La plupart des gens croient savoir ce quest une personne handicapée et sont certains de pouvoir la reconnaître soit de par la nature apparente de son incapacité, soit parce quils constatent un état médical particulier quil est convenu dappeler ainsi. Il est cependant moins facile de définir ce que recouvre exactement le terme handicap. Selon une idée largement répandue, une personne handicapée est moins apte à effectuer toute une série dactivités. En fait, le terme handicap sert en général à désigner une réduction ou une déviation par rapport à la norme, une déficience que la société doit prendre en compte. Dans la plupart des langues, les termes désignant les handicaps renferment les notions de moindre valeur, dincapacité, de restriction, de privation, de déviation. Ce sont de tels concepts qui font apparaître le handicap comme un problème exclusivement lié à la personne concernée et cest pour cette raison que les problèmes inhérents à la présence dun handicap sont considérés comme étant plus ou moins communs à toutes les situations.
Il est vrai quun handicap peut affecter à des degrés différents la vie dune personne ou ses relations avec sa famille et la collectivité. Celui ou celle qui en est porteur vit en fait son handicap comme une réalité qui lisole des autres et qui a un effet négatif sur la façon dont la vie est organisée.
Cependant, la signification et limpact du handicap changent sensiblement selon que lenvironnement et le public, par leurs attitudes, sy adaptent ou non. Par exemple, dans un contexte donné, la personne qui se déplace en fauteuil roulant se trouve dans un état de totale dépendance et, dans un autre contexte, elle sera autonome et active comme tout un chacun.
En conséquence, limpact dun prétendu dysfonctionnement dépend de lenvironnement, et le handicap est donc un concept social et non seulement lattribut dun individu. Il sagit aussi dun concept composé déléments de nature très différente, ce qui rend la recherche dune définition homogène quasiment impossible.
Malgré les nombreuses tentatives visant à donner une définition générale du handicap, le problème reste entier: comment déterminer ce qui caractérise la personne qui en est frappée et le profil des personnes entrant dans cette catégorie? Par exemple, si on définit le handicap comme un dysfonctionnement, comment classer celui ou celle qui, malgré une grave déficience, est pleinement opérationnel? Linformaticien aveugle occupant un emploi rémunéré qui a réussi à régler ses problèmes de transport, à trouver un logement adapté et à fonder une famille est-il encore une personne handicapée? Le boulanger qui ne peut plus exercer sa profession à cause dune allergie à la farine doit-il être classé parmi les demandeurs demploi handicapés? Quelle est donc la signification réelle du handicap?
Afin de mieux comprendre ce terme, il convient tout dabord de le distinguer dautres concepts proches que lon confond souvent avec le handicap. Le malentendu le plus courant consiste à penser que handicap équivaut à maladie. Les personnes handicapées sont souvent définies par opposition aux sujets en bonne santé et, par conséquent, décrites comme ayant besoin de laide des professionnels de la santé. Les personnes handicapées ont toutefois besoin, comme tout le monde, dune aide médicale, mais uniquement en cas de maladie aiguë. Même lorsque le handicap résulte dune maladie de longue durée ou chronique, comme le diabète ou une maladie cardiaque, ce nest pas la maladie elle-même, mais ses conséquences sociales, dont il sera question ici.
Une autre confusion très courante consiste à ramener le handicap à létat médical qui en est lune des causes. Par exemple, des listes ont été établies pour classer les personnes handicapées par type de «handicap»: cécité, malformations physiques, surdité, paraplégie. Ces listes sont importantes pour déterminer qui doit être considéré comme une personne handicapée, si ce nest que lemploi du terme handicap est impropre, car on le confond avec déficience.
Plus récemment, des efforts ont été entrepris pour décrire le handicap comme une difficulté à accomplir certains types de fonctions. Ainsi, une personne handicapée serait quelquun dont la capacité à exercer son rôle dans un ou plusieurs domaines clés communication, mobilité, dextérité et vitesse est affectée. Une fois encore, le problème vient de ce que lon établit un lien direct entre la déficience et la perte de fonction qui en découle sans tenir compte de lenvironnement et, notamment, des technologies susceptibles de compenser la perte fonctionnelle et, donc, de la rendre insignifiante. Considérer le handicap comme leffet fonctionnel de la déficience sans prendre en compte la dimension environnementale revient à imputer tout le problème à la seule personne handicapée: cette définition reste conforme à la tradition qui consiste à le considérer comme une déviation par rapport à la norme et qui néglige tous les autres facteurs individuels et sociétaux qui, ensemble, constituent le phénomène.
Est-il possible de dénombrer les personnes handicapées? Cela pourrait se faire dans un système qui appliquerait des critères précis pour déterminer qui est frappé dune déficience suffisante pour être classé comme handicapé. La difficulté consiste à établir des comparaisons entre des systèmes ou des pays qui appliquent des critères différents. Quelles personnes vont être dénombrées? Au sens strict, les recensements et les enquêtes qui entreprennent détablir des données sur le handicap ne peuvent retenir que les individus qui indiquent eux-mêmes quils ont une déficience ou une limitation fonctionnelle à mettre sur le compte dune déficience, ou qui pensent quils sont dans une situation désavantagée de ce fait. Contrairement au sexe et à lâge, le handicap nest pas une variable statistique clairement définissable, mais un terme ouvert à interprétation en fonction du contexte. Par conséquent, les données relatives au handicap ne peuvent fournir que des approximations et doivent être traitées avec la plus grande prudence.
Cest pourquoi le présent article ne constitue pas une nouvelle tentative de donner une définition universelle du handicap, ou de traiter celui-ci comme lattribut dun individu ou dun groupe. Il se propose de sensibiliser le lecteur à la relativité et à lhétérogénéité de ce terme et de lui faire comprendre les influences historiques et culturelles qui ont modelé la législation et les mesures prises en faveur des personnes reconnues comme étant handicapées. Cette sensibilisation est la condition préalable à la réussite de lintégration de la personne handicapée sur son lieu de travail. Elle permettra de mieux comprendre les conditions qui doivent être mises en place pour permettre au travailleur handicapé de devenir un membre utile de la main-duvre au lieu de se voir refuser un emploi ou attribuer une pension. Le handicap est présenté ici comme gérable, à condition quon réponde aux besoins de la personne qui en est frappée, par exemple en matière de formation complémentaire ou de fourniture daides techniques, et quon adapte le lieu de travail.
Au niveau international, les organisations de personnes handicapées ont lancé un vif débat en vue délaborer une définition non discriminatoire du handicap. Selon une idée qui fait son chemin, il y a handicap lorsquon constate ou quon prévoit un désavantage social ou fonctionnel particulier lié à une déficience. La question est de savoir comment prouver que le désavantage nest pas le résultat naturel de la déficience, mais quil pourrait être évité, et quil est dû à un échec de la société face aux mesures à prendre pour supprimer les obstacles physiques. Ce débat, qui reflète essentiellement le point de vue des personnes handicapées à mobilité réduite, risque davoir une conséquence indésirable: lEtat pourrait supprimer les dépenses en leur faveur, par exemple les prestations dinvalidité ou les mesures spéciales, pour affecter les sommes économisées à la seule amélioration de lenvironnement.
Quoi quil en soit, ce débat, toujours en cours, montre bien la nécessité de trouver une définition du handicap qui reflète sa dimension sociale sans sacrifier la spécificité du désavantage fondé sur une déficience, et sans perdre sa qualité de définition opérationnelle. La définition ci-après essaie den tenir compte. Ainsi, le handicap peut être décrit comme leffet, déterminé par lenvironnement, dune déficience qui, en interaction avec dautres facteurs et dans un contexte social donné, risque dêtre source dun désavantage injuste dans la vie privée, sociale ou professionnelle dun individu. Lexpression «déterminé par lenvironnement» signifie que plusieurs facteurs influent sur leffet de la déficience, notamment les mesures préventives, correctives et compensatoires, ainsi que les solutions technologiques et laménagement.
Cette définition reconnaît que, dans un environnement différent qui dresse moins dobstacles architecturaux, la même déficience pourrait ne pas avoir de conséquence significative et, de ce fait, ne pas conduire à un handicap. Elle met laccent sur la dimension corrective par rapport à un concept qui prend le handicap comme un fait incontournable et qui cherche simplement à améliorer les conditions de vie des personnes qui en sont frappées. En même temps, elle continue de justifier les mesures compensatoires, comme les prestations en espèces, parce que, malgré la reconnaissance dautres facteurs, le désavantage reste spécifiquement lié à la déficience, que celle-ci soit le résultat dun dysfonctionnement de la personne ou dattitudes négatives de la collectivité.
Toutefois, un grand nombre de personnes handicapées verraient leurs activités fortement limitées même si elles se trouvaient dans un environnement idéal et compréhensif. Dans ce cas, le handicap réside essentiellement dans la déficience et non dans lenvironnement. Les améliorations apportées à lenvironnement peuvent réduire de manière significative la dépendance et les restrictions, mais il nen restera pas moins vrai que, pour bon nombre de grands handicapés (ce qui ne veut pas dire atteints dune grave déficience), la participation à la vie sociale et professionnelle continuera dêtre limitée. Cest pour ces groupes de personnes en particulier que la protection sociale et les mesures visant à améliorer leur situation continueront de jouer un rôle plus important que lobjectif de pleine intégration au travail qui, si elle a lieu, est souvent due à des raisons sociales plutôt quéconomiques.
Cela ne signifie pas que les personnes définies comme étant de grands handicapés devraient mener une vie à lécart et que leurs limitations devraient être des motifs de ségrégation et dexclusion de la vie de la collectivité. Si la plus grande prudence est ici de rigueur, cest parce quil est courant que la personne ainsi identifiée et cataloguée fasse lobjet de mesures administratives discriminatoires.
Quoi quil en soit, le concept de handicap est ambigu et prête à confusion et il pourrait être à lorigine de lexclusion sociale des personnes qui en sont frappées. En effet, dune part, nombreux sont ceux qui font campagne avec le slogan selon lequel être porteur dun handicap ne signifie pas être incapable; dautre part, tous les systèmes de protection existants reposent sur lidée que le handicap est synonyme dincapacité à gagner sa vie de façon autonome. La réticence de nombreux employeurs à engager des personnes handicapées est peut-être fondée sur cette contradiction fondamentale. Pour y répondre, il faut rappeler que les personnes handicapées ne constituent pas un groupe homogène et quil faudrait examiner chaque cas séparément et sans préjugés. Mais il est vrai que le handicap à la fois interdit dexercer une fonction selon la norme ou permet de lexercer aussi bien, voire mieux, que dautres si on en a la possibilité et si on reçoit le type de soutien adéquat.
Il est évident que le concept de handicap décrit ci-dessus appelle une révision du fondement des politiques en la matière: on peut trouver des sources dinspiration sur la façon de moderniser les politiques et les programmes en faveur des personnes handicapées dans la convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983) et les Règles pour légalisation des chances des handicapés (Nations Unies, 1993).
Les paragraphes suivants sont consacrés à létude et à la description des différentes dimensions du concept de handicap qui influence les lois et la pratique actuelles. Nous démontrerons que différentes définitions coexistent, reflétant les divers héritages culturels et politiques à travers le monde, sans pour autant laisser espérer la possibilité de trouver une définition universelle unique comprise de la même manière par tous.
Jusquà présent, la plupart des efforts entrepris pour définir le handicap nont pas échappé, dune façon ou dune autre, à la tentation de le décrire comme un phénomène essentiellement négatif ou une déviation. Lêtre humain porteur dun handicap est perçu comme un problème, constitue un «cas social» et est tenu pour incapable de poursuivre des activités normales: cest une personne chez qui tout ne fonctionne pas bien. Une abondante littérature scientifique dépeint les personnes handicapées comme ayant un problème comportemental et, dans un grand nombre de pays, la «science des anomalies» était et est encore une science reconnue pour savoir mesurer le degré de déviation.
En général, les personnes porteuses dun handicap récusent elles-mêmes une telle étiquette. Dautres se résignent à tenir le rôle quon leur assigne. Cette classification ne tient pas compte du fait que les personnes handicapées ont beaucoup plus de points communs que de différences avec les individus valides. De plus, lidée sous-jacente que le handicap est une déviation par rapport à la norme est un jugement de valeur contestable. Ces considérations ont amené à préférer le terme personnes porteuses de handicap à celui de personnes handicapées, car ce dernier pourrait laisser penser que le handicap est la caractéristique première de la personne concernée.
On peut parfaitement concevoir une définition de la réalité humaine et sociale conciliant normalité et handicap au lieu de considérer ce dernier comme une déviation par rapport à la normalité. En fait, la Déclaration adoptée en 1995 par les chefs dEtat et de gouvernement lors du Sommet mondial des Nations Unies sur le développement social qui sest tenu à Copenhague, décrit le handicap comme lune des formes de pluralisme social. Cette définition revendique le principe dune «société pour tous». De ce fait, toutes les tentatives antérieures de définition qui se bornaient à donner du handicap une image négative le présentant comme une déviation par rapport à la norme, ou comme une déficience, sont obsolètes. Une société qui sadapte aux personnes handicapées en les intégrant pourrait combattre les conséquences du handicap perçues autrefois comme trop restrictives.
Même si cette étiquette risque dappeler ségrégation et discrimination, les raisons de conserver lusage du terme «handicap» et de regrouper des individus dans cette catégorie restent valables. Selon les observations, on ne peut nier que de nombreuses personnes porteuses de handicap vivent des expériences similaires, le plus souvent négatives, englobant la discrimination, lexclusion et la dépendance économique ou sociale. Il existe, de fait, une classification dêtres humains en tant que handicapés parce que certains types de comportements sociaux négatifs ou critiques semblent fondés sur cette caractéristique. Inversement, lorsque des efforts sont entrepris pour combattre cette discrimination, il devient alors nécessaire de préciser quels devraient être les bénéficiaires de ces mesures de protection.
Cest en réaction à la façon dont la société traite les personnes porteuses de handicap que nombre dentre elles, qui, dune façon ou dune autre, ont été victimes de discrimination en raison de leur état, se sont rassemblées en associations. Leur démarche sexplique, dune part, par le mieux-être ressenti au milieu de gens qui partagent la même situation et, dautre part, par la volonté dune défense commune de leurs intérêts. Les personnes handicapées acceptent donc leur condition, même si leurs motivations divergent: les unes veulent inciter la société à considérer leur handicap non pas comme lapanage dindividus isolés, mais plutôt comme la résultante du comportement et de lindifférence dune partie de la communauté qui restreint à lexcès leurs droits et leurs chances; les autres, parce quelles reconnaissent leur handicap et revendiquent le droit à la reconnaissance et au respect de leur différence, ce qui implique la lutte pour légalité de traitement.
Toutefois, la plupart des personnes atteintes, à cause dune déficience, de limitations fonctionnelles sous une forme ou une autre, semblent ne pas se considérer comme étant handicapées. Cette attitude crée un problème que les responsables des politiques en la matière ne doivent pas sous-estimer. Par exemple, les personnes qui ne se considèrent personnellement pas comme handicapées doivent-elles être recensées dans cette catégorie ou ne faut-il y inscrire que les personnes qui se déclarent porteuses dun handicap?
Dans de nombreuses collectivités, les définitions du handicap se retrouvent dans un acte administratif le reconnaissant comme tel. La reconnaissance de ce statut devient ainsi la condition sine qua non pour toute demande dassistance fondée sur la diminution des capacités physiques ou mentales, ou pour tout recours aux termes dune loi interdisant la discrimination. Lassistance peut consister en mesures de réadaptation, déducation spéciale, de reconversion professionnelle, davantages concédés pour la recherche et la conservation dun emploi, de garantie des ressources par un revenu, de prestations dinvalidité et daide à la mobilité, etc.
Chaque fois que des dispositions légales cherchent à réparer ou à prévenir des préjudices, il faut préciser quels en seront les bénéficiaires, quil sagisse de prestations, de services ou de mesures de protection. Il sensuit que la définition du handicap dépend du type de services offerts ou de réglementation applicable: pratiquement toute définition en usage reflète ainsi un système juridique particulier et tire son sens de ce dernier. Etre reconnu comme une personne handicapée signifie que lon remplit les conditions nécessaires pour bénéficier des possibilités quoffre ce système. Ces conditions peuvent toutefois varier selon les collectivités et les programmes et, par conséquent, un grand nombre de définitions différentes peuvent coexister dans un même pays.
La meilleure preuve que la définition du handicap est déterminée par la législation est fournie par des pays tels que lAllemagne et la France où la réglementation introduit un quota réglementaire demplois réservés aux personnes handicapées ou la perception damendes en cas dinfraction, afin dassurer laccès à lemploi. Ces dispositions ont eu pour conséquence manifeste une augmentation massive du nombre de travailleurs «handicapés» qui sexplique uniquement par une notification officielle des salariés souvent incités par lemployeur qui, en labsence dune telle législation, nauraient jamais envisagé de se déclarer. Ces personnes navaient jamais figuré dans les statistiques sur les personnes handicapées.
Une autre différence juridique entre les pays est la prise en considération du handicap, en fonction de sa nature temporaire ou permanente. Certains pays accordent aux personnes handicapées des avantages ou des privilèges spécifiques qui sont fonction de la durée de lincapacité reconnue. Si celle-ci est surmontée par les mesures prises, la personne handicapée perd ses privilèges que la réalité médicale le constituant (par exemple, la perte dun il ou dun membre) persiste ou non. Ainsi, une personne qui, au terme dune réadaptation réussie, a recouvré ses capacités fonctionnelles perdues risque de perdre ses droits aux prestations dinvalidité, voire de ne même pas pouvoir bénéficier dun quelconque régime de prestations.
Dans dautres pays, des privilèges durables sont accordés pour compenser des handicaps réels ou hypothétiques. Cette pratique a débouché sur le développement dun véritable statut de la personne handicapée intégrant des éléments de «discrimination positive». Ces privilèges sont souvent accordés à des personnes qui, ayant réussi leur intégration sociale et économique, pourraient désormais sen passer.
Formuler une définition du handicap applicable universellement est impossible, car chaque pays, et pratiquement chaque organisme administratif, travaille sur des concepts différents. Toute tentative de recensement statistique doit tenir compte du fait que le handicap est une notion relative puisquelle dépend du système en place.
Par conséquent, seul le bénéficiaire averti des dispositions officielles et ayant accepté son statut de personne handicapée conformément aux définitions légales, apparaît dans les statistiques les plus récentes. Celui qui ne se perçoit pas comme porteur dun handicap et qui se tire daffaire tout seul échappe habituellement aux statistiques. En réalité, dans de nombreux pays, comme le Royaume-Uni, beaucoup de personnes handicapées évitent le recensement statistique. Ce droit de ne pas être déclaré comme porteur dun handicap est conforme aux principes de la dignité de la personne humaine.
Des efforts sont donc entrepris de temps à autre pour déterminer par des enquêtes et des recensements le nombre total des personnes handicapées. Comme nous lavons déjà avancé, ces efforts butent contre des obstacles conceptuels objectifs qui interdisent pratiquement la comparaison des données entre les différents pays. On peut sinterroger notamment sur la valeur de ces enquêtes: en effet, il nest pas possible de donner une définition du handicap qui serait constituée par des constatations objectives également applicables et comprises dans tous les pays. Ainsi, le faible nombre de personnes porteuses de handicap statistiquement enregistrées dans certains pays ne reflète pas nécessairement la réalité, mais plutôt le fait que ces pays offrent moins de services et de mesures réglementaires en faveur des personnes handicapées. A linverse, les pays qui offrent une protection sociale étendue et un bon système de réadaptation professionnelle, ont tendance à avoir un pourcentage élevé de personnes handicapées.
On ne saurait attendre de résultats objectifs sur le plan des comparaisons quantitatives. De même, il ny a aucune uniformité dinterprétation du point de vue qualitatif. Encore une fois, le contexte particulier et lintention du législateur définissent le handicap. Ainsi, les efforts entrepris pour garantir une protection sociale aux personnes handicapées exigent quelles soient qualifiées dincapables de gagner leur vie. A lopposé, une politique sociale se fixant comme objectif lintégration professionnelle tend à décrire le handicap comme un état qui, à laide de mesures appropriées, ne doit pas nécessairement avoir deffets préjudiciables sur le rendement.
Les considérations précédentes sous-tendent également la définition-cadre utilisée dans la convention (no 159) concernant la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983). Larticle 1.1 dispose: «Aux fins de la présente convention, lexpression personne handicapée désigne toute personne dont les perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable ainsi que de progresser professionnellement sont sensiblement réduites à la suite dun handicap physique ou mental dûment reconnu».
Cette définition contient les principes suivants: la référence à une déficience mentale ou physique comme cause première du handicap; la nécessité dune procédure officielle de reconnaissance qui en accord avec les conditions nationales détermine qui devrait être considéré comme une personne handicapée; lestimation du handicap, non sur la base de la déficience elle-même, mais en fonction de ses conséquences sociales possibles et réelles (en loccurrence, une situation plus difficile sur le marché du travail); le droit aux mesures visant à assurer légalité de traitement sur le marché du travail (art. 1.2). Cette définition évite sciemment toute association avec des concepts comme lincapacité et laisse la place à une interprétation du handicap selon laquelle il peut aussi résulter dune discrimination consciente ou inconsciente née dopinions erronées de lemployeur. Dun autre côté, cette définition nexclut pas la possibilité que le handicap puisse déboucher sur une réduction objective du rendement et ne précise pas si le principe du traitement égal dont le respect est présent dans la convention est applicable dans ce cas.
La définition donnée par la convention internationale du travail ne se prétend pas globale et universelle. Son seul but est de clarifier la notion de handicap dans le cadre des mesures pour lemploi et le travail.
La Classification internationale des handicaps: déficiences, incapacités et désavantages (CIDIH) de lOrganisation mondiale de la santé (OMS, 1980) propose une définition du concept de handicap dans le domaine des politiques de santé qui distingue les déficiences, les incapacités et les désavantages:
Les nouveaux aspects distinctifs de cette différenciation conceptuelle ne reposent pas sur son approche épidémiologique traditionnelle et son instrument de classification, mais plutôt sur lintroduction du concept de handicap, envisagé comme un appel aux responsables de la politique de santé publique pour quils réfléchissent aux conséquences sociales de déficiences spécifiques sur une personne atteinte et considèrent le traitement comme relevant dun concept holistique de la vie.
La clarification de lOMS était devenue particulièrement nécessaire en raison de lassimilation courante faite entre les mots déficience ou incapacité, et les concepts dinfirme, de retardé mental, etc., qui véhiculent une image exclusivement négative du handicap aux yeux du public. Une catégorisation de ce genre ne convient pas, en fait, à une définition précise de la situation concrète dune personne atteinte et de sa situation dans la société. La terminologie de lOMS est depuis devenue une référence dans toute discussion sur le concept de handicap sur le plan national et international. Nous allons donc prendre le temps de réfléchir à ces définitions.
Déficience. Les médecins utilisent généralement ce concept pour désigner chez un individu une lésion existante ou évolutive des fonctions physiques ou du processus vital affectant une ou plusieurs parties de lorganisme ou indiquant une altération, une perte ou un défaut dune structure ou dune fonction psychologique, mentale ou émotionnelle à la suite dune maladie, dun accident ou dune anomalie congénitale ou génétique. Une déficience peut être temporaire ou permanente. Dans cette catégorie, on ne tient aucunement compte des influences du milieu professionnel ou social ou de lenvironnement en général. Ici, seule compte lévaluation par le médecin de létat de santé ou de la déficience du patient, indépendamment des conséquences que la déficience engendre pour cette personne.
Incapacité. Lorsquune telle déficience provoque une limitation importante de la vie active des personnes concernées, on utilise généralement le terme dincapacité. Des dérèglements fonctionnels de lorganisme, comme des troubles psychologiques ou des dépressions nerveuses, peuvent entraîner des incapacités plus ou moins graves ou avoir des conséquences négatives sur laccomplissement de certaines tâches ou de certains actes de la vie quotidienne. Ces effets peuvent être temporaires ou permanents, réversibles ou non, stables ou progressifs après traitement. Le concept médical d«incapacité» désigne donc une limitation fonctionnelle des capacités individuelles résultant directement ou indirectement dune déficience physique, mentale ou psychologique. Lincapacité reflète surtout la situation personnelle de lindividu qui en est frappé. Cependant, comme les conséquences personnelles de lincapacité dépendent de lâge, du sexe, de la position sociale et professionnelle, etc., le même trouble fonctionnel peut très bien avoir des conséquences différentes selon les individus.
Désavantage. Dès que des personnes présentant des déficiences physiques ou mentales entrent dans leur milieu social, professionnel ou privé, elles peuvent se heurter à des difficultés qui constituent un désavantage ou un handicap dans leurs relations avec autrui.
Le premier projet de la CIDIH définissait le handicap comme un désavantage qui apparaît à la suite dune «déficience» ou dune «incapacité» et qui limite laccomplissement de ce qui est considéré comme un rôle «normal». Cette définition, fondée exclusivement sur la situation individuelle de la personne atteinte, sest depuis lors heurtée à des critiques, parce quelle ne tient pas suffisamment compte du rôle de lenvironnement et de lattitude de la société qui sont à lorigine de désavantages. Une définition prenant en considération ces critiques devrait faire apparaître la relation entre la personne handicapée et les multiples obstacles environnementaux, culturels, physiques ou sociaux, quune société qui reflète lattitude des gens valides tend à dresser contre cette personne. Cela étant, la catégorie des «handicaps» comprend tout désavantage affectant la vie de linvidu: il peut être dû non à une déficience ou à une incapacité, mais bien à des attitudes négatives ou à un rejet au sens large. De plus, toute mesure prise en faveur des personnes handicapées et visant à améliorer leur situation, par exemple en les aidant à participer pleinement à la vie et à la société, devrait contribuer à prévenir le «handicap». Ainsi, le désavantage ne résulte pas directement dune déficience ou dune incapacité existante, mais est le produit dune interaction entre un individu frappé dincapacité, son milieu social et son environnement immédiat.
Par conséquent, ce serait une erreur de penser demblée quune personne qui présente une déficience ou qui est frappée dincapacité est automatiquement aussi porteuse dun handicap. Nombreux sont les handicapés qui, malgré les limitations imposées par leur incapacité, réussissent leur vie professionnelle. Par ailleurs, on ne saurait attribuer tous les handicaps ou désavantages à une incapacité. Ils peuvent aussi découler dune éducation insuffisante qui peut être liée ou non à lincapacité.
Ce système de classification hiérarchisé déficience, incapacité et désavantage trouve également son équivalent dans les différentes phases de la réadaptation lorsque, par exemple, le traitement curatif est suivi par une réadaptation visant à réduire les limitations fonctionnelles et psychosociales, et complété par une réadaptation professionnelle ou une formation visant à assurer une existence autonome.
Cest pourquoi lévaluation objective du degré dincapacité au regard de ses conséquences sociales (désavantage) ne peut pas sappuyer uniquement sur des critères médicaux, mais doit également tenir compte du contexte professionnel, social et personnel et, tout particulièrement, de lattitude des personnes valides de lentourage. Doù lextrême difficulté dévaluer et détablir sans conteste un diagnostic dincapacité.
La règle veut que lincapacité soit établie par une autorité nationale compétente sur la base des conclusions tirées après examen de chaque cas individuel. Cest pourquoi la reconnaissance du statut de handicapé joue un rôle prépondérant lorsque, par exemple, la constatation dune incapacité permet de revendiquer des droits personnels et des prestations légales spécifiques. Le premier intérêt dune définition juridiquement fondée du concept dincapacité est de sappuyer sur des raisons non pas médicales, de réadaptation ou statistiques, mais juridiques.
Dans beaucoup de pays, les personnes dont lincapacité est reconnue peuvent prétendre à de nombreux services et à des mesures réglementaires dans des domaines spécifiques de politiques de santé ou sociales. En règle générale, de telles réglementations ou prestations servent à améliorer leur situation personnelle et les aident à surmonter les difficultés rencontrées. La garantie de ces prestations passe par la reconnaissance officielle de lincapacité en vertu des dispositions réglementaires respectives.
Ces définitions varient énormément dun Etat à lautre. Nous nous limiterons ici à quelques cas afin dillustrer la diversité, mais aussi le caractère contestable de nombreuses définitions. Comme notre propos nest pas de débattre de modèles juridiques spécifiques, nous nindiquerons pas les sources des citations et nous ne porterons pas non plus de jugement sur les définitions qui paraissent préférables à dautres. Voici quelques exemples de définitions nationales des personnes handicapées:
La multitude de définitions légales qui se complètent ou sexcluent en partie montre que les définitions sont surtout bureaucratiques et servent des objectifs administratifs. Aucune des définitions énumérées nest pleinement satisfaisante, et toutes soulèvent plus de questions quelles nen résolvent. Sauf rares exceptions, la plupart dentre elles sorientent vers la représentation dune déficience individuelle et laissent dans lombre la corrélation entre lindividu et son environnement. Ce qui, dans la réalité, reflète une relativité complexe se trouve ramené à une quantification apparemment tranchée et stable dans un contexte administratif. Des définitions aussi simplifiées tendent alors à avoir une vie propre et contraignent fréquemment les personnes à accepter un statut conforme à la loi, mais pas nécessairement à leur propre potentiel et à leurs aspirations.
La règle veut que les individus auxquels on reconnaît le statut de handicapés puissent bénéficier de mesures de rééducation médicale et de réadaptation professionnelle, ou de prestations financières spécifiques. Outre ces mesures sociopolitiques, certains pays accordent également des aides et privilèges, ainsi que des mesures de protection spéciales. Pêle-mêle on trouve, par exemple: un principe légal de légalité de chances pour lintégration sociale et professionnelle; un droit légal à laide nécessaire pour assurer légalité des chances; un droit constitutionnel à léducation et à lintégration professionnelle; la poursuite de la formation professionnelle et le placement en emploi; une assurance constitutionnelle dune aide accrue pour ceux qui ont besoin du secours spécial de lEtat. Certains pays, se fondant sur légalité totale de chances entre tous les citoyens et en toutes circonstances, ont adopté ce principe comme objectif, sans juger nécessaire de légiférer sur les problèmes particuliers des personnes handicapées au moyen de lois spécifiques à leur intention. Ces pays sabstiennent habituellement de définir lincapacité.
La définition de lincapacité dans le domaine de lintégration professionnelle diffère de celle qui prévaut pour létablissement des droits à pension et des avantages et met laccent sur la possibilité de la prévenir et den corriger les effets. Lobjet de ces définitions est de supprimer, par des mesures de réadaptation et des politiques actives du marché du travail, sinon lincapacité elle-même, du moins les désavantages professionnels qui sy rattachent. Lintégration professionnelle des personnes handicapées est encouragée par lattribution dune aide financière, ladoption de mesures concernant la formation professionnelle et laménagement du lieu de travail en fonction des besoins spéciaux du travailleur handicapé. Une fois encore, les pratiques varient fortement dun pays à lautre. Les prestations offertes vont dune allocation relativement faible et à court terme à des mesures de réadaptation de longue durée.
