque distinctive dune société démocratique nest-elle pas le droit pour lindividu de choisir son emploi? Mais, comme certains lont également fait observer, cette possibilité de choix de lemploi nest peut-être quune fiction commode, puisque toutes les sociétés, démocratiques ou non,
possèdent des mécanismes de structuration sociale en vue de trouver les travailleurs nécessaires pour occuper les emplois vacants. Les sociétés totalitaires y parviennent par la force et les sociétés démocratiques par un processus hégémonique appelé la liberté de choix (Graebner, 1984).
Il nest pas sûr, par conséquent, que de nombreuses situations en milieu de travail passeraient le test dun examen rigoureux effectué par un IRB. Puisque la société qui est la nôtre a apparemment décidé que quiconque contribue à notre progrès biomédical en acceptant dêtre un sujet de recherche mérite quon lui garantisse un haut niveau de contrôle des principes déthique et de protection, on devrait y réfléchir à deux fois avant de refuser ce même niveau de protection à ceux qui contribuent à notre progrès économique, cest-à-dire aux travailleurs.
On a fait valoir également que, compte tenu du fait quun lieu de travail peut devenir à tout moment un lieu dexpérimentation non contrôlée sur des êtres humains, toutes les parties concernées, et en particulier les travailleurs, devraient rechercher ensemble et systématiquement les solutions aux problèmes qui sy posent en vue daméliorer les choses. A-t-on le devoir daméliorer linformation sur les risques professionnels par des recherches formelles ou informelles? Sans aucun doute car, sans ces recherches, le droit des travailleurs à linformation perd tout son sens. En revanche, laffirmation selon laquelle il serait du devoir des travailleurs de sexposer volontairement à des risques est beaucoup plus discutable, car elle constitue à première vue une violation flagrante du principe déthique selon lequel nul ne devrait être utilisé comme un moyen de rechercher un avantage profitant à dautres que lui-même. Cest ainsi quà lexception des cas où les risques sont très faibles, jamais un IRB, lorsquil étudie les risques que courent les sujets dune expérience, ne considérera les bienfaits que cette expérience pourrait procurer à dautres personnes. On a toutefois conclu à une obligation morale des travailleurs de participer aux recherches au nom du principe de la réciprocité, cest-à-dire au nom des avantages que ces recherches pourraient procurer à tous les travailleurs concernés. Doù lidée exprimée par certains de créer «un cadre de recherche où les travailleurs, au nom de leurs obligations réciproques, satisferaient volontairement à lobligation morale quils ont de collaborer à toute recherche ayant pour but de diminuer les taux de morbidité et de mortalité» (Murray et Bayer, 1984).
Que lon admette ou non le principe selon lequel les travailleurs devraient accepter de participer aux recherches, la création dun cadre de recherche adapté à ce domaine de la santé au travail exige que lon tienne compte également dautres préoccupations éventuelles des travailleurs ainsi pris comme sujets de recherche. Lune de ces préoccupations est le risque que les données recueillies soient utilisées au détriment des travailleurs individuels qui feraient, par exemple, lobjet dune discrimination en matière demploi ou dassurance. Cest pourquoi il est important, au nom du droit à lautonomie, à léquité et au respect de la sphère privée des travailleurs pris comme sujets de recherche, que lon accorde une attention extrême à la confidentialité des données de la recherche. Une seconde préoccupation est celle de savoir dans quelle mesure les travailleurs pris comme sujets dune recherche doivent être informés des résultats. Dans des conditions dexpérimentation normales, ces résultats devraient toujours leur être communiqués. Mais, un grand nombre détudes sur la santé au travail sont des études épidémiologiques, telles que des études rétrospectives de cohorte qui, traditionnellement, nexigent ni consentement des sujets ni notification des résultats. Pourtant, sil y a une possibilité dintervention efficace, la notification des travailleurs présentant un risque élevé de maladie du fait dexpositions antérieures liées à leur activité professionnelle pourrait largement contribuer au travail de prévention. En dehors dune telle possibilité, faut-il informer quand même les travailleurs des résultats? Faut-il les informer alors quil ny a aucun effet connu sur le plan clinique? La nécessité de cette notification et la façon dy procéder, ainsi que la suite donnée à cette notification sont des questions majeures qui attendent encore une réponse sagissant de la recherche en matière de santé au travail (Fayerweather, Higginson et Beauchamp, 1991).
Etant donné la complexité de ces diverses considérations déthique, on voit limportance que revêt le rôle du professionnel de la santé dans la recherche sur les lieux de travail. Lorsquil pénètre sur les lieux de travail, le médecin du travail assume toutes les obligations dun professionnel de la santé, comme le note la Commission internationale de la santé au travail:
Les professionnels de la santé au travail sont au service de la santé et du bien-être des travailleurs, aussi bien individuellement que collectivement. La protection de la vie et de la santé du travailleur, le respect de la dignité humaine et la promotion des principes déthique les plus élevés dans les politiques et les programmes de santé au travail font partie de leurs obligations.
En outre, certains considèrent que le médecin du travail a lobligation morale de participer à la recherche. Par exemple, le Code déthique (Code of Ethical Conduct) du Collège américain de la médecine du travail et de lenvironnement (American College of Occupational and Environmental Medecine), déclare expressément que, «si besoin est, les médecins ont le devoir de participer aux travaux de recherche concernant léthique» (1994). Toutefois, comme dautres spécialistes de la santé, le médecin du travail est dans la situation de «lagent double» dont les responsabilités peuvent être contradictoires puisquil a lobligation de soigner les travailleurs tout en étant au service de lentreprise. Le professionnel de la santé au travail connaît bien ce type dambiguïté, car son activité lamène souvent à devoir assumer des obligations et des responsabilités à la fois à légard des travailleurs, des employeurs et des tiers. Ces professionnels doivent être dautant plus sensibles à léventualité de tels conflits quil nexiste pas, comme nous lavons vu plus haut, de mécanismes dexamen officiels et indépendants, ni de commissions de contrôle institutionnalisées pour protéger ceux qui se prêtent aux expérimentations concernant les risques sur les lieux de travail. Cest pourquoi cest à ces experts quil appartient, dans une large mesure, de veiller à ce que les questions déthique concernant léquilibre entre les risques et les avantages de la recherche, ainsi que la garantie dun consentement donné librement et en connaissance de cause par les sujets de recherche, reçoivent toute lattention requise.
Tout dialogue sérieux sur les questions déthique est moralement impossible si lon ne sentend pas dabord sur le cadre général et sur les instruments de décision fondamentaux les hypothèses de base que les participants à ce dialogue vont utiliser. En effet, les décisions seront différentes selon linstrument choisi.
Les hypothèses de base les plus importantes en matière de relations professionnelles sont celles qui déterminent lattribution des obligations ou des fonctions face aux possibilités multiples et souvent contradictoires daborder la protection des «droits» des travailleurs et de leurs employeurs.
Comment décider de satisfaire des besoins différents et souvent incompatibles tant au sein de groupes naturels dêtres humains (individu, famille, pairs, collectivité) quau sein de groupes dintérêts (partis politiques, syndicats, sociétés, nations)?
Comment décider qui sera chargé de proposer des soins de santé à la famille ou de fournir au travailleur un outillage «sûr», lorsquon conçoit un poste de travail? Comment déterminer le niveau de risque admissible lorsquon fixe une limite dexposition à ce risque?
Comment attribuer la responsabilité morale et répartir la charge du risque?
Lune des réponses à cette question consiste à imaginer une «échelle de justice sociale». Sur cette échelle, les personnes les plus aptes à agir sont rationnellement obligées de se hisser jusquà léchelon le plus élevé de la responsabilité afin de pouvoir agir les premières pour atteindre un objectif moral. Elles sont tenues dagir avant les autres parce quelles sont les plus aptes, si ce nest les seules, capables de le faire. Cela ne signifie pas pour autant quelles seront les seules à agir. Lorsque ces personnes sabstiennent dagir ou quelles ont besoin dy être aidées, lobligation retombe sur les épaules de celles qui occupent léchelon immédiatement inférieur.
Par rationnellement, nous nentendons pas seulement une action qui découle logiquement dune autre, mais également toute mesure prise pour prévenir la douleur, le handicap, la mort et la perte de jouissance de la vie (Gert, 1993).
On a lexemple dune échelle de ce genre dans la loi de 1970 sur la sécurité et la santé au travail des Etats-Unis. Celle-ci prévoit que «si les employeurs et les salariés ont les uns et les autres des droits et des responsabilités propres, ils sont cependant solidaires dans la réalisation de lobjectif que constituent des conditions de travail conformes à la sécurité et à lhygiène».
Tout salarié a lobligation de respecter les règles expressément «applicables à ses propres actes et à son comportement». Lemployeur a lobligation, qui découle de la capacité qui lui est propre, dassurer le respect des règles applicables à lensemble dun lieu de travail. Le gouvernement a une obligation distincte, qui résulte des pouvoirs qui lui sont propres, dimposer, par exemple, des règles là où la persuasion ne suffit pas.
Par ailleurs, il existe au sein de ce cadre théorique des hypothèses qui, quelle que soit la culture considérée, sont communes à tous les systèmes de valeurs morales. Nous voudrions insister ici sur celles qui concernent la nature de notre communauté humaine, le sens du terme «droits», les systèmes daxiomes moraux, la vérité ou le bien, la répartition des risques, les idéaux et la réalité, et la nécessité morale dune participation des travailleurs.
Les êtres humains forment, écologiquement parlant, une collectivité mondiale. Dans le domaine qui nous occupe ici, les groupes naturels dêtres humains (tels que la famille ou les pairs) ont plus dimportance que les groupes dintérêts (tels quune entreprise ou une entité politiquement définie). Au sein de cette collectivité, nous partageons les obligations indispensables pour protéger et aider tous les membres de cette communauté à agir rationnellement conformément à leurs droits, tout comme nous protégerions nos propres droits, indépendamment des différences de murs et de valeurs culturelles. Lorsque ces obligations se traduisent par des actes qui protègent les travailleurs au-delà dune frontière nationale, elles ne consistent pas à imposer à un autre groupe dintérêts les valeurs que prône une nation: il sagit au contraire de la manifestation dune reconnaissance respectueuse de valeurs morales naturelles, intemporelles et universelles.
Les droits fondamentaux de lhomme, ses droits génériques à la liberté et à la vie (ou au bien-être) découlent de besoins qui, à condition quils soient satisfaits, nous permettent dêtre des êtres humains (Gewirth, 1986). Ils ne nous sont pas conférés par un gouvernement ou par une entreprise. Nous les avons toujours possédés, logiquement et phylogénétiquement. Les lois qui régissent le milieu de travail et les règles prévues pour garantir ces droits ne sont pas des actes de charité ou de bienveillance, mais lexpression de la moralité.
Les applications spécifiques des droits élémentaires tels que le droit au respect de la sphère privée, et le «droit» de savoir et dagir pour éviter les risques au travail, sont fondamentalement les mêmes pour tous dans tous les pays, même si elles sexpriment différemment selon les sociétés.
Lexercice de ces droits sous telle ou telle forme particulière peut engendrer des conflits entre les droits qui protègent lindividu tels que la confidentialité des dossiers médicaux personnels , et ceux qui relèvent des obligations des employeurs, comme le droit den tirer des informations pour protéger dautres vies humaines en évitant les risques pour la santé ainsi mis en évidence.
Ces conflits peuvent être résolus non pas en comptant sur la capacité dun médecin ou même dune organisation professionnelle de résister aux demandes dun tribunal ou dune entreprise, mais en choisissant des axiomes de comportement moral qui soient rationnels pour chacun des membres de la collectivité de travail. Ainsi, une mesure générale qui consisterait à confier tous les dossiers médicaux personnels à un organisme tripartite considéré comme «neutre» (tel que les Berufsgenossenschaften en Allemagne) pourrait résoudre ce type de conflit.
Une hypothèse fondamentale qui forme la base même de ce cadre théorique de jugement moral est la conviction quil nexiste quun seul monde réel et que les droits génériques sont applicables à tous dans ce monde, non pas en tant quidéaux qui nont pas à être atteints, mais comme des conditions génériques de lexistence elle-même. Sils ne sont pas applicables, cest parce que nous navons pas appris à accepter le fait que la connaissance que nous avons de ce monde et de la façon la plus rationnelle de sy comporter nest jamais définitive. Ce quil convient dapprendre cest à utiliser des postulats ou des axiomes non seulement dans le domaine de léthique, mais en labsence de connaissances exhaustives, pour décrire le monde et guider le comportement des individus.
La nature des axiomes moraux est illustrée par cette observation de Bertrand Russell: «toute conduite rationnelle dans la vie est fondée sur la méthode du jeu historique frivole consistant à se demander ce que le monde serait si le nez de Cléopâtre avait été plus long de quelques millimètres» (Russell, 1903).
Le jeu des «comme si» nous permet dagir dans une incertitude morale et scientifique toujours présente. Mais il ne faut pas confondre les axiomes avec une «vérité» définitive (Woodger, 1937). Ils sont faits, conservés et utilisés; ils sont valables pour appliquer les principes éthiques de base. Quand il savère quils ne sont plus utiles, ils peuvent être rejetés et remplacés par un autre ensemble de conventions.
Les axiomes moraux amènent le cadre théorique de décision au niveau de la pratique, cest-à-dire «à latelier». On en a un bon exemple avec la pratique courante consistant à élaborer des codes de déontologie pour les médecins dentreprise et les autres professionnels travaillant dans les entreprises. Ils sont rédigés de manière à protéger les droits génériques et leurs applications spécifiques en comblant les lacunes de nos connaissances, afin dorganiser lexpérience et de nous permettre dagir avant même dêtre en possession de connaissances moralement ou scientifiquement certaines. Ces ensembles daxiomes, comme tous les autres systèmes daxiomes, ne sont ni justes ni erronés, ni vrais ni faux. Nous agissons comme sils étaient justes ou vrais (en fait, il se peut quils le soient) et nous les conservons aussi longtemps quils continuent à nous être utiles en nous permettant dagir de façon rationnelle. Leur utilité sera plus ou moins prouvée selon les cultures et le moment où lon se place dans le temps car, contrairement aux principes éthiques génériques, les normes culturelles sont le reflet de valeurs relatives.
Dans les cultures orientales, des sanctions sociales et juridiques puissantes ont imposé des comportements professionnels conformes à la croyance bouddhiste dans les huit voies du salut, dont la cinquième était un mode de vie vertueux, ou aux traditions confucianistes de la responsabilité professionnelle. Dans de tels cadres, les codes de déontologie peuvent être de puissants outils pour la protection du patient ou du sujet de recherche, ainsi que du médecin ou du scientifique.
Dans les cultures occidentales, actuellement du moins, en dépit de la forte tradition hippocratique de la médecine, les codes sont moins efficaces et, par conséquent, de valeur limitée. Cela ne tient pas seulement au fait que les sanctions sociales et juridiques sont moins puissantes, mais également à ce que certaines des hypothèses ne correspondent tout simplement pas aux réalités des cultures occidentales actuelles.
Il est clair, par exemple, que laxiome exigeant le consentement «volontaire» et «donné en connaissance de cause» avant toute procédure pouvant constituer une ingérence dans la vie privée (telle quun test génétique) est un axiome irrationnel. Il est rare que le consentement soit réellement volontaire ou donné en pleine connaissance de cause. Linformation communiquée est rarement certaine ou complète (même dans lesprit du scientifique ou du médecin). Le consentement est généralement obtenu dans des conditions socialement (ou économiquement) coercitives. Les promesses du chercheur de respecter la confidentialité ne peuvent pas toujours être tenues. Le professionnel peut être socialement et juridiquement protégé par des codes qui consacrent cette doctrine, mais le travailleur devient facilement la victime dune cruelle supercherie se traduisant par un rejet social et une contrainte économique sous la forme dune discrimination dans lemploi ou dans le cadre du système dassurance.
Cest ainsi que de continuer à utiliser la doctrine du consentement dans les codes de déontologie, notamment pour protéger le travailleur des dangers des tests génétiques, nest pas conforme à léthique, car cela revient à créer une façade qui ne correspond pas au contexte moderne dune culture occidentalisée et globalisée par des banques de données internationales servies par des réseaux de téléphones et dordinateurs. Cette pratique devrait être abandonnée et remplacée par des codes dont lefficacité serait renforcée par des hypothèses qui correspondent à la réalité du monde actuel, associées à des protections ayant force exécutoire sur le plan tant social que juridique.
Il est irrationnel (et donc immoral) de répartir les risques daprès la caste, cest-à-dire dattribuer différents niveaux de risques à différents groupes dêtres humains définis, par exemple, selon le génome, lâge, la situation socio-économique, la localisation géographique au sein de la collectivité mondiale, lappartenance ethnique ou la profession. La répartition des risques daprès la caste part du principe quil y a des êtres humains dont les droits génériques sont différents de ceux des autres. Les besoins essentiels des êtres humains sont partout les mêmes. Par conséquent, leurs droits individuels fondamentaux sont, eux aussi, les mêmes.
