Dans la dernière édition de la présente Encyclopédie, aucun article nest consacré au syndrome des bâtiments malsains (SBM), connu également sous le nom de maladie des grands ensembles. Le syndrome dintolérance aux produits chimiques (appelé aussi parfois polysensibilité aux produits chimiques (PSC)) ny est pas davantage traité, puisque ce nest quen 1987 que Cullen a forgé ce concept. La plupart des praticiens en médecine du travail sont démunis devant de tels phénomènes qui ne se manifestent guère que par des symptômes et qui connaissent une forte connotation psychologique. Leur gêne est au moins partiellement imputable au fait que, chez les patients atteints de ces syndromes, la réduction de lexposition le moyen de correction le plus habituel en hygiène du travail napporte pas nécessairement une amélioration de leur état. Quant aux médecins généralistes, ils ont la même attitude et estiment que les patients sans signes pathologiques clairs qui se plaignent, par exemple, de fatigue chronique ou de fibromyalgie (et qui se considèrent comme étant davantage handicapés) sont plus difficiles à soigner que les patients atteints daffections déformantes du type polyarthrite rhumatoïde. Contrairement à ce qui se passe pour les maladies professionnelles reconnues, comme le saturnisme ou la silicose, il nexiste pas de réglementation stricte dans le cas du syndrome des bâtiments malsains ou du syndrome dintolérance aux produits chimiques. Lembarras des médecins traitants et les carences du cadre réglementaire, si compréhensibles soient-ils, sont regrettables, car ils contribuent à minimiser limportance de ces problèmes qui, même sils ne sont pas mortels et sont largement subjectifs, nen sont pas moins de plus en plus courants. Etant donné que de nombreux travailleurs souffrant de ces affections font état dune incapacité de travail totale et que les exemples de guérison sont rares, le syndrome dintolérance aux produits chimiques et celui des bâtiments malsains lancent un défi de taille aux régimes de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Dans les pays industriels, où on maîtrise aujourdhui de nombreuses nuisances au poste de travail, on reconnaît de plus en plus que des syndromes tels que ceux dont on parle ici et qui sont liés à la présence de substances toxiques en faible concentration, constituent des enjeux économiques et sanitaires importants. Un certain nombre de facteurs expliquent la frustration des chefs dentreprise qui sont confrontés à ces problèmes. Dans la plupart des pays, la réglementation ne contient pas de prescriptions précises visant la qualité de lair intérieur ou les personnes hypersensibles (seule exception notable, les sujets souffrant daffections allergiques reconnues); aussi est-il impossible pour les chefs dentreprise de savoir sils sont en conformité avec la législation. Les valeurs limites de concentration des substances toxiques qui ont été établies pour lindustrie, telles que les limites dexposition admissibles («Permissible Exposure Limits» (PEL)) de lAdministration de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration (OSHA)) aux Etats-Unis, ou les valeurs limites dexposition («Threshold Limit Values» (TLV)) de la Conférence américaine des hygiénistes du travail (American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH)) ne peuvent manifestement pas servir de référence lorsquil sagit de prévenir les symptômes que peuvent présenter les employés de bureau ou le personnel enseignant, ou de prédire lapparition de ces mêmes symptômes. Enfin, étant donné que la prédisposition individuelle et les facteurs psychologiques semblent avoir une influence déterminante sur la réaction aux faibles concentrations daérocontaminants, limpact des interventions qui sont susceptibles dêtre faites au niveau du bâtiment ou de son entretien nest pas aussi facile à prévoir que le souhaiteraient bon nombre de personnes appelées à y consacrer des ressources par ailleurs limitées. Les plaintes permettent souvent de déceler un facteur causal potentiel, comme la présence de concentrations élevées de composés organiques volatils par rapport à lair extérieur, mais elles persistent ou reprennent en dépit des mesures correctives que lon aura pu mettre en place.
Les travailleurs qui souffrent du syndrome des bâtiments malsains ou du syndrome dintolérance aux produits chimiques sont peu productifs, mais cest à leurs employeurs et aux pouvoirs publics quils adressent des reproches quand ceux-ci ne tiennent pas à sengager dans des interventions techniques dont on peut pourtant douter de lefficacité. Manifestement, les hygiénistes du travail comptent parmi les rares intervenants clés susceptibles de trouver un terrain dentente satisfaisant tous les intéressés. La présence de contaminants à faible dose peut effectivement être la cause réelle de lapparition du syndrome, à moins que lon se trouve confronté à une véritable hystérie collective souvent consécutive à une exposition de faible intensité à des contaminants environnementaux. Il importe que les chefs dentreprise fassent preuve de tact et de souplesse, de façon à prendre en considération et à évaluer toute une gamme de facteurs et à les intégrer aux solutions.
Des deux syndromes en question, cest celui des bâtiments malsains qui est le plus facile à circonscrire et à définir. LOrganisation mondiale de la santé (OMS) en a même proposé une définition en 1987. Il y a toujours débat lorsquil sagit de déterminer, aussi bien en général que dans les cas particuliers, si un trouble donné est davantage attribuable aux caractéristiques des travailleurs eux-mêmes ou à celles du bâtiment. Il est toutefois largement admis, à la lumière détudes comparatives de lexposition à des composés organiques volatils et denquêtes épidémiologiques, que ce sont les facteurs environnementaux sur lesquels on peut avoir prise qui engendrent le type de symptômes décrits dans larticle intitulé «Le syndrome des bâtiments malsains». Lauteur de cet article, Michael J. Hodgson (1992), décrit en détail la triade des facteurs propres à lindividu, au travail et au bâtiment qui jouent un rôle, en proportion variable, dans le développement des symptômes chez les travailleurs. Le maintien dune bonne communication entre lemployeur et le travailleur pendant lenquête et au cours de la mise en uvre des mesures correctives constitue un enjeu majeur. Dès quils ont reconnu les premiers signes dune épidémie, les médecins ont lhabitude de demander lavis de spécialistes de lenvironnement pour les aider à évaluer la situation et trouver le moyen dy remédier.