La plupart des Etats misent relativement beaucoup sur le développement de la formation professionnelle des personnes handicapées; elle peut être dispensée dans des centres ordinaires ou spécialisés gérés par des institutions publiques ou privées, de même que dans des entreprises ordinaires. La préférence accordée à lune ou lautre des possibilités diffère selon les pays. Il arrive que la formation professionnelle soit assurée dans un atelier protégé, ou directement sur un poste de travail réservé à un travailleur handicapé.
Comme les conséquences financières de ces mesures peuvent être lourdes pour le contribuable, la reconnaissance dune incapacité a une grande portée. Pourtant, lenregistrement est souvent effectué par un service différent de celui qui administre le programme de réadaptation professionnelle et qui prend en charge son coût.
Lorsque lobjectif de la réadaptation professionnelle est de surmonter les éventuels effets négatifs de lincapacité, la législation en la matière admet largement que lintégration professionnelle et sociale des personnes handicapées passe parfois par ladoption de mesures de protection sociales accrues. On saccorde aussi à reconnaître que, généralement, lincapacité présente un risque permanent dexclusion sociale indépendant de lexistence dune anomalie fonctionnelle réelle. Constatant cette menace permanente, les législateurs ont adopté une série de mesures de protection et daccompagnement.
Ainsi, dans de nombreux pays, les employeurs prêts à embaucher des personnes handicapées dans leurs sociétés peuvent compter que lEtat leur accordera des subventions dun montant et dune durée variables pour les salaires et les contributions de sécurité sociale. En général, un effort est fait pour garantir aux handicapés le même salaire que celui des travailleurs valides. On aboutit ainsi à des situations où, lorsque le salaire versé par lemployeur au travailleur handicapé est inférieur à celui de ses collègues valides, le système de protection sociale prévoit de combler la différence.
De nombreuses mesures, comme des prêts, des garanties demprunt, des taux dintérêt préférentiels, des aides au logement, peuvent également favoriser la création de petites entreprises par des personnes handicapées.
La protection des personnes handicapées contre le licenciement, ainsi que celle de leur droit au réemploi varient selon les pays. Ainsi, certains dentre eux ne disposent daucune législation spéciale concernant leur licenciement; dautres prévoient une commission ou une institution spéciale chargée de décider de la légalité et de la légitimité du licenciement; dautres encore ont prévu des réglementations spéciales destinées aux victimes daccidents du travail, aux grands handicapés et aux salariés en arrêt de travail prolongé pour cause de maladie. La situation légale est similaire pour ce qui est du réengagement des personnes handicapées. Là aussi, certains pays reconnaissent lobligation générale pour une entreprise de conserver lemploi dun travailleur victime daccident ou de le reprendre après sa réadaptation, tandis que dautres nobligent pas les entreprises à les réengager. En outre, certains pays sappuient sur des recommandations et des conventions quant à la façon de procéder en la matière, tandis que dans dautres, la loi garantit à lemployé frappé dune incapacité dorigine professionnelle spécifique la réintégration à son poste précédent ou à un autre poste après rétablissement médical complet.
Comme nous lavons indiqué, les lois prévoient divers types de demandes qui ont des conséquences bien définies sur le concept dincapacité retenu dans le pays. Mais linverse est également vrai: dans les pays qui naccordent pas de droits aux personnes handicapées, il est inutile de définir lincapacité en termes juridiques précis et contraignants. Dans ces cas, on a souvent tendance à réserver le terme de handicapé à des personnes dont lincapacité est visible et manifeste au sens médical à savoir les personnes présentant des déficiences physiques, comme la cécité ou la surdité, ou mentales.
La législation moderne sur lincapacité encore que plus faiblement dans le domaine de la sécurité sociale , retient de plus en plus le principe de la finalité: les législateurs nont pas à soccuper des causes de lincapacité, mais uniquement des besoins qui y sont associés et des résultats définitifs des mesures prises. Néanmoins, le statut social et les demandes des personnes handicapées dépendent souvent de la cause de leur incapacité.
En tenant compte de la cause de lincapacité, les définitions diffèrent non seulement en signification, mais aussi en termes de prestations et dassistance potentielles. Les distinctions les plus importantes touchent les incapacités qui résultent de déficiences physiques, mentales ou psychologiques liées à des anomalies génétiques ou congénitales; les incapacités dues à la maladie et aux accidents domestiques, de la circulation, de sport; les incapacités résultant de lexercice dune profession ou provoquées par lenvironnement; linvalidité due aux guerres civiles et aux conflits armés.
La préférence relative dont bénéficient certains de ces groupes de personnes handicapées est souvent la conséquence de la meilleure couverture que leur accorde le système de sécurité sociale. Parfois, la préférence consentie aux anciens combattants, par exemple, ou aux victimes daccident reflète lattitude dune communauté dont les membres se sentent solidaires de la personne handicapée, tandis que, souvent, lincapacité héréditaire est considérée comme un problème exclusivement familial. Ces attitudes de la société ont souvent des conséquences plus importantes que la politique officielle et peuvent parfois exercer une influence décisive négative ou positive sur le processus de réintégration sociale.
La diversité des situations historiques, juridiques et culturelles rend pratiquement impossible la formulation dun concept de lincapacité unique et applicable à toutes les situations et dans tous les pays. En labsence dune définition commune objective, les statistiques sont souvent fournies par les autorités comme un moyen de tenir les dossiers des usagers et dinterpréter le résultat des mesures prises, ce qui rend une comparaison internationale très difficile, car les systèmes et les conditions varient considérablement dun pays à lautre. Même lorsquil existe des statistiques fiables, il reste toujours le risque que les statistiques comprennent des personnes qui ne sont plus handicapées ou qui, par suite dune réadaptation réussie, ne sont plus désireuses de se considérer comme telles.
Dans la plupart des pays industriels, la définition de lincapacité est surtout liée aux droits reconnus par la loi dans les domaines médical, social et professionnel, à la protection contre la discrimination ou aux prestations en espèces. Ainsi, la plupart des définitions en vigueur reflètent une pratique et des exigences légales qui diffèrent dun pays à lautre. Dans bien des cas, la définition est associée à un acte de reconnaissance officielle du statut de handicapé.
Pour des raisons aussi diverses que lémergence de la législation sur les droits humains et les progrès technologiques, les concepts traditionnels de lincapacité qui conduisaient à des situations dexclusion protégée et de ségrégation perdent du terrain. La conception moderne place le problème à lintersection des politiques sociales et de lemploi. Le handicap relève donc des domaines sociaux et professionnels plutôt que de la médecine. Il appelle des mesures correctives et positives qui garantissent légalité daccès et la participation, plutôt que des mesures passives daide au revenu.
Un certain paradoxe naît de la conception du handicap envisagé, dune part, comme un phénomène que lon peut maîtriser par des mesures positives et, dautre part, comme un phénomène durable qui exige des mesures de protection et damélioration permanentes. De même, la conception du handicap vu essentiellement comme une affaire individuelle de performance ou de limitation des fonctions soppose souvent à celle qui le considère comme un prétexte injustifié dexclusion sociale et de discrimination.
Opter pour une définition globale peut avoir de graves conséquences sociales pour certains individus. Considérer que toutes les personnes handicapées sont aptes au travail reviendrait à supprimer les droits à pension et la protection sociale pour beaucoup dentre elles. Admettre que toutes les personnes handicapées ont un rendement réduit serait fermer à la plupart dentre elles les portes de lemploi. Il faut donc adopter une approche pragmatique qui englobe tous les aspects, toute la diversité dune réalité que le terme ambigu de handicap a tendance à gommer. Cette conception nouvelle prend en compte aussi bien la situation et les besoins spécifiques des personnes handicapées que la possibilité économique et sociale de la suppression des barrières à lintégration.
La suppression des désavantages injustes quentraîne parfois un handicap est un objectif qui ne sera atteint, au mieux, que lorsque se répandra lusage dune définition souple du handicap prenant en compte les circonstances personnelles et sociales spécifiques dun individu et évitant les idées reçues. Une approche au cas par cas de la reconnaissance du handicap simpose donc, notamment lorsque la loi et la réglementation au niveau national prévoient divers droits et prestations, dont ceux qui assurent légalité des chances dans laccès à la formation et à lemploi.
On rencontre encore néanmoins des définitions qui ont des connotations négatives et sont en contradiction avec les concepts dintégration puisquelles insistent sur les effets restrictifs dune déficience. Il faut adopter une nouvelle vision du problème. Laccent devrait être mis sur la reconnaissance des personnes handicapées comme des citoyens ayant des droits et des aptitudes, et sur le fait quil faut leur donner les moyens de prendre en charge leur destin en adultes désireux de participer à la vie sociale et économique de la collectivité.
De même, il faut poursuivre les efforts pour que la société se présente comme une communauté solidaire ne faisant plus du handicap un motif dexclusion de ses concitoyens. Entre lexcès de soins et lindifférence, il devrait exister une conception raisonnable qui nobscurcirait ni ne sous-estimerait les conséquences du handicap. Le handicap peut souvent, mais pas toujours, justifier des mesures spécifiques. Il ne devrait en aucun cas servir de prétexte à la discrimination et à lexclusion sociale.
Le caractère hétérogène du handicap se retrouve dans la diversité des dispositions légales et des prestations que la plupart des pays ont mises en place et codifiées au cours des cent dernières années. On a choisi lexemple de la France, car ce pays possède probablement lun des cadres réglementaires les plus élaborés en matière de classification des handicaps. Le système français peut paraître atypique par rapport à celui de bien dautres pays, mais il présente pour ce qui est de lobjet du présent chapitre toutes les caractéristiques dun système de classification qui sest développé au cours du temps. Cette étude de cas présente donc les questions fondamentales qui doivent être abordées dans tout système accordant aux personnes handicapées des droits pouvant faire lobjet dun recours juridique.
Le vingtième anniversaire de la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a suscité un regain dintérêt à légard des quelque 1,5 à 6 millions de personnes (soit 1/10 de la population) qui, en France, sont atteintes dun handicap. Cette population, dont limportance quantitative est difficile à cerner en raison de limprécision de la définition du handicap, reste encore trop souvent marginalisée dans la collectivité nationale. Malgré les progrès réalisés ces vingt dernières années, la situation des personnes handicapées demeure un problème de société très important. Elle présente, en dehors de ses implications collectives qui mettent en jeu la solidarité nationale, des aspects humains, moraux et affectifs particulièrement douloureux.
Le droit français affirme le principe de légalité des chances et de traitement à légard de cette catégorie de personnes qui possèdent les mêmes libertés et les mêmes droits que les autres citoyens. Mais cette égalité reste purement théorique en labsence daide particulière: tel handicapé, par exemple, ne pourra aller et venir comme nimporte quel autre citoyen sans une adaptation des moyens de transport et des aménagements durbanisme. Pour accéder à cette situation dégalité concrète, les handicapés ont besoin de diverses mesures destinées, non à les privilégier, mais à effacer les désavantages résultant de leur état. Ainsi, lEtat cherche à garantir le traitement équitable en matière déducation, de formation, demploi et de logement par des dispositions légales et des mesures spécifiques. Le principe de légalité de traitement constitue, avec la réparation du handicap, lobjectif prioritaire des politiques sociales en faveur des personnes handicapées.
Néanmoins, en droit français, ces diverses mesures spécifiques (intitulées le plus souvent mesures discriminatoires politiques) ne sont généralement pas accessibles à lensemble des personnes atteintes dun handicap, mais seulement à certaines catégories dentre elles: par exemple, telle allocation, ou telle mesure destinée à favoriser lintégration professionnelle nest accordée quà telle catégorie de handicapés. La diversité des handicaps et des situations des personnes handicapées a entraîné lélaboration de classifications dont dépend, en définitive, le statut de lintéressé, chaque statut comportant sa propre évaluation du handicap.
En France, la classification essentielle des handicaps est établie selon leur origine. Bien évidemment, les classifications selon la nature du handicap (physique, mental ou sensoriel) et selon le degré dinvalidité entraîné par le handicap ne sont pas sans incidence sur le traitement des personnes handicapées: ces classifications sont prises en compte notamment pour déterminer le meilleur type détablissement dont relèvera la personne (établissement de soins ou centre daide au travail) et, aussi, pour déterminer si elle doit bénéficier dun système de protection sur le plan civil (les personnes atteintes dune altération de leurs facultés mentales peuvent être placées sous tutelle ou curatelle). Mais cest dabord la classification fondée sur la nature du handicap qui détermine le statut officiel applicable à la personne handicapée, ainsi que les droits et avantages dont elle pourra bénéficier.
En effet, létude de lensemble de la législation française applicable aux personnes handicapées met en lumière la multiplicité et la complexité des systèmes visant à leur venir en aide; cette pluralité de régimes a des origines historiques, mais elle subsiste aujourdhui encore et pose toujours un problème.
Jusquà la fin du XIXe siècle, laide apportée aux infirmes relève essentiellement dune logique de bienfaisance qui se traduit surtout par leur accueil dans des hospices. Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir se développer une nouvelle approche culturelle et sociale de linfirmité qui donnera naissance aux notions de réadaptation et de réparation. Lindividu a subi un dommage, il faut donc le rétablir, sinon dans sa situation antérieure, du moins dans une situation équivalente. Le développement du machinisme et, de manière corollaire, celui des accidents du travail, puis la grande guerre de 1914-1918 au cours de laquelle un nombre impressionnant de soldats furent blessés à vie, constituent les principaux facteurs du changement des mentalités.
Pour améliorer le système de réparation des accidents du travail, une loi du 9 avril 1898 a supprimé la nécessité pour le salarié de prouver une faute de lemployeur (à qui il demande réparation) et instauré une réparation forfaitaire; plus tard, en 1946, la gestion du risque constitué par les accidents du travail et les maladies professionnelles sera transférée aux caisses de sécurité sociale.
Plusieurs lois ont été adoptées pour réparer les préjudices subis par les blessés et mutilés de la grande guerre:
Les années de lentre-deux-guerres voient naître les premières grandes associations de handicapés civils, notamment la Fédération des mutilés du travail (1921), la Ligue pour ladaptation des diminués physiques au travail (LADAPT) (1929) et lAssociation des paralysés de France (APF) (1933). Sous la pression de ces associations et des syndicats ouvriers, les victimes dun accident du travail, puis lensemble des handicapés civils, vont progressivement bénéficier de mécanismes daide inspirés de ceux qui avaient été institués pour les mutilés de guerre. En 1930 est créé un système dassurance invalidité pour les salariés, qui sera réaffirmé par lordonnance de 1945 instituant la sécurité sociale; les travailleurs dont la capacité de travail ou de gain se trouve réduite de façon importante du fait dune maladie ou dun accident perçoivent une pension. Le droit à la rééducation professionnelle est reconnu aux victimes dun accident du travail par une autre loi de 1930. Un système de rééducation et de formation professionnelle est mis en place pour les aveugles en 1945 et étendu à tous les grands infirmes en 1949. En 1955, le bénéfice des dispositions assurant lemploi obligatoire des mutilés de guerre est étendu aux autres handicapés.
Le dispositif daide aux handicapés est par la suite amélioré et rénové par plusieurs grandes lois inspirées dun nouveau concept, celui dintégration: la loi du 27 novembre 1957 relative au reclassement professionnel des travailleurs handicapés; la loi du 30 juin 1975 dite dorientation en faveur des personnes handicapées (qui aborde pour la première fois lensemble de la situation des handicapés et tous les problèmes de réinsertion sociale); la loi du 10 juillet 1987 en faveur de lemploi des travailleurs handicapés. Mais ces textes nont pas supprimé, loin sen faut, tous les particularismes du régime des invalides de guerre et de celui des victimes dun accident du travail.
Il existe donc aujourdhui trois régimes bien distincts daide à des personnes handicapées: celui des invalides de guerre, celui des victimes dun accident du travail et celui que lon pourrait appeler le régime de droit commun qui concerne tous les handicapés ne relevant pas de lune des deux catégories précitées.
La coexistence de plusieurs régimes différents selon lorigine du handicap ne paraît pas à priori vraiment satisfaisante, dautant que chacun de ces régimes comporte le même type de prestations: loctroi dune ou de plusieurs allocations et des aides à linsertion, notamment professionnelle et tout particulièrement à la réintégration professionnelle. Cest pourquoi on sest efforcé de procéder à une certaine harmonisation en matière daide à lemploi.
Ainsi, les programmes de formation ou de rééducation professionnelle des trois régimes prévoient tant la prise en charge des frais par la collectivité que lindemnisation des personnes suivant des stages; les centres de formation ou de rééducation spécialisés existants accueillent tout handicapé, y compris les centres de lOffice national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC). De même, la procédure des emplois réservés dans le secteur public, instituée au profit des seuls militaires invalides de guerre, a été étendue aux handicapés civils par un décret du 16 décembre 1965.
Enfin, la loi du 10 juillet 1987 a fusionné les deux systèmes antérieurs dobligation demploi à laquelle sont assujetties les entreprises privées et les administrations et dont les modalités étaient fort complexes et différentes pour les travailleurs handicapés relevant du droit commun et les invalides de guerre. Désormais, bénéficient de cette obligation demploi, dans les mêmes conditions, les travailleurs reconnus handicapés par la Commission technique dorientation et de réinsertion professionnelle (COTOREP), les victimes daccidents du travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10% et titulaires dune rente, les titulaires dune pension civile dinvalidité et les anciens militaires et assimilés titulaires dune pension militaire dinvalidité. Aux termes du régime de droit commun, il incombe à la COTOREP de reconnaître le statut de personne handicapée.
En revanche, les trois régimes diffèrent toujours profondément en ce qui concerne les allocations quils distribuent. La personne handicapée relevant du droit commun perçoit essentiellement une pension dinvalidité versée par la sécurité sociale, puis un complément à la charge de lEtat, afin datteindre le montant de lallocation pour adulte handicapé (AAH) (soit 3 322 francs par mois au 1er juillet 1995). Linvalide de guerre perçoit de lEtat une pension dont le taux est fonction du degré dinvalidité, et la victime dun accident du travail ou dune maladie professionnelle perçoit une rente (ou une indemnité forfaitaire unique si lincapacité permanente est inférieure à 10%) versée par les caisses de sécurité sociale et dont le montant est déterminé en fonction du salaire antérieur et du taux dincapacité.
Les conditions dattribution et le montant de ces allocations sont totalement différents pour chaque régime, ce qui entraîne une grande inégalité de traitement des handicapés selon lorigine de leur handicap. De plus, cette situation engendre des malaises qui peuvent nuire à la réadaptation ou à lintégration sociale (Bing et Levy, 1978).
Il a été proposé, à plusieurs reprises, dharmoniser ou même dunifier les allocations relevant des trois régimes (Bing et Levy, 1978) et, en 1985, le gouvernement a même mis en place un groupe de travail chargé de proposer des solutions pour résoudre ce problème, mais jusquà présent, aucune na été retenue. Il est vrai que lunification des allocations se heurte à un obstacle majeur: la diversité des finalités de ces prestations. Les allocations versées aux handicapés relevant du régime commun sont des allocations de subsistance elles doivent permettre dassurer à lintéressé un niveau de vie convenable; en revanche, la pension militaire dinvalidité vise à compenser linfirmité contractée au service du pays, et la rente pour accident du travail celle qui a été contractée en travaillant pour gagner sa vie; cela explique que le montant de ces deux allocations soit, en général, sensiblement plus élevé que celui qui est attribué à une personne handicapée de naissance ou à la suite dun accident ou dune maladie non imputable au service du pays ou à lactivité professionnelle pour un taux dincapacité équivalent.
Quoi quil en soit, la situation dinégalité résultant de la diversité des trois régimes daide aux personnes handicapées est encore aggravée par les différents modes dévaluation du handicap.
Lévolution historique a marqué les différents régimes du handicap. Cette diversité se retrouve certes au regard des prestations versées par chacun deux, mais également au regard des conditions dattribution des prestations: chaque régime a ses propres critères pour ouvrir les droits aux personnes handicapées et ses propres modalités dévaluation du degré du handicap.
En tout état de cause, le droit à allocation et le degré de handicap font lobjet dans tous les régimes dune décision dune commission ad hoc. Il ny a pas de reconnaissance par déclaration les personnes handicapées sont tenues de passer devant une commission si elles désirent bénéficier du statut de personne handicapée et des avantages quil comporte. Cette procédure de reconnaissance peut paraître à certains avilissante et contraire à lidée dintégration: certaines personnes qui ne souhaitent pas voir «officialiser» leur différence et refusent par exemple de passer devant la Commission technique dorientation et de réinsertion professionnelle (COTOREP) ne sont pas reconnues comme des travailleurs handicapés et se trouvent de ce fait exclues du dispositif spécifique de réintégration professionnelle.
Pour lattribution des avantages accordés par la loi, chacun des régimes recourt à des critères différents du handicap.
Pour permettre aux personnes handicapées de subvenir à leurs besoins, ce régime octroie des allocations que lon pourrait appeler allocations de subsistance. Pour en bénéficier, les personnes handicapées doivent être atteintes dune incapacité permanente dun taux élevé, puisquil est exigé, dans la très grande majorité des cas (allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice, allocation déducation spéciale pour les enfants handicapés), une incapacité permanente dau moins 80%. Cependant, si lenfant fréquente un établissement spécialisé ou bénéficie dune éducation spéciale ou de soins à domicile particuliers, le taux dincapacité requis se situe entre 50 et 80%. Pour toutes ces allocations, le taux dincapacité est apprécié selon le guide-barème annexé au décret du 4 novembre 1993 relatif à lattribution des diverses prestations aux personnes handicapées.
En revanche, lassurance invalidité établit des conditions différentes pour lattribution de la pension dinvalidité, qui comporte elle aussi un élément alimentaire.
Le demandeur a droit à une telle pension lorsquil est assuré social et quil présente une invalidité réduisant des deux tiers au moins sa capacité de travail ou de gain, cest-à-dire le mettant hors détat de se procurer, dans nimporte quelle profession, un salaire supérieur au tiers de la rémunération normale de la profession quil exerçait avant son incapacité, calculée par comparaison avec le salaire des travailleurs de la même catégorie, dans la même région. Il ny a pas de barème, mais une appréciation globale de létat de lintéressé; le degré dinvalidité est apprécié en fonction de la capacité de travail restante, de létat général, de lâge et des facultés physiques et mentales de lassuré, ainsi que de ses aptitudes et de sa formation professionnelle.
Daprès cette définition, linvalidité prise en considération nest pas la seule incapacité physique de lindividu, ni son incapacité professionnelle par rapport à une profession donnée, mais celle qui entraîne une incapacité générale de sassurer des revenus et, cela, sur la base des différents facteurs susceptibles de conditionner le reclassement professionnel de lintéressé. Il est donc tenu compte:
Pour bénéficier des aides particulières à linsertion professionnelle, ladulte handicapé doit répondre à la définition donnée par le législateur: «Est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités dobtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite dune insuffisance ou dune diminution de ses capacités physiques ou mentales».
Cette définition a profondément inspiré la recommandation internationale du travail (no 168) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983, selon laquelle lexpression «personne handicapée» désigne «toute personne dont les perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable sont sensiblement réduites à la suite dun handicap physique ou mental dûment reconnu».
Néanmoins, son pragmatisme ne limite pas pour autant les interprétations possibles. Que signifie le terme «effectivement»? Par rapport à quoi peut-on apprécier une «insuffisance» ou une «diminution»? Labsence de critères précis en la matière explique la divergence dappréciation de lincapacité professionnelle par différentes commissions compétentes.
Ces régimes visent essentiellement la réparation et la compensation. Pour cela, ils versent des pensions ou des rentes attribuées de la manière suivante:
Le taux de lincapacité permanente est déterminé daprès la nature de linfirmité, létat général, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que daprès ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu du barème indicatif dinvalidité.
Si les décisions dattribution des prestations octroyées par les différents régimes sont prises en fonction déléments administratifs, lévaluation médicale du handicap, établie dans le cadre dun examen ou dune expertise, est fondamentale.
Lappréciation médicale de limportance du handicap sétablit selon deux approches: soit quil sagisse de fixer un taux dincapacité permanente partielle (IPP) qui sert de base au calcul de la réparation, soit quil faille déterminer une diminution de la capacité de travail.
Le premier système est appliqué pour les régimes des invalides de guerre, des accidentés du travail et de droit commun, celui-ci nécessitant le passage de la personne devant la COTOREP.
En ce qui concerne les invalides de guerre, le taux dIPP est fixé selon les normes dun guide-barème des invalidités, applicable au titre du Code des pensions militaires dinvalidité et victimes de guerre (mis à jour le 1er août 1977, il reprend les barèmes de 1915 et de 1919). Pour les accidentés du travail, le taux dIPP est fixé par application du barème des accidents du travail et maladies professionnelles établi en 1939 et qui a fait lobjet dune révision en 1995.
Ces deux barèmes dressent une classification des différentes catégories de handicap selon lorgane lésé ou la fonction altérée (cécité, insuffisance rénale, cardiaque, etc.) et fixent un taux dIPP pour chaque cas. Ils envisagent de multiples hypothèses, mais sont tous très imprécis pour ce qui touche à la maladie mentale. Sans oublier leurs insuffisances dans dautres domaines, on relève surtout les différences de taux dIPP quils attribuent à une même infirmité: cest ainsi quune diminution de lacuité visuelle de trois dixièmes à chaque il donne un taux dIPP de 3% dans le régime des accidents du travail, alors quil correspond à 19,5% dans le guide-barème des invalidités des pensions militaires; une perte de la vision de cinq dixièmes de chaque il correspond à une IPP de 10% dans le régime des accidents du travail et de 32,5% dans celui des pensions militaires.
Quant à la COTOREP, elle se référait jusquà une date récente, pour loctroi de divers avantages ou prestations (carte dinvalidité, allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice pour tierce personne), au barème dinvalidité du Code des pensions militaires dinvalidité et victimes de guerre. Ce barème, établi pour assurer une indemnisation correcte du préjudice résultant de blessures de guerre, présente des insuffisances. Labsence de références communes a fait quà certaines sessions de la COTOREP, on est parvenu à des conclusions différentes, ce qui a engendré de profondes inégalités de traitement entre les personnes handicapées.
Afin de remédier à cette situation, un nouveau guide-barème dévaluation des déficiences et incapacités est entré en vigueur le 1er décembre 1993 (annexé au décret no 93-1216 du 4 novembre 1993, Journal Officiel du 6 novembre 1993). Ce guide méthodologique sappuie sur les concepts proposés par lOMS, à savoir déficience, incapacité et handicap, et sert essentiellement à mesurer les incapacités dans la vie familiale, scolaire ou professionnelle, quel que soit le diagnostic médical. Si ce dernier est essentiel pour prévoir lévolution du handicap et la prise en charge la plus efficace, il nest que dune utilité limitée dans la fixation du taux dincapacité.
Les barèmes nont quune valeur indicative, mise à part lappréciation du taux dIPP dans les cas damputations de membres et dexérèses dorganes, pour les pensions et invalidités militaires où lapplication du barème est impérative. Les autres facteurs dappréciation sont nombreux. Par exemple, en matière daccident du travail, la fixation dune IPP doit tenir compte de facteurs médicaux (état général, nature de linfirmité, âge, facultés mentales ou physiques) et sociaux (aptitude et qualification professionnelles). Cela permet implicitement aux médecins, dans la détermination dun taux dIPP, dintroduire des corrections tenant compte des progrès thérapeutiques et des possibilités de réadaptation, et datténuer la rigidité et la fixité de tels barèmes dont les mises à jour et les rééditions sont peu fréquentes.
Le second système, fondé sur une perte de la capacité de travail, soulève des questions dune autre nature. On a besoin dévaluer cette diminution de la capacité de travail pour différentes situations: diminution de la capacité de travail ou de gain pour lassurance invalidité, reconnaissance de linaptitude au travail par la COTOREP, évaluation dune insuffisance professionnelle dans les cas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ou de placement en atelier protégé.
Lappréciation de la perte de la capacité de travail ne peut se référer à aucune norme, la définition dun modèle du «travailleur moyen» relevant de spéculations utopiques. Le domaine de la capacité de travail demeure mal limité, car il fait référence non seulement aux aptitudes intrinsèques de lindividu, mais également aux besoins et à ladéquation avec lenvironnement professionnel, ce qui conduirait à distinguer une capacité «au» travail dune capacité «de» travail. Schématiquement, deux situations peuvent se présenter.
Dans un cas, il sagit de déterminer, à partir déléments objectifs, une diminution de la capacité de travail ou de gain par référence à une situation professionnelle antérieure récente et précise.
Dans lautre, il faut apprécier latteinte à la capacité de travail de personnes handicapées non intégrées récemment au monde du travail (par exemple, malades chroniques stabilisés nexerçant plus dactivité professionnelle depuis longtemps) ou de personnes handicapées nayant jamais travaillé. Cette dernière éventualité, rencontrée notamment pour lattribution de lallocation aux adultes handicapés, met en évidence les difficultés des médecins chargés de quantifier cette diminution de la capacité de travail. Fréquemment, les praticiens font délibérément, ou inconsciemment, référence aux taux dIPP indiqués dans les barèmes pour évaluer la diminution de la capacité de travail.
Bien que ce système dévaluation des handicaps soit très imparfait, il convient de reconnaître quil permet, certes au prix de quelques entorses médico-administratives, de déterminer les niveaux de la réparation du handicap dans la majorité des situations.
Le système français, qui classe les personnes handicapées selon lorigine de leur handicap et les fait relever de statuts différents, est donc source de difficultés de plusieurs ordres, sans parler même de celles qui surviennent lorsquune personne est atteinte de handicaps dorigines différentes, de telle sorte quelle relève alors de plusieurs statuts: cas, par exemple, dune personne affectée dun handicap moteur congénital et qui, en exerçant une activité professionnelle, vient à être victime dun accident du travail. On imagine facilement les problèmes complexes qui se posent pour régler la situation de lintéressé.
La stratification historique des divers statuts rend peu envisageable la réalisation dune uniformisation totale. Par contre, il apparaît fort souhaitable que le législateur procède à une meilleure harmonisation des régimes, notamment sur le plan de lappréciation du handicap pour lattribution des prestations en espèces.
La plupart des personnes handicapées dâge actif ont la capacité et la volonté de travailler, mais elles rencontrent souvent dénormes obstacles dans leurs efforts pour accéder à lemploi et obtenir légalité de traitement sur le lieu de travail. Le présent article aborde les principales questions concernant linsertion des personnes handicapées dans la vie active, du point de vue de la politique sociale et des droits humains.