La notion de «risque acceptable» utilisée de manière quasi universelle pour fixer des normes est une forme de répartition des risques daprès la caste. Elle suppose la détermination dun différentiel de risque fondé sur le calcul des dangers observés dans le passé ou du degré dexposition à une substance toxique sur le lieu de travail. Cette pratique courante revient à accepter et à généraliser des risques inutiles en fixant arbitrairement un coefficient de risque «acceptable», par exemple, de un décès pour mille personnes comme niveau dexposition admissible pour les travailleurs, contre un décès pour un million de personnes pour dautres membres de la même collectivité.
On peut citer comme autres exemples de répartition irrationnelle (donc immorale) des risques le fait daccepter les différentiels de risque au sein dune même caste, entre les adultes ou les enfants plus vulnérables (cest-à-dire en fixant la même norme pour lun et lautre groupe, alors que les enfants ont besoin dêtre mieux protégés), entre le milieu de travail et celui de la collectivité en général, entre les travailleurs étrangers (ou ceux qui nont pas les mêmes droits) et les travailleurs nationaux, ou encore les risques (plus grands que ceux que nous acceptons pour nous-mêmes) imposés aux travailleurs moins protégés des pays sous-développés par les exigences auxquelles sont soumis leurs produits sur les marchés des pays développés.
Les risques inutiles ne sont jamais acceptables moralement. Un risque nest moralement «acceptable» que sil est nécessaire pour protéger la vie (ou le bien-être) et la liberté ou encore: 1) sil est ancré dans la culture et très difficile à éliminer ou à réduire à bref délai; 2) si, dans le cadre dun plan de réduction rationnelle des risques, sa réduction a une priorité moindre quun autre facteur de risque, biologique par exemple.
Les droits génériques à la vie et à la liberté exigent que les travailleurs aient les moyens de faire des choix rationnels et dy donner une suite concrète. Ils possèdent cette capacité dès quils ont accès à linformation, et que leur sont données des possibilités de formation leur permettant de comprendre cette information (et non pas uniquement de réagir à celle-ci), ainsi que la capacité, sans limite ni contrainte, de tirer parti de cette compréhension lorsquil sagit déviter ou daccepter un risque.
Une formation qui aboutit à cette compréhension ne figure pas nécessairement dans les programmes classiques de formation à la sécurité, car ceux-ci ont pour but dinculquer aux intéressés un réflexe conditionné vis-à-vis dun ensemble de signaux ou dévénements prévisibles, et non pas de leur donner une compréhension approfondie du domaine. Pourtant, les facteurs susceptibles de causer ce que lon considère comme des accidents, y compris les événements sur lesquels les travailleurs ou la direction ont un contrôle, ne sont pas toujours prévisibles.
Les véritables accidents eux-mêmes sont définis comme «des événements fortuits». Cest dire quils nexistent pas dans la nature. Tout événement a une cause (Planck, 1933; Einstein, 1949). La notion de hasard est un axiome utile lorsquon ne connaît ni ne comprend la cause. Même lorsquune blessure ou une maladie est liée de toute évidence au travail, on ne connaît ni ne comprend jamais la totalité des facteurs qui ont été à lorigine des événements sur le lieu de travail ou en dehors lorsquils se produisent (Susser, 1973). Cest pourquoi, même si lon disposait de ressources infinies en temps et en argent pour former les travailleurs, il ne serait pas faisable de les conditionner à réagir à tous les ensembles de signaux possibles pour tout événement possible.
Si lon veut réduire effectivement le risque d«accidents», le fait de comprendre un processus chimique ou la pratique de la manutention de matériaux permet au travailleur de faire face à des événements imprévus. La formation du travailleur et de son groupe naturel, tel que sa famille ou ses pairs, améliore à la fois la compréhension du risque et la capacité dagir pour le prévenir ou le limiter. Il sagit donc bien dune application spécifique de droits génériques.
Le groupe naturel des travailleurs remplit aussi une autre fonction éthique. Le choix dun lieu approprié, où le travailleur décide de prendre un risque ou laccepte, est un facteur essentiel pour assurer le respect des principes de léthique. Pour être tant soit peu volontaires, bien des décisions (telles que celles daccepter une prime de risque) ne devraient être prises que dans un contexte différent du groupe dintérêts: lieu de travail ou parfois salle de réunion syndicale. Les groupes naturels comme la famille ou les pairs, ou dautres encore, constituent sans doute des cadres de décisions moins contraignants.
Il est toujours immoral doffrir une incitation économique pour que quelquun accepte un risque inutile connu dun travailleur, dun employeur ou dun gouvernement même à lissue dun contrat librement négocié. Ce nest quune juste compensation, lorsquelle est suffisante, accordée à la famille dun travailleur quand le risque est justifié et que le travailleur est en mesure de prendre un autre emploi sans être stigmatisé. Du point de vue de léthique, ce choix exige un cadre aussi neutre et aussi peu coercitif que possible.
Sil nexiste pas de cadre de ce genre, la décision devrait être prise dans un lieu et par un organisme le plus neutre possible capable de protéger lautonomie de décision du travailleur et de son groupe naturel. Limportance que revêtent pour le bien-être du travailleur les valeurs culturelles et morales, quil peut tenir de sa famille ou de ses pairs et de sa communauté, montre combien il est essentiel de protéger ces valeurs et de sassurer de leur compréhension en tant quéléments éthiques à la base dun processus de participation aux décisions.
La plupart dentre nous, y compris les médecins, les scientifiques et les ingénieurs, ont appris dès lécole primaire à manier des axiomes. Il serait impossible autrement de comprendre larithmétique ou la géométrie. Pourtant, nombreux sont ceux qui confondent consciemment les hypothèses et les faits réels (qui sont parfois identiques, mais pas toujours) afin dimprimer des valeurs sociales personnelles à une action ou à une omission donnée. Lexemple le plus patent est sans doute la façon dont linformation est présentée, choisie, organisée et interprétée.
Lemploi de termes tels quaccidents et sécurité est caractéristique à cet égard. Nous avons noté plus haut que les «accidents» sont des événements qui ne se produisent pas dans la nature. Le mot sûr est une notion du même ordre. La plupart des gens croient que ce mot signifie «qui ne peut causer de mal, de blessures ou qui est dénué de risque». Il nexiste pas despace sans risque, mais il est courant que les «experts» se servent de ce terme pour désigner une situation ou un produit chimique en donnant limpression quil ne présente aucun danger, tout en supposant ou en ayant à lesprit une autre signification de ce terme par exemple le fait destimer que le risque est relativement faible ou «acceptable» sans informer leur auditoire de cette différence. Sils le font sans en être conscients, il sagit dune simple erreur un paralogisme. Sils le font en connaissance de cause, ce qui nest que trop fréquent, cest tout simplement un mensonge.
La confusion entre la réalité invariable et les axiomes, ou les modèles dexplication scientifique, ou les évaluations de données, semble être particulièrement fréquente dans les activités normatives. Les axiomes et les méthodes de réglementation dont la validité est le plus souvent supposée et couramment confondue avec une vérité indiscutable sont notamment les suivants:
Généralement ces axiomes sont étudiés comme sils étaient la vérité. Or, il ne sagit que dhypothèses, remplaçables par dautres, à propos dindividus, des risques et de leur contrôle, et qui sont fondées (au mieux) sur des informations partielles.
Les valeurs sociales et économiques implicites qui entrent en ligne de compte dans le choix et lutilisation de ces axiomes orientent les décisions de politique générale de ceux qui gouvernent, gèrent et contrôlent. Ce sont ces valeurs, et non les seules données scientifiques, qui déterminent les normes écologiques et biologiques appliquées à la collectivité et au lieu de travail. Il faut donc, là encore, juger ces valeurs, les décisions qui en découlent et les axiomes retenus, daprès leur efficacité, cest-à-dire leur capacité de réduire le risque de douleur, de mort et dinvalidité.
Même entendu dans son sens le plus large, un système daxiomes moraux devrait être vu comme une expérience dapplication de principes moraux dans le cadre du travail, notamment les systèmes juridiques et contractuels qui régissent le lieu de travail.
La législation dun Etat, les règlements pris par ses organes ministériels et même les procédures non officielles (telles que les modèles dévaluation des risques) peuvent être traités et modifiés comme nimporte quel autre système daxiomes. Dans la logique de notre cadre de principes moraux, cest-à-dire traités comme des axiomes moraux, les lois et les règlements sur la sécurité et la santé au travail peuvent être entièrement intégrés à dautres systèmes axiomatiques répondant à dautres besoins de la collectivité. Ils peuvent constituer un élément différencié (mais non de moindre valeur) de lensemble du système appliqué à cette collectivité.
Les soins de santé, léducation, le salaire de remplacement et la réadaptation, la sécurité sociale, la protection des personnes handicapées et les autres programmes de santé publique et de protection de lenvironnement sont souvent coordonnés par des organismes ayant des programmes de sécurité et de santé au travail. Ce faisant, il faut veiller à ne pas imposer ou à créer ou perpétuer sans le vouloir un système de castes.
Comment y parvenir? La participation des travailleurs et des représentants de leurs organisations librement constituées dans un milieu de travail contractuel est une garantie qui doit faire partie de lexpérience. La participation est une autre application spécifique des droits individuels. Les conseils dentreprise (garantis par la Constitution de certains pays), les commissions paritaires, les comités ministériels pour la politique générale et la pratique, les commissions chargées de fixer les normes et den assurer lapplication, ainsi que la formation (tant au niveau des cadres que du travailleur de la base) et les diverses structures de participation sont autant de moyens qui ont fait leurs preuves pour lutter contre les systèmes de castes sur le lieu de travail.
Le droit des travailleurs de participer à la détermination des risques auxquels ils peuvent être exposés est un moyen moralement justifié de défense contre lapparition de castes dêtres humains définis daprès leur tenue de travail. Cest là un premier pas vers une attribution des responsabilités et une répartition des risques sur le lieu de travail conformes à léthique. Toutefois, lexercice de ces droits peut entrer en conflit avec les droits de la direction et de la société dans son ensemble.
Ce conflit peut être résolu si lon comprend bien que ces droits sont lune des applications de droits génériques, dont le caractère impératif est absolu et qui doivent ultimement prévaloir, grâce à la reconnaissance du droit quont les travailleurs, la direction et le public en général de participer aux décisions qui ont un effet sur la vie et la liberté au sein de la communauté dont ils sont membres.
OBJECTIFLes règles ci-dessous sont des normes de conduite morale destinées aux hygiénistes industriels dans lexercice de leur profession et laccomplissement de leur mission première, qui est de protéger la santé et le bien-être des travailleurs et de préserver le public en général des dangers chimiques, microbiologiques et physiques présents sur les lieux de travail, ou qui en émanent. RÈGLES DE CONDUITE MORALELes hygiénistes industriels doivent:
RÈGLE 1Exercer leur profession dans le respect des principes scientifiques reconnus, en sachant que la vie, la santé et le bien-être de la population peuvent dépendre de leur jugement professionnel et quils ont lobligation de protéger la santé et le bien-être de tous. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
RÈGLE 2Conseiller, en toute objectivité, les parties concernées sur les risques qui pourraient menacer la santé et sur les précautions à prendre pour en éviter les effets nocifs. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
RÈGLE 3Garder le secret sur les informations personnelles ou relatives à lentreprise quils ont recueillies dans lexercice de leurs activités dhygiène du travail, sauf lorsque la loi ou des raisons supérieures de sécurité et de santé en exigent la divulgation. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
RÈGLE 4Eviter les circonstances qui risqueraient de susciter un problème de conscience professionnelle ou un conflit dintérêts. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
RÈGLE 5Limiter les services rendus au domaine relevant de leur compétence. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
RÈGLE 6Agir en pleine conscience de leur responsabilité dans le souci de lintégrité de la profession. PRINCIPES DINTERPRÉTATION
American Board of Industrial Hygiene |
Depuis lépoque où Ramazzini publiait ce qui est considéré comme louvrage fondateur de la médecine du travail (Ramazzini, 1713), on sest rendu compte peu à peu que la pratique de certains métiers peut être la cause de maladies spécifiques. Au début, on ne disposait que de moyens dobservation pour surveiller le milieu de travail. Grâce aux progrès de la technique, nous sommes capables maintenant deffectuer des mesures sur les milieux dans lesquels les travailleurs exercent leur profession. Cette capacité de mesure a permis de mettre en lumière les sources de contraintes professionnelles. Or, ce progrès dans les connaissances a créé le besoin de fixer des limites dexposition aux risques pour protéger la santé des travailleurs. En fait, nous avons même aujourdhui les moyens de déceler la présence de très faibles niveaux de substances toxiques, cest-à-dire avant quelles ne provoquent des problèmes de santé. A lheure actuelle, nous sommes souvent en mesure de prévoir les conséquences de ces expositions, sans attendre que leurs effets se fassent sentir, et de prévenir ainsi des maladies et des lésions permanentes. La bonne santé des travailleurs nest pas le fruit du hasard; elle nécessite que lon surveille à la fois les travailleurs et leur environnement.
Les premières limites dexposition sur les lieux de travail ont été fixées pour éviter les maladies graves et les décès. Aujourdhui, où notre information est infiniment meilleure, nous essayons datteindre des niveaux dexposition beaucoup plus faibles qui permettent de prévenir les maladies chroniques et les effets infracliniques sur la santé. Leffort systématique le plus fructueux qui ait été tenté pour établir des limites dexposition sur les lieux de travail est sans conteste celui de la Commission des valeurs seuils (TLV), créée par la Conférence américaine des hygiénistes du travail (American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH)), en 1943 (lACGIH na aucun lien officiel avec un organisme de réglementation quelconque). Le fait que de nombreux pays dans le monde ont aujourdhui adopté les valeurs limites dexposition (TLV) quelle a fixées comme normes dexposition maxima sur le lieu de travail, et que lon en compte actuellement plus de 600, atteste du succès de cette entreprise. Leur application obligatoire et généralisée a conduit à procéder à un examen critique de ces valeurs et des méthodes par lesquelles elles avaient été fixées. Bien que fort utiles, les TLV ont été critiquées sous trois aspects du processus de décision: laspect scientifique, laspect politique et laspect éthique. En bref, ces critiques peuvent être résumées comme suit.
Les scientifiques leur reprochent de ne faire aucune distinction entre des valeurs limites établies à partir dun ensemble considérable de données et celles qui se fondent sur des données moins nombreuses.
Les TLV nont jamais été conçues comme des seuils dexposition censés assurer la sécurité de tous les travailleurs. La commission responsable de la fixation de ces valeurs a reconnu que la diversité biologique des travailleurs, ainsi que bien dautres facteurs difficilement quantifiables ne permettaient pas détablir des limites garantissant la sécurité de tous les travailleurs dans tous les milieux de travail. Ladoption de valeurs limites dexposition en tant que normes obligatoires pose un problème politique, puisquune partie de la main-duvre nest pas protégée. Seule une exposition égale à zéro pourrait donner une telle garantie, mais lexposition zéro et le risque zéro ne sont pas réalisables dans la pratique.
Les données sur lesquelles a travaillé la commission des TLV ont été établies et financées par les entreprises et nont pas été communiquées au public. Ceux qui sont protégés par cette méthode de détermination font valoir quils devraient avoir le droit de connaître les données qui ont servi à établir ces limites. Quels quen soient les motifs, les efforts que font les entreprises pour limiter laccès à ces données sont ressentis par beaucoup comme contraires à léthique et inspirés uniquement par les seuls intérêts de ces entreprises.
Les TLV sont encore largement respectées à titre dindicateurs généraux de lexposition des travailleurs aux facteurs de contraintes dans le travail, à la condition toutefois quelles soient appliquées par des professionnels capables de les interpréter correctement.
Il existe un lien entre lexposition des travailleurs sur les lieux de travail et lexposition de la population en général. Tout effet nocif pour la santé constaté chez les travailleurs est le résultat de lensemble des expositions à des substances toxiques. La dose totale est importante lorsquil sagit de choisir des limites dexposition appropriées et son rôle est déjà reconnu pour les poisons qui saccumulent dans le corps, tels que le plomb ou les substances radioactives.
Aujourdhui, les limites dexposition sont différentes selon quil sagit des lieux de travail ou du public en général; ces différences tiennent en partie à ce que les expositions des travailleurs sont intermittentes et non pas constantes. Les TLV ont été fixées pour une semaine de travail de cinq jours à raison de huit heures par jour, ce qui est la norme aux Etats-Unis. Ces valeurs tiennent donc compte de laction des mécanismes de récupération. Beaucoup estiment cependant que les limites dexposition devraient être les mêmes tant pour la collectivité dans son ensemble que pour les travailleurs.
Faute dinformations précises sur les effets synergiques ou antagonistes des facteurs de risque, les limites dexposition tant pour les travailleurs que pour le public ne traduisent que la somme des interactions qui se conjuguent entre les multiples contaminants présents dans lenvironnement. Lorsquon fixe une limite pour une seule substance, la complexité des milieux dans lesquels nous vivons et travaillons rend impossible lévaluation de toutes les interactions possibles entre ces contaminants. Nous nous contentons alors de faire les hypothèses simplificatrices suivantes: 1) la combinaison des substances chimiques présentes dans notre environnement est toujours sensiblement la même; et 2) les informations épidémiologiques et les critères utilisés pour fixer les normes reflètent notre exposition à cette combinaison de substances. En posant de telles hypothèses lorsquon fixe les limites dexposition du public à chaque substance prise individuellement, il devient possible de ne pas prendre en compte ces interactions. Même si lon pouvait appliquer le même raisonnement aux limites dexposition sur le lieu de travail, la logique de cette démarche est contestable parce que la combinaison des substances dans les différents milieux de travail nest pas la même que celle à laquelle est exposé le public.