Comme nous lavons dit, le syndrome dintolérance aux produits chimiques est plus difficile à définir que celui des bâtiments malsains. Certaines organisations médicales, comme lAssociation médicale américaine (American Medical Association (AMA)), ont publié des déclarations de principe qui mettent en doute le fondement scientifique du diagnostic de cette maladie. De nombreux médecins dont la pratique ne repose pas sur des données scientifiques rigoureuses ont néanmoins défendu avec vigueur sa validité. Ils se fondent sur des tests diagnostiques non éprouvés ou interprétés de façon abusive, notamment lactivation des lymphocytes ou la scintigraphie cérébrale, pour recommander des traitements comme les saunas et ladministration de doses massives de vitamines, pratiques qui expliquent en grande partie lhostilité dorganismes comme lAMA. Personne, toutefois, ne conteste lexistence dun groupe de patients présentant une certaine symptomatologie en présence de faibles doses de produits chimiques. Certains symptômes systémiques signalés par ces patients sont communs à dautres syndromes subjectifs, comme celui de la fatigue chronique et la fibromyalgie. Cest le cas notamment de la douleur, de la fatigue et des difficultés de concentration, symptômes qui saccentuent lors dune exposition à de faibles doses de produits chimiques et dont la présence est signalée chez un pourcentage important de patients qui sont également atteints de ces autres syndromes. Il importe tout particulièrement détablir si les symptômes liés à la sensibilité aux produits chimiques sont acquis (et, le cas échéant, dans quelle mesure ils le sont) et consécutifs à une exposition antérieure à de fortes doses de produits chimiques ou sils surviennent comme cest généralement le cas en labsence de facteur déclenchant particulier. La question demeure toutefois sans réponse.
Dans certaines épidémies du syndrome des bâtiments malsains que linvestigation et les mesures correctives nont permis ni datténuer ni de juguler, le syndrome dintolérance aux produits chimiques est souvent considéré comme une conséquence du syndrome initial. Il est clair alors quil ne frappe quune seule personne ou quun petit nombre de sujets, rarement un groupe de personnes; selon certaines définitions, cet effet sur ce groupe pourrait même être considéré comme un critère distinctif du syndrome des bâtiments malsains. Le syndrome dintolérance aux produits chimiques semble être endémique au sein de certaines populations, celui des bâtiments malsains étant souvent épidémique; toutefois, des recherches préliminaires donnent à penser que la sensibilité aux produits chimiques (et la fatigue chronique) pourraient, dans une certaine mesure, avoir un caractère épidémique, comme on la constaté chez des soldats américains ayant participé à la guerre du Golfe. Les études dexposition contrôlées ont beaucoup contribué à faire la lumière sur le rôle que jouent les composés organiques volatils et les irritants dans le syndrome des bâtiments malsains; il y a lieu de mener le même type détudes contrôlées sur le syndrome dintolérance aux produits chimiques.
Bon nombre de médecins prétendent reconnaître un cas de ce syndrome sur une première impression alors quil nexiste pas de définition consensuelle. On pourrait très bien en parler comme dun état qui se confond avec dautres syndromes, sans origine professionnelle ceux-là, tels que la fatigue chronique, la fibromyalgie, les maladies psychosomatiques, etc. Si on peut situer assez précisément le moment dapparition du syndrome (après lexposition), on saperçoit quil est rarement associé à une maladie psychiatrique dûment diagnostiquée (Fiedler et coll., 1996). Le cas de lintolérance aux odeurs est encore différent, certainement pas unique en son genre, et on peut se demander sil sagit véritablement dune atteinte professionnelle. Ce débat est crucial, car selon la définition proposée par Cullen en 1987, comme dans bon nombre dautres définitions, le syndrome dintolérance aux produits chimiques serait une séquelle dune maladie dorigine professionnelle ou environnementale mieux caractérisée. Toutefois, comme nous lavons expliqué précédemment, on trouve les mêmes symptômes après une exposition à des odeurs, aux concentrations (faibles) présentes en général dans lair ambiant, chez ceux qui sont porteurs dune vraie maladie et chez ceux qui en sont indemnes. Cest pourquoi il est aussi important dexplorer les similitudes entre ce syndrome et les autres affections que détablir leurs différences (Kipen et coll., 1995; Buchwald et Garrity, 1994).
On emploie généralement lexpression «syndrome des bâtiments malsains» (SBM) ou maladie des grands ensembles pour désigner les malaises et les symptômes physiques que présentent les employés de bureau et qui sont liés aux caractéristiques des bâtiments, à lexposition aux polluants et à lorganisation du travail et qui sont aggravés par des facteurs de risque individuels. Il existe de nombreuses définitions, mais la controverse persiste sur deux points: a) peut-on vraiment parler de SBM tant quun seul individu est en cause ou est-il nécessaire dappliquer un critère statistique, la proportion de sujets atteints, par exemple? b) quels sont les symptômes qui doivent nécessairement être présents pour que lon puisse parler de SBM? Le lecteur trouvera à la figure 13.1 une liste des symptômes qui sont habituellement inclus dans la définition du syndrome. Au cours des dernières années, comme on commençait à mieux comprendre le phénomène, on a généralement rayé de la liste les symptômes liés aux odeurs, mais on y a ajouté les symptômes pulmonaires, sous la rubrique «irritation des muqueuses». Il importe de bien établir la distinction entre le SBM et la maladie liée aux bâtiments; dans ce dernier cas, une irritation, une allergie ou une affection authentifiée, comme la pneumopathie dhypersensibilité, lasthme ou des céphalées dues au monoxyde de carbone, peuvent être présentes et prendre la forme dun phénomène épidémique associé à un bâtiment. Il faut également distinguer le SBM du syndrome dintolérance aux produits chimiques (voir ci-dessous), qui survient de façon plus sporadique, souvent dans un groupe de sujets atteints de SBM, et qui répondent beaucoup moins bien aux aménagements que lon peut apporter au milieu de travail.
Le syndrome des bâtiments malsains doit être considéré simultanément sous trois angles différents et être éclairé par trois perspectives. Dans le cas des professionnels de la santé, cette perspective est celle de la médecine et des sciences de la santé: elle permet de définir les symptômes liés au travail à lintérieur dun bâtiment donné et les mécanismes physiopathologiques connexes. La deuxième perspective, celle de lingénierie, englobe la conception, la mise en service, lexploitation et lentretien du bâtiment, ainsi que lévaluation de lexposition à certains polluants. La troisième perspective sattache aux aspects organisationnels, sociaux et psychologiques du travail.
Depuis le milieu des années soixante-dix, on a étudié avec des méthodes plus rigoureuses les plaintes dinconfort manifestées de plus en plus fréquemment par les employés de bureau. Parmi les études qui ont été réalisées figuraient des études épidémiologiques sur le terrain ayant pour objet de mettre en évidence les facteurs de risque et les causes en utilisant comme unité déchantillonnage un bâtiment ou un poste de travail, des enquêtes de population visant à établir la prévalence du problème, des études en chambre expérimentale menées chez lêtre humain et destinées à cerner les effets et les mécanismes en cause et, enfin, des études dintervention sur le terrain.