En premier lieu, nous exposerons létendue et les conséquences du handicap, ainsi que la façon dont les personnes handicapées ont été traditionnellement exclues dune pleine participation à la vie sociale et économique. Les concepts des droits humains seront ensuite présentés comme un moyen de surmonter les obstacles que rencontrent les personnes handicapées pour obtenir un emploi équitable. Ces obstacles à la participation sur le lieu de travail et à la vie du pays sont souvent dus à des comportements discriminatoires plutôt quà lincapacité elle-même. Il en résulte que les personnes handicapées sont souvent lobjet de discrimination soit délibérée, soit en raison dobstacles structurels ou inhérents à lenvironnement.
Enfin, la discussion sur la discrimination sera loccasion de décrire les moyens dy remédier grâce à un traitement équitable, à laménagement du lieu de travail et à laccessibilité des locaux.
Toute discussion sur la politique sociale et les droits humains en matière de handicap doit commencer par une présentation de la situation à laquelle se heurtent les personnes handicapées en général.
Létendue exacte de lincapacité est sujette à une large interprétation, selon la définition utilisée. Le Recueil de statistiques sur les incapacités de lOrganisation des Nations Unies (Organisation des Nations Unies, 1990) présente les résultats de 63 enquêtes effectuées dans 55 pays. Daprès ce rapport, le pourcentage de personnes handicapées va de 0,2% (Pérou) à 20,9% (Autriche). Dans les années quatre-vingt, environ 80% des personnes handicapées vivaient dans les pays en développement; à cause de la malnutrition et de la maladie, les personnes handicapées représentent approximativement 20% de la population de ces pays. Les différentes enquêtes nationales ne permettent pas de comparer les pourcentages de la population handicapée, car elles font appel à des définitions différentes. Il ressort de lanalyse globale, mais limitée, du Recueil de statistiques sur les incapacités, que lincapacité est, dans une large mesure, fonction de lâge, que sa prévalence est plus grande dans les zones rurales et quelle est associée à une incidence plus élevée de la pauvreté et à une situation économique et un niveau déducation plus faibles. En outre, il apparaît clairement daprès les statistiques que le taux de participation des personnes handicapées à la vie active est inférieur à celui de la population en général.
Mme Shirley Carr, ancien membre du Conseil dadministration du BIT, et ancienne présidente du Congrès du travail du Canada, a donné une description imagée de la situation que rencontrent les personnes handicapées en matière demploi: elle a noté, à loccasion dun forum parlementaire sur le handicap qui sest tenu au Canada en 1992, que les personnes handicapées se heurtent à un «mur de béton» et quelles «souffrent des trois S: sous-emploi, sans emploi et sous-utilisation». Malheureusement, la situation à laquelle se heurtent les personnes handicapées dans la plupart des pays du monde est, au mieux, la même quau Canada et, dans bien des cas, elle est encore pire.
Pour toute une série de raisons historiques, un grand nombre de personnes handicapées ont connu lisolement social et économique. Cependant, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la ségrégation des personnes handicapées du reste de la population, et lopinion selon laquelle «les handicapés» ont besoin de soins, de philanthropie et de charité, sont des idées dont on sécarte lentement, mais sûrement. Les personnes porteuses de handicap font de plus en plus valoir leur droit à ne pas être exclues de la vie active, mais à être intégrées et traitées de manière équitable par rapport aux membres valides de la société, y compris le droit de prendre une part active à la vie économique du pays.
Les personnes handicapées devraient faire partie intégrante de la population active parce que la possibilité de trouver un emploi rémunéré à la pleine mesure de leurs capacités représente pour elles une solution économiquement valable, au lieu de vivre de laide sociale. Mais elles devraient avant tout sintégrer à lexistence normale de la population active et, par là, participer à la vie du pays parce que cest la bonne solution, du point de vue éthique et du point de vue moral. A cet égard, il convient de rappeler les remarques de M. Leandro Despouy, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de lOrganisation des Nations Unies, qui a déclaré, dans son rapport au Conseil économique et social (Despouy, 1991), que «le traitement réservé aux personnes handicapées définit les traits les plus intimes dune société et met en relief les valeurs culturelles sur lesquelles elle sappuie». Il poursuit, avec ce qui, malheureusement, nest pas évident pour tout le monde, en affirmant:
que les personnes handicapées sont des êtres humains au même titre que les autres et généralement encore plus. Leffort quotidien quil leur faut faire pour surmonter leurs infirmités et le traitement discriminatoire dont elles font régulièrement lobjet marquent généralement leur personnalité de traits particuliers dont les signes les plus évidents sont la force de caractère et la persévérance dont elles font preuve, leur largeur desprit et leur grande patience devant lincompréhension et lintolérance. Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier quen tant que sujets de droit elles jouissent de toutes les facultés et prérogatives juridiques inhérentes à la personne humaine et sont en outre titulaires de droits spécifiques. En bref, les personnes handicapées ont, en tant que personnes, le droit de vivre avec nous et comme nous.
Les questions soulevées par le Rapporteur spécial des Nations Unies soulignent lexistence dattitudes sociales négatives et de stéréotypes qui se dressent contre légalité des chances des personnes porteuses de handicap au travail. Parmi ces attitudes, on trouve la crainte que le coût de laménagement du lieu de travail à lintention des personnes handicapées soit trop élevé; que les personnes handicapées ne soient pas productives; que les autres stagiaires ou salariés et clients soient gênés par la présence de personnes porteuses de handicap. Dautres attitudes sont en rapport avec la faiblesse ou la maladie supposées de ces personnes et limpact que cela pourrait avoir sur «leur» aptitude à suivre un programme de formation professionnelle ou à réussir dans un emploi. Toutes ces attitudes reposent sur des hypothèses fondées sur une seule caractéristique dune personne, la présence dun handicap. Comme le note le Conseil consultatif pour les personnes handicapées de la province canadienne de lOntario (Advisory Council for Disabled Persons, 1990):
Les suppositions relatives aux besoins des personnes porteuses de handicap sont souvent fondées sur une idée de ce que la personne ne peut pas faire. Lincapacité devient la caractéristique unique de la personne tout entière au lieu de rester un des aspects de celle-ci [...] Le handicap est perçu comme une condition généralisée et a tendance à intégrer des notions dincompétence.
Le principe selon lequel les personnes porteuses de handicap ont le droit de participer pleinement à la vie sociale et économique du pays va de pair avec la notion que ces personnes doivent avoir la possibilité de choisir librement leur formation professionnelle et leur activité.
Ce droit fondamental est défini dans la convention (no 142) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975 (OIT, 1975), selon laquelle les politiques et les programmes de formation professionnelle doivent «encourager et aider toutes personnes, sur un pied dégalité et sans discrimination aucune, à développer et à utiliser leurs aptitudes professionnelles dans leur propre intérêt et conformément à leurs aspirations».
Apprendre à faire des choix fait partie intégrante du développement personnel. Cependant, un grand nombre de personnes porteuses de handicap nont pas eu la possibilité de choisir véritablement leur formation professionnelle et leur placement. Les grands handicapés peuvent ne pas être en mesure de déterminer leurs préférences personnelles et de faire un véritable choix entre plusieurs options. Le manque dautonomie et de pouvoir ne dépend cependant pas de déficiences ou de restrictions, mais plutôt, comme cela a été mentionné plus haut, dattitudes et de pratiques négatives. On présente souvent aux personnes handicapées des options artificiellement présélectionnées ou limitées. Par exemple, elles peuvent être poussées à participer au seul cours de formation professionnelle qui savère disponible, sans que dautres possibilités soient envisagées sérieusement. Ou bien, les «choix» peuvent simplement consister à éviter des situations peu souhaitables, comme daccepter de vivre dans un foyer ou de partager sa chambre avec quelquun que lon na pas choisi, pour éviter des situations encore plus déplaisantes, comme devoir vivre en institution. Malheureusement, pour un grand nombre de personnes handicapées, la chance dexprimer un intérêt professionnel, le choix dune formation professionnelle ou la recherche dun emploi sont souvent déterminés par limage du handicapé qui est attaché à une personne et par les opinions des autres sur les capacités de lintéressé. Cette absence de choix sexplique aussi historiquement par lidée que, pour les utilisateurs involontaires du système daide sociale, «nécessité fait loi».
Cette question est très préoccupante. Des études ont montré que le degré dinfluence dont disposent les personnes sur les décisions qui affectent leur vie professionnelle a un impact important sur la satisfaction au travail et, par conséquent, sur la réussite des stratégies dintégration. Toute personne, quelle que soit la gravité de son handicap, a le droit et la capacité de communiquer avec les autres, dexprimer ses préférences et dexercer au moins un certain contrôle sur sa vie quotidienne. La liberté comprend aussi le droit de choisir librement sa profession, la formation nécessaire fondée sur la technologie existante et le respect et lencouragement au travail. Pour les personnes handicapées, à tous les niveaux de gravité et de capacité, y compris les personnes souffrant dune déficience intellectuelle et psychosociale, la possibilité de faire des choix est primordiale pour les aider à trouver leur identité et leur individualité. Il faut également rappeler que les erreurs et les leçons que lon en tire font partie de lexpérience humaine.
Il faut souligner une nouvelle fois que les personnes handicapées sont des êtres humains. Cest une question de respect fondamental de la dignité humaine que de leur fournir la possibilité de prendre le type de décisions que les personnes valides prennent tous les jours.
Pourquoi les stéréotypes négatifs ont-ils vu le jour et quels liens ont-ils avec la discrimination? Hahn (1984) constate quil y a une contradiction apparente entre la sympathie manifestée à légard des personnes porteuses de handicap et le fait quen tant que groupe, elles sont soumises à des pratiques discriminatoires plus blessantes que dautres minorités. Cela peut sexpliquer par le fait que les personnes porteuses de handicap présentent souvent des caractéristiques physiques et comportementales qui les mettent à lécart de la population valide.
Sans ces différences physiques perceptibles, les personnes handicapées ne pourraient pas faire lobjet des mêmes stéréotypes, parti pris, préjugés, discrimination et ségrégation qui pèsent sur toute minorité. De plus, lorsque ces traits sont associés à une catégorisation sociale négative, les effets de la discrimination sen trouvent aggravés.
Hahn suggère également lexistence dune corrélation positive entre lampleur de la discrimination dont font lobjet les personnes porteuses de handicap et le caractère apparent de leur handicap.
Il faut donc, pour que les personnes porteuses de handicap obtiennent un traitement équitable dans la société et au travail, réduire et éliminer les attitudes négatives et les stéréotypes sources de comportements discriminatoires, et mettre en place des pratiques et des programmes qui tiennent compte des besoins particuliers des personnes handicapées en tant quindividus. Nous examinerons ces concepts dans la suite de cet article.
Au cours de notre vie, nous faisons chaque jour des «discriminations». Il faut faire un choix pour savoir si on va au cinéma ou au théâtre, ou si on va acheter le vêtement le plus cher. Dans ce sens, la discrimination ne pose pas de problème. En revanche, la discrimination devient vraiment un problème lorsquon différencie négativement des personnes, ou des groupes de personnes, sur la base de caractéristiques immuables telles que le handicap.
La Conférence internationale du Travail a adopté une définition de la discrimination qui se trouve dans la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958:
Aux fins de la présente convention, le terme «discrimination» comprend:
a) toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, lopinion politique, lascendance nationale ou lorigine sociale, qui a pour effet de détruire ou daltérer légalité de chances ou de traitement en matière demploi ou de profession;
b) toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou daltérer légalité de chances ou de traitement en matière demploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives demployeurs et de travailleurs, sil en existe, et dautres organismes appropriés.
La définition précitée se comprend mieux à la lumière des trois formes de discrimination qui sont apparues depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les trois approches suivantes, qui ont vu le jour aux Etats-Unis, sont à présent largement acceptées dans un grand nombre de pays.
Au départ, la discrimination désignait strictement un traitement préjudiciable, cest-à-dire des actes dommageables motivés par une antipathie personnelle à légard du groupe auquel la personne visée appartenait. Ces actes consistaient en refus délibérés de possibilités demploi. Il était nécessaire de prouver non seulement lacte de refus, mais aussi un motif fondé sur un préjugé. En dautres termes, cette définition reposait sur la malveillance, la mauvaise foi, ou un état desprit. Ce type de discrimination serait, par exemple, le cas dun employeur indiquant à une personne handicapée quil ne lembauche pas par crainte dune réaction négative de la part de sa clientèle.
Pendant les années cinquante et le milieu des années soixante, après le vote de la loi sur les droits civils, aux Etats-Unis, les agences se mirent à appliquer ce que lon appelait le concept de discrimination fondé sur une «protection égale». La discrimination était considérée comme une source de préjudice économique du fait que les membres dun groupe minoritaire étaient traités dune manière différente et moins favorable que leurs homologues du groupe majoritaire (Pentney, 1990). Selon cette approche du traitement différentiel, les mêmes critères sappliquent à tous les salariés et candidats sans quil soit nécessaire de prouver lintention discriminatoire. Dans ce contexte, la discrimination consisterait à demander à un salarié handicapé de se soumettre à un examen médical pour pouvoir bénéficier des prestations dassurance maladie, alors que les salariés valides ny seraient pas tenus.
Bien que le type de discrimination relevant du traitement différentiel impose que les politiques et pratiques demploi soient appliquées de la même manière à tous, bon nombre de conditions apparemment neutres, comme léducation et les tests, avaient des effets inégaux sur les différents groupes. En 1971, la Cour suprême des Etats-Unis a réglé ce problème en formulant une troisième définition de la discrimination en matière demploi dans la célèbre affaire Griggs vs. Duke Power. Avant le vote de la loi sur les droits civils, la société Duke Power pratiquait la discrimination à légard des Noirs en les cantonnant dans des emplois peu rémunérés. Après le vote de la loi, un diplôme universitaire et la réussite aux tests daptitude devinrent des conditions pour être transféré hors du département de la main-duvre. Parmi les candidats, 34% de Blancs contre 12% de Noirs avaient les diplômes nécessaires. De plus, 58% des Blancs réussissaient les tests, contre 6% seulement des Noirs. Ces conditions étaient imposées alors quil était prouvé que des salariés ne possédant pas ces qualifications, embauchés avant le changement de politique, continuaient à donner satisfaction. La Cour suprême annula les conditions imposées en matière de niveau dinstruction et de succès aux tests qui éliminaient un pourcentage plus élevé de Noirs, au motif que de telles pratiques avaient pour conséquence de les exclure et navaient aucun rapport avec les qualifications requises. Lintention de lemployeur nétait pas en cause. En revanche, limportant était leffet de la politique ou de la pratique. Un exemple de cette forme de discrimination serait lobligation de passer un examen oral, ce qui risquerait de défavoriser les candidats sourds ou ayant des difficultés délocution.
La question de la discrimination indirecte ou à effet négatif est la plus problématique pour les personnes porteuses de handicap. Car, si les personnes handicapées sont traitées de la même manière que tout le monde, «comment peut-il sagir de discrimination»? Pour bien situer le problème, il faut se reporter à la notion selon laquelle légalité de traitement pour tous est parfois une forme de discrimination. Abella a présenté ce principe avec beaucoup déloquence dans son rapport (Canada Royal Commission, 1984), en déclarant:
Autrefois, nous pensions que légalité signifiait seulement «être identique» et que traiter les personnes comme des égaux signifiait traiter tout le monde de la même manière. Nous savons aujourdhui que cela peut nuire à la notion dégalité. Ignorer les différences peut revenir à ignorer des besoins légitimes. Il nest pas juste dutiliser les différences entre les personnes comme une excuse pour les exclure arbitrairement dune participation équitable. Légalité na aucun sens si elle ne signifie pas que nous sommes de valeur égale, quelles que soient les différences de sexe, de race, dethnie ou dincapacité. La signification projetée, mythique et supposée de ces différences ne peut pas autoriser à exclure la participation à part entière.
Pour souligner cette notion, on utilise de plus en plus le terme de traitement équitable par opposition à légalité de traitement.
Les concepts de discrimination à effet négatif et de traitement équitable conduisent à penser que, afin de traiter les personnes porteuses de handicap de manière non discriminatoire, il est nécessaire de rendre leur environnement et leur lieu de travail accessibles et de prendre des mesures en vue dadapter le lieu de travail à leurs besoins. Ces deux notions sont abordées ci-après.
Laccessibilité ne signifie pas seulement quune rampe daccès a été installée à lentrée dun bâtiment pour les utilisateurs de fauteuil roulant. Cela signifie aussi: mettre à la disposition des personnes porteuses de handicap des systèmes de transport accessibles ou différents pour leur permettre de se rendre au travail ou à lécole; rabaisser la hauteur des trottoirs; placer des indications en braille dans les ascenseurs et les bâtiments; rendre les toilettes accessibles aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant; retirer les tapis dont lépaisseur gêne le déplacement des fauteuils roulants; fournir aux malvoyants des aides techniques, telles que des manuels imprimés en gros caractères et des cassettes audio; prévoir des signaux optiques pour les malentendants, etc.
Le traitement équitable signifie aussi quil faut essayer de satisfaire les besoins individuels des personnes handicapées sur le lieu de travail. On peut comprendre, par aménagement raisonnable, la suppression des obstacles qui empêchent les personnes porteuses de handicap de bénéficier de légalité des chances en matière de formation professionnelle et demploi. Lepofsky (1992) note que laménagement, cest:
adapter un règlement, une pratique, une condition ou une exigence de travail aux besoins spécifiques dun individu ou dun groupe [...] Un aménagement peut consister à exempter le travailleur dune condition de travail existante ou dune condition applicable aux autres [...] Le test décisif pour savoir si un aménagement est nécessaire consiste à déterminer si cette mesure simpose pour permettre au travailleur dexercer pleinement et sur un pied dégalité son activité professionnelle.
En réalité, la liste des aménagements possibles est théoriquement sans fin, puisque chaque personne handicapée a des besoins spécifiques. En outre, deux personnes ayant le même handicap ou des handicaps similaires auront peut-être des besoins daménagement très différents. Il importe de rappeler que les aménagements sont motivés par les besoins dune personne, et que cette personne devrait être consultée sur le sujet.
Il faut cependant admettre quil y a des cas où, malgré les meilleures intentions, il nest pas possible de procéder aux aménagements raisonnables pour les personnes porteuses de handicap. Ladaptation devient une contrainte abusive ou excessive:
Lors de lévaluation des risques pour la sécurité et la santé, il convient de prendre en considération la volonté de lintéressé daccepter le risque quengendrerait laménagement. Par exemple, une personne devant porter une prothèse orthopédique risque de ne pas pouvoir porter des bottes de sécurité dans le cadre dun programme de formation. Sil nest pas possible de trouver une autre chaussure de protection, il peut être dérogé à lobligation de porter des bottes en connaissance de cause. Cest ce que lon appelle la doctrine de la dignité que confère la prise de risques.
Il faut voir si laménagement représente un risque important pour les tiers, en fonction des niveaux de risque tolérés dans la société.
Lévaluation du degré de risque doit se faire en se fondant sur des critères objectifs, lesquels comprennent les données existantes, lavis dexperts et des informations détaillées sur le poste ou les activités de formation envisagées. De simples impressions ou un jugement subjectif ne sont pas acceptables.
Laménagement représente aussi une contrainte excessive si son coût risque de compromettre la viabilité financière de lentreprise ou de lorganisme de formation. Toutefois, de nombreux pays accordent des subventions afin de faciliter les modifications nécessaires à lintégration des personnes handicapées.
Comme nous lavons observé, les personnes porteuses de handicap devraient bénéficier du droit de choisir dans tous les domaines de leur vie, notamment la formation professionnelle et lemploi. Il faut pour cela, au niveau individuel, demander à lintéressé quels sont ses désirs. De même, lorsque les partenaires sociaux (organisations demployeurs et de travailleurs et Etat) prennent des décisions politiques, il faut donner la parole aux organisations qui représentent les intérêts des personnes handicapées. En dautres termes, lorsquil sagit de formation professionnelle et de politique de lemploi, les personnes atteintes dun handicap connaissent individuellement et collectivement leurs besoins et la meilleure façon de les satisfaire.
De plus, il faut savoir que, si les termes handicap et personnes handicapées sont souvent employés de manière générique, les personnes atteintes de déficiences physiques ou motrices ont des besoins daménagement et de formation professionnelle différents de ceux des personnes ayant une déficience intellectuelle ou sensorielle. Par exemple, si les plans inclinés sont extrêmement utiles aux utilisateurs de fauteuil roulant, ils peuvent représenter des obstacles considérables pour les aveugles qui risquent de ne pas savoir sils ont ou non quitté le trottoir. Il faut donc prendre lavis des organisations qui représentent les personnes porteuses de différents types de handicaps lorsquon envisage des changements de politique et de programmes.
Plusieurs documents internationaux importants donnent des conseils utiles en matière de concepts et de mesures concernant légalité des chances pour les personnes porteuses de handicap. Parmi ces documents, on peut citer: le Programme daction mondial des Nations Unies concernant les personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 1982), la convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983) et les Règles pour légalisation des chances des handicapés (Organisation des Nations Unies, 1993).
La convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983, et la recommandation (no 168) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983, qui complète et met à jour la recommandation (no 99) sur ladaptation et la réadaptation professionnelles des invalides, 1955, sont les documents de base pour une politique sociale en matière de handicap, mais un certain nombre dautres instruments internationaux du travail font aussi référence, explicitement ou implicitement, au handicap. Il sagit notamment de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; de la recommandation (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; de la convention (no 142) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975; et de la recommandation (no 150) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975.
Dautres instruments clés de lOIT font également dimportantes références aux questions de handicap: la convention (no 88) sur le service de lemploi, 1948; la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952; la convention (no 121) sur les prestations en cas daccidents du travail et de maladies professionnelles, 1964; la convention (no 168) sur la promotion de lemploi et la protection contre le chômage, 1988; la recommandation (no 83) sur le service de lemploi, 1948; la recommandation (no 158) sur ladministration du travail, 1978; et la recommandation (no 169) concernant la politique de lemploi (dispositions complémentaires), 1984.
Les normes internationales du travail distinguent essentiellement deux façons de traiter du handicap: par des mesures passives de transfert de revenus et de protection sociale, et par des mesures actives de formation et de promotion de lemploi.
Un des premiers objectifs de lOIT a été de sassurer que les travailleurs reçoivent une indemnisation financière en rapport avec leur invalidité, en particulier si la cause de celle-ci était liée au travail ou à la guerre. La préoccupation fondamentale a consisté à sassurer de la juste réparation dun dommage, de la responsabilité de lemployeur en cas daccident et de sécurité insuffisante des conditions de travail, et à veiller à ce que, dans lintérêt des bonnes relations professionnelles, les travailleurs reçoivent un traitement équitable. Une juste réparation est un élément fondamental de la justice sociale.
Lobjectif de protection sociale se distingue nettement de lobjectif de réparation. Les normes de lOIT qui traitent des questions de sécurité sociale considèrent le handicap au sens large, comme une «éventualité» qui doit être prise en charge dans le cadre de la législation sur la sécurité sociale et dans lidée que le handicap peut être une cause de perte de la capacité de gain et, donc, une raison légitime dobtenir des revenus au moyen de paiements de transfert. Lobjectif principal consiste à fournir une assurance contre la perte de revenus et, par là, de garantir des conditions de vie décentes aux personnes privées des moyens de gagner elles-mêmes leur vie à cause dune déficience.
De même, les politiques qui visent un objectif de protection sociale ont tendance à accorder une aide publique aux personnes porteuses de handicap qui ne sont pas couvertes par lassurance sociale. Ici encore, on admet implicitement que le handicap est synonyme dincapacité à retirer un revenu suffisant du travail et que la personne qui en est porteuse doit donc dépendre de laide publique. Il en résulte que, dans un grand nombre de pays, la politique en la matière est essentiellement du ressort des organismes sociaux et consiste principalement à accorder des mesures passives daide financière.
En revanche, les normes de lOIT qui traitent explicitement des personnes handicapées (comme les conventions nos 142 et 159, et les recommandations nos 99, 150 et 168) les considèrent comme des travailleurs et placent le handicap contrairement aux concepts de réparation et de protection sociale dans le cadre de politiques en faveur de lemploi ayant pour objectif de garantir légalité de traitement et de chances dans la formation et lemploi, et qui considèrent les personnes handicapées comme des membres à part entière de la population économiquement active. Dans ce cas, le handicap est considéré comme une condition défavorable à lemploi pouvant et devant être surmontée grâce à un certain nombre de mesures, de règlements, de programmes et de services.
La recommandation no 99 (1955), qui a invité pour la première fois les Etats Membres de lOIT à modifier leurs politiques en matière dinvalidité pour passer dun objectif de protection ou daide sociale à un objectif dintégration par le travail, a eu un impact profond sur la législation dans les années cinquante et soixante. Mais le véritable progrès est arrivé en 1983 avec ladoption par la Conférence internationale du Travail de deux nouveaux instruments, la convention no 159 et la recommandation no 168. Au 31 décembre 1997, 59 Etats Membres sur 169 avaient ratifié cette convention.
Bon nombre dautres pays ont modifié leur législation de façon à respecter cette convention, même sils ne lont pas, ou pas encore, ratifiée. Ces nouveaux instruments se distinguent des précédents en ce quils font reconnaître par la communauté internationale et par les organisations demployeurs et de travailleurs le droit des personnes handicapées à légalité de chances et de traitement dans la formation et lemploi.
Ces trois instruments forment à présent une unité. Ils visent à assurer la participation active au marché du travail des personnes handicapées et contestent donc la validité des seules mesures passives ou des politiques qui traitent le handicap comme un problème de santé.
Les objectifs des normes internationales du travail adoptées à cette fin peuvent être définis de la manière suivante: supprimer les obstacles qui se dressent sur la voie de la participation et de lintégration sociale des personnes handicapées et fournir les moyens de favoriser effectivement leur autonomie économique et leur indépendance sociale. Ces normes sopposent à la pratique qui considère les personnes handicapées comme étant en dehors de la règle commune et les exclut du reste de la société. Elles sopposent à la tendance à considérer le handicap comme la justification dune marginalisation sociale et à dénier à ces personnes, au nom de leur handicap, les droits civils et les droits des travailleurs dont jouissent tout naturellement les personnes valides.
Par souci de clarté, nous pouvons diviser en deux groupes les dispositions des normes internationales du travail visant à promouvoir le concept du droit des personnes handicapées à participer activement à la formation et à lemploi: les normes relatives au principe de légalité des chances et les normes relatives au principe de légalité de traitement.
Egalité de chances: lobjectif que recouvre cette formule est de permettre à un groupe de population désavantagé daccéder aux mêmes possibilités et aux mêmes chances en matière demploi et de rémunération que lensemble de la population.
Afin que les personnes handicapées puissent bénéficier de légalité des chances, les normes internationales du travail définissent des règles et recommandent des mesures pour trois types daction:
Cest pourquoi ces normes, qui ont été mises en place pour garantir légalité des chances, visent à encourager des mesures positives spéciales pour aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active ou à leur éviter un passage inutile et injustifié dans une vie tributaire dune aide financière passive. Les politiques orientées vers légalité des chances se proposent donc généralement de développer les systèmes daide et les mesures spéciales visant à concrétiser légalité de chances, qui se justifient par la nécessité de compenser les désavantages réels ou supposés du handicap. En langage juridique de lOIT: «Des mesures positives spéciales visant à garantir légalité effective de chances [...] entre les travailleurs handicapés et les autres travailleurs ne devront pas être considérées comme étant discriminatoires à légard de ces derniers» (convention no 159, art. 4).
Egalité de traitement: le précepte de légalité de traitement a un objectif connexe, mais distinct, du précédent. Il sagit ici des droits humains, et les règles que les Etats Membres de lOIT ont accepté de respecter ont des conséquences légales précises et font lobjet de contrôles et en cas de violation dun recours judiciaire ou dune procédure darbitrage.
La convention no 159 de lOIT pose légalité de traitement comme un droit garanti. Elle précise en outre que légalité doit être «effective». Cela signifie que les conditions devraient être telles quelles assurent que légalité est non seulement formelle, mais bien réelle et que la situation résultant de ce traitement place la personne handicapée dans une position «équitable», cest-à-dire correspondant, par ses résultats, et non par ses mesures, à celle des personnes valides. Par exemple, il nest pas équitable daffecter un travailleur handicapé au même emploi que son collègue valide si le lieu de travail nest pas totalement accessible ou si lemploi nest pas adapté à son handicap.
Chaque pays a sa propre histoire en matière de réadaptation professionnelle et demploi des personnes handicapées. La législation des Etats Membres de lOIT varie selon les différents stades de leur développement industriel, de leur situation sociale et économique, etc. Par exemple, certains pays disposaient déjà avant la seconde guerre mondiale dune législation sur les personnes handicapées issue des mesures prises en faveur des invalides de guerre ou des pauvres au début du siècle. Dautres pays ont commencé à prendre des mesures concrètes en faveur des personnes handicapées après la seconde guerre mondiale et ont mis en place une législation relative à la réadaptation professionnelle. Ces mesures sont souvent intervenues à la suite de ladoption de la recommandation (no 99) sur ladaptation et la réadaptation professionnelle des invalides, 1955 (OIT, 1955). Dautres pays nont adopté que récemment des mesures en faveur des personnes handicapées grâce à la prise de conscience impulsée par lAnnée internationale des personnes handicapées, en 1981, à ladoption par la Conférence internationale du Travail, en 1989, de la convention no 159 et de la recommandation no 168, ainsi que de la Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 1983-1992).
On distingue aujourdhui quatre types de législation en matière de réadaptation professionnelle et demploi des personnes handicapées suivant les contextes historiques et politiques (voir figure 17.1).
Il convient de rappeler quil nexiste pas de séparation nette entre ces quatre types qui, parfois, se chevauchent. La législation dun pays peut correspondre non pas à un seul type, mais à plusieurs et, dans de nombreux pays, elle en combine deux ou plusieurs. Il semble que la législation de type A remonte aux premières mesures en faveur des personnes handicapées, alors que celle de type B est apparue à un stade ultérieur. La législation de type D, à savoir linterdiction de la discrimination fondée sur le handicap, sest développée ces dernières années, en complément de linterdiction de la discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, lopinion politique, etc. Létendue de la législation des types C et D peut servir de modèle aux pays en développement qui nont pas encore légiféré en la matière.
La structure de la législation et les mesures prévues sont illustrées ci-après par des exemples de chaque type. Comme les mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de lemploi des personnes handicapées sont souvent plus ou moins identiques dans tous les pays, quel que soit le type de législation où elles figurent, il y a parfois des chevauchements.
Type A. Mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de lemploi des personnes handicapées figurant dans la législation générale du travail, comme les lois sur la promotion de lemploi ou sur la formation professionnelle. Les mesures en faveur des personnes handicapées peuvent aussi faire partie de mesures globales concernant les travailleurs en général.