Le débat politique porte également sur la question de savoir sil convient dadopter des normes dexposition applicables à léchelon international. Chaque pays est-il en droit de fixer ses propres priorités qui se traduiront par des limites dexposition qui lui sont propres, ou doit-on préférer des normes internationales établies en fonction des meilleures données disponibles? De nombreux gouvernements des pays en développement sont davis que les pays développés devraient appliquer des normes dexposition plus sévères, car les niveaux de pollution de leurs industries et de leur agriculture ont créé un environnement moins salubre.
A lheure actuelle, nous avons surtout recours aux analyses de toxicité pratiquées sur les animaux pour fixer les limites dexposition applicables à lhumain. Les techniques perfectionnées daujourdhui permettent de prédire à la fois le degré et le genre de toxicité pour le corps humain après exposition à une certaine substance. Nous savons mesurer la capacité qua une substance donnée de provoquer un cancer, de porter atteinte au ftus ou même dêtre la cause de tumeurs bénignes. Nous savons aussi mesurer le degré auquel une substance peut affecter les systèmes physiologiques. De nombreux scientifiques supposent quil y a un niveau dexposition sûr, et cela a été vérifié par les premières observations des maladies contractées par lhumain. Cette hypothèse pourrait toutefois ne plus être valable aujourdhui, en particulier en ce qui concerne le cancer. Les experts sont encore très partagés sur la question de savoir sil existe un niveau dexposition qui naurait aucun effet, cest-à-dire qui ne présenterait aucun danger.
Dans notre environnement, nous côtoyons sans cesse des substances cancérogènes naturelles. Pour y remédier, il faut dabord calculer le risque dexposition à ces substances, puis appliquer les meilleures techniques disponibles pour ramener ce risque à un niveau acceptable. Lidée que nous pourrions arriver à un niveau de risque zéro est une idée dangereuse qui ne nous mènera nulle part. En raison du coût et de la difficulté des tests pratiqués sur les animaux, nous nous servons de modèles mathématiques pour prévoir les risques dune exposition à de faibles doses de substances. Le mieux que lon puisse faire, cest établir statistiquement des prévisions chiffrées fiables sur ce qui constitue probablement les niveaux admissibles dexposition à des contraintes du milieu ambiant, en partant de lhypothèse quil existe un niveau de risque que la collectivité peut accepter.
Surveiller le milieu de travail est la spécialité des hygiénistes du travail (appelés en Amérique du Nord hygiénistes industriels). Ces experts pratiquent lart et la science didentifier, dévaluer et de contrôler les contraintes professionnelles. Ils sont formés aux techniques de mesure des milieux dans lesquels les gens travaillent. Comme leur devoir est de protéger la santé et le bien-être des salariés et de la collectivité tout entière, les questions déthique font aussi partie de leurs préoccupations majeures. Cest ce qui a amené les grandes associations dhygiénistes du travail des Etats-Unis à réviser leur code déthique dont la première version remontait à lannée 1978 (voir lencadré intitulé Règles déthique pour la pratique de lhygiène du travail, p. 19.14).
Les données obtenues grâce à la surveillance du milieu de travail sont essentielles pour améliorer les limites dexposition à la fois pour les travailleurs et pour le public. Si lon veut pouvoir établir les meilleures limites possibles, cest-à-dire des seuils qui ménagent un juste équilibre entre les risques, le coût des mesures à prendre et les moyens techniques existants, il est important que ceux qui sont appelés à les fixer disposent de toutes les données recueillies par les entreprises, les travailleurs et les pouvoirs publics. Cette méthode consensuelle semble être pratiquée de plus en plus couramment dans plusieurs pays et pourrait bien devenir la règle pour létablissement des normes internationales à cet égard.
Pour ce qui est des secrets de fabrication et des autres informations à caractère confidentiel, le nouveau code déthique propose certains principes directeurs à lintention des hygiénistes du travail. En tant que professionnels de la santé au travail, ceux-ci sont tenus de sassurer que toutes les personnes intéressées reçoivent les informations nécessaires sur les risques éventuels pour la santé et sur les limites dexposition. Cependant, ils ont lobligation de garder le secret sur les informations essentielles concernant les entreprises, à moins que des considérations majeures de sécurité et de santé ne les obligent à les divulguer.
Le présent article est consacré aux questions déthique que pose, dans la pratique de la santé au travail et, notamment des recherches qui sy rapportent, le traitement des informations concernant les salariés pris individuellement, et cela non pas sous langle de la valeur pratique ou de lefficacité, mais en fonction de ce qui est juste et de ce qui ne lest pas. Cet article ne prétend pas donner une recette universelle pour décider si les pratiques concernant le traitement de linformation ou les questions de confidentialité sont moralement justifiées ou défendables. En revanche, il décrit et analyse les principes fondamentaux de léthique que sont lautonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et léquité, ainsi que leurs implications pour les droits humains.
Les principes de base qui sont utilisés pour analyser les questions déthique peuvent lêtre également pour étudier les implications résultant, sur le plan de léthique, de la création, de la communication et de lutilisation dinformations telles que celles qui ont trait aux risques professionnels ou celles qui président à la conduite des recherches sur la santé au travail. Néanmoins, comme le présent article nest quun aperçu général de ces questions, les applications plus spécifiques ny seront pas étudiées en détail.
Sur le marché de lemploi, dans lentreprise ou sur le lieu de travail, les questions de santé concernent dabord et surtout des personnes libres et économiquement actives. Il peut sagir de sujets bien portants ou, au contraire, de personnes ayant des problèmes de santé dont les causes, les manifestations et les conséquences ont un lien plus ou moins direct avec leur activité professionnelle et les conditions qui règnent sur leur lieu de travail. Par ailleurs, toute une série de professionnels et de personnes assumant différents rôles ou responsabilités peuvent être impliqués dans les questions de santé concernant des individus ou des groupes sur le lieu de travail. Il sagit notamment:
Tous ces groupes et leurs relations réciproques sont concernés par les informations tirées de la pratique et de la science de la santé au travail et la nécessité de les connaître. Cest dire que la question de la transparence et de la confidentialité de linformation, que ce soit du point de vue des droits humains, des droits des travailleurs, des besoins des employeurs ou de ceux de la société en général, recouvre un domaine très vaste. Elle peut aussi parfois être dune très grande complexité. En fait, cest un domaine qui revêt une importance fondamentale pour léthique appliquée à la santé au travail.
Le présent article part de lhypothèse que toute personne doit pouvoir disposer dune sphère privée et quelle y a droit a priori. Par cela, il faut entendre quelle a le besoin et le droit de cacher ou de révéler, de connaître ou de ne pas avoir à connaître différents aspects de la vie en société et de ses propres rapports avec le monde extérieur. De même, toute collectivité ou société a besoin de savoir certaines choses sur les individus qui la composent. Dans dautres domaines, cela peut ne pas être nécessaire. Sur le lieu de travail ou au niveau de lentreprise, les questions de productivité et de santé concernent lemployeur et les membres du personnel pris à la fois collectivement et en tant quindividus. Il y a aussi la situation où lintérêt général est en jeu sous la forme du besoin légitime dinformation que revendiquent ladministration et diverses autres institutions.
La question qui se pose aussitôt est celle de savoir comment concilier ces besoins et quelles conditions doivent être réunies avant de pouvoir conclure que les exigences dinformation de lentreprise ou de la société lemportent légitimement sur le droit du particulier au respect de sa sphère privée. Cela suppose que lon ait résolu dabord certains conflits dordre éthique. Si les besoins dinformation de lentreprise ou de lemployeur ne sont pas compatibles avec la nécessité de protéger la sphère privée des salariés, une décision devra être prise quant à ceux de ces besoins ou de ces droits qui lemportent sur les autres. Le conflit dordre moral naît du fait que cest lemployeur qui est généralement chargé de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les risques pour la santé au travail. Pour exercer cette responsabilité, il doit être renseigné à la fois sur les conditions de travail et sur la santé des personnes quil emploie. Celles-ci souhaiteront peut-être que certaines informations les concernant restent confidentielles ou secrètes, tout en admettant que ces mesures de prévention sont nécessaires.
On peut aborder les questions et les conflits dordre éthique propres à la santé au travail en recourant aux deux cadres danalyse traditionnelle: léthique conséquentialiste et léthique déontologique. Léthique conséquentialiste considère ce qui est bien ou ce qui est mal, ce qui est nocif ou ce qui est utile, du point de vue de ses conséquences. Cest ainsi que lambition sociale exprimée sous la forme du principe qui voudrait que lon recherche le plus grand bien pour le plus grand nombre de membres dune collectivité est caractéristique de léthique conséquentialiste. Le propre de léthique déontologique, en revanche, est de considérer certaines actions ou certains comportements humains comme des obligations, par exemple celle de toujours dire la vérité le principe de la véracité , quelles quen soient les conséquences. Pour le spécialiste de la déontologie, les principes moraux sont des principes absolus qui nous imposent le devoir absolu de nous y conformer. Lun et lautre de ces paradigmes de philosophie morale fondamentale, pris séparément ou conjointement, peuvent être utilisés pour évaluer sur le plan éthique lactivité ou le comportement des êtres humains.
Avant daborder les questions déthique liées à la santé au travail, ou celle de leffet des principes moraux sur les rapports humains, ou encore celle du besoin dêtre informé sur les lieux de travail, il y a lieu de préciser certains principes de base. Ces principes figurent dans les documents internationaux sur les droits humains et dans les recommandations et directives issues des décisions adoptées par les organisations internationales. Ils sont aussi consignés dans les codes de déontologie et les codes de conduite des professions.
Les droits humains, tant individuels que sociaux, jouent un rôle dans la protection de la santé. Le droit à la vie, le droit à lintégrité physique et le droit au respect de la sphère privée sont parmi les plus importants; ils sont énoncés dans:
Pour le personnel des services de médecine du travail, les codes de conduite formulés et adoptés par lAssociation médicale mondiale revêtent une importance particulière. Il sagit des documents suivants:
Le principe de lautonomie est centré sur le droit de lindividu à lautodétermination. Selon ce principe, tous les êtres humains ont lobligation morale de respecter le droit à lautodétermination de chacun tant que celui-ci nempiète pas sur le droit quont les autres à décider de leurs actes dans les domaines qui les concernent. Un corollaire important de ce principe pour la pratique de la santé au travail est le devoir moral de considérer comme confidentielles certaines catégories dinformations concernant les particuliers.
Le deuxième principe, celui de lattention quil convient de porter à autrui, recouvre deux principes moraux, celui de la non-malfaisance et celui de la bienfaisance. Le premier implique lobligation morale quont tous les êtres humains de ne pas causer de souffrance à autrui. Le principe de la bienfaisance est le devoir de faire le bien: il implique que tous les êtres humains ont lobligation morale de prévenir et déliminer la souffrance ou le mal, et aussi, dans une certaine mesure, duvrer en faveur du bien-être de leurs semblables. Une des conséquences de ces principes dans la pratique de la santé au travail est lobligation de chercher de façon systématique à déceler tous les risques pour la santé que présentent les lieux de travail ou toutes les situations dans lesquelles les conditions de travail peuvent être néfastes pour la santé ou la qualité de la vie et de prendre les mesures correctives ou préventives nécessaires chaque fois que des risques ou des facteurs de risque de ce genre ont été constatés. Le principe de la bienfaisance peut aussi être invoqué comme lune des bases de la recherche sur la santé au travail.
Le principe de léquité est lobligation morale quont tous les êtres humains de respecter les droits de leurs semblables de manière impartiale et de contribuer à la répartition des charges et des bienfaits de façon que les membres les moins pourvus de la communauté ou de la collectivité bénéficient dune attention particulière. La conséquence pratique majeure de ce principe est lobligation de respecter le droit à lautodétermination de tous, étant entendu que la priorité sera accordée, sur le lieu de travail ou sur le marché de lemploi, aux groupes ou aux individus les plus vulnérables et les plus exposés aux risques professionnels.
Lorsquon étudie ces trois principes, il nest pas inutile de souligner à nouveau que dans les services de médecine du travail le principe de lautonomie a, avec le temps, fini par lemporter dans une large mesure sur celui de la bienfaisance comme principe primordial de léthique médicale. Cest en fait lun des changements doptique les plus manifestes qui soient survenus au cours de la longue histoire de la tradition hippocratique. Lapparition du principe dautonomie en tant que concept sociopolitique, juridique et moral a profondément influencé la déontologie médicale. Il a fait passer le centre de décision du médecin au malade et a donc modifié radicalement lensemble de leurs rapports. Cette évolution a des conséquences évidentes pour toute la santé au travail. Au sein des services de santé et de la recherche biomédicale, elle a des liens avec tout un ensemble de facteurs qui influent sur le marché de lemploi et les relations professionnelles. Cest, par exemple, lattention que lon accorde aujourdhui dans de nombreux pays à la démocratie dans lentreprise qui associe les travailleurs aux décisions, ou le développement de linstruction publique, lémergence de divers types de mouvements en faveur de la protection des droits civils, ou encore laccélération du progrès technologique appliqué aux techniques de production et à lorganisation du travail.
Cette évolution a favorisé lapparition de la notion dintégrité comme valeur importante intimement liée à celle de lautonomie. Dans son acceptation éthique, lintégrité désigne la valeur morale dune chose demeurée intacte, constitutive de tous les êtres humains en tant que personne et fin en soi, indépendante de leurs fonctions et qui exige que lon respecte leur dignité et leur valeur morale.
Ces concepts dautonomie et dintégrité sont liés entre eux en ce sens que lintégrité exprime une valeur fondamentale assimilable en fait au principe de la dignité de la personne humaine. Le concept dautonomie, pour sa part, exprime plutôt le principe de la liberté daction et vise à sauvegarder et à promouvoir cette intégrité. Il y a une différence importante entre ces deux concepts, en ce que lintégrité nadmet pas de degré. Elle est soit intacte soit violée, voire anéantie. Lautonomie a des degrés divers et peut varier. Dans ce sens, elle peut être plus au moins réduite ou au contraire élargie.
Le respect de la sphère privée et de la confidentialité découle du principe de lautonomie. La sphère privée peut être envahie et la confidentialité violée lorsque sont révélées ou communiquées des informations pouvant être utilisées pour identifier une personne ou lexposer à des réactions négatives ou même hostiles de la part dautrui. Cest dire quil est nécessaire de prendre des mesures pour empêcher que de telles informations ne soient divulguées. En revanche, si linformation est indispensable pour détecter ou prévenir des risques sur le lieu de travail, il est nécessaire de protéger la santé des salariés concernés et parfois même celle dautres salariés exposés également aux mêmes risques professionnels.
Il importe dexaminer sil y a compatibilité entre, dune part, la nécessité de protéger linformation portant sur des particuliers et, dautre part, celle de protéger la santé de lensemble du personnel et daméliorer ainsi les conditions de travail. Cela revient à mettre en balance les besoins des individus et les intérêts du plus grand nombre. Il peut donc y avoir conflit entre le principe de lautonomie et celui de la bienfaisance. Dans une situation de ce genre, il est nécessaire dexaminer la question de savoir qui devrait être autorisé à avoir accès à linformation et dans quelles intentions.
Il est important de se pencher sur ces deux aspects de la question. Si linformation obtenue de chacun des salariés peut améliorer les conditions de travail de lensemble du personnel, il y a de bonnes raisons morales dexaminer laffaire plus en détail.
Il faudra cependant mettre en place des procédures pour refuser tout accès non autorisé à linformation et son utilisation à des fins autres que celles qui ont été énoncées et convenues à lavance.
Lorsquon se propose détudier des questions déthique, il est essentiel de procéder étape par étape afin didentifier, de clarifier et de résoudre les conflits éventuels. Comme on la signalé plus haut, les différents types dintérêts et les différents protagonistes présents sur les lieux de travail et sur le marché de lemploi peuvent se présenter comme des intérêts moraux ou des droits acquis. La première étape élémentaire est donc de rechercher qui sont les principales parties concernées et den cerner les intérêts rationnels, puis de déterminer les conflits dintérêts éventuels ou évidents. Il est essentiel, dès ce stade, que ces conflits dintérêts entre les différentes parties en cause soient clairement identifiés et expliqués au lieu dêtre passés sous silence. Il faut aussi accepter le fait que de tels conflits sont monnaie courante. Dans tout conflit dordre éthique, il y a toujours un ou plusieurs acteurs et un ou plusieurs sujets concernés par les actes des premiers.
La deuxième étape consiste à identifier les principes éthiques dautonomie, de bienfaisance, de non-malfaisance et déquité qui doivent être pris en compte. La troisième sera de définir, pour les individus ou les collectivités concernés, les avantages ou les bénéfices moraux, dune part, et les désavantages ou coûts moraux, dautre part, qui sont liés à tel problème ou à telle question de santé au travail. Les termes davantages moraux ou de coûts moraux sont entendus ici dans un sens large, à savoir que tout ce qui peut raisonnablement être considéré comme bénéfique ou comme ayant une influence positive du point de vue moral est un avantage et, au contraire, que tout ce qui peut affecter négativement un groupe est un coût moral.