Environ trente études transversales ont été publiées (Mendell, 1993; Sundell et coll., 1994). Bon nombre dentre elles portaient sur des bâtiments essentiellement «sans problème» choisis au hasard. Ces études ont systématiquement fait ressortir un lien entre la ventilation mécanique et une augmentation des symptômes signalés. Plusieurs études cas-témoins ont mis en évidence dautres facteurs de risque. On trouve à la figure 13.2 une classification des facteurs de risque largement reconnus qui sont associés à une augmentation du taux de doléances.
Bon nombre de ces facteurs se superposent, mais ne sexcluent pas les uns les autres. Ainsi, on a de fortes chances dobserver des troubles beaucoup plus graves si plusieurs de ces facteurs sont associés (tenue et entretien des locaux laissant à désirer, sources importantes de pollution intérieure et sensibilité individuelle accrue) quen présence dun seul dentre eux.
Lanalyse, par facteur et par principaux éléments, des réponses aux questionnaires remplis dans le cadre des études transversales a permis dévaluer les rapports mutuels entre les divers symptômes. De manière cohérente, on a observé que, lorsque les symptômes provenaient dun même organe ou dun même système, ils étaient davantage regroupés que lorsquils appartenaient à différents organes ou systèmes. Cest ainsi que, pour les yeux, l'irritation, le larmoiement, la sécheresse et les brûlures sont fortement corrélés entre eux; par conséquent, on ne tire aucune information supplémentaire à prendre en considération plusieurs symptômes appartenant au même organe ou système.
Bon nombre de ces facteurs se superposent, mais ne sexcluent pas les uns les autres. Ainsi, on a de fortes chances dobserver des troubles beaucoup plus graves si plusieurs de ces facteurs sont associés (tenue et entretien des locaux laissant à désirer, sources importantes de pollution intérieure et sensibilité individuelle accrue) quen présence dun seul dentre eux.
Lanalyse, par facteur et par principaux éléments, des réponses aux questionnaires remplis dans le cadre des études transversales a permis dévaluer les rapports mutuels entre les divers symptômes. De manière cohérente, on a observé que, lorsque les symptômes provenaient dun même organe ou dun même système, ils étaient davantage regroupés que lorsquils appartenaient à différents organes ou systèmes. Cest ainsi que, pour les yeux, lirritation, le larmoiement, la sécheresse et les brûlures sont fortement corrélés entre eux; par conséquent, on ne tire aucune information supplémentaire à prendre en considération plusieurs symptômes appartenant au même organe ou système.
Les études chez lanimal visant à déterminer les propriétés des irritants et les valeurs limites dexposition sont devenues courantes. La méthode de la Société américaine dessai des matériaux (American Society for Testing and Materials (ASTM)), 1984, est désormais reconnue par pratiquement tout le monde comme étant loutil de base. On la employée pour établir les rapports structure-activité, démontrer que le trijumeau peut comporter plus dun récepteur des irritants et pour examiner les interactions entre des expositions multiples. Plus récemment, cette méthode a servi à établir les propriétés irritantes des gaz émis par le matériel de bureau, tel que celui à base de bois aggloméré.
Plusieurs approches, analogues à celle susmentionnée, ont été mises au point pour établir les méthodes et les relations dose-effet des phénomènes irritatifs chez lêtre humain. On a constaté, pour les composés «non réactifs» du moins, comme les hydrocarbures aliphatiques saturés, que le pourcentage de saturation de la vapeur deau dun composé permet de prédire de façon acceptable son pouvoir irritant. Certaines données montrent également que plus le nombre de composés dans un mélange complexe augmente, plus les seuils dirritation sont bas. En dautres termes, plus il y a de composants, plus lirritation, même à quantité constante, sélève.
Des études contrôlées de lexposition ont été menées auprès de volontaires dans des enceintes en acier inoxydable. La plupart de ces études qui portaient sur un mélange constant de composés organiques volatils (COV) (Mølhave et Nielsen, 1992) ont uniformément mis en évidence une corrélation entre les symptômes et laugmentation des niveaux dexposition. Des employés de bureau qui sestimaient «sensibles» à la présence de COV aux concentrations habituelles dans lair intérieur ont eu de la peine à effectuer certains tests normalisés de caractère neuropsychologique (Mølhave, Bach et Pederson, 1986). Au contraire, des volontaires en bonne santé ont obtenu des résultats tout à fait satisfaisants à ces tests, mais ils présentaient une irritation des muqueuses et des maux de tête à des concentrations de 10 à 25 mg/m3. On a observé, plus récemment, des symptômes analogues chez des employés de bureau après une séance de travail simulée dans un environnement renfermant des polluants couramment émis par le matériel de bureau. Les animaux ont réagi de façon semblable à un test standardisé dévaluation du pouvoir irritant.
A ce jour, les résultats de trois études de population ont été publiés en Allemagne, aux Etats-Unis et en Suède. Les questionnaires utilisés différaient de façon considérable; aussi ne peut-on pas comparer directement les estimations de la prévalence. Néanmoins, entre 20 et 35% des répondants travaillant dans différents bâtiments et ne présentant pas de maladie connue ont déclaré souffrir de divers symptômes.
Un certain nombre de mesures objectives et de mécanismes potentiels pourraient contribuer à expliquer et à étudier les symptômes en fonction dun appareil ou dun système particulier de lorganisme. Aucun dentre eux ne permet toutefois de prédire de façon satisfaisante la présence de la maladie. Ces instruments ne conviennent donc pas au diagnostic clinique, mais ils sont utiles dans la recherche sur le terrain et les enquêtes épidémiologiques. Il est toutefois difficile de déterminer sil faut les considérer comme des mécanismes, des indicateurs deffet ou des mesures de la sensibilité.
On a tenté dexpliquer les symptômes oculaires, aussi bien par des mécanismes allergiques que par des mécanismes irritants. Un raccourcissement du temps de rupture du film lacrymal, mesure de linstabilité de ce film, est lié à une intensification des symptômes. On a également eu recours à la mesure de «lépaisseur des débris spumeux lipidiques» et à la photographie pour obtenir des données sur lérythème oculaire. Certains auteurs attribuent, au moins partiellement, les symptômes oculaires à une sensibilité individuelle accrue, mesurée au moyen des facteurs susmentionnés. On a vérifié, en outre, que les employés de bureau qui souffrent de troubles oculaires ont une fréquence de clignement abaissée quand ils travaillent devant leur écran dordinateur.