Ce type de législation se caractérise par le fait que les mesures en faveur des personnes handicapées figurent dans des lois qui sappliquent à tous les travailleurs, y compris ceux qui sont handicapés, et à toutes les entreprises qui emploient des travailleurs. Comme les mesures en faveur de la promotion et de la sécurité de lemploi des personnes handicapées font partie dinitiatives globales concernant lensemble des travailleurs, la politique nationale accorde la priorité aux efforts de réadaptation dans les entreprises, aux activités de prévention et à lintervention précoce dans le milieu de travail. A cette fin, des comités du milieu de travail, composés de lemployeur, des travailleurs et du personnel de sécurité et de santé sont souvent créés dans les entreprises. Les détails de ces mesures figurent généralement dans les règlements et les statuts.
Par exemple, la loi de la Norvège sur le milieu de travail sapplique à tous les travailleurs occupés par la plupart des entreprises du pays. Elle comprend des mesures spécifiques aux personnes handicapées: 1) les accès, les installations sanitaires, les installations techniques et le matériel doivent être conçus et adaptés de façon que celles-ci puissent travailler dans lentreprise, dans la mesure du possible; 2) si un travailleur se retrouve handicapé à la suite dun accident du travail ou dune maladie professionnelle, lemployeur doit, autant que faire se peut, prendre les mesures nécessaires pour lui permettre de trouver ou de garder un emploi approprié. Le travailleur doit, de préférence, avoir la possibilité de conserver son emploi précédent, le cas échéant après une adaptation spéciale de lactivité, de la modification des installations techniques, dune réadaptation ou dune reconversion, etc. Voici des exemples dactions qui doivent être menées par lemployeur:
Outre ces mesures, les employeurs de personnes handicapées reçoivent des subventions au titre des coûts supplémentaires encourus pour adapter le lieu de travail au travailleur, ou vice versa.
Type B. Mesures en faveur des personnes handicapées faisant lobjet de lois spéciales qui traitent exclusivement de la réadaptation professionnelle et de lemploi de ces personnes.
Ce type de législation comporte habituellement des dispositions particulières sur la réadaptation professionnelle et lemploi, alors que les mesures en faveur des personnes handicapées figurent dans dautres lois.
Par exemple, en Allemagne, la loi sur les grands handicapés prévoit les aides spéciales suivantes visant à leur permettre daméliorer leurs chances de trouver un emploi, ainsi que des services dorientation professionnelle et de placement:
Type C. Mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de lemploi des personnes handicapées prévues par des lois générales spéciales pour les personnes handicapées, associées à des mesures relatives à dautres services comme la santé, léducation, laccessibilité et les transports.
Ce type de législation comporte habituellement un premier chapitre contenant des dispositions générales sur lobjectif visé, une déclaration de principe, le champ dapplication, la définition des termes, suivi de plusieurs chapitres sur les services de lemploi ou de réadaptation professionnelle, mais aussi sur la santé, léducation, laccessibilité, les transports, les télécommunications, les services sociaux auxiliaires, etc.
Par exemple, aux Philippines, la Charte des personnes handicapées affirme le principe de légalité de chances en matière demploi. Les mesures suivantes sont tirées du chapitre sur lemploi:
Cette loi contient en outre des dispositions concernant linterdiction de la discrimination des personnes handicapées dans lemploi.
Type D. Mesures interdisant la discrimination dans lemploi fondée sur le handicap prévues par une loi générale spéciale contre la discrimination, associées à des mesures interdisant la discrimination dans les transports publics, les bâtiments collectifs et les télécommunications.
Ce type de législation se caractérise par le fait quelle contient des dispositions relatives à la discrimination fondée sur le handicap dans lemploi, les transports publics, le logement, les télécommunications, etc. Les mesures relatives aux services de réadaptation professionnelle et à lemploi des personnes handicapées figurent dans dautres lois ou règlements.
Par exemple, la loi sur les Américains porteurs de handicap interdit la discrimination dans des domaines aussi importants que lemploi, laccès aux bâtiments collectifs, les télécommunications, les transports, le vote, les services publics, léducation, le logement et les loisirs. En ce qui concerne lemploi, notamment, cette loi interdit la discrimination dirigée contre «les personnes qualifiées porteuses de handicap» qui, avec ou sans «aménagement raisonnable», peuvent remplir les fonctions essentielles du poste, sauf si ces aménagements impliquent des «contraintes excessives» sur le fonctionnement de lentreprise. La loi interdit la discrimination dans toutes les pratiques demploi, notamment les procédures de candidature, de recrutement, de licenciement, davancement, dindemnisation, de formation et autres clauses, conditions et privilèges de lemploi. Cette loi sapplique au recrutement, aux offres demploi, à la durée de lemploi, au licenciement, aux congés, aux prestations complémentaires et à toutes les autres activités liées à lemploi.
En Australie, la loi sur la discrimination fondée sur le handicap a pour objet de donner de meilleures chances aux personnes porteuses dun handicap et de les aider à surmonter les obstacles qui les empêchent de participer à la vie active et aux autres domaines de la vie. La loi interdit la discrimination fondée sur le handicap dans lemploi, le logement, les loisirs et les activités récréatives. Elle vient compléter la législation en vigueur qui interdit la discrimination fondée sur la race ou le sexe.
La structure des législations nationales relatives à la réadaptation professionnelle et à lemploi des personnes handicapées varie légèrement dun pays à un autre, et il est donc difficile de déterminer quel est le meilleur type de législation. Cependant, deux sortes semblent se détacher, à savoir la législation imposant des quotas ou des taxes et la législation interdisant la discrimination.
Bien que certains pays européens, entre autres, utilisent des systèmes de quotas généralement prévus dans la législation de type B, ces systèmes diffèrent sur certains points, tels la catégorie de personnes handicapées visée, la catégorie demployeurs tenue à cette obligation demploi (par exemple, la taille de lentreprise ou seulement le secteur public) et le taux demploi (3%, 6%, etc.). Dans la plupart des pays, le système de quotas est accompagné dun système de taxes ou de contributions. La législation de pays non industriels les plus divers, comme lAngola, Maurice, les Philippines ou la République-Unie de Tanzanie, prévoit également des quotas. La Chine est également en train détudier la possibilité dintroduire un système de quotas.
Il est certain quun système de quotas exécutoire pourrait contribuer à relever considérablement le niveau demploi des personnes handicapées sur le marché du travail ordinaire. De plus, le système de taxes ou de contributions aide à compenser les inégalités financières entre les employeurs qui essaient doccuper des travailleurs handicapés et ceux qui ne le font pas, les taxes contribuant à réunir les moyens nécessaires pour financer la réadaptation professionnelle et les mesures incitatives pour les employeurs.
Toutefois, ce système présente linconvénient dappeler une définition précise du handicap pour létablissement de la qualification, des règles et des procédures strictes dinscription, ce qui risque donc de soulever le problème dune stigmatisation. Cela peut également entraîner la situation désagréable pour une personne handicapée doccuper un poste chez un employeur qui ne veut pas delle, mais qui la tolère pour éviter les sanctions légales. De plus, la législation en matière de quotas doit se doter de mécanismes dapplication fiables et permettre leur application effective pour obtenir des résultats.
La législation interdisant la discrimination (type D) semble plus appropriée en tant que principe de normalisation assurant aux personnes handicapées légalité de chances dans la société, parce quelle encourage les initiatives des employeurs et la prise de conscience sociale grâce à lamélioration du milieu, et non par lobligation demploi.
Néanmoins, certains pays ont des difficultés à faire appliquer la législation interdisant la discrimination. Par exemple, pour mettre en uvre une mesure corrective, il faut généralement une victime dans le rôle du plaignant et, dans certains cas, la discrimination est difficile à prouver. Ces mesures correctives prennent du temps du fait du grand nombre de plaintes en discrimination fondée sur le handicap qui parviennent aux tribunaux ou aux commissions de légalité de droits. De lavis général, la législation interdisant la discrimination doit encore faire la preuve de son efficacité à placer un nombre important de travailleurs handicapés et à les maintenir en emploi .
Bien quil soit difficile de prévoir lévolution de la législation, il semble que les lois interdisant la discrimination (type D) représentent un courant dont les pays développés comme les pays en développement devraient tenir compte.
Les pays industriels, qui disposent dune législation imposant des quotas ou des quotas et des taxes, vont certainement observer lexpérience de pays tels que lAustralie et les Etats-Unis avant dajuster leurs propres systèmes législatifs. LEurope, en particulier, avec ses concepts de justice redistributive, va probablement conserver les systèmes législatifs en vigueur, tout en introduisant ou en renforçant des dispositions antidiscriminatoires sous forme de lois complémentaires.
Dans quelques pays comme lAustralie, le Canada et les Etats-Unis, il pourrait savérer difficile, dun point de vue politique, de légiférer sur un système de quotas concernant les personnes handicapées sans mettre également en place des quotas concernant les autres groupes de population désavantagés sur le marché du travail, comme les femmes et les minorités ethniques et raciales, actuellement protégés par la législation sur les droits de lhomme ou légalité dans lemploi. Bien quun système de quotas présente quelques avantages pour les personnes handicapées, lappareil administratif nécessaire à un tel système de quotas multicatégoriel serait énorme.
Les pays en développement qui nont pas de législation en matière de handicap choisissent, semble-t-il, la législation de type C, assortie de quelques dispositions concernant linterdiction de la discrimination, parce que cest lapproche la plus générale. Elle présente toutefois un inconvénient: la législation générale, qui relève de la compétence de nombreux ministères, pourrait devenir laffaire dun seul, essentiellement le ministère de la Protection sociale. Un tel choix risque daller à lencontre de leffet recherché, de renforcer la ségrégation et daffaiblir la capacité de lEtat de faire appliquer la loi. Lexpérience montre en effet quune législation générale a belle allure sur le papier, mais quelle est rarement appliquée.
En règle générale, les possibilités dintégration professionnelle des personnes handicapées sont beaucoup plus limitées que celles du reste de la population: cest là une situation que confirment toutes les informations disponibles. Cependant, de nombreux pays ont pris des initiatives politiques en vue de faire évoluer les choses. Cest ainsi que nous trouvons, par exemple, des dispositions légales imposant aux entreprises demployer un certain pourcentage de personnes handicapées, ainsi que souvent en complément de ces mesures des aides financières pour les employeurs qui embauchent des personnes handicapées. De plus, ces dernières années, bien des pays ont créé des services de soutien et dassistance aux personnes handicapées désireuses dentrer dans la vie active. Nous décrirons ces services et leurs tâches spécifiques dans le cadre de la réadaptation et de lintégration professionnelles des personnes handicapées.
Ces services interviennent sous forme de conseils et de soutien pendant la phase de réadaptation, cest-à-dire celle qui précède lentrée dans la vie active. Alors que les services de soutien se limitaient auparavant presque exclusivement à ce domaine, les services modernes, étant donné la persistance des problèmes auxquels se heurtent les personnes handicapées pour trouver un emploi, font de plus en plus porter leurs efforts sur les différentes étapes du placement et de lintégration dans lentreprise.
Si ces services ont pris de limportance dans la promotion de lintégration professionnelle, cest notamment grâce au développement des activités de réadaptation sociale et, dun point de vue pratique, grâce aux nombreuses méthodes qui permettent aux personnes handicapées de réussir leur insertion dans la collectivité. Depuis que les institutions de soins pour handicapés ne sont plus considérées comme de simples établissements fermés et réservés, on a, pour la première fois, pris conscience des besoins professionnels et demploi de ce groupe de personnes. On voit donc se diversifier les services de soutien pour faire face à la demande croissante dinsertion de toutes les personnes handicapées dans la collectivité.
Seule lintégration des personnes handicapées dans la collectivité permettra de déclarer que le but et les finalités véritables de la réadaptation sont réellement atteints. Lobjectif des programmes de réadaptation professionnelle reste donc lobtention dun emploi et, par conséquent, la participation au marché du travail local.
En règle générale, les mesures de réadaptation médicale et professionnelle posent les fondements de linsertion ou de la réinsertion des personnes handicapées dans la vie active. Elles se proposent de permettre à la personne handicapée de développer ses propres capacités de manière à pouvoir mener dans la société une vie sans limitations, ou avec un minimum de limitations. Les services daccompagnement au cours de cette phase sont appelés services daide à la réadaptation. Si lon pouvait autrefois penser quune fois terminée la réadaptation médicale une bonne réadaptation professionnelle était, sinon une garantie, du moins un facteur clé de linsertion dans la vie active, ces conditions élémentaires ne suffisent plus aujourdhui du fait de la situation sur le marché du travail et des exigences complexes du lieu de travail. Bien entendu, la base de lintégration professionnelle repose toujours sur de solides qualifications professionnelles, mais dans le contexte actuel, un grand nombre de personnes handicapées ont besoin dune aide complémentaire pour chercher un emploi et sintégrer dans lentreprise. Les services concernant cette phase peuvent être dénommés services daide à lemploi.
Alors que les mesures de réadaptation médicale et professionnelle visent la personne handicapée elle-même et cherchent à développer ses capacités fonctionnelles et ses qualifications professionnelles, les services daide à lemploi font porter tous leurs efforts sur le milieu de travail et, donc, sur ladaptation de celui-ci aux besoins de la personne handicapée.
Limportance des services de soutien ne doit pas faire oublier que la réadaptation ne devrait jamais, à aucun stade, constituer une forme passive de traitement, mais bien un processus dirigé de manière active par la personne handicapée. Diagnostic, conseils, thérapie et autres formes de soutien peuvent au mieux constituer une aide dans la recherche dun objectif défini par lintéressé. Idéalement, la tâche de ces services est de présenter les différentes actions possibles parmi lesquelles les personnes handicapées doivent choisir elles-mêmes, autant que faire se peut.
Un paramètre tout aussi important de lintégration professionnelle est le caractère holistique de cette démarche: cest lui qui en est la marque. En dautres termes, la réadaptation doit être globale et ne pas se contenter de remédier à la déficience. Cest la personne tout entière qui doit être impliquée et amenée à trouver une nouvelle identité ou à saccommoder des conséquences sociales de son handicap. La réadaptation des personnes handicapées est, dans bien des cas, beaucoup plus quun processus de stabilisation physique et de développement des qualifications; pour que la réadaptation se déroule de manière satisfaisante et réussisse, elle doit aussi être un processus de stabilisation psychosociale, de formation de lidentité et dintégration dans les relations sociales quotidiennes.
La prévention des grands handicaps est un domaine dactivité important pour les services de soutien, malheureusement trop souvent laissé de côté. Dans le monde du travail en particulier, il est essentiel que les services de réadaptation et demploi ne se consacrent pas seulement aux personnes déjà handicapées, mais aussi à celles qui risquent de le devenir. Plus un handicap est identifié à un stade précoce, plus tôt pourra commencer une réorientation professionnelle, évitant ainsi lapparition de grands handicaps.
Ces perspectives générales ouvertes à la réadaptation professionnelle donnent aussi un aperçu des tâches et des paramètres essentiels concernant lactivité des services de soutien. De plus, il doit être bien clair que le meilleur moyen de mener à bien les tâches complexes décrites ici est détablir une collaboration interdisciplinaire entre experts de différentes professions. On peut donc définir la réadaptation moderne comme la coopération entre la personne handicapée et une équipe de formateurs spécialisés, de personnel médical et technique, de psychologues et denseignants qualifiés.
La réadaptation médicale a généralement lieu dans un hôpital ou dans une clinique de réadaptation spécialisée. Au cours de cette phase, la tâche des services de soutien consiste à franchir les premières étapes de lacceptation psychologique du handicap qui a frappé la personne. Toutefois, lorientation ou la réorientation professionnelle devrait aussi intervenir le plus rapidement possible, pratiquement au chevet du patient, car la construction dune nouvelle perspective professionnelle peut souvent faire naître la motivation décisive et faciliter ainsi la réadaptation médicale. Dautres mesures, dont les programmes dentraînement moteur et sensoriel, la physiothérapie, la rééducation fonctionnelle et lergothérapie, ainsi que lorthophonie, peuvent aussi contribuer pendant cette phase à accélérer le processus naturel de régénération et à réduire ou éviter la création de dépendances.
La décision concernant les perspectives professionnelles dune personne handicapée ne devrait en aucun cas être prise dun point de vue strictement médical par un médecin, ce qui est malheureusement encore trop souvent le cas dans la pratique. Toute décision de ce type devrait se fonder non seulement sur les déficiences qui peuvent être diagnostiquées médicalement mais surtout sur les aptitudes et les qualifications existantes. Les services daide à la réadaptation devraient donc entreprendre, avec la personne handicapée, un examen extensif de son expérience professionnelle et faire linventaire de ses capacités potentielles et de ses intérêts. Sur cette base, un projet individuel de réadaptation devrait être élaboré en fonction des potentialités, des intérêts et des besoins de la personne handicapée, ainsi que des ressources potentielles de son milieu social.
Un autre domaine de travail pour les services daide à la réadaptation pendant cette phase consiste à conseiller la personne handicapée en matière dassistance technique, déquipement, de fauteuil roulant, de prothèses et de tout ce qui peut lui être nécessaire. Le recours à ce type dassistance technique peut faire lobjet, dans un premier temps, dune réaction de rejet ou de refus. Si une personne handicapée ne reçoit pas le soutien et les instructions appropriés au cours de cette phase initiale, elle risque de voir son premier mouvement de rejet se transformer en phobie, ce qui peut par la suite lempêcher de tirer le meilleur parti de lappareil en question. Etant donné la grande diversité de lassistance technique disponible à lheure actuelle, le choix de ce matériel doit faire lobjet du plus grand soin et être adapté aux besoins individuels de la personne handicapée. Idéalement, le choix du matériel technique nécessaire devrait tenir compte à la fois des projets professionnels de la personne intéressée et, dans la mesure du possible, des exigences de son futur lieu de travail, étant donné que cest ce dernier qui va aussi déterminer les besoins auxquels doit répondre lassistance technique.
La convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1983, considère que «le but de la réadaptation professionnelle est de permettre aux personnes handicapées dobtenir et de conserver un emploi convenable, de progresser professionnellement et, partant, de faciliter leur insertion ou leur réinsertion dans la société».
Au cours des trente dernières années, les services de réadaptation professionnelle pour les personnes handicapées se sont développés rapidement. Ils comprennent lévaluation professionnelle, qui vise à donner une image précise des capacités potentielles de lintéressé; des cours dorientation pour aider la personne à rétablir la confiance perdue dans ses capacités; lorientation professionnelle, afin de mettre en place une (nouvelle) perspective professionnelle et de choisir un métier; des possibilités de formation professionnelle et de reconversion dans le domaine dactivité choisi; des services de placement, conçus pour aider la personne handicapée à trouver un emploi adapté à son handicap.
Lentrée ou le retour en emploi dune personne handicapée se fait généralement par des programmes de réadaptation professionnelle individuels ou combinés pouvant être suivis dans des endroits différents. Les services daide à la réadaptation doivent discuter avec la personne handicapée pour savoir si les cours de qualification professionnelle doivent avoir lieu dans un centre ordinaire de formation professionnelle, dans une institution spécialisée dans la réadaptation professionnelle, en utilisant les installations des services sociaux, voire directement, sur un lieu de travail ordinaire. Cette dernière option est particulièrement indiquée lorsque lemploi précédent est encore vacant et que la direction a donné son accord de principe pour reprendre son ancien salarié. Toutefois, dans dautres cas, la coopération avec un lieu de travail ordinaire peut être recommandée au cours de la formation professionnelle, car lexpérience a montré quelle améliore également les chances dembauche ultérieure par lentreprise. Ainsi, dans le cas dune formation dispensée dans un centre de réadaptation professionnelle, il va sans dire que les services de soutien devraient aider les personnes handicapées à rechercher des possibilités de formation sur le tas.
Bien évidemment, ces choix de mesures de réadaptation professionnelle ne peuvent pas être dissociés de certains paramètres et conditions qui varient dun pays à lautre. De plus, la décision réelle concernant le lieu de la réadaptation professionnelle dépend du type de travail envisagé, du type de handicap, ainsi que du milieu social de la personne handicapée et du soutien naturel potentiel quil comporte.
Quel que soit lendroit où se déroule la réadaptation professionnelle, il incombe aux services daide à la réadaptation daccompagner cette action, de discuter avec la personne handicapée des expériences acquises et délargir son projet individuel de réadaptation en le mettant en accord, le cas échéant, avec les progrès réalisés.
Si, dans un grand nombre de pays, la réadaptation tant médicale que professionnelle peut compter sur lappui dun cadre institutionnel plus ou moins important, certains pays industriels ne possèdent pas encore dinfrastructure comparable pour la promotion de lintégration des personnes handicapées dans lemploi. Et, bien que différents pays disposent dun certain nombre de modèles opérationnels, dont certains fonctionnent depuis plusieurs années, dans la plupart dentre eux, à lexception de telle ou telle approche en Allemagne, en Australie, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, les services de lemploi ne font toujours pas partie intégrante de la politique nationale pour les personnes handicapées.
Si le placement des personnes handicapées est une fonction obligatoire de ladministration générale de lemploi dans de nombreux pays, la progression du chômage rend la tâche de ces organismes de plus en plus ardue. Ce problème est aggravé dans bien des cas par le manque de personnel qualifié capable de reconnaître les capacités et les désirs de la personne handicapée, ainsi que de répondre aux exigences du monde du travail. Les services daide à lemploi ont aussi été créés en réaction à léchec croissant de lapproche traditionnelle de la réadaptation professionnelle institutionnalisée consistant «à former et à placer». Malgré des mesures de réadaptation médicale et professionnelle sophistiquées et souvent positives, il est de plus en plus difficile, pour une personne handicapée, de sintégrer dans la vie active sans assistance complémentaire.
Cest là que le besoin de services spécialisés daide à lemploi se fait sentir. Où quils soient installés, ces services rencontrent une énorme demande de la part des personnes handicapées et de leur famille. Ce type de services est particulièrement nécessaire et efficace dans son rôle dinterface institutionnelle entre les écoles, les organismes de réadaptation, les ateliers protégés et les autres établissements pour personnes handicapées, dune part, et les lieux de travail, dautre part. Cependant, lexistence de services daide à lemploi démontre aussi que de nombreuses personnes handicapées ont besoin daide et daccompagnement, non seulement pendant la phase de placement en emploi, mais encore pendant celle dadaptation au lieu de travail. Un certain nombre de grandes entreprises ont leur propre service interne dassistance aux salariés chargé de lintégration des personnes handicapées nouvellement embauchées et du maintien en emploi de celles qui sont déjà occupées.
Les services daide à lemploi font avant tout porter leur intervention sur létape critique de lentrée dans la vie active. Généralement, leur rôle consiste à créer des liens entre lentreprise et la personne handicapée, cest-à-dire avec son supérieur direct et ses futurs collègues de travail.
Dune part, les services daide à lemploi doivent assister la personne handicapée dans sa quête dun emploi, notamment en lentraînant à développer sa confiance en elle, en la préparant aux entretiens dembauche (en utilisant les techniques vidéo), en laidant à rédiger des lettres de candidature mais, aussi et essentiellement, à se placer en formation sur le tas. Toutes les expériences montrent que ces stages en entreprise sont le meilleur moyen dy accéder. Si nécessaire, les services accompagnent la personne handicapée aux entretiens dembauche, laident à remplir les documents officiels et restent à ses côtés pendant la phase dadaptation initiale au lieu de travail. Faute de moyens, la plupart des services daide à lemploi ne sont pas à même dapporter un soutien en dehors des limites du lieu de travail. Toutefois, théoriquement, ce type de soutien nest pas souhaitable. Dans la mesure où il est nécessaire dapporter également une aide dans la sphère privée, quelle soit dordre psychologique, médical ou dautonomie fonctionnelle, elle prend généralement la forme dune orientation vers les services compétents.
Dautre part, en ce qui concerne les entreprises, la tâche la plus importante des services daide à lemploi consiste, au départ, à motiver un employeur et à linciter à engager une personne handicapée. Bien que lemploi de personnes handicapées suscite dimportantes réticences de la part dun grand nombre dentreprises, il est néanmoins possible den trouver qui sont prêtes à engager une coopération suivie avec des établissements de réadaptation professionnelle et des services daide à lemploi. Une fois cette volonté de coopération établie, il faut alors localiser les emplois susceptibles de convenir dans lentreprise. Tout placement en entreprise doit être précédé dune comparaison des qualifications requises avec les aptitudes de la personne handicapée. Toutefois, le temps et lénergie consacrés à des projets modèles utilisant des procédures soi-disant «objectives» pour comparer le différentiel des profils des aptitudes et de la demande afin de trouver lemploi «optimal» pour une personne handicapée donnée na en général aucun rapport avec les chances de réussite et les efforts pratiques consacrés à la recherche dun emploi. Il est plus important damener les personnes handicapées à être les agents de leur propre développement professionnel, car en termes dimportance psychologique, on naccordera jamais trop de valeur à lengagement des intéressés dans lélaboration de leur propre avenir professionnel.
Les méthodes de placement déjà existantes essaient de tirer profit des analyses approfondies de la structure organisationnelle et des méthodes de travail en soumettant des suggestions à lentreprise en matière de réorganisation de certains services et, donc, de création de possibilités demploi pour les personnes handicapées. Ces suggestions peuvent porter sur laménagement ou lallégement de certaines conditions de travail, sur la mise en place du travail à temps partiel et des horaires souples, ainsi que sur la réduction du bruit et du stress au travail.
Les services daide à lemploi proposent aussi daider les entreprises à déposer des demandes de subventions publiques, telles que des subventions salariales, ou à surmonter les obstacles bureaucratiques lorsquelles demandent à lEtat des allocations pour les moyens techniques mis en uvre afin de pallier les limitations dues au handicap. Le soutien à la personne handicapée sur son lieu de travail ne doit cependant pas être uniquement de nature technique: les personnes atteintes dune déficience visuelle peuvent dans certains cas avoir besoin non seulement dun clavier en braille pour leur ordinateur et dune imprimante adaptée, mais aussi dune personne qui lise pour elles; les personnes qui ont une déficience auditive peuvent bénéficier de laide dun interprète en langue des signes. Il peut parfois savérer nécessaire dapporter un soutien dans lacquisition des qualifications requises pour le poste ou pour lintégration sociale dans lentreprise. Ce genre de tâches est souvent confié à un agent des services daide à lemploi appelé «tuteur». Le soutien individualisé apporté par celui-ci diminue avec le temps.
Lintégration des personnes porteuses dun handicap mental ou psychique doit généralement se faire pas à pas, en augmentant progressivement la charge de travail, la durée du travail et les contacts sociaux, le tout organisé avec les services daide à lemploi en coopération avec lentreprise et la personne handicapée.
Chaque forme de soutien doit suivre la règle selon laquelle ce dernier doit être adapté aux besoins individuels de la personne handicapée et aux ressources de lentreprise.
Lemploi assisté des personnes handicapées relève de lidée selon laquelle les subventions salariales aux entreprises et les services daide personnalisée pour les personnes handicapées sont étroitement liés afin de parvenir à une pleine intégration dans la vie active. Cette idée est particulièrement répandue en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Pour linstant, elle a servi essentiellement à linsertion des personnes handicapées mentales et psychiques dans la vie professionnelle.
Les services daide à lemploi se chargent du placement de personnes handicapées dans une entreprise, organisent le soutien financier, technique et organisationnel que celle-ci requiert et délèguent un tuteur qui accompagne lintégration professionnelle et sociale des intéressés dans lentreprise.
Lemployeur est donc dégagé de tous les problèmes qui lattendent normalement lors de lembauche dune personne handicapée. Dans la mesure du possible et en cas de besoin, les services daide à lemploi se chargent aussi des aménagements nécessaires du lieu et du milieu immédiat de travail de la personne handicapée. Le candidat doit parfois suivre une formation complémentaire à lextérieur de lentreprise, bien que linstruction prenne souvent la forme dune formation sur le tas par le tuteur. Ce dernier est également chargé dorienter les collègues et les supérieurs sur laide technique et sociale à apporter à la personne handicapée, car lobjectif est en principe de réduire progressivement lassistance du service daide à lemploi. Il est toutefois absolument nécessaire quen cas de problème grave, ce service soit présent pour apporter une aide continue dans la mesure requise. En dautres termes, le soutien apporté à la personne handicapée, ainsi quà son employeur, son supérieur et ses collègues de travail, doit être individualisé et correspondre à des besoins spécifiques.
Des analyses coûts-avantages de cette approche effectuées aux Etats-Unis ont montré que, malgré le caractère intensif de la phase initiale dintégration en termes de soutien apporté et, donc, de coût, plus lemploi est stable, plus linvestissement se justifie également du point de vue financier, non seulement pour la personne handicapée, mais aussi pour lemployeur et le trésor public.
Le placement de personnes handicapées par les démarches de lemploi assisté est le plus courant dans les postes relativement peu exigeants, mais qui présentent le risque dêtre supprimés. Lavenir des emplois assistés ne dépendra pas seulement de lévolution du marché du travail, mais aussi de lévolution de lidée même.
Nous exposerons ci-après un certain nombre de points critiques pour lévolution ultérieure des idées et pour le travail pratique des services daide à lemploi dont il ne faut pas sous-estimer limportance.
Pour que les services daide à lemploi ne manquent pas leur but dans le domaine de ce qui est réellement nécessaire, ils doivent créer des liens organiques avec les centres de réadaptation professionnelle existants. Les services dinsertion qui nont pas de liens avec les centres de réadaptation risquent lexpérience la prouvé de jouer le rôle de simples instruments de sélection plutôt que celui de services dintégration professionnelle des personnes handicapées.
Les services de soutien ont besoin non seulement détablir un réseau et de coopérer avec les centres de réadaptation professionnelle, mais aussi, ce qui est encore plus important, de trouver leur place dans la coopération avec les entreprises. Les services daide à lemploi ne doivent en aucun cas fonctionner comme de simples services de conseil pour les personnes handicapées et leur famille; ils doivent aussi les aider activement par des services de recherche demploi et de placement. Pour les personnes handicapées, la proximité du marché du travail est la clé de laccès aux entreprises et, par conséquent, aux possibilités de trouver un emploi. Pour faciliter leur accès à lentreprise, ces services doivent se situer le plus près possible de lactivité économique réelle.
Une partie importante des efforts dinsertion professionnelle, un enjeu central pour les services daide à lemploi, porte sur la coordination de la préparation et de la qualification professionnelles avec les besoins de lentreprise, bien quelle soit encore souvent négligée. Aussi justifiée que soit la critique du modèle traditionnel, «former et placer», il ne suffit pas de commencer par placer, puis dassurer la formation aux qualifications demandées. Dans les conditions actuelles, travailler signifie posséder non seulement les qualités professionnelles dites secondaires ponctualité, concentration et rapidité , mais aussi un certain nombre de qualifications techniques qui doivent toujours être acquises avant de prendre un emploi. Il serait vain de demander plus aux personnes à placer tout comme aux entreprises prêtes à les engager.