Ces principes fondamentaux de léthique (autonomie, bienfaisance et équité), ainsi que les étapes de lanalyse éthique qui y sont associées, sont applicables à la fois au traitement de linformation dans la pratique quotidienne de la santé au travail et au traitement et à la communication des informations scientifiques. Vue sous cet angle, la question de la confidentialité des dossiers médicaux ou des résultats des projets de recherche en matière de santé au travail peut être analysée à partir des principes fondamentaux évoqués ci-dessus.
Ces informations peuvent concerner, par exemple, des risques présumés ou potentiels pour la santé au travail et elles peuvent être dune qualité ou dune utilité pratique relatives. De toute évidence, lutilisation de telles informations soulève des problèmes éthiques.
Il convient de souligner que le modèle ainsi proposé pour létude des questions déthique est surtout destiné à structurer un ensemble de rapports complexes entre le salarié individuel, lensemble du personnel de lentreprise et les divers intérêts représentés sur le lieu de travail et au sein de la collectivité en général. Dans le présent contexte, il sagit en fait dun exercice pédagogique. Il est essentiellement fondé sur lhypothèse que daucuns considèrent comme discutable sur le plan de la philosophie morale selon laquelle il ny aurait tout simplement pas de solution objective, logique, à un conflit déthique. Cest ainsi que Bertrand Russell déclarait à ce propos:
[Nous] sommes nous-mêmes les arbitres ultimes et irréfutables des valeurs, et la nature nest quune partie de ce monde des valeurs. Cest ainsi que, dans ce monde, nous sommes plus grands que la nature. Dans le monde des valeurs, la nature elle-même est neutre, ni bonne ni mauvaise, ne méritant ni admiration ni blâme. Cest nous qui créons les valeurs et ce sont nos désirs qui confèrent cette valeur. Dans ce domaine, nous sommes rois et nous nous dépossédons de cette royauté si nous nous inclinons devant la nature. Cest à nous de définir ce quest la qualité de la vie, non à la nature, même une nature incarnée par Dieu (Russell, 1979).
En dautres termes, lautorité des principes éthiques, selon la définition qui en a été donnée précédemment, est déterminée par chaque individu ou groupe dindividus selon quils sont daccord ou non sur ce qui est intellectuellement ou émotionnellement acceptable.
Cest dire limportance que revêt pour la solution des conflits et des problèmes éthiques le dialogue entre les différents intérêts en cause. Il est essentiel que toutes les personnes concernées aient la possibilité déchanger leurs vues avec les autres personnes intéressées dans un climat de respect mutuel. Si on accepte comme une réalité de lexistence quil ny a pas de solution objectivement correcte aux conflits éthiques, cela ne veut pas dire pour autant que les prises de position en matière déthique sont entièrement fondées sur des raisonnements subjectifs sans principe de base. Il est important de rappeler que les questions concernant la confidentialité et lintégrité peuvent être abordées par divers groupes ou individus partant de normes et de valeurs extrêmement différentes. Lune des étapes importantes de toute analyse éthique consiste donc à élaborer la procédure régissant les contacts entre les personnes et les intérêts collectifs en cause, ainsi que les mesures à prendre pour déclencher le processus qui permettra daboutir à un accord ou à un désaccord sur le traitement ou le transfert des informations sensibles.
Enfin, il faut souligner que lanalyse éthique est un instrument dexamen des pratiques et des diverses stratégies daction. Elle ne donne pas de réponses toutes faites sur ce qui est bien ou mal, ni sur ce que lon estime acceptable ou inacceptable sur le plan moral. Elle propose un cadre permettant de parvenir à des décisions dans des situations où sont en cause les principes éthiques fondamentaux de lautonomie, de la bienfaisance, de la non-malfaisance et de léquité.
Toutes les questions et tous les dilemmes dordre éthique qui se posent dans la pratique et la science de la santé au travail découlent de la collecte, de lenregistrement, de lanalyse et de lutilisation des informations concernant des particuliers. Ces activités peuvent être accomplies régulièrement ou à la demande, en vue daméliorer la santé et la qualité de la vie des salariés ou le milieu de travail en général. Cet objectif est en soi dune importance fondamentale dans toute activité concernant la santé au travail. Toutefois, ces informations peuvent aussi être exploitées à des fins de sélection, parfois même de façon discriminatoire, si elles sont utilisées, par exemple, pour le recrutement ou la répartition des tâches. Les renseignements tirés des dossiers médicaux ou personnels sont en théorie potentiellement utilisables au détriment de lindividu, dune manière qui pourrait être inacceptable ou considérée comme contraire à des principes déthique fondamentaux.
Il peut sagir des données et des observations recueillies lors dexamens médicaux dembauche, dexamens périodiques ou de programmes de surveillance sanitaire. Ces programmes et ces examens de routine sont souvent entrepris à linitiative de lemployeur. Ils peuvent également être imposés par la loi. Ces informations peuvent aussi comprendre des renseignements recueillis lors de consultations médicales demandées par lintéressé lui-même. Une source dinformation particulièrement importante en matière de santé au travail est la surveillance biologique de lexposition sur les lieux de travail.
Dans la pratique de la santé au travail et des recherches qui sy rapportent, de très nombreux types de données et dobservations sont recueillis, documentés et, le cas échéant, utilisés dans une plus ou moins large mesure. Ces informations peuvent se rapporter à des états de santé antérieurs et à des comportements liés à la santé, comme les absences pour cause de maladie. Elles peuvent aussi comprendre des observations de symptômes ou des constatations faites lors dexamens cliniques ou des résultats dexamens de laboratoire de toutes sortes. Ce dernier type dinformations peut porter sur les capacités fonctionnelles, la force musculaire, la résistance physique, les capacités cognitives et intellectuelles ou comporter des jugements sur la qualité du travail à divers égards. On peut y trouver aussi, à lautre extrémité du spectre, des données sur les atteintes à la santé, les handicaps, les modes de vie dangereux pour la santé, la consommation dalcool, de drogue et autres stupéfiants, etc. Même si de nombreuses informations isolées de ce genre sont en elles-mêmes relativement banales ou anodines, le fait de les rapprocher et de les collecter de façon continue et dans la durée peut finir par brosser un tableau précis et complet des caractéristiques dun individu.
Les informations peuvent être enregistrées et stockées sous différentes formes. La plus courante est lenregistrement à la main dans les dossiers individuels. On peut aussi utiliser les bases de données informatisées sur bande magnétique et sur disquette. Vu lénorme capacité de stockage des fichiers informatisés que tiennent les services du personnel, les bases de données constituent en elles-mêmes une menace pour le respect de lintégrité de la personne. Les informations contenues dans ces banques de données, ces répertoires et ces fichiers pourraient, dans des mains peu scrupuleuses, constituer un instrument de pouvoir utilisable au détriment de la personne concernée.
Il serait hors de propos dans le présent article de définir quel type de renseignements constitue une information sensible ou non. Nous nentendons pas non plus, dans ce contexte, proposer une définition pratique de la notion dintégrité de la personne ou une formule toute faite qui permettrait de déterminer quelles sont les informations qui sont plus ou moins sensibles au regard des principes éthiques fondamentaux. Cela nest tout simplement pas possible. Le caractère sensible dune information à cet égard est déterminé par son contexte et dépend dun grand nombre de facteurs. Ce qui est important en la matière, cest la façon dont sont appliqués les principes éthiques de base lorsquil sagit de savoir par qui et de quelle manière ces données et ces informations sont traitées.
Lorsque nous avons exposé les principes dune analyse éthique, nous avons mis laccent sur les informations liées directement ou indirectement à la santé qui figurent dans les dossiers individuels tels que les dossiers médicaux ou les dossiers des services du personnel. Il existe toutefois, tant dans la pratique que dans la science de la santé au travail, dautres types dinformations qui, de par leur établissement, leur traitement et leur utilisation, posent des questions déthique et peuvent même être la source de conflits entre plusieurs principes éthiques. Cependant, on peut généralement analyser ces informations en prenant comme point de départ les principes de lautonomie, de la bienfaisance et de léquité. Il en est ainsi, par exemple, des analyses de risque et des évaluations de risque. Lorsque des informations utiles sur un risque pour la santé en milieu de travail sont délibérément soustraites à la connaissance des salariés, il y a fort à parier quune analyse éthique montrera clairement quil y a violation de ces trois principes de base. Et, cela, indépendamment du fait que linformation est considérée ou non comme confidentielle par lune des parties en cause. Le problème se pose lorsque les informations sont peu sûres, insuffisantes ou même inexactes. Des jugements très différents peuvent même être portés sur leur validité, mais cela ne modifie en rien la structure fondamentale des questions déthique en cause.
Dans la recherche sur la santé au travail, il est très fréquent que des informations relatives à des projets de recherche passés, présents ou futurs doivent être communiquées au personnel. Si des salariés ont été pris comme sujets de recherche sans quon leur explique les finalités et lensemble des implications de ce projet, et sans avoir recherché le consentement donné en pleine connaissance de cause par toutes les personnes concernées, lanalyse éthique montrera quil y a eu violation des trois principes de base de lautonomie, de la bienfaisance et de léquité.
Il va sans dire que la technicité et la complexité de la recherche peuvent soulever des difficultés pratiques de communication entre les chercheurs et les autres personnes concernées. Cette difficulté ne modifie pas, en elle-même, la structure de lanalyse ni les questions déthique qui se posent.
Il existe plusieurs sauvegardes administratives qui peuvent être appliquées pour protéger les informations dites sensibles. Les plus courantes sont les suivantes:
Pour conclure cette section, nous voudrions insister une fois encore sur un principe élémentaire à respecter pour létablissement des méthodes de collecte des données, à savoir déviter de recueillir des données sans avoir établi clairement au préalable leur justification et leur utilité pour la santé au travail. Les risques dordre éthique quil y a à rassembler des informations qui ne seront pas utilisées dans lintérêt y compris de sa santé du salarié ou de lintéressé sont évidents. En principe, les options et les moyens à mettre en uvre pour organiser la collecte et le traitement de linformation concernant les salariés se prêtent à une analyse éthique en fonction des trois critères dautonomie, de bienfaisance et déquité.
Le progrès des techniques informatiques permet désormais aux employeurs de rassembler, denregistrer et de traiter des informations sur de nombreux aspects du comportement et de lefficacité de leurs salariés sur le lieu de travail. Lutilisation de systèmes informatiques perfectionnés gagne rapidement du terrain depuis quelques années, suscitant certaines préoccupations quant au risque dingérence dans la sphère privée. Il y a de bonnes raisons de penser que ce risque ira en saccentuant à lavenir. Doù la nécessité de renforcer la protection des données et de prendre toutes les précautions possibles pour éviter les atteintes à lintégrité.
En revanche, ces nouvelles technologies ont de toute évidence des avantages considérables sur le plan de la production dans lentreprise ou dans le secteur public, en fournissant le moyen daméliorer lorganisation du travail ou déliminer les problèmes que soulèvent, par exemple, la monotonie des tâches ou les tâches courtes et répétitives. Toute la question est de savoir comment trouver un bon équilibre entre les avantages des techniques informatiques et le droit et le besoin légitimes des salariés dêtre protégés contre toute violation de leur vie privée.
Le Conseil de lEurope a adopté en 1981 une recommandation (no R 81-1) sur les bases de données médicales et une convention sur la protection des individus en ce qui concerne le traitement automatique des données personnelles. Le Conseil de lUnion européenne a également abordé ces questions dans une directive (95/46/CE) sur la protection des individus en ce qui concerne le traitement des données personnelles et la libre circulation de ces données. Il convient dobserver que beaucoup de pays considèrent la mise en uvre de ces réglementations sur les données personnelles informatisées comme des questions relevant des relations professionnelles.
Les situations pratiques comportant le traitement dinformations en matière de santé au travail impliquent des jugements de la part des professionnels de la santé au travail et de beaucoup dautres spécialistes. La question de savoir ce qui est bien ou mal, ou plus ou moins acceptable, se pose dans la pratique de la santé au travail dans des conditions générales et culturelles extrêmement différentes. Lanalyse éthique est un outil qui permet de porter des jugements et de prendre des décisions en ayant recours à des principes moraux et à des ensembles de valeurs qui peuvent aider à évaluer les différents modes daction possibles et à choisir les plus appropriés.
Alors que les services de santé au travail tendent à se multiplier partout dans le monde, les ressources nécessaires pour développer et maintenir ces activités restent souvent insuffisantes pour faire face à cette croissance des besoins. Parallèlement, les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle changeant, la question se pose de ce que peut et devrait raisonnablement être le champ daction de la santé au travail. Les programmes de dépistage de la toxicomanie ou de la séropositivité au VIH sur les lieux de travail ou ceux de consultations sur les problèmes personnels sont des manifestations évidentes de limprécision croissante des limites entre la vie privée et la vie professionnelle.
Du point de vue de la santé publique, il y a de bonnes raisons pour ne pas compartimenter les comportements en matière de santé en fonction de divers facteurs tels que le mode de vie, le lieu de travail ou lenvironnement dans son ensemble. Sil est tout à fait louable de vouloir éliminer la toxicomanie et dautres causes de détérioration physique ou mentale, la façon dont ces problèmes sont abordés sur le lieu de travail nest pas sans danger sur le plan de léthique. Il faut aussi veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre ces comportements ne se substituent pas à dautres mesures de protection de la santé. Le présent article a précisément pour objet dexaminer les questions dordre éthique que posent la protection et la promotion de la santé sur le lieu de travail.
Si un comportement respectueux de léthique est indispensable dans tous les domaines des soins de santé, il est souvent plus difficile à définir et à promouvoir dans le cadre de la santé au travail. Le clinicien chargé de dispenser les soins de santé primaires se doit daccorder la priorité aux besoins du malade, alors que le professionnel de la santé collective se doit de tenir compte des besoins du groupe. Pour sa part, le professionnel de la santé au travail doit soccuper à la fois du malade et de la collectivité du travailleur, mais aussi de la population active et du public en général. Cette pluralité dobligations peut être la source de conflits de responsabilités.
Dans la plupart des pays, les travailleurs ont un droit incontestable, et garanti par la loi, à être protégés contre tout danger sur leur lieu de travail, et cest précisément le but que doivent poursuivre les programmes de santé au travail. Les questions dordre éthique liées à la protection des travailleurs contre les risques professionnels découlent généralement du fait que lemployeur a, ou croit avoir, financièrement intérêt à ne pas prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé des travailleurs. La position éthique que doivent prendre les professionnels de la santé au travail, elle, est très claire. Comme laffirme le Code international déthique pour les professionnels de la santé au travail, reproduit dans le présent chapitre: «Les professionnels de la santé au travail doivent toujours agir, en priorité, dans lintérêt de la sécurité et de la santé des travailleurs».
Le professionnel de la santé, quil soit salarié ou consultant, est souvent lobjet de pressions pour quil déroge aux principes de léthique en matière de protection de la santé. Il peut même arriver quun salarié le prie de plaider en sa faveur en cas de problème juridique, ou que le salarié ou le professionnel lui-même estiment que lentreprise na pas pris les mesures de protection de la santé requises.
Pour réduire au minimum ces conflits de la vie réelle, il est nécessaire de déterminer les attentes de la société, les incitations du marché et les infrastructures à mettre en place pour contrebalancer les inconvénients financiers que lemployeur subit ou croit subir lorsquil prend des mesures de protection de la santé des travailleurs. Il peut sagir, notamment, de réglementations précises exigeant des pratiques sûres sous peine de fortes amendes en cas dinfraction, ce qui, en retour, exige une infrastructure permettant de les faire appliquer. Cela peut aussi être un régime dindemnisation des travailleurs qui encourage les pratiques de prévention. Ce nest quau moment où les facteurs sociaux, les normes, les attentes de la société et la législation traduisent limportance reconnue à la protection de la santé au travail quune pratique conforme à léthique pourra sépanouir.
Il est une autre question dordre éthique qui se pose parfois en matière de protection de la santé: cest le cas où un travailleur constitue lui-même un risque professionnel. Au nom de la pluralité de leurs responsabilités, les professionnels de la santé au travail doivent toujours considérer que les membres de la collectivité (la main-duvre et le public en général) ont le droit dêtre protégés contre les actes dautrui. Nombreuses sont les législations où «laptitude au travail» signifie non seulement laptitude du travailleur à effectuer un travail donné, mais également son aptitude à accomplir ce travail sans faire courir de risques indus à des collègues ou au public. Il est contraire à léthique de priver quelquun dun emploi (cest-à-dire de le déclarer inapte au travail) en raison de son état de santé, alors que rien ne prouve que cet état de santé diminue son aptitude à accomplir ses tâches en toute sécurité. Néanmoins, des constatations cliniques peuvent parfois amener à penser quun travailleur constitue un risque pour autrui alors que les données scientifiques permettant de fonder cette déclaration dinaptitude sont faibles ou même inexistantes. Par exemple, lautorisation donnée à un travailleur de conduire une grue alors quil est sujet à des accès de vertige non diagnostiqués peut avoir des conséquences extrêmement graves. Il peut même être contraire à léthique de permettre à quelquun dassumer ce genre de responsabilité dans un cas pareil.