Des mécanismes à la fois allergiques et irritants ont été invoqués pour expliquer les symptômes des fosses nasales. Parmi les méthodes de mesure qui ont été utilisées avec succès, on peut citer lécouvillonnage du nez (éosinophiles), le lavage ou la biopsie du nez, la rhinométrie acoustique (volume du nez), la rhinomanométrie antérieure et postérieure (pléthysmographie) et les mesures de lhyperréactivité nasale.
Le système nerveux central
Pour vérifier lexistence dune baisse de performance, on a employé des tests neuropsychologiques sur la base des niveaux dexposition, dune part, (Mølhave, Bach et Pederson, 1986) et en tenant compte de lexistence de plaintes, de lautre (Middaugh, Pinney et Linz, 1992).
Deux ensembles de facteurs de risque individuels ont été examinés. Premièrement, latopie et la séborrhée, deux affections diathésiques (de prédisposition) bien connues et considérées comme des facteurs de risque de différents signes cliniques. Deuxièmement, des variables psychologiques individuelles pouvant jouer un rôle capital: anxiété, dépression, mauvaise humeur qui se rencontrent chez des personnes présentant une tendance à lhypocondrie. De même, le stress professionnel est si régulièrement associé aux symptômes liés aux bâtiments que lexistence dun lien de causalité est probable. On ignore toutefois laquelle des trois composantes du stress professionnel caractéristiques psychologiques individuelles, capacité dadaptation et fonctionnement de lentreprise (mauvaise gestion) est la cause prédominante. Il est certain que chez les travailleurs dont le pouvoir de décision est restreint, la gêne et linconfort sont éprouvés avec un désarroi dautant plus grand.
Au début des années soixante-dix, lInstitut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)) aux Etats-Unis a été invité à participer à une étude pour établir les causes des malaises signalés par les occupants de divers bâtiments. Ces malaises ont été attribués aux systèmes de ventilation (50%), à la contamination microbiologique (entre 3 et 5%), à la présence de sources importantes daéropolluants à lintérieur des locaux (tabagisme, 3%, autres, 14%), aux polluants provenant de lextérieur (15%) et à dautres causes. Woods (1989) et Robertson et coll. (1988) ont par ailleurs publié deux séries bien connues danalyses techniques des bâtiments à problème et ont observé, en moyenne, la présence de trois facteurs de causalité potentiels par bâtiment.
En 1989, la Société américaine de chauffage, réfrigération et climatisation (American Society of Heating, Refrigerating and Airconditioning Engineers (ASHRAE)) a adopté une norme professionnelle en matière de ventilation qui propose deux démarches: une évaluation du taux de renouvellement de lair et une étude de la qualité de lair. La première approche permet détablir de façon mathématique (sous forme de tableaux) les exigences en matière de ventilation. Dans les immeubles de bureaux, il convient dassurer une alimentation en air neuf de 3 m3 par occupant par heure pour que les doléances des occupants concernant des malaises liés à lenvironnement demeurent inférieures à 20%, sous réserve de sources de pollution relativement faibles. En présence de sources plus importantes, le même taux donnerait des résultats moins satisfaisants. Ainsi, lorsque le tabagisme est autorisé aux taux habituels (selon des données remontant au début des années quatre-vingt), environ 30% des occupants font état de malaises dus à lenvironnement. La deuxième approche nécessite le choix dune concentration cible (particules, COV, formaldéhyde, etc.) dans lair et lobtention de données sur les débits démission (quantité de polluants par unité de temps et par masse ou surface) et permet de fixer les exigences en matière de ventilation. Bien que cette méthode soit plus satisfaisante sur le plan intellectuel, elle demeure problématique en raison de limprécision des données sur les émissions et des divergences dopinion concernant les concentrations cibles.
Les spécialistes de lenvironnement ont généralement défini lexposition et les effets sur la santé pour chacun des polluants. La Société américaine de chirurgie thoracique (American Thoracic Society (ATS)) a proposé en 1988 six grandes catégories de polluants (voir figure 13.3).
Des critères environnementaux ont été établis pour bon nombre des substances appartenant à ces six groupes. Pour plusieurs raisons, on ne sentend pas sur lutilité de ces critères ni sur leur possibilité dapplication à latmosphère intérieure des locaux. Par exemple, on ne sest pas préoccupé, en fixant les limites admissibles, de la prévention de lirritation des yeux, symptôme souvent signalé par les employés de bureau qui travaillent sur un terminal à écran de visualisation. Le problème des interactions, souvent appelé «problème dû aux contaminants multiples», nest toujours pas défini de façon satisfaisante pour la majorité des catégories de polluants. Il nexiste aucun modèle de prédiction solide, même pour les agents que lon soupçonne dagir sur un récepteur donné, tels que les aldéhydes, les alcools et les cétones. Enfin, la définition des «composés représentatifs» à des fins de mesurage nest pas claire. En effet, les polluants doivent être mesurables, mais la composition des mélanges complexes est variable. On ne sait pas très bien, par exemple, si la gêne chronique liée à lodeur résiduelle de la fumée de tabac ambiante est davantage imputable à la nicotine, aux particules, au monoxyde de carbone ou à dautres polluants. La mesure des «composés organiques volatils totaux» est considérée actuellement comme une idée intéressante, mais elle nest guère utile sur le plan pratique, étant donné que les divers composants ont des effets si radicalement différents (Mølhave et Nielsen, 1992; Brown et coll., 1994). La composition des particules présentes dans latmosphère intérieure des locaux pourrait différer de celle de leurs homologues de lextérieur, puisque la taille du filtre influe sur les concentrations retenues et que les sources intérieures peuvent être différentes des sources extérieures. On est également confronté à des problèmes de mesurage, car la taille des filtres détermine le type de particules recueillies. Il peut savérer nécessaire davoir recours à des filtres différents pour les mesurages effectués à lintérieur.
Enfin, des données récentes indiquent que les polluants réactifs intérieurs peuvent interagir avec dautres polluants et produire de nouveaux composés. Ainsi, lozone, quil soit produit par les machines de bureau ou quil provienne de lextérieur, peut interagir avec le 4-phénylcyclohexène et produire des aldéhydes (Wechsler, 1992).
Dans les bâtiments, lélimination des polluants a toujours reposé sur le principe de la ventilation générale, mais les concepteurs pensaient à lépoque que les occupants étaient la principale source de pollution. De date plus récente, on sest aperçu que lon avait affaire à un mélange de multiples émissions de différentes provenances: «matériaux solides» (bureaux faits de panneaux de particules, moquettes et autres éléments du mobilier), produits humides (colles, peinture recouvrant les murs, cartouches des machines de bureau), produits personnels (parfums) qui créaient un mélange complexe composé de très faibles doses de polluants distincts (pour une synthèse sur la question, voir Hodgson, Levin et Wolkoff, 1994).