Les chances de réussite de linsertion professionnelle des personnes handicapées sur le marché du travail augmentent avec la possibilité dorganiser laide et le soutien soit parallèlement au travail, soit directement sur le lieu de travail. Il est tout particulièrement important, pendant la phase initiale dadaptation, daider la personne handicapée à remplir les exigences du poste quelle occupe, mais également dapporter un soutien à ceux qui constituent son milieu de travail. Cette forme daccompagnement est généralement assurée par les services daide à lemploi. La réussite à long terme de lintégration dune personne handicapée dépend de la possibilité de remplacer ce type daide professionnelle par la mobilisation du soutien naturel dans lentreprise, de la part de ses collègues ou de ses supérieurs. Au terme dun projet conduit en Allemagne en vue de la mobilisation du soutien naturel sur le lieu de travail par des travailleurs appelés tuteurs, 42 personnes handicapées ont réussi leur insertion en vingt-quatre mois; plus de 100 entreprises ont été invitées à participer. Le projet a montré que peu de salariés avaient les connaissances et lexpérience requises pour soccuper de personnes handicapées. Il est donc apparu dune importance stratégique pour les services de lemploi délaborer un cadre conceptuel afin dorganiser le remplacement du soutien professionnel et la mobilisation du soutien naturel sur le lieu de travail. Au Royaume-Uni, par exemple, les salariés prêts à jouer le rôle de tuteurs pendant un certain temps reçoivent en reconnaissance une petite gratification financière.
Enfin, les services daide à lemploi doivent aussi encourager leurs propres salariés à se rendre dans les entreprises pour réussir à y placer des personnes handicapées, car cest sur ce point quils doivent faire porter lessentiel de leurs efforts. Le placement des personnes handicapées ne peut néanmoins être assuré à long terme que si le financement des services daide à lemploi et de leur personnel est, dans une certaine mesure, lié à leur succès. Comment les salariés de ces services peuvent-ils trouver la motivation de sortir de leur institution si cest pour se heurter à la frustration générée par le refus des entreprises? Le placement des personnes handicapées dans la vie active est une tâche difficile. Comment faire naître lélan qui permettra de se battre avec ténacité et persévérance contre les préjugés? Toutes les organisations peuvent évoluer en fonction de leurs propres intérêts, qui ne saccordent pas nécessairement avec ceux de leurs usagers; toutes les institutions financées sur fonds publics courent le risque de ne plus satisfaire les besoins de leurs clients. Cest pourquoi il faut prendre des mesures dintéressement générales non seulement pour les services daide à lemploi, mais aussi pour les autres services sociaux qui les mettent sur la voie du succès.
Une autre modification nécessaire du travail des services sociaux financés grâce à des fonds publics consiste à donner la parole aux usagers et à leurs organisations dans leurs domaines dintérêt. Cette culture de la participation doit aussi trouver un écho dans les concepts qui sous-tendent les services de soutien. A ce propos, les services, comme toutes les autres institutions financées sur fonds publics, devraient faire lobjet de contrôles et dévaluations régulières de la part de leurs clients les usagers et leur famille et enfin, et cest tout aussi important, de la part des entreprises qui coopèrent avec ces services.
Il nest pas possible de répondre dans labstrait à la question de savoir quelles personnes handicapées, ou combien dentre elles, peuvent être intégrées dans le marché du travail par les services de réadaptation professionnelle et daide à lemploi. Lexpérience montre que ni le degré dincapacité ni la situation du marché du travail ne peuvent être considérés comme des limitations absolues. Les facteurs qui déterminent le développement dans la pratique incluent non seulement la manière de travailler des services de soutien et la situation du marché du travail, mais aussi la dynamique qui naît dans les institutions et les établissements pour personnes handicapées, quand ce type doption demploi se concrétise. Dans tous les cas, lexpérience des différents pays a montré que la collaboration entre les services daide à lemploi et les établissements protégés a tendance à avoir un effet considérable sur les pratiques internes de ces derniers.
Les gens ont besoin davoir des perspectives, et la motivation et laction apparaissent dans la mesure où il en existe, ou lorsque de nouvelles options en font naître. La possibilité de choix pour le développement personnel des personnes handicapées qua permis lexistence des services daide à lemploi est tout aussi importante que le nombre absolu de placements obtenu par ces services.
* Certaines parties de cet article sont adaptées de Shrey et Lacerte (1995), et de Shrey (1995).
Les employeurs font lobjet dune pression sociale et législative croissante pour intégrer et accueillir des personnes frappées dincapacité. Laugmentation des coûts de la réparation et des soins de santé des travailleurs menace la survie des entreprises et ponctionne les ressources qui pourraient être consacrées au développement économique de demain. La conjoncture actuelle montre que les employeurs peuvent parvenir à gérer efficacement les problèmes daccidents du travail et dincapacité. On trouve des exemples frappants de programmes de gestion de lincapacité chez les employeurs qui prennent à leur charge la prévention des accidents du travail, lintervention précoce, la réintégration du travailleur victime dun accident et laménagement du lieu de travail. La façon dont lincapacité est traitée à lheure actuelle dans lindustrie est une transition exemplaire dune situation où les services étaient offerts dans la collectivité à celle où les interventions sont faites sur le lieu de travail.
Le présent article propose une définition opérationnelle de la gestion de lincapacité et présente un modèle qui illustre les éléments structurels dun programme optimal de cette gestion sur le lieu de travail. Il expose également des stratégies et des interventions efficaces dans ce domaine, ainsi que les concepts essentiels en matière dorganisation qui renforcent loffre de services et améliorent les résultats. Nous nous intéresserons aussi à la collaboration entre les travailleurs et la direction, ainsi quau recours à des services interdisciplinaires, que beaucoup considèrent comme indispensables à la mise en uvre de programmes de gestion optimale de lincapacité dans lindustrie. Laccent est mis sur la promotion du respect et de la dignité entre les travailleurs frappés dincapacité et les professionnels qui les servent.
La gestion de lincapacité se définit comme une méthode active visant à minimiser leffet dune déficience (consécutive à un accident ou à une maladie) sur laptitude de la personne à participer de manière compétitive à la vie active (Shrey et Lacerte, 1995). Ses principes fondamentaux sont les suivants:
Une bonne gestion des conséquences dune maladie, dun accident ou dune maladie chronique ayant frappé les travailleurs appelle:
La gestion de lincapacité suppose que lemployeur prenne en charge de manière globale, cohérente et progressive les besoins complexes des personnes frappées dincapacité dans un milieu professionnel et socio-économique donné. Malgré laugmentation rapide des coûts des accidents du travail et de lincapacité, les technologies de réadaptation et les moyens de gestion de lincapacité permettent aux entreprises de réaliser des économies immédiates et périodiques. Lorsque les politiques, procédures et stratégies de gestion de lincapacité sont correctement intégrées dans lorganisation de lemployeur, elles fournissent linfrastructure qui permet aux employeurs de gérer efficacement lincapacité et de rester globalement compétitifs.
Il nest pas facile de maîtriser le coût de lincapacité dans lentreprise ni son impact sur la productivité du salarié. Les relations sont complexes et conflictuelles entre les objectifs, les ressources et les attentes des employeurs; les besoins et les intérêts des travailleurs, des personnels de santé, des syndicats et des hommes de loi; les services sociaux à disposition. La capacité de lemployeur à prendre une part active et effective dans ces relations contribuera à maîtriser les coûts, ainsi quà protéger lemploi stable et productif du travailleur.
Les politiques et les méthodes de lemployeur, ainsi que les stratégies et les interventions en matière de gestion de lincapacité, doivent viser des objectifs réalistes et accessibles. Les programmes de gestion de lincapacité sur le lieu de travail doivent permettre à lemployeur de:
Travailleurs et directions ont tout intérêt à protéger laptitude à lemploi des salariés, tout en maîtrisant les coûts des accidents du travail et de lincapacité. Les syndicats cherchent à protéger lemploi des travailleurs quils représentent. La direction veut éviter un renouvellement de personnel coûteux en maintenant dans lemploi les salariés productifs, responsables et expérimentés. Daprès les études faites sur le sujet, les concepts et stratégies suivants sont importants dans lélaboration et la mise en uvre de programmes efficaces de gestion de lincapacité dans lentreprise:
La gestion de lincapacité nécessite la participation, le soutien et la responsabilité de lemployeur et des syndicats. Les uns et les autres jouent un rôle clé dans cette gestion en participant activement aux prises de décisions, à la planification et à la coordination des interventions et des services. Il est important, pour les travailleurs comme pour la direction, dévaluer leurs capacités de réaction aux accidents et à leurs suites. A cette fin, il est souvent nécessaire de recenser les forces et les faiblesses communes, ainsi que dévaluer les moyens disponibles pour se charger correctement des aménagements et des activités de reprise du travail destinés aux salariés frappés dincapacité. Un grand nombre demployeurs ayant des syndicats dans leur entreprise ont réussi à mettre en uvre des programmes internes de gestion de lincapacité avec les conseils et le soutien des comités paritaires (Bruyere et Shrey, 1991).
Les structures organisationnelles, lattitude des travailleurs, les intentions de la direction et les précédents historiques contribuent à la culture dentreprise. Avant délaborer un programme de gestion de lincapacité, il importe de comprendre la culture dentreprise et, notamment, les motivations et les intérêts des travailleurs et de lemployeur en matière de prévention des accidents du travail, daménagement du lieu de travail et de réadaptation du travailleur blessé.
Les programmes de gestion du handicap dans lindustrie doivent être personnalisés pour traiter les différents aspects des accidents et de lincapacité, tels que le type dincapacité, lâge des travailleurs, les statistiques sur les journées perdues, les données relatives aux accidents et les coûts afférents aux demandes de réparation.
La gestion de lincapacité nécessite une équipe interdisciplinaire spécialisée. Les membres de cette équipe comprennent souvent des représentants de lemployeur (par exemple, les directeurs de la sécurité, les infirmières de santé au travail, les gestionnaires des risques, le personnel des ressources humaines, les directeurs des opérations), des représentants des syndicats, le médecin traitant du travailleur, un responsable de la réadaptation, un kinésithérapeute ou un ergothérapeute dentreprise et le travailleur frappé dincapacité.
Lintervention précoce est peut-être le principe le plus important de la gestion de lincapacité. Dans la plupart des régimes qui servent des prestations pour incapacité, les politiques et les pratiques en matière de réadaptation reconnaissent limportance dune intervention précoce au vu des résultats des études menées ces dix dernières années en matière de gestion de lincapacité. Les employeurs ont considérablement réduit les coûts de lincapacité en favorisant le principe de lintervention précoce et, notamment, le suivi systématique des travailleurs dont les activités sont limitées. Les stratégies dintervention précoce et les programmes de reprise rapide du travail entraînent une diminution du nombre de journées perdues, laugmentation de la productivité et la baisse des coûts de réparation des lésions professionnelles. Que lincapacité soit liée au travail ou non, lintervention précoce est considérée comme le facteur fondamental sur lequel va reposer la réadaptation médicale, psychosociale et professionnelle (Lucas, 1987; Pati, 1985; Scheer, 1990; Wright, 1980). Toutefois, pour que la gestion de lincapacité réussisse, il faut prévoir des possibilités de reprise rapide du travail, des aménagements et des soutiens (Shrey et Olshesky, 1992; Habeck et coll., 1991). Les programmes classiques de reprise rapide du travail dans lindustrie associent différentes interventions en matière de gestion de lincapacité, facilitées par une équipe pluridisciplinaire mise en place par lemployeur et coordonnée par un responsable qualifié.
En matière de gestion de lincapacité, les interventions doivent porter à la fois sur lindividu et sur son milieu de travail. Lapproche traditionnelle de la réadaptation ignore souvent le fait que lincapacité peut provenir autant des obstacles environnementaux que du caractère du travailleur. Les travailleurs insatisfaits de leur emploi, les conflits entre lagent de maîtrise et le travailleur et les postes de travail mal conçus sont en tête des nombreux obstacles liés au milieu que rencontre la gestion de lincapacité. En bref, pour obtenir les meilleurs résultats dans la réadaptation des travailleurs victimes daccident, il faut sintéresser autant à la personne quà son milieu de travail. Laménagement du poste, imposé par la loi sur les Américains porteurs de handicap et dautres textes législatifs sur léquité dans lemploi, permet souvent délargir les possibilités demploi transitoire du travailleur victime dun accident du travail. Ladaptation des outils, des postes de travail ergonomiques, des dispositifs appropriés et laménagement du temps de travail sont des méthodes efficaces de gestion de lincapacité qui permettent au travailleur dassurer les fonctions essentielles de son poste (Gross, 1988). Ces mêmes interventions peuvent être utilisées à titre préventif pour repérer et redéfinir les emplois qui risquent de provoquer de nouveaux accidents.
Les régimes de réparation incitent souvent les travailleurs à sinstaller dans lincapacité. La démotivation financière est une des forces négatives les plus graves qui entraîne une perte de temps et des coûts exorbitants. Les régimes de réparation ne devraient pas créer une contre-incitation économique au travail, mais récompenser les travailleurs frappés dincapacité qui reprennent le travail et restent en bonne santé et productifs.
Il existe deux moyens essentiels de réduire les coûts de lincapacité dans lindustrie: 1) prévenir les accidents et les lésions; 2) réduire labsentéisme. Les programmes traditionnels daffectation à un poste physiquement moins pénible ne se sont pas avérés efficaces pour inciter les travailleurs blessés à reprendre leur poste. Les employeurs ont de plus en plus recours à des options transitoires flexibles et novatrices de reprise de travail et à des aménagements raisonnables à lintention des travailleurs dont les activités sont limitées. Un travail transitoire permet aux salariés encore frappés dincapacité de recommencer à travailler avant dêtre complètement rétablis. Le travail transitoire associe généralement laffectation temporaire à un emploi modifié, une remise en forme physique, une formation à des pratiques professionnelles sûres et laménagement du travail. En écourtant labsentéisme, ce type de travail entraîne aussi une diminution des coûts. On donne au salarié la possibilité deffectuer un travail temporairement différent, mais productif, tout en reprenant progressivement son activité précédente.
Les relations entre les travailleurs et leur milieu de travail sont dynamiques et complexes. De bonnes relations entraînent souvent la satisfaction au travail et une meilleure productivité, toutes deux gratifiantes à la fois pour le travailleur et pour lemployeur. En revanche, des relations marquées par des conflits non résolus peuvent avoir des conséquences destructrices pour les deux partenaires. Connaître la dynamique des interactions entre la personne et son milieu de travail est un premier pas important vers le règlement des demandes de réparation pour accident du travail ou incapacité. Un employeur responsable est celui qui favorise de bonnes relations professionnelles et la satisfaction au travail, ainsi que la participation du travailleur aux prises de décisions.
Les employeurs doivent être sensibles aux conséquences psychologiques et sociales dun accident du travail et dune incapacité, ainsi quà leffet de larrêt de travail sur la famille du travailleur. Des problèmes dordre psychosocial secondaires par rapport à la lésion physique initiale apparaissent généralement au fur et à mesure quaugmente la durée de linactivité. Les relations avec les membres de la famille se détériorent souvent rapidement, sous linfluence de lalcoolisme et dun sentiment dimpuissance. Il est courant dobserver des altérations du comportement résultant de larrêt de travail. Lorsque dautres membres de la famille subissent les conséquences négatives de laccident dun travailleur, des relations pathologiques apparaissent au sein de la famille. Le travailleur handicapé subit une inversion des rôles. Les membres de la famille font lexpérience de «réactions au changement de rôles». Le travailleur, qui était auparavant indépendant et qui subvenait à ses propres besoins, entre à présent dans un rôle de dépendance passive. La rancune apparaît lorsque la famille est désunie par la présence dune personne dépendante, parfois irritable et souvent déprimée.
Cest là laboutissement classique de problèmes non résolus de relations professionnelles, alimentés par le stress et envenimés par un climat conflictuel. Bien que les rapports entre ces différentes forces ne soient pas toujours compris, le dommage est généralement profond.
Un grand nombre demployeurs ont pu réduire de manière considérable le nombre des accidents en créant des comités de sécurité et dergonomie. Ces comités sont chargés de surveiller la sécurité et les facteurs de risque, tels que les expositions aux substances chimiques et vapeurs nocives et de mettre en place des contrôles visant à réduire lincidence et lampleur des accidents. Plus fréquemment, les comités paritaires de sécurité et dergonomie sattaquent aux problèmes de lésions dues à lexécution de tâches répétitives et de troubles résultant dhypersollicitations (par exemple, le syndrome du canal carpien). Lergonomie est lapplication de la technologie qui vient au secours de lélément humain dans le travail manuel. Lobjectif global de lergonomie est de faire correspondre les tâches aux personnes afin daméliorer leur efficacité au travail. En dautres termes, lergonomie se propose de:
Les interventions ergonomiques peuvent être considérées comme des actions de prévention aussi bien que de réadaptation. En matière de prévention, il importe danalyser du point de vue ergonomique les métiers présentant un risque daccident et de mettre au point les modifications susceptibles déviter dautres risques dincapacité. Du point de vue de la réadaptation, on peut appliquer les principes ergonomiques à laménagement du lieu de travail pour les travailleurs dont les capacités sont limitées, ce qui peut appeler des mesures administratives (périodes de repos, rotation des tâches, horaires réduits) ou laménagement ergonomique des tâches afin déliminer les facteurs de risque de nouvel accident (par exemple, modifier la hauteur dune table, améliorer léclairage, remballer pour réduire les poids à soulever).
Le pouvoir de lemployeur est un principe fondamental de la gestion de lincapacité. Le travailleur intéressé mis à part, lemployeur joue le premier rôle dans la gestion de lincapacité. Cest lui qui prend les premières mesures en lançant les stratégies dintervention précoce à la suite dun accident du travail. Lemployeur, qui connaît bien le fonctionnement de lentreprise, est le mieux placé pour mettre en uvre des programmes efficaces de sécurité et de prévention et pour offrir des possibilités de reprise de lactivité aux victimes dun accident ayant entraîné un arrêt de travail. Malheureusement, lexpérience montre que bon nombre demployeurs laissent le contrôle et la responsabilité de la gestion de lincapacité à des intervenants extérieurs à lentreprise. Ce sont les organismes assureurs, les responsables des demandes de réparation, les commissions de réparation, les médecins, les thérapeutes, les responsables du traitement des cas, les spécialistes de la réadaptation, voire les avocats qui prennent les décisions et règlent les problèmes suscités par lincapacité. Or, ce nest que lorsque les employeurs prennent des responsabilités dans la gestion de lincapacité quil est possible dinverser les tendances et de réduire la durée de lincapacité et les coûts des accidents du travail. Linfluence de lemployeur sur la gestion des coûts de lincapacité nest cependant pas un effet du hasard. Tout comme les personnes frappées dincapacité, les employeurs prennent leurs responsabilités si on leur reconnaît des ressources et des potentiels dans lentreprise. Ce nest quen étant conscients des problèmes, confiants en eux-mêmes et bien conseillés, quils seront à même déchapper aux forces et aux conséquences implacables de lincapacité de travail.
Les services de prise en charge des cas sont nécessaires pour faciliter la mise au point, puis la mise en uvre des stratégies de gestion de lincapacité et des plans de reprise du travail des salariés frappés dincapacité. Le responsable de la prise en charge des cas est au centre de léquipe de gestion de lincapacité et assure la liaison entre les employeurs, les représentants syndicaux, les travailleurs accidentés, les prestataires de soins de santé publique, etc. Il peut faciliter la mise au point, la mise en uvre et lévaluation dun programme portant sur des postes de travail provisoires dans lentreprise ou de maintien en lemploi. Un employeur peut avoir intérêt à créer et à mettre en uvre de tels programmes, afin: 1) déviter les arrêts de travail chez les salariés atteints de déficiences affectant leur rendement; 2) de favoriser la reprise dactivité, dans des conditions de sécurité et en temps opportun, des travailleurs en congé de maladie, au bénéfice de prestations ou frappés dincapacité de longue durée. En menant un programme portant sur des postes de travail transitoires dans lentreprise, le responsable de la prise en charge des cas peut prendre des décisions en matière de réadaptation: 1) évaluation objective du travailleur; 2) classification des exigences physiques de lemploi; 3) surveillance et suivi médical; 4) planification dun placement dans un poste permanent modifié et acceptable.
Il est important pour les employeurs détablir un juste équilibre entre les attentes des travailleurs et des syndicats et les intentions des cadres et des agents de maîtrise. Il faut pour cela que les travailleurs et lemployeur travaillent ensemble à la mise au point de politiques et de procédures de gestion de lincapacité. Les programmes de gestion de linvalidité qui ont fait leurs preuves disposent tous de manuels sur les politiques et les procédures qui exposent les projets dentreprise correspondant aux intérêts et aux obligations des travailleurs et de la direction. Les procédures écrites définissent souvent les rôles et les fonctions des membres du comité interne de gestion de lincapacité, ainsi que les activités à mener immédiatement après laccident jusquà la reprise du travail dans des conditions de sécurité et en temps opportun. Les politiques de gestion de lincapacité définissent souvent les relations entre lemployeur, les prestataires de soins de santé et les services publics de réadaptation. Le manuel des politiques et des procédures sert de moyen de communication entre les différents intéressés, dont les médecins, les organismes assureurs, les syndicats, les responsables, les salariés et les prestataires de services.
La gestion des accidents du travail se heurte, partout dans le monde, à une difficulté: lemployeur na aucune influence sur la décision de reprise du travail délivrée par le médecin. Les médecins traitants hésitent souvent à autoriser sans restriction un travailleur victime dun accident à reprendre une activité avant dêtre complètement rétabli; on leur demande maintes fois de donner des autorisations de reprise du travail sans quils aient une connaissance suffisante de la charge de travail physique liée au poste du travailleur. Les programmes de gestion de lincapacité ont réussi à informer les médecins des aménagements que les employeurs étaient prêts à réaliser en faveur des travailleurs dont les capacités sont limitées programmes portant sur des postes de travail transitoires et sur des affectations temporaires. Il est indispensable que les employeurs rédigent des descriptions de poste qui quantifient les exigences physiques des tâches à accomplir. Le médecin traitant peut ainsi déterminer si les aptitudes physiques du travailleur sont compatibles avec les exigences fonctionnelles du poste. De nombreux employeurs ont adopté la pratique consistant à inviter les médecins à visiter les sites de production et les lieux de travail pour quils se familiarisent avec les exigences des postes et le milieu de travail.
Les employeurs ont fait des économies substantielles et ont amélioré les résultats en matière de reprise du travail en recherchant, en utilisant et en évaluant lefficacité des services de santé et de réadaptation dans la collectivité. Les travailleurs victimes dun accident ou dune maladie sont toujours influencés par quelquun dans le choix dun prestataire de soins. Sils sont mal conseillés, il peut en résulter des traitements trop longs ou inutiles, des frais médicaux plus élevés et des résultats médiocres. Dans un système de bonne gestion de lincapacité, lemployeur joue un rôle actif dans la recherche de services de qualité capables de répondre aux besoins des travailleurs atteints. Pour lemployeur qui les internalise, les ressources extérieures deviennent un partenaire vital dans linfrastructure globale de la gestion de lincapacité. Les travailleurs frappés dincapacité peuvent alors être orientés vers des prestataires de services compétents qui partagent les mêmes objectifs de reprise du travail.
Il arrive que le dossier médical dun travailleur victime dun accident du travail nétablisse pas de manière objective les déficiences supposées et les restrictions médicales. Les employeurs ont souvent le sentiment dêtre tenus en otages par le médecin traitant, en particulier lorsque celui-ci, pour déterminer les limitations à lactivité du salarié, ne justifie pas par principe sa décision en sappuyant sur des examens médicaux objectifs ou des évaluations mesurables. Les employeurs doivent pouvoir exercer leur droit de faire procéder à une évaluation indépendante des aptitudes médicales ou physiques lorsquils se trouvent en présence de demandes de réparation suspectes. Cest à lemployeur quil incombe alors de trouver un médecin expert ou un spécialiste de la rééducation objectif et qualifié.
Pour lemployeur, un système optimal de gestion de lincapacité se compose de trois éléments principaux (Shrey, 1995, 1996). Tout dabord, un programme de ce genre comporte un élément de ressources humaines, composé pour une bonne part de léquipe interne de gestion de lincapacité. La préférence doit être donnée à des équipes paritaires travailleurs-direction dont les membres représentent souvent les intérêts des syndicats, la gestion des risques, la sécurité et la santé au travail, les cadres de lexploitation et la direction financière. La sélection des membres de léquipe de gestion du handicap devrait reposer sur les critères suivants:
Il y a souvent des lacunes dans laffectation et la délégation de responsabilités pour résoudre les problèmes dincapacité. De nouvelles tâches doivent être assignées pour que les différentes étapes entre laccident et la reprise du travail soient bien orchestrées. Lélément des ressources humaines comprend des connaissances et des qualifications, ou une formation qui permettent à la direction et au personnel de maîtrise de jouer leur rôle et dexercer leurs fonctions respectives. La responsabilité est fondamentale et elle doit sintégrer dans la structure organisationnelle du programme de gestion de lincapacité mis en place par lemployeur.
Le second élément dun système optimal de gestion de lincapacité est celui des opérations. Il comprend les activités, les services et les interventions qui ont lieu avant, pendant et après laccident. Avant laccident, il sagit de programmes de sécurité efficaces, de services ergonomiques, de mécanismes de sélection à lembauche, de programmes de prévention et de mise en place de comités paritaires. Lélément fort de ces opérations est la prévention des accidents du travail, qui peut passer par la promotion de la santé et des services de bien-être tels que des cures damaigrissement, des groupes de sevrage tabagique et des cours daérobic.
En cas daccident, le système optimal de gestion de lincapacité doit prévoir des stratégies dintervention précoce, des services de traitement des cas, des postes de travail transitoires, des aménagements du lieu de travail, des programmes daide au salarié et dautres services de santé. Ces activités visent à régler le problème des incapacités qui nont pas pu être évitées par le dispositif de prévention.
Après laccident, le système optimal de gestion de lincapacité utilise, pour le maintien en emploi du travailleur, des services qui interviennent pour faciliter son adaptation aux exigences de la tâche en tenant compte de ses limitations physiques ou mentales et des contraintes du milieu. Après laccident, ledit système devrait aussi comprendre lévaluation du programme, une analyse coûts-efficacité et lamélioration des programmes.
Le troisième élément dun système optimal de gestion de lincapacité est celui des communications, tant internes quexternes. Au niveau interne, les salariés, les directeurs, les agents de maîtrise et les représentants du personnel doivent être informés régulièrement et clairement des aspects opérationnels du programme de lemployeur. Linformation sur les politiques, procédures et protocoles des activités visant à la reprise du travail devrait être communiquée de façon adaptée, selon quelle sadresse au personnel ou à la direction.
La communication externe favorise les relations de lemployeur avec les médecins traitants, les responsables des demandes de réparation, les prestataires de services de réadaptation et les administrateurs des régimes de réparation. Lemployeur peut influencer un retour précoce au travail en fournissant au médecin traitant la description des tâches, les mesures de sécurité prises et les possibilités doccuper un poste de travail transitoire offertes aux travailleurs victimes daccident.
Les programmes de gestion de lincapacité et de postes de travail transitoires dans lentreprise représentent un nouveau type de réadaptation des travailleurs victimes daccidents du travail ou de maladies professionnelles. La réadaptation a tendance à se déplacer des établissements médicaux vers le lieu de travail. Les initiatives conjointes des travailleurs et de la direction sont à présent courantes dans le domaine de la gestion de lincapacité, ce qui crée de nouveaux enjeux et de nouvelles possibilités pour les employeurs, les syndicats et les professionnels de la réadaptation dans la collectivité.
Linterdisciplinarité des membres de léquipe de gestion de lincapacité de lentreprise leur permet de tirer parti des technologies et des ressources existantes dans le milieu de travail. Les employeurs doivent avant tout faire preuve de créativité, dimagination et de souplesse pour adapter la gestion de lincapacité au milieu de travail. Laménagement des postes de travail et le passage temporaire à un poste inhabituel permettent de proposer aux travailleurs dont les capacités sont limitées toute une gamme dactivités transitoires. Des outils modifiés, des postes de travail ergonomiques, des dispositifs susceptibles dévolution et des horaires adaptés sont autant de méthodes efficaces de gestion de lincapacité qui permettent au travailleur dexécuter les tâches essentielles de son poste. Ces mêmes interventions peuvent être employées à titre préventif pour détecter et redéfinir les emplois susceptibles de provoquer des accidents.
La protection des droits des travailleurs victimes dun accident du travail est un élément important de la gestion de lincapacité. Chaque année, des milliers de travailleurs sont frappés dincapacité à la suite dun accident du travail ou dune maladie professionnelle. Faute de possibilités doccuper un poste de travail transitoire et daménagements, ces travailleurs risquent de se heurter à une discrimination analogue à celle que rencontrent les autres personnes porteuses de handicap. La gestion de lincapacité est donc un outil de protection efficace, aussi bien pour lemployeur que pour la personne handicapée. Les interventions relevant de la gestion de lincapacité protègent laptitude à lemploi du travailleur, mais aussi les intérêts économiques de lemployeur.
Au cours des dix prochaines années, les entreprises et lindustrie constateront lampleur de la progression rapide des coûts de la réparation des lésions professionnelles. Au moment où la crise actuelle pose un défi à lindustrie, les interventions relevant de la gestion de lincapacité et les programmes de postes de travail transitoires offrent une bonne solution. Avec la diminution du réservoir de main-duvre, le vieillissement de la population active et la compétition mondiale croissante, les employeurs des pays industriels doivent saisir les opportunités de maîtriser les coûts de personnel et les coûts économiques des accidents et de lincapacité. La réussite dun employeur dépendra de sa capacité à faire adopter des attitudes positives par les représentants de lencadrement et les syndicats, tout en créant une infrastructure de soutien des systèmes de gestion de lincapacité.
* Cet article a été rédigé par le docteur Hétu peu de temps avant son décès prématuré. Ses collègues et amis le dédient à sa mémoire.
Bien que cet article traite de lincapacité résultant dune exposition au bruit et dune perte auditive, il fait partie intégrante du présent chapitre puisquil prend également en compte les principes fondamentaux applicables à la réadaptation des personnes frappées dincapacité à la suite dune exposition à dautres risques professionnels que le bruit.
Comme toute expérience humaine, lexpérience de la surdité due à lexposition au bruit en milieu de travail se voit attribuer un sens tant par ceux qui la vivent que par leur entourage. Or, ce sens agit comme un obstacle puissant à la réadaptation des personnes atteintes de perte auditive dorigine professionnelle (Hétu et Getty, 1991b). En effet, comme nous le verrons ci-après, dune part, la perception des manifestations et des conséquences de la perte auditive est généralement erronée et, dautre part, les signes de surdité font lobjet dune forte stigmatisation.