Le problème de léquilibre entre les droits individuels et les droits collectifs nest pas propre à la santé au travail. Dans la plupart des législations, la loi oblige tout professionnel de la santé à signaler aux autorités de la santé publique les cas de maladies sexuellement transmissibles, de tuberculose ou les mauvais traitements infligés aux enfants, même sil y a en loccurrence violation du droit des intéressés à la confidentialité. A défaut de directives précises pour lorienter dans ses jugements, les principes de léthique exigent du professionnel de la santé au travail quil utilise dans la mesure du possible la documentation scientifique existante pour étayer ses jugements, tout en faisant intervenir son propre jugement de spécialiste. Il convient donc, lors des examens médicaux et autres examens exigés pour les emplois comportant des responsabilités particulières, dassocier ces considérations relatives à la santé publique et à la sécurité aux préoccupations à prendre en compte en faveur du travailleur concerné. Seuls des motifs de cet ordre peuvent justifier les tests de dépistage de la toxicomanie et de lalcoolisme si tant est quils soient légitimes du point de vue de la santé au travail. Le Code international déthique pour les professionnels de la santé au travail affirme à cet égard:
Là où létat de la santé dun travailleur et la nature de son poste sont tels quils mettent en danger la sécurité des autres, le travailleur doit en être clairement informé. Lorsquil existe une situation où les risques sont particulièrement élevés, la direction, et, si la réglementation nationale lexige, lautorité compétente, doivent être informées des mesures nécessaires à la sécurité des autres personnes.
Laccent mis sur lindividu tend à faire négliger ou à faire oublier complètement lobligation qua le professionnel de protéger les intérêts de la société en général ou même de certains groupes particuliers. Par exemple, lorsque le comportement dun individu devient un danger pour lui-même ou pour les autres, à quel moment le professionnel doit-il intervenir au nom de la collectivité et passer outre aux droits individuels? Ces décisions peuvent avoir dimportantes répercussions pour les prestataires de programmes daide aux salariés (PAS) qui sadressent à des travailleurs atteints dans leur santé. Il importe de bien comprendre en quoi consiste lobligation de prévenir les collègues ou les clients pouvant avoir recours aux services de ces travailleurs, même si cette obligation entre en conflit avec la nécessité de préserver la confidentialité à laquelle ces personnes ont droit. Le professionnel, nous lavons déjà dit, ne saurait se réfugier derrière la confidentialité ou la protection des droits individuels.
Les hypothèses qui sous-tendent généralement les activités visant à promouvoir un changement dans les modes de vie des travailleurs sont les suivantes:
1) les décisions des salariés concernant leur manière de vivre (exercice, nourriture, tabagisme et gestion du stress) ont un impact direct sur leur santé présente et future, sur leur qualité de vie et sur leurs performances au travail; 2) un programme financé par lentreprise pour modifier positivement les habitudes personnelles des travailleurs, lorsquil est conduit par un personnel à plein temps, quil est volontaire et ouvert à tous les salariés, peut inciter ceux-ci à modifier suffisamment leurs habitudes pour influer à la fois sur la santé et la qualité de la vie (Nathan, 1985).
Jusquoù un employeur peut-il aller pour modifier un comportement en dehors des heures de travail toxicomanie ou excès de poids, par exemple qui ne perturbe pas directement les autres travailleurs ou la performance au travail? Dans les activités de promotion de la santé, les entreprises sengagent à jouer un rôle de réformateur pour modifier les habitudes personnelles des salariés qui sont, ou quelles considèrent, préjudiciables à leur santé. Autrement dit, lemployeur peut souhaiter devenir un agent du progrès social. Il peut même sefforcer de devenir un inspecteur de la santé pour toutes les situations jugées favorables ou défavorables et appliquer des mesures disciplinaires pour garder son personnel en bonne santé. Certains fixent des limites précises qui imposent aux salariés de ne pas dépasser un certain poids. Des mesures dincitation sont prévues qui diminuent le coût de lassurance et dautres avantages sociaux pour ceux des membres du personnel qui veillent à leur bonne forme physique, notamment en faisant de lexercice. Certaines politiques sont parfois mises en uvre pour encourager certains groupes les fumeurs, par exemple à renoncer à des habitudes nuisibles pour leur santé.
De nombreuses entreprises considèrent, au contraire, quelles nont pas à régir la vie privée de leurs salariés, mais plutôt à les inciter à se comporter raisonnablement. La question qui se pose en fait est celle de savoir si lemployeur a vraiment le droit dintervenir dans un domaine tel que celui du comportement personnel. Ceux qui sont contre estiment quil y a là un abus de pouvoir de lemployeur. Ce contre quoi ils sinsurgent, cest moins la légitimité des propositions en matière de santé que les raisons qui les motivent, qui leur semblent paternalistes et élitistes. Ce genre de programme de promotion de la santé peut aussi être perçu comme une forme dhypocrisie où lemployeur ne modifie pas les facteurs organisationnels qui contribuent à la mauvaise santé du personnel, mais cherche essentiellement à réduire ses coûts.
Une caractéristique fondamentale des services de santé fournis par les entreprises est que lentreprise na pas pour mission principale de dispenser des soins de santé, même si ces services peuvent être considérés comme une importante contribution à la réalisation des objectifs de lentreprise qui sont, notamment, de produire efficacement et à moindre coût. La plupart du temps, les mesures de promotion de la santé, les programmes daide aux salariés (PAS) et les services de réadaptation ne sont fournis par lemployeur que pour atteindre les buts de lentreprise, qui sont de disposer dune main-duvre plus productive ou de diminuer le coût de lassurance ou de lindemnisation des travailleurs. Bien que dans leur discours les entreprises se plaisent à mettre laccent sur laspect humanitaire de leurs programmes, leurs raisons et motivations profondes concernent généralement les coûts de production, labsentéisme et les pertes de productivité qui découlent des problèmes de santé mentale liés à lalcool et à la drogue. Il sagit donc de finalités qui sont fort éloignées des buts traditionnels des professionnels de la santé puisquils prennent en considération les objectifs de lentreprise en même temps que les besoins du malade.
Lorsque les employeurs assument directement le coût de ces services et que ceux-ci sont fournis sur le lieu de travail, les professionnels responsables doivent nécessairement tenir compte des objectifs recherchés par lemployeur pour son entreprise et de la culture particulière du lieu de travail considéré. Les programmes peuvent être conçus à partir de la notion d«impact minimum», ce qui obligera peut-être à des compromis sur les objectifs des services de santé, afin den limiter le coût. Le choix des mesures recommandées par les professionnels peut être influencé par ces considérations et les mettre parfois devant un dilemme éthique quant à léquilibre à trouver entre ce qui est le mieux pour les travailleurs et ce qui serait plus rentable pour lentreprise. Lorsque la responsabilité première des professionnels est dassurer une gestion des soins dans le but déclaré de limiter les coûts, les conflits peuvent être particulièrement graves. La plus extrême prudence est donc de mise dans toute politique de soins gérée dans une telle optique, afin que les objectifs de santé ne soient pas sacrifiés aux considérations de coût.
Quels salariés devraient bénéficier des PAS? Quels types de problèmes devraient être pris en considération et quels programmes devraient être étendus aux membres de la famille des salariés et aux retraités? Il semble bien quun grand nombre de décisions se fondent non pas sur lintention déclarée daméliorer la santé, mais plutôt sur les limites à appliquer au droit aux prestations. Les travailleurs à temps partiel, qui ne sont pas couverts par les systèmes dassurance, nont généralement pas accès aux PAS, afin que lentreprise nait pas à ce titre de dépenses supplémentaires à assumer. Il nempêche que les travailleurs à temps partiel ont, eux aussi, leurs problèmes qui peuvent diminuer la performance et la productivité.
Dans les arbitrages à faire entre des soins de qualité et la réduction des coûts, qui décide du niveau de qualité requis et du prix à payer? Le malade, qui sadresse aux services, mais nen paie pas le prix, ou le responsable des programmes daide, qui ne règle pas la facture, mais dont lemploi peut dépendre du résultat du traitement? Est-ce au prestataire de services ou à lassureur qui, en dernier ressort, paie la facture, quil appartient de prendre cette décision?
De même, qui décide quun salarié est à remplacer? Si le coût de lassurance et du traitement impose de le remplacer, à quel moment est-il plus rentable de le faire en cas de maladie mentale, par exemple pour en recruter et en former un autre? Il est certain que le rôle que doivent jouer les professionnels de la santé au travail dans de telles décisions mérite un examen plus approfondi.
Les problèmes dordre éthique créés par une adhésion incertaine des intéressés se posent à lévidence dans le cas des PAS. La plupart des spécialistes de ces programmes font valoir que, du fait de leur formation clinique, leur objectif qui légitime leur action est lindividu dont ils sont les défenseurs. Cette notion est liée à celle de participation volontaire, cest-à-dire que le client recherche librement une aide et consent à la relation qui ne dure que sous réserve de sa participation active. Même lorsque le travailleur est dirigé vers ces services par son supérieur hiérarchique ou par la direction, sa participation reste essentiellement volontaire. Les mêmes arguments sont avancés dans le cas des activités de promotion de la santé.
Cette hypothèse des spécialistes des PAS, selon laquelle leurs clients agissent de leur plein gré, est souvent infirmée dans la pratique. Cette idée dune participation entièrement volontaire est largement illusoire. La marge de manuvre des salariés est souvent beaucoup plus réduite quon veut bien le dire et la décision de recourir à ces services, lorsquelle est prise par un supérieur, a bien des chances dêtre le résultat dune confrontation ou dune contrainte. Il en est de même des demandes présentées par les travailleurs eux-mêmes, qui sont le fruit dune suggestion très appuyée dune personne en position dautorité. Même si les termes utilisés semblent indiquer un choix, il est évident que les choix sont effectivement limités et que la voie à suivre est déjà tracée.
Lorsque les dépenses de santé sont prises en charge par lemployeur ou par son assurance, la frontière entre vie publique et vie privée sestompe, accentuant ainsi la possibilité dune contrainte. Selon lidéologie actuelle, les programmes sont toujours fondés sur une participation volontaire. Mais une activité, quelle quelle soit, peut-elle être entièrement volontaire dans le contexte de la vie professionnelle?
Les bureaucraties ne sont pas des démocraties et le caractère prétendument volontaire dun comportement au sein dune entreprise risque dêtre contesté. A la différence dune collectivité, lemployeur a une relation contractuelle relativement durable avec la plupart de ses salariés, et cette relation revêt en outre un caractère dynamique du fait des possibilités daugmentation de salaire, de promotion ou de rétrogradation ouverte ou déguisée quelle implique. Cela peut aboutir, de façon délibérée ou accidentelle, à faire passer lidée que la participation à tel ou tel programme de prévention est la norme à laquelle on ne saurait déroger (Roman, 1981).
Léducation à la santé est aussi un domaine où il faut se garder de parler trop rapidement de participation volontaire, car ce serait sous-estimer les forces subtiles qui ont le pouvoir de modeler les comportements sur le lieu de travail. Le fait que les activités de promotion de la santé sont largement encouragées et quelles sont en plus gratuites peut donner limpression que la participation nest pas seulement soutenue, mais ardemment souhaitée par la direction. La participation est souvent associée à lespoir davantages qui vont bien au-delà de la santé proprement dite. Elle peut être jugée nécessaire pour la promotion au sein de la hiérarchie ou en tout cas pour conserver un certain profil dans lentreprise.
On peut aussi voir de la part de la direction une manuvre subtile dans le fait dencourager les activités en faveur de la santé qui serait décrit comme un effort sincère dassurer le bien-être du personnel, alors que la véritable préoccupation de la direction serait en réalité de limiter ses coûts. Des incitations explicites telles que la majoration des primes dassurance des fumeurs ou des personnes qui doivent perdre du poids peuvent sans doute favoriser la participation des salariés mais elles nen constituent pas moins une mesure coercitive.
Limportance extrême que la promotion de la santé au travail accorde au mode de vie personnel comme domaine dintervention masque les complexités qui sont à la base des comportements sociaux. Des facteurs sociaux, tels que le racisme, le sexisme ou les préjugés de classe, sont généralement sous-estimés par les programmes qui cherchent uniquement à modifier des habitudes individuelles. Cette démarche isole le comportement de son contexte et suppose «que les habitudes personnelles sont des choses abstraites et modifiables indépendamment dautres facteurs, et que les individus peuvent volontairement choisir de les modifier» (Coriel, Levin et Jaco, 1986).
Etant donné linfluence des facteurs sociaux, dans quelle mesure les gens peuvent-ils véritablement agir sur les risques datteinte à leur santé? Il est certain quil existe des facteurs de risque liés au comportement de lindividu, mais la structure sociale, lenvironnement, lhérédité ou même le simple hasard entrent également en ligne de compte. Lindividu nest pas seul responsable de lapparition des maladies; or, cest précisément ce que présuppose un grand nombre de mesures de promotion de la santé au travail.
Tout programme de promotion de la santé qui insiste trop fortement sur la responsabilité individuelle ne peut aboutir quà des prises de position moralisatrices.
Même si la responsabilité de lindividu est incontestablement un facteur qui entre en ligne de compte dans lhabitude de fumer, des influences sociales telles que la classe sociale, le stress, le niveau dinstruction ou la publicité jouent aussi un rôle important. En supposant que seuls des facteurs individuels sont à lorigine du phénomène, il est plus facile daccuser ceux qui en sont victimes. Les salariés qui fument, qui ont un excès de poids ou de lhypertension, etc., sont vus, même implicitement, comme les véritables responsables de leur état, ce qui absout lentreprise et la société de toute responsabilité en la matière. Les salariés peuvent être déclarés responsables aussi bien de leur état de santé que du fait quils ne font rien pour y remédier.
La tendance à attribuer la responsabilité au seul individu conduit à ignorer toute une série de données scientifiques. Il est prouvé en effet que les séquelles physiologiques du travail sur la santé se prolongent même après la journée de travail. Il a été amplement démontré que des liens existent entre les facteurs organisationnels (tels que la participation aux décisions, les rapports sociaux et le soutien de lentourage, le rythme de travail, la surcharge de travail, etc.) et létat de santé, en particulier dans le cas des maladies cardio-vasculaires. Les implications de cette relation pour lentreprise, dans la mesure où ces interventions peuvent remplacer ou compléter une modification du comportement personnel, sont évidentes. Or, la plupart des programmes de promotion de la santé visent à modifier le comportement individuel, mais prennent rarement en considération les facteurs organisationnels.
On sétonnera moins de la priorité ainsi accordée à lindividu lorsquon sait que la plupart des professionnels de la promotion de la santé, du bien-être et des PAS sont des cliniciens qui nont pas de formation dans le domaine de la santé au travail. Même lorsquun clinicien détecte des facteurs de risque sur un lieu de travail, il a rarement les qualifications nécessaires pour proposer des mesures à prendre dans lentreprise et pour en assurer lapplication.
Il est rare que des programmes de mieux-être au travail proposent dintervenir dans la culture dentreprise ou de modifier certains aspects du milieu de travail, tels que les styles de gestion stressogènes, la monotonie des tâches ou les niveaux de bruit. En ignorant leffet que peut avoir le milieu de travail sur la santé, certains programmes très populaires de réduction du stress risquent davoir une incidence négative sur la santé. Par exemple, en axant les efforts sur la réduction du stress individuel au lieu dessayer de modifier les facteurs qui en sont la cause, les programmes de promotion de la santé au travail aident les travailleurs à sadapter à des milieux malsains, ce qui, à long terme, risque daggraver les choses. De plus, les recherches menées dans ce domaine nont guère confirmé lintérêt des méthodes cliniques. Cest ainsi quune étude consacrée à ce problème a montré que les programmes de réduction du stress individuel avaient moins deffet sur la production de catécholamine que la modification des systèmes de rémunération (Ganster et coll., 1982).
Par ailleurs, Pearlin et Schooler (1978) ont constaté que si les diverses aides à ladaptation se révèlent efficaces pour les problèmes et les difficultés dordre personnel et familial, elles ne le sont pas pour remédier aux facteurs de stress liés au travail. Dautres études donnent à penser également que certains comportements adoptés pour faire face à des problèmes ne font en fait quaggraver la situation lorsquils sont appliqués sur le lieu de travail (Parasuramen et Cleek, 1984).
Les partisans des programmes de mieux-être accordent peu dattention aux problèmes classiques de la santé au travail et, consciemment ou non, se désintéressent des risques présents sur les lieux de travail. Comme ces programmes ont tendance à ne pas tenir compte des risques de maladies professionnelles ou des dangers inhérents à certaines conditions de travail, les partisans des programmes de protection de la santé craignent que le fait dindividualiser les problèmes de santé des salariés ne soit un moyen commode pour certaines entreprises de détourner lattention des changements certes coûteux, mais qui réduiraient vraiment les risques professionnels quil conviendrait dapporter à la structure et à la conception des lieux de travail et des emplois.
Les employeurs ont parfois le sentiment quils ont le droit davoir accès aux informations cliniques concernant les travailleurs qui bénéficient de laide de professionnels de la santé. Ceux-ci ont cependant le devoir de respecter la déontologie de leur profession et, sur le plan pratique, de conserver la confiance du travailleur. La question devient particulièrement délicate en cas daction judiciaire ou lorsque interviennent des facteurs émotionnels, par exemple en cas dincapacité due au sida.