Plusieurs études évoquent la possibilité que la présence de composés organiques volatils, tels que les aldéhydes et les hydrocarbures halogénés, soit associée à une intensification des symptômes. Dans les bureaux où les taux de plaintes étaient élevés, on a observé que la «perte» de COV entre lair admis et lair évacué était plus importante que dans les bureaux où les plaintes étaient moins nombreuses. Une étude prospective menée en milieu scolaire a révélé que les COV à chaîne courte étaient liés à lapparition des symptômes. Les auteurs dune autre étude ont observé que de fortes concentrations en COV mesurées à laide dun échantillonneur personnel sélectif «surréagissant» aux COV réactifs, comme les aldéhydes et les hydrocarbures halogénés, étaient liées à des symptômes plus intenses. Les auteurs de la même étude ont observé que les concentrations en COV mesurées au niveau des voies respiratoires des femmes à leur poste de travail étaient plus élevées, ce qui pourrait constituer une autre explication de la plus grande fréquence des plaintes chez les femmes. Les COV pourraient être adsorbés par des surfaces agissant comme des puits, telles que les surfaces pelucheuses, et être réémis par ces sources secondaires. Linteraction entre lozone et des COV relativement peu irritants, qui engendre des aldéhydes, corrobore cette hypothèse.
Les COV constituent un agent étiologique intéressant, étant donné lexistence de multiples sources potentielles, la constance de leurs effets sur la santé et de la symptomatologie associée au syndrome des bâtiments malsains et le fait que les problèmes liés aux systèmes de ventilation sont de plus en plus largement reconnus. Mis à part lamélioration de la conception et du fonctionnement des systèmes de ventilation, il est possible pour pallier ce problème des solvants organiques de choisir des polluants à faible taux démission, dassurer un meilleur entretien des locaux et de prévenir les «réactions chimiques intérieures».
Selon plusieurs études, les bioaérosols entraîneraient des malaises chez les occupants des locaux. Plusieurs mécanismes sont soupçonnés dintervenir: émissions dirritants; libération de fragments, de spores ou de micro-organismes vivants provoquant une allergie; sécrétion de toxines complexes. Les données étayant cette thèse sont moins nombreuses que pour les autres théories. Il est clair, néanmoins, que les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation pourraient être à lorigine du développement de ces micro-organismes.
On a également observé la présence de bioaérosols dans les matériaux de construction des bâtiments (imputable à un séchage inadéquat) à la suite dune infiltration deau accidentelle et dans la poussière des bureaux. Les substances allergènes présentes à lintérieur des locaux, comme les acariens de la poussière ou les poils de chat transportés du domicile sur les vêtements, sont une autre source potentielle dexposition. Dans la mesure où les agents biologiques contribuent au problème, la maîtrise de leau et la lutte contre la saleté constituent des stratégies de prévention primaire.
Il arrive également que des champignons toxinogènes envahissent dautres matériaux poreux des bâtiments, en particulier les panneaux de revêtement des plafonds, lisolation par flocage et les poutres en bois. Dans les habitations mal ventilées, en particulier, la prolifération de champignons due à une maîtrise inadéquate de lhumidité a provoqué des plaintes.
Dans toutes les études qui ont examiné ce facteur, le «stress professionnel» a été clairement lié aux symptômes du SBM. La façon dont les travailleurs ressentent les contraintes du travail, telles que les conflits liés à leur poste, ou celles de nature extraprofessionnelle, comme un conjoint ou un parent exigeant, peut conduire à un comportement maladif et, par voie de conséquence, à une réaction plus marquée aux problèmes de pollution. En fait, cette réaction excessive peut être mise au compte de mauvaises méthodes de supervision. On croit, en outre, que ces réactions excessives aux polluants participent au «stress professionnel».
Cet examen vise à mettre en évidence lun des signes caractéristiques de la maladie liée aux bâtiments ou, au contraire, à montrer quil nen existe pas et quil sagit dautre chose. Il faut demblée identifier une allergie et la traiter au mieux, sans pour autant perdre de vue le fait que des mécanismes non allergisants peuvent laisser des séquelles importantes. On peut parfois rassurer les patients quant à lexistence dune vraie maladie en mesurant leur débit expiratoire de pointe au moyen dun appareil portatif ou grâce à des épreuves fonctionnelles respiratoires, avant et après le travail. Une fois que lon a écarté la présence dune maladie observable ou vérifiable sur le plan pathologique, il devient essentiel de procéder à une évaluation du bâtiment lui-même; cette évaluation doit être effectuée avec le concours de spécialistes en hygiène du travail ou dingénieurs. Dans le chapitre no 45, «La maîtrise des environnements intérieurs», de la présente Encyclopédie, il est fait mention de la documentation, de la prise en charge et de la correction des problèmes identifiés lors de cette évaluation.
Le SBM peut toucher des sujets isolés, mais on lobserve plus souvent dans des groupes; il est associé à des défauts de construction et est probablement causé par une série de polluants et de catégories de polluants. Comme dans toutes les «maladies», certaines caractéristiques psychologiques individuelles peuvent être des modificateurs de leffet et entraîner des symptômes dont lintensité ne dépend pas du degré de gêne initiale.
Depuis les années quatre-vingt, un nouveau syndrome clinique a été décrit dans le domaine de la santé au travail et de la médecine environnementale; cet état pathologique, appelé le plus souvent syndrome dintolérance aux produits chimiques (et également parfois polysensibilité aux substances chimiques (PSC)), se caractérise par lapparition dun certain nombre de symptômes après une exposition à de faibles concentrations de produits chimiques synthétiques; il nexiste cependant pas de définition largement admise de la symptomatologie. Ce syndrome peut se manifester chez certaines personnes à la suite dune seule exposition ou dexpositions répétées à des produits chimiques: une intoxication par les solvants ou les pesticides, par exemple. Cest ainsi que certains sujets auront des troubles divers en réaction à une exposition à des contaminants présents dans lair, dans les aliments ou dans leau et ce, à des doses qui ne provoquent pas de symptômes chez la plupart des individus.