Les difficultés découte et de communication qui résultent de la perte daudition dorigine professionnelle sont le plus souvent attribuées à dautres causes: mauvaises conditions découte ou de communication, ou encore manque dattention ou dintérêt. Cela vaut aussi bien pour la personne affectée que pour son entourage immédiat. Les facteurs responsables de cette situation sont multiples, mais leur influence est convergente.
La convergence de ces cinq facteurs fait en sorte que les personnes affectées de perte daudition dorigine professionnelle ne prennent conscience de ses conséquences dans leur vie quotidienne quà un stade très avancé de la perte, cest-à-dire généralement lorsquelles doivent demander très fréquemment aux gens de répéter ce quils ont dit (Hétu, Lalonde et Getty, 1987). Cependant, même à ce stade, les personnes atteintes sont très réticentes à reconnaître leurs difficultés daudition à cause du stigmate associé à la surdité.
Les reproches suscités par les manifestations de la perte auditive se conjuguent avec le caractère très négatif qui est associé aux signes de surdité. Dans le milieu de travail, quiconque montre des signes de surdité risque de se voir socialement discrédité, cest-à-dire évalué comme étant anormal, incapable, vieilli prématurément, «handicapé» (Hétu, Getty et Waridel, 1994). En conséquence, plus les travailleurs sont affectés de perte auditive, plus ils sont confrontés à une image négative deux-mêmes quils sont évidemment réticents à endosser; par conséquent, ils méconnaissent les signes de perte auditive. Cela les conduit à attribuer leurs difficultés découte et de communication à dautres causes et à adopter une attitude passive à légard de ces difficultés.
Linfluence conjuguée du stigmate associé à la surdité et de la perception déformée des manifestations et des conséquences de la perte daudition sur la réadaptation est illustrée par la figure 17.2.
Lorsque les difficultés daudition sont à ce point évidentes quil nest plus possible de les nier ou de les minimiser, les personnes affectées cherchent à les dissimuler. Cela conduit inévitablement au retrait social de lintéressé, mais aussi à lexclusion de la part de lentourage du fait de limage qui leur est projetée dune personne peu intéressée à communiquer. Lentourage ne perçoit pas le manque de communication comme une conséquence de la perte daudition. Ces deux réactions expliquent que lon ne propose pas daider la personne atteinte ni de linformer de mesures palliatives. Les travailleurs peuvent arriver à dissimuler si bien leurs problèmes que les proches ou les collègues de travail ne se rendent même pas compte du caractère blessant de leurs plaisanteries au sujet des signes de surdité. Cette situation ne fait qualimenter le processus de stigmatisation avec toutes les conséquences négatives quil comporte.
Comme la figure 17.2 le montre, la perception déformée des manifestations et des conséquences de la perte auditive et la stigmatisation des signes de surdité sont des obstacles aux moyens de remédier aux difficultés daudition. La stigmatisation implique en outre que lusage daides auditives sera dabord rejeté, précisément parce quil révélerait la surdité et, par conséquent, alimenterait le processus de stigmatisation.
Les phénomènes résumés à la figure 17.2 rendent compte du fait que la majorité des personnes affectées de perte auditive dorigine professionnelle ne consultent pas en clinique audiologique, ne sollicitent pas daménagement de leur poste de travail, ne négocient pas avec leur entourage familial et social le recours à des moyens qui leur faciliteraient lécoute et la communication. En dautres termes, ces personnes subissent passivement leurs difficultés et évitent les situations qui mettraient en évidence leur déficit auditif.
Pour que la réadaptation porte ses fruits, il faut surmonter les obstacles susmentionnés. Les interventions devraient porter non seulement sur des essais de restauration des capacités auditives, mais également sur la façon dappréhender le problème tant de la part des personnes atteintes que de leur entourage. Puisque la stigmatisation de la surdité apparaît comme étant lobstacle le plus formidable à la réadaptation (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Getty et Waridel, 1994), elle devrait être considérée comme une priorité dans toute intervention. Par ailleurs, pour être efficace, lintervention devrait concerner non seulement les victimes, mais aussi leur entourage qui les stigmatise et qui, par manque dinformation, leur impose des performances irréalisables. Il sagit, concrètement, de créer des conditions qui vont leur permettre de sortir dun état de passivité et disolement et de rechercher activement des solutions à leurs difficultés daudition, tout en sensibilisant lentourage à leurs besoins spécifiques. Les fondements de cette démarche sont puisés dans une approche écologique des incapacités et des handicaps (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Getty et Waridel, 1994), illustrée à la figure 17.3.
Dans une perspective écologique, lexpérience dune incapacité auditive est la résultante dune incompatibilité entre les capacités résiduelles dune personne atteinte, dune part, et les exigences de lenvironnement physique et social de cette personne, dautre part. Par exemple, un travailleur atteint dune perte auditive due au bruit et, par conséquent, dune perte de sélectivité fréquentielle, aura des difficultés à détecter un signal dalarme sonore en milieu bruyant. Si les signaux dalarme nécessaires à son poste de travail ne peuvent pas être portés à un niveau sonore nettement supérieur à la norme, le travailleur se trouvera en situation dincapacité (Hétu, 1994b ). Il pourrait alors ne pas être en mesure dassurer sa sécurité, désavantage important pour lui. Cependant, le seul fait de reconnaître quil a une capacité auditive réduite lui fait courir le risque dêtre jugé comme anormal aux yeux de ses collègues; sil est effectivement confronté à la situation dincapacité, il craindra dêtre considéré comme incompétent par ses collègues et ses supérieurs. Dans un cas comme dans lautre, il cherchera à dissimuler ou à nier sa difficulté, se plaçant alors en situation de désavantage dans son travail.
Comme le montre la figure 17.3, le handicap est un état complexe comportant plusieurs restrictions liées les unes aux autres. Parce quil sagit dun réseau dinterrelations, il nest pas possible de prévenir ou de minimiser les conséquences, soit les désavantages ou restrictions dactivité, sans intervenir simultanément sur plusieurs autres composantes. A titre dexemple, lutilisation dune prothèse auditive, laquelle contribuerait à restaurer partiellement la capacité auditive (composante 2), ne préviendrait pas la perception négative de soi, non plus que la stigmatisation de la part de lentourage (composantes 5 et 6), qui conduisent toutes deux à lisolement et à la fuite devant des situations de communication (composante 7). Par ailleurs, les moyens de suppléance ne peuvent restaurer complètement les capacités auditives; cest particulièrement le cas pour la perte de sélectivité fréquentielle. Lamplification auditive peut aider à mieux percevoir les signaux sonores ou les conversations, mais elle ne rétablit pas la résolution des signaux sonores compétitifs qui est nécessaire pour détecter un signal dalarme dans un bruit ambiant important. En conséquence, la prévention des situations dincapacité auditive passe par ladaptation des exigences de lenvironnement physique et social du lieu de travail (composante 3). Enfin, il va sans dire que, bien quune action au seul niveau des perceptions (composantes 5 et 6), soit essentielle, elle ne saurait prévenir les situations dincapacité auditive et les conséquences immédiates qui en résultent.
La démarche proposée à la figure 17.3 prendra des formes différentes selon les situations de handicap envisagées. Daprès les résultats des enquêtes et des études qualitatives menées à ce jour auprès de personnes atteintes de perte daudition dorigine professionnelle (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Jones et Getty, 1993; Hétu, Lalonde et Getty, 1987; Hétu, Getty et Waridel, 1994; Hétu, 1994b), les conséquences de ce handicap sont surtout ressenties dans trois types de situations: 1) le lieu de travail; 2) les activités sociales; 3) le milieu familial. Des approches dintervention spécifiques ont été proposées pour chacune dentre elles.
En milieu de travail industriel, on peut identifier quatre types de situations de handicap faisant appel à des réadaptations appropriées:
Les avertisseurs sonores de danger sont utilisés très fréquemment en milieu industriel. La perte daudition dorigine professionnelle peut diminuer considérablement la capacité à détecter, reconnaître ou localiser de tels avertisseurs, en particulier en milieu bruyant et réverbérant. En effet, la perte de sélectivité fréquentielle qui laccompagne inévitablement peut exiger que le niveau sonore du signal avertisseur émerge du bruit de plus de 30 à 40 dB pour être entendu et reconnu par la personne malentendante (Hétu, 1994b); pour un auditeur normal, cette émergence est de lordre de 12 à 15 dB. Dans létat actuel des pratiques, les avertisseurs sonores ne sont pas systématiquement ajustés aux contraintes imposées par lambiance sonore, par létat de laudition des travailleurs et, le cas échéant, par lusage de protecteurs individuels contre le bruit. Cette situation représente un désavantage majeur pour les personnes malentendantes, notamment en ce qui concerne leur sécurité.
Etant donné les contraintes, la réadaptation passe par une analyse rigoureuse de la compatibilité entre les exigences en termes de perception auditive et les capacités auditives résiduelles des personnes malentendantes. A cette fin, un examen clinique a été établi pour caractériser la capacité de détection de signaux sonores en présence dun bruit de fond, et un logiciel, dénommé Détectson (marque de commerce) (Tran Quoc, Hétu et Laroche, 1992), a été mis au point afin de déterminer les caractéristiques des signaux sonores compatibles avec les capacités individuelles de détection auditive. Le logiciel simule la détection auditive normale ou déficiente et tient compte des caractéristiques du bruit au poste de travail et de leffet des protecteurs douïe contre le bruit. Il va de soi que toute intervention en vue de diminuer le niveau de bruit facilitera la perception des avertisseurs sonores. Il nen demeurera pas moins nécessaire dajuster les signaux en fonction des capacités auditives résiduelles des travailleurs malentendants.
Dans certains cas de perte auditive relativement sévère, il faudra recourir à dautres formes davertissement ou encore à un moyen de suppléance auditive. A cette fin, il est possible de transmettre les signaux avertisseurs au moyen dun émetteur FM et de les capter au moyen dun récepteur portatif branché directement sur la prothèse auditive. Ce dispositif savère hautement efficace si les deux conditions ci-après sont remplies: 1) lembout de la prothèse doit être parfaitement étanche afin datténuer le bruit ambiant; 2) la courbe de réponse de la prothèse doit être ajustée aux conditions de réception définies à la fois par leffet de masque du bruit ambiant atténué par lembout de la prothèse et la capacité auditive de la personne (Hétu, Tran Quoc et Tougas, 1993). La prothèse peut être ajustée de façon à intégrer les effets du spectre du bruit de fond, latténuation produite par lembout de la prothèse, et les seuils daudition du travailleur. De plus, un ajustement optimal sera obtenu si la sélectivité fréquentielle de la personne est mesurée. La prothèse auditive, couplée à un récepteur FM, peut également faciliter la communication verbale avec des collègues de travail lorsque celle-ci est essentielle à la sécurité des salariés.
Dans certains cas, cest la conception du poste de travail lui-même quil faudra revoir afin doptimiser les conditions de sécurité du travailleur.
Les avertisseurs sonores sont généralement utilisés pour informer les travailleurs de létat du procédé de production et pour communiquer entre opérateurs. Les personnes malentendantes doivent, dans ces conditions, recourir à dautres sources dinformation pour effectuer leur travail, par exemple à une surveillance visuelle fortement accrue ou à laide discrète dun collègue de travail. Les situations de communication verbale sont également fort problématiques pour les personnes malentendantes en milieu industriel: que ce soit au téléphone, dans des réunions ou encore avec des supérieurs hiérarchiques dans les ateliers bruyants, la communication verbale demande des efforts très importants aux personnes souffrant dun déficit auditif. Puisquelles éprouvent le besoin de dissimuler leurs difficultés daudition, elles sont angoissées à lidée de ne pas être à la hauteur de la situation, ou encore de commettre des erreurs coûteuses; cest là bien souvent une source danxiété extrêmement importante (Hétu et Getty, 1993).
Cela étant, la réadaptation exige tout dabord, de la part de lentreprise et de ses représentants, la reconnaissance explicite du fait que des employés éprouvent des difficultés daudition dues à lexposition au bruit. Légitimer ces difficultés permet aux personnes atteintes den faire état et de recourir aux moyens palliatifs appropriés qui doivent être mis à leur disposition. A cet égard, il est étonnant de constater que les récepteurs téléphoniques des ateliers sont rarement munis dun amplificateur adapté aux personnes malentendantes. De même, les salles de réunion ne sont pas munies de systèmes découte (émetteurs et récepteurs FM ou à infrarouge, par exemple). Enfin, une campagne de sensibilisation aux besoins des personnes malentendantes constitue un moyen de réadaptation privilégié: en faisant connaître les stratégies qui facilitent la communication auprès des personnes malentendantes, le stress lié à la communication diminuera fortement. Ces stratégies peuvent se résumer ainsi:
Il va de soi que toute amélioration de lambiance sonore des lieux de travail par la maîtrise du bruit et de la réverbération facilitera dautant la communication avec les employés malentendants.
Le bruit et la réverbération sonore en milieu de travail rendent la communication verbale si difficile quelle est souvent limitée aux stricts besoins imposés par la tâche à effectuer. La communication informelle, composante très importante de la qualité de vie au travail, est alors fortement entravée (Hétu, 1994a). Pour les personnes malentendantes, la situation est extrêmement difficile. En fait, les travailleurs atteints de surdité professionnelle sont isolés de leurs collègues, non seulement lorsquils sont à leur poste, mais aussi pendant les pauses et les repas. Il y a là une conjugaison entre les exigences excessives relatives aux capacités auditives et la peur du ridicule éprouvée par les personnes malentendantes.
Les solutions à cette situation de handicap passent, dune part, par la mise en uvre des mesures décrites plus haut, comme la diminution des niveaux de bruit ambiant, en particulier dans les salles de repos et, dautre part, par la sensibilisation des collègues de travail aux besoins des personnes atteintes. Là encore, une reconnaissance de leurs besoins spécifiques par lemployeur agira comme un soutien psychosocial pouvant limiter linfluence du stigmate associé aux difficultés daudition.
Une des raisons pour lesquelles les personnes affectées de perte daudition dorigine professionnelle sefforcent de cacher leurs difficultés tient explicitement à la peur de se voir limitées dans leur avancement professionnel (Hétu et Getty, 1993). Certaines craignent même pour leur emploi si elles révèlent leur déficit auditif. La conséquence immédiate de cette situation est lautorestriction dans lavancement professionnel, cest-à-dire le renoncement à poser sa candidature à une promotion à des postes de chef déquipe ou de contremaître. Cela vaut également pour la mobilité professionnelle en dehors de lentreprise, les travailleurs expérimentés sabstenant de tirer parti de leurs qualifications, considérant que des examens audiométriques de préembauche leur bloqueraient laccès à de meilleurs emplois. Les désavantages en termes davancement professionnel ne se limitent vraisemblablement pas à des phénomènes dautorestriction. Des travailleurs atteints de surdité professionnelle ont effectivement rapporté avoir été désavantagés par leur employeur lors de lattribution de postes exigeant fréquemment la communication verbale.
Comme cest le cas pour les situations de handicap décrites plus haut, une reconnaissance explicite des besoins spécifiques des travailleurs malentendants par les employeurs contribuerait fortement à lever les obstacles quils rencontrent dans leur avancement professionnel. Du point de vue des droits de la personne (Hétu et Getty, 1993), ces travailleurs méritent dêtre considérés au même titre que les autres en matière davancement, et des aménagements de poste appropriés peuvent leur faciliter laccès à des postes supérieurs.
En somme, la prévention des situations de handicap en milieu de travail pour les personnes atteintes de surdité professionnelle passe nécessairement par une sensibilisation de la direction de lentreprise et des collègues de travail aux besoins spécifiques de ces personnes. On peut y parvenir en lançant des campagnes dinformation sur la nature des manifestations et des conséquences de la perte daudition due au bruit, de manière à ce quelle ne soit plus considérée comme une anomalie improbable et sans importance. Le recours aux aides technologiques nest possible quà condition que le besoin de les utiliser soit rendu légitime sur les lieux de travail, tant auprès des collègues et des supérieurs quauprès des personnes malentendantes elles-mêmes.
Les personnes atteintes de surdité professionnelle éprouvent des difficultés de communication dans toute situation découte non idéale: en présence dun bruit de fond, à distance, dans un milieu réverbérant, au téléphone, etc. En pratique, cela signifie que leur vie sociale est fortement restreinte en termes daccès aux activités culturelles et aux services publics, contrariant ainsi leur intégration sociale (Hétu et Getty, 1991b).
Conformément au schéma présenté à la figure 17.3, les situations de handicap liées aux activités culturelles mettent en jeu quatre facteurs (composantes 2, 3, 5 et 6), et leur élimination fait appel à de multiples interventions. Ainsi, les salles de concert, de théâtre, de conférences ou de culte peuvent redevenir accessibles aux gens atteints de déficience auditive en les équipant de systèmes découte adaptés, tels que les systèmes de transmission à infrarouge ou FM (composante 3) et en informant les responsables de ces lieux des besoins des personnes malentendantes (composante 6). Cependant, ces dernières ne feront la demande dun dispositif découte quà la condition dêtre informées de leur disponibilité, davoir appris à lutiliser avec profit (composante 2) et davoir reçu le soutien psychosocial nécessaire pour reconnaître et communiquer leur besoin dun tel dispositif (composante 5).
Des modalités efficaces dinformation, de formation et de soutien psychosocial des travailleurs malentendants ont été mises au point dans le cadre dun programme expérimental de réadaptation (Getty et Hétu, 1991, Hétu et Getty, 1991a), dont les principes seront exposés plus en détail à la rubrique ci-dessous intitulée «Le milieu familial».
En ce qui concerne laccessibilité des services publics tels que les banques, les commerces, les services gouvernementaux et les services de santé, le problème réside principalement dans le manque de sensibilisation du personnel. Par exemple, dans une banque, un écran vitré peut séparer le client du préposé, celui-ci effectuant des tâches dentrée de données ou décriture sur des formulaires pendant quil parle au client. Labsence de contact visuel face à face entre les interlocuteurs, aggravée par des conditions acoustiques défavorables, rendent la situation extrêmement difficile pour les personnes souffrant dune perte auditive, alors que des erreurs de compréhension peuvent avoir des conséquences très fâcheuses. Dans des services médicaux, les clients en attente dans une salle plus ou moins bruyante sont invités à la consultation par un préposé qui les appelle à distance ou par un système électro-acoustique plus ou moins adapté. Les personnes malentendantes éprouvent une forte inquiétude de ne pouvoir réagir au bon moment, tout en se gardant dinformer le personnel de leur difficulté daudition. On pourrait multiplier ainsi les exemples.
Dans la majorité des cas, il est possible de prévenir les situations dincapacité en informant le personnel des manifestations et des conséquences de la surdité partielle, ainsi que des moyens pour faciliter la communication avec ces personnes. Des initiatives ont été prises dans ce sens afin de sensibiliser un ensemble de services publics aux besoins des personnes atteintes de surdité professionnelle (Hétu, Getty et Bédard, 1994). En utilisant un matériel graphique et audiovisuel approprié, il a été possible doffrir, en moins de trente minutes, les informations nécessaires, et les effets de cette initiative se faisaient encore sentir six mois après la séance dinformation. La communication étant nettement facilitée par les stratégies apprises par le personnel des services visités, des bénéfices très nets ont été constatés non seulement par les clients malentendants, mais aussi par le personnel lui-même qui voit sa tâche facilitée et évite dêtre mal à laise vis-à-vis de ce type de clients.
Le refus des rencontres de groupe est lune des conséquences les plus sévères de la surdité professionnelle (Hétu et Getty, 1991b). La communication en groupe représente une situation extrêmement contraignante pour une personne malentendante. Dans ce cas précis, la contrainte des adaptations pèse sur la personne malentendante puisquelle peut rarement exiger de tout un groupe dadopter un rythme de conversation et un mode dexpression qui lui soit favorable. La personne malentendante dispose de trois types de stratégies dans ce type de situation:
La lecture dexpression (ou lecture labiale) peut certes contribuer à faciliter la compréhension des conversations, mais elle exige un effort dattention et de concentration qui ne peut être soutenu longtemps. Ce moyen peut avantageusement être conjugué à des demandes de répétitions, de reformulation, de synthèse de la part de la personne malentendante. Cependant, les conversations en groupe suivent un rythme tel quil est souvent difficile dobtenir une aide de façon systématique. Enfin, la prothèse auditive peut contribuer à améliorer la capacité de comprendre la conversation mais, dans létat actuel des techniques damplification, elle ne restaure pas la sélectivité fréquentielle déficiente. En dautres termes, le signal et le bruit ambiant sont amplifiés. Le résultat est souvent défavorable à la personne atteinte dune perte importante de sélectivité fréquentielle.
Le port dune prothèse auditive aussi bien que le recours à des demandes daménagements de la part de lentourage suppose que la personne malentendante se sente capable de révéler sa déficience. Comme nous le verrons plus loin, lintervention visant à restaurer une image de soi positive en tant que personne malentendante constitue donc un préalable au recours aux moyens de suppléance auditive.
Le milieu familial est le lieu privilégié dexpression des difficultés daudition résultant de la surdité professionnelle (Hétu, Jones et Getty, 1993). Limage négative de soi étant au cur de lexpérience de la perte daudition, la personne malentendante cherche à dissimuler son déficit auditif dans ses relations sociales en compensant par des efforts découte ou en évitant les situations trop exigeantes. De tels efforts et lanxiété qui les accompagne créent un besoin de relâchement dans lintimité de la vie familiale où le besoin de dissimuler le déficit est moins fortement ressenti. En conséquence, la personne malentendante a tendance à imposer ses problèmes à son milieu familial et, partant, à lobliger à sadapter à ses difficultés daudition. Cest une source de tension pour le conjoint et les autres membres de la famille pour lesquels il est agaçant de devoir se répéter souvent, de tolérer lécoute de la télévision à volume élevé et de répondre toujours au téléphone. Le partenaire doit également saccommoder de sérieuses restrictions de la vie sociale du couple, ainsi que de changements importants dans la vie familiale: le déficit auditif est un frein à la bonne entente et à lintimité, crée des tensions, des malentendus et des disputes, et perturbe les relations avec les enfants.
Outre leffet de ces difficultés daudition et de communication sur les relations intimes, leurs perceptions par la personne malentendante et ses proches (composantes 5 et 6 de la figure 17.3) contribuent à alimenter les frustrations, la colère et la rancur (Hétu, Jones et Getty, 1993). Souvent, les personnes malentendantes ne reconnaissent pas leur déficience et nattribuent pas leurs difficultés de communication à un problème daudition; elles imposent leurs difficultés à leur famille plutôt que de négocier des adaptations satisfaisantes pour tous. Quant au partenaire, il tend à interpréter ces difficultés comme un refus de communiquer et un changement de caractère de la personne atteinte. Les reproches et les blâmes mutuels qui en résultent conduisant à lisolement, à la solitude et à la tristesse, en particulier chez le partenaire entendant.
La solution à cet imbroglio relationnel exige la participation des deux partenaires. En effet, autant la personne malentendante que son partenaire ont besoin:
Cest dans cette perspective quun programme de réadaptation a été mis au point à lintention des personnes atteintes de surdité professionnelle et de leur partenaire (Getty et Hétu, 1991; Hétu et Getty, 1991a). Il se proposait de rechercher des solutions aux problèmes causés par la perte daudition, en tenant compte des attitudes de passivité et de retrait social qui caractérisent la surdité professionnelle.
Le stigmate associé à la surdité étant le principal responsable de ces attitudes, il était indispensable de créer les conditions susceptibles de restaurer lestime de soi de manière à entreprendre une recherche active de solutions aux difficultés daudition. Les effets de la stigmatisation ne peuvent être surmontés que lorsquon se perçoit comme une personne normale aux yeux des autres malgré la déficience auditive. Le moyen le plus efficace pour y parvenir consiste à rencontrer dautres personnes se trouvant dans la même situation, comme lont proposé les travailleurs interrogés sur laide à offrir aux collègues malentendants; mais, pour éviter une stigmatisation accrue, de telles rencontres doivent nécessairement avoir lieu en dehors des lieux de travail (Hétu, Getty et Waridel, 1994).
Ce programme de réadaptation a été élaboré dans cet esprit, et des rencontres de groupe ont eu lieu dans les centres de santé des collectivités locales (Getty et Hétu, 1991). Le recrutement des participants fait partie intégrante du programme, étant donné les attitudes de retrait et de passivité des personnes visées. A cet effet, des infirmières ou infirmiers du travail ont dabord rencontré, à leur domicile, 48 travailleurs atteints de surdité avec leurs partenaires. Au terme dun entretien sur les difficultés daudition et leurs conséquences, chaque couple a été invité à une série de quatre rencontres hebdomadaires dune durée de deux heures chacune et prévues en soirée. Ces rencontres se sont déroulées selon une séquence précise dactivités visant à atteindre les objectifs dinformation, de soutien et de formation définis dans le programme. Un suivi individuel a été ensuite assuré aux participants afin de leur faciliter laccès aux services audiologiques et audioprothétiques. Les personnes souffrant dacouphènes gênants ont été référées aux services appropriés. Une nouvelle rencontre de groupe a eu lieu trois mois après la fin des rencontres hebdomadaires.
Les résultats du programme, recueillis au terme de sa phase expérimentale auprès des travailleurs et de leurs partenaires, ont montré que ceux-ci étaient plus conscients de leurs difficultés daudition et en même temps plus confiants dans leur capacité de les surmonter. Les travailleurs étaient passés par diverses phases, dont le recours à des aides techniques, la divulgation de leur déficience à leur entourage, ainsi que lexpression de leurs besoins dans une tentative daméliorer la communication.
Par ailleurs, létude de suivi réalisée auprès de ces mêmes personnes cinq années après leur participation au programme a démontré que celui-ci avait réussi à stimuler les participants et à leur faire rechercher des solutions dune part, et, dautre part, que la réadaptation constitue un processus complexe exigeant plusieurs années de cheminement avant que les personnes malentendantes soient en mesure de recourir à tous les moyens disponibles pour retrouver une pleine participation sociale. Dans la plupart des cas, un programme de réhabilitation de ce type demande un suivi périodique.
Comme le montre la figure 17.3, le sens attribué aux manifestations et aux conséquences de la surdité professionnelle par la personne malentendante, dune part, et par son entourage, dautre part, constitue un facteur clé dune situation de handicap. Les approches de réadaptation proposées ici prennent en compte ce facteur de façon explicite. Cependant, leurs modalités concrètes dapplication peuvent varier en fonction du contexte socioculturel, étant donné que celui-ci influence plus ou moins fortement la perception de tels phénomènes. A lintérieur même du contexte socioculturel dans lequel les approches dintervention décrites plus haut ont été élaborées, des adaptations significatives pourront savérer nécessaires selon le groupe social visé. Par exemple, le programme destiné aux personnes atteintes de surdité professionnelle et de leur partenaire (Getty et Hétu, 1991) a été expérimenté sur une population dhommes malentendants. Des modalités différentes dapplication seraient probablement nécessaires pour des femmes malentendantes, notamment à cause des rôles sociaux différents joués par les femmes et les hommes dans les relations conjugales et parentales (Hétu, Jones et Getty, 1993). A fortiori, il faudrait procéder à des adaptations dans des milieux culturels qui différeraient plus ou moins fortement du contexte nord-américain qui a entouré lémergence de ces approches. Il nen reste pas moins que le cadre conceptuel que nous avons proposé (voir figure 17.3) pourra orienter efficacement toute intervention en vue de la réadaptation des personnes atteintes de surdité professionnelle.
De plus, on peut prévoir que ce type dintervention, sil est poursuivi sur une grande échelle, aura un effet important sur la prévention de la perte daudition elle-même. Les aspects psychosociaux de la surdité professionnelle font obstacle non seulement à la réadaptation (voir figure 17.2), mais aussi à la prévention. La perception erronée des difficultés daudition en retarde la prise de conscience; de plus, sa dissimulation par les gens qui en sont sévèrement atteints fait que le problème est perçu comme sporadique et relativement bénin, même dans des ateliers bruyants. De ce fait, la perte auditive due au bruit nest pas perçue par les travailleurs exposés au risque et par leurs employeurs comme un problème de santé important, et la nécessité de la prévention nest pas fortement ressentie dans les milieux de travail bruyants. Dun autre côté, les personnes déjà atteintes de surdité qui parlent de leurs difficultés sont des exemples frappants de la gravité du problème. La réadaptation constituerait ainsi la première étape dun programme de prévention.
Lapproche traditionnelle visant à aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active na pas donné de très bons résultats, ce qui appelle bien évidemment des changements de fond. Ainsi, le taux de chômage officiel des personnes handicapées est généralement au moins le double de celui des personnes valides. Le nombre de chômeurs handicapés est souvent voisin de 70% (au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni). Les personnes handicapées sont plus exposées au risque de pauvreté que les personnes valides: au Royaume-Uni, deux tiers des 6,2 millions de personnes handicapées ont pour seul revenu les prestations sociales.
Ces problèmes sont aggravés par le fait que les services de réadaptation sont souvent incapables de répondre à la demande de candidats qualifiés émanant des employeurs.
Dans un grand nombre de pays, le handicap nest pas perçu en termes dégalité de chances ou de droits. Il est donc difficile dencourager une politique dentreprise exemplaire plaçant le handicap sur le même plan que la race et le sexe pour légalité de chances ou le droit à la différence. La prolifération des politiques de quotas ou labsence complète de législation appropriée renforce lopinion des employeurs selon laquelle le handicap relève avant tout du domaine de la médecine ou de la charité.
La pression croissante exercée par les personnes handicapées elles-mêmes pour obtenir une législation fondée sur les droits civils ou les droits du travail, comme cela existe en Australie, aux Etats-Unis, et, depuis 1996, au Royaume-Uni, permet de mesurer les frustrations engendrées par les carences du système actuel. Cest lincapacité du système de réadaptation de répondre aux besoins et aux espoirs des employeurs éclairés qui a amené la communauté des entreprises du Royaume-Uni à créer le Forum des employeurs sur le handicap.
Lattitude des employeurs reflète malheureusement celle du reste de la société, bien que cet aspect soit souvent négligé par les professionnels de la réadaptation. Comme beaucoup dautres gens, les employeurs sont souvent désemparés face aux problèmes suivants.
Cette incapacité de répondre aux besoins dinformation et de services des employeurs constitue un obstacle considérable pour les personnes handicapées qui veulent travailler et, pourtant, ceux qui décident des politiques gouvernementales ou les professionnels de la réadaptation ne sen préoccupent que rarement.
Les organisations non gouvernementales (ONG), les pouvoirs publics, tous ceux en fait qui sont concernés par la réadaptation professionnelle et médicale des personnes porteuses de handicap, ont tendance à partager un ensemble didées préconçues et de non-dits profondément enracinés, qui ne font que désavantager un peu plus les personnes handicapées que ces organisations cherchent à aider.