Les professionnels de la santé peuvent aussi être confrontés à des problèmes de confidentialité liés aux affaires et aux opérations commerciales de lemployeur. Si la branche dactivité en question est fortement concurrentielle, lemployeur souhaitera sans doute garder secrètes des informations concernant, par exemple, les projets dorganisation, de réorganisation ou de compression de personnel. Lorsque la pratique des affaires peut avoir des effets néfastes sur la santé des salariés, comment le professionnel de la santé peut-il les combattre sans risquer de dévoiler des informations relatives au produit ou à la situation concurrentielle de lentreprise?
Roman et Blum (1987) font valoir que la confidentialité sert à protéger les professionnels de la santé contre des contrôles trop stricts. Au nom du principe de la confidentialité vis-à-vis du client, beaucoup dentre eux refusent les contrôles de la qualité ou lévaluation de leurs performances par des collègues, qui pourraient révéler quils ont outrepassé les limites de leur formation ou de leur compétence. Cest un facteur éthique important à prendre en considération, étant donné le pouvoir qua le conseiller dinfluer sur la santé et sur le bien-être de ses clients. Doù la nécessité pour le professionnel de la santé de préciser exactement au client la nature de lintervention quil propose, cest-à-dire ce que le client peut ou ne peut pas en attendre.
La confidentialité des informations collectées par des programmes qui sont axés davantage sur les individus que sur les systèmes peut être préjudiciable à la sécurité de lemploi du travailleur. Les données relatives à la promotion de la santé risquent dêtre utilisées abusivement pour influer sur la situation dun salarié vis-à-vis de lassurance santé ou de questions de gestion du personnel. Lorsque les données sont présentées de façon globale, il est parfois difficile dêtre sûr quelles ne serviront pas à identifier des salariés, notamment lorsque la main-duvre considérée est restreinte.
Lorsque les systèmes dexploitation des données cliniques des PAS attirent lattention sur une unité ou un lieu de travail particuliers, les professionnels de la santé hésitent beaucoup à les communiquer à la direction. Parfois, ils se réfugient derrière le devoir de confidentialité pour cacher en fait leur incapacité de formuler des propositions raisonnables en vue dune intervention que la direction risque de fort mal accueillir lorsquelle implique une critique du comportement de la hiérarchie ou des pratiques de lentreprise. Malheureusement, les cliniciens nont pas toujours les compétences nécessaires sur le plan de la recherche et de lépidémiologie pour étayer leurs observations par des données suffisamment sûres.
Les autres questions qui se posent concernent lutilisation abusive des informations par divers groupes dintérêts. Les compagnies dassurance, les employeurs, les syndicats, les associations de consommateurs et les professionnels de la santé risquent de faire un mauvais usage de données collectives et individuelles recueillies dans le cadre dune activité de promotion de la santé.
Certains peuvent se servir de ces données pour refuser le bénéfice de services ou la couverture dune garantie à des salariés ou à leurs survivants lors de procédures judiciaires ou administratives portant sur une indemnisation ou une déclaration de dommage. Les participants aux programmes de santé peuvent être tentés de croire que la «garantie de confidentialité» qui leur est donnée par ces programmes est inviolable. Les responsables de ces programmes ont le devoir dindiquer clairement aux salariés que, dans certains cas (enquêtes judiciaires ou administratives, notamment), les données personnelles collectées par les programmes peuvent être communiquées à dautres parties.
Des données globales peuvent aussi être utilisées abusivement pour transférer une responsabilité sur quelquun dautre. Laccès à ces informations nest pas toujours équitable, dans la mesure où les données collectives peuvent nêtre accessibles quaux représentants des entreprises et non pas aux individus qui souhaitent bénéficier de certaines prestations. En communiquant des données qui montrent linfluence que les habitudes personnelles de certains travailleurs ont pu avoir sur leur état de santé, les entreprises peuvent limiter les informations concernant leurs propres pratiques qui ont, elles aussi, contribué à créer le problème.
Les données épidémiologiques concernant les tendances des états de santé ou des facteurs liés au travail ne doivent pas être collectées de manière à en faciliter lexploitation par lemployeur, lassureur, le régime dindemnisation ou les clients.
Les normes et les valeurs de certaines professions peuvent être en conflit avec des pratiques déjà en place au sein dune entreprise. La méthode de la confrontation utilisée par les programmes contre lalcoolisme au travail risque, lorsquelle est appliquée à dautres troubles ou à dautres incapacités, dêtre inefficace ou contraire aux valeurs dautres professions; pourtant le professionnel de la santé qui travaille dans ce contexte peut être lobjet de pressions pour lamener à utiliser ce type de méthodes.
Les relations dordre éthique avec des prestataires de services extérieurs doivent aussi être prises en considération. Sil est clairement précisé dans les programmes daide aux salariés que les professionnels de la santé se doivent déviter de diriger un salarié sur un service de traitement auquel ils sont eux-mêmes étroitement liés, les services de promotion de la santé nont pas été aussi fermes dans la définition de leurs relations avec des prestataires extérieurs auxquels les salariés aimeraient avoir à faire pour un problème lié à leurs habitudes personnelles. Les arrangements entre les PAS et les prestataires particuliers qui aboutissent à ce que des traitements soient confiés à certains services pour le plus grand profit de ces prestataires plutôt que pour les besoins cliniques du patient sont un exemple évident de ce type de conflits dintérêts.
Il y a aussi la tentation de recruter des individus qui ne sont pas qualifiés dans le domaine de la promotion de la santé. Dune façon générale, les experts en PAS ne possèdent pas la formation requise dans les techniques déducation à la santé, de physiologie ou des techniques de remise en forme pour assurer convenablement de telles activités. Pour la direction dune entreprise qui instaure et gère ces programmes, la question de leur coût est primordiale, et elle est donc moins portée à examiner les compétences des professionnels pour choisir les plus qualifiés, sachant que cela ne peut quaugmenter le coût du programme par rapport à ses avantages.
Le recours à des collègues de travail pour des services de ce genre pose dautres problèmes. Il a été démontré que le soutien dun groupe de collègues pouvait atténuer les effets sur la santé de certains facteurs de stress au travail. De nombreux programmes ont su exploiter linfluence positive de ce type dappui en faisant appel à des collègues ou à des groupes de solidarité pour jouer un rôle de conseil et dassistance. Toutefois, si ces collègues peuvent apporter une certaine aide complémentaire, ils ne sauraient remplacer des professionnels de la santé qualifiés. Les collègues en question ont besoin dun programme dorientation solide qui aborde notamment les pratiques déthique et qui naille pas au-delà de leurs limites ou de leurs qualifications personnelles, que ce soit délibérément ou par manque dinformation.
Ces tests de dépistage sont devenus la véritable bouteille à lencre de la réglementation et de linterprétation juridique et ils ne se sont révélés efficaces ni pour le traitement ni pour la prévention. Un rapport de lInstitut national de recherche (National Research Institute) (OBrien, 1993) a conclu que ces tests ne contribuent guère à décourager la consommation dalcool ou de drogue, et dautres données indiquent quils ninfluent guère non plus sur la performance au travail.
Un test positif peut être très révélateur des habitudes personnelles dun salarié, mais ne rien indiquer quant à son niveau de handicap ou à sa capacité de travail.
Les tests de dépistage de la drogue sont considérés comme un moyen commode pour les employeurs de se débarrasser de leurs salariés, sauf les moins vulnérables, parce quils résistent plus. Le problème est de savoir jusquoù peut aller lentreprise. Peut-on faire des tests de dépistage pour des comportements compulsifs tels que le jeu ou pour des troubles mentaux tels que la dépression?
Il y a aussi le problème des entreprises qui pourraient avoir recours au dépistage pour détecter certaines déficiences indésirables (par exemple, une prédisposition aux maladies cardiaques ou aux lésions dorsales) et prendre des décisions concernant le personnel à partir dinformations de ce genre. A lheure actuelle, ces pratiques semblent se limiter aux questions de la couverture par lassurance maladie, mais combien de temps encore cette limite résistera-t-elle à des directions dentreprise principalement soucieuses de réduire leurs coûts?
La pratique du dépistage de la drogue encouragée par les pouvoirs publics, ainsi que la possibilité qui se profile déjà à lhorizon de dépister des gènes défectueux et dexclure des groupes entiers de salariés qui coûtent trop cher au régime dassurance maladie se fondent sur la vieille hypothèse selon laquelle ce seraient les caractéristiques des travailleurs, et non le travail, qui expliquent les incapacités et les dysfonctionnements, justifiant ainsi que lon en impute aux travailleurs les coûts sociaux et économiques. On en arrive ainsi une fois de plus à placer les facteurs individuels, et non le travail, au centre des activités de promotion de la santé.
Il est parfois évident pour le professionnel de la santé que les travailleurs essaient de profiter abusivement des services de santé fournis par un employeur ou par son assureur, ou par le régime dindemnisation des travailleurs. Ce sont notamment les demandes de rééducation manifestement peu réalistes ou les simulations pures et simples pour obtenir des compensations financières. Des méthodes doivent être mises au point pour faire face à ces comportements et des mesures appropriées doivent être prises en tenant compte néanmoins de certaines réalités cliniques telles que les réactions psychologiques à une incapacité.
En dépit du vaste plaidoyer dont a pu faire lobjet la promotion de la santé sur le lieu de travail, les données scientifiques permettant den évaluer lefficacité sont rares. Dune façon générale, la profession ne semble pas sêtre attaquée aux questions déthique que soulève notamment le fait de promouvoir des activités sans base scientifique suffisante ou de donner la préférence à certains services plutôt quà dautres moins rémunérateurs, mais dont leffet bénéfique a été prouvé.
Aussi curieux que cela puisse paraître, rares sont les services proposés dont on peut prouver quils contribuent à réduire les coûts, labsentéisme, les dépenses de santé, la rotation du personnel ou à augmenter la productivité. Les études sont mal conçues et rares sont celles qui font appel à des groupes de comparaison ou qui prévoient un suivi à long terme. Les quelques études répondant aux normes de la rigueur scientifique nont pas réellement apporté la preuve de lefficacité de linvestissement effectué.
Certains indices donnent à penser également que les participants aux activités de promotion de la santé sur le lieu de travail sont généralement des personnes relativement bien portantes:
Dans lensemble, il semble que, par rapport à ceux qui ny participent pas, les participants à ce genre dactivités sont des non-fumeurs, qui sintéressent davantage aux questions de santé, se considèrent comme étant en meilleure santé et apprécient les activités physiques, notamment laérobic. On constate aussi que les participants ont moins souvent recours aux services de santé et sont plus jeunes (Conrad, 1987).
Il est possible que les individus à risque ne fassent pas appel aux services de santé.
Même lorsquon a la preuve de lutilité de certaines activités et que tous les professionnels sont daccord sur la nécessité de faire un suivi de ces programmes, ce suivi nest pas toujours assuré. En général, les programmes daide aux salariés se concentrent sur le dépistage de cas nouveaux et ne consacrent que peu de temps à la prévention sur les lieux de travail. Soit les services de suivi sont inexistants, soit ils se limitent à une ou deux visites après le retour au travail. Vu la forte probabilité de rechute chez les alcooliques ou les toxicomanes, il semble bien que les PAS ne donnent pas assez dimportance à la continuité des soins ce qui est très coûteux pour donner la préférence aux activités qui rapportent davantage.
De même quil est difficile aujourdhui de distinguer ceux des facteurs de la vie privée ou de la vie au travail qui affectent la santé, il est difficile également de distinguer les personnes en forme ou bien portantes de celles qui ne le sont pas. En conséquence, au lieu de limiter les examens pour lassurance ou loctroi de prestations à la question de savoir si un travailleur est malade ou handicapé ou sil ne lest pas, et sil «mérite» par conséquent une prestation, on se rend compte de plus en plus souvent aujourdhui quen apportant certaines modifications au poste de travail et grâce à des activités de promotion de la santé, le travailleur peut reprendre son poste alors même quil souffre dune maladie ou dune incapacité. «Ladaptation du travail aux capacités des travailleurs compte tenu de leur état de santé physique et mentale» est même un principe inscrit dans lune des conventions internationales du travail, la convention (no 161) sur les services de santé au travail, 1985.
La nécessité de lier les mesures de protection de la santé aux activités de promotion de la santé est dautant plus importante que lon a affaire à des travailleurs présentant des pathologies particulières. De même quun malade peut refléter la pathologie de tout un groupe, de même un travailleur ayant des besoins spécifiques peut refléter les besoins de la totalité dun personnel. Les changements apportés au lieu de travail pour faciliter la vie professionnelle de ces travailleurs conduisent souvent à des améliorations qui profitent à tous les autres. Les traitements et les activités de promotion de la santé fournis aux travailleurs ayant des problèmes de santé particuliers peuvent réduire les coûts dexploitation de lentreprise en diminuant les prestations dassurance et de réparation des lésions professionnelles. Mais, ce qui est plus important encore, cest que cette manière de procéder est conforme à léthique.
Sachant quune rééducation et une réadaptation rapides des travailleurs victimes dun accident sont rentables pour lentreprise, de nombreux employeurs ont adopté des programmes qui prévoient des mesures rapides dintervention, de rééducation et de retour au travail sous réserve de quelques modifications du poste de travail. Parfois, ces programmes sont financés par les commissions de réparation des accidents du travail, qui ont pris conscience du fait quaussi bien lemployeur que le travailleur sont pénalisés si le régime de prestations pousse lintéressé à rester malade au lieu de chercher à se réadapter physiquement, mentalement et professionnellement.
Le Code international déthique pour les professionnels de la santé (reproduit dans le présent chapitre) pose les principes de base destinés à faire en sorte que les activités de promotion de la santé ne détournent pas lattention des mesures de protection de la santé, et à encourager des pratiques conformes à léthique dans le cadre de telles activités. Le Code dispose que:
Les professionnels de la santé au travail peuvent contribuer à la santé publique de différentes façons, en particulier par leurs activités déducation sanitaire, de promotion de la santé et de dépistages précoces datteinte à la santé. Lorsquils prennent part à des programmes ayant de tels objectifs, les professionnels de la santé au travail doivent rechercher la participation des employeurs et des travailleurs en vue de la conception et de la mise en uvre de ces programmes. Ils doivent aussi prendre des mesures pour protéger la confidentialité des données personnelles et des données de santé des travailleurs.
Enfin, il nest pas inutile de répéter que la meilleure manière de respecter des pratiques éthiques en matière de santé au travail est détudier le lieu de travail et linfrastructure sociale nécessaire pour promouvoir les intérêts de lindividu aussi bien que ceux de la collectivité. Cest ainsi que la réduction du stress, la promotion de la santé et les PAS, qui ont jusquà présent visé presque exclusivement les individus, devraient prendre en compte les facteurs institutionnels propres au lieu de travail. Il importe aussi de veiller à ce que ces activités ne se substituent pas aux mesures de protection de la santé.
La gestion des problèmes dalcool et de drogue sur les lieux de travail peut placer lemployeur devant des dilemmes dordre éthique. Quelle que soit la solution quil choisira en pareil cas, il lui faudra trouver un juste équilibre entre le respect des individus qui ont un problème de ce genre, lobligation dune bonne gestion des ressources financières des actionnaires et celle de garantir la sécurité des autres travailleurs.
Même si le plus souvent les mesures préventives et curatives sont conformes à lintérêt des travailleurs autant que de lemployeur, il peut se faire que, dans dautres cas, ce que lemployeur conçoit comme étant bon pour la santé et le bien-être des travailleurs soit considéré par ceux-ci comme une grave entrave à leur liberté individuelle. Il se peut aussi que les mesures prises par lemployeur pour des raisons de sécurité et de productivité apparaissent comme inutiles, inefficaces et constituant une ingérence injustifiée dans la vie privée.
Les travailleurs considèrent le respect de leur vie privée comme un droit fondamental. Dans certains pays, il sagit dun droit garanti par la loi, mais dun droit qui sera diversement interprété selon le besoin de lemployeur de faire en sorte, entre autres choses, que sa main-duvre soit fiable, bien portante et productive et que les produits et les services quoffre lentreprise ne présentent aucun danger pour les consommateurs et le public en général.
Normalement, le travailleur, quand il consomme de lalcool ou des drogues, le fait en dehors des heures et des lieux de travail. Dans le cas de lalcool, il peut aussi en consommer au travail si les règlements locaux le permettent. Toute intervention de lemployeur liée à la consommation de drogue ou dalcool par les travailleurs doit être justifiée par des raisons impératives et seffectuer, à coût plus ou moins égal, selon les méthodes les moins indiscrètes possibles.
Deux pratiques suivies par les employeurs pour repérer les consommateurs dalcool ou de drogue parmi les candidats à un emploi ou les travailleurs en emploi ont déclenché une vive polémique: 1) lanalyse de substances organiques (haleine, sang, urine) pour dépister lalcool ou une drogue; 2) les enquêtes orales ou écrites sur la consommation présente ou passée dalcool ou de drogue. Dautres méthodes didentification telles que lobservation et la surveillance et les tests informatisés de la performance au travail sont aussi un sujet de préoccupation.