Bien que lon ne puisse observer aucune atteinte mesurable dun organe précis, les patients se plaignent de dysfonctionnement et dincapacité. Les réactions idiosyncrasiques aux produits chimiques ne sont probablement pas un phénomène nouveau, mais on croit quil est maintenant plus fréquent de voir des patients consulter leur médecin pour des symptômes évoquant un syndrome dintolérance aux produits chimiques. La prévalence de cette maladie a été suffisante pour soulever une importante controverse publique quant à savoir à qui il incombait de traiter les patients atteints et de payer les traitements. La recherche, toutefois, na pas encore fait la lumière sur un grand nombre de questions dintérêt scientifique; ainsi, on ne connaît ni la cause ni la pathogenèse de la maladie et on ignore comment la traiter et la prévenir. Néanmoins, ce syndrome existe bel et bien et est une cause importante de morbidité dans la population active et la population en général. Nous nous proposons, dans le présent article, de dresser un bilan des connaissances actuelles sur ce sujet, espérant ainsi favoriser la reconnaissance du syndrome et sa prise en charge, en dépit des zones dombre qui demeurent.
Bien quaucune définition du syndrome dintolérance aux produits chimiques ne fasse lunanimité, un certain nombre de caractéristiques que nous nous proposons de recenser permettent de le distinguer dautres états pathologiques bien définis:
Tous les patients ne répondent pas parfaitement à ces critères, mais il y a néanmoins lieu de les prendre tous en compte lors du diagnostic du syndrome dintolérance aux produits chimiques. Chacun deux permet en effet dexclure dautres affections cliniques sapparentant à ce syndrome, comme les troubles psychosomatiques, la sensibilisation à des antigènes de lenvironnement (dans les cas dasthme professionnel, par exemple), les séquelles tardives de lésions organiques (syndrome dhyperréactivité bronchique consécutif à linhalation de produits toxiques) ou une maladie systémique (du type cancer). En revanche, le diagnostic de syndrome dintolérance aux produits chimiques nest pas un diagnostic dexclusion, et il nest pas nécessaire de procéder à des tests poussés dans la majorité des cas. Bien que le tableau clinique varie, on considère que ce syndrome présente un profil reconnaissable qui facilite tout autant, sinon plus, le diagnostic que les critères eux-mêmes.
En pratique, le syndrome dintolérance aux produits chimiques pose des problèmes diagnostiques dans deux cas particuliers. Premièrement, lorsque le patient se trouve depuis peu dans un état pathologique où il est difficile de distinguer entre ce syndrome et une exposition très récente à un risque lié à lhygiène du travail ou à lenvironnement. Ainsi, les patients qui ont eu des réactions symptomatiques après la pulvérisation de produits antiparasitaires à lintérieur de locaux trouveront peut-être que leurs réactions persistent, même lorsquils évitent le contact direct avec les produits ou les activités de pulvérisation. Dans ce cas, un médecin pourrait croire que lexposition continue et réclamer inutilement de réduire la pollution, puisque les symptômes perdurent même après la correction. La situation est particulièrement complexe dans un bureau, lorsque le syndrome dintolérance aux produits chimiques apparaît comme une complication du syndrome des bâtiments malsains. Alors que la majorité des employés de bureau se sentiront mieux après la prise de mesures correctives destinées à améliorer la qualité de lair, le patient souffrant de ce syndrome continuera de se plaindre de symptômes, même si lintensité de lexposition a été réduite. Les efforts visant à accroître encore la qualité de lair sont généralement une source de frustration aussi bien pour le patient que pour lemployeur.
Deuxièmement, à un stade plus avancé du syndrome, il est difficile de poser un diagnostic en raison des aspects chroniques de la maladie. Après de nombreux mois, le patient est souvent déprimé et anxieux, comme tout autre patient souffrant dune maladie chronique décrite depuis peu. Cette situation peut entraîner une exacerbation des manifestations psychiatriques, qui peuvent lemporter sur les symptômes provoqués par les produits chimiques. Sil ne faut pas sous-estimer la nécessité de reconnaître et de traiter ces complications du syndrome dintolérance aux produits chimiques, ni la possibilité quil soit lui-même dorigine psychologique (voir ci-dessous), il importe de reconnaître le syndrome sous-jacent si lon veut amorcer un traitement qui gagne ladhésion du patient.
On ne connaît pas le processus pathogénique qui conduit, chez certaines personnes, au développement dun véritable syndrome dintolérance aux produits chimiques à la suite dun seul épisode ou de quelques épisodes dexposition environnementale. Il existe actuellement plusieurs théories à ce sujet. Les cliniciens écologistes et leurs partisans ont publié de nombreux articles affirmant que ce syndrome est un trouble immunitaire causé par laccumulation de produits chimiques exogènes dans lorganisme (Bell, 1982; Levin et Byers, 1987). On dispose au moins dune étude sérieuse qui infirme cette hypothèse (Simon, Daniel et Stockbridge, 1993). Selon celle-ci, les facteurs de prédisposition pourraient comprendre les carences nutritionnelles, comme le manque de vitamines ou dantioxydants, ou la présence dinfections infracliniques, une candidose par exemple. Dans cette perspective, laffection «déclenchante» est importante parce quelle contribue à une surcharge chimique persistante.
Daprès une autre théorie, moins élaborée, mais qui fait également une très large place aux facteurs biologiques, le syndrome dintolérance aux produits chimiques serait le fait de séquelles biologiques rares dune lésion due aux produits chimiques. A ce titre, cette affection pourrait constituer une nouvelle forme de neurotoxicité due aux solvants ou aux pesticides, ou à une lésion des muqueuses respiratoires consécutive à un épisode aigu dintoxication par inhalation ou encore à un phénomène analogue. Sous cet angle, ce syndrome est considéré comme laboutissement commun de différents mécanismes pathologiques initiaux (Cullen, 1994; Bascom, 1992).
Lauteur dune théorie biologique plus récente a examiné le lien éventuel entre les muqueuses des voies respiratoires supérieures et le système limbique, en particulier en ce qui concerne la liaison avec lodorat (Miller, 1992). De ce point de vue, des substances qui stimulent peu lépithélium nasal pourraient provoquer une activation disproportionnée du système limbique, ce qui expliquerait les énormes effets, souvent stéréotypés, entraînés par de très faibles expositions. Cette théorie expliquerait aussi le rôle important que jouent des substances très odoriférantes, comme les parfums, dans lapparition du syndrome chez de nombreux patients.