Ces idées préconçues ont les conséquences ci-après:
Nous commençons à voir se dessiner une tendance internationale, caractérisée par la mise en place de services de «tutorat»: elle reconnaît que le succès de la réadaptation des personnes handicapées dépend de la qualité des services et du soutien proposés à lemployeur.
Comme les politiques daustérité et de restructuration menées par les gouvernements exercent des pressions économiques sur les organismes de réadaptation, lopinion tend à se ranger à lidée que «de meilleurs services aux employeurs équivalent à de meilleurs services aux personnes handicapées». Il est néanmoins très révélateur quun rapport de Helios (1994), qui fait le point sur les compétences demandées par les spécialistes de la formation professionnelle ou de la réadaptation, ne fasse pas la moindre mention des besoins en matière de qualifications en se plaçant du point de vue de lemployeur en tant que client.
Bien que lon assiste à une prise de conscience croissante de la nécessité de travailler en collaboration avec les employeurs, lexpérience montre quil sera difficile de mettre en place un partenariat durable tant que les professionnels de la réadaptation ne répondront pas dabord aux besoins de lemployeur en tant que client et quils ne commenceront pas à valoriser cette relation.
Selon le moment et la situation, le système et les services attribuent à lemployeur lun ou lautre des rôles suivants, sans toujours le déclarer clairement. Lemployeur peut donc être:
A tout moment de la relation, lemployeur peut être appelé et, en fait, il lest presque toujours, à être un financier ou un philanthrope.
Or, une démarche vraiment efficace consiste à voir dans lemployeur «le client». Les systèmes qui ne considèrent lemployeur que comme «le problème» ou «lobjectif» fonctionnent mal en permanence.
On est tellement persuadé que cest à cause des attitudes négatives des employeurs que les personnes handicapées connaissent des taux de chômage élevés que lon oublie de sattaquer aux autres problèmes importants qui doivent être réglés avant de pouvoir opérer un changement en profondeur. En voici des exemples:
Un système législatif qui crée des conditions conflictuelles peut compromettre les perspectives demploi des personnes handicapées parce que larrivée dune personne handicapée dans lentreprise expose lemployeur à des risques.
Les praticiens de la réadaptation ont souvent de la peine à trouver une formation spécialisée et à la faire reconnaître par un diplôme et, la plupart du temps, ils manquent de moyens pour fournir aux employeurs les services et les produits appropriés.
Les prestataires de services doivent absolument comprendre quavant que lemployeur puisse modifier son organisation et sa culture, il faut que le professionnel de la réadaptation opère les mêmes changements. Les prestataires de services qui sadressent aux employeurs en tant que clients doivent se rendre compte quune écoute attentive de ceux-ci va automatiquement entraîner le besoin de modifier la conception et la prestation de leurs services.
Par exemple, ces prestataires se verront demander daider lemployeur à:
Les tentatives de réformes de la politique sociale en matière de handicap ont souffert de la méconnaissance des besoins, des espoirs et des exigences légitimes de ceux dont dépend dans une large mesure leur succès, à savoir, les employeurs. Ainsi, on voudrait voir les personnes actuellement en atelier protégé trouver un emploi sur le marché ordinaire, mais on oublie souvent que seuls les employeurs sont en mesure de proposer ces emplois. Le succès est donc limité: les employeurs se heurtent sans raison à des difficultés pour offrir des emplois, et lon néglige la valeur ajoutée quapporterait une collaboration active entre employeurs et décideurs.
De nombreux moyens peuvent encourager les employeurs à faire glisser de façon systématique lemploi protégé vers lemploi assisté, voire compétitif. Les employeurs peuvent notamment:
Les professionnels de la réadaptation ne peuvent pas mettre en place un partenariat avec les employeurs sans prendre conscience de la nécessité de fournir des services efficaces.
Les services doivent sappuyer sur le thème des avantages mutuels. Ceux qui ne sont pas convaincus que leurs clients handicapés ont véritablement quelque chose à apporter aux employeurs ne seront probablement pas capables de les influencer.
En améliorant la qualité des services proposés aux employeurs, on améliorera rapidement et automatiquement ceux qui sont destinés aux personnes handicapées en quête demploi. La liste des points suivants peut être un inventaire utile pour les responsables de la réadaptation désireux daméliorer la qualité du service à lemployeur.
Les services de réadaptation offrent-ils aux employeurs:
Un système de services visant à aider les personnes à recevoir une formation et à trouver un emploi, quel quil soit, aura dautant plus de succès quil saura répondre aux besoins et aux attentes de lemployeur. (Note: il est difficile de trouver un terme comprenant tous les organismes et organisations gouvernementales, ONG, à but non lucratif qui interviennent dans lélaboration des politiques et la prestation de services aux personnes handicapées à la recherche dun emploi. Par souci de concision, nous utilisons le terme service, ou prestataire de services, pour désigner tous les intervenants dans ce système complexe.)
Une consultation étroite et durable avec les employeurs aboutirait probablement à des recommandations semblables à celles qui suivent.
Il faut établir des recueils de directives pratiques pour décrire le service de qualité que les organismes responsables de lemploi devraient offrir aux employeurs. Ces recueils devraient, en consultation avec les employeurs, fixer des normes sur la qualité des services existants et sur la nature de ceux qui sont proposés. Ils devraient être révisés périodiquement à la suite denquêtes menées sur le degré de satisfaction de lemployeur.
La première chose à faire est dinformer les praticiens de la réadaptation des moyens de répondre aux besoins des employeurs.
Les services de réadaptation devraient recruter des personnes qui ont une expérience directe du monde de lindustrie et du commerce et qui sont à même de faire communiquer le secteur lucratif et le secteur à but non lucratif. Ils devraient employer un nombre nettement plus important de personnes handicapées, en réduisant ainsi le nombre dintermédiaires valides en contact avec les employeurs, et veiller à mettre en valeur, à différents titres, les personnes handicapées dans la communauté des employeurs.
Les services devraient sefforcer de décloisonner les activités déducation, de marketing et de promotion. Cest aller à lencontre du but recherché que de créer un milieu caractérisé par des messages, des affiches et de la publicité qui renforcent limage médicale du handicap et la stigmatisation de certaines déficiences, au lieu de mettre en lumière laptitude à lemploi de ces personnes et la nécessité, pour les employeurs, dy répondre par une politique et des pratiques appropriées.
Une bonne collaboration entre les services permettrait de simplifier laccès aux aides et aux services à la fois pour lemployeur et pour la personne handicapée. Il faudrait analyser avec attention litinéraire du client (lemployeur et la personne handicapée sont tous deux des clients), de manière à réduire les procédures dévaluation et à faire franchir rapidement les étapes aboutissant à lemploi. Les services devraient sassocier aux initiatives générales pour lemploi et sassurer que les personnes handicapées soient prioritaires.
Des réunions périodiques avec les employeurs seraient loccasion de leur demander leur avis dexperts sur les mesures à prendre pour assurer le succès des services et des candidats à lemploi.
Dans un grand nombre de pays, les services conçus pour aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active sont complexes, lourds et englués dans la routine, alors quil est de plus en plus évident, au fil des années, que des changements simposent.
Une attitude nouvelle envers les employeurs offre de grandes chances de transformer les choses de fond en comble en modifiant radicalement la position dun protagoniste clé, lemployeur.
On voit que les milieux daffaires et le gouvernement sont engagés dans un vaste débat sur lévolution inévitable, au cours des vingt prochaines années, des relations entre les acteurs économiques ou les partenaires sociaux. Ainsi, les employeurs ont lancé lInitiative des entreprises européennes contre lexclusion sociale en Europe. Au Royaume-Uni, les grandes entreprises se sont rencontrées pour repenser leurs relations avec la société dans lEntreprise de demain, et le Forum des employeurs sur le handicap nest plus quune initiative parmi dautres qui soccupe des questions dégalité et de diversité.
Les employeurs ont beaucoup à faire pour que la question du handicap prenne la place qui lui revient en tant quimpératif économique et éthique; tous ceux qui soccupent de réadaptation doivent pour leur part adopter une nouvelle approche qui redéfinisse les relations de travail entre tous les intéressés afin de faciliter aux employeurs la tâche de faire de légalité de chances une réalité.
Emploi SABRE (SABRE Employment), Royaume-UniBut de la missionCommuniquer des objectifs généraux ou commerciaux concernant la prestation de services de qualité aux demandeurs et reflétant clairement aussi la volonté de fournir aux employeurs un service de recrutement efficace capable de les aider à occuper des personnes handicapées. Les efforts doivent porter sur le but fondamental, la satisfaction du client. «Toutes les activités de Sabre sont entreprises avec nos clients. Nos objectifs sont de trouver des solutions de recrutement au moyen dune bonne adéquation de loffre et de la demande, dune formation et dun soutien sérieux, et dapporter notre expertise dans le recrutement et lemploi de personnes porteuses de handicap.» Une foire aux emplois sest tenue récemment pour donner aux intéressés la possibilité de rencontrer les employeurs et de sinformer sur les différents métiers. La société des Restaurants McDonald a mis sur pied un atelier sur les techniques dentretien dembauche et parrainé la foire aux côtés de Shell et de Pizza Hut. Des stands permettaient aux personnes à la recherche dun emploi ayant des difficultés dapprentissage de rencontrer librement des employeurs. Les bourses Coverdale, Royaume-UniDepuis cinq ans, Coverdale, petit cabinet de conseil en gestion (70 personnes) offre des bourses détudes de £10,000 à des personnes handicapées à la recherche dune formation de qualité en management. Les boursiers suivent ensuite une formation complémentaire dans de grandes sociétés, comme la Barclays Bank, la Poste et la Midland Bank; cette formation sinscrit dans une perspective à long terme visant à faire évoluer les attitudes dans les sociétés participantes. Ce programme est en cours dexpansion. Il a été repris et adapté par le Conseil canadien de la réadaptation et du travail (Canadian Council for Rehabilitation and Work). Brook Street et FYD, Royaume-UniUn cabinet de recrutement, Brook Street, et une association caritative, les Amis des jeunes sourds (Friends for the Young Deaf (FYD)), travaillent en partenariat depuis plusieurs années. Brook Street propose un programme intégré étude-travail et une évaluation aux jeunes diplômés sourds qui suivent le programme du FYD de formation à la direction; Brook Street place ensuite les postulants, en leur demandant les mêmes honoraires quà nimporte quel autre candidat. Forum des employeurs sur le handicap (Employers Forum on Disability), Royaume-UniLes entreprises membres de ce forum, association financée par les employeurs en faveur de lintégration des personnes handicapées sur le marché du travail qui offre des services de conseil aux entreprises intéressées, ont aidé une personne handicapée, Stephen Duckworth, à créer sa société, Disability Matters; celui-ci propose à présent aux entreprises du pays un service hautement qualifié de conseils et de sensibilisation sur les handicaps. Il traite des aspects suivants:
Autres exemples: le Forum employeur sur les handicaps (The Employer Forum on Disabilities), Royaume-UniDe grandes entreprises britanniques ont défini un projet-cadre denvergure dénommé Programme des employeurs sur le handicap, un plan en dix points (Employers Agenda on Disability, a Ten Point Plan). Lancé par le Premier ministre, ce projet bénéfice de lappui officiel de plus de 100 grandes entreprises. Il a démontré sa capacité à apporter le changement parce que ce sont les em-ployeurs eux-mêmes qui lont élaboré, en consultation avec des experts en matière de handicap. Cest à présent un outil précieux qui aide les employeurs à respecter la législation interdisant la discrimination. Ces entreprises se sont engagées publiquement à structurer leur politique en matière de handicap en fonction de dix points portant sur les questions suivantes: déclaration de politiques et de procédures en matière dégalité des chances; formation du personnel et sensibilisation au handicap; milieu de travail; recrutement; carrière; maintien en emploi, reconversion et reclassement; formation et expérience professionnelle; personnes handicapées dans la société; participation des personnes handicapées; suivi des résultats. Le Forum a publié Action File on Disability, un dossier qui contient des informations pratiques sur la façon de mettre en uvre le programme. Recrutement de diplômésPlus de vingt entreprises sont regroupées au sein dun consortium associé à «Workable», qui offre de manière planifiée et structurée des programmes intégrés étude-travail aux étudiants handicapés. Vingt-cinq entreprises se sont associées pour financer une initiative qui organise chaque année des foires aux emplois destinées et accessibles aux étudiants handicapés. On peut à présent sy rendre en fauteuil roulant et ces foires disposent dinterprètes pour les personnes malentendantes, ainsi que de brochures en gros caractères et dautres moyens auxiliaires. Les employeurs ont rencontré de telles difficultés pour inciter les diplômés handicapés à postuler à un emploi par les intermédiaires traditionnels quils sont en train dexplorer des méthodes de recrutement spécialement destinées aux étudiants handicapés. HIRED (Etats-Unis)Le projet HIRED à San Francisco incarne cette nouvelle orientation des employeurs. Le sigle HIRED signifie aider lindustrie à recruter des salariés porteurs de handicap (Helping Industry Recruit Employees with Disabilities). Ses publications illustrent les services quils proposent aux employeurs: «Le projet HIRED est un organisme privé, à but non lucratif, qui dessert la région de la baie de San Francisco. Notre objectif est daider les personnes porteuses de handicap à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs objectifs de carrière. Au nombre de nos services aux employeurs, citons:
Outre des partenariats dentreprise moins formels, le projet HIRED comprend un programme dentreprises affiliées qui regroupe environ cinquante entreprises de la région de San Francisco. En tant quadhérents, ces entreprises ont droit à des conseils gratuits et à des réductions sur les séminaires. Nous sommes en train denvisager de nouveaux services, dont une vidéothèque, afin de mieux aider nos adhérents à intégrer avec succès des personnes handicapées dans leurs effectifs.» ASPHI, ItalieLorigine de lAssociation pour le développement de projets informatiques pour les handicapés (Associazione per lo Sviluppo di Progetti Informatici per gli Handicappati - ASPHI) remonte à la fin des années soixante-dix, lorsque IBM Italie organisait des cours de programmation informatique pour les malvoyants. Un certain nombre dentreprises ayant par la suite recruté les stagiaires ont créé lASPHI, avec dautres associations à but non lucratif, pour les personnes handicapées physiques, les malentendants et les handicapés mentaux. LASPHI regroupe plus de quarante entreprises qui apportent à ses diplômés un soutien financier, du personnel et des aides bénévoles, des conseils, ainsi que des possibilités demploi. Lobjectif est dexploiter les technologies de linformation en vue de lintégration sociale et professionnelle des groupes désavantagés. Ses activités portent sur les domaines suivants: formation professionnelle, recherche et mise au point de nouveaux produits (pour la plupart des logiciels) qui facilitent dautres méthodes de communication, lautonomie personnelle et la réadaptation, et lenseignement public, qui font tomber les préjugés et la discrimination à légard des personnes handicapées. Chaque année, environ 60 jeunes se qualifient. Avec près de 85% de ses diplômés qui trouvent un emploi permanent, le succès de lASPHI lui a attiré la reconnaissance nationale et internationale. Initiative de la Confédération patronale suédoise (SAF)Linitiative de la Confédération patronale suédoise, dénommée «Les personnes porteuses de handicap dans les entreprises», situe clairement la question du handicap dans le débat national sur lemploi et insiste sur limportance quelle revêt pour la Confédération patronale suédoise et ses membres. Elle affirme: «Le chemin des personnes porteuses de handicap vers lemploi doit être facilité. A cette fin, il faut:
|
Historiquement, les personnes porteuses de handicap ont toujours rencontré dénormes obstacles pour entrer dans la vie active, et les victimes dun accident du travail étaient exposées à la perte de leur emploi, avec ses conséquences négatives dordre psychologique, social et financier. Aujourdhui, elles sont encore sous-représentées dans la population active, même dans les pays possédant la législation sur les droits civils et la promotion de lemploi la plus progressiste et malgré les efforts internationaux entrepris pour chercher à améliorer leur situation.
Une certaine prise de conscience a fait évoluer les droits et les besoins des travailleurs porteurs de handicap et le concept de la gestion du handicap sur le lieu de travail. Les régimes de réparation des lésions professionnelles et dassurance sociale qui protègent les revenus des travailleurs sont courants dans les pays industriels. Laugmentation des coûts de fonctionnement de ces programmes a été une incitation économique pour promouvoir lemploi des personnes handicapées et la réinsertion des victimes dun accident du travail. En même temps, les personnes porteuses de handicap se sont organisées pour faire valoir leurs droits et réclamer leur intégration dans tous les aspects de la vie en société, y compris dans la population active.
Dans de nombreux pays, les syndicats ont été au nombre de ceux qui ont soutenu ces efforts. Des entreprises éclairées reconnaissent la nécessité de traiter les travailleurs porteurs de handicap de manière équitable et apprennent limportance de la santé au travail. Le concept de la gestion du handicap, cest-à-dire le traitement des questions de handicap sur le lieu de travail a fait son apparition, grâce en partie au mouvement syndical qui continue à jouer un rôle actif dans ce domaine.
Selon la recommandation (no 168) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, adoptée en 1983 par la Conférence internationale du Travail, «les organisations [...] de travailleurs devraient adopter une politique favorisant la formation et loccupation dans des emplois convenables des personnes handicapées, sur un pied dégalité avec les autres travailleurs». Cette recommandation propose en outre que les organisations de travailleurs prennent part à la formulation des politiques nationales, coopèrent avec les spécialistes et les services de réadaptation, et encouragent lintégration et la réadaptation professionnelle des travailleurs handicapés.
Lobjet du présent article est détudier la question du handicap au travail sous langle des droits et des devoirs des travailleurs et de décrire le rôle que les syndicats peuvent jouer afin de faciliter lintégration professionnelle des personnes handicapées.
Dans un milieu de travail sain, lemployeur et le travailleur se soucient de la qualité du travail, de la sécurité et de la santé, ainsi que du traitement équitable de tous les travailleurs. Ceux-ci sont engagés en fonction de leurs capacités. Les travailleurs et les employeurs contribuent à maintenir la sécurité et la santé et, en cas daccident ou dincapacité, ils ont le droit et le devoir de réduire au minimum leffet de lincapacité sur la personne et le lieu de travail. Bien quils puissent avoir des points de vue différents, le travail en partenariat leur permet datteindre les objectifs liés au maintien de la sécurité, de la santé et de léquité dans lentreprise.
Le terme droits est souvent associé aux droits établis par la législation. Un grand nombre dEtats européens, le Japon et dautres pays encore ont mis en place des systèmes de quotas imposant lemploi dun certain pourcentage de personnes porteuses de handicap. Les employeurs qui ne respectent pas les quotas prévus sont passibles damendes. Aux Etats-Unis, la loi sur les Américains porteurs de handicap interdit la discrimination à légard de ces personnes au travail et dans la société. Dans la plupart des pays, des lois sur la sécurité et la santé protègent les travailleurs contre des pratiques et des conditions de travail dangereuses. Les régimes de réparation des lésions professionnelles et dassurance sociale ont été instaurés par la loi afin de mettre à la disposition des travailleurs des services médicaux, sociaux et, le cas échéant, de réadaptation professionnelle. Des droits spécifiques peuvent aussi être reconnus aux travailleurs par les conventions collectives et être donc dapplication générale.
Les droits (et devoirs) dun travailleur en matière dincapacité et de travail dépendent de la complexité de ces dispositions légales, qui varient dun pays à lautre. Aux fins de notre propos, les droits des travailleurs désignent simplement les droits légaux ou moraux considérés comme étant dans lintérêt du travailleur et concernant lactivité productive dans un milieu de travail sûr et sans discrimination. Par devoirs, nous entendons les obligations que les travailleurs ont envers eux-mêmes, leurs collègues et leurs employeurs afin de contribuer de manière effective à la productivité et à la sécurité du lieu de travail.
Les droits et les devoirs des travailleurs sarticulent autour de quatre points essentiels en matière dincapacité: 1) le recrutement et lembauche; 2) la sécurité, la santé et la prévention de lincapacité; 3) les mesures prévues lorsquun travailleur est frappé dincapacité et, notamment, la réadaptation et la reprise du travail après laccident; 4) linsertion totale du travailleur sur son lieu de travail et dans la communauté. Les activités des syndicats en la matière consistent à organiser et à défendre les droits des travailleurs frappés dincapacité en invoquant la législation nationale et en utilisant dautres moyens; à garantir et à protéger leurs droits en les intégrant aux conventions collectives; à sensibiliser leurs membres et les employeurs aux problèmes de lincapacité et du handicap et à les informer des droits et des responsabilités en la matière; à collaborer avec la direction pour promouvoir les droits et les devoirs en matière de gestion du handicap; à fournir des services aux travailleurs handicapés afin de les aider à sintégrer ou à mieux sintégrer dans la population active; et, si tout cela a échoué, à sengager à régler les conflits, ou à se battre pour faire modifier la loi en faveur de la protection de leurs droits.
Même si leurs obligations peuvent ne concerner que leurs adhérents, les syndicats ont traditionnellement contribué à lamélioration des conditions de travail de tous, y compris des travailleurs porteurs de handicap. Cette tradition est aussi ancienne que le mouvement syndical. Des pratiques justes et équitables en matière de recrutement, dembauche et demploi prennent cependant une importance particulière lorsque le travailleur est handicapé. Du fait de stéréotypes négatifs et dobstacles matériels, de communication ou autres relatifs au handicap, les demandeurs demploi et les travailleurs handicapés se voient souvent privés de leurs droits ou se heurtent à des pratiques discriminatoires.
Les listes des droits fondamentaux ci-après (voir figures 17.4 à 17.7), bien que formulées simplement, ont de profondes répercussions sur légalité daccès des travailleurs handicapés aux possibilités demploi. Ceux-ci ont aussi le devoir, comme tous les autres travailleurs, de se présenter aux employeurs de manière franche et directe, y compris pour ce qui est de leurs intérêts, de leurs compétences, de leurs qualifications et des conditions de travail.
Au cours de lembauche, les candidats devraient être jugés sur la base de leurs compétences et de leurs qualifications (voir figure 17.4). Ils doivent avoir une idée exacte du poste pour être à même de juger de son intérêt et de leur capacité deffectuer leur tâche. De plus, une fois embauchés, tous les travailleurs devraient être jugés et évalués selon leur performance, sans préjugé fondé sur des facteurs nayant aucun rapport avec le travail. Ils devraient également bénéficier de légalité daccès aux prestations et aux possibilités davancement. Si nécessaire, des aménagements raisonnables devraient être apportés de manière à permettre à une personne porteuse de handicap deffectuer les tâches requises: il peut sagir tout simplement de surélever un poste de travail, de mettre une chaise à disposition ou dajouter une pédale.
Aux Etats-Unis, la loi sur les Américains porteurs de handicap ninterdit pas seulement la discrimination fondée sur le handicap à lencontre des travailleurs qualifiés (par travailleur qualifié, on entend une personne qui a les qualifications et laptitude requises pour sacquitter des fonctions essentielles du poste), mais elle impose également aux employeurs de procéder à des aménagements raisonnables à savoir fournir une pièce, modifier les fonctions accessoires ou procéder à dautres aménagements sans que cela entraîne pour eux de contraintes excessives, de façon que la personne handicapée puisse sacquitter des fonctions essentielles du poste. Cette approche a pour but de protéger les droits des travailleurs et de leur enlever toute crainte de présenter une demande en ce sens. Selon lexpérience américaine, la plupart des aménagements sont dun coût relativement modeste (moins de 50 dollars).
Droits et devoirs vont de pair. Les travailleurs sont tenus de signaler à leur employeur toute situation susceptible daffecter leur capacité deffectuer le travail, ou de porter atteinte à leur sécurité ou à celle des autres. Ils ont le devoir de se présenter et dexposer leurs aptitudes avec franchise et devraient demander un aménagement raisonnable sils en ont besoin et accepter la solution la mieux adaptée à la situation, la plus rentable et la moins gênante pour lentreprise.
La convention (no 159) et la recommandation (no 68) sur la réadaptation professionnelle et lemploi des personnes handicapées, 1983, traitent de ces droits et devoirs et des mesures à prendre par les organisations de travailleurs. La convention no 159 prévoit «des mesures positives spéciales visant à garantir légalité effective de chances et de traitement entre les travailleurs handicapés et les autres travailleurs», qui «ne devront pas être considérées comme étant discriminatoires à légard de ces derniers». La recommandation no 168 préconise la mise en uvre de mesures appropriées pour promouvoir des possibilités demploi, comme par exemple des incitations financières aux employeurs pour les encourager à apporter des aménagements raisonnables; elle encourage les syndicats à promouvoir ce type de mesures et à donner des avis sur ces aménagements.
Les dirigeants syndicaux sont bien implantés dans les communautés où ils exercent leurs activités et peuvent constituer des alliés précieux pour promouvoir le recrutement, lembauche et le maintien en emploi de personnes porteuses de handicap. Une des premières choses à faire est délaborer une déclaration de principe sur les droits de ces personnes en matière demploi. La formation des adhérents et un plan daction pour soutenir cette politique devraient suivre. Les syndicats peuvent élargir leur défense des droits des travailleurs porteurs de handicap en favorisant, en surveillant et en soutenant des initiatives législatives dans ce domaine. Dans lentreprise, ils devraient encourager la direction à élaborer des politiques et des actions qui suppriment les obstacles à lemploi des travailleurs handicapés. Ils peuvent participer à lélaboration des aménagements de poste et, par les conventions collectives, protéger et étendre les droits des travailleurs handicapés dans toutes les pratiques demploi.
Les syndicats peuvent lancer des programmes ou coopérer avec les employeurs, les ministères, les organisations non gouvernementales et les sociétés afin de mettre sur pied des programmes destinés à faire progresser le recrutement et lembauche de personnes handicapées, ainsi que les pratiques loyales à leur égard. Les représentants syndicaux peuvent siéger dans des comités et proposer leur savoir-faire aux services sociaux qui travaillent avec les personnes porteuses de handicap. Les syndicats peuvent sensibiliser leurs adhérents et, lorsquils sont employeurs, montrer lexemple en appliquant des pratiques justes et équitables en matière dembauche.
Au Royaume-Uni, le Congrès des syndicats (Trades Union Congress (TUC)) a joué un rôle actif dans la promotion de légalité des droits à lemploi des personnes porteuses de handicap, que ce soit par ses prises de position ou par la défense vigoureuse de ces droits. Il considère lemploi des personnes handicapées comme une question dégalité de chances, et il rapproche les expériences de ces personnes de celles des autres groupes victimes de discrimination ou dexclusion. Le TUC soutient la législation actuelle en matière de quotas et préconise limposition de taxes (amendes) aux employeurs qui ne la respectent pas.
Le TUC a publié plusieurs recueils de directives sur la question afin de soutenir ses activités et de former ses membres, dont: TUC Guidance: Trade Unions and Disabled Members, Employment of Disabled People, Disability Leave et Deaf People and their Right. Trade Unions and Disabled Members comprend des directives sur les points fondamentaux sur lesquels les syndicats devraient insister lorsquils négocient pour leurs adhérents handicapés. Le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions) a publié un recueil qui vise le même but, Disability and Discrimination in the Workplace: Guidelines for Negotiators. On y trouve des conseils pratiques pour aborder le problème de la discrimination au travail et promouvoir légalité dans la négociation des conventions collectives.
La Confédération allemande des syndicats (Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB)) a aussi publié un document important qui expose sa politique sur linsertion par lemploi, prend position contre la discrimination et affirme son engagement à user de son influence pour faire prévaloir ses idées. La DGB encourage la formation professionnelle et laccès à lapprentissage des personnes handicapées, sattaque à la double discrimination que rencontrent les femmes handicapées et soutient les activités syndicales en faveur de laccès aux transports publics et de la pleine intégration dans la société.
Aux Etats-Unis, la Guilde des acteurs de cinéma (Screen Actors Guild) compte environ 500 membres porteurs de handicap. Ses conventions collectives contiennent une déclaration sur la non-discrimination à lembauche. En coopération avec la Fédération américaine des artistes de télévision et de radio (American Federation of Television and Radio Artists), la Guilde a rencontré des groupes de défense nationaux en vue de mettre au point des stratégies visant à améliorer la représentation des personnes porteuses de handicap dans les différentes branches de lindustrie. Le Syndicat international des travailleurs unis de lautomobile, de laéronautique et de lastronautique et des instruments aratoires dAmérique (International Union of United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers of America (UAW)) mentionne également dans ses conventions collectives linterdiction de la discrimination fondée sur le handicap. Ce syndicat se bat aussi pour obtenir des aménagements raisonnables pour ses membres et organise régulièrement des cours de formation sur les questions du handicap et de lemploi. Le Syndicat unifié des travailleurs de la sidérurgie dAmérique (United Steel Workers of America (USWA)) a inclus depuis des années des clauses de non-discrimination dans ses conventions collectives et il règle les plaintes pour discrimination fondée sur le handicap par une procédure de recours ou dautres voies.
Aux Etats-Unis, le vote et lapplication de la loi sur les Américains porteurs de handicap ont été, et sont toujours, défendus par les syndicats. Même avant le vote de la loi, bon nombre de syndicats affiliés à la Fédération américaine du travail-Congrès des organisations industrielles (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organisations (AFL-CIO)) soccupaient déjà de former leurs adhérents aux droits et à la sensibilisation au handicap (AFL-CIO, 1994). Les représentants de lAFL-CIO et dautres syndicats surveillent attentivement lapplication de la loi, y compris les procédures de règlement des conflits, pour soutenir les droits légaux des travailleurs handicapés et veiller à ce que leurs intérêts et les droits de tous les travailleurs soient dûment pris en compte.
Ladoption de la loi a incité les syndicats à faire paraître un grand nombre de publications et de vidéos et à organiser des programmes et des ateliers de formation à lintention de leurs membres. Le département des droits civils de lAFL-CIO a publié des brochures et mis sur pied des ateliers pour ses syndicats affiliés. Avec lappui du gouvernement fédéral, le Centre dadministration des services de réadaptation et déducation de lAssociation internationale des machinistes et des travailleurs de laéroastronautique (International Association of Machinists and Aerospace Workers Center for Administering Rehabilitation and Education Services (IAM CARES)), a produit deux vidéos et dix fascicules destinés aux employeurs, aux personnes porteuses de handicap et aux permanents syndicaux pour les informer de leurs droits et de leurs responsabilités aux termes de la loi. La Fédération américaine des salariés des Etats, des comtés et des municipalités (American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME)) sintéresse depuis longtemps à la protection des droits des travailleurs porteurs de handicap. Avec le vote de la loi, elle a mis à jour ses publications, révisé ses actions et formé des milliers de membres, ainsi que son propre personnel au sujet de la loi et des travailleurs handicapés.