Lanalyse des substances présentes dans lorganisme est sans doute la méthode de dépistage la plus discutable. Pour lalcool, les analyses se font généralement avec un alcoomètre ou par une prise de sang. Pour les drogues, la méthode la plus courante est lanalyse durine.
Les employeurs font valoir que ces analyses contribuent à la sécurité et quelles permettent: de prévenir la prédisposition aux accidents; de déterminer médicalement laptitude au travail; daccroître la productivité; de réduire labsentéisme et les arrivées tardives; de limiter les dépenses de santé; de conserver la confiance du public quant à la sécurité et à la qualité des produits et des services de lentreprise; de préserver la réputation de lentreprise; didentifier et de réadapter les travailleurs concernés; de prévenir le vol et de décourager les comportements illégaux ou asociaux au sein du personnel.
Les travailleurs, de leur côté, soutiennent que ces analyses ne sont pas acceptables parce que le prélèvement déchantillons biologiques constitue une ingérence dans la vie privée; que les méthodes de prélèvement sont parfois humiliantes et dégradantes, surtout sil faut donner un échantillon durine sous lil vigilant dun contrôleur pour empêcher toute fraude; que ces analyses ne sont pas un bon moyen de promouvoir la sécurité et la santé; et quun meilleur travail de prévention, une surveillance plus stricte et ladoption de programmes dassistance aux salariés (PAS) sont des moyens plus efficaces datteindre cet objectif.
Dautres détracteurs de ces pratiques avancent que le dépistage de la toxicomanie (par opposition à lalcoolisme) ne donne pas dindications sur une déficience au moment du test, mais seulement sur une consommation antérieure et quil ne renseigne donc pas sur laptitude présente dun individu à faire un certain travail; que les analyses, notamment pour les drogues, exigent lapplication de protocoles compliqués; que si ces protocoles ne sont pas respectés, des erreurs peuvent se produire avec déventuelles conséquences aussi dramatiques quinjustes pour lemploi de la personne concernée; et que ces analyses peuvent soulever des problèmes déthique entre la direction et le personnel et créer un climat de méfiance.
Dautres font valoir que les analyses sont conçues pour repérer les comportements moralement inacceptables pour lemployeur et quil ny a pas de données empiriques convaincantes prouvant quil existe sur de nombreux lieux de travail des problèmes dalcool ou de drogue qui exigeraient un dépistage à lembauchage, ponctuel ou périodique, autant de méthodes qui constituent une grave ingérence dans la vie privée des travailleurs parce quappliquées en labsence de présomption raisonnable. Il a aussi été affirmé que le dépistage de drogues illicites revient à faire jouer à lemployeur un rôle de gardien de la loi, ce qui nest ni sa vocation ni dans ses attributions.
Certains pays européens, dont la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède, permettent les analyses pour la détection dalcool et de drogue, mais dans des circonstances bien précises. Il existe, par exemple, dans de nombreux pays européens, des lois autorisant la police à effectuer des tests sur les travailleurs des transports routiers, aériens, ferroviaires et maritimes quand il y a des raisons suffisantes de présumer une intoxication durant le travail. Dans le secteur privé, on procède aussi à des analyses de ce type, mais là encore, sur la base dune présomption raisonnable dintoxication pendant le travail et en cas daccident ou dincident. Certains tests à lembauchage et, dans de très rares cas, des tests périodiques ou ponctuels ont été signalés au sujet de postes posant un problème de sécurité. Les tests ponctuels sont toutefois relativement rares dans les pays européens.
Aux Etats-Unis, les normes diffèrent selon que le dépistage de lalcool ou des drogues est effectué par des établissements du secteur public ou du secteur privé. Les tests effectués par des administrations publiques ou par des entreprises agréées doivent satisfaire aux dispositions constitutionnelles interdisant une intervention abusive de la part des autorités. Cela a amené les tribunaux à nautoriser le dépistage que pour les emplois où se posent des questions de sécurité et de confidentialité, mais sans restriction quant au genre de tests effectués: tests avant lembauchage, sur présomption raisonnable, périodiques, après un incident ou un accident, ou ponctuels. Rien noblige lemployeur, avant deffectuer un test, de démontrer quil y a une présomption raisonnable de consommation de drogue dans une entreprise ou une unité administrative donnée, ou chez un individu en particulier. Certains observateurs en ont conclu quune telle approche est contraire à léthique parce que les employeurs ne sont même pas obligés dinvoquer une présomption raisonnable de problème au niveau de lentreprise ou de lindividu avant de procéder à un test quel quil soit, y compris un dépistage ponctuel.
Dans le secteur privé, il nexiste pas de restrictions fédérales constitutionnelles concernant les tests, bien quun petit nombre dEtats américains imposent certaines limites de procédure ou de fond à la détection de la consommation de drogue. Dans la plupart des Etats, toutefois, les employeurs privés ne sont pratiquement limités par aucune restriction pour les analyses visant lalcool ou la drogue; celles-ci sont pratiquées sur une échelle sans précédent par rapport aux employeurs privés en Europe qui, en général, ne recourent à ces tests que pour des raisons de sécurité.
Bien que moins perturbants que lanalyse des substances présentes dans lorganisme, les enquêtes ou les questionnaires utilisés par les employeurs pour détecter la consommation antérieure ou présente dalcool ou de drogue constituent une intrusion dans la vie privée des travailleurs et sont sans rapport avec les exigences de la plupart des postes de travail. En Australie, au Canada, dans certains pays européens et aux Etats-Unis, des lois sur le respect de la vie privée applicables au secteur privé ou au secteur public exigent que ces enquêtes ou questionnaires aient un rapport direct avec le poste considéré. Dans la plupart des cas, ces lois ne restreignent pas expressément les enquêtes portant sur la consommation de certaines substances, mais, au Danemark, par exemple, il est interdit de recueillir et denregistrer des informations sur la consommation abusive de substances intoxicantes. De même, en Norvège et en Suède, les informations sur la consommation dalcool et de drogue sont considérées comme des données sensibles et, en principe, elles ne peuvent être collectées que si elles sont jugées nécessaires pour des raisons précises et que leur utilisation est approuvée par lautorité responsable du contrôle des données.
En Allemagne, lemployeur ne peut poser de questions que pour juger des capacités et de la compétence du candidat pour un certain poste. Un demandeur demploi a le droit de donner des réponses fausses à des questions de caractère personnel qui sont sans rapport avec le travail. Par exemple, les tribunaux ont jugé quune femme peut légalement répondre quelle nest pas enceinte alors quelle lest. Ces questions concernant la vie privée sont tranchées judiciairement au cas par cas et le point de savoir si un travailleur pouvait donner une réponse fausse à des questions sur sa consommation antérieure ou actuelle dalcool ou de drogue dépendra probablement de lexistence dun lien raisonnable entre lenquête et les nécessités du poste considéré.
Lobservation et la surveillance sont les moyens traditionnels mis en uvre pour détecter les problèmes dalcool ou de drogue sur les lieux de travail. En termes simples, si un travailleur donne manifestement des signes dintoxication ou quil en subit les effets secondaires, son supérieur peut sen apercevoir par son comportement. Cette fonction de surveillance confiée au personnel dencadrement pour déceler un problème dalcool ou de drogue est la méthode la plus répandue, la moins controversée et celle que préfèrent les représentants des travailleurs. Toutefois, la thèse selon laquelle la prise en charge des problèmes dalcool et de drogue a plus de chances de réussir si lintervention est précoce pose un problème dordre éthique. En appliquant cette approche à lobservation et à la surveillance, les supérieurs hiérarchiques pourraient être tentés de noter tout signe de comportement ambigu ou de baisse defficacité au travail et den tirer des conclusions sur la quantité dalcool ou de drogue que le travailleur consommerait en privé. Ces observations minutieuses, conjuguées à un certain degré de spéculation, pourraient être considérées comme contraires à léthique, et les cadres devraient se limiter aux cas où le travailleur a nettement dépassé les limites et ne peut donc fonctionner à son poste avec un degré defficacité acceptable.
Lautre question qui se pose est celle de savoir ce que doit faire un supérieur hiérarchique lorsquun travailleur donne des signes manifestes dintoxication. Certains observateurs estimaient auparavant que le travailleur et son supérieur devaient en parler et que ce dernier avait un rôle direct dassistance. Toutefois, la plupart des observateurs sont maintenant davis que cette confrontation peut être contraire au but recherché et risque daggraver le problème et quil est préférable de diriger le travailleur sur un service médical approprié pour évaluation et, si nécessaire, consultation, traitement et réadaptation.
Certains observateurs ont proposé de recourir aux tests informatisés dévaluation de la performance pour rechercher les travailleurs qui consomment de lalcool ou des drogues au travail. A leur avis, ces tests sont préférables à dautres méthodes de dépistage parce quils mesurent une altération actuelle et non pas une consommation antérieure, quils respectent davantage la dignité du travailleur, quils constituent une moindre ingérence dans la vie privée et quils permettent également de déceler les baisses de performance pour des raisons autres que lalcoolisme ou la toxicomanie, comme le manque de sommeil ou une maladie. La principale objection à ces tests est que, techniquement, ils ne permettent pas toujours de mesurer avec exactitude les qualifications professionnelles quils sont censés évaluer ni de déceler de faibles niveaux dalcool ou de drogue qui risquent de faire diminuer la performance au travail, et que les tests les plus sensibles et les plus précis sont les plus coûteux et les plus difficiles à administrer.
Lune des questions les plus difficiles à résoudre pour un employeur est de savoir dans quel cas il y a lieu de prendre des sanctions lorsque la consommation dalcool ou de drogue a été à lorigine dun incident sur le lieu de travail ou sil convient plutôt dy remédier par des conseils, un traitement et une réadaptation; et dans quel cas lune et lautre démarches sanctions et traitement doivent être utilisées simultanément. Une autre question liée à la première est de savoir si la toxicomanie et lalcoolisme sont par nature essentiellement un phénomène de comportement ou une maladie. Le point de vue soutenu ici est que la consommation dalcool et de drogue est essentiellement un phénomène de comportement mais que, si elle est excessive et durable, elle peut créer une situation de dépendance qui peut être considérée comme une maladie.
Pour lemployeur, cest le comportement en particulier la performance au travail qui importe le plus. Un employeur a le droit et, dans certains cas où la faute du travailleur a des conséquences pour la sécurité, la santé ou la situation économique des collègues de travail, le devoir de prendre des sanctions. Le fait dêtre sous linfluence de lalcool ou de la drogue au travail peut avec raison être défini comme une faute, et même une faute grave, si la personne en cause occupe un poste critique pour la sécurité. Il peut se faire cependant quune personne qui a des problèmes au travail liés à lalcoolisme ou à la toxicomanie ait également un problème de santé.
En cas de faute banale liée à lalcool ou à la drogue, lemployeur doit dabord offrir son aide au travailleur afin de déterminer sil sagit dun problème de santé. La décision du travailleur de refuser cette offre dassistance peut être motivée par le désir légitime de ne pas dévoiler ses problèmes de santé à lemployeur ou parce quil na pas de problème de cet ordre. Selon le cas, lemployeur pourra aussi souhaiter imposer également une sanction disciplinaire.
La réaction dun employeur à une situation comportant une faute grave liée à la consommation dalcool ou de drogue, telle que le fait dêtre sous linfluence de lalcool ou de drogue à un poste critique pour la sécurité, sera probablement différente. En pareil cas, il a à la fois le devoir moral dassurer la sécurité des autres travailleurs et du public et celui dêtre juste envers le travailleur concerné. Sa préoccupation principale sur le plan éthique devrait être de garantir la sécurité publique et décarter immédiatement le travailleur de son poste de travail. Même dans un tel cas de faute grave, lemployeur doit aider le travailleur à avoir accès aux soins de santé qui conviennent.
Plusieurs questions déthique peuvent aussi se poser à propos de laide apportée aux travailleurs. La première à laquelle il faut répondre demblée est celle de lévaluation et de lorientation. Ces dernières peuvent être assurées soit par le service de santé au travail de lentreprise, soit par un prestataire de soins de santé dans le cadre dun programme daide aux salariés (PAS), soit par le médecin personnel du travailleur. Si aucune de ces solutions nest possible, lemployeur sera peut-être amené à faire appel à des spécialistes en conseil, traitement et réadaptation pour lalcoolisme ou la toxicomanie et à proposer au travailleur de prendre contact avec lun deux pour évaluation ou orientation selon le cas.
Lemployeur devrait aussi sefforcer de faciliter la situation du travailleur pendant son absence pour traitement. Dans la mesure du possible, lintéressé devrait bénéficier dun congé de maladie payé ou de toute autre forme de congé nécessaire en cas dhospitalisation. Si des soins ambulatoires exigent une modification de lhoraire du travailleur ou son passage à un travail à temps partiel, lemployeur devrait lui accorder, dans la mesure du possible, le bénéfice de telles mesures, dautant que le maintien du travailleur parmi ses collègues peut constituer un facteur de stabilisation propice à son rétablissement. Lemployeur devrait aussi apporter son appui au travailleur et surveiller de façon suivie sa performance. Si, au départ, le milieu de travail a contribué à lapparition du problème dalcool ou de drogue, lemployeur devrait prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Si cette solution nest ni possible ni aisée, il lui faudra envisager de muter le travailleur à un autre poste avec un recyclage approprié.
Une question déthique difficile est celle de savoir dans quelle mesure un employeur est tenu de continuer à aider un travailleur absent pour des raisons de santé liées à lalcool ou à la drogue et à quel stade il est en droit de licencier ce travailleur pour cause de maladie. En principe, lemployeur devrait considérer toute absence liée à un problème dalcool ou de drogue comme nimporte quelle absence pour raison de santé et, pour le licenciement, appliquer à ce cas les mêmes critères que pour tout autre licenciement pour raison de santé. Par ailleurs, les employeurs devraient aussi garder à lesprit que les rechutes sont toujours possibles et quelles font même partie du processus menant à un rétablissement définitif.
Lemployeur est confronté à des choix moraux difficiles lorsquil a affaire à un travailleur qui consomme, ou qui a consommé dans le passé, des substances illicites. La question a été posée, par exemple, de savoir sil devrait licencier un travailleur qui a été arrêté ou condamné pour des délits en rapport avec la drogue. Si le délit est suffisamment grave pour que la personne soit incarcérée, elle ne pourra évidemment être présente au travail. Toutefois, dans un grand nombre de cas, les consommateurs ou les petits revendeurs qui ne fournissent que la quantité nécessaire pour financer leurs besoins peuvent ne se voir imposer que des peines avec sursis ou des amendes. En pareil cas, lemployeur ne devrait pas normalement envisager des sanctions ou un licenciement pour des comportements qui ont eu lieu en dehors des heures et du lieu de travail. Dans certains pays, si quelquun a dû payer une amende, a été condamné à une peine avec sursis ou a purgé une peine de prison ferme, la loi peut interdire toute discrimination dans lemploi à son encontre.
Une autre question qui se pose parfois est celle de savoir si une personne qui consomme ou qui a consommé autrefois des substances illicites peut faire lobjet dune discrimination dans lemploi. Nous estimons, quant à nous, que du point de vue de léthique, aucune discrimination ne doit être exercée à lencontre de ces personnes si lacte a été commis en dehors des heures de travail et hors des locaux de lentreprise, tant que les intéressés restent aptes à faire le travail quon leur demande. A cet égard, lemployeur devrait être prêt à organiser raisonnablement le travail de quelquun qui a consommé des substances illicites lorsquil doit sabsenter pour des consultations, un traitement ou une réadaptation. Ce point de vue est admis par la loi fédérale canadienne sur les droits individuels, qui interdit la discrimination dans lemploi en raison dune incapacité, terme dailleurs employé pour désigner une dépendance vis-à-vis de lalcool ou des drogues. De même, la législation du travail en France interdit toute discrimination dans lemploi en raison dun handicap ou pour des motifs de santé, à moins que le médecin du travail ne déclare la personne inapte à son poste. La loi fédérale américaine, en revanche, protège contre la discrimination ceux qui ont consommé autrefois des drogues, mais non pas ceux qui en consomment actuellement.
Le principe général est que, sil est porté à lattention dun employeur quun candidat à un poste ou un travailleur consomme, ou est soupçonné de consommer, des substances illicites en dehors des heures ou du lieu de travail et que cette habitude naffecte pas sensiblement le fonctionnement de létablissement, il ny a pas dobligation de signaler ce fait aux autorités policières ou judiciaires. Les dispositions de la loi américaine qui exigent que des tests soient pratiqués par des organismes gouvernementaux prévoient que les candidats à un emploi, ou que les travailleurs pour lesquels un test pour consommation de substances illicites se révèle positif ne doivent pas être signalés aux autorités policières ou judiciaires aux fins de poursuites.
Si, en revanche, un travailleur sadonne à une activité liée à des substances illicites pendant les heures de travail ou sur le lieu de travail, un employeur peut avoir une obligation morale dintervenir soit en sanctionnant lintéressé, soit en signalant laffaire aux autorités policières ou judiciaires, soit les deux à la fois.