A linverse, bon nombre de chercheurs et de cliniciens chevronnés ont fait appel à des mécanismes psychologiques pour expliquer le syndrome dintolérance aux produits chimiques, établissant un lien entre cette affection et dautres troubles psychosomatiques (Brodsky, 1983; Black, Ruth et Goldstein, 1990). Diverses hypothèses ont été avancées, selon lesquelles cette pathologie serait une variante du syndrome de stress post-traumatique (Schottenfeld et Cullen, 1985) ou une réaction conditionnée par une expérience toxique initiale (Bolle-Wilson, Wilson et Bleecker, 1988). Selon un autre groupe de chercheurs, le syndrome dintolérance aux produits chimiques serait une réaction tardive à un traumatisme subi pendant la première enfance, comme une agression sexuelle (Selner et Strudenmayer, 1992). Quelle que soit la théorie retenue, laffection déclenchante joue davantage un rôle symbolique quun rôle biologique dans la pathogénie de ce syndrome. Les facteurs liés à lhôte sont considérés comme très importants, en particulier la prédisposition à somatiser la détresse psychologique.
Malgré labondance des publications sur ce sujet, il existe peu détudes cliniques ou expérimentales avalisant avec vigueur lune ou lautre de ces théories. Les faiblesses méthodologiques de ces études sont nombreuses. Les chercheurs nont généralement pas défini les populations étudiées et ne les ont pas comparées à des groupes convenablement appariés de sujets témoins. Les observateurs étaient tout à fait au courant de létat des sujets et connaissaient les hypothèses de recherche. Il sensuit que les résultats sont purement descriptifs (et ne peuvent pas être explicatifs). En outre, le débat légitime entourant létiologie de ce syndrome a été faussé par les partis pris dogmatiques. Etant donné que la majorité des décisions dassurance (le droit pour le patient de bénéficier de prestations de réparation et dune prise en charge de ses frais médicaux) peuvent dépendre de la manière dont le cas est perçu, de nombreux médecins ont des opinions très fermes sur cette maladie, ce qui restreint la valeur scientifique de leurs observations. Ceux qui soignent les patients atteints de ce syndrome doivent être conscients du fait que ces derniers connaissent souvent très bien ces théories et peuvent avoir, eux aussi, des idées bien arrêtées sur la question.
On ne connaît pas de façon précise les caractéristiques épidémiologiques de ce syndrome. On estime que sa prévalence dans la population américaine (doù émane encore la majorité des cas déclarés) pourrait atteindre plusieurs pour-cent, mais la validité scientifique de ces chiffres demeure douteuse; dautres données laissent penser que la forme clinique de ce syndrome est rare (Cullen, Pace et Redlich, 1992). La majorité des informations disponibles reposent sur létude de séries de cas effectuées par les médecins traitants de patients atteints du syndrome. Malgré ces lacunes, certaines remarques générales sont possibles. Bien quil ait été observé chez des patients appartenant à pratiquement toutes les tranches dâge, le syndrome dintolérance aux produits chimiques frappe plus souvent des sujets dâge moyen. Les travailleurs des catégories socio-économiques les plus élevées semblent surreprésentés, alors que les personnes défavorisées et celles qui nappartiennent pas à la population blanche paraissent sous-représentées. Cette observation pourrait être imputable à linégalité daccès aux soins ou à un biais lié au clinicien. Les femmes sont plus souvent touchées que les hommes. Les données épidémiologiques incriminent fortement une certaine forme didiosyncrasie chez lhôte, qui constituerait un facteur de risque; en effet, on a rarement signalé des épidémies importantes, et seule une fraction restreinte des victimes daccidents causés par des produits chimiques ou des victimes dune surexposition à ces produits semble avoir développé le syndrome (séquelle des incidents antérieurs) (Welch et Sokas, 1992; Simon, 1992). A cet égard, il est sans doute étonnant que les affections allergiques atopiques courantes ne semblent pas être un facteur de risque important dans la plupart des populations.
Plusieurs groupes de produits chimiques ont été mis en cause dans la majorité des épisodes déclenchants, en particulier les solvants organiques, les pesticides et les irritants respiratoires qui sont beaucoup employés en milieu de travail. Un autre facteur semble commun à de nombreux cas: la présence du syndrome des bâtiments malsains. Certains patients présentant des symptômes caractéristiques du SBM finissent en effet par souffrir de syndrome dintolérance aux produits chimiques. Bien quil existe beaucoup de similitudes entre ces deux affections, leurs caractéristiques épidémiologiques devraient les distinguer. Le SBM frappe généralement la majorité des personnes partageant le même environnement et leur état saméliore après instauration de mesures correctives; le syndrome dintolérance aux produits chimiques se manifeste de manière sporadique et ne répond pas de façon prévisible aux modifications susceptibles dêtre apportées au milieu de travail.
Enfin, il est intéressant de se demander si ce syndrome est une affection nouvelle ou plutôt la manifestation ou la perception nouvelle dune affection ancienne. Les opinions divergent en ce qui concerne la pathogénie proposée. Les tenants de linfluence biologique des agents environnementaux, notamment les cliniciens écologistes, estiment que le syndrome dintolérance aux produits chimiques est une maladie du XXe siècle, dont lincidence augmente avec lutilisation des produits chimiques (Ashford et Miller, 1991). Les partisans de la thèse des mécanismes psychologiques considèrent quil sagit dune maladie psychosomatique ancienne ayant adopté une forme nouvelle, à limage de notre société (Brodsky, 1983; Shorter, 1992). Selon cette théorie, la perception sociale négative des produits chimiques, considérés comme dangereux, a contribué à donner un contenu symbolique nouveau à un problème ancien, la maladie psychosomatique.
Le syndrome dintolérance aux produits chimiques na pas encore fait lobjet détudes suffisantes pour quil soit possible de préciser son évolution ou son issue. Les descriptions dun nombre considérable de cas ont fourni certains indices et le profil général de la maladie semble être le suivant: développement rapide parallèle au processus de généralisation, suivi de périodes moins prévisibles daméliorations et dexacerbations progressives. Même si le patient peut avoir limpression que ces cycles sont dus à des facteurs environnementaux ou au traitement, il nexiste pas de preuves scientifiques de lexistence de tels liens de causalité.
Deux conclusions importantes simposent. Premièrement, il est peu probable que ce syndrome soit évolutif. On nobserve pas, dune année à lautre, de détérioration de létat des patients, établie au moyen de paramètres physiques mesurables, ni lapparition de complications, telles que des infections ou la défaillance dun système ou dun appareil de lorganisme survenant en labsence de maladie concomitante. Deuxièmement, il nest pas établi que ce syndrome puisse être mortel, malgré ce quen pensent les patients. Ces conclusions pourraient servir de base à un pronostic favorable et contribuer à rassurer les patients, mais les descriptions cliniques permettant de conclure avec une égale certitude à des rémissions complètes sont rares. Si lon peut espérer des progrès marqués, ils sont généralement attribuables à une amélioration de la capacité fonctionnelle du patient et de son sentiment de bien-être. La tendance sous-jacente à réagir à lexposition aux produits chimiques persiste généralement, même si les symptômes peuvent devenir suffisamment tolérables pour que la victime puisse reprendre une vie normale.
Nos connaissances concernant le traitement de ce syndrome sont très limitées. Bon nombre de méthodes, classiques ou non, ont été mises à lessai, mais leur efficacité na pas été confirmée à laide des critères scientifiques habituels. Comme cest le cas pour dautres maladies, les approches thérapeutiques reflètent les théories relatives à la pathogénie de cette affection. Les cliniciens écologistes et les autres praticiens convaincus que ce syndrome est dû à une déficience du système immunitaire engendrée par de fortes concentrations de produits chimiques exogènes ont insisté sur la nécessité déviter les produits chimiques synthétiques. Les tenants de cette théorie ont eu recours à des stratégies diagnostiques pour déterminer les sensibilités «spécifiques» au moyen de divers essais non validés, dans le but de «désensibiliser» les patients. Parallèlement à cette approche, ils ont appliqué des techniques destinées à accroître limmunité sous-jacente par ladministration de suppléments alimentaires, comme des vitamines et des antioxydants, et ont tenté déliminer les levures ou dautres organismes commensaux. Une approche plus radicale est axée sur lélimination des substances toxiques de lorganisme par chélation ou par renouvellement accéléré des lipides où sont stockés les pesticides liposolubles, les solvants et dautres produits chimiques organiques.
Les partisans de lexplication psychologique ont évidemment mis à lessai dautres méthodes. Ils ont notamment employé des thérapies de soutien, individuelles ou collectives, et des techniques plus classiques de modification du comportement, dont lefficacité demeure hypothétique. La plupart des observateurs ont été frappés par lintolérance des patients à légard des médicaments généralement employés dans le traitement des troubles affectifs ou anxieux. Cette impression est corroborée par un essai en double insu contrôlé contre placebo qui a été effectué par lauteur du présent article sur un échantillon restreint. Cet essai, qui portait sur la fluvoxamine, a été interrompu en raison des effets indésirables observés chez cinq des huit premiers patients ayant participé à cette étude.
En dépit de linsuffisance des connaissances actuelles, on peut énoncer certains principes thérapeutiques.
Tout dabord, il faut éviter, si possible, de rechercher chez un sujet donné la «cause» précise du syndrome dintolérance aux produits chimiques: cet effort serait vain et inefficace. Bon nombre de patients ont déjà subi un grand nombre dexamens au moment où lon envisage ce diagnostic et, à leurs yeux, les tests sont autant de preuves de lexistence dun état pathologique et dun remède précis. Quelle que soit la théorie privilégiée par le clinicien, il convient dinformer le patient de létat actuel des connaissances et des incertitudes qui persistent concernant ce syndrome et surtout lui faire comprendre que la cause de cette affection est inconnue. Il faut le rassurer et lui préciser que, même si on prend en considération les aspects psychologiques, cela ne signifie pas pour autant que sa maladie est moins réelle ou moins grave et quelle ne mérite pas dêtre traitée. Le patient doit savoir que ce syndrome nest probablement ni évolutif ni mortel et quil ne doit pas, pour linstant, sattendre à une guérison complète.
Malgré lincertitude qui persiste concernant la pathogénie de la maladie, il est la plupart du temps nécessaire déviter que le patient soit en contact avec les éléments de son milieu professionnel qui engendrent les symptômes. Léviction totale nest évidemment pas recommandée, car elle irait à lencontre de lobjectif recherché qui est daméliorer la capacité fonctionnelle du travailleur; il faut toutefois maîtriser davantage les réactions symptomatiques fréquentes et graves, approche qui constitue la pierre angulaire dune solide relation thérapeutique avec le patient. Un changement de travail savère souvent nécessaire. On pourra envisager daccorder des prestations de réparation au travailleur, car même si on ne connaît pas précisément la pathogénie de ce syndrome, on peut fort bien considérer quil nest que la complication dune exposition professionnelle plus facilement identifiable (Cullen, 1994).
Toutes les thérapies ultérieures doivent viser à accroître la capacité fonctionnelle du patient. Les problèmes psychologiques: difficultés dadaptation, anxiété et dépression devraient être traités, de même que les problèmes concomitants, comme les allergies atopiques typiques. Etant donné que les patients atteints de ce syndrome ne tolèrent en général pas les produits chimiques, il est souvent nécessaire de privilégier des approches autres que pharmacologiques. En labsence dun traitement bien établi, la majorité des patients a besoin dêtre dirigée, conseillée et rassurée pour arriver à composer avec la maladie (Lewis, 1987). Il faut les encourager à élargir leur champ dactivité et décourager la passivité et la dépendance, attitude fréquente chez les personnes souffrant de ce type de trouble.
Comme la pathogénie de cette affection et les facteurs de risque prédisposants chez lhôte sont encore mal connus, il est évidemment difficile de concevoir des stratégies de prévention primaire. Il y a tout lieu de croire, toutefois, que lon pourra réduire sa fréquence en limitant les risques dexposition aiguë en milieu de travail qui sont responsables de la symptomatologie chez certains hôtes, notamment les expositions aux irritants respiratoires, aux solvants et aux pesticides. Les mesures proactives visant à améliorer la qualité de lair dans les bureaux où la ventilation laisse à désirer devraient sans doute être également utiles.
La prévention secondaire semble constituer une voie plus prometteuse, bien quaucune intervention particulière nait encore fait lobjet détudes. Etant donné que les facteurs psychologiques pourraient jouer un rôle chez les victimes de surexposition professionnelle, il est recommandé de traiter consciencieusement et précocement les personnes exposées, même si le pronostic sous langle de lexposition elle-même semble favorable. Les patients examinés en clinique ou en salle durgence immédiatement après une exposition aiguë devraient subir une évaluation visant à déterminer leurs réactions à lincident et sans doute bénéficier dun suivi très étroit sils manifestent une crainte excessive des effets à long terme ou si on observe des symptômes persistants. Il convient assurément de prendre des mesures pour empêcher la répétition dincidents qui peuvent être évités, car ce type dexposition pourrait être un important facteur de risque du syndrome dintolérance aux produits chimiques, indépendamment du mécanisme causal.