Bien que le Japon dispose déjà dun système de quotas et de taxes, un syndicat japonais a constaté que les personnes porteuses de handicap mental sont celles qui risquent le plus dêtre sous-représentées dans la population active, en particulier dans les grandes entreprises et il a décidé dagir. Le conseil du Syndicat japonais des travailleurs de lélectricité, de lélectronique et de linformation pour la région Kanagawa travaille avec la ville de Yokohama pour créer un centre daide à lemploi. Ce centre sera responsable de la formation de personnes porteuses dun handicap mental et un de ses services sera chargé de faciliter leur placement et celui dautres personnes handicapées. Le syndicat prévoit en outre de créer un centre de formation qui sensibilisera aux problèmes de handicap et donnera des cours de langue des signes aux membres du syndicat, aux directeurs des ressources humaines, aux agents de maîtrise, etc. Il tirera profit des bonnes relations entre les travailleurs et les employeurs et engagera des hommes daffaires pour la gestion et les activités du centre. Lancé initialement par un syndicat, ce projet promet dêtre un modèle de collaboration entre les entreprises, les travailleurs et le gouvernement.
Aux Etats-Unis et au Canada, les syndicats ont travaillé en collaboration et de manière créative avec le gouvernement et les employeurs pour faciliter lemploi des personnes porteuses de handicap par un programme dénommé Projets avec lindustrie (Projects with Industry (PWI)). En réunissant les ressources syndicales et les subventions gouvernementales, lIAM CARES et lInstitut de mise en valeur des ressources humaines (Human Resources Development Institute (HRDI)) de lAFL-CIO ont offert des programmes de formation et de placement aux personnes porteuses de handicap, quelles soient syndiquées ou non. En 1968, le HRDI a commencé à servir doutil de formation et de placement pour lAFL-CIO en apportant son assistance à divers groupes ethniques, aux femmes et aux personnes handicapées. En 1972, il a lancé un programme plus particulièrement destiné aux personnes porteuses de handicap, afin de les placer auprès demployeurs ayant signé des conventions collectives avec des syndicats nationaux et internationaux. En 1995, il avait réussi à trouver un emploi à plus de 5 000 personnes porteuses de handicap. Depuis 1981, le programme IAM CARES, qui couvre les marchés du travail du Canada et des Etats-Unis, a permis à plus de 14 000 personnes, pour la plupart de grands handicapés, de trouver un emploi. Ces deux programmes proposent une évaluation professionnelle, des conseils et une aide au placement par un jeu de relations avec les entreprises et avec lappui du gouvernement et des syndicats.
Outre la prestation directe de services aux travailleurs porteurs de handicap, ces programmes PWI participent à des activités de sensibilisation du public aux problèmes de ces personnes, de promotion de la coopération entre partenaires sociaux pour favoriser lemploi et le maintien en emploi, et fournir des services de formation et de conseils aux syndicats et aux employeurs locaux.
Ce ne sont là que quelques exemples des actions menées dans le monde par les syndicats en vue de faciliter légalité de chances et de traitement des travailleurs porteurs de handicap face à lemploi. Ces actions sintègrent parfaitement dans leur objectif général qui est dencourager la solidarité des travailleurs et de mettre fin à toutes les formes de discrimination.
Si lobtention de conditions de travail sûres est inscrite en bonne place dans les programmes daction des syndicats dun grand nombre de pays, le maintien de la sécurité et de la santé au travail incombe traditionnellement à lemployeur. En général, cest la direction qui détermine les tâches à exécuter, choisit les outils et prend les décisions relatives aux procédés de fabrication et au milieu de travail dont dépendent la sécurité et la prévention. Il nen reste pas moins que seule une personne effectuant régulièrement les tâches selon les procédures établies, dans des conditions de travail spécifiques, est à même den apprécier les répercussions véritables sur la sécurité et la productivité.
Heureusement, les employeurs éclairés reconnaissent limportance des informations que les travailleurs leur fournissent en retour et ils y font de plus en plus souvent appel, car la structure organisationnelle de lentreprise évolue vers une plus grande autonomie du personnel. Les recherches sur la sécurité et la prévention montrent également que le travailleur doit participer à la définition des tâches, à lélaboration des politiques et à la mise en uvre des programmes de santé, de sécurité et de prévention de lincapacité.
La forte augmentation des coûts de la réparation des accidents du travail et des incapacités a amené les employeurs à considérer la prévention comme un élément essentiel de la gestion de lincapacité. Les programmes de prévention doivent faire porter tous leurs efforts sur lensemble des facteurs de stress et, notamment, ceux dordre psychologique, sensoriel, chimique ou physique, ainsi que sur les traumatismes, les accidents et lexposition à des risques évidents. Lincapacité peut être provoquée par une exposition faible, mais répétée, à des contraintes, plutôt que par un incident unique. Par exemple, certains agents peuvent provoquer ou déclencher des crises dasthme; des bruits répétés ou intenses peuvent conduire à la surdité; la pression exercée aux fins de produire toujours plus, en jouant sur le salaire aux pièces, peut provoquer des symptômes de stress psychologique; les mouvements répétitifs peuvent entraîner des troubles cumulatifs dus au stress (par exemple, le syndrome du canal carpien). Lexposition à ces facteurs peut renforcer des déficiences déjà existantes et les rendre plus invalidantes.
Du point de vue du travailleur, les avantages de la prévention ne peuvent jamais être masqués par la réparation. La figure 17.5 énumère quelques-uns des droits et des devoirs des travailleurs en matière de prévention de lincapacité au travail.
Les travailleurs ont droit au milieu de travail le plus sûr possible et à une information complète sur les risques et les conditions de travail. Cette information est particulièrement importante pour les travailleurs porteurs de handicap qui peuvent avoir besoin de connaître certaines conditions pour savoir sils sont capables deffectuer le travail sans mettre en danger leur sécurité et leur santé ou celles des autres.
Un grand nombre demplois comportent des risques ou des dangers quil nest pas possible décarter totalement. Par exemple, les métiers de la construction ou les métiers qui comportent une exposition à des substances toxiques présentent des risques spécifiques évidents. Dautres, comme la saisie de données ou le fonctionnement dune machine à coudre, semblent relativement sans danger; toutefois, les mouvements répétitifs ou une mauvaise posture peuvent entraîner une incapacité. Ces risques peuvent aussi être réduits.
Tous les travailleurs devraient recevoir léquipement de protection nécessaire et des informations sur les pratiques et procédures réduisant le risque daccident ou de maladie dus à une exposition à des conditions de travail dangereuses, à des mouvements répétitifs ou à dautres facteurs de stress. Les travailleurs doivent se sentir libres de signaler des dangers éventuels, se plaindre des pratiques de sécurité, ou démettre des suggestions en vue daméliorer leurs conditions de travail, sans craindre de perdre leur emploi. Les travailleurs devraient être encouragés à signaler une maladie ou une incapacité, en particulier si celles-ci sont provoquées ou peuvent être amplifiées par la tâche ou le milieu de travail.
En ce qui concerne leurs devoirs, les travailleurs sont responsables de lapplication de mesures de sécurité visant à réduire les risques pour eux-mêmes et les autres. Ils doivent signaler des conditions de travail dangereuses, défendre les questions de sécurité et de santé et se montrer responsables en ce qui concerne leur santé. Par exemple, si une incapacité ou une maladie expose un travailleur ou les autres à un risque, le travailleur doit sen écarter.
Lergonomie impose désormais des méthodes qui permettent de réduire effectivement des incapacités résultant de lorganisation du travail et de la façon deffectuer les tâches. Lergonomie étudie les conditions de travail et les relations entre lhomme et la machine: elle se propose dadapter le poste ou la tâche du travailleur, et non linverse (AFL-CIO, 1992). Ses applications ont été utilisées avec succès pour prévenir lincapacité dans des domaines aussi divers que lagriculture et linformatique. Citons, à titre dexemple, les postes de travail adaptables à la taille dune personne ou à dautres caractéristiques physiques (par exemple, chaises de bureau ajustables), les outils équipés de poignées adaptables aux différents types de main, ou la simple modification des pratiques de travail, afin de réduire les mouvements répétitifs ou le stress sur certaines parties du corps.
Les syndicats et les employeurs reconnaissent de plus en plus que les programmes de sécurité et de santé doivent sappliquer au-delà du lieu de travail. Même si lincapacité ou la maladie ne sont pas dorigine professionnelle, labsentéisme, lassurance maladie et, peut-être, le réemploi et la reconversion, sont des coûts qui pèsent sur lemployeur. De plus, certaines maladies, dont lalcoolisme, la toxicomanie et les problèmes psychologiques, peuvent entraîner une baisse de la productivité ou une plus grande vulnérabilité aux accidents du travail et au stress. Pour toutes ces raisons et dautres encore, un grand nombre demployeurs éclairés se sont engagés dans des programmes déducation à la sécurité, à la santé et à la prévention de lincapacité à lintérieur et à lextérieur de lentreprise. Des programmes de mise en forme portant sur la diminution du stress, une bonne alimentation, labstinence tabagique et la prévention du sida sont organisés dans lentreprise par les syndicats, la direction et, parfois, avec la participation du gouvernement.
Certains employeurs mettent en place des programmes dassistance (conseils et orientation) sur ces questions de santé. Tous ces programmes de prévention et de santé sont dans lintérêt bien compris des travailleurs et des employeurs. Par exemple, les chiffres montrent en général des taux de retour sur investissement de 3:1 à 15:1 pour certains programmes de promotion de la santé et dassistance aux salariés.
Du fait de la place quils occupent, les syndicats sont en mesure de faire pression en tant que représentants des travailleurs pour faciliter la mise en place de programmes de sécurité, de santé, de prévention de lincapacité ou dergonomie dans lentreprise. La plupart des experts en prévention et en ergonomie saccordent à dire que la participation des travailleurs aux mesures de prévention est essentielle à leur mise en uvre effective (LaBar, 1995; Westlander et coll., 1995; AFL-CIO, 1992). Les syndicats peuvent jouer un rôle clé en créant des comités paritaires de sécurité et de santé et des comités dergonomie. Ils peuvent faire pression afin de promouvoir la législation sur la sécurité au travail et mettre en place avec lemployeur des comités de sécurité, qui peuvent réussir à réduire le nombre des accidents du travail (Fletcher et coll., 1992).
Les syndicats doivent informer leurs membres de leurs droits, de la réglementation et des bonnes pratiques en matière de sécurité au travail et de prévention de lincapacité à lintérieur et à lextérieur de lentreprise. Ces programmes peuvent être inscrits dans la convention collective ou confiés aux comités de sécurité et de santé.
Les syndicats peuvent en outre négocier des mesures de prévention de lincapacité et des conditions spéciales en faveur des personnes porteuses de handicap dans des déclarations de portée générale et dans des conventions collectives, voire en dautres circonstances. Lorsquun travailleur est frappé dincapacité, notamment à la suite dun accident du travail, le syndicat devrait défendre son droit à obtenir des aménagements, des outils adaptés ou un changement de poste, afin déviter que ce travailleur soit exposé à une source de stress ou à des conditions dangereuses susceptibles daggraver son état. Par exemple, les travailleurs atteints de surdité professionnelle ne doivent plus être exposés de manière continue à certains types de bruits.
La déclaration de portée générale de la Confédération allemande des syndicats (DGB) sur les salariés frappés dincapacité vise précisément la nécessité déviter de les exposer à des risques pour leur santé et de prendre des mesures de prévention de tout nouvel accident.
Dans une convention collective conclue entre la société Boeing Aircraft et lAssociation internationale des machinistes et des travailleurs de laéroastronautique (International Association of Machinists and Aerospace Workers (IAMAW)), lInstitut de sécurité et de santé de Boeing (IAM/Boeing Health and Safety Institute) autorise le financement, met au point des programmes pilotes, émet des recommandations visant à améliorer la sécurité et la santé des travailleurs et organise la réadaptation professionnelle des travailleurs victimes dun accident du travail. Cet institut, créé en 1989, est financé à raison de 4 cents par heure par un fonds spécial de prévention. Il est dirigé par un conseil dadministration composé à 50% demployeurs et à 50% de délégués syndicaux.
La Fondation canadienne pour les travailleurs forestiers frappés dincapacité (Disabled Forestry Workers Foundation of Canada) est un autre exemple de projet paritaire. Elle est née de lassociation dun groupe de 26 employeurs, syndicats et autres organisations qui ont collaboré à la réalisation dune vidéo (Every Twelve Seconds) visant à attirer lattention sur le taux élevé daccidents (toutes les douze secondes) chez les travailleurs forestiers de ce pays. A présent, la fondation sintéresse à la sécurité, à la santé, à la prévention des accidents et à des modèles dateliers pour la réintégration des travailleurs victimes dun accident.
IAM CARES a entrepris de former ses membres aux questions de sécurité, en particulier dans les emplois très exposés et dangereux de lindustrie chimique, de la construction et de la sidérurgie. Il se charge de la formation des délégués syndicaux et des travailleurs à la chaîne et il encourage la création par le syndicat de comités de sécurité et dhygiène indépendants de la direction.
Avec une subvention du ministère du Travail des Etats-Unis, le Centre George Meany de lAFL-CIO, met au point du matériel éducatif sur labus de drogues pour aider les membres du syndicat et leur famille à aborder les problèmes dalcoolisme et de toxicomanie.
LAssociation du personnel navigant (Association of Flight Attendants (AFA)) a fait un travail remarquable dans le domaine du sida et de sa prévention. Des bénévoles ont mis sur pied lAssociation de sensibilisation à la phase critique et terminale du sida (AIDS, Critical and Terminal Illness Awareness Project), qui fournit à ses membres des informations sur le sida et dautres maladies pouvant entraîner la mort. Trente-trois de ses délégués ont informé 10 000 membres sur le sida. LAssociation a créé une fondation pour administrer les fonds destinés aux membres atteints dune maladie mortelle.
Dans de nombreux pays, les syndicats se sont battus pour la réparation des accidents du travail, les prestations dinvalidité, etc. Comme lun des objectifs des programmes de gestion de lincapacité est de réduire les coûts afférents à ces prestations, on pourrait croire que les syndicats ne sont pas favorables à ces programmes. En fait, ce nest pas le cas. Les syndicats soutiennent les droits relatifs à la protection de lemploi, à lintervention précoce en matière de prestation de services de réadaptation et dune saine gestion de lincapacité. Les programmes qui sattachent à réduire la détresse des travailleurs, qui se préoccupent des problèmes liés à la perte demploi et, notamment, à ses conséquences financières, et qui essaient déviter les incapacités de courte ou de longue durée sont bien reçus: ils devraient en effet permettre au travailleur de reprendre si possible son activité et de mettre à sa disposition des aménagements si le besoin sen fait sentir. Lorsque ce nest pas possible, des solutions de rechange, comme un changement de poste ou une reconversion, devraient être proposées. En dernier ressort, il faudrait garantir une réparation de longue durée et des indemnités pour perte de salaire.
Heureusement, les données dont on dispose suggèrent quil est possible de structurer les programmes de gestion de lincapacité de façon à répondre aux besoins et à respecter les droits des travailleurs, tout en présentant un bon rapport coûts-efficacité pour les employeurs. Comme le coût de la réparation des accidents du travail dans les pays industriels sest envolé, des modèles intégrant les services de réadaptation ont été élaborés et sont en cours dévaluation. Les syndicats ont un rôle de premier plan à jouer dans lélaboration de ces programmes. Ils doivent promouvoir et protéger les droits énumérés à la figure 17.6 et informer les travailleurs de leurs devoirs.
La plupart des droits des travailleurs cités font partie des services courants de reprise dactivité destinés aux victimes dun accident du travail, conformément aux techniques de réadaptation les plus modernes (Perlman et Hanson, 1993). Les travailleurs ont droit à une intervention médicale rapide et à lassurance que leur salaire et leur emploi seront préservés. Il semble que la rapidité de la prise en compte et la précocité de lintervention diminuent la durée de larrêt de travail. Le refus daccorder des prestations peut détourner les efforts de la réadaptation et de la réinsertion professionnelles et renforcer la contestation et lanimosité à légard de lemployeur et du système. Les travailleurs doivent comprendre ce qui va se passer sils sont victimes dun accident du travail ou dincapacité, avoir une bonne connaissance de la politique de lentreprise et de leurs droits à la protection de la loi. Malheureusement, la fragmentation de certains systèmes liés à la prévention, à la réparation et à la réadaptation des travailleurs ouvre la porte aux abus et est source de confusion pour les personnes qui en dépendent à un moment où elles sont vulnérables.
La plupart des responsables syndicaux reconnaissent que les travailleurs frappés dincapacité ne gagnent guère à perdre leur emploi et leur aptitude au travail. La réadaptation est la réponse souhaitée aux accidents et à lincapacité et devrait comprendre lintervention précoce, une évaluation complète et une planification personnalisée avec la participation du travailleur et une liberté de choix. Les plans de retour à lemploi peuvent consister en une reprise progressive de lactivité, avec des aménagements, des horaires réduits ou un changement de poste jusquà ce que le travailleur soit prêt à exercer pleinement son activité.
De tels aménagements risquent cependant dempiéter sur les droits protégés des travailleurs en général, dont ceux qui sont liés à lancienneté. Si les syndicalistes soutiennent et protègent les droits des travailleurs frappés dincapacité qui reprennent leur travail, ils cherchent des solutions qui ninterfèrent pas avec des clauses dancienneté négociées ou qui nentraînent pas une restructuration des postes de nature à amener les autres travailleurs à se charger de nouvelles tâches ou responsabilités qui ne leur incombent pas et pour lesquelles ils ne seront pas indemnisés. La collaboration et la participation des syndicats sont nécessaires pour résoudre ces problèmes, ce qui démontre, une fois de plus, la nécessité du concours syndical à lélaboration et à la mise en uvre de la législation, des politiques et des programmes de gestion de lincapacité et de réadaptation.
Les syndicats doivent être présents dans les commissions législatives nationales élaborant des projets de lois sur le handicap et lincapacité et dans les groupes de travail chargés de traiter ces questions. Dans les structures de la société et sur le lieu de travail, les syndicats devraient contribuer à la création de comités paritaires chargés de développer des programmes de gestion de lincapacité dans lentreprise et suivre les cas individuels. Les syndicats peuvent contribuer à la reprise du travail en suggérant des aménagements, en faisant appel à lassistance des collègues et en donnant des garanties au salarié frappé dincapacité.
Les syndicats peuvent collaborer avec les employeurs à la mise au point de programmes modèles de gestion de lincapacité visant à assister les travailleurs et respectant les objectifs de maîtrise des coûts. Ils peuvent étudier les besoins des travailleurs, les meilleures pratiques et activités afin de déterminer et de protéger les intérêts de leurs membres. Les droits et responsabilités du travailleur en matière déducation, ainsi que les actions nécessaires, sont des éléments essentiels des réponses à donner aux accidents et à lincapacité.
Certains syndicats ont activement aidé les gouvernements à corriger les carences de leurs systèmes de réparation des accidents du travail. En 1988, préoccupée par les coûts de la réparation des accidents et en réponse aux préoccupations des syndicats à propos de labsence de programmes de réadaptation effectifs, lAustralie a voté la loi sur la réadaptation et la réparation des lésions professionnelles subies par les salariés du Commonwealth (Commonwealth Employees Rehabilitation and Compensation Act), qui instaure un nouveau système de coordination pour la gestion et la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail des agents fédéraux. Le système révisé repose sur lidée quune réadaptation efficace et la reprise du travail, lorsquelles sont possibles, sont la solution la plus profitable pour le travailleur et pour lemployeur. La loi inscrit la prévention, la réadaptation et la réparation dans le système. Les prestations et les emplois sont protégés tant que la personne est en réadaptation. La réparation comprend les indemnités de perte de gain, les soins médicaux et, dans certains cas, le versement de sommes forfaitaires limitées. Les personnes qui ne sont pas en mesure de reprendre leur travail reçoivent des indemnités correctes. Les premiers résultats font apparaître un taux de reprise du travail de 87%. Ce succès est dû notamment à la collaboration de tous les intéressés, y compris les syndicats.
LInstitut de sécurité et de santé IAM/Boeing, déjà mentionné, offre un exemple de programme de reprise du travail animé par les syndicats et la direction dune entreprise. Ce programme modèle a été lune des premières initiatives prises par cet institut, qui considérait que les besoins des travailleurs victimes dun accident du travail étaient négligés du fait de la fragmentation des régimes de prestations administrés par différents organismes et programmes de réadaptation fédéraux, nationaux, locaux et privés. Après avoir analysé les données et conduit des entretiens, le syndicat et la société ont mis au point un programme modèle considéré comme étant dans lintérêt des deux parties. Ce programme porte sur bon nombre de droits déjà évoqués: intervention précoce; réponse rapide aux demandes de services et de réparation; prise en charge des cas axée sur la reprise du travail après aménagements, si nécessaire; évaluation périodique des résultats du programme et de la satisfaction des travailleurs.
Selon les enquêtes de satisfaction, la direction et les travailleurs victimes dun accident du travail estiment que le programme paritaire de retour à lemploi représente une amélioration par rapport aux services existants antérieurement. Le programme a été repris dans quatre autres usines Boeing et sera probablement pratique courante dans toute la société. A ce jour, plus de 100 000 salariés victimes daccidents du travail ont bénéficié des services de réadaptation au titre de ce programme.
Le programme HRDI de lAFL-CIO propose aussi des services de réadaptation en vue du retour à lemploi des salariés victimes dun accident du travail dans les entreprises dotées dune représentation syndicale affiliée à cette fédération. En partenariat avec le Centre détudes sur le lieu de travail de lUniversité de Columbia (Columbia Universitys Workplace Center), un programme modèle intitulé Programme dintervention précoce (Early Intervention Program) cherche à déterminer si une telle intervention peut accélérer le retour à leur poste des salariés frappés dune incapacité de travail de courte durée. Grâce à ce programme, 65% des participants ont repris leur activité, et plusieurs facteurs essentiels à la réussite ont été identifiés. Deux constatations revêtent une importance particulière dans la présente discussion: 1) les travailleurs connaissent presque tous des difficultés dordre financier; 2) ladhésion du syndicat au programme a eu pour effet de réduire la suspicion et lhostilité.
La Fondation canadienne pour les travailleurs forestiers frappés dincapacité a mis au point un programme modèle de gestion des cas en vue de la réintégration professionnelle (Case Management Model for Workplace Integration). Fort de linitiative conjointe syndicat-direction, ce programme réadapte et réintègre les travailleurs victimes dun accident. Sa publication, Industrial Disability Management: An Effective Economic and Human Resource Strategy, accompagne la mise en uvre du modèle, fondé sur un partenariat entre employeurs, syndicats, gouvernement et consommateurs. De plus, lInstitut national de lincapacité professionnelle et de la recherche (National Institute of Occupational Disability and Research), nouvellement créé, regroupe les travailleurs, les directions, les éducateurs et les professionnels de la réadaptation. Cet institut met au point des programmes de formation à lintention des responsables des ressources humaines et des syndicats qui permettront détendre encore la mise en uvre de ce modèle.
Pour pouvoir réussir pleinement leur intégration sur le lieu de travail, les personnes handicapées doivent tout dabord bénéficier dune égalité daccès à toutes les ressources collectives qui peuvent les préparer et les aider à travailler (accès à lenseignement et à la formation, aux services sociaux, etc.) et qui leur permettent daccéder au milieu de travail (accessibilité des logements, des transports, de linformation, etc.). De nombreux syndicats ont pris conscience que les personnes handicapées ne sont pas en mesure de prendre part à la vie active si elles sont exclues dune pleine participation à la société. De plus, lorsquelles ont trouvé un emploi, elles peuvent avoir besoin de services spéciaux et daménagements pour être tout à fait intégrées ou pour rester compétitives. Légalité dans la vie courante précède légalité dans lemploi et, pour bien traiter la question du handicap et de lemploi, il faut se pencher sur la question plus large des droits humains ou des droits civils.
Les syndicats sont conscients que léquité dans lemploi exige quelquefois loffre de services spéciaux ou daménagements pour le maintien en emploi et, par esprit de solidarité, ils peuvent les fournir à leurs membres ou leur en faciliter laccès. La figure 17.7 dresse la liste des droits et des devoirs qui reconnaissent le besoin daccéder pleinement à la vie de la collectivité.
Les syndicats peuvent être les promoteurs du changement dans leur collectivité en encourageant lintégration complète, au travail et dans la société, des personnes handicapées. Ils peuvent prendre contact avec les travailleurs handicapés et les organisations qui les représentent et collaborer avec eux pour mener des actions. Les possibilités dexercer une influence politique et de faire évoluer la législation ont été évoquées au fil du présent article et elles sont pleinement conformes à la recommandation no 168 et à la convention no 159 de lOIT. Ces deux instruments internationaux du travail soulignent le rôle des organisations demployeurs et de travailleurs dans la formulation de la politique relative à la réadaptation professionnelle et leur participation à la mise en uvre de cette politique et à loffre de services.
Les syndicats sont tenus de défendre les intérêts de tous les travailleurs. Ils devraient offrir des services, des programmes et une représentation modèles dans leur propre structure de façon à accueillir et à faire participer leurs membres porteurs de handicap à tous les aspects de lorganisation. Comme les exemples suivants le montreront, les syndicats font appel à leurs membres pour collecter des fonds, servir de volontaires ou organiser directement des services sur le lieu de travail et dans la collectivité; ils sassurent ainsi que les personnes handicapées sont tout à fait intégrées dans la vie en société sur les lieux de travail.
En Allemagne, un certain type de protection est régi par la loi. En vertu de la loi sur les grands handicapés, toute entreprise de plus de cinq salariés permanents, y compris les syndicats, doit avoir dans son conseil du personnel un élu représentant les salariés handicapés, qui veille à ce que leurs droits et leurs préoccupations soient pris en considération. La direction doit consulter ce représentant sur les questions relatives au recrutement, ainsi que sur la politique à suivre. Cette loi a donc amené les syndicats à sintéresser activement aux questions relatives au handicap.
Le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions (ICTU)) a publié et distribué en 1990 une charte des droits des personnes porteuses de handicap (Charter of Rights of People with Disabilities), qui énumère 18 droits fondamentaux considérés comme essentiels pour garantir pleinement légalité des personnes handicapées au travail et dans la société en général, à savoir un environnement sans obstacles, un logement, des soins de qualité, la formation, léducation, lemploi et laccessibilité des moyens de transport.
En 1946, lIAMAW a commencé à aider les personnes handicapées avec la création du programme international «Des yeux pour vous guider» («International Guiding Eyes»), qui fournit aux aveugles des chiens et une formation à leur utilisation, afin quils puissent mener des existences plus indépendantes et plus satisfaisantes. Environ 3 000 personnes de pays différents ont bénéficié de cette aide. Une partie des coûts de fonctionnement de ce programme est prise en charge par les cotisations des membres du syndicat.
Nous avons déjà évoqué les activités dun syndicat japonais qui ont commencé dans les années soixante-dix à lAssemblée des syndicats: un membre, parent dun enfant autiste, avait demandé à son syndicat de sintéresser aux besoins des enfants handicapés et, en réponse, lassemblée a créé une fondation financée par la vente dallumettes et, par la suite, de mouchoirs en papier. La fondation a instauré un service de conseil et une permanence téléphonique, afin daider les parents à affronter les difficultés délever un enfant handicapé dans une société ségréguée. Les parents se sont alors organisés et ont fait pression sur le gouvernement pour quil améliore laccessibilité, dispense une formation scolaire spécialisée et renforce les autres services. Dans le même élan, ils ont invité les chemins de fer à faciliter laccès à leurs installations, et des aménagements continuent dêtre apportés. Des activités et des festivals dété, comme aussi des voyages nationaux et internationaux, ont été parrainés afin de mieux faire connaître les problèmes du handicap.
Au bout de vingt ans, les enfants avaient grandi, et leurs besoins de loisirs et déducation se sont convertis en besoins de qualification professionnelle et demploi. Un programme dexpérience professionnelle pour jeunes handicapés a été mis en place et a fonctionné pendant plusieurs années. Les syndicats ont demandé aux entreprises dorganiser des programmes intégrés étude-travail à lintention des élèves handicapés de deuxième année denseignement secondaire. Cest de ce programme quest né le besoin de créer un centre daide à lemploi, évoqué au point 1.
Bon nombre de syndicats offrent des services de soutien supplémentaires sur le lieu de travail aux personnes handicapées pour les aider à garder leur emploi. Ils font appel à des volontaires sur le lieu de travail pour aider les jeunes à suivre des programmes intégrés étude-travail dans des sociétés où les syndicats sont représentés. LIAM CARES, aux Etats-Unis et au Canada, applique un système de parrainage qui attribue à chaque nouveau salarié porteur dun handicap un membre du syndicat qui lui sert de mentor. LIAM CARES a également parrainé des programmes demploi assisté chez Boeing et dans dautres sociétés. Les programmes demploi assisté fournissent des tuteurs pour aider les personnes les plus sévèrement handicapées à apprendre leur métier et à rester compétitifs.
Certains syndicats ont créé des sous-comités ou des groupes de travail composés de travailleurs handicapés, pour que les droits et les besoins de ceux-ci soient bien représentés dans leurs structures. Le Syndicat des travailleurs des postes (American Postal Workers Union) est un excellent exemple de tels groupes et des effets quils peuvent avoir. Le premier délégué syndical malentendant a été élu dans les années soixante-dix. Depuis 1985, plusieurs conférences ont été tenues uniquement à lintention des membres malentendants. Ces membres participent aussi aux équipes de négociation chargées de régler les questions daménagement des postes et de gestion du handicap. En 1990, le groupe de travail a collaboré avec le service postal à lélaboration dun timbre officiel portant le message «je vous aime» en langue des signes.
Fidèles à leurs origines, les syndicats sintéressent aux gens qui travaillent et à leurs besoins. Depuis les débuts de leur activité, ils ont fait plus que se battre pour obtenir des salaires décents et des conditions de travail optimales: ils ont cherché à améliorer la qualité de la vie et à offrir les meilleures chances possibles à tous les travailleurs, y compris ceux qui sont handicapés. Bien que ses positions se définissent sur le lieu de travail, linfluence du syndicat ne se limite pas aux entreprises ayant signé des conventions collectives. Comme le montrent bon nombre des exemples présentés dans cet article, les syndicats peuvent aussi atteindre le milieu social par toute une série dactivités et dinitiatives visant à éliminer la discrimination et les injustices à légard des personnes handicapées.
Si les syndicats, les employeurs, les organismes gouvernementaux, les représentants de la réadaptation professionnelle et les hommes et les femmes porteurs de handicap peuvent avoir des points de vue différents, ils devraient partager le désir dun lieu de travail sain et productif. Les syndicats occupent une position privilégiée pour réunir ces groupes sur un terrain commun et jouer ainsi un rôle clé pour améliorer la vie des personnes handicapées.