Un facteur important que les employeurs ne doivent pas négliger est celui de la confidentialité. Il peut être porté à lattention dun employeur quun candidat à un emploi ou quun de ses salariés consomme des substances illicites parce que la personne a divulgué cette information pour des raisons de santé, notamment en vue dobtenir un aménagement de ses horaires de travail pour des consultations, un traitement ou une réadaptation. Lemployeur a la stricte obligation, du point de vue éthique, et souvent aussi, du point de vue légal, de tenir secrète toute information relative à la santé. Ce type dinformation ne doit être communiqué ni aux autorités policières ou judiciaires ni à qui que ce soit sans le consentement exprès de lintéressé.
Dans de nombreux cas, il arrive que lemployeur ne sache pas si un travailleur consomme des substances illicites, mais que les services de la santé au travail le découvrent à la suite dexamens destinés à établir son aptitude au travail. Le professionnel de la santé a lobligation morale de respecter la confidentialité des données sur la santé, mais il peut aussi être lié par le secret médical. En pareil cas, le service de la santé au travail ne peut signaler à lemployeur que le fait que la personne est déclarée médicalement apte ou inapte au travail (ou apte avec certaines réserves) et il ne doit divulguer la nature dun problème de santé quelconque ou le pronostic du médecin ni à lemployeur, ni à des tiers tels que les autorités policières ou judiciaires.
Normalement, les employeurs sont tenus par la loi de fournir un milieu de travail sûr et sain. Toutefois, les mesures à prendre à cet effet en ce qui concerne lalcool ou les drogues sont souvent laissées à leur discrétion. Les représentants des travailleurs font valoir quun grand nombre de problèmes dalcool ou de drogue sont dus principalement à des facteurs liés au travail lui-même, tels que les longues heures de présence, le travail isolé, le travail de nuit, les emplois monotones ou sans avenir, les situations impliquant des relations interpersonnelles difficiles, linsécurité de lemploi, linsuffisance de la rémunération, le stress de certaines fonctions pourtant sans prestige, ou dautres sources de stress. Certains facteurs tels quun accès facile à lalcool ou à des drogues ou des pratiques dans lentreprise favorables à la consommation dalcool au travail ou en dehors peuvent aussi pousser au recours abusif à certaines substances. Les employeurs doivent être sensibles à ces facteurs et sefforcer dy remédier.
Il ny a guère de doute que, quelle que soit la profession, la consommation dalcool ou de drogue ne devrait pas être tolérée pendant les heures de travail effectif. Ce qui est plus délicat toutefois, cest de savoir si létablissement est en droit de limiter ou dinterdire la consommation dalcool, par exemple dans une cantine, une cafétéria ou une salle à manger. Les puristes font valoir que la seule solution est linterdiction pure et simple, que le fait de proposer de lalcool dans les locaux dune entreprise pourrait inciter à boire ceux qui ne le feraient pas autrement et que toute quantité dalcool consommée peut avoir des effets nocifs sur la santé. Les partisans dun certain libéralisme soutiennent au contraire que ces restrictions à une activité licite sont injustifiées et que, pendant les pauses et les heures de repas, on devrait être libre de se détendre et de consommer de lalcool modérément si on le désire.
Du point de vue de léthique, la réponse se situe quelque part entre ces deux extrêmes en fonction de facteurs sociaux et culturels et du milieu professionnel. Dans certains milieux, la consommation dalcool fait tellement partie de la vie sociale et des affaires que les employeurs estiment quil vaut mieux offrir certains types dalcool aux heures des repas, plutôt que de les interdire complètement. Une interdiction pourrait inciter les travailleurs à quitter létablissement pour fréquenter des cafés ou des bars, où les habitudes en matière de boisson peuvent être plus pernicieuses et où les travailleurs risquent de consommer davantage dalcool ou des alcools forts, plutôt que de la bière ou du vin. Dans dautres sociétés, où les boissons alcoolisées ne font pas autant partie des murs ou des habitudes commerciales, linterdiction de consommer tout type dalcool dans lentreprise sera plus facilement acceptée et naura pas nécessairement leffet néfaste dinciter à aller en consommer ailleurs.
La prévention est sans doute lélément le plus important de toute politique de lutte contre lalcool et les drogues sur les lieux de travail. Même sil est vrai que les personnes qui souffrent dun problème dalcool ou de drogue méritent incontestablement une attention et un traitement particuliers, la majorité des travailleurs sont des consommateurs modérés ou, en matière de drogue, ne consomment que des substances licites telles que des tranquillisants pour faire face aux difficultés de lexistence. Comme ils sont majoritaires, tout impact, même faible, sur leur comportement peut avoir des répercussions considérables sur le nombre daccidents du travail éventuels, ainsi que sur la productivité, labsentéisme ou les retards au travail.
On peut se demander si le lieu de travail est lendroit le mieux adapté pour des activités de prévention par linformation, léducation et la formation. Ces mesures de prévention visent essentiellement la santé publique, cest-à-dire des risques qui découlent de la consommation dalcool et de drogue en général, et qui sadressent à un public de travailleurs qui, par la force des choses, dépendent économiquement de leur employeur. A ces questions, on peut répondre que les programmes de ce genre ont aussi lavantage de diffuser des informations précieuses sur les risques et sur les conséquences de la consommation dalcool et de drogues spécifiques à un lieu de travail donné; que le lieu de travail est peut-être lélément le mieux structuré du cadre de vie quotidien dune personne et quil est le lieu tout désigné pour recevoir des informations en matière de santé publique; enfin, que les travailleurs nont rien contre des campagnes de santé publique au sens général du terme si ces campagnes sont fondées sur la persuasion et non sur la contrainte, en ce sens quelles conseillent sans limposer un changement de comportement ou de style de vie.
Même si les employeurs sont sensibles au fait que les programmes de santé publique sont fondés sur la persuasion plutôt que sur la contrainte, le bon choix, du point de vue de léthique, penche en faveur de la mise en place et du soutien de ces programmes, non seulement pour le bien de lentreprise, sous langle des avantages économiques résultant de la diminution des problèmes dalcool et de drogue, mais aussi pour le bien-être général des travailleurs.
Il convient de noter également que les travailleurs ont eux aussi une responsabilité morale en ce qui concerne lalcool et la drogue sur le lieu de travail, dont celle dêtre aptes à leur poste et de ne pas absorber des substances intoxicantes immédiatement avant ou durant le travail, ainsi que celle dêtre vigilants quant à la consommation de ces substances lorsque leurs fonctions impliquent des questions de sécurité. Léthique commande également quils aident les collègues qui semblent avoir un problème dalcool ou de drogue et quils sefforcent de créer un climat de travail encourageant et amical pour ceux qui tentent dy renoncer. En outre, les travailleurs devraient collaborer avec lemployeur pour lapplication des mesures raisonnables de promotion de la sécurité et de la santé au travail quil pourrait être amené à prendre en ce qui concerne lalcool et la drogue. Toutefois, les travailleurs ne devraient pas être tenus daccepter une ingérence dans leur vie privée lorsque celle-ci nest pas justifiée par des raisons impérieuses liées au travail ou que les moyens préconisés par lemployeur sont sans commune mesure avec lobjectif visé.
En 1995, une réunion internationale dexperts, qui a rassemblé au BIT vingt-et-une personnes représentant à égalité les gouvernements, les employeurs et les travailleurs, a adopté un Recueil de directives pratiques sur la prise en charge des questions dalcoolisme et de toxicomanie sur le lieu de travail (BIT, 1996). Ce document aborde de nombreuses considérations déthique à prendre en compte pour traiter les questions liées à lalcoolisme et à la toxicomanie sur le lieu de travail. Il est particulièrement utile comme texte de référence, car il contient des recommandations pratiques sur la façon de prendre en charge les problèmes dalcool et de drogue dans un contexte de relation demploi.
Au cours de ces dix dernières années, des codes déthique destinés aux professionnels de la santé au travail ont été adoptés dans un certain nombre de pays. Ce sont des documents distincts des codes déthique destinés aux médecins généralistes. Plusieurs raisons expliquent un intérêt croissant pour les problèmes déthique en santé au travail aux niveaux national et international.
Parmi elles figure une meilleure appréciation des responsabilités complexes et parfois contradictoires qui sont celles des professionnels de la santé et de la sécurité au travail vis-à-vis des travailleurs, des employeurs, du public, des autorités compétentes et des autres institutions (santé publique, administration du travail, sécurité sociale et autorités judiciaires). Dautres raisons peuvent aussi expliquer le développement récent de lintérêt pour léthique en santé au travail. Il sagit de laccroissement du nombre des professionnels de la santé et de la sécurité au travail résultant de la mise en place volontaire ou obligatoire de services de santé au travail. Il sagit aussi du développement dune approche multidisciplinaire et intersectorielle impliquant une participation accrue au fonctionnement des services de santé au travail de spécialistes appartenant à des professions différentes.
Dans ce document, lexpression «professionnels de la santé au travail» est utilisée pour désigner les personnes qui par leur profession ont des activités dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, fournissent des prestations dans ce domaine ou sont engagées dans la pratique de la santé au travail, même occasionnellement. De nombreuses disciplines sont concernées par la santé au travail puisque linterface entre la technologie et la santé comporte des aspects techniques, médicaux, sociaux et réglementaires. Les professionnels de la santé au travail comprennent les médecins et le personnel infirmier dentreprise, les inspecteurs du travail dans le domaine de la santé et de la sécurité, les hygiénistes et les psychologues du travail, les spécialistes dans les domaines de lergonomie, de la prévention des accidents et de lamélioration du milieu de travail, ainsi que les spécialistes soccupant de recherche en sécurité et en santé au travail. La tendance est de mobiliser les compétences de ces professionnels de la santé au travail dans le cadre dune approche multidisciplinaire qui peut aller jusquà la constitution dune équipe multidisciplinaire elle aussi.
De nombreuses personnes dautres professions et disciplines peuvent aussi, dans une certaine mesure, être impliquées dans la pratique de la santé au travail. Ces professions et disciplines comprennent les domaines techniques de lingénierie, de la chimie, de la toxicologie, de la radioprotection, de lépidémiologie, de la salubrité de lenvironnement, de la sociologie appliquée et de léducation sanitaire. De plus, les autorités compétentes, les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, ainsi que les secouristes, ont un rôle essentiel à jouer et parfois même une responsabilité directe dans la mise en uvre des politiques et des programmes de la santé au travail, bien quils ne soient pas, de par leur profession, des spécialistes en santé au travail. Enfin, de nombreuses autres professions, telles que les juristes, les architectes, les fabricants, les concepteurs, les agents des méthodes, les enseignants dans les écoles techniques, les enseignants des universités et des autres institutions, ainsi que la presse et les médias, ont un rôle important à jouer dans lamélioration des conditions et du milieu de travail.
Le but de tous les professionnels de la santé au travail est de protéger la santé des travailleurs et de promouvoir létablissement et le maintien dun milieu de travail sûr et salubre, ainsi que de promouvoir ladaptation du travail aux capacités des travailleurs en tenant compte de leur état de santé. Une priorité devrait être clairement donnée aux populations vulnérables et aux populations actives les plus défavorisées. La pratique de la santé au travail est essentiellement préventive et devrait aider les travailleurs, individuellement et collectivement, à protéger leur santé au travail. La pratique de la santé au travail devrait ainsi aider les entreprises à assurer des conditions et un milieu de travail sûrs et sains, qui sont des critères dune gestion efficace et caractérisent souvent les entreprises performantes.
Le domaine de la santé au travail est large et couvre la prévention de lensemble des atteintes dorigine professionnelle, des accidents du travail et des maladies liées au travail, y compris les maladies professionnelles, ainsi que tous les effets possibles de linteraction entre le travail et la santé. Il serait souhaitable que, dans toute la mesure possible, les professionnels de la santé au travail soient impliqués dans la conception des équipements, des méthodes et des procédures de sécurité et de santé au travail et quils encouragent à leur tour la participation des travailleurs dans ce domaine. Les professionnels de la santé au travail ont un rôle à jouer dans la promotion de la santé des travailleurs et devraient aider les travailleurs à obtenir et à garder un emploi en dépit des déficiences éventuelles de leur santé ou de leur handicap. Le terme «travailleur» est utilisé ici dans un sens large et couvre lensemble des personnes qui exercent un emploi, y compris les cadres dirigeants et les travailleurs indépendants.
La santé au travail est caractérisée par une approche multidisciplinaire et multisectorielle. Il existe de nombreuses obligations et relations entre les différents intéressés. Il est dès lors important de définir le rôle de ces professionnels de la santé au travail et leurs relations avec les autres professions, avec les autres professionnels de la santé et avec les partenaires sociaux dans le cadre général de la mise en place et du développement des politiques économiques, sociales et de la santé. Il faut pour cela disposer de définitions précises de léthique des professionnels de la santé au travail et des principes qui guident leur attitude professionnelle.
Les missions et les obligations des différents intervenants sont généralement définies par la législation et la réglementation. Chaque employeur est responsable de la santé et de la sécurité des travailleurs quil emploie. Chaque profession a des responsabilités spécifiques en raison de la nature de ses missions. Lorsque des spécialistes de différentes professions ont à travailler ensemble dans le cadre dune approche multidisciplinaire, il est important quils fondent leur action sur des principes communs déthique et quils aient une connaissance de leurs obligations, de leurs responsabilités et des normes respectives de leur exercice professionnel. Les aspects déthique devraient être pris tout particulièrement en compte lorsquil existe des conflits possibles entre différentes obligations en certaines circonstances; il faut citer ici le droit au travail et le droit à la santé, le droit à linformation et le droit à la confidentialité, ainsi que les droits individuels et les droits collectifs.
Un certain nombre des conditions dexécution des missions des professionnels de la santé au travail et les conditions dexercice des services de santé au travail sont fixés par la législation et la réglementation. Un des principes fondamentaux de lexercice correct de la santé au travail est une indépendance professionnelle complète, cest-à-dire que les professionnels de la santé au travail doivent jouir dune indépendance dans lexercice de leurs missions qui leur permette de formuler leurs jugements et de donner leurs conseils pour la protection de la santé des travailleurs et pour leur sécurité au sein de lentreprise selon leurs connaissances et leur conscience professionnelles.
Il existe des principes de base pour une pratique acceptable de la santé au travail; ces conditions sont parfois fixées par la réglementation nationale et comprennent notamment le libre accès aux lieux de travail, la possibilité de faire des prélèvements en vue de lévaluation du milieu de travail, de procéder à des analyses des postes, de participer aux enquêtes après accident, ainsi que la possibilité de consulter lautorité compétente sur la mise en uvre des normes de la sécurité et de la santé au travail dans lentreprise. Les professionnels de la santé au travail devraient bénéficier dun budget leur permettant de sacquitter de leurs fonctions selon la bonne pratique et les normes professionnelles les plus élevées. Cela devrait inclure un personnel suffisant, la formation et le recyclage, des mesures dappui et un accès aux informations nécessaires ainsi quà un niveau adéquat de la direction des entreprises.
Ce code établit les principes généraux déthique pour lexercice de la santé au travail. Des dispositions plus détaillées sur des aspects particuliers peuvent être trouvées dans les codes nationaux déthique ou dans les directives élaborées pour certaines professions. Les références dun certain nombre de documents relatifs à léthique en santé au travail sont mentionnées à la fin de ce document1. Les dispositions de ce code ont pour but de servir de guide à ceux qui exercent des activités dans le domaine de la santé des travailleurs et coopèrent afin daméliorer le milieu et les conditions de travail. Lobjectif de ce document est de contribuer au développement de règles déthique et de principes pour des attitudes professionnelles communes lors dun travail en équipe et pour une approche multidisciplinaire en santé au travail.
1 Ces références ne sont pas reproduites à la fin du présent chapitre.
La préparation de ce code déthique a été débattue par le Conseil dadministration de la Commission internationale de la santé au travail (CIST) à Sydney en 1987. Un avant-projet fut distribué à Montréal et fut lobjet dune série de consultations qui eurent lieu à la fin de 1990 et au début de 1991. Le Code déthique pour les professionnels de la santé au travail a été adopté par le Conseil dadministration le 29 novembre 1991. Ce document sera revu périodiquement. Les commentaires susceptibles de laméliorer peuvent être adressés au Secrétaire général de la Commission internationale de la santé au travail.
Les trois paragraphes suivants résument les principes sur lesquels repose le Code international déthique pour les professionnels de la santé au travail préparé par la CIST.
Lexercice de la santé au travail doit être mené selon les normes professionnelles et les principes éthiques les plus rigoureux. Les professionnels de la santé au travail sont au service de la santé et du bien-être des travailleurs, aussi bien individuellement que collectivement. Ils contribuent aussi à la salubrité de lenvironnement et à la santé publique.
La protection de la vie et de la santé du travailleur, le respect de la dignité humaine et la promotion des principes déthique les plus élevés dans les politiques et les programmes de santé au travail font partie des obligations des professionnels de la santé au travail. Lintégrité dans lattitude professionnelle, limpartialité et la protection de la confidentialité des données de la santé et de la vie privée des travailleurs font aussi partie de ces obligations.
Les professionnels de la santé au travail sont des experts qui doivent jouir dune indépendance professionnelle totale dans lexercice de leurs missions. Ils doivent acquérir et entretenir les compétences nécessaires pour cet exercice et ils doivent exiger les conditions qui leur permettent de sacquitter de leurs tâches selon la bonne pratique et léthique professionnelle.
(Cet article reproduit le Code officiel de la CIST